Mai 2018, Donald Trump décide de se retirer unilatéralement des accords sur le nucléaire iranien, imposant par la suite de nouvelles sanctions contre l’Etat perse, et cela malgré l’opposition des Etats européens. Forte de cette stratégie, c’est la Chine qui apparaît ici comme axe de repli pour la République Islamique.
Conséquence des relations irano-américaines, la République islamique se tourne vers la Chine
L’Empire du milieu n’a pas attendu plus tard que cet été pour montrer sa volonté de signer un accord historique[i] « Lion-Dragon » prévoyant des investissements de 400 milliards de dollars sur 25 ans. 280 milliards de dollars d’investissement destinés aux industries pétrolières et gazières et 120 milliards pour les transports et la technologie sont les termes de l’accord, contre quoi l’Iran s’engage à vendre à l’état chinois des barils de pétrole à bas prix.
C’est donc l’Iran qui apparaît comme nouveau terrain d’affrontement, où deux camps s’opposent. D’un côté, un bloc composé des Etats-Unis en figure de proue accompagnés par des pays européens que sont la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. De l’autre côté, l’Iran, la République Populaire de Chine et dans une certaine mesure la Russie. Si cette division bipartite peut sembler quelque peu simpliste, il n’en reste que chacun des acteurs placent ses pions enfin d’empêcher une avancée adverse.
Victime de l’extraterritorialité du droit américain, le pays est victime d’un manque crucial de capitaux étrangers, pourtant indispensables à son développement. Et alors que le taux d’inflation et de chômage ont atteint des niveaux records en Iran, c’est sur fond d’ennemi commun que naît une union bilatérale[ii] au goût d’ambition mondiale pour le parti communiste chinois et régionale pour la république Islamique. C’est sur une région historiquement « maîtrisée » par les Etats-Unis que la Chine démontre sa capacité à défier l’état américain.
L’Iran : pièce de l’échiquier de la Belt and Road Initiative
Belt and Road Initiative ou les nouvelles routes de la soie en français, voilà ce qui dicte le jeu chinois. Matérialisation concrète d’une forme d‘impérialisme chinois, le pays ne cesse d’étendre son influence géopolitique via des infrastructures et des accords commerciaux ambitieux. L’Iran apparaît comme pierre angulaire du projet. Il est important de noter que l’Iran est le troisième exportateur de pétrole pour la Chine mais que c’est également plus de 60% du pétrole qui est à destination du marché asiatique qui transite par le détroit d’Ormuz. On comprend dès lors que la Chine n’a aucun intérêt à laisser se dépérir le pays bien au contraire.
Le développement promis des infrastructures de transport comme le port de Chahbahar – qui est exclu des sanctions américaines – ou celle d’un train qui reliera directement Urumqi dans le Xinjiang à Téhéran en passant par les quatre pays d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Turkménistan), fait de toute évidence sens pour l’Iran[iii]. Dans la même lignée, la Chine qui est désormais capable de produire des centrales nucléaires compte bien également équiper ce pays avec ces technologies.
De plus, cet accord permettrait un renforcement dur approchement militaire des deux Etats. En effet, pour la première fois en décembre 2019, la Chine, l’Iran et la Russie ont mené des manœuvres communes dans l’Océan Indien et le Golfe d’Oman afin « d’assurer la sécurité internationale du commerce » selon les communiqués officiels. En réalité derrière cette démonstration de force, la Chine veut être impliquée dans de nouvelles zones d’opérations pour assurer son influence pour assurer la bonne tenue de son modèle commercial[iv].
La communication officielle ne doit pas masquer la réalité[v], il apparait évident que cette union de circonstances permet à la Chine de s’assurer une présence militaire dans des zones d’influence stratégiques primordiales, telles que le détroit de Malacca et le détroit d’Ormuz. La Chine est désormais très présente dans la zone de l’océan indien ou son influence se fait de plus en plus pesante pour les différents acteurs. L’empire milieu a notamment pour projet la construction d’une deuxième base militaire à côté du port pakistanais de Gwadar après celle construite à Djibouti. Cette présence militaire inédite renverse le prisme américain jusqu’à alors dominant dans la région et se place comme un acteur majeur dans la région. C’est sans oublier, que l’embargo de l’ONU sur la vente d’armes à l’Iran prendra fin le 18 octobre, et s’il n’a pas été reconduit le pays perse pourrait s’avérer être un nouveau marché de taille pour Pékin.
Les enjeux monétaires
La Chine installe en réalité un « pont » virtuel mettant hors-jeu les Etats-Unis, profitant de la politique agressive menée par le président américain à l’encontre de l’Etat iranien. Le pétrole exporté sera payé par des échanges de biens, de services et de technologies mais également via la nouvelle monnaie électronique chinoise « l’e-RMB ». Cette toute nouvelle monnaie numérique permet en réalité à l’Iran et à la Chine de contourner sans problème toute sanction imposée par les États-Unis – évitant toute liaison avec le cours du dollar également. De plus, elle permettra à Pékin de faire prévaloir une autre monnaie que le dollar devenant de la sorte une réelle alternative aux billets verts américains.
Au terme de cette démonstration, Il apparaît que l’Iran se confirme comme un point stratégique majeur pour la Chine. Cela d’une part pour la sécurisation de ces sites maritimes et terrestres, mais également via une sécurisation énergétique indispensable pour l’Etat asiatique. Cette situation pourrait aboutir très probablement à une certaine dépendance économique pour l’Iran vis-à-vis de la Chine mais elle amène également une contradiction forte au sein de la république islamique. Cette dernière proclame vouloir exporter la révolution et protéger les musulmans dès lors il est intéressant de constater son silence sur le traitement réservé aux Ouïghours. Ce silence en dit long sur les besoins en financement de l’économie iranienne.
Il semblerait donc que le rapport de force sino-américain ait trouvé un nouveau terrain de jeu, l’Etat iranien pris entre les deux hégémons doit faire un choix cornélien. Cette grille de lecture sous le prisme de la guerre économique nous permet de mieux comprendre les enjeux derrière cet accord titanesque. La Chine comme à son habitude joue une partie de Go en plaçant ses pions dans la région pour encercler des zones d’influence. Sa relation avec l’Iran n’est pas sans arrière-pensée[vi]
Nathan Crouzevialle.
Notes
[i] https://www.courrierinternational.com/article/geopolitique-teheran-et-pekin-main-dans-la-main
[ii] https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2011-2-page-519.htm
[iii] https://lecridespeuples.fr/2020/07/16/les-sanctions-americaines-poussent-la-chine-et-liran-vers-un-partenariat-strategique/
[iv] https://www.revueconflits.com/iran-chine-russie-allies-de-circonstance-michel-nazet/
[v] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Thierry-Kellner-sur-les-relations-entre-la-Chine-et-l-Iran-les.html
[vi] https://www.youtube.com/watch?v=bo5dzWD1tpM&t=754s
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