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vendredi, 17 janvier 2020

Psychologie et propagande : les origines - Conditionnement, inconscient et succès de la propagande

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Psychologie et propagande : les origines

Conditionnement, inconscient et succès de la propagande
 
par François-Bernard Huyghe
Ex: https://www.huyghe.fr


Il n'y a guère de stratégie d'influence qui ne se réclame d'une connaissance approfondie de l'inconscient humain ou ne prétendre à la maîtrise scientifique des mécanismes psychiques. On ne s'étonne plus de voir un pubeur citer Lacan pour présenter sa prochaine campagne, ni d'entendre parler de Programmation Neuro Linguistique dans un stage de vendeurs au porte à porte. L'idée qu'il existe des méthodes qui mettent le message, discours ou image, directement "en prise avec l'inconscient" nourrit la vieille crainte d'une manipulation absolue puisqu'agissant sur nos ressorts les plus secrets.

propaganda.jpgLa publicité est évidemment toujours sous le soupçon. Dans un livre qui avait fait du bruit à l'époque, "la persuasion cachée" de 1957, Vance Packard révélait les stratégies des compagnies publicitaires qui truffaient leurs annonces de textes et images supposés agir sur nos motivations cachées en échappant à la censure du Moi.
Et pour la propagande, on trouve dès 1918, dans le livre intitulé justement "Propaganda" d'Edward Bernays (accessoirement neveu de Freud et se vantant d'utiliser la psychanalyse) l'idée que les masses seraient dirigées par des élites capables d'utiliser toutes les techniques psychologiques.

Mais les grands théoriciens que disent ils de cette perspective effarante ?

Comme on peut s'y attendre, on trouve dès les premières décennies du XX° siècle outils théoriques chez les principaux courants, environnementaliste et psychanalytique.

Ainsi, s'il est un classique de la propagande, c'est bien "Le viol des foules par la propagande politique" de Serge Tchakhotine (1939), un gros pavé expliquant comment l'auteur, socialiste convaincu, avait combattu la propagande nazie par une méthode idéologiquement correcte puisqu'inspirée de Pavlov et surtout hyper efficace puisqu'elle reposait entièrement sur le conditionnement de la population à son insu et par l'exploitation de ses réflexes inconscients par des symboles efficaces. Donc Tchakhotine renvoie à Pavlov.

De Pavlov (1849-1936), tout le monde a retenu l’expérience du chien qui salive. Elle date de 1889 : l’animal est habitué à recevoir sa nourriture après avoir entendu un coup de cloche ; si, au bout d’un temps, la cloche retentit, sans que l’on nourrisse le chien, il continue à baver. Il est conditionné par répétition d’un stimulus (le bruit) associé à un excitant (la nourriture) en vue d’un certain comportement (saliver). Pavlov, réduit l’activité nerveuse supérieure à une suite d’excitation et d’inhibition de réflexes, compliquée par la possibilité d’associer des signaux (stimuli sonores, mais aussi visuels, olfactifs) à des réactions. Pour lui « La vie des êtres supérieurs est l'histoire de la production continuelle et de l'usage incessant de ces nouvelles combinaisons... ».

Pavlov qui reçoit le prix Nobel pour ses travaux en 1904 entend ainsi fonder une psychologie scientifique et certains de ses disciples en sautent facilement à l’idée que l’homme n’est que réflexes conditionnés, d'où le corollaire qu’il est possible de le conditionner scientifiquement.

Fils de pope, père d’un officier de l’armée blanche mort au combat, dénonciateur du régime soviétique dès les années 20, Ian Pétrovitch Pavlov n’avait pas vraiment un profil de parfait bolchevik. Pourtant, il a joui du statut de penseur officiel de la psychologie soviétique.

Il y avait à cela plusieurs raisons. Il était Russe et n’avait pas fui en 1917. Sa volonté de scientificité enracinée dans le physiologique permettait de l’opposer à la psychologie bourgeoise idéaliste. Enfin, en poussant un peu, l’argument du conditionnement pouvait jouer en faveur de l’acquis contre l’inné : les hommes sont foncièrement égaux dans la mesure où tout ce qu’ils deviennent est le résultat de l’influence monde extérieur. Donc, il sera demain possible de produire l’homme nouveau dans la patrie du socialisme. Donc le pavlovisme est conciliable avec le matérialisme historique dialectique et le camarade Staline a raison. C.q.f.d.

Pavlov a surtout, sinon un disciple, du moins un équivalent américain : John Broadus Watson (1878-1958), psychologue et neurologue, fondateur de l’école béhavioriste. Son manifeste « La psychologie telle qu’un behavioriste la voit » le dit sans ambages : la psychologie doit devenir la science qui étudie (certains ajouteront : produit) le comportement humain, hors de toute notion « mentaliste » et subjective telle que volonté, émotions, ego… Bref, foin de l’introspection : l’être humain est une boîte noire réagissant par des comportements à des stimuli. En utilisant et répétant les plus adaptés, on peut « contrôler et conditionner les émotions des sujets humains ». Watson s’efforça de le démontrer par une expérience sur « le petit Albert » : partant du principe que l’enfant n’était mu que par trois émotions basiques peur, rage et amour, il se faisait fort de les provoquer à volonté. Plus tard, il voulut mettre en œuvre sur les consommateurs au sein d’une agence de publicité J Walter Thompson Agency. En dépit de publications importantes (comme Behaviorism en 1924), la seconde partie de sa vie fut surtout consacrée au business.

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Le succès de ses idées est considérable : dès 1913, le béhaviourisme devient un des courants majeurs des sciences sociales américaines (en tout cas, le plus typiquement américain). Le couple stimulus-réponse devient un système explicatif applicable aussi bien à l’éducation des enfants qu’aux événements internationaux : il naît ainsi une théorie behaviouriste des guerres et des violences (elle se propose, bien entendu, d’y porter remède par le conditionnement adéquat dans un bon environnement « non-frustrant »).

Le béhaviourisme nourrit aussi les fantasmes d’une science appliquée à la toute jeune publicité ou dans le domaine de la communication de masse. Les premières études des médias sont imprégnées d’un schéma maintenant très critiqué « de la seringue hypodermique » : le message insufflé par les médias « passe » chez les récepteurs comme le liquide dans les veines du sujet et y produit automatiquement son effet. C’est un schéma « causaliste » : le contenu de la communication A produit un effet B, qui se traduit par un comportement : achat, vote…

Le béhaviorisme rencontre et parfois affronte un autre grand courant intellectuel : la psychanalyse. Avant la guerre, Freud (1856-1939) a déjà posé les fondements de la discipline, largement publié et constitué une première école avec de premières dissensions. Ce qu’il est convenu de nommer « la seconde topique » de la psychanalyse (la représentation des mécanismes psychiques comme interaction entre le ça, le Moi et le Surmoi remplaçant la hiérarchie inconscience, pré conscience, conscience) est en voie d’élaboration. Bref, le freudisme existe même s’il n’a pas l’influence qu’il acquerra quelques décennies plus tard et même si sa thématique n’est pas entrée dans la culture populaire. Pourtant, la terminologie freudienne se prête vite aux détournements et à un usage quasi publicitaire: en se vantant « d’agir directement sur l’inconscient » ou en parlant « d’images qui s’adressent aux couches profondes du psychisme », des professionnels de la « com » donnent vite des bases « scientifiques » de leur action. Tout cela va dans le même sens : l’idée que les masses sont par essence irrationnelles, suggestibles, prêtes à se soumettre à un chef ou à un démagogue.

41JZ1VACJ0L._SX314_BO1,204,203,200_.jpgMais que pensait vraiment Freud ?
Dans un texte de 1921, « Psychologie collective et analyse du moi », le père de la psychanalyse sans traiter à proprement parler de la propagande présente sa position par rapport aux penseurs de l’ère des foules. Il consacre un chapitre élogieux à Le Bon. Il veut fonder ses thèses foncièrement justes sur les bases plus scientifiques de la psychanalyse. Il indique quelques pistes : les foules, ou plutôt les communautés organisées comme dans l’armée ou l’Église ont tendance à s’identifier collectivement à un « idéal du Moi », qui facilite leur obéissance. Dans la foule, non seulement les participants sont dans un état proche de l’hypnose, mais chacun s’identifie à tous les autres et communie dans une même fascination de l’objet d’enthousiasme. Ce mécanisme constitue une régression par rapport au développement psychique de l’humanité, mais reste une possibilité toujours présente… Freud plutôt que de décrire des techniques de conditionnement, même pour les dénoncer, théorisé la disparition de l'individualité et la soumission au groupe comme menace.

De son œuvre, il serait difficile de retirer des recettes pour former une horde de fanatiques. Freud est un individualiste pessimiste, plein du mépris envers le grégaire et rempli de crainte devant les emportements de la masse. Nombre de suiveurs en déduiront qu’une manipulation par les symboles collectifs est scientifiquement programmable et la caution freudienne viendra longtemps renforcer cette vision des cerveaux absorbant la propagande comme l’éponge le liquide.

Genèse de la pensée unique

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Genèse de la pensée unique

par Claude Bourrinet

Ex: https://cerclearistote.com

Recension:

Polymnia Athanassiadi, Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive, Paris, Les Belles Lettres, 2010.

« Il n’y eut plus de rire pour personne. » Procope

158342.1577156868.jpgPolymnia Athanassiadi, professeur d’histoire ancienne à l’Université d’Athènes, spécialiste du platonisme tardif (le néoplatonisme) avait bousculé quelques certitudes, dans son ouvrage publié en 2006, « la lutte pour l’orthodoxie dans le platonisme tardif », en montrant que les structures de pensée dans l’Empire gréco-romain, dont l’aboutissement serait la suppression de toute possibilité discursive au sein de l’élite intellectuelle, étaient analogues chez les philosophes « païens » et les théologiens chrétiens. Cette osmose, à laquelle il était impossible d’échapper, se retrouve au niveau des structures politiques et administratives, avant et après Constantin. L’État « païen », selon Mme Athanassiadi, prépare l’État chrétien, et le contrôle total de la société, des corps et des esprits. C’est la thèse contenue dans une étude éditée en 2010, Vers la pensée unique. La montée de l’intolérance dans l’Antiquité tardive.

Un basculement identitaire

L’Antiquité tardive est l’un de ces concepts historiques relativement flous, que l’on adopte, parce que c’est pratique, mais qui peuvent susciter des polémiques farouches, justement parce qu’ils dissimulent des pièges heuristiques entraînant des interprétations diamétralement apposées. Nous verrons que l’un des intérêts de cette recherche est d’avoir mis au jour les engagements singulièrement contemporains qui sous tendent des analyses apparemment « scientifiques ».

La première difficulté réside dans la délimitation de la période. Le passage aurait eu lieu sous le règne de Marc Aurèle, au IIe siècle, et cette localisation temporelle ne soulève aucun désaccord. En revanche, le consensus n’existe plus si l’on porte le point d’achoppement (en oubliant la date artificielle de 476) à Mahomet, au VIIe siècle, c’est-à-dire à l’aboutissement désastreux d’une longue série d’invasions, ou aux règnes d’Haroun al-Rachid et de Charlemagne, au IXe siècle, voire jusqu’en l’An Mil. Ce qui est en jeu dans ce débat, c’est l’accent mis sur la rupture ou sur la continuité.

Le fait indubitable est néanmoins que la religion, lors de ce processus qui se déroule quand même sur plusieurs siècles, est devenue le « trait identitaire de l’individu ». L’autre constat est qu’il s’éploie dans un monde de plus en plus globalisé – l’orbis romanus – dans un empire qui n’est plus « romain », et qui est devenu méditerranéen, voire davantage. Une révolution profonde s’y est produite, accélérées par les crises, et creusant ses mines jusqu’au cœur d’un individu de plus en plus angoissé et cherchant son salut au-delà du monde. La civilisation de la cité, qui rattachait l’esprit et le corps aux réalités sublunaires, a été remplacée par une vaste entité centralisée, dont la tête, Constantinople ou Damas, le Basileus ou le calife, un Dieu unique, contrôle tout. Tout ce qui faisait la joie de vivre, la culture, les promenades philosophiques, les spectacles, les plaisirs, est devenu tentation démoniaque. La terre semble avoir été recouverte, en même temps que par les basiliques, les minarets, les prédicateurs, les missionnaires, par un voile de mélancolie et un frisson de peur. Une voix à l’unisson soude les masses uniformisées, là où, jadis, la polyphonie des cultes et la polydoxie des sectes assuraient des parcours existentiels différenciés. Une monodoxie impérieuse, à base de théologie et de règlements tatillons, s’est substituée à la science (épistémé) du sage, en contredisant Platon pour qui la doxa, l’opinion, était la source de l’erreur.

Désormais, il ne suffit pas de « croire », si tant est qu’une telle posture religieuse ait eu sa place dans le sacré dit « païen » : il faut montrer que l’on croit. Le paradigme de l’appartenance politico-sociale est complètement transformé. La terreur théologique n’a plus de limites.

Comme le montre Polymnia Athanassiadi, cet aspect déplaisant a été, avec d’autres, occulté par une certaine historiographie, d’origine anglo-saxonne.

Contre l’histoire politiquement correcte

La notion et l’expression d’« Antiquité tardive » ont été forgées principalement pour se dégager d’un outillage sémantique légué par les idéologies nationales et religieuses. Des Lumières au positivisme laïciste du XIXe siècle, la polémique concernait la question religieuse, le rapport avec la laïcité, le combat contre l’Église, le triomphe de la raison scientifique et technique. Le « récit » de la chute de l’Empire romain s’inspirait des grandes lignes tracées par Montesquieu et Gibbon, et mettait l’accent sur la décadence, sur la catastrophe pour la civilisation qu’avait provoquée la perte des richesses antiques. Le christianisme pouvait, de ce fait, paraître comme un facteur dissolvant. D’un autre côté, ses apologistes, comme Chateaubriand, tout en ne niant pas le caractère violent du conflit entre le paganisme et le christianisme, ont souligné la modernité de ce dernier, et par quelles valeurs humaines il remplaçait celles de l’ancien monde, devenu obsolète.

C’est surtout contre l’interprétation de Spengler que s’est élevée la nouvelle historiographie de la fin des années Soixante. Pour le savant allemand, les civilisations subissent une évolution biologique qui les porte de la naissance à la mort, en passant par la maturité et la vieillesse. On abandonna ce schéma cyclique pour adopter la conception linéaire du temps historique, tout en insistant sur l’absence de rupture, au profit de l’idée optimiste de mutation. L’influence de Fernand Braudel, théoricien de la longue durée historique et de l’asynchronie des changements, fut déterminante.

L’école anglo-saxonne s’illustra particulièrement. Le maître en fut d’abord Peter Brown avec son World of late Antiquity : from Marcus Aurelius to Muhammad (1971). Mme Athanassiadi n’est pas tendre avec ce savant. Elle insiste par exemple sur l’absence de structure de l’ouvrage, ce qui ne serait pas grave s’il ne s’agissait d’une étude à vocation scientifique, et sur le manque de rigueur des cent trente illustrations l’accompagnant, souvent sorties de leur contexte. Quoi qu’il en soit, le gourou de la nouvelle école tardo-antique étayait une vision optimiste de cette période, perçue comme un âge d’adaptation.

Il fut suivi. En 1997, Thomas Hägg, publia la revue Symbolae Osbenses, qui privilégie une approche irénique. On vide notamment le terme le terme xenos (« étranger ») de son contenu tragique « pour le rattacher au concept d’une terre nouvelle, la kainê ktisis, ailleurs intérieur rayonnant d’espoir ». Ce n’est pas un hasard si l’inspirateur de cette historiographique révisionniste est le savant italien Santo Mazzarino, l’un des forgerons de la notion de démocratisation de la culture.

La méthode consiste en l’occurrence à supprimer les oppositions comme celles entre l’élite et la masse, la haute et la basse culture. D’autre part, le « saint » devient l’emblème de la nouvelle société. En renonçant à l’existence mondaine, il accède à un statut surhumain, un guide, un sauveur, un intermédiaire entre le peuple et le pouvoir, entre l’humain et le divin. Il est le symbole d’un monde qui parvient à se maîtrise, qui se délivre des entraves du passé.

police-pensée-2-214x300.jpgPolymnia Athanassiadi rappelle les influences qui ont pu marquer cette conception positive : elle a été élaborée durant une époque où la détente d’après-guerre devenait possible, où l’individualisme se répandait, avec l’hédonisme qui l’accompagne inévitablement, où le pacifisme devient, à la fin années soixante, la pensée obligée de l’élite. De ce fait, les conflits sont minimisés.

Un peu plus tard, en 1999, un tome collectif a vu le jour : Late Antiquity. A Guide to the postclassical World. Y ont contribué P. Brown et deux autres savants princetoniens : Glen Bowersock et Oleg Grabar, pour qui le véritable héritier de l’empire romain est Haroun al-Rachid. L’espace tardo-antique est porté jusqu’à la Chine, et on met l’accent sur vie quotidienne. Il n’y a plus de hiérarchie. Les dimensions religieuse, artistique politique, profane, l’écologique, la sexuelle, les femmes, le mariage, le divorce, la nudité – mais pas les eunuques, sont placées sur le même plan. La notion de crise est absente, aucune allusion aux intégrismes n’est faite, la pauvreté grandissante n’est pas évoquée, ni la violence endémique, bref, on a une « image d’une Antiquité tardive qui correspond à une vision politiquement correcte ».

La réaction a vu le jour en Italie. Cette même année 1999, Andrea Giardina, dans un article de la revue Studi Storici, « Esplosione di tardoantico », a contesté « la vision optimiste d’une Antiquité tardive longue et paisible, multiculturelle et pluridisciplinaire ». Il a expliqué cette perception déformée par plusieurs causes :

  • la rhétorique de la modernité,
  • l’impérialisme linguistique de l’anglais dans le monde contemporain (« club anglo-saxon »),
  • une approche méthodologique défectueuse (lecture hâtive).

Et, finalement, il conseille de réorienter vers l’étude des institutions administratives et des structures socio-économiques.

Dans la même optique, tout en dénonçant le relativisme de l’école anglo-saxonne, Wolf Liebeschuetz, (Decline and Full of the Roman City, 2001 et 2005), analyse le passage de la cité-État à l’État universel. Il insiste sur la notion de déclin, sur la disparition du genre de vie avec institutions administratives et culturelles légués par génie hellénistique, et il s’interroge sur la continuité entre la Cité romaine et ses successeurs (Islam et Europe occidentale). Quant à Bryan Ward-Perkins, The fall of Rome and the End of Civilization, il souligne la violence des invasions barbares, s’attarde sur le trauma de la dissolution de l’Empire. Pour lui, le déclin est le résultat de la chute.

On voit que l’érudition peut cacher des questions hautement polémiques et singulièrement contemporaines.

Polymnia Athanassiadi prend parti, parfois avec un mordant plaisant, mais nul n’hésitera à se rendre compte combien les caractéristiques qui ont marqué l’Antiquité tardive concernent de façon extraordinaire notre propre monde. Polymnia Athanassiadi rappelle, en s’attardant sur la dimension politico-juridique, quelles ont été les circonstances de la victoire de la « pensée unique » (expression ô combien contemporaine !). Mais avant tout, quelle a été la force du christianisme ?

La révolution culturelle chrétienne

Le christianisme avait plusieurs atouts à sa disposition, dont certains complètement inédits dans la société païenne.

D’abord, il hérite d’une société où la violence est devenue banale, du fait de la centralisation politicoadministrative, et de ce qu’on peut nommer la culture de l’amphithéâtre.

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Dès le IIe siècle, en Anatolie, le martyr apparaît comme la « couronne rouge » de la sainteté octroyée par le sens donné. Les amateurs sont mus par une vertu grecque, la philotimia, l’« amour de l’honneur ». C’est le seul point commun avec l’hellénisme, car rien ne répugne plus aux esprits de l’époque que de mourir pour des convictions religieuses, dans la mesure où toutes sont acceptées comme telles. Aussi bien cette posture est-elle peu comprise, et même méprisée. L’excès rhétorique par lequel l’Église en fait la promotion en souligne la théâtralité. Marc Aurèle y voit de la déraison, et l’indice d’une opposition répréhensible à la société. Et, pour une société qui recherche la joie de vivre, cette pulsion de mort paraît bien suspecte.

Retenons donc cette aisance dans l’art de la propagande – comme chacun sait, le nombre de martyrs n’a pas été si élevé qu’on l’a prétendu – et cette attirance morbide qui peut aller jusqu’au fond des cœurs. Le culte des morts et l’adoration des reliques sont en vogue dès le IIIe siècle.

Le leitmotiv de la résurrection des corps et du jugement dernier est encore une manière d’habituer à l’idée de la mort. Le scepticisme régnant avant IIIe siècle va laisser place à une certitude que l’on trouve par exemple chez Tertullien, pour qui l’absurde est l’indice même de la vérité (De carne christi, 5).

L’irrationalisme, dont le christianisme n’est pas seul porteur, encouragé par les religions orientales, s’empare donc des esprits, et rend toute manifestation surnaturelle plausible. Il faut ajouter la croyance aux démons, partagée par tous.

Mais c’est surtout dans l’offensive, dans l’agression, que l’Église va se trouver particulièrement redoutable. En effet, de victimes, les chrétiens, après l’Édit de Milan, en 313, vont devenir des agents de persécution. Des temples et des synagogues seront détruits, des livres brûlés.

Peut-être l’attitude qui tranche le plus avec le comportement des Anciens est-il le prosélytisme, la volonté non seulement de convertir chaque individu, mais aussi l’ensemble de la société, de façon à modeler une communauté soudée dans une unicité de conviction. Certes, les écoles philosophiques cherchaient à persuader. Mais, outre que leur zèle n’allait pas jusqu’à harceler le monde, elles représentaient des sortes d’options existentielles dans le grand marché du bonheur, dont la vocation n’était pas de conquérir le pouvoir sur les esprits. Plotin, l’un des derniers champions du rationalisme hellène, s’est élevé violemment contre cette pratique visant à arraisonner les personnes. On vivait alors de plus en plus dans la peur, dans la terreur de ne pas être sauvé. L’art de dramatiser l’enjeu, de le charger de toute la subjectivité de l’angoisse et du bon choix à faire, a rendu le christianisme particulièrement efficace. Comme le fait remarquer Mme Athanassiadi, la grande césure du moi, n’est plus entre le corps et l’âme, mais entre le moi pécheur et le moi sauvé. Le croyant est sollicité, sommé de s’engager, déchiré d’abord, avant Constantin, entre l’État et l’Église, puis de façon permanente entre la vie temporelle et la vie éternelle.

Cette tension sera attisée par la multitude d’hérésie et par les conflits doctrinaux, extrêmement violents. Les schismes entraînent excommunications, persécutions, batailles physiques. Des polémiques métaphysiques absconses toucheront les plus basses couches de la société, comme le décrit Grégoire de Nysse dans une page célèbre très amusante. Les Conciles, notamment ceux de Nicée et de Chalcédoine, seront des prétextes à l’expression la plus hyperbolique du chantage, des pressions de toutes sortes, d’agressivité et de brutalité. Tout cela, Ramsay MacMullen le décrit fort bien dans son excellent livre, Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle.

Mais c’est surtout l’arme de l’État qui va précipiter la victoire finale contre l’ancien monde. Après Constantin, et surtout avec Théodose et ses successeurs, les conversions forcées vont être la règle. À propos de Justinien, Procope écrit : « Dans son zèle pour réunir l’humanité entière dans une même foi quant au Christ, il faisait périr tout dissident de manière insensée » (in 118). Des lois discriminatoires seront décrétées. Même le passé est éradiqué. On efface la mémoire, on sélectionne les ouvrages, l’index des œuvres interdites est publié, Basile de Césarée (vers 360) établit une liste d’auteurs acceptables, on jette même l’anathème sur les hérétiques de l’avenir !

Construction d’une pensée unique

L’interrogation de Polemnia Athanassiadi est celle-ci : comment est-on passé de la polydoxie propre à l’univers hellénistique, à la monodoxie ? Comment un monde à l’échelle humaine est-il devenu un monde voué à la gloire d’un Dieu unique ?

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Son fil conducteur est la notion d’intolérance. Mot piégé par excellence, et qui draine pas mal de malentendus. Il n’a rien de commun par exemple avec l’acception commune qui s’impose maintenant, et dont le fondement est cette indifférence profonde pour tout ce qui est un peu grave et profond, voire cette insipide légèreté contemporaine qui fuit les tragiques conséquences de la politique ou de la foi religieuse. Serait intolérant au fond celui qui prendrait au sérieux, avec tous les refus impliqués, une option spirituelle ou existentielle, à l’exclusion d’une autre. Rien de plus conformiste que la démocratie de masse ! Dans le domaine religieux, le paganisme était très généreux, et accueillait sans hésiter toutes les divinités qu’il lui semblait utile de reconnaître, et même davantage, dans l’ignorance où l’on était du degré de cette « utilité » et de la multiplicité des dieux. C’est pourquoi, à Rome, on rendait un culte au dieu inconnu. Les païens n’ont jamais compris ce que pouvait être un dieu « jaloux », et tout autant leur théologie que leur anthropologie les en empêchaient. En revanche, l’attitude, le comportement, le mode de vie impliquaient une adhésion ostentatoire à la communauté. Les cultes relevaient de la vie familiale, associative, ou des convictions individuelles : chacun optait pour un ou des dieux qui lui convenaient pour des raisons diverses. Pourtant les cultes publics concernant les divinités poliades ou l’empereur étaient des actes, certes, de piété, mais ne mettant en scène souvent que des magistrats ou des citoyens choisis. Ils étaient surtout des marques de patriotisme. À ce titre, ne pas y participer lorsqu’on était requis de le faire pouvait être considéré comme un signe d’incivisme, de mauvaise volonté, voire de révolte. En grec, il n’existe aucun terme pour désigner notion de tolérance religieuse. En latin, l’intolérance : intolerentia, est cette « impatience », « insolence », « impudence » que provoque la présence face à un corps étranger. Ce peut être le cas pour les païens face à ce groupe chrétien étrange, énigmatique, considéré comme répugnant, ou l’inverse, pour des chrétiens qui voient le paganisme comme l’expression d’un univers démoniaque. Toutefois, ce qui relevait des pratiques va s’instiller jusqu’au fond des cœurs, et va s’imprégner de toute la puissance subjective des convictions intimes. En effet, il serait faux de prétendre que les païens fussent ignorants de ce qu’une religion peut présenter d’intériorité. On ne s’en faisait pas gloire, contrairement au christianisme, qui exigeait une profession de foi, c’est-à-dire un témoignage motivé, authentique et sincère de son amour pour le dieu unique. Par voie de conséquence, l’absence de conviction dûment prouvée, du moins exhibée, était rédhibitoire pour les chrétiens. On ne se contentait pas de remplir son devoir particulier, mais on voulait que chacun fût sur la droite voie de la « vérité ». Le processus de diabolisation de l’autre fut donc enclenché par les progrès de la subjectivisation du lien religieux, intensifiée par la « persécution ». Au lieu d’un univers pluriel, on en eut un, uniformisé bien que profondément dualiste. La haine fut érigée en vertu théologique.

Comment l’avait décrit Pollymnia Athanassiadi dans son étude de 2006 sur l’orthodoxie à cette période, la première tâche fut de fixer le canon, et, par voie de conséquence d’identifier ceux qui s’en écartaient, à savoir les hérétiques. Cette classification s’élabora au fil du temps, d’Eusèbe de Césarée, qui procéda à une réécriture de l’Histoire en la christianisant, jusqu’à Jean Damas, en passant par l’anonyme Eulochos, puis Épiphane de Salamine.

Néanmoins, l’originalité de l’étude de 2010 consacrée à l’évolution de la société tardo-antique vers la « pensée unique » provient de la mise en parallèle de la politique religieuse menée par l’empire à partir du IIIe siècle avec celle qui prévalut à partir de Constantin. Mme Athanassiadi souligne l’antériorité de l’empire « païen » dans l’installation d’une théocratie, d’une religion d’État. En fait, selon elle, il existe une logique historique liant Dèce, Aurélien, Constantin, Constance, Julien, puis Théodose et Justinien.

L’édit de Dèce, en 250, est motivé par une crise qui faillit anéantir l’Empire. La pax deorum semblait nécessaire pour restaurer l’État. Aussi fut-il décrété que tous les citoyens (dont le nombre fut élargi à l’ensemble des hommes libres en 212 par Caracalla), sauf les Juifs, devaient offrir un sacrifice aux dieux, afin de rétablir l’unité de foi, le consensus omnium.

Deux autres persécutions eurent lieu, dont les plus notoires furent celles en 257 de Valérien, en 303 de Dioclétien, et en 312, en Orient, de Maximin. Entre temps, Aurélien (270 – 275) conçut une sorte de pyramide théocratique, à base polythéiste, dont le sommet était occupé par la divinité solaire.

Julien.jpgNotons que Julien, le restaurateur du paganisme d’État, est mis sur le même plan que Constantin et que ses successeurs chrétien. En voulant créer une « Église païenne », en se mêlant de théologie, en édictant des règles de piété et de moralité, en excluant épicuriens, sceptiques et cyniques, il a consolidé la cohérence théologico-autoritaire de l’Empire. Il assumait de ce fait la charge sacrale dont l’empereur était dépositaire, singulièrement la dynastie dont il était l’héritier et le continuateur. Il avait conscience d’appartenir à une famille, fondée par Claude le Gothique (268 – 270), selon lui dépositaire d’une mission de jonction entre l’ici-bas et le divin.

Néanmoins, Constantin, en 313, lorsqu’il proclama l’Édit de Milan, ne saisit probablement pas « toute la logique exclusiviste du christianisme ». Était-il en mesure de choisir ? Selon une approximation quantitative, les chrétiens étaient loin de constituer la majorité de la population. Cependant, ils présentaient des atouts non négligeables pour un État soucieux de resserrer son emprise sur la société. D’abord, son organisation ecclésiale plaquait sa logique administrative sur celle de l’empire. Elle avait un caractère universel, centralisé. De façon pragmatique, Constantin s’en servit pour tenter de mettre fin aux dissensions internes génératrices de guerre civile, notamment en comblant de privilèges la hiérarchie ecclésiastique. Un autre instrument fut utilisé par lui, en 325, à l’occasion du concile de Nicée. En ayant le dernier mot théologique, il manifesta la subordination de la religion à la politique.

Mais ce fut Théodose qui lança l’orthodoxie « comme concept et programme politique ». Constantin avait essayé de maintenir un équilibre, certes parfois de mauvaise foi, entre l’ancienne religion et la nouvelle. Pour Théodose, désormais, tout ce qui s’oppose à la foi catholique (la vera religio), hérésie, paganisme, judaïsme, est présumé superstitio, et, de ce fait, condamné. L’appareil d’État est doublé par les évêques (« surveillants » !), la répression s’accroît. À partir de ce moment, toute critique religieuse devient crime de lèse-majesté.

Quant au code justinien, il défend toute discussion relative au dogme, mettant fin à la tradition discursive de la tradition hellénique. On élabore des dossiers de citations à l’occasion de joutes théologiques (Cyrille d’Alexandrie, Théodoret de Cyr, Léon de Rome, Sévère d’Antioche), des chaînes d’arguments (catenae) qui interdisent toute improvisation, mais qui sont sortis de leur contexte, déformés, et, en pratique, se réduisent à de la propagande qu’on assène à l’adversaire comme des coups de massue.

La culture devient une, l’élite partage des références communes avec le peuple. Non seulement celui-ci s’entiche de métaphysique abstruse, mais les hautes classes se passionnent pour les florilèges, les vies de saints et les rumeurs les plus irrationnelles. L’humilité devant le dogme est la seule attitude intellectuelle possible.

Rares sont ceux, comme Procope de Césarée, comme les tenants de l’apophatisme (Damascius, Pseudo-Denys, Évagre le Pontique, Psellus, Pléthon), ou comme les ascètes, les ermites, et les mystiques en marge, capables de résister à la pression du groupe et de l’État.

Mise en perspective

Il faudrait sans doute nuancer l’analogie, la solution de continuité, entre l’entreprise politico-religieuse d’encadrement de la société engagée par l’État païen et celle conduite par l’État chrétien. Non que, dans les grandes lignes, ils ne soient le produit de la refonte de l’« établissement » humain initiée dès le déplacement axiologique engendré par l’émergence de l’État universel, période étudiée, à la suite de Karl Jaspers, par Marcel Gauchet, dans son ouvrage, Le désenchantement du monde. Le caractère radical de l’arraisonnement de la société par l’État, sa mobilisation permanente en même temps que la mise à contribution des forces transcendantes, étaient certes contenus dans le sens pris par l’Histoire, mais il est certain que la spécificité du christianisme, issu d’une religion née dans les interstices de l’Occident et de l’Orient, vouée à une intériorisation et à une subjectivité exacerbées, dominée par un Dieu tout puissant, infini, dont la manifestation, incarnée bureaucratiquement par un organisme omniprésent, missionnaire, agressif et aguerri, avait une dimension historique, son individualisme et son pathos déséquilibré, la béance entre le très-haut et l’ici-bas, dans laquelle pouvait s’engouffrer toutes les potentialités humaines, dont les pires, était la forme adéquate pour que s’installât un appareil particulièrement soucieux de solliciter de près les corps et les âmes dans une logique totalitaire. La question de savoir si un empire plus équilibré eût été possible, par exemple sous une forme néoplatonicienne, n’est pas vaine, en regard des empires orientaux, qui trouvèrent un équilibre, un compromis entre les réquisits religieux, et l’expression politique légitime, entre la transcendance et l’immanence. Le néoplatonisme, trop intellectuel, trop ouvert à la recherche, finalement trop aristocratique, était démuni contre la fureur plébéienne du christianisme. L’intolérance due à l’exclusivisme dogmatique ne pouvait qu’engager l’Occident dans la voie des passions idéologiques, et dans une dynamique conflictuelle qui aboutirait à un monde moderne pourvu d’une puissance destructrice inédite.

Il faudra sans doute revenir sur ces questions. Toutefois, il n’est pas inutile de s’interroger sur ce que nous sommes devenus. De plus en plus, on s’aperçoit que, loin d’être les fils de l’Athènes du Ve siècle avant le Christ, ou de la République romaine, voire de l’Empire augustéen, nous sommes dépendants en droite ligne de cette Antiquité tardive, qui nous inocula un poison dont nous ne cessons de mourir. L’Occident se doit de plonger dans son cœur, dans son âme, pour extirper ces habitus, ces réflexes si ancrés qu’ils semblent devenus naturels, et qui l’ont conduit à cette expansion mortifère qui mine la planète. Peut-être retrouverons-nous la véritable piété, la réconciliation avec le monde et avec nousmêmes, quand nous aurons extirpé de notre être la folie, la « mania », d’exhiber la vérité, de jeter des anathèmes, de diaboliser ce qui nous est différent, de vouloir convertir, persuader ou contraindre, d’universaliser nos croyances, d’unifier les certitudes, de militariser la pensée, de réviser l’histoire, d’enrégimenter les opinions par des lois, d’imposer à tous une « pensée unique ».

Claude Bourrinet

 

The Nomos Of Cybersecurity And A Sovereign Internet

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The Nomos Of Cybersecurity And A Sovereign Internet

Ex: https://www.geopolitica.ru

The term “Nomos” was introduced into modern political science by the German lawyer Carl Schmitt. The word had several meanings in Ancient Greece, including “law” or “custom”. It was also an administrative territorial unit (divided into “nomoi”). Carl Schmitt used it to denote the principle of organising space. And with the advent of cyberspace, it is worth thinking about the division of this particular territory, given that maritime, air and land borders already exist. The space is unique because it is man-made, it can be altered, and it does not have clear borders. Although it is possible to clarify jurisdiction over the infrastructure used for the World Wide Web, there are still no internationally recognised rules governing behaviour in cyberspace itself.

This preamble is necessary for a more adequate understanding of the current state of the Internet and recent events related to it.

First: tests to make Russia’s infrastructure autonomous. Despite bold statements in the Western press about Russia trying to disconnect itself from the global Internet, there have been no moves in this direction. Similar tests have been carried out in the past and they had absolutely no effect on the Internet’s operation, for the majority of Internet users, at any rate. This attests to the effectiveness of measures designed to ensure the smooth operation of the Internet within Russia in the event of systemic cyberattacks or related political decisions directed against Russia by countries with a clear advantage in the governance of cyberspace.

Second: the threat of these cyberattacks. Pentagon officials publicly spoke about offensive operations in cyberspace back in February 2019. In the same month, US Cyber Command confirmed that its specialists had carried out a cyberattack against Russian infrastructure. In December 2019, meanwhile, the head of Cyber Command once again stated that, to prevent interference in the 2020 US presidential election, more cyberattacks would be carried out against the Russian Federation. In the dry language of the US Defense Department, it is “when authorized, taking action to disrupt or degrade malicious nation-state cyber actors ability to interfere in U.S. elections.”

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Soldier in glasses of virtual reality. Military concept of the future.

General Paul Nakasone noted that Cyber Command would target “senior leadership and Russian elites, though probably not President Vladimir Putin, which would be considered too provocative.” An article in The Washington Post stated that the aim would be “sensitive personal data” that could be of some value. And it might not just be personal data. The capabilities of US Cyber Command, the CIA, the National Security Agency and other organisations that develop and use cyber tools for various purposes are constantly being improved. The budget increases every year, new departments and centres are established, and specialised competitions and events are held to recruit promising hackers.

Third, and directly related to the previous two points: the methods of information warfare used in cyberspace. Leading US technology companies whose products are available on the global market work closely with the White House and US State Department, fulfilling all political requirements. Blocking pages on social media, creating a stealth mode for Internet posts at odds with the ideologies of the US government and even deleting accounts have all become the kind of norm that your average American wouldn’t have dreamed of.

The fact is that social media in the US has long been used for advertising. This relates primarily to Facebook, which makes a lot of money out of it. But Facebook recently began blocking and even removing this advertising. Put another away, it took the money without providing the service. This resulted in a number of lawsuits being filed against Facebook. While it’s possible to seek compensation within the US or begin a public debate on the illegality of such methods, this is virtually impossible for people who live in other countries.

Looking at regional clusters, it is possible to see that blackouts are politically motivated. Take Georgia, for example, where hundreds of Facebook pages related to the country’s government were recently deleted. On 20 December alone, according to a statement by Nathaniel Gleicher, Head of Security Policy at Facebook, the company removed 39 accounts, 344 pages, 13 Facebook groups and 22 Instagram accounts. They were all registered in Georgia, so it was nothing to do with fake accounts. Facebook was simply confused by the usual kind of information related to local political events that was being circulated on these pages.

Facebook also removed 610 accounts, 89 pages and 156 groups in Vietnam and the US.

Yet the US Agency for Global Media (best known for its Radio Liberty/Radio Free Europe project) systematically circulates fake news, as well as finances and trains its agents abroad to generate propaganda on a new level and pursue US foreign policy through regional media outlets. There is a map on the agency’s old website showing the location of its offices around the world, a clear indication of which countries it covers.

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In 2019, the agency launched a modernisation project that also seems to involve working with other US companies, the consequences of which we can see in the targeted information purges around the world.

Let’s not be naive and assume it will all work itself out or the issue will be peacefully resolved by the UN Internet Governance Forum. The West, and the US in particular, sees the Internet as a new frontier that has yet to be conquered. The pioneers of the cyber frontier represented by US Cyber Command and hired hackers will try to control this new Nomos both legally and by way of covert operations to introduce spyware, Web crawlers and Internet scanners.

With this in mind, testing the possibility of a sovereign Internet is a matter of fundamental importance that combines issues of national security, the performance of critical infrastructure, the combating of negative propaganda (not necessarily just political in nature but also cultural, which could nevertheless have far-reaching implications – outbursts of strange fads among the young, for example, that don’t fit in with social patterns of behaviour and often have a certain illegality to them), and the adequate performance of one’s own media space.

Source: OrientalReview

00:21 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cybersécurité, internet, stratégie, léonid savin | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Le fascisme selon le conservatisme

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Le fascisme selon le conservatisme

par Georges FELTIN-TRACOL

2019 a marqué les cent ans d’un mouvement qui a révolutionné le monde : le fascisme. Spécialiste de la Première Guerre mondiale dans les Balkans, Frédéric Le Moal s’intéresse aussi à l’histoire contemporaine de la péninsule italienne. Ainsi cet italophone a-t-il rédigé une biographie de Victor-Emmanuel III en 2015 et fait paraître un ouvrage récent défendant l’action du pape Pie XII. Il a auparavant travaillé sur le régime politique italien entre 1922 et 1943, voire 1945.

L’auteur reconnaît volontiers que le fascisme qui, au contraire du maxisme-léninisme et du national-socialisme, n’a jamais eu de doctrine définitivement fixée, car constitué de divers courants parfois rivaux dont se joue et se sert Benito Mussolini. N’hésitant pas à puiser dans les travaux de Jean de Viguerie, de Xavier Martin et de François Huguenin, Frédéric Le Moal estime que le fascisme provient de la gauche, en particulier de l’extrême gauche.

De gauche à droite…

S’inscrivant dans une historiographie de droite conservatrice libérale catholique, l’auteur le considère en effet comme un « mouvement révolutionnaire aux racines jacobines, risorgimentales [liées au Risorgimento du XIXe siècle] et garibaldiennes, socialiste et nationaliste, ennemi implacable du libéralisme et de l’esprit bourgeois, et qui se voulut religion civile de substitution au christianisme (p. 373) ». Il le démontre d’abord avec les Faisceaux de combat fondés à Milan au programme bolchévico-rousseauiste adopté à San Sepolcro, ensuite sous la République sociale italienne (1943 – 1945) avec le Manifeste de Vérone et la ferme volonté de socialiser les moyens de production industrielle. Cette orientation socialisante revendiquée « convainquit nombre d’antifascistes de gauche à rejoindre les rangs de la RSI, comme l’ancien compagnon de jeunesse de Mussolini Pulvio Zocchi, le philosophe Edmondo Cione ou le journaliste Carlo Silvestri. […] On retrouva aussi à Salò Nicola Bombacci, l’un des fondateurs… du PCI ! (p. 351) ». Entre-temps, durant le Ventennio, le Duce dut composer avec des institutions conservatrices (le roi, l’armée, le grand patronat, l’Église), ce qui donna au régime du licteur une enveloppe réactionnaire, voire contre-révolutionnaire…

61P7DMYjyGL.jpgLa thèse n’est pas nouvelle. En 1984, le Club de l’Horloge sortait chez Albin Michel Socialisme et fascisme : une même famille ?. Ne connaissant pas ce livre, Frédéric Le Moal arrive néanmoins aux mêmes conclusions. Il se cantonne toutefois à la seule Italie en oubliant ses interactions européennes, voire extra-européennes (le péronisme en Argentine). Il circonscrit le fascisme en phénomène italien spécifique. Certes, il mentionne l’influence d’Oswald Spengler sur Mussolini, mais il en oublie le contexte international, à savoir l’existence protéiforme d’une révolution conservatrice non-conformiste. En outre, l’auteur ne souscrit pas à la thèse de Zeev Sternhell pour qui le fascisme italien a eu une matrice française.

Un héritage français contesté

Oui, le fascisme naît au lendemain d’un conflit terrible dans un État récent et inachevé paralysé par une césure Nord – Sud croissante et une classe politique incompétente. L’apport français n’en demeure pas moins essentiel avec l’apport déterminant de Georges Sorel et, plus secondaire, de Charles Maurras. Au risque de l’anachronisme, le boulangisme nancéen du jeune Maurice Barrès relève d’un « proto-fascisme » bien trop vite interrompu. Surgi du socialisme du début du XXe siècle qui ne se confondait pas encore avec la gauche (voir les recherches de Marc Crapez sur ce point dans deux études fondamentales, La gauche réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race en 1996 et Naissance de la gauche en 1998) et qui s’opposait au projet de la droite contre-révolutionnaire, le fascisme est avant tout un volontarisme, un détournement de la Modernité vers une véritable troisième voie anti-libérale et anti-communiste.

Nonobstant ces quelques critiques, Histoire du fascisme de Frédéric Le Moal n’en reste pas moins un ouvrage majeur qu’il importe de lire afin de mieux comprendre une pensée politique plus que jamais vilipendée, trois quarts de siècle plus tard, par de doctes ignards. Malgré les embûches et les circonstances souvent défavorables, l’idéal squadriste de la chemise noire brûle toujours dans l’âme et le cœur des derniers hommes avides de verticalité ontologique radicale.

Georges Feltin-Tracol

• Frédéric Le Moal, Histoire du fascisme, Perrin, 2018, 425 p., 23 €.