mardi, 11 avril 2023
Les opérations spéciales et leur impact sur la géopolitique future - Entretien avec Robert Steuckers
Les opérations spéciales et leur impact sur la géopolitique future
Entretien avec Robert Steuckers
Propos recueillis par Anna Tcherkassova pour ukraina.ru (avril 2023)
Comment les opérations spéciales ont-elles modifié l'équilibre mondial des pouvoirs?
Les géopolitologues définissent l’Ukraine comme une « région-portail » (« gateway region »). Elle est un sas par lequel devraient logiquement, pacifiquement, transiter biens matériels et culturels entre les grands pôles de civilisation. Elle constitue par ailleurs une portion importante sur la route qui part de l’Atlantique, de Lisbonne et de Cadix, vers la Volga et la Caspienne et, au-delà, vers le Kazakhstan et la Chine. La Crimée a fait partie, dans l’antiquité, de la civilisation grecque centrée sur la Mer Egée ; elle a abrité les comptoirs italiens qui commerçaient avec le reste de l’Eurasie ; Catherine II a voulu en faire le réceptacle d’une civilisation nouvelle, helléno-germano-slave. Pour la Russie, la Mer d’Azov constitue l’ouverture aux mers chaudes, le retour vers les horizons méditerranéens (grecs et égyptiens) et l’accès de l’hinterland russe des bassins du Don et de la Volga à la région pontique, ouverte aux orbes plus écouméniques du Sud et de l’Ouest. L’ensemble formé par l’Ukraine, la Crimée, le Kouban et le littoral de Novorossisk à Soukhoumi en Abkhazie aurait pu devenir la plaque tournante d’échanges fructueux entre toutes les composantes civilisationnelles voisines : espace de la civilisation russe, espace danubien (au départ de la Roumanie et de la Bulgarie), espace caucasien, monde turc-anatolien, espace de peuplement kurde, pays riverains de la Caspienne, littoral caspien de l’Iran.
Les échanges entre ces pôles d’une grande richesse culturelle, en lisière de ce que les géopolitologues et les stratégistes anglo-saxons nomment le « Heartland » ont été délibérément sabotés par les pseudo-élites occidentales, au détriment de l’intérêt de tous les peuples d’Europe et d’Asie.
Lors d’un séminaire récent, tenu dans les Ardennes belges, j’ai eu l’occasion de souligner que l’objectif des thalassocraties de l’anglosphère est de ne permettre aucune convergence de cette nature en lisière du « Heartland » (russe en l’occurrence). Les « rimlands », avec littoraux sur les mers chaudes, ne peuvent avoir de liens étroits avec le « Heartland », qui recèle des matières premières indispensables, tout comme, au-delà de la Tauride (Crimée) antique, l’arrière-pays fournissait blé et bois à la civilisation grecque. Ce refus tenace de voir s’installer durablement des synergies entre « Heartland » et « Rimlands » sans intervention impérialiste émanant d’une périphérie insulaire comme la Grande-Bretagne impériale au 19ème siècle ou comme l’ « Ile du monde » que sont les Etats-Unis bi-océaniques.
Les thalassocraties se sont établies, en réclamant, dès le 17ème siècle, la « liberté des mers », c’est-à-dire la liberté de circuler sur les océans et de maintenir libres de toute intervention les communications maritimes. La réponse à cela ne doit pas être un refus ou un rejet de la liberté des mers mais prendre la forme d’une revendication équivalente sur les terres : la liberté des peuples, dans un esprit multipolaire, d’organiser à leur guise la « liberté des terres », soit la liberté d’organiser les communications terrestres par tous moyens possibles : chemins de fer, canaux, navigation fluviale, etc.
En effet, la nouvelle guerre hybride, qui a commencé dès le Maïdan de Kiev en 2014 (avec le précédent de 2004) et qui a culminé avec l’opération militaire spéciale de février 2022, vise à bloquer les communications terrestres, à en ralentir la promotion, à ériger des murs et des barrières dans les endroits les plus stratégiques, notamment dans les « régions-portails ».
Pour n’évoquer que les régions périphériques de la Russie, je ne citerai que l’Arctique et le Corridor Economique de Transport Nord-Sud (de l’Inde à l’Iran et de celui-ci, via la Caspienne, à la Volga, la Mer Blanche et l’Arctique).
L’Arctique, vu d’Europe occidentale, et surtout depuis la Belgique et les Pays-Bas (les ports d’Anvers-Zeebrugge et Rotterdam), fait partie d’un écoumène comprenant la Mer du Nord, la Baltique, la Mer Blanche et l’Arctique. C’est généralement perçu comme un espace qui fut « hanséatique ». Les marins de nos pays ont toujours tenu à commercer avec Novgorod d’abord, avec la « Moscovie » ensuite, au départ des ports arctiques. L’Ukraine sert de prétexte au Deep State de l’anglosphère pour contrôler complètement ces régions : en effet, les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande (dirigée par une dame appartenant à la catégorie des « Young Global Leaders ») font de la Baltique une Méditerranée septentrionale sous la tutelle totale de Washington. Plus aucun Etat neutre n’est riverain de la Baltique. Et, l’Allemagne mise à part, la Pologne, volontairement inféodée aux Etats-Unis, constitue l’Etat riverain le plus peuplé et désormais le plus militarisé de cette mer intérieure du sous-continent européen.
Le sabotage des gazoducs germano-russes Nord Stream 1 & 2 plonge l’Etat le plus industrialisé du centre de l’Europe dans la récession économique, avec pour corollaire, la proclamation, par Biden, de l’IRA (Inflation Reduction Act), qui permet aux grandes entreprises européennes (et surtout allemandes) de migrer vers les Etats-Unis où le prix de l’énergie est maintenu à la baisse. Volkswagen a déjà entrepris sa migration vers les Etats-Unis : avec la gestion chaotique de l’immigration en Allemagne depuis 2015 sous Merkel, avec la récession sociale et les salaires insignifiants imposés par le système Hartz IV, le centre dynamique de l’Europe va imploser. Ce qui fut toujours un but de guerre de l’anglosphère.
Pendant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont acheminé du matériel militaire vers l’Union Soviétique envahie par voie maritime nord-atlantique en direction de Mourmansk et d’Archangelsk. De là, ce matériel était envoyé au front par les canaux partant de la Mer Blanche vers les lacs Onega et Ladoga puis vers l’intérieur des terres russes et vers la Volga. Ensuite, d’autres matériels, provenant des Indes britanniques transitaient par l’Océan indien, le chemin de fer transiranien, la Caspienne et la Volga. La victoire soviétique à Stalingrad a permis de maintenir intactes ces deux voies de communication. Aujourd’hui, le transit Arctique/Océan Indien demeure une nécessité pour un monde en paix. Le projet de le réanimer et de le consolider existe : c’est l’INSTC (International North-South Transport Corridor). Les troubles potentiels à fomenter dans le Caucase ou les tentatives de déstabiliser l’Iran (par une variante des révolutions de couleur) participent du sabotage général des projets multipolaires d’assurer la « liberté des terres ». L’otanisation de la Baltique et le sabotage des gazoducs font partie du même projet que le blocage de la « région-portail » ukrainienne. La volonté d’avancer les bases de l’OTAN dans le Donbass, vise à menacer la région de l’embouchure du Don, lié à la Volga par le Canal Lénine, donc à la Caspienne et au tracé de l’INSTC.
En 2011, les autorités belges et celles gérant le port d’Anvers, voulaient relier la ville portuaire flamande à la Chine. L’entreprise suisse HUPAC de construction de lignes ferroviaires était partie prenante dans le projet. Des négociations ont eu lieu à haut niveau entre Belges et Chinois, avec l’implication des autorités allemandes, russes et ukrainiennes. L’Ukraine devait, dans ce projet eurasien, jouer pleinement son rôle de « région-portail ». L’avantage pour nous était de réduire le temps de transport de moitié par rapport aux communications maritimes et de se projeter vers deux régions du monde : l’Afrique occidentale et l’Amérique ibérique. Comme Bruges au temps de la Hanse, nous aurions été la plaque tournante entre le commerce eurasien (déjà pratiqué par les Vikings, fondateurs de la ville) et le commerce avec la péninsule ibérique et l’Afrique du Nord. Ma position est de travailler à restaurer de tels projets, contre les saboteurs qui sont forcément des traitres à notre destin historique inscrit dans la géographie (à lire : http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2011/05/13/quand-les-belges-partent-a-la-conquete-de-la-chine.html ).
Pourquoi Bruxelles soutient-elle la politique de Biden en Ukraine si la quasi-totalité de l'Europe a déjà siphonné toutes les armes à envoyer aux Forces armées ukrainiennes (AFU) ?
L’eurocratie basée à Bruxelles et à Strasbourg est totalement inféodée à Washington. Depuis la timide ébauche d’un Axe Paris-Berlin-Moscou entre Chirac, Schröder et Poutine lors de l’attaque anglo-américaine contre l’Irak en 2003, les services américains se sont efforcés avec succès de remplacer les élites traditionnelles européennes et les diplomates de l’école réaliste par des personnages, généralement amusants comme Sarkozy, qui ont fait la politique des Etats-Unis. En effet, dès que Chirac a disparu de l’horizon politique français, Sarkozy s’est empressé de ramener son pays dans le giron de l’OTAN. Aujourd’hui, Macron est un homme issu des rangs des Young Global Leaders, attaché à l’agence McKinsey : il ne peut faire qu’une politique pro-américaine, en Ukraine comme ailleurs, en se débarrassant de tous les résidus de la diplomatie gaullienne qui survivaient encore vaille que vaille du temps de Chirac. En Allemagne, Schröder a été mis sur une voie de garage et sa participation à la réalisation de Nord Stream a fait qu’il a été victime d’une cabale au sein de son propre parti socialiste. Ce sont en effet les Verts qui sont désormais le fer de lance des Américains en Allemagne. Déjà Joschka Fischer avait prêché la guerre contre la Yougoslavie quand il était ministre des affaires étrangères. Annalena Baerbock, bien que membre du parti des Verts et donc théoriquement de « gauche », infléchit la politique étrangère de l’Allemagne vers celle des néoconservateurs américains autour de Nuland, Kagan et Wolfowitz. Les services américains disposent de personnages dans tous les milieux : les avatars des « nouveaux philosophes » avec Bernard-Henri Lévy en France, les anciens gauchistes avec Daniel Cohn-Bendit en France et en Allemagne, des néolibéraux délirants comme Guy Verhofstadt (qui a signé un livre avec Cohn-Bendit), les macronistes antigaulliens, des sociaux-démocrates à la Sanna Marin en Finlande (la fille est, comme Macron, une Young Global Leader, dont on ne perçoit pas très bien les compétences), les Verts allemands (chez qui tous les éléments neutraliste et pacifistes ont été éliminés) ou d’anciens néofascistes comme Giorgia Meloni (qui a renié ses promesses électorales et qui a fait une politique néoconservatrice dès son accession au pouvoir). On voit poindre à l’horizon de nouveaux candidats à de tels aggiornamenti dans les cercles de gauche comme de droite depuis le déclenchement de l’Opération militaire spéciale.
Pour moi, l’affaiblissement des armées européennes est voulu : pour le Deep State américain, aucune armée moderne efficace ne peut survivre en dehors de l’US Army ; l’hémorragie du matériel militaire des Etats européens membres de l’OTAN, au profit de l’Ukraine de Zelensky, aura tout simplement pour résultat que, pour remplir à nouveaux les arsenaux, les Etats membres de l’OTAN, surtout ceux qui sont appelés à former l’Intermarium rêvé par les Polonais, devront acheter du matériel américain. Déjà, une dépêche est tombée ce matin : les Estoniens ont livré leurs matériels anciens aux Ukrainiens mais ont facturé au plein prix l’achat de nouveaux matériels à l’Europe de Bruxelles ! La corruption bénéficie de la situation !
L’objectif d’affaiblir les arsenaux européens ne date pas d’hier : les « ventes du siècle » dans les années 1970, quand les Américains ont livré aux pays du Benelux et de la Scandinavie les fameux F-16, c’était au détriment de l’aéronautique française (Bloch-Dassault) et suédoise (SAAB). L’opération s’est répétée très récemment avec le F-35.
Selon nos informations, une grande partie des pays européens connaissent de graves difficultés économiques et financières à cause des politiques pro-américaines. Y a-t-il une prise de conscience en Europe que c'est la faute des États-Unis et non de la Russie et de Poutine ?
Les difficultés économiques sont évidentes dès le moment où des sanctions frappent le premier fournisseur d’énergie des pays européens, entraînant une augmentation vertigineuse du prix de l’énergie. Le sabotage des gazoducs de la Baltique vise évidemment à pérenniser cette situation. Délibérément, les forces occidentalo-atlantistes cherchent à ruiner l’Europe et à contenir la Russie (tout en grignotant son territoire sur des franges hautement stratégiques). Que les Russes sachent bien que l’Europe, en ses dynamiques profondes, en son idéologie parfois traditionnelle parfois socialiste, n’est pas l’Occident, mixte de déviances religieuses puritaines, d’idéologie whig (rationalisation apparente de ces déviances protestantes) et d’hystérie jacobine sur le mode français : ce sont les tenants de ces délires religieux et libéraux qui ont déclaré la guerre aux puissances qui souhaitent l’avènement d’un monde multipolaire. Aujourd’hui, ces déviances ont pour nom et pour avatar le wokisme des dems américains, le néolibéralisme outrancier à la Macron, le néoconservatisme de Nuland et Kagan et les délires des Verts allemands (rejeté à 85% par la population berlinoise suite à un sondage très récent). Cette situation ne convient à personne dans le Vieux Monde, eurasien et méditerranéen. La vie quotidienne, qui avait déjà été pourrie par les mesures de confinement en 2020, connait un recul inquiétant en qualité : les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter, en même temps que le prix de l’énergie et du carburant pour les véhicules. Les entreprises ferment, incapables de payer les notes de gaz et d’électricité. Le chauffage est diminué dans les cafés et restaurants, où les pauvres viennent chercher une chaleur qu’ils ne peuvent plus se payer à domicile. Le libéralisme occidental se voulait « société d’abondance » et non de pénurie. C’est exactement l’inverse qui se produit aujourd’hui dans nos pays.
Cependant, la propagande, massive dans les médias publics et privés, camoufle cette situation en occultant le réel et en parlant sans cesse de non-événements, tel les entretiens qu’accorde une ministre de Macron à la revue Playboy, telle la généralisation de l’usage de trottinettes dans les grandes villes ou la nécessité de manger des insectes. Les masses sont déboussolées et seuls quelques lucides se rendent compte que la situation ira en se dégradant au fil du temps. Les sanctions ont et auront un effet désastreux.
Qui, selon vous, est le plus intéressé par une résolution pacifique du conflit ukrainien ? La Russie, les États-Unis, l'Ukraine, l'Union européenne ? Pourquoi ?
Les pays intéressés par une solution pacifique sont évidemment ceux qui ont intérêt à ce que les voies de communication terrestres tel le projet « Belt & Road » chinois, l’INSTC prévu par l’Inde, l’Iran, l’Azerbaïdjan et la Russie, les Etats qui pourraient bénéficier d’un élargissement de la voie maritime arctique, tous les Etats européens qui bénéficiaient du gaz russe bon marché, etc. Il est évident que les peuples d’Ukraine, sans exception, auraient intérêt à ce que cesse cette guerre et que leur pays trouve son rôle de « gateway region », de pays de transit entre l’Europe et l’Asie profonde, entre la Scandinavie et la Méditerranée. L’Europe réelle, débarrassée de son personnel eurocratique, serait également bénéficiaire d’une paix durable en cette région du monde. L’Afrique (et l’Egypte) et la Turquie verraient leurs approvisionnements en maïs et en blé garantis sur le long terme.
Les Britanniques savent-ils pourquoi la Russie se bat en Ukraine ? Comprennent-ils que la guerre dure depuis 2014, que le non-respect par l'Ukraine des accords de Minsk et le soutien des principaux pays occidentaux à l'Ukraine pour qu'elle s'y conforme ont conduit à ce conflit ?
La stratégie de l’endiguement de la Russie est une vieille stratégie britannique, pensée dès la conquête de la Crimée par les armées de Catherine II. Elle se concrétisera lors de la guerre de Crimée de 1853 à 1856. La Crimée aux mains des Russes était un casus belli pour l’impérialisme britannique du 19ème siècle. Il l’est aujourd’hui pour l’Etat profond américain qui a repris toutes ces stratégies thalassocratiques à son compte et les a incluses dans les visions bellicistes néoconservatrices. La guerre de Crimée a été perdue pour les Russes parce que l’acheminement de troupes par voies terrestres était trop lent et trop compliqué : l’envoi de troupes par mer était plus rapide. La construction du Transsibérien rendait les opérations logistiques plus aisées : du coup, immédiatement après la mise en service de cette voie ferrée transeurasienne, le géographe MacKinder énonce sa théorie du Heartland inaccessible aux blocus navals et qu’il faut contenir aussi loin possible des littoraux atlantiques, indiens et pacifiques. Quelques années plus tard, Homer Lea, géopolitologue et stratège américain, partisan de l’alliance définitive entre l’Empire britannique et les Etats-Unis, met au point, dans son livre The Day of the Saxons, les plans du « containment », stipulant notamment que la zone d’influence russe ne peut pas dépasser la ligne Téhéran/Kaboul ; pour Lea, la Chine républicaine de Sun Ya Tsen devait être une partie du Rimland contrôlé par les « Saxons » et l’Allemagne devait être tenue éloignée des littoraux de la Mer du Nord (la poussant paradoxalement dans une alliance avec la Russie à la veille de la première guerre mondiale !). Ce sont toujours les théories de MacKinder et de Lea qui animent, en leurs versions modernisées par Spykman notamment, les stratégies de l’OTAN. Celles-ci s’appliquent à la Russie quel que soit le régime politique qui la gouverne. En ce sens, on peut parler d’une continuité de l’histoire russe.
Quant à savoir si les Britanniques de base, si l’homme de la rue dans les villes et les campagnes anglaises, se rendent compte ou non des enjeux de la guerre actuelle en Ukraine, je ne peux pas vous répondre : je ne suis plus allé à Londres depuis 2008 (et je n’y suis alors resté qu’un seul jour !). Cependant, il faut tout de même souligner la crise que traverse la Grande-Bretagne aujourd’hui, avec le risque de sécession de l’Ecosse, avec les effets quasi nuls du Brexit, avec une société gangrénée par le wokisme et la cancel culture (qui s’attaque aux meilleures productions de la culture et de la littérature anglaises), par un tissu social détruit par le thatchérisme et ses avatars ultérieurs, etc. Il n’y a certainement plus de modèle anglais à exporter.
Je vous rappelle tout de même que Merkel elle-même a avoué publiquement que personne, parmi les dirigeants occidentaux et parmi les Européens occidentalisés, n’avait l’intention de respecter les accords de Minsk, alors que ceux-ci prévoyaient la fédéralisation de l’Ukraine et son statut de neutralité, comparable à celui de la Finlande après la seconde guerre mondiale. Or les modalités prévues lors de ces accords de Minsk auraient préservé le statut de « gateway region » de l’Ukraine au bénéfice de tous, aurait permis au complexe hydrographique Mer d’Azov/Don/Volga de fonctionner dans tous les sens, une fois de plus au bénéfice de tous. C’est ce fonctionnement sans heurts que ne veulent pas les stratèges thalassocratiques conventionnels, le Deep State et les néoconservateurs bellicistes. Merkel et Hollande ont joué le rôle de figurants impuissants dans un scénario qui était dicté par ces forces négatives. Toute réédition potentielle de l’Axe informel Paris-Berlin-Moscoua été réduite à néant, une Axe où les dirigeants de la France et de l’Allemagne auraient eu leur mot à dire dans les affaires européennes et auraient pu agir dans les intérêts réels de leurs peuples.
Il n’est plus possible de raisonner dans les termes dictés par le contexte délétère de la seconde guerre mondiale, où l’on campe la Russie actuelle comme une URSS agressive prête à bondir sur l’Europe et une Europe condamnée à se défendre. La seconde guerre mondiale a prouvé l’unité géostratégique de tout l’espace sis entre l’Algarve portugaise et le quadrilatère de Magnitogorsk au sud de l’Oural. Elle a prouvé aussi la nécessité de l’artère stratégique entre l’Arctique et l’Iran. Toutes les forces positives, en Europe et en Russie, doivent s’unir pour faire fonctionner les corridors de communications (Rhin-Alpes, Rhin Danube, Baltique/Adriatique, Arctique/Caspienne, etc.) que la guerre actuelle bloque irrémédiablement et que toute réactivation des conflits dans le Caucase du Sud bloquerait encore davantage. Ces forces positives doivent faire converger leurs réalisations avec les projets chinois dits « Belt & Road Initiative ».
Une partie importante des forces armées ukrainiennes (AFU) adhère ouvertement aux idées nazies. Cela est évident à la fois dans leurs attributs et dans leur interprétation déformée de l'histoire et des résultats de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi l'Europe soutient-elle le régime nazi, contrairement à ses propres lois ?
Les allusions au nazisme en Ukraine laissent les observateurs lucides d’Europe occidentale pantois. Les anciens, qui ont vécu l’époque où le national-socialisme régnait sur l’Allemagne et sur les pays occupés par les armées de Hitler, n’ont tout de même pas le souvenir de ce folklore sinistre avec des torses masculins tatoués et une « musique » faite de fracas épouvantables. Les nazistes ukrainiens font penser aux Maras du Salvador en Amérique centrale, qui, eux aussi, furent manipulés par des forces extérieures au pays. Ce « nazisme » à Kiev est comparable à toutes ces formes de « contre-culture » nées dans les pays anglo-saxons depuis les années 1950. Dans les années 1980, et encore au début des années 1990, on trouvait en Europe occidentale une contre-culture malsaine, dite « skinhead », qui a décrédibilisé les mouvances nationales dans tous les pays où elle s’est manifestée. Les services secrets s’en servaient d’ailleurs pour cela, pour effrayer le citoyen normal, pour l’induire à ne pas voter pour de nouveaux partis (de gauche ou de droite). Aujourd’hui, cette « contre-culture » n’est plus nécessaire : les services peuvent manipuler plus adroitement les élections, en trafiquant le vote électronique ou en avançant des politiciens qui promettent un changement mais s’alignent sur le système, une fois élu (Sarkozy, Meloni). Cette « contre-culture » de violence verbale, de signes agressifs comme les tatouages de runes ou de croix gammées (ou d’autres chez les Maras salvadoriens), de musique cacophonique, est tolérée en Ukraine parce qu’elle a permis le recrutement de soldats dans la lutte contre les russophones du Donbass. Elle ne serait pas tolérée en Europe occidentale car assimilée, à tort ou à raison, à l’occupant allemand de la seconde guerre mondiale.
17:08 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Entretiens, Géopolitique, Synergies européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert steuckers, entretien, géopolitique, russie, ukraine, europe, affaires européennes, politique internationale, synergies européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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