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mardi, 16 mars 2021

Les Etats et le «Big Tech»: qui est aux commandes et quelles alternatives à la situation présente?

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Les Etats et le «Big Tech»: qui est aux commandes et quelles alternatives à la situation présente?

Si l'Europe veut freiner le pouvoir écrasant de Big Tech, elle ne peut pas se contenter d'augmenter les taxes ou d'imposer des amendes, mais elle doit construire des alternatives valables. Sinon, nous pourrons nous contenter des miettes d'un banquet auquel nous ne serons jamais invités.

par Salvatore Recupero

https://www.centrostudipolaris.eu/

L'une des questions les plus débattues ces dernières années est la relation entre les États-nations et les géants de la Silicon Valley. Désormais, la communication politique passe par le réseau et, par conséquent, le pouvoir des réseaux sociaux s'est accru de manière disproportionnée (1). La question est très complexe, mais quelques exemples nous aideront à mieux comprendre ce qui se passe.

Le conflit entre le gouvernement australien et Facebook

Commençons immédiatement par l'actualité de ces jours-ci, de février-mars 2021 (2). Le gouvernement australien a approuvé le code de négociation obligatoire pour les médias d'information et les plateformes numériques. Ce règlement oblige les plateformes numériques à payer les éditeurs (via un accord privé forfaitaire) pour le contenu qui circule sur leurs sites. C'est un moyen de protéger les droits d'auteur. La loi peut être discutable, mais ce qui a surpris tout le monde, c'est le comportement de Facebook. La veille de l'entrée en vigueur de la mesure, les citoyens australiens ont remarqué que les pages Facebook de tous les sites d'information locaux et internationaux n'étaient plus accessibles. Malheureusement, ce n'est pas un "bug" mais un choix de Zuckerberg. La seule erreur, selon le géant américain, est d'avoir également bloqué temporairement plusieurs pages de santé publique et d'urgence. Globalement, en tant que démonstration de force, ce n'est pas mal.

indexaustrfb.jpgLa réponse du gouvernement australien ne s'est pas fait attendre. Le Premier ministre australien Scott Morrison s'en est pris au célèbre réseau social: "Les actions de Facebook, qui a retiré l'Australie de sa liste d'amis aujourd'hui, perturbant ainsi des services d'information essentiels sur la santé et les services d'urgence, étaient aussi arrogantes que décevantes". De plus, M. Morrison poursuit: "Ces actions ne feront que confirmer les inquiétudes qu'un nombre croissant de pays expriment quant au comportement des grandes entreprises technologiques qui pensent être plus importantes que les gouvernements et que les règles ne devraient pas s'appliquer à elles. Ils peuvent changer le monde, mais ça ne veut pas dire qu'ils le dirigent".

Cependant, le gouvernement de Canberra a fait un pas en arrière hier. Le ministre australien des Finances, Josh Frydenberg, et le PDG de Facebook Australie, Will Easton, ont déclaré avoir trouvé un compromis sur l'un des points clés de ce texte auquel les géants industriels américains sont farouchement opposés. À la lumière de cet accord, le géant américain a annoncé la levée "dans les prochains jours" du blocage des contenus d'information au pays des kangourous. Morale de l'histoire: malgré les paroles de Morrison, Zuckerberg a fini par gagner.

Pour mémoire, il est juste de dire que Google a préféré la ligne douce, signant ces derniers jours des accords de paiement avec les principaux médias australiens, acceptant de payer la News Corp de Rupert Murdoch (3).

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L'Union européenne et les Big Tech

En Europe, les choses ne sont pas meilleures. Malheureusement, l'UE (ainsi que les autres États qui agissent dans un ordre aléatoire) se limite à invoquer la transparence dans la gestion des données et le respect des règles européennes en matière d'antitrust. La dernière confirmation de cette position est arrivée en décembre dernier avec la présentation par la Commission européenne de la loi sur les marchés numériques (4). Elle est l'un des piliers de la stratégie numérique européenne. Avec cette mesure, les "interdictions de pratiques déloyales" seront clairement énumérées. En outre, les consommateurs pourront changer de plateforme numérique plus facilement. Enfin, tout cela vise à garantir de meilleurs services et des prix plus bas pour les utilisateurs. Les grandes entreprises technologiques auront donc "l'obligation d'offrir des conditions équitables aux utilisateurs professionnels qui utilisent leurs plateformes en veillant à ce que les fournisseurs externes aient accès au matériel et aux logiciels utilisés par les entreprises technologiques et à ce qu'ils soient interopérables".

Le texte de cette proposition est inattaquable. Même si on dirait qu'il a été écrit par l'association des consommateurs. Il parle de marketing, mais pas de politique. La Commission prétend ne pas savoir (mais ne pouvait peut-être pas faire autrement) que les géants de la Silicon Valley sont étroitement liés à l'État profond américain. Leur force n'est pas seulement dictée par l'abus de position dominante mais par le fait qu'il existe une relation étroite avec le Pentagone. 

Les grandes entreprises technologiques et l'administration américaine

Ce qui vient d'être dit est confirmé par une vidéo intéressante sur la chaîne Youtube officielle de Limes (la plus importante revue italienne de géopolitique), vidéo réalisée par l'analyste Dario Fabbri (5). Ce dernier (qui est également conseiller scientifique de cette revue Limes) explique bien les relations de pouvoir qui existent entre les Big tech et les États-Unis. Pour présenter cette analyse, procédons avec ordre et méthode.

D’abord, Fabbri révèle que les géants de la Silicon Valley "n'ont rien inventé". Nous, Européens, sommes convaincus que les jeunes Californiens, grâce à leur inventivité, peuvent créer des multinationales sans recevoir un dollar du gouvernement. Cependant, les choses ne sont pas déroulées comme ça. Fabbri se souvient que l'invention de l'Internet en 1969 (appelé à l'époque Arpanet) n'est pas due à une entreprise privée mais aux recherches du Pentagone, qui avait besoin d'un réseau interne pour envoyer des communications sensibles. Ce sujet a également été traité de manière approfondie par Gian Piero Joime (6) dans le numéro 20 de Polaris (printemps 2018).

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Joime s'en souvient: "Dans les années 1970, avec la croissance d'Arpanet, des dizaines de sous-réseaux apparaissent, de même que l'interconnexion entre les réseaux et un nouvel ensemble de protocoles, destinés à accroître la fiabilité ainsi que l'adressage direct des ressources du réseau. Arpanet s'est ensuite transformé en Internet et, dans les années 80, il est devenu encore plus accessible aux agences gouvernementales, aux milieux de la recherche et aux universités pour permettre le transfert de fichiers et de courrier électronique". Cela vaut aussi bien pour les microprocesseurs (l'unité de base de tout ordinateur ou smartphone) que pour les logiciels qui interprètent le langage naturel, comme Siri.

Et nous en arrivons à aujourd'hui. Pour revenir à l’analyse de Fabbri : "Le pouvoir des big tech apparaît donc immédiatement diminué si l'on pense que la technologie dont ils disposent n'est pas de leur propre production (et donc propriété) mais provient de la recherche militaire de l'Etat fédéral".

Washington, donc, intervient de manière invasive dans le développement et le fonctionnement de ces entreprises. Si Big Tech devait agir contre l'intérêt national, quelqu'un au Capitole pourrait demander l'application de la loi contre les monopoles (le Sherman Act). Les dégâts seraient alors incalculables pour les géants de la Silicon Valley. De plus, n'oublions pas que ces entreprises gèrent une quantité impressionnante de données et cela arrange la Maison Blanche car les serveurs qui gèrent le big data restent sur le sol américain.

À ce stade, quelqu'un dira sûrement : et Trump alors ? Sur ce point aussi, il est bon de ne pas se laisser tromper par les apparences (7). Voyons pourquoi.

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La "censure" contre Trump

Tout le monde sait que l'ancien président Donald Trump a été banni (ou interdit si l'on veut rester dans l'air du temps) des médias sociaux. Si l'on fait une lecture superficielle, il semblerait que l'ancien locataire de la Maison Blanche ait perdu sa bataille contre Twitter et Facebook. Cependant, les choses sont différentes. La censure contre le magnat new-yorkais a coûté cher à Jack Dorsey (PDG de Twitter). Éliminer Trump, un homme qui provoque un grand trafic sur les réseaux sociaux, ne peut pas être un choix heureux d'un point de vue financier. N'oublions pas que Trump a gagné les primaires et a ensuite été élu président grâce à ses tweets. Quelle entreprise serait prête à refuser des millions de clients simplement parce qu'ils ont des idées avec lesquelles elle n'est pas d'accord ? Et si oui, pourquoi cela n'a pas été fait en 2016 ? La réponse à ces questions est donnée par l'analyste de Limes: "La censure contre Trump répondrait à une demande de l'appareil fédéral américain". Ces derniers - ajoutons-le - ont décidé de miser sur un autre cheval en mettant à la porte l'ancien locataire de la Maison Blanche d’une manière inhabituelle et cavalière. Nous ne devons pas basculer dans le complotisme mais nous ne devons pas non plus être naïfs.

Les réseaux sociaux influencent la politique (8) dans toutes les parties du monde, mais, dans l'enceinte du pays, ils gardent la tête baissée. Les USA se considèrent comme un empire (ils le sont) et il est normal que leurs multinationales (les Big Tech notamment) deviennent leur bras armé. Si l'Europe veut freiner le pouvoir écrasant des grandes entreprises technologiques, elle ne peut pas se contenter d'augmenter les taxes ou d'imposer des amendes, mais elle doit construire des alternatives valables. Sinon, nous pouvons nous contenter des miettes d'un banquet auquel nous ne serons jamais invités.

Notes :

  1. (1) (A)Social Network - Le réseau entre les intérêts économiques et politiques par Paolo Caioli Magazine Polaris Automne 2011
  2. (2) Facebook bloque les utilisateurs australiens pour les empêcher de consulter ou de partager des informations Bbc News 15 février 2021
  3. (3) Google va payer News Corporation de Murdoch pour des articles, Bbc News 15 février 2021
  4. (4) La loi sur les services numériques source : https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-ser...
  5. (5) Quel est le pouvoir des Big Tech ? Par Dario Fabbri Limes Rivista Italiana di Geopolitica 22, janvier 2021 https://www.youtube.com/watch?v=wp4ltijUrZc
  6. (6) 1968 : une odyssée dans l'infosphère Par Gian Piero Joime Polaris Magazine Printemps 2018
  7. (7) EUROPA ACADEMY Webinar - SOVEREIGN IS CENSURE- Comment communiquer en hommes libres dans un champ de mines. https://www.centrostudipolaris.eu/2020/12/01/accademia-eu...
  8. (8) Labirinti Comunicativi – Internet, social networks e partecipazione di Carlo Bonney Polaris Rivista Autunno 2011 https://www.centrostudipolaris.eu/2011/10/01/labirinti-co...

00:28 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : big tech, états-unis | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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