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vendredi, 09 avril 2021

Yémen : La Guerre Perdue de l'Arabie Saoudite ?

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Café Noir N.18:

Yémen: La Guerre Perdue de l'Arabie Saoudite?

Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
Émission du Vendredi 09 avril 2021 avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed.
 
Guerre Civile, Guerre Internationale, Islamisme, Houthi, Nationalisme Arabe, Marxisme Léninisme, Iran, etc.
 

La dernière reddition: le 30 juin 1951, un groupe de soldats japonais dépose les armes sur l'île d'Anatahan

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La dernière reddition: le 30 juin 1951, un groupe de soldats japonais dépose les armes sur l'île d'Anatahan

par Mirko Tassone

Ex : https://www.barbadillo.it/

Un portrait des Zanryū nipponhei, les résistants japonais, les retardataires, les stragglers, les Ghost Soldiers ou simplement les Resistors.

Ils les appelaient Zanryū nipponhei, les ultimes résistants japonais, les Stragglers, les Retarders, les Ghost Soldiers ou simplement les Résistants. De nombreux noms pour désigner un seul phénomène: celui des soldats japonais qui ont refusé de déposer les armes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le représentant le plus connu d'un groupe qui était tout sauf petit est sans doute Hiro Onoda, le lieutenant qui s'est rendu le 5 mars 1974 sur l'île philippine de Lubang. L'histoire de l'officier qui est resté "en service", malgré la fin de la guerre, n'est pas un cas isolé. Les précédents sont nombreux, mais l’un d’eux, en particulier, mérite d'être raconté pour au moins trois raisons. Premièrement, parce qu'il ne s'agit pas d'un seul soldat, mais d'un groupe; deuxièmement, parce que c'est la seule occasion où les Zanryū japonais incluent également une femme; troisièmement, parce qu'il représente la dernière reddition de la Seconde Guerre mondiale. Le cadre de l'histoire que nous allons raconter est Anatahan, une île de l'archipel des Mariannes passée sous contrôle japonais à la fin de la Première Guerre mondiale.

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Vue aérienne de l'île d'Anatahan.

C'est sur cette bande de terre, perdue dans l'immensité de l'océan, que se réfugie, en juin 1944, un groupe de soldats du Soleil Levant qui ont survécu au naufrage de trois navires à destination de Truk, en Micronésie, où se trouve la principale base navale de l'empire du Tenno dans le Pacifique Sud. Touchant terre, leurs vêtements déchirés et leurs âmes en émoi, la poignée de survivants se rend compte qu'ils ont atterri dans un endroit plutôt inhospitalier. Situé à 75 miles nautiques au nord de Saipan, en raison de la forte activité volcanique, Anatahan était et est toujours inhabité. Légèrement plus petite qu'Ischia, caractérisée par des plages escarpées et des pentes raides sillonnées de gorges profondes couvertes de végétation, l'île ne possède qu’une petite plage dans sa partie sud. À leur arrivée, les naufragés ont trouvé une femme, Hika Kazuko, originaire d'Okinawa, et un compatriote travaillant pour une entreprise qui récolte du coprah pour la production de beurre de coco. La femme était prisonnière sur l'île depuis quelques jours, ainsi que le collègue de son mari, qui, avec l'avancée des troupes américaines, n'avait pas pu revenir de Saipan, où il s'était rendu dans l'espoir de sauver sa sœur. Une fois débarqués sur ce petit bout de terre, les naufragés ont fait une reconnaissance et se sont rassemblés non loin de l'unique plage, confiants qu'ils seraient secourus quelques jours plus tard. Cet espoir fut déçu lorsque leurs compatriotes furent vaincus lors de la bataille des îles Mariannes. Cependant, la petite communauté ne se découragea pas et, comme elle ne vit pas arriver d'aide, elle commença à s'organiser du mieux qu'elle put: elle construisit des huttes avec des feuilles de palmier et se nourrit de noix de coco, de taro, de canne à sucre sauvage, de poissons et de lézards.

Ayant compris que leur séjour sur l'île ne serait pas bref, les soldats japonais ont décidé de s'offrir une sorte de réconfort. Ils ont donc commencé à produire du tuba, un distillat de noix de coco typique des Mariannes, semblable au Lambanóg des Philippines. Tout était nécessairement autosuffisant, du moins jusqu'au 3 janvier 1945, lorsqu'un B29 américain s'est écrasé sur l'île au retour d'un raid de bombardement sur Nagoya, au Japon. Le crash n'a laissé aucune chance aux 11 membres de l'équipage, mais s'est avéré être une véritable bénédiction pour les Japonais. L'épave devient une mine inattendue: les tôles sont moulées pour fabriquer des outils ou des couvertures de cabanes, les parachutes sont transformés en vêtements, les fils du système électrique deviennent des lignes de pêche.

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Extrait d'un film de 1953.

Après avoir récupéré les armes de l'équipage et retiré les mitrailleuses et les canons de l'avion, les Japonais, menés par leur officier, construisent des positions défensives rudimentaires. L'existence de ces Robinson Crusoë serait restée inconnue si, en février 1945, une expédition de chamorros (indigènes des Mariannes) n'était pas arrivée sur l'île, envoyée par le commandement américain stationné à Saipan pour récupérer les corps des aviateurs qui s'étaient écrasés avec le B-29. De retour à la base, les chamorros font un rapport détaillé et communiquent qu'ils ont repéré un groupe de soldats ennemis. Les commandants américains qui, avec la tactique dite "jumping the frog", s'occupent, île par île, de se rapprocher du territoire métropolitain de l'ancien Yamato, n'accordent pas beaucoup d'importance à cette poignée d'hommes qui, comme beaucoup d'autres, ont été piégés sur une île lointaine. Entre-temps, la vie de la communauté se déroule parmi de nombreuses vicissitudes.

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Hika peu après sa reddition.

Aux inconvénients compréhensibles causés par une situation limite, s'ajoute un élément exceptionnel: la présence d'Hika. Le fait qu'il n'y ait qu'une femme, sur une île habitée uniquement par des hommes, souvent en proie à l'euphorie provoquée par le tuba, génère d'inévitables frictions; à tel point que cinq des onze décès enregistrés au cours des sept années de séjour des naufragés sur Anatahan sont des maris d'Hika, dont quatre sont officiellement morts à la suite d'accidents de pêche. Évidemment, cette circonstance n'a pas échappé aux journaux qui, au retour de la femme dans son pays, ne se sont pas contentés de dépeindre la femme "Robinson" chargée de fabriquer des vêtements avec des parachutes, tandis que les hommes fournissaient la nourriture. La plupart de la presse, en fait, se concentrera sur les décès survenus dans des "circonstances mystérieuses".

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Vision romancée...

Pour certains magazines, l'île était même un "foyer de passion et de meurtre". Cependant, la version des faits fournie par la protagoniste est tout autre. Hika, en effet, tout en affirmant avoir été contrainte au mariage par le supérieur du groupe, qui s'inquiétait de sa discipline et de celle des hommes, a toujours prétendu avec force que ses maris n'avaient pas été assassinés, mais étaient morts de maladie ou d'accident. Quoi qu'il en soit, tandis que se joue sur l'île une dynamique qui, pour la presse à sensation, allie héroïsme et érotisme, le temps passe et, avec une certaine régularité, les autorités américaines envoient des navires pour tenter de convaincre les Japonais de quitter l'île.

Fidèles au précepte du Bushidō, qui considère la reddition comme un déshonneur, les soldats japonais refusent de déposer les armes, persuadés que la guerre n'est pas encore terminée. La situation se prolonge jusqu'en juillet 1950, lorsque Hika elle-même brise le mur obstiné érigé par ses compatriotes: elle repère un navire américain - le Miss Susie - et demande à être évacuée de l'île. À son arrivée à Saipan, la femme informe les commandants américains que tout le monde à Anatahan croit que le Japon et les États-Unis se battent toujours. Les Américains signalent alors l'affaire aux autorités de Tokyo, qui retrouvent les membres des familles des Zanryū japonais, les invitant à écrire à leurs proches pour les convaincre de se rendre. Les lettres sont larguées sur l'île, mais les naufragés pensent qu'il s'agit d'une supercherie orchestrée par la propagande de l'Oncle Sam.

Ainsi, en janvier 1951, le gouverneur de la préfecture de Kanagawa s'adresse aux survivants, et dans un autre message encore, il les informe de la défaite du Japon et des bonnes relations établies entre-temps avec les États-Unis. Le gouverneur écrit également que tous les soldats ont été rapatriés et conclut: "Maintenant, il n'y a plus d'autres soldats japonais dans le Pacifique, sauf vous’’. Évidemment, toutes les lettres ne sont pas parvenues à leurs destinataires, si bien que la distribution a été répétée plusieurs fois, jusqu'au 26 juin 1951, date à laquelle les naufragés d'Anatahan ont décidé de se rendre. Quelques jours plus tard, le 30 juin, l'opération "Déménagement" a commencé. De Saipan part le remorqueur océanique USS Cocopa.

Une fois arrivé à destination, un canot pneumatique est descendu du navire, amenant sur l’île l'interprète Ken Akatani et le lieutenant commandant James B. Johnson, devant lesquels les 19 soldats survivants déposent les armes. Ils montent à bord du navire et, avec leurs quelques affaires rangées dans un pandanus tressé, ils sont emmenés à Guam où, en une semaine, un avion de la marine américaine les emmène à Tokyo. Il est étrange que la dernière garnison japonaise ait quitté les Mariannes le jour même où la gestion de l'administration américaine des îles du Pacifique est passée des militaires aux civils. C'est le signe que la Seconde Guerre mondiale est définitivement terminée, même si des Zanryū nippons isolés continueront à se battre jusqu'au début des années 1980.

Mirko Tassone.

Paris 1919. Pour l'Italie, une victoire mutilée

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Paris 1919. Pour l'Italie, une victoire mutilée

Par Marco Valle

Ex : https://blog.ilgiornale.it/valle/2020/12/15/

La visite controversée et discutable du président Mattarella en juillet dernier à Trieste, dont le point culminant a été l'hommage bizarre rendu aux quatre terroristes yougoslaves du TIGR - abattus en 1930 après une série d'attaques sanglantes contre des cibles civiles italiennes - et les commémorations plus ou moins heureuses de l'exploit de D'Annunzio à Fiume ont brièvement attiré l'attention sur les événements complexes de la frontière orientale de l'Italie.  Comme d'habitude, les médias nous ont abreuvés de récits superficiels, voire trompeurs, réduisant la question adriatique à des schémas parfois nostalgiques et rhétoriques ou, trop souvent, incroyablement culpabilisants. Résultat : la tragédie des terres d'Istrie et de Dalmatie au XXe siècle reste le champ de bataille de partisans opposés. Un jeu stérile de nostalgie de la patrie perdue et de négationnisme insupportable.

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Heureusement, la recherche historique, bien que difficilement, se poursuit avec des travaux innovants et de nouvelles clés d'interprétation qui nous permettent de comprendre le "Zeitgeist" et de saisir la somme des formidables implications politiques et économiques qui ont déterminé (et déterminent encore) les frontières et les mémoires. Le nouveau livre de Paolo Soave Una vittoria mutilata ? est d'une importance capitale. (Ed. Rubettino ; 157 p., euro 14,00) qui analyse l'un des nœuds centraux et inconfortables de notre histoire unitaire, c'est-à-dire la participation contradictoire (et non gratifiante) de l'Italie à la Conférence de Versailles en 1919, un redde rationem exorbitant fixé par les puissances euro-atlantiques pour les ennemis vaincus et un rappel à l'ordre abrupt pour les alliés mineurs: Italie, Belgique, Serbie, Grèce, Roumanie, Japon et Portugal. En guerre, ils étaient des présences nécessaires et parfois indispensables, en paix, des confettis gênants. Pour être récompensé (Belgique et Japon), utilisé (Serbie et Grèce) ou marginalisé. C'est le cas de l'Italie.

Soave, brillant professeur d'histoire des relations internationales, aborde le problème italien avec une méticulosité d’archiviste, une largeur de vue et (fait non acquis pour un universitaire...) une écriture fluide, identifiant avec précision l'opacité persistante dans le rapport (toujours inégal) entre Rome et les capitales occidentales.

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Le point de départ est le traité de Londres de 1915, la décision trouble de rompre la "Triplice" et d'adhérer à l'"Entente" sur la base d'un accord secret qui assure au royaume de Savoie non seulement l'arc Trento-Trieste mais aussi et surtout le contrôle de l'Adriatique, un protectorat sur l'Albanie, la reconnaissance de la possession du Dodécanèse et l'expansion en Asie Mineure, des droits sur la mer Rouge, des promesses plus vagues pour l'administration du canal de Suez et l'Afrique allemande. Sur le papier, il s'agit d'un magnifique butin pour la petite Italie - "une grande puissance uniquement par courtoisie", comme l'a rappelé Gioacchino Volpe - mais aussi d'un grand pari. Salandra, Sonnino et Vittorio Emanuele (un protagoniste non secondaire) n'ont pas eu trop de doutes et ont imposé à un pays encore largement neutraliste l'entrée en guerre. Comme le note l'auteur, il s'agit d'une "valse" sans scrupules dans laquelle la traditionnelle diplomatie "amphibie" des Savoie se mêle à la reprise de "la phase expansive de la politique étrangère unitaire entamée en 1911 par Giolitti avec la conquête de la ‘quatrième rive’". L'engagement des armes aurait exprimé la tentative de l'Italie libérale de construire une patrie commune et une synthèse de nationalisme, de liberté et de modernité".

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Puis vint le 24 mai. Le Karst, Gorizia, les Alpes, Caporetto, le Grappa et le Piave et, enfin, Vittorio Veneto. Six cent quatre-vingt mille morts, un million et plus de mutilés sur 5.240.000 mobilisés, soit 13,78 % de la population. Ce fut un conflit long et sanglant qui a mis le pays tout entier à l'épreuve, suscitant des énergies imprévues à l'intérieur - un patriotisme généralisé sans précédent, les "ragazzi de 99" et l'arditisme - et une très forte méfiance des puissances tierces à l'extérieur de la péninsule. Ponctuellement, les Franco-Britanniques sous-estiment l'effort militaire et économique du royaume et le front italien est obstinément ignoré par la grande presse alliée. À une exception près: Rudyard Kipling. En 1917, l'auteur du Livre de la jungle, prix Nobel de littérature, rejoint les troupes alpines sur les sommets des Alpes juliennes et carniques et se passionne pour les soldats de montagne, devenant l'un de leurs chantres les plus originaux avec un livre-témoignage La guerre dans les montagnes. Une singularité. Aujourd'hui encore, pour la copieuse historiographie anglo-saxonne sur la Grande Guerre, le théâtre italien reste un fait secondaire et l'engagement militaire presque une quantité négligeable, voire risible. C'est ce que confirment, une fois de plus, les lignes venimeuses de Margaret MacMillian dans son puissant ouvrage Paris 1919, consacré précisément à Versailles. Selon l'ancien recteur du Trinity College, "les soldats italiens, mal dirigés et moins bien équipés, avaient été massacrés lors des batailles dans les Alpes, jusqu'à ce que l'armée s'effondre à Caporetto en 1917. En 1918, avec plus d'un demi-million de morts et encore plus de blessés graves, la question qui commence à circuler est la suivante: à quoi bon ?". Pour MacMillian et ses savants collègues, la résistance farouche sur la Piave et la Grappa, la "guerre blanche" sur l'Adamello et ses environs, les batailles du Solstice, le Col Moschin, les exploits de Rizzo et l'armistice de la Villa Giusti ne comptent pour rien, ne pèsent rien.

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Une vision daltonienne donc qui, comme nous le dit Soave, vient de loin, du travail incessant des chancelleries pendant la poursuite du conflit. Pendant que les "orages d'acier" massacraient toute une génération, des diplomates placides, des capitalistes astucieux et des ministres insensibles préparaient l'après-guerre, le nouvel ordre mondiale de l'après-guerre. Un jeu aussi subtil que mortel, qui ne comportait pas de revendications italiennes. Le silence s'est abattu sur les champs de bataille à Versailles, reprenant le colonel T. E. Lawrence, "les vieux hommes ont décidé de leur paix". Malheureusement, pour représenter l'Italie victorieuse de Diaz et de D'Annunzio à Paris, des hommes encore plus âgés, d’une culture politique surannée, et, surtout, décidément plus inadaptés que leurs féroces collègues sont venus: le Français Clemenceau, le Britannique Lloyd George et l'Américain Wilson. L’Américain fut le pire.

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Une fois assis dans les confortables fauteuils de la "galerie des glaces", le lustre du palais de Louis XIV, Orlando et Sonnino se rendent vite compte qu'ils ne comptent pour rien ou presque. Les Alliés accusent l'Italie d'égoïsme, déprécient notre contribution à la victoire, oublient avec une extrême facilité le pacte de Londres, qui a lancé l’Italie dans la guerre aux côtés de l’Entente, freinent tout appétit colonial et - avec le soutien de l'italophobe Wilson - tentent de bloquer toute ambition italienne dans l'Adriatique et les Balkans. Fiume inclus. La nouvelle Yougoslavie monarchique devient le contrepoids, le bastion adéquat pour ruiner les projets de Rome.

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Pour les "grands" pays, la Botte italique a dû se résigner à un rôle de partenaire junior, renoncer à toute hypothèse d'autosuffisance économique et aux mirages de l'autonomie politique et accepter une sorte de souveraineté limitée. Les délégués - déjà ébranlés par l'aventure de D'Annunzio à Fiume, préoccupés par les conflits sociaux en cours et angoissés par les nombreuses dettes - ne sont pas à la hauteur de la situation et commettent une série d'erreurs qui affaiblissent encore davantage la position déjà faible de l'Italie. Au final, comme le stigmatise l'auteur, la conférence s'est réduite à un problème de rapports de force entre inégaux, une confrontation inégale qu'un personnel politique usé ne pouvait endurer. Salandra et Sonnino ont crié, menacé, sont partis, puis revenus et, enfin, ont signé. Sur le plan de la politique intérieure, le mythe de la "victoire mutilée" devient un argument facile pour les oppositions nationalistes - D'Annunzio s'insurge contre "les dévoreurs de chair humaine" - et alimente le fascisme naissant qui, au cours des vingt années suivantes, alterne révisionnisme et antirévisionnisme en politique étrangère. Les résultats sont bien connus et largement étudiés.

Comme le rappelle Paolo Soave, un siècle plus tard, la conférence de Versailles reste un paradigme pour tous ceux - peu nombreux, il est vrai - qui s'inquiètent et s'interrogent sur le rôle international de l'Italie au troisième millénaire. Une fois les ambitions impériales évaporées, les relations avec les alliés (réels ou supposés) et le sens de notre position dans l'Adriatique, dans la Méditerranée (plus ou moins élargie), dans les Balkans, en Afrique, restent en suspens. Aujourd'hui comme en 1919.

Quo vadis Erdogan? Quo vadis Turquie?

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Quo vadis Erdogan? Quo vadis Turquie?

Irnerio Seminatore

L'affront à l'Europe pour la gifle diplomatique infligée à Mme von der Leyen est un bluff protocolaire sans fondement. Erdogan a appliqué avec froideur la règle bien connue du: «Ubi major, minor cessat». Selon les règles, il y a un seul représentant officiel de l'Union, le Président du Conseil Européen, ayant rang de Chef d’État et, comme tel, du droit de préséance dans les relations extérieures. En tant que Cheffe de l'exécutif, Mme von der Leyen a eu le traitement conforme au protocole. Où est il le problème? L'Ego de Madame est il supérieur aux institutions des 27? Le droit de préséance est il fondé sur les mérites que la présidente de la Commission a acquis dans la gestion catastrophique de la pandémie du Covid 19? Si l'unité de l'Europe s'imposera de l'extérieur, comme le remarqua avec lucidité Z. Brzezinski dans « le Grand Échiquier », vu l'essoufflement de l'idée et de l'idéal d'origine, sa prise en charge sera le lot d'un appareil bureaucratique lourd et éloigné de l'adhésion populaire. Dans ces conditions l'atout de cet élan nécessaire pourra-t-il venir d'un protocole institutionnel trahi, par l'abandon de la part de l'UE, de toute conception de l'histoire, de la puissance et de l'aliment démocratique du pouvoir? Sur ce plan la Turquie est le seul pays au monde qui occupe militairement, à Chypre, une portion de l'espace européen, qui opère par chantage vis à vis de l'Union Européenne, la menaçant d'ouvrir les vannes à grande échelle de l'immigration, contre l'extorsion de 6 milliard d'euros pour leur entretien au termes d'un pacte migratoire d'un effroyable cynisme; qui a soutenu le Djihad islamique militairement et tactiquement, qui n'hésite pas à modifier les équilibres politiques et territoriaux entre l’Azerbaïdjan et l'Arménie, et entre le Maréchal K.Haftar et le Gouvernement de Tripoli en Libye. C'est encore le pouvoir étatico-confessionnel qui aida militairement la Bosnie-Herzégovine au courant des guerres balkaniques et pendant la dissolution de la vieille Yougoslavie et ça a été l'aide de la Turquie, en soutien du Kosovo contre la Serbie et celle du Djihad contre les kurdes et les azéris, qui ont fait plier sans honneur les socio-démocrates européens. Erdogan est le « trouble jeu » de la Méditerranée dans ses prospections pétrolières en eaux territoriales grecques, qui joue au double jeu au sein de l'Otan, en achetant des systèmes d'armes à la Russie et en abattant des avions russes par des accidents « involontaires ». La Turquie c'est encore le pays, en mesure de déstabiliser irréversiblement l'Union Européenne, par le poids représentatifs qu'elle aurait au sein du Conseil Européen, dépassant le poids de l'Allemagne et c'est son orientation islamique et son sunnisme militant, qui représentent l'antagonisme historique des États-chrétiens de jadis, qui ferait d'elle le fossoyeur de l'empire de la « norme » d'Occident, après avoir été l'héritier de Mehemmet, fossoyeur de Byzance et de l'empire romain romain d'Orient. Quel sera le positionnement de la Turquie dans le scénario d'une nouvelle « guerre froide », technologique et stratégique et des défis globaux entre la Chine et les États-Unis?

Le monde d'aujourd'hui, multipolaire et planétaire, est fragmenté e difficile à gérer et tend à créer des tensions excentriques, qui défient tout à la fois la puissance établie et la puissance émergente. La réponse de Joe Biden, par la voie de Richard Haass et de Charles Kuchpchan du « Council on Forein Relations » a été un test classique du dialogue stratégique entre le grandes puissances. Ce modèle est celui du Congrès de Vienne, mais dans l'absense d'un pouvoir dominant et d'un principe de légitimité commun et partagé. Or, dans le contraste entre la nouvelle alliance des technocraties-démocratiques contre les technocraties-autocratiques, promues dans le but historique de donner de la stabilité au système, assuré jusqu’ici par les États-Unis, puissance prépondérante, l'avantage comparatif des États-Unis reste celui des alliances. « Quid boni » de l'association de la Turquie, comme facteur d'incertitude et de dissolution? Puisque la configuration des deux alliances dépendra de la qualité des associés et de la confiance qu'ils inspirent, quel message de politique globale Charles Michel et Mme U. von der Leyen sont ils aller proposer à Erdogan et symétriquement Borrel à Lavrov, dans la compétition qui se dessine et quel mélange entre légitimité et intérêts géopolitiques, qui rende « compatible » et donc viable, la participation de la Turquie à la coopération/confrontation du XXIème siècle? Le grand tribunal de l'histoire pourra-t-il convertir les condamnations à mort par pendaison, en démissions forcée de leurs fonctions, pour haute trahison de l'Europe, à Mme Merkel et à Mme von der Leyen?

(Ci-joint le texte "L'Union européenne, La Turquie et l'Eurasie" publié sur la "Revue Générale" belge N.11/12 de Décembre 2014)

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L'UNION EUROPÉENNE, LA TURQUIE ET L'EURASIE

Analyse géopolitique des deux hypothèses adhésion ou « partenariat privilégié » ?

Les relations entre l'Europe et la Turquie sont inscrites dans une géopolitique eurasienne, caractérisée par une triple métamorphose: de la géographie, de la puissance et des équilibres stratégiques. La première transformation concerne la masse continentale la plus importante du monde, celle de l'Eurasie, cœur géopolitique de l'Histoire ; la deuxième, le rôle accru des espaces océaniques ; la troisième, la stabilité stratégique qui, après la période de la bipolarité se commue en son contraire, l'instabilité, le déséquilibre et la fragmentation politique.

En revenant à la première transformation, celle-ci a pour objet le changement des paradigmes géopolitiques structurants qui imposent une nouvelle lecture du système international et donc un nouveau rapport entre le « Rimland » et le « Heartland ». Ce changement est fondamental. En effet dans le cadre de cette lecture, l'Europe et la Turquie appartiennent à des configurations géopolitiques distinctes : la Turquie fait partie du « Heartland », le « pivot des terres » ou encore « pivot géographique de l'Histoire » et l'Europe au « Rimland » planétaire, l'anneau des terres, qui va de la péninsule de Kamtchaka au Golfe Persique. Il en découle que la Turquie et l'Europe constituent deux entités géographiques aux projections diverses et que leurs stratégies sont déliées l'une de l'autre. Après l'effondrement de l'Empire soviétique, la Turquie retrouve son « espace vital » dans la masse centrale des continents, le « pivot des terres » où elle redécouvre ses sources linguistiques et son Histoire profonde, autrement dit, l'idéologisation du passé et les origines de l'Empire Ottoman. Selon cette lecture l'Europe se caractérise comme isthme occidental de l'Asie ou « Rimland » eurasien, car elle fait partie intégrante du « Rimland » planétaire, valorisé par le système maritime mondial et l'unité des océans. Le « Rimland » eurasien est dominé par les débouchés maritimes, le régime des eaux et les échanges par la voie des océans.

Pour les Etats européens de la bordure Atlantique après la fin des années 1990, le « paradigme géopolitique » dominant devient l'Eurasie à la place de l'Europe, qui fut le théâtre central du conflit Est-Ouest. Ainsi, le vieux pivot géographique du monde de Halford J. Mackinder se déplace vers le « pivot des mers », le « sealand » inter-océanique de l'Océan indien.

Dans ces nouvelles conditions, la politique d'élargissement de l'UE comme politique de stabilisation à la marge de la péninsule eurasienne perd de sa pertinence et montre sa précarité historique. Elle perd de son sens originel, qui était fondé sur une perspective d'intégration de l'Europe de l'Est et de la Russie. La politique d'élargissement à de nouveaux pays impose comme une loi du gouvernement politique, un noyau restreint de direction politique et d'abandon de toute politique de dilution du pouvoir.
Sous cet angle sont à adopter les alliances permanentes, les partenariats privilégiés et les coalitions ad hoc. Ces choix géopolitiques mettent en exergue la fragilité institutionnelle et politique de la construction européenne. En effet, les constantes géographiques et les legs de l'Histoire imposent aux fédérations en gestation l'impératif d'un pouvoir fort, sous peine de se dissoudre. L'UE doit éviter les dilutions successives aux marges extérieures du continent car elle doit contrer les déséquilibres qui en découlent à l'intérieur. Re-conceptualiser les paradigmes structurants du système international actuel c'est faire œuvre de lucidité politique, d'intuition stratégique et de perspective historique.

Ainsi vis-à-vis de la Turquie, l'approche en termes de « partenariat privilégié » découle de préoccupations réalistes, de souci d'autonomie et de convergence d'intérêts. La vocation géopolitique de la Turquie est continentale et consiste à renouer avec son passé. Son premier objectif demeure une politique de stabilisation autour de la Mer Noire, du Caucase du Sud, de la Mer Caspienne et de l'Asie Centrale, et cela en accord avec l'Union Européenne. En revanche, l'approche globale de l'Europe s'inscrit dans une perspective à trois volets, intercontinental, océanique et identitaire :

- La perspective intercontinentale inclut l'espace eurasien et la dimension africaine ;

- La perspective inter-océanique se définit par un réseau de bases, d'escales et de points clés maritimes, découlant des accords avec les pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), qui font de l'Europe, ancienne puissance coloniale, un acteur géostratégique mondial ;

- La perspective d'ordre identitaire pousse à la distinction entre l'Europe et l'Amérique et donc à la définition politique et culturelle de deux Occidents, un Occident européen et un Occident américain.

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Or re-conceptualiser la politique d'élargissement et de voisinage, c'est tout d'abord reformuler les paradigmes structurants de l'ordre international, ce qui implique l'identification du pivot stratégique de la planète et de l'acteur ou des acteurs qui se disputent son contrôle. Cette reconfiguration permet de définir les régions décisives de rivalité mondiale et a au-delà, les grands enjeux qui ont scandé les affrontements décisifs de l'humanité. Au XXIème siècle la bataille décisive pour l'Hégémonie et pour le leadership mondial se fera en Eurasie, entre la puissance extérieure du cœur géopolitique du monde et l'acteur prééminent de la masse continentale dominante. Elle se fera sur le front marginal des continents (façades subcontinentales et péninsulaires) et de ce fait sur les rivages, les littoraux et les routes maritimes intercontinentales du « Rimland » mondial. C'est la raison pour laquelle l'Europe, pour définir une stratégie unitaire dans le monde, devra valoriser prioritairement l'approche inter-océanique (Océans Atlantique, Pacifique et Indien) et insérer le projet d'Union des pays riverains de la Méditerranée, du Proche et Moyen-Orient et du Golfe, dans une perspective continentale (Mer Noire, Caucase du Sud et Asie Centrale). La Turquie et le plateau iranien font partie de cette deuxième perspective, principalement continentale. Pour l'Europe occidentale et pour la Turquie, la géopolitique décisive se précisera par le choix que la première fera de sa relation historique avec la Fédération de Russie. Ce choix de long terme est historique et sera largement déterminé par trois acteurs essentiels, l'Allemagne, les Etats-Unis et la Chine.

A la périphérie occidentale des bouleversements de l'échiquier eurasien, l'Europe et la Turquie font la politique de leur géographie. La Turquie accroît son influence vers les terres d'Asie Centrale et en direction du Golfe et exerce un équilibre de pouvoir entre la Russie, pivot de l'Eurasie et l'Océan Indien, cœur des masses océaniques. Dans le Caucase, elle influe sur le containment de la Russie et de l'Iran. En Méditerranée et dans le Golfe, elle est serrée entre Israël et l'Egypte, qui a renoué avec Moscou. Dans cette même région, les Kurdes, alliés d’Israël, effectuent une percée militaire vers les puits de pétrole et repoussent l'embrasement du Califat et de l'Etat islamique, qui s'élargit à ses portes.

Si la bipolarité avait enfermé l’Europe dans la partie occidentale du continent, la nouvelle phase de l’histoire restitue à l’Europe son passé et sa diversité lointains. L’élargissement de l’UE et ses perspectives lui permettent de prendre à revers les puissances terrestres euroasiatiques par l’étendue de la projection des forces que justifie sa puissance navale et péninsulaire. Cette projection est rendue possible par l’accès aux zones côtières de la Méditerranée, de la mer Noire et de la Caspienne, et à celle du Golfe, à l’océan Indien et à l’Asie du Sud.. En survol et sur l'échiquier eurasien, l'Europe est un joueur incomplet et imparfait tandis que les Etats-Unis sont un arbitre global, un pivot géopolitique clé et un acteur dominant. 

Les limites de l'Europe et les capacités d'absorption de l'UE

Pour ce qui est des « frontières extérieures » de l’Europe, elles sont devenues un sujet d’actualité et d’interrogation institutionnelle, à partir de la décision du Conseil du 17 décembre 2004 d’ouvrir les négociations d’adhésion avec la Turquie.
La crainte d’une Union qui ne connaît plus de limites, ni à l’Est ni au Sud-Est du continent exige la définition d’un cadre organisateur général des relations extérieures de l’UE. Ainsi, deux dimensions problématiques sont concernées, une, de nature institutionnelle et, l’autre, de nature sécuritaire.

- La première est liée aux « capacités d’absorption » de l’Union Européenne, et concerne le poids et l’équilibre institutionnel au sein du Conseil des ministres de l’Union, mais aussi les capacités budgétaires et les politiques de solidarité et de cohésion.
- La deuxième se réfère aux relations de proximité, les Balkans occidentaux, zone à très forte instabilité politique et à haut potentiel de conflits et à la présence de ressources et de revendications territoriales, aiguisant les crises latentes ou gelées.

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La réorganisation des partenariats actifs des pays du Sud/Sud-Est de l’Europe constitue la base de lancement de la part de l'UE d'un « pacte de stabilité du Caucase du Sud et de la grande mer Noire », comme concept organisateur et cadre géopolitique de la réorientation régionale en matière de sécurité.

Ainsi un meilleur accès aux ressources énergétiques de l’Asie Centrale influencera le vent de libéralisation et de pluralisme politique des pays ex-soviétiques. Dans la logique de leur intérêts bien compris, cela devrait favoriser le retour de l’Europe dans le « grand jeu » qui est mené en Asie Centrale et dans la bordure des « Balkans eurasiens »1, par les États-Unis, la Chine, le Pakistan et l’Inde.

Cette réorientation du processus d’élargissement comporte une transformation de l’équation stratégique, du Caucase à l’Asie centrale et du Heartland, au golfe Persique, incluant la Turquie. 

Projection de l’UE vers le Caucase et l’Asie centrale

La projection de l’Union Européenne et de la Turquie vers le Caucase et l’Asie centrale pourrait répondre à une série d’objectifs :
- fixer les limites de l’UE, donc des demandes d’adhésion recevables ;
- faire de l’Europe un partenaire influent dans une politique mondiale redéfinie ;
- favoriser le dialogue et la planification, par l’identification des défis à affronter collectivement (détérioration de l’environnement, surpopulation, fanatismes, pandémies, catastrophes naturelles) ;
- fixer un agenda de sécurité planétaire pour le XXIe siècle, 

L'Union Européenne, les Etats-Unis et la Turquie

L'objectif commun de l'UE et des États-Unis dans le monde est la gestion d'un système maîtrisable et d'une structure de coopération géopolitique qui s'oppose à l'anarchie – exigeant une coopération étroite et un partage des responsabilités. Au-delà de la région euro-atlantique qui trouve ses frontières géographiques dans les tracés de la géopolitique russe établie au XVIIIème siècle, la disparité et le pluralisme des intérêts et des valeurs ne permettent pas l'intime association du leadership cooptatif et d'une hégémonie démocratique, propre à l'espace euro-atlantique.

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Ces considérations expliquent la non-recevabilité de la demande d'adhésion de la Turquie à l'UE. La Turquie appartient à l'extérieur de ce tracé continental, ce qui lui impose une politique étrangère et de sécurité dictée par sa position de carrefour à la croisée de trois continents.

La géopolitique du plateau turc dictée par la fonction de jonction eurasienne interdit une vision stratégique commune à l'Europe, mais justifie en revanche celle d'un « partenariat privilégié » aux contenus et formes variables.

La Turquie entre intégration et conflit

La Turquie est placée à mi-chemin entre deux espaces, d'intégration et de pacification relatives propres de l'Europe Occidentale et de revendications d'autonomie et d'indépendance, circonscrits par la région du Moyen et Proche Orient, du Golfe et de la Méditerranée Orientale.

La géopolitique suggère à la Turquie une stratégie eurasienne, enracinée dans son Histoire.

En revanche, l'Europe occidentale est poussée à concevoir une stratégie globale de projection de puissance en tant que péninsule de la masse continentale.

Peut-il y avoir, dans cette antinomie, un avenir commun entre l'UE et la Turquie transcendant les déterminismes de la géographie et la crise des négociations bilatérales, depuis l'acceptation du statut de candidat à l'adhésion en 1999 ? Sur quels sujets, de politique intérieure et internationale, peuvent-ils se reporter leurs objectifs communs ? Sur quelles conceptions de la sécurité, régionale et mondiale et sur quels vulnérabilités et défis ? Y a-t-il une convergence lisible en matière de régime politique, ou même en matière de croissance et de conception de la relance économique, sur lesquelles divergent par ailleurs les deux principaux pays européens, la France et l'Allemagne ?

L'ambiguïté stratégique de l'UE

Les ambiguïtés européennes inhérentes aux « limites » de l'Europe sont une cause de tension de l'UE avec la Russie, à propos des pays du Partenariat Oriental et avec la Turquie, en ce qui concerne le Sud-Est du continent. Ces ambiguïtés posent un premier problème, consistant à savoir si les États-Unis, la Russie et la Chine sont prêts à reconnaître à l'Europe un rôle de parité et donc de partenariat. Il faudrait évidemment, pour se voir reconnaître un tel rôle, que l´Europe retrouve une vitalité démographique et économique qui lui font défaut et se dote des moyens, y compris militaires, de ses ambitions (sans oublier le fameux numéro de téléphone réclamé par M. Kissinger !)

En deuxième lieu, il s'agit de savoir si l'Europe aura à l'avenir une identité propre sur le plan politique et militaire, avant de poursuivre les élargissements qui disloquent son centre de gravité politique.

Enfin, il s'agira de voir si l'UE pourra s'accommoder des conceptions françaises concernant la distribution des pouvoirs au sein des institutions transatlantiques ou à l'inverse, si elle se pliera au leadership allemand, soutenu par les États-Unis.

Les conséquences régionales de la crise ukrainienne

Les querelles continentales sur les issues de la crise ukrainienne, le rôle de négociateur incontournable de la part de l'Allemagne vis-à-vis de la Russie et la présence ultime des États-Unis sur le continent, dans la Mer Noire et dans la Caspienne, influent sur la nature des relations entre l'UE et la Turquie.

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La nouvelle centralité de l'Allemagne en Europe après l'effondrement de la bipolarité, ne lui requiert plus d'être le rempart historique contre l'Est, exercé pendant la longue période médiévale et poursuivi jusqu'en 1945, rôle qui lui a attribué sur le continent la fonction conjointe de créateur d'ordre et d'hégémon.

Comme l'a récemment déclaré Henry Kissinger, ancien Secrétaire d'Etat américain, « l'Allemagne est condamnée à prendre plus de responsabilités » dans les affaires du monde »2. Elle s'affirme sur la scène diplomatique et devient la clé de l'entrée des pays des Balkans occidentaux dans l'Union (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine, Monténégro, Serbie), jouant également l'intermédiaire entre V. Poutine et P. Porochenko.
Ainsi, la crise ukrainienne pose le problème de l'équilibre continental avec la Russie et donc les différentes perspectives d'équilibre euro-russe, au vue des deux lectures nationales de la stratégie européenne, française et allemande.

En effet, l'adhésion de la Turquie à l'UE perturberait non seulement les relations franco-allemandes en Europe, mais également les relations bilatérales franco- et germano-russes, influant directement sur les ambitions européennes dans leur ensemble, autrement dit sur le projet d'Union comme dessein d'ordre politique continental.

Le projet européen et les tensions extérieures

Par ailleurs, le projet européen, bien que soutenu par une dynamique historique et politique propre, comporte trois tensions extérieures : une venant de la Russie, la deuxième de l'Amérique et la troisième du Moyen-Orient, du Golfe et de la Méditerranée. L’Europe ne pourra se réaliser sous l'égide exclusive de l'Allemagne, ni sur une hostilité ou une nouvelle coalition contre elle, car ces dilemmes imposeraient des choix difficiles aux États-Unis et porteraient atteinte aux ambitions de la France sur la spécificité de son rôle international.

La Turquie, la « question russe » et le déséquilibre stratégique dans le Sud-Est du continent

Ainsi la crise ukrainienne et l'annexion de la Crimée ont remis à l'ordre du jour la « question russe » (appelée autrefois la « question d'Orient ») et donc le contrôle de la Mer Noire et des détroits du Bosphore, bref le rôle de la Turquie et celui antinomique des États-Unis sur la porte d'accès occidentale à l'Eurasie, où se joue le sort du monde.

La déstabilisation de l'Ukraine représente une distorsion géopolitique dont les répercussions en Méditerranée orientale ne tarderont pas à se faire sentir.

Il serait hasardeux voire erroné de soutenir que l'UE comme ensemble post-national pourrait trouver un rééquilibrage avec l'adhésion de la Turquie et dans une implication conséquente dans la zone de turbulence du Proche et Moyen-Orient et du Golfe.

L'Europe, la Turquie, la Russie, les États-Unis et l'Eurasie

Une partie délicate se joue entre l'Europe, les États-Unis et la Russie, depuis la chute de l'Union Soviétique, pour le contrôle de l'Eurasie. Cette partie concerne tout aussi bien des acteurs pivots régionaux comme l'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Turquie et l'Iran, que des acteurs géostratégiques de taille : la Russie, l'Inde, le Japon et l'Indonésie.

Le rôle d'arbitre de ce « jeu » est assuré par les États-Unis, puissance extérieure au grand échiquier de l'Eurasie, qui essaient de réduire l'influence de la Russie par la constitution d'un axe Tachkent – Bakou, Tiblissi – Kiev, et d'un corridor énergétique Bakou – Ceyhan permettant l'exportation d'hydrocarbures de la Mer Caspienne, par l'évitement du transit à travers la Russie.

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La politique de l'UE vis-à-vis de la demande d'adhésion de la Turquie a consisté à repousser son entrée dans l'Union, car l'adhésion ferait de celle-ci un joueur équivalent à l'Allemagne en termes de représentation, de décision et de souveraineté partagée au sein du Conseil et de Parlement Européens3. Cela bouleverserait la logique profonde de l'Union, dont le projet de réconciliation concerne des États européens et repose sur une communauté d'origine, la chrétienté et l'héritage de Rome (primauté du droit, équilibre des pouvoirs et séparation augustinienne du spirituel et du politique), tradition reprise ensuite par le Saint-Empire Romain Germanique. Cette adhésion serait porteuse d'un double paradoxe : elle ferait d'un État extra-européen un des États les plus importants de l'Union et de la « communitas christiana », une communauté  musulmane de confession sunnite et islamo-conservatrice, provoquant un changement stratégique fondamental vis-à-vis du reste du monde.

L'entrée de la Turquie dans l'UE aurait également pour effet de rabaisser le rôle de la France et d'associer l'Europe à un partenariat cooptatif avec l'Amérique, renforçant le pouvoir de celle-ci pour toute entreprise d'influence et de domination extérieure à caractère global.

En termes géopolitiques, la Turquie est inscrite dans l'espace des « Balkans eurasiens », aux problèmes ethniques et culturels d'une très grande complexité. Ces problèmes ont été aggravés en Ukraine, Syrie, Iran, dans le Golfe, en Afghanistan et en Asie Centrale dans le but d'affaiblir la Russie, par une politique de roll back et au sein de l'Union Européenne, par l’absence d'un stratégie internationale lisible. Cet affaiblissement de l'UE demeure sans solution immédiate dans la région qui va de la Géorgie à la Moldavie, Transnistrie et Roumanie, et s'ajoute comme frein stratégique et financier à l'adhésion de la République turque. A ses portes, l'éventuel Etat du Kurdistan représente un danger pour la stabilité politique du gouvernement islamo-conservateur et pour la cohésion nationale turque. L'ouverture vers les Etats arabes, consécutive à la « rupture » diplomatique du Ministre des Affaires Etrangères, A. Davutoglu, et résumée par la formule « zéro ennemi» (2000) a inversé la politique nationaliste antérieure.

Dans ces conditions, les revirements de la politique étrangère de la Turquie ne peuvent figurer comme des éléments de stabilisation régionale, particulièrement nécessaire, après les révoltes arabes et le tournant pris par celles-ci en Syrie, Irak et Egypte.

Les dirigeants turcs n'ont pas pris la mesure des changements intervenus dans le monde et en particulier au Grand Moyen-Orient, au Golfe, en Méditerranée et en Afrique sub-saharienne. Ce n'est plus l'Etat-nation, post-colonial, faible, vulnérable ou en déliquescence, qui demeure la structure de régulation d'ensembles sociaux disparates mais les religions radicalisées et la violence obscurantiste des petites sociétés prémodernes, djihadistes ou guerrières, affirmant leurs souverainetés par le Califat, le nihilisme et le chaos. Dans ces conditions, les dirigeants turcs ont appris qu'il n'y a plus d'interlocuteurs fiables, identifiés et légitimes avec qui négocier.

Les États-Unis et le Grand Echiquier

Les États-Unis, sortis gagnants de la Guerre Froide, maîtrisent de moins en moins

- un système international devenu non seulement multipolaire mais polycentrique et

- les zones de non-droit.

Ils ont besoin de réassurer leurs alliés de l'OTAN pour dissiper les doutes du déclin et de l'incapacité du Président Obama à jouer le rôle de leader de l'Occident. L'exercice de cette nouvelle version de l'Empire, déterritorialisé et en réseau, a cependant besoin de se déployer dans l'espace physique et de gouverner des hommes, selon les régimes politiques qui correspondent à leurs traditions anciennes, étrangères à l'idée d'Europe et à celles d’État et de démocratie.

Ainsi, la première contradiction de la gouvernance mondiale est qu'elle ne peut s'exercer ni dans le cadre de la démocratie représentative, ni dans le respect des convictions des minorités religieuses et donc dans les formes de la laïcité occidentale. En effet, le rejet de la séparation augustinienne du domaine temporel et spirituel, que l'intégrisme djihadiste exècre et combat, impose l'apostasie et la fidélité à une seule divinité, au prix de massacres et de barbaries d'un autre âge et donc l'obéissance aveugle à un seul régime : celui du Califat, qui désinstitutionnalise l’État-moderne, issu du Traité de Westphalie (1648).

L'UE et les trois options de politique étrangère de la Turquie

Si, comme le remarque avec lucidité Z. Brzezinski dans Le Grand Echiquier, « l'unification européenne apparaît de plus en plus comme un processus qui s'impose de l'extérieur et pas comme un idéal auquel on croit » et si l'idée européenne a été prise en charge par un appareil bureaucratique lourd et éloigné de l'adhésion populaire, de telle sorte que l'Union Européenne donne l'impression d'un conglomérat de soLciétés affectées par un malaise social chronique, quelle impulsion la Turquie peut-elle donner à un organisme qui a perdu son élan intérieur ?

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A la chute de l'empire soviétique dans les années 1990, la Turquie, qui est l'un des pivots géopolitiques clés de l'Eurasie et dispose d'atouts dépassant les conditionnalités léguées par la géographie, a tenté de redéfinir son identité et sa cohésion nationales.

Parmi les trois options qui se sont offertes à sa classe dirigeante:
- l'adhésion à l'Union Européenne, dans le but de devenir un État occidental laïc et moderne, suivant en cela l'héritage d'Atatürk ;

- l'orientation islamiste modérée, prétendant à une conciliation entre Islam et démocratie et ayant comme corrélat l'ouverture vers les autres pays arabes de la région dans le but de créer une zone de stabilité dans la région, cette option s'est traduite par une rupture stratégique. Cette option « zéro ennemi » (de Davutoglu 2000) s'est traduite par une rupture stratégique, prenant la forme d'un appui à l'opposition islamiste de Bashar Al-Assad, soutenu par la Russie et l'Iran et balayant les ambitions de stabilité régionale, mise à mal par les crises successives des pays arabes ;

- le néo-nationalisme, suggéré par la grande histoire ottomane, lui faisant découvrir une nouvelle mission envers les peuples turcophones et musulmans de la Mer Caspienne et de l'Asie Centrale.

Ces trois orientations, aux axes stratégiques divergents, ont introduit une série d'incertitudes dans la politique étrangère de la Turquie. En effet, elles l'ont engluée :
- dans les conflits ethniques et religieux qui minent la région, cumulant les difficultés et provoquant l'exode de populations Kurdo- turques (soit 20 % de la population à l'Est du pays). Ces derniers réclament l'indépendance nationale dans une lutte qui les engage à côté des Kurdes irakiens et syriens.

- dans des aventures contre-productives en Méditerranée, avec l'épisode de la flottille de militants pro-palestiniens envoyée à Gaza dans le but de rompre le blocus israélien, ce qui a eu pour effet de rapprocher Israël des Kurdes, de la Grèce et de Chypre.
dans le refus d'aider à la résolution du conflit gelé avec l'Azerbaïdjan, ce qui a poussé l'Arménie à rejoindre le projet eurasiatique de Moscou.

Dans un contexte international en pleine métamorphose, l'hostilité de l'Iran à l'égard des États-Unis et de l'Occident a incité Téhéran à adopter une politique plus accommodante vis-à-vis du Kremlin, autre adversaire historique, tandis que la politique étrangère de la Turquie, leader potentiel d'une communauté turcophone eurasienne imprécise et mal définie, s'est tournée vers l'Asie Centrale.

Propositions pour un « Partenariat Privilégié » entre l'UE et la Turquie

L'idée d'adopter un « partenariat privilégié » comme entente stratégique réfléchie entre l'UE et la Turquie est fondée sur série d'évidences ayant pour base de nouveaux paradigmes:
- l'Eurasie à la place de l'Europe
- l'anarchie internationale au lieu de l'intégration
- la définition des intérêts vitaux et donc une politique de sécurité et de défense au lieu de l'idéologisation des valeurs (la démocratie et les droits de l'Homme)
- le passage probable d'une « logique de négociation » permanente » entre Etats européens à une phase d'équilibres de compétition ou de chacun pour soi.

Si la tâche principale de l’UE a été le développement étendu de la stabilité internationale qui constitue le cadre conceptuel de l’intégration du continent le prolongement de cette responsabilité dans la région du plateau turc, du Caucase du Sud et de la grande mer Noire, lui permet d’atteindre un niveau de responsabilités politiques qui dépassent la sphère régionale et atteignent la stabilité mondiale.

En particulier, dans la zone visée aucun des grands partenaires régionaux n’a les moyens, ni dispose d’un consensus stratégique lui permettant de prétendre à la prééminence régionale.

La signature de partenariats privilégiés et actifs, avec les pays ayant choisi le régime qui assure au mieux leur vocation au changement politique et à l’ouverture internationale, est la seule solution compatible avec le maintien du projet européen et la préservation de son message. C’est à partir de cette perspective commune à l'UE et à la Turquie et guère d’une dangereuse dilution de l’Europe, que peut s'établir une entente stratégique.

Au niveau du système international, la gestion des relations extérieures et les retournements des situations imposent à l’UE d’avoir une personnalité politique forte, une structure de décision efficace et des « limites extérieures » qui ne demeurent une source de perceptions erronées. Ceci exige une vision réaliste du monde, car la coexistence de la paix et de la guerre est toujours immanente, la dialectique des antagonismes toujours à l’œuvre et la conscience de l’hétérogénéité du monde toujours là, pour prouver que les individus et les peuples n’obéissent pas aux mêmes conceptions du juste et de l’injuste, de démocratie et de liberté et que la diversité des régimes politiques et des corps sociaux engendre différents types d’inégalités, d’inimitiés et de conflits et avec ceux-ci des génocides et des guerres.

Notes

1 Les « Balkans eurasiens » constituent, selon Brzezinski, une mosaïque ethnique, le cœur d’une vaste « zone de pouvoir vacant » et d’instabilité interne. Ils regroupent neuf pays : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Géorgie et l’Afghanistan. On peut y inclure la Turquie et l’Iran (voir carte en annexe).

2 Extrait du journal Le Monde 26 août 2014