2019 a marqué les cent ans d’un mouvement qui a révolutionné le monde : le fascisme. Spécialiste de la Première Guerre mondiale dans les Balkans, Frédéric Le Moal s’intéresse aussi à l’histoire contemporaine de la péninsule italienne. Ainsi cet italophone a-t-il rédigé une biographie de Victor-Emmanuel III en 2015 et fait paraître un ouvrage récent défendant l’action du pape Pie XII. Il a auparavant travaillé sur le régime politique italien entre 1922 et 1943, voire 1945.
L’auteur reconnaît volontiers que le fascisme qui, au contraire du maxisme-léninisme et du national-socialisme, n’a jamais eu de doctrine définitivement fixée, car constitué de divers courants parfois rivaux dont se joue et se sert Benito Mussolini. N’hésitant pas à puiser dans les travaux de Jean de Viguerie, de Xavier Martin et de François Huguenin, Frédéric Le Moal estime que le fascisme provient de la gauche, en particulier de l’extrême gauche.
De gauche à droite…
S’inscrivant dans une historiographie de droite conservatrice libérale catholique, l’auteur le considère en effet comme un « mouvement révolutionnaire aux racines jacobines, risorgimentales [liées au Risorgimento du XIXe siècle] et garibaldiennes, socialiste et nationaliste, ennemi implacable du libéralisme et de l’esprit bourgeois, et qui se voulut religion civile de substitution au christianisme (p. 373) ». Il le démontre d’abord avec les Faisceaux de combat fondés à Milan au programme bolchévico-rousseauiste adopté à San Sepolcro, ensuite sous la République sociale italienne (1943 – 1945) avec le Manifeste de Vérone et la ferme volonté de socialiser les moyens de production industrielle. Cette orientation socialisante revendiquée « convainquit nombre d’antifascistes de gauche à rejoindre les rangs de la RSI, comme l’ancien compagnon de jeunesse de Mussolini Pulvio Zocchi, le philosophe Edmondo Cione ou le journaliste Carlo Silvestri. […] On retrouva aussi à Salò Nicola Bombacci, l’un des fondateurs… du PCI ! (p. 351) ». Entre-temps, durant le Ventennio, le Duce dut composer avec des institutions conservatrices (le roi, l’armée, le grand patronat, l’Église), ce qui donna au régime du licteur une enveloppe réactionnaire, voire contre-révolutionnaire…
La thèse n’est pas nouvelle. En 1984, le Club de l’Horloge sortait chez Albin Michel Socialisme et fascisme : une même famille ?. Ne connaissant pas ce livre, Frédéric Le Moal arrive néanmoins aux mêmes conclusions. Il se cantonne toutefois à la seule Italie en oubliant ses interactions européennes, voire extra-européennes (le péronisme en Argentine). Il circonscrit le fascisme en phénomène italien spécifique. Certes, il mentionne l’influence d’Oswald Spengler sur Mussolini, mais il en oublie le contexte international, à savoir l’existence protéiforme d’une révolution conservatrice non-conformiste. En outre, l’auteur ne souscrit pas à la thèse de Zeev Sternhell pour qui le fascisme italien a eu une matrice française.
Un héritage français contesté
Oui, le fascisme naît au lendemain d’un conflit terrible dans un État récent et inachevé paralysé par une césure Nord – Sud croissante et une classe politique incompétente. L’apport français n’en demeure pas moins essentiel avec l’apport déterminant de Georges Sorel et, plus secondaire, de Charles Maurras. Au risque de l’anachronisme, le boulangisme nancéen du jeune Maurice Barrès relève d’un « proto-fascisme » bien trop vite interrompu. Surgi du socialisme du début du XXe siècle qui ne se confondait pas encore avec la gauche (voir les recherches de Marc Crapez sur ce point dans deux études fondamentales, La gauche réactionnaire. Mythes de la plèbe et de la race en 1996 et Naissance de la gauche en 1998) et qui s’opposait au projet de la droite contre-révolutionnaire, le fascisme est avant tout un volontarisme, un détournement de la Modernité vers une véritable troisième voie anti-libérale et anti-communiste.
Nonobstant ces quelques critiques, Histoire du fascisme de Frédéric Le Moal n’en reste pas moins un ouvrage majeur qu’il importe de lire afin de mieux comprendre une pensée politique plus que jamais vilipendée, trois quarts de siècle plus tard, par de doctes ignards. Malgré les embûches et les circonstances souvent défavorables, l’idéal squadriste de la chemise noire brûle toujours dans l’âme et le cœur des derniers hommes avides de verticalité ontologique radicale.
Georges Feltin-Tracol
• Frédéric Le Moal, Histoire du fascisme, Perrin, 2018, 425 p., 23 €.
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