Voici un livre qui ne risque pas de susciter le scandale. C’est qu’il se situe résolument dans le camp du Bien. Tout a commencé, nous dit Jérôme Garcin, dans les années 80 lorsqu’il s’irrita d’une certaine fascination du public et du milieu éditorial pour les écrivains collabos. Il s’agit alors de faire contrepoids en valorisant les écrivains qui, pendant les années noires, firent le bon choix. D’autant, déplorait-il, qu’ils n’étaient plus lus car non réédités. Ainsi écrira-t-il un hommage à Jean Prévost, mort les armes à la main dans le maquis du Vercors, puis un autre à Jacques Lusseyran, étudiant résistant.
Dans une récente interview, il déclare que Decour, Prévost et Lusseyran sont ses “auteurs de chevet ”. Leurs livres seraient donc ceux qui ont sa préférence et qu’il relit souvent – ce qui est la définition même du livre de chevet ? Il est juste de rendre hommage à ces personnes dignes d’admiration pour leur courage et leur sacrifice. Et je veux bien admettre qu’ils ont écrit chacun l’un ou l’autre ouvrage de valeur. Mais que pèsent-ils littérairement face à Céline, Morand, Drieu et même Chardonne ? Sans parler du Rebatet des Deux étendards… Il faut admettre que le constat doit être pénible pour ces critiques bien-pensants devant se résoudre à l’idée que, dans ces années-là, le talent était à droite, et parfois même très à droite.
Au grand dam de Garcin, ce sont ces auteurs-là qui suscitent des biographies et de savantes exégèses, en plus d’être édités, pour les plus grands d’entre eux, sur papier bible. C’est que la Bibliothèque de la Pléiade n’est pas la bibliothèque rose et qu’un écrivain ne peut être réduit à son engagement politique. Je connais mal l’œuvre de Prévost, Decour et Lusseyran mais je ne suis pas certain de trouver chez eux les bonheurs d’expression manifestant un art stylistique comparable à celui de ces écrivains maudits.
Lorsque Drieu est entré dans la Pléiade, un historien a dénoncé une tentative de « réévaluer le fascisme français » tandis qu’un autre tança Gallimard pour « cette tradition de publier des auteurs sulfureux ». Tout cela est dérisoire. En matière littéraire, le seul critère décisif est le talent, que l’on soit stalinien, comme Aragon ou Vailland, – ou fasciste. On est gêné de rappeler une telle évidence. Par ailleurs Garcin ne craint pas d’énoncer des contrevérités. Ainsi lorsqu’il affirme que Céline s’est renié, reprenant l’antienne des ultras de la collaboration qui le vouèrent aux gémonies à la parution de D’un château l’autre. Il suffit de relire les entretiens accordés à Dumayet, Zbinden et Parinaud pour voir qu’il n’en est rien. Garcin estime aussi que De Gaulle a eu tort de ne pas gracier Brasillach. On se dit alors qu’en étant hostile à la peine de mort, il demeure fidèle à ses convictions humanistes. Pas du tout : son seul regret est que cette mort en ait fait un “martyr de l’épuration ”. Au moins concède-t-il que, si l’on s’intéresse à la littérature, on ne peut pas ne pas lire Céline même si ses romans sont parsemés de propos choquants, voire odieux. Constat qui amène une universitaire à le bannir de ses cours : « Nous sommes nombreux à choisir de ne pas l’enseigner car les paroles haineuses de Céline ne se lisent pas que dans ses pamphlets ¹. »
• Jérôme GARCIN, Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation), Gallimard, coll. “La part des autres”, 2024, 166 p. (18,50 €)
- (1) Tiphaine Samoyault, Le Monde, 11 janvier 2018. Citée par Gisèle Sapiro in Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur, Le Seuil, coll. “Points”, 2024 [édition augmentée], p. 38.
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