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mardi, 16 mars 2021

L’Europe aux cent drapeaux ou l’élection régionale comme identification territoriale européenne

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L’Europe aux cent drapeaux ou l’élection régionale comme identification territoriale européenne

par Franck BULEUX

L’Europe aux cent drapeaux, de la Bretagne à la Normandie

En préambule, quelques mots sur ce titre et son origine, L’Europe aux cent drapeaux… Il s’agissait de l’Europe rêvée par le militant breton, Yann Fouéré, qui a rendu célèbre cette expression, souvent reprise par le Normand Jean Mabire, lors de la parution d’un essai en 1968. Yann Fouéré s’affirmait alors comme un théoricien de l’idée européenne et surtout comme l’annonciateur du réveil des peuples européens. Dans cet essai, le militant breton réclame l’Europe politique et rappelle que celle-ci a déjà existé au Moyen Âge, définissant alors une véritable et innovante « supranationalité » au profit d’un empire. Appelant de ses vœux la « troisième Europe », libérée des forces, à l’époque américaine et soviétique, il souhaite l’effacement des États-nations au profit des peuples et des régions naturelles, véritable nature de l’Europe. Yann Fouéré nous rappelle que la politique nationale doit être une question d’identité, et que cette identité ne correspond pas nécessairement parfaitement à la division politico-géographique de l’Europe en États-nations, conséquence de traités rédigés par les éphémères vainqueurs de batailles. Par exemple, notre identité culturelle et nationale en tant qu’Anglais est distincte de notre statut de citoyen du Royaume-Uni. Son travail pose ainsi une question centrale, nous y reviendrons peut-être, entre l’état de national et celui de citoyen, débat totalement occulté aujourd’hui puisque ces deux notions ne se distinguent pas, laissant à tout citoyen le droit d’être un membre à part entière de la communauté nationale.

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La région, comme expression identitaire de base

Cent drapeaux c’est un choix que l’on peut contester, que l’on peut espérer : c’est à la fois une institution de base, la région qui s’impose et se démultiplie pour représenter une entité géographique naturelle, l’Europe. Cette conception, ce choix écarte celui, exclusif, de l’État-nation. Ne regardons pas cela avec les yeux de 2019 : l’Europe éternelle n’est pas l’Union européenne, il ne s’agit pas ici de combattre toute forme de nationalisme, il s’agit plutôt de le redéfinir et surtout de comprendre le modèle civilisationnel qu’est l’Europe. Notre déterminisme est, ici, d’abord géographique, nous sommes Normands, Français et Européens. Dans l’ordre que vous voulez.

Introduire notre échange par le concept d’enracinement me semble nécessaire. Or, pour s’enraciner, il est pertinent de réunir trois composantes cumulatives : des individus, un territoire et un lien commun entre les deux précédents éléments, les hommes et la terre.

Une terre, un peuple et un déterminisme

Prenons d’abord l’élément le plus immuable, le plus naturel, c’est-à-dire ce qui est maintenu à travers le temps, sauf catastrophes naturelles, la terre. Sans cet élément, aucune ambition humaine collective ne peut s’exprimer. Cette terre peut représenter une nation le plus souvent considérée comme un État au sens moderne du terme, mais aussi une région. Elle va, quoi qu’il en soit, s’identifier à un groupe d’hommes et de femmes.

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L’homme (et la femme) représente la population, celle qui va s’installer (la période de sédentarisation des peuples) sur la terre, qui va mettre en valeur ce sol, l’incarner. Ainsi, les Scandinaves qui arrivent ici, en Normandie, à la fin du IXe siècle vont incarner la terre du Nord. Le territoire préexistait mais n’était que partie de la Neustrie, son incarnation, et la permanence de celle-ci, date de 911 grâce à Rollon, le père de la Normandie. Il y a ici une fécondation de la terre par un peuple qui va générer, initier une existence concrète, celle du pays des hommes du Nord.

Mais la terre et l’homme ne sont pas suffisants, il manque un lien entre eux, un lien commun. C’est ce lien qui va profondément, dans le temps et dans l’espace, fonder le territoire comme incarnation d’un peuple.

Sans le cumul de ces trois éléments, il n’est pas de réalité d’un territoire. La reconnaissance que l’on peut évoquer comme quatrième élément provient de la puissance, c’est-à-dire des trois éléments précédents, l’incarnation d’un peuple sur une terre marque une volonté de puissance et donc une marque de distinction, de différenciation entre nous et les autres.

Une fois cette symbiose réalisée, il s’agit, subsidiairement, de qualifier, administrativement, le territoire : une région, une nation, une province, un État-nation…

Oublions l’affreux terme romain de province, division territoriale d’un État placée sous l’autorité d’un délégué du pouvoir central, qui vient du latin pro vincere et qui sert d’appellation régionale médiatique à l’ensemble de nos territoires décentralisés. Laissons cette expression aux animatrices de la météorologie et aux commentateurs parisiens pour qui la traversée du périphérique est une aventure qui mène inexorablement vers le XXIe arrondissement qu’est Deauville.

Le pouvoir des mots : de la région à la nation

Les autres mots peuvent sembler concurrents : région, nation, État-nation. Pourquoi État-nation, parce qu’un État peut être constitué de plusieurs nations. Cela peut nous sembler anticonstitutionnel, à nous Français dont notre nation, « une et indivisible » est née de la révolution jacobine. Pourtant le Royaume-Uni, mère de la démocratie parlementaire, est un État qui unit plusieurs nations, l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. La conception libérale britannique inclut donc, au sein d’un État monarchique constitutionnel, quatre nations qui bénéficient d’autonomie politique importante, notamment par l’existence de gouvernements nationaux représentant des territoires. Plus au sud, les communautés autonomes (en espagnol : comunidades autónomas, abrégé en CC AA) sont le premier niveau de subdivision territoriale du royaume d’Espagne. Au nombre de 17, auxquelles il faut ajouter les villes autonomes de Ceuta et Melilla, en terre marocaine, elles bénéficient toutes d’un régime d’autonomie interne. Toujours au Sud, en 1970, l’Italie est l’un des premiers pays européens à mettre en place un modèle de décentralisation permettant la valorisation et le développement des ressources économiques et culturelles locales ainsi qu’une plus grande démocratisation du pays et une meilleure efficacité administrative. Je pourrais aussi évoquer les Länder allemands.

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En résumé, région et nation ne sont pas forcément distinctes. Selon les États, ce dernier peut être constitué de régions ou de nations. Le problème n’est pas tant l’appellation que la délégation de pouvoirs de l’État central vers l’entité régionale. Le nerf de la guerre est évidemment le budget, il ne peut pas y avoir de politique sans financement, de pouvoir sans moyens de son exercice.

Rappelons : région et nation ne sont pas forcément distinctes. Selon les États, ce dernier peut être constitué de régions ou de nations. Le problème n’est pas tant l’appellation que la délégation de pouvoirs de l’État central vers l’entité régionale. En règle générale, on fait appel au principe dit de subsidiarité.

Les pouvoirs des communautés autonomes s’étendent dans tous les domaines qui ne sont pas expressément assignés à l’État par la Constitution. L’exemple de la Catalogne est intéressant : le droit à l’autonomie gouvernementale est inscrit dans la Constitution espagnole (article 2). Cet article indique que la Constitution « reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles».

En revanche, le droit à l’indépendance est interdit par ce même article qui rapporte que : « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols ». L’organisation d’un référendum en faveur de l’indépendance a été fatale aux dirigeants catalans. L’autonomie a ses limites, celles qui sont définies par l’État central, seul fixateur des règles.

indexgal.jpgLe lien nécessaire entre la terre et la population

Enfin, l’essentiel réside dans le lien qui fonde le pacte entre le territoire et la population, c’est-à-dire ce qui les lie, au-delà des structures qui ne sont que les conséquences des éléments ou des valeurs communs. Entre des hommes et des femmes et une terre, il peut exister un certain nombre d’éléments qualitatifs :

• la langue, c’est un des éléments les plus répandus, l’unité linguistique est un des éléments les plus fondateurs. On parle de pan-ethnisme, doctrine qui vise à réunir sous un même drapeau tous les peuples locuteurs d’une même langue. Chaque ethnie, fondée sur la langue, permettrait d’apporter des solutions aux minorités nationales, notamment à l’Est mais il faut reconnaître qu’un État peut être multi-linguiste et, a contrario, une même langue peut être la langue officielle de plusieurs États, y compris sur des continents différents. Sur ce dernier point, on peut concevoir l’importance des langues européennes à travers le monde. On peut aussi évoquer l’origine indo-européenne des individus qui composent notre continent.

• l’ethnie, au sens racial, est un élément plus controversé, ne serait-ce qu’à cause des mouvements géographiques des peuples. Du moins peut-on considérer qu’à une époque, cette évolution était plus liée à des catastrophes naturelles ou à l’esprit de conquête qu’au rêve allocataire du Sud vers le Nord. On peut toutefois noter que, malgré l’image de lutte progressiste des Basques, l’identité de ce peuple fut d’abord strictement fondée sur le sang. Mais la théorie du sang a ses limites spatiales et temporelles et résiste guère à l’épreuve du temps.

• une conquête territoriale : une volonté d’un peuple de conquête peut représenter la naissance d’un territoire, d’une nation; la conquête pouvant être liée à une « terre promise », comme les États-Unis, nation fédérale composée, elle-aussi, de plusieurs États fédérés.

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Ces considérations, quelles qu’elles soient, demandent aussi un continuum, une espèce de référendum permanent de vie commune. C’est cette permanence, ce continuum qui peut poser question, voire problème dans certaines conceptions étatiques fondées sur des éléments ou des critères peu perceptibles ou peu valorisants. La question de l’identification d’un groupe d’individus à une terre doit se renouveler. Il est possible que le critère ethnique soit assez puissant pour maintenir un lien plurimillénaire, il se peut aussi que des difficultés, celles par exemple du « vivre ensemble », comme l’on dit aujourd’hui, se fasse ressentir, visant ici à contrarier une fragile unité.

Cette possibilité rejoint pour moi la nécessité de l’existence d’une Europe aux cent drapeaux, un France aux aspirations régionales… Car c’est précisément lorsqu’un État, parfois constitué de manière fragile et imparfaite à coup de traités internationaux, se remet en cause que renaît la pensée identitaire régionale, la fameuse question du localisme.

Le respect de la diversité national-étatique a un sens, il s’agit moins ici de séparatisme que de maintien d’une structure étatique (même si l’on peut lui reprocher de nombreuses choses) à travers sa richesse ethnique. L’acceptation de l’autonomisme est souvent le meilleur vaccin contre le séparatisme.

22f06908d9a7b0ed7015cd221436fb40.jpgEt cette diversité représente les cent drapeaux d’une Europe non pas éclatée, mais unie dans l’esprit de sa diversité. L’exemple corse montre aux peuples de France l’exemple au moins institutionnel à suivre. Savez-vous que Jean Mabire a été obligé d’arrêter de donner des libres propos dans National Hebdo, l’ancien journal du Front national (FN) parce qu’il y avait affirmé l’existence du peuple corse, en 1991 ? La difficile affirmation d’une identité française surannée laisse, de facto, liberté aux peuples de France à la libre expression. Les seules minorités ethniques reconnues constitutionnellement sont des communautés ultra-marine, or la terre d’Europe, dont la terre française fait partie, est fertile en peuples, en nations non-étatiques.

L’Île de Beauté a conquis, par les armes et par les urnes dans un esprit politico-militaire, un exécutif territorial; Wallis-et-Futuna a conservé ses trois rois traditionnels; la Polynésie est dirigée par un gouvernement disposant de larges pouvoirs autonomes; quant à la Nouvelle-Calédonie, les référendums vont se succéder pour que l’on tente, grâce ou à cause du gel de l’électorat, d’obtenir, par la voie pacifique dite des urnes, le « oui » à l’indépendance. Pourquoi ces règles admissibles ailleurs mais dans l’espace français, ne pourraient-elles pas être semblables au sein de ce que les médias appellent l’Hexagone ?

Et si l’on admettait la France et l’Europe dans leur ensemble comme des territoires féconds, multiples ?

Bien sûr, ce choix peut être lourd de conséquence.

L’affirmation continentale, vers quelle Europe ?

Le principal problème est celui de l’affirmation continentale face aux nations. On reproche trop souvent aux tenants du régionalisme de vouloir à la fois limiter l’expression nationale et promouvoir la machine européenne, c’est-à-dire l’Union européenne (UE). La notion d’empire peut alors être une alternative, il apparaît évident que trois structures verticales semblent difficiles en matière de coexistence : Europe, nation, région. L’échelon national est parfois contesté, l’exemple de l’Écosse est éclairant à ce sujet. De la même façon, certains élus régionaux préfèrent s’adresser aux institutions européennes qu’aux représentants de leur propre nation, au moins du point de vue de la reconnaissance. La Catalogne a fait appel à l’Union européenne, comme hier certains élus corses.

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L’Esprit européen, titre d’une revue qui hélas a cessé de paraître [NDLR Europe Maxima : revue semestrielle de treize numéros entre 2000 et 2005 animée sous pseudonymes par Jacques Marlaud et Georges Feltin-Tracol, à laquelle Franck Buleux était abonné et dont le site Europe Maxima en est l’héritier], nous appelle d’abord à une certaine transcendance, celle de faire fi des guerres civiles européennes menées sur notre sol et cause de la fin de notre leadership mondial. Le futur débat est politique mais aussi humain. Deux positions sont passionnantes à cet effet :

• L’assimilation de tout type d’immigration, ou plus clairement encore l’assimilation de l’immigration maghrébine ou noire à l’immigration italienne ou polonaise : longtemps et encore aujourd’hui, les tenants de la social-démocratie mondialisée ont tenu ce discours pour contenir l’électoral national-populiste. Cette barrière aurait pu être levée plus rapidement si l’esprit européen avait soufflé plus fortement !

• Autre débat, celui qui consiste à se sentir plus proche d’un Ivoirien que d’un Finlandais, c’est l’approche, par exemple, d’Asselineau et de l’UPR. Pourquoi pas ? Sans doute fonde-il cette appréciation sur l’histoire coloniale ou la langue française qui, de toute façon, est de moins en moins parlée ou comprise, ici comme là-bas.

Ces deux thématiques n’ont pour but que de nous éloigner les uns des autres, soit en tentant d’unir l’ensemble des Français de non-souche, soit en divisant les populations immigrées tout en choisissant la lointaine plutôt que celle avec laquelle nous avons des racines communes.

Hier, les Boches mangeaient les enfants, aujourd’hui les autres Européens ne sont que des immigrés de la génération précédente et annonciatrice du remplacement qui vient. Nos élites sont-elles aussi européennes que l’on veut bien l’entendre ?

Une Europe non-européenne

L’autre danger serait de constituer une Europe dont nous ne voulons pas, celle qui se fonderait selon un modèle purement économique, sans volonté d’empire. Cette Europe, nous l’avons, elle est prête à accueillir le Kosovo, État conçu par les États-Unis de Clinton pour servir de « pourboire » à des musulmans yougoslaves malmenés par leurs voisins, parfois cousins, Serbes ou Croates. L’Europe, gavée au plan Marshall ou l’Europe, adepte du Pacte de Varsovie, ne s’identifie pas à notre continent aux identités charnelles.

Face à ces entreprises de refus d’Europe ou d’Europe matérialiste, il doit exister une autre voie, celle d’une Europe où l’identité serait à la fois multiple et liée, celle où la fierté nationale pourrait se cumuler avec la fierté régionale et l’exigence continentale. Car cela nous est reproché parfois, à nous défenseur de l’idée régionale, d’être trop pro-européen. Le slogan « Small is beautiful » fut repris par les élites lors de la mise en place de l’État-croupion, le Kosovo. Mais les cent drapeaux qui flottent dans nos esprits et dans nos cœurs sont ceux des patries charnelles, celles qui ont créées le continent, terre qui a enchanté le monde.

Le danger mondialiste au cœur de l’identité régionale

Il est aussi de bon ton, lorsque l’on commet un texte, de définir une auto-critique. Le régionalisme peut être, dans certains cas si l’on n’y prend pas garde, un exécrable salmigondis mondialiste. L’exemple nous vient, par exemple mais cet exemple n’est hélas pas exhaustif, de la Catalogne où de nombreux militants et sympathisants s’estiment tellement catalans qu’ils rejettent de manière définitive tout ce qui provient de l’État madrilène. Cette position pousse les régionalistes, enfin certains, à défendre, y compris physiquement, les populations migrantes, de telle façon que l’on pourrait qualifier : non aux Espagnols, oui aux migrants. Cette situation condamnable me semble refléter une différenciation entre les modes de régionalisme, entre les fondements utilisés par les défenseurs des territoires, le nationalisme anti-colonial inspire encore, trop souvent, ces mouvements. Dans mon essai, j’essaie de réaliser une distinction entre l’origine des régionalismes, entre le régionalisme issu d’une envie d’identité et le régionalisme dont l’axe se limite à faire diminuer la fiscalité (Barcelone paie pour Madrid, par exemple). Cette distinction mériterait d’être affinée, mais prenons garde de cette vision identitaire forcément et fermement opposé aux valeurs qui forgent souvent notre communauté de destin. Opposer l’identité nationale, elle-même composée d’identités régionales ou locales, à ces dernières n’est pas la solution idoine.

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Yann Fouéré.

De l’Europe à l’Europe, retour vers Yann Fouéré

C’est en puisant au plus profond de nos racines communes, celles évoquées notamment par Georges Dumézil, que notre continent reprendra sa force et sa vigueur.

Terminons donc ce désir d’Europe par cette phrase du Breton Yann Fouéré, puisque nous avons commencé avec lui :

« L’Europe ne doit pas être stérilisée dans une société purement matérialiste où les chiffres de production seraient le seul critère de progrès. Derrière l’extérieur froid des figures et le monde des économistes, il y a des êtres humains et des citoyens, avec les communautés naturelles auxquelles ils appartiennent. Il y a l’infinie richesse culturelle de l’Europe qui naît de sa diversité. »

Ainsi, ce plaidoyer pour une Europe à la fois diverse et une, où le tout côtoie l’infime, où les peuples se jouent des structures institutionnelles, se termine.

Un clin d’œil en hommage à Guillaume Faye

Il y a trente ans s’effondrait le Mur de Berlin, donnant ainsi un signe d’unité. Il est temps qu’aujourd’hui s’effondre le Mur de l’incompréhension entre Européens, ce mur qui a marqué nos peuples à travers les guerres et les haines. Bien plus solide que le communisme, le mondialisme, véritable système à tuer les peuples est toujours debout.

Franck Buleux.

• Ce texte fut l’objet d’une conférence donnée par l’auteur le 30 novembre 2019.

• D’abord mis en ligne sur Meta Infos, le 24 février 2021.

Démocratie et coups d'Etat

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http://www.ieri.be/fr/publications/wp/2021/mars/d-mocrati...

Démocratie et coups d'Etat

Dominus Wernerius von Lothringen

Magister in artibus

Rester dans la légalité?

La conquête de la majorité au Parlement est le but stratégique du Coup d’État légal en Occident. En effet le pouvoir législatif, où se forme la volonté populaire est le seul lieu où s'incarne la liberté d'une nation et prend forme un débat constitutionnel. C'est la seule institution où la liberté est en jeu et peut être mise en péril.

C'est pourquoi la conquête du Parlement accorde la sanction de la légalité au pouvoir, majoritaire ou séditieux, qui n'avait été jusqu'ici qu'exclusivement légitime. Or la légalité de cette majorité est instrumentale, car la vulnérabilité des Parlements repose sur l'illusion de défendre l’État par la seule liberté, vue cependant avec les yeux des partis. Erreur très grave, puisque le Parlement a besoin de la complicité du détenteur de la Souveraineté, le Chef de l’État, pour décider, gouverner et régner. Le Chef de l’État italien, Sergio Mattarella, Imperator et Deus ex Machina de la structure constitutionnelle a montré d'être l'ultime recours de la légitimité des partis, divisés et querelleurs et, au lieu de dissoudre le Parlement, obsolète, et de faire appel au suffrage, repoussé plus loin, a ouvert la voie à un garant du salut public, Mario Draghi, Prince inattendu et nouveau premier Consul de la république romaine. L'investiture d'en haut, légale, a remplacé celle d'en bas, légitime. Du point de vue comparatif, ce même Coup d’État a comporté en Amérique le blocage de l'appareil fédéral, la violence d'une intervention séditieuse et la mise au ban du Chef catilinaire suprême, le Président Trump lui même. A l'extérieur du pouvoir impérial, par une offensive simultanée et prolongée les médias et la presse, ont montré d'être farouchement anti-catilinaires. Cette offensive a frappé les esprits, les attentes et la morale publique et a dressé, par réaction, la violence et la révolte, contre le pouvoir élu, car cela fait partie du jeu et du pari de la conquête du pouvoir d’État, qui ne connaissent qu'une loi : la réussite. La légitimité, contestée, a désarçonné la légalité, résiliente, massive et populaire.

Machiavel, Cromwell, Napoléon ou Trotski, grands catilinaires d'antan auraient ajouté à la dynamique des Coups d"État, l'inconnue de l'incertitude, de l'accident et de la Fortune. Or, tous les éléments d'un coup monté étaient réunis aux États-Unis et en Italie pour descendre Trump et pour installer Draghi. Cependant la dialectique permanente de la légalité et de la légitimité, liée à la vie historique rend aléatoire toute prévision sur la durée de l'expérience et sur les modèles politiques proposés. Il est clair que la transition entre les trois formes de régime classiques, selon Aristote, la monarchie, l'aristocratie et la démocratie, autrement dit, le gouvernement de un, de peu et de tous, en leurs deux formes, pures et corrompues, ont conduit, au tout début du XXème siècle à la découverte de la "loi de fer" de toute organisation, celle de la classe politique et de l'oligarchie (Pareto, Mosca et Michels), qui jouent un rôle important dans la conservation du pouvoir. Changer de régime a toujours exigé la recherche d'un "sens" et une vocation militante pour la passation du pouvoir et le changement n'a jamais été purement technique ou rationnel, mais toujours complexe, partisan et personnel. Il a toujours été associé à un débat sur la meilleure forme du gouvernement, destiné à témoigner, chez les grands historiens du passé (Tacite, Plutarque, Suétone ou Tite-Live) et dans leurs Annales, sur les vices de l'homme, les maux de la société et les opportunités de la conjoncture. Assumant la thèse que nous sommes dans une situation, commune à tout l'Occident, de mutation d'époque, de nouveaux équilibres internationaux et d'autoritarismes montants, la démocratie est, en sa forme pure, derrière nous et une forme inédite de celle-ci, méconnaissable, opaque et inversée, émerge, au sein de la logique des contre-pouvoirs entre conservation et innovation. Dans ce cadre, la grande malade de notre temps apparaît ainsi la société, incapable de se renouveler dans la stabilité. Cette société, nationale-globaliste, post-moderne et post-démocratique exige un autre modèle de gouvernance, aujourd'hui peu clair. La crise est-elle si grave qu'un coup d’État peut s'organiser dans la légalité et transformer l'ordre social dans son ensemble ? Dans la société européenne et mondiale, la divinisation des pouvoirs concerne les autocraties montantes et leurs Césars. Cependant ce qui rend actuelle la pratique des Coups d’État, c'est la volonté de résoudre par la légalité et dans le respect formel de la légalité des problèmes qui concernent le dépassement de ses limites et qui étaient autrefois résolus par les armes. Le concept de démocratie en est terni et son modèle de gouvernance déconsidéré. Parmi les dangers n'y a-t-il pas l'ordre constitutionnel, les prérogatives du Parlement et la défense de l’État ? Bref, l'idée de Liberté ?

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L'instabilité permanente et le doute. Une "Glasnost" à la Richelieu et à la Deng Tsiao Ping mais pas à la Gorbatchev

L'éternisation parlementaire dans la recherche d'une coalition que supporte une majorité de gouvernement et les disputes et querelles entre les hommes et les partis a généré auprès du Président de la République un doute grandissant sur la possibilité de trouver une solution par une "décision" parlementaire et par un emploi normal de la représentation politique. Rompant avec la tactique ordinaire du choix entre les politiques et les grands commis de l’État, Mattarella a fait appel à un sursaut national et unitaire, qui éloigne les partis de la voie conflictuelle, pour prendre de l'ascendant sur une situation dégénérative et risquée. L'option du salut public et le doute grandissant sur les capacités d'auto- correction de la Chambre, ont fait choisir au Président l'option de la "légalité d'exception" et d'un armistice provisoire dans une dispute où l'ennemi principal était la réforme de l’État, la victoire contre la pandémie et la relance de l'économie. Combattre pour la survie voulait dire opérer une distinction entre la difficile guerre totale au système bureaucratique, inefficace, et une guerre limitée au parlementarisme, incapable d'avancer dans la division. Le premier but de guerre fut donc de réduire l'implication des passions et de fixer des objectifs praticables. La grande conséquence de la "Glasnost" politique à l'italienne, qui venait d'être lancée, incluant la toute jeune "Perestroïka économique" de l'Union Européenne, a été la recomposition du système politique. Une recomposition qui vise le renouvellement des partis et, globalement, de l'échiquier parlementaire, autrement dit, l'instauration d'une nouvelle oligarchie et une libéralisation de la structure administrative, sans la " terreur révolutionnaire du mérite", comme critère de réforme et de modernisation. Cela a voulu dire, pour Draghi, d'être avec Richelieu et Louis XIV et de rassembler davantage à Deng Tsiao Ping plutôt qu'au réformiste-visionnaire Gorbatchev. Libéraliser et moderniser certes, sous le contrôle du système politique, version ENA et Macron, mais expurger tout souverainisme à la de Gaulle. La recomposition du système politique, qui est en cours parallèlement en Espagne et en France, investit avant tout la gauche, dispersée et sans idées, sclérosée et dépourvue du vaccin contre le virus des divisions et des luttes intestines. Le Partito Democratico (PD), pour continuer à exister au delà des seules apparences discursives, devrait fusionner avec le M5S, autour du triumvirat Conti, Grillo et di Maio, la Greta Thunberg de l'économie verte. Cependant nous sommes loin du "Pacte de pacification" de 1921 entre Ivanohe Bonomi e Benito Mussolini. Il n'existe pas aujourd'hui de danger de révolte extrémiste comparable à celle du "parti armé" de l'époque, menaçant de brutaliser la politique. Il existe par contre l'idée de Grillo que "les fraises sont mûres", pour faire adopter l'option d'une légitimité du transformisme parlementaire. Le danger de la violence n'existe pas et le contrôle des masses devenues apathique et anti-politiques, renforce les partis de droite et, en particulier Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, très combative.

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Pas d'ennemi, pas de violence !

Pas d'ennemi, pas de violence! Pas de réarmement militant et d'affrontement physique et donc pas de défense armée de l’État ! L'État peut être défendu par le droit et par le respect de la légalité parlementaire. Le Coup d’État pour changer la République pourra se faire sans la violence et dans un cadre légal. En France et dans la clandestinité il n'y a que l’État islamique et, parmi les "hors la loi", il n'y a que les Djihadistes et le "Mouvement identitaire", mis au ban par Darmanin ! Pour éliminer les Fillon, les Sarkozy, les Berlusconi, les Orban il a suffi d'une magistrature d'obédience politique. Il n'y a plus de révolution en vue, il n'y a plus de négation du droit des peuples, ni d'injure permanente des vainqueurs sur les vaincus, hormis la période coloniale, ressassée à la sauce islamo-gauchiste. La colonne Vendôme n'a pas été abattue et la Commune de Paris n'a pas arrêté les communards devant la Banque de France par respect envers la Patrie. En Italie c'est le représentant de la Banque Centrale Européenne qui va vers le peuple, vers les classes moyennes et les entrepreneurs ! C'est comme si Versailles, compassionnelle, allait vers les prolétaires de la Commune de Paris ! Il n'est plus de militaires impitoyables et donc plus de gestes glorieux face aux pelotons d'exécution de Thiers, ni de chansons ardentes, semblables à l'Internationale de Pottier ! Il n'y a pas une grande défaite à venger mais un Parlement, une Assemblée ou des Cortés déjà épuisés, à asservir et déjà pliées, prêtes à se mettre en marche sous la discipline des règlements et des groupes parlementaires! Pour ces radicaux de polichinelle, amadoués par les strapontins parlementaires, le droit constitutionnel suffit et la légalité est respectée sans effusions de sang. L'Italie apparaît ainsi le laboratoire de l'Occident et un exemple indéniable pour la France ou l'Espagne, mais elle constitue néanmoins l'anti-modèle des États-Unis.

Brennus à Rome et QAnon et KU KLUX KLAN à Washington

Lors du sac de Rome au IV siècle avant Jésus-Christ, Brennus, Chef des Gaulois, négociant la rançon en or pour la libération de la ville avait jeté là avec mépris la fameuse phrase : "Vae Victis!" (Malheur aux vaincus!) La valeur de cette maxime persiste. Elle prouve la signification persistante de la force et des rapports de force et justifie, aux États-Unis l'importance de la conspiration et du complot pour conquérir et pour conserver le pouvoir. Dans le cadre des élections perdues, Trump aurait essayé de prévenir un coup d’État, monté par Barack Obama, Hillary Clinton et George Soros.

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Après sa défaite électorale en 2020, de nombreux partisans de la mouvance QAnon auraient recommandé au président de "franchir le Rubicon" et de conserver le pouvoir, en invoquant la loi martiale. Les croyances QAnon deviennent un partie intégrante des tentatives de renverser des élections présidentielles américaines de 2020, et cela sur la base de l'incapacité de la mouvance démocrate de respecter la légitimité du pacte constitutionnel et donc de la voie des urnes, sans tricher. En particulier, sur la base du préjudice qui découle, pour les minorités religieuses, sexuelles et raciales, de vivre à égalité avec l'actuelle majorité blanche. L'égalité serait un faux concept et une fiction juridique trompeuse, bref une utopie, marquée par l'idée d'affranchissement et de rattrapage d'une arriération, vis à vis de la supériorité raciale blanche. Les démocrates seraient prêts à tout pour faire franchir aux minorités cette frontière invisible, qui amènerait à une prépondérance de couleur. Or, puisque cette égalité est fictive et qu'elle masque une inégalité naturelle et réelle, toutes les pratiques de subversion deviendraient légitimes, la tricherie ou le Coup d’État. En effet là où est remis en cause un rapport de force originel et essentiel entre groupes sociaux, il ne peut y avoir que violence, puisque serait ainsi renversé le pacte constitutionnel du "vivre ensemble".

Nature et société

L'idée constitutive d'identité et de société en aurait à pâtir selon l'image de l'Amérique des confédérés de QAnon, du Ku Klux Klan, de Griffith et de son chef d’œuvre "La naissance d'une Nation". C'est le dilemme historique des fondements premiers et originels de la Cité sur la colline et du fait associatif américain, l'homogénéité ou l'hétérogénéité ethnique et tribale, qui précède toute autre distinction de droit et montre un aperçu de la société américaine et sa vulnérabilité.

La remise en cause de cette identité originelle ne peut être que violente et sanglante, car elle a son origine dans le sang et point dans la loi. Dès lors, renverser les rapports de force, en invoquant la loi martiale (QAnon..), le Coup d’État (Obama, Clinton, Soros), ou le prix de la soumission (Brennus), c'est se heurter au "fundamenta inconcussa", le vieux rapport de l'homme à la nature humaine, à la société constituée et à l'Histoire.

A partir de là, tricher au jeu électoral devient un enjeu de confrontation constitutionnelle et post-démocratique dans la maison de cyborg, le mode d'une impossible contestation politique, de la même façon que le couteau ou le coup de canif, décrivent les premiers pas de l'assimilation par les adolescents des migrations et leur plume à écrire pour l'initiation scolaire dans la maison de Descartes.

Si le modèle du Coup d’État légal et non violent des temps actuels, est désormais, pour l'Europe, le laboratoire politique de l'Italie, la contestation ethnique, sexuelle et raciale des États-Unis, deviendra peut-être le modèle violent et tribal de la condition humaine pour l'Europe et le monde ?

Dans une attente toujours fatale, la pétition dramatique de Tite Live retentira dans les consciences des décideurs d'Occident "Dum Romae Consulitur, Saguntum expugnatur !" (Alors qu'à Rome on débattait, Sagonte était prise!) (Tite-Live, Ab Urbe Condita).

Bruxelles le 15 mars 2021

Les Etats et le «Big Tech»: qui est aux commandes et quelles alternatives à la situation présente?

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Les Etats et le «Big Tech»: qui est aux commandes et quelles alternatives à la situation présente?

Si l'Europe veut freiner le pouvoir écrasant de Big Tech, elle ne peut pas se contenter d'augmenter les taxes ou d'imposer des amendes, mais elle doit construire des alternatives valables. Sinon, nous pourrons nous contenter des miettes d'un banquet auquel nous ne serons jamais invités.

par Salvatore Recupero

https://www.centrostudipolaris.eu/

L'une des questions les plus débattues ces dernières années est la relation entre les États-nations et les géants de la Silicon Valley. Désormais, la communication politique passe par le réseau et, par conséquent, le pouvoir des réseaux sociaux s'est accru de manière disproportionnée (1). La question est très complexe, mais quelques exemples nous aideront à mieux comprendre ce qui se passe.

Le conflit entre le gouvernement australien et Facebook

Commençons immédiatement par l'actualité de ces jours-ci, de février-mars 2021 (2). Le gouvernement australien a approuvé le code de négociation obligatoire pour les médias d'information et les plateformes numériques. Ce règlement oblige les plateformes numériques à payer les éditeurs (via un accord privé forfaitaire) pour le contenu qui circule sur leurs sites. C'est un moyen de protéger les droits d'auteur. La loi peut être discutable, mais ce qui a surpris tout le monde, c'est le comportement de Facebook. La veille de l'entrée en vigueur de la mesure, les citoyens australiens ont remarqué que les pages Facebook de tous les sites d'information locaux et internationaux n'étaient plus accessibles. Malheureusement, ce n'est pas un "bug" mais un choix de Zuckerberg. La seule erreur, selon le géant américain, est d'avoir également bloqué temporairement plusieurs pages de santé publique et d'urgence. Globalement, en tant que démonstration de force, ce n'est pas mal.

indexaustrfb.jpgLa réponse du gouvernement australien ne s'est pas fait attendre. Le Premier ministre australien Scott Morrison s'en est pris au célèbre réseau social: "Les actions de Facebook, qui a retiré l'Australie de sa liste d'amis aujourd'hui, perturbant ainsi des services d'information essentiels sur la santé et les services d'urgence, étaient aussi arrogantes que décevantes". De plus, M. Morrison poursuit: "Ces actions ne feront que confirmer les inquiétudes qu'un nombre croissant de pays expriment quant au comportement des grandes entreprises technologiques qui pensent être plus importantes que les gouvernements et que les règles ne devraient pas s'appliquer à elles. Ils peuvent changer le monde, mais ça ne veut pas dire qu'ils le dirigent".

Cependant, le gouvernement de Canberra a fait un pas en arrière hier. Le ministre australien des Finances, Josh Frydenberg, et le PDG de Facebook Australie, Will Easton, ont déclaré avoir trouvé un compromis sur l'un des points clés de ce texte auquel les géants industriels américains sont farouchement opposés. À la lumière de cet accord, le géant américain a annoncé la levée "dans les prochains jours" du blocage des contenus d'information au pays des kangourous. Morale de l'histoire: malgré les paroles de Morrison, Zuckerberg a fini par gagner.

Pour mémoire, il est juste de dire que Google a préféré la ligne douce, signant ces derniers jours des accords de paiement avec les principaux médias australiens, acceptant de payer la News Corp de Rupert Murdoch (3).

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L'Union européenne et les Big Tech

En Europe, les choses ne sont pas meilleures. Malheureusement, l'UE (ainsi que les autres États qui agissent dans un ordre aléatoire) se limite à invoquer la transparence dans la gestion des données et le respect des règles européennes en matière d'antitrust. La dernière confirmation de cette position est arrivée en décembre dernier avec la présentation par la Commission européenne de la loi sur les marchés numériques (4). Elle est l'un des piliers de la stratégie numérique européenne. Avec cette mesure, les "interdictions de pratiques déloyales" seront clairement énumérées. En outre, les consommateurs pourront changer de plateforme numérique plus facilement. Enfin, tout cela vise à garantir de meilleurs services et des prix plus bas pour les utilisateurs. Les grandes entreprises technologiques auront donc "l'obligation d'offrir des conditions équitables aux utilisateurs professionnels qui utilisent leurs plateformes en veillant à ce que les fournisseurs externes aient accès au matériel et aux logiciels utilisés par les entreprises technologiques et à ce qu'ils soient interopérables".

Le texte de cette proposition est inattaquable. Même si on dirait qu'il a été écrit par l'association des consommateurs. Il parle de marketing, mais pas de politique. La Commission prétend ne pas savoir (mais ne pouvait peut-être pas faire autrement) que les géants de la Silicon Valley sont étroitement liés à l'État profond américain. Leur force n'est pas seulement dictée par l'abus de position dominante mais par le fait qu'il existe une relation étroite avec le Pentagone. 

Les grandes entreprises technologiques et l'administration américaine

Ce qui vient d'être dit est confirmé par une vidéo intéressante sur la chaîne Youtube officielle de Limes (la plus importante revue italienne de géopolitique), vidéo réalisée par l'analyste Dario Fabbri (5). Ce dernier (qui est également conseiller scientifique de cette revue Limes) explique bien les relations de pouvoir qui existent entre les Big tech et les États-Unis. Pour présenter cette analyse, procédons avec ordre et méthode.

D’abord, Fabbri révèle que les géants de la Silicon Valley "n'ont rien inventé". Nous, Européens, sommes convaincus que les jeunes Californiens, grâce à leur inventivité, peuvent créer des multinationales sans recevoir un dollar du gouvernement. Cependant, les choses ne sont pas déroulées comme ça. Fabbri se souvient que l'invention de l'Internet en 1969 (appelé à l'époque Arpanet) n'est pas due à une entreprise privée mais aux recherches du Pentagone, qui avait besoin d'un réseau interne pour envoyer des communications sensibles. Ce sujet a également été traité de manière approfondie par Gian Piero Joime (6) dans le numéro 20 de Polaris (printemps 2018).

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Joime s'en souvient: "Dans les années 1970, avec la croissance d'Arpanet, des dizaines de sous-réseaux apparaissent, de même que l'interconnexion entre les réseaux et un nouvel ensemble de protocoles, destinés à accroître la fiabilité ainsi que l'adressage direct des ressources du réseau. Arpanet s'est ensuite transformé en Internet et, dans les années 80, il est devenu encore plus accessible aux agences gouvernementales, aux milieux de la recherche et aux universités pour permettre le transfert de fichiers et de courrier électronique". Cela vaut aussi bien pour les microprocesseurs (l'unité de base de tout ordinateur ou smartphone) que pour les logiciels qui interprètent le langage naturel, comme Siri.

Et nous en arrivons à aujourd'hui. Pour revenir à l’analyse de Fabbri : "Le pouvoir des big tech apparaît donc immédiatement diminué si l'on pense que la technologie dont ils disposent n'est pas de leur propre production (et donc propriété) mais provient de la recherche militaire de l'Etat fédéral".

Washington, donc, intervient de manière invasive dans le développement et le fonctionnement de ces entreprises. Si Big Tech devait agir contre l'intérêt national, quelqu'un au Capitole pourrait demander l'application de la loi contre les monopoles (le Sherman Act). Les dégâts seraient alors incalculables pour les géants de la Silicon Valley. De plus, n'oublions pas que ces entreprises gèrent une quantité impressionnante de données et cela arrange la Maison Blanche car les serveurs qui gèrent le big data restent sur le sol américain.

À ce stade, quelqu'un dira sûrement : et Trump alors ? Sur ce point aussi, il est bon de ne pas se laisser tromper par les apparences (7). Voyons pourquoi.

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La "censure" contre Trump

Tout le monde sait que l'ancien président Donald Trump a été banni (ou interdit si l'on veut rester dans l'air du temps) des médias sociaux. Si l'on fait une lecture superficielle, il semblerait que l'ancien locataire de la Maison Blanche ait perdu sa bataille contre Twitter et Facebook. Cependant, les choses sont différentes. La censure contre le magnat new-yorkais a coûté cher à Jack Dorsey (PDG de Twitter). Éliminer Trump, un homme qui provoque un grand trafic sur les réseaux sociaux, ne peut pas être un choix heureux d'un point de vue financier. N'oublions pas que Trump a gagné les primaires et a ensuite été élu président grâce à ses tweets. Quelle entreprise serait prête à refuser des millions de clients simplement parce qu'ils ont des idées avec lesquelles elle n'est pas d'accord ? Et si oui, pourquoi cela n'a pas été fait en 2016 ? La réponse à ces questions est donnée par l'analyste de Limes: "La censure contre Trump répondrait à une demande de l'appareil fédéral américain". Ces derniers - ajoutons-le - ont décidé de miser sur un autre cheval en mettant à la porte l'ancien locataire de la Maison Blanche d’une manière inhabituelle et cavalière. Nous ne devons pas basculer dans le complotisme mais nous ne devons pas non plus être naïfs.

Les réseaux sociaux influencent la politique (8) dans toutes les parties du monde, mais, dans l'enceinte du pays, ils gardent la tête baissée. Les USA se considèrent comme un empire (ils le sont) et il est normal que leurs multinationales (les Big Tech notamment) deviennent leur bras armé. Si l'Europe veut freiner le pouvoir écrasant des grandes entreprises technologiques, elle ne peut pas se contenter d'augmenter les taxes ou d'imposer des amendes, mais elle doit construire des alternatives valables. Sinon, nous pouvons nous contenter des miettes d'un banquet auquel nous ne serons jamais invités.

Notes :

  1. (1) (A)Social Network - Le réseau entre les intérêts économiques et politiques par Paolo Caioli Magazine Polaris Automne 2011
  2. (2) Facebook bloque les utilisateurs australiens pour les empêcher de consulter ou de partager des informations Bbc News 15 février 2021
  3. (3) Google va payer News Corporation de Murdoch pour des articles, Bbc News 15 février 2021
  4. (4) La loi sur les services numériques source : https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/digital-ser...
  5. (5) Quel est le pouvoir des Big Tech ? Par Dario Fabbri Limes Rivista Italiana di Geopolitica 22, janvier 2021 https://www.youtube.com/watch?v=wp4ltijUrZc
  6. (6) 1968 : une odyssée dans l'infosphère Par Gian Piero Joime Polaris Magazine Printemps 2018
  7. (7) EUROPA ACADEMY Webinar - SOVEREIGN IS CENSURE- Comment communiquer en hommes libres dans un champ de mines. https://www.centrostudipolaris.eu/2020/12/01/accademia-eu...
  8. (8) Labirinti Comunicativi – Internet, social networks e partecipazione di Carlo Bonney Polaris Rivista Autunno 2011 https://www.centrostudipolaris.eu/2011/10/01/labirinti-co...

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Les trois erreurs de Charles Maurras

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Les trois erreurs de Charles Maurras

par Georges FELTIN-TRACOL

Pour ce Titanic qu’est l’Université française, Charles Maurras ne peut être qu’un sinistre personnage aux idées nauséabondes qui se délecta des « Années-les-plus-sombres-de-notre-histoire » (comprendre l’Occupation allemande entre 1940 et 1944). Cette interprétation fallacieuse témoigne de l’immense sottise de ses auteurs.

Pendant plus de cinquante ans, Charles Maurras exerça une réelle emprise sur la République des Lettres. Ce poète – romancier – journaliste - doctrinaire et pamphlétaire œuvra toute sa vie pour le triomphe de ses idées. Or trois erreurs magistrales empêchèrent leur réalisation.

N’évoquons pas son royalisme orléaniste, une banalité à la fin d’un XIXe siècle dominé par le fait national et la rationalité. Depuis la révolution parisienne des                     « Trois Glorieuses » (27, 28 et 29 juillet 1830) qui chassa le roi de France Charles X au profit de son cousin, le duc Louis-Philippe d’Orléans, devenu entre 1830 et 1848 le roi des Français Louis-Philippe, le mouvement royaliste se divise entre les légitimistes (les partisans de la branche aînée des Bourbons, en particulier  Charles X et son petit-fils, le comte de Chambord ou Henri V, favorables à une monarchie traditionnelle et corporative de droit divin) et les orléanistes (les partisans de la Maison d’Orléans, favorables à une monarchie constitutionnelle plus ou moins parlementaire). Quand décède en 1883 le comte de Chambord qui n’a aucun enfant, la réconciliation entre les royalistes français s’opère globalement. Hormis une faction de légitimistes qui se tourne vers les Bourbons d’Espagne, à savoir les prétendants carlistes, au nom des lois fondamentales du royaume de France et de l’indisposition juridique du traité d’Utrecht de 1713 envers la Couronne des Lys, les anciens légitimistes se rallient au prétendant orléaniste, le propre petit-fils de Louis-Philippe, Philippe (1838 - 1894) comte de Paris. Dans son ouvrage fondateur, Aux origines de l'Action française. Intelligence et politique à l'aube du XXe siècle (1991), Victor Nguyen rappelle que le jeune Maurras écrivait dans ses cahiers de vibrants « Vive Henri V ! ». Le jeune Provençal avait-il été marqué par les histoires autour de la « Montagne blanche » en Bas-Languedoc ? Hostile à l’orléanisme et à la bourgeoisie républicaine, des légitimistes radicaux n’hésitèrent pas à s’allier avec les républicains socialistes sous la Monarchie de Juillet (1830 – 1848) afin de battre aux élections les candidats du Régime. Favorable au suffrage universel, voire au vote des femmes mariées ou veuves, la « Montagne Blanche » constituait un incroyable mouvement populaire de petits agriculteurs, d’artisans et de petits commerçants du Midi de la France.

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Ne reprochons pas qu’au soir de sa vie, Charles Maurras préfère soutenir l’État français du Maréchal Philippe Pétain plutôt que de suivre à Londres un fringant général de brigade à titre temporaire appelé Charles De Gaulle, même si L’Action française avait naguère défendu les thèses militaires avancées dans ses premiers écrits comme le très nietzschéen Le Fil de l’épée (1932) ou Vers l’armée de métier (1934).De Gaulle fréquentait alors un stratège non-conformiste, le colonel Émile Mayer (1851 – 1938), dont les analyses étaient souvent reprises par la « Jeune Droite » de Jean de Fabrègues et de Thierry Maulnier.

En 1945, après un verdict sévère et partial qui le condamne lourdement, Charles Maurras s’exclame : « C’est la revanche de Dreyfus ! ». Il n’hésite pas à défendre l’honneur de l’armée française parce que l’époque croyait dans la fable du « complot judéo-boche ». Officier juive d’origine alsacienne, Dreyfus ne pouvait espionner que pour l’Allemagne... Anti-dreyfusard véhément, Maurras ne voit pas l’immense manipulation encouragée par les milieux dirigeants francs-maçonniques de la IIIe République.

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Les malheurs du capitaine Dreyfus permettent en effet au camp laïcard, républicain et conservateur (les futurs radicaux et radicaux-socialistes, vrais « chancres mous de la République ») d’éloigner les masses ouvrières de leurs justes revendications sociales au profit d’une République égoïste soi-disant menacée par la « droite », les catholiques, l’Église… Les ouvriers ne comprennent pas tout de suite que l’idéal laïque et les incantations contre un « péril réac » imminent empêcheront la moindre avancée sociale. Dans les années 1880, le chancelier Otto von Bismarck institue dans l’Empire allemand des lois sociales favorables aux salariés afin de contrer la poussée de la sociale-démocratie. Il désire « forger une mentalité conservatrice dans la masse des plus démunis, laquelle légitimera les retraites ». Les républicains français n’imiteront l’Allemagne bismarckienne qu’au début des années 1930 ! Avec une fibre plus populaire, Maurras aurait pu prévenir le monde du travail de ce funeste détournement au profit de l’oligarchie en place. Dreyfusard acharné, Charles Péguy comprit, lui, la manœuvre, mais bien trop tard…

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Le manque d’intérêt pour la question sociale, des fréquentations surtout conservatrices et guindées et une méfiance instinctive envers les « classes laborieuses » urbaines expliquent la défiance de Maurras à l’égard des tentatives de Georges Valois pour concilier l’activisme des Camelots du Roi (le mouvement de jeunesse de l’Action Française) et l’agitation syndicaliste en 1908. Les grévistes pendent au balcon d’une bourse du travail le buste de Marianne ! Le Cercle Proudhon qui rassembla de 1911 à 1914 des royalistes, des corporatistes, des socialistes et des anarcho-syndicalistes, fut une belle occasion manquée de convergence des questions sociale et nationale. L’historien Zeev Sternhell vit dans cet intense bouillonnement de culture politique et sociale la genèse d’une « Droite révolutionnaire », préfiguration matricielle du fascisme compris comme phénomène européen de la première moitié du XXe siècle.

Maurras aurait pu franchement encourager l’initiative révolutionnaire-conservatrice de Georges Valois (1878 - 1945) et concevoir, sur le précédent royal de la victoire de Bouvines, le 27 juillet 1214 une entente entre les couches populaires et l’aristocratie contre la bourgeoisie républicaine. Ce jour-là, un dimanche, l’armée du roi de France Philippe II Auguste, allié du prince des Romains et futur empereur romain germanique Frédéric II de Hohenstaufen et du pape Innocent III,  bénéficie de l’aide des milices communales. Les Français remportent une éclatante victoire sur la coalition du roi d’Angleterre Jean sans Terre, de l’usurpateur impérial Otton IV et du comte Ferrand de Flandre. Bouvines scella la nature profonde de la royauté capétienne : une monarchie guerrière, aristocratique et populaire. Ne comprenant pas que le XXe siècle serait le siècle des masses en action et craignant au contraire que ce « populisme » irrite ses soutiens financiers rétrogrades, le natif de Martigues rata une magnifique occasion de cristalliser sous sa direction intellectuelle un faisceau d’oppositions radicales au régime. Ce désintérêt pour la question sociale reste vive chez les héritiers des révolutionnaires de droite, si l’on excepte quelques formations « royalistes de gauche » tels en 1944 - 1945 le Mouvement socialiste monarchiste ou la Nouvelle Action royaliste (NAR) dont les militants furent un temps surnommés les « maorrassiens »…

Charles Maurras se trompe gravement en août 1914 quand, lui, l’anti-républicain, rejoint l’Union sacrée. Cette adhésion patriotique et germanophobe témoigne d’un manque évident de détermination machiavélique de la part du rédacteur de L’Avenir de l’Intelligence (1905). Au nom du nationalisme intégral, il délaisse provisoirement son hostilité foncière à la République pour la soutenir. Le résultat en est en 1919 une Europe totalement éclatée, affaiblie, déséquilibrée avec une Allemagne meurtrie, humiliée et néanmoins encore puissante. L’économiste libéral et chroniqueur diplomatique de L’Action Française, Jacques Bainville (1879 - 1936), tirera des calamiteux traités de paix de 1919 – 1920 le prophétique réquisitoire sur Les conséquences politiques de la paix (1920).

imachm.jpgMaurras n’est pas un factieux ! Sincère et dénué d’arrières-pensées, c’est avant tout un littéraire en politique, pas un disciple de Lénine ! Doté d’un autre tempérament, peut-être eût-il agi comme les républicains au 4 septembre 1870 ? Ce jour-là, à l’annonce de la prise de Sedan par les Prussiens qui font prisonnier l’empereur des Français Napoléon III, les républicains n’hésitent pas à renverser le Second Empire qui, quatre mois plus tôt, obtenait 70 % des suffrages lors d’un plébiscite. Une fois la République installée, les nouveaux maîtres du pays peuvent enfin proclamer que « la patrie en danger ». L’essentiel est posé ! Jamais ensuite, les gouvernements d’Ordre moral du président monarchiste de la République, le Maréchal de Mac-Mahon, n’envisageront d’abolir le nouveau régime…

Si l’Empire allemand l’avait emporté sur le front de l’Ouest à l’automne 1914, il est probable que la IIIe République se fût effondrée comme elle s’effondra en juin - juillet 1940. Y aurait-il eu une restauration monarchique ? Non, les Allemands n’auraient pas favorisé des institutions fortes à Paris. Certes, la France aurait cédé Belfort, le Maroc et d’autres colonies, et alors ? En 1713 et en 1763, Paris abandonna bien aux Anglais l’Acadie et le Québec sans que la postérité ne s’en offusque. Une Europe sous la férule du Kaiser aurait peut-être permis la conciliation des principes traditionnels avec la modernité technique du temps. Qui sait ? Dans cette Europe-là, la France de 1915 aurait pu sécréter un fascisme à partir des idées maurrassiennes, puis se répandre par l’entremise d’un jeune capitaine natif de Lille, longtemps prisonnier à Ingolstadt… Ces considérations particulières font d’ailleurs l’objet de fortes spéculations uchroniques dans l’ouvrage coordonné par Niall Ferguson en 1999, Virtual History. Alternatives and Counterfactuals, ainsi que dans un ouvrage collectif d’historiens français sous la direction de Xavier Delacroix, L’autre siècle. Et si les Allemands avaient gagné la bataille de la Marne ? (2018).

51TDgRLL-+L._SX331_BO1,204,203,200_.jpgLe manque de discernement tactique à propos de l’« Union sacrée » a coûté très cher à Maurras. Dès 1926, sa condamnation par l’Église catholique brise une vitalité déjà bien freinée par l’assassinat de Marius Plateau (1886 - 1923) et une absence d’approches sociales réalistes que défendait pour sa part l’activiste Henri Lagrange (1893 – 1915).

À son corps défendant, Charles Maurras a finalement travaillé pour les valeurs modernes démocratiques, nationales et libérales. Son nationalisme intégral n’est qu’un aménagement conservateur des Lumières. Vers 1915, clairvoyant sur le destin de la civilisation européenne à cet instant décisif, l’auteur des Réflexions sur la violence (1908), Georges Sorel (1847 - 1922) penchait vers les Empires centraux. Voilà pourquoi il garde une fraîcheur que n’a plus Charles Maurras.

 

Georges Feltin-Tracol