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mardi, 04 mars 2025

Quand Victor Hugo entrevoit l’horreur architecturale

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Quand Victor Hugo entrevoit l’horreur architecturale

Nicolas Bonnal

L’horreur architecturale s’est reproduite partout sur notre pauvre terre, la recouvrant de tours de Babel. Plus aucune ville n’est reconnaissable, toutes se flattant de reproduire le squelette du business cosmopolite. On attend que Tom Cruise en fasse l’escalade dans ses missions pas possibles, et puis on est content à Dubaï ou à Shanghai pendant qu’au pied du débris minéral se serrent les cohortes des fourmis motorisées qui rêvent de retrouver leur télé ou leur caisse de supermarché.

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En relisant Notre-Dame de Paris je me suis toutefois consolé : la catastrophe avait eu lieu bien avant Manhattan ! On se souvient que Hugo se lance dans une de ses digressions philosophiques dont il a le secret, et qui nous ouvre un pan de pensée sur l’infini. Dans le chapitre Deux du livre Cinquième il explique que l’architecture était jusqu’à la fin du moyen âge le grand livre de l’humanité. Et que c’est pour cela aussi que l’on construisit autant d’églises au moyen âge : elles étaient des lieux d’expression, voire de contestation !

« La pensée alors n’était libre que de cette façon, aussi ne s’écrivait-elle tout entière que sur ces livres qu’on appelait édifices….

Aussi n’ayant que cette voie, la maçonnerie, pour se faire jour, elle s’y précipitait de toutes parts. De là l’immense quantité de cathédrales qui ont couvert l’Europe, nombre si prodigieux qu’on y croit à peine, même après l’avoir vérifié…

De cette manière, sous prétexte de bâtir des églises à Dieu, l’art se développait dans des proportions magnifiques. »

Il est vrai que l’on peut passer des heures dans une église médiévale, dans une cathédrale, même s’il faut se munir des guides savants ou des livres d’alchimie…

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Mais vient l’imprimerie. Et c’est le chant du signe, si j’ose dire. Et ici Hugo que l’on présente toujours comme le grand progressiste de service se fait pessimiste, comme tant d’écrivains catholiques de haute époque (Bloy, Bonald, Bernanos…). On est en 1830, avant le verbiage humanitaire. Mais savourez ces tours et pensez à nos châteaux Louis XIII-Louis XIV etc. si tristes finalement :

« Aussi voyez comme à partir de la découverte de l’imprimerie l’architecture se dessèche peu à peu, s’atrophie et se dénude. Comme on sent que l’eau baisse, que la sève s’en va, que la pensée des temps et des peuples se retire d’elle ! »

La fin du moyen âge suppose ici pour Hugo une fin du génie national et un début de la mondialisation de l’horreur architecturale. C’est le retour au préjugé classique, comme disait Guénon, celui de l’empire niveleur romain ou alexandrin. Ici il rejoint Burckhardt, Schuon et même Spengler qui tape si fort sur la renaissance.

« Mais, dès le seizième siècle, la maladie de l’architecture est visible ; elle n’exprime déjà plus essentiellement la société ; elle se fait misérablement art classique ; de gauloise, d’européenne, d’indigène, elle devient grecque et romaine, de vraie et de moderne, pseudo-antique. C’est cette décadence qu’on appelle renaissance. »

Oublié le génie du moyen âge. Et le jeune auteur des géniales Orientales va encore plus loin :

« L’architecture se dépouille, elle s’effeuille, elle maigrit à vue d’œil. Elle est mesquine, elle est pauvre, elle est nulle… Elle appelle des manœuvres à défaut d’artistes. La vitre remplace le vitrail. Adieu toute sève, toute originalité, toute vie, toute intelligence. »

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Le génie national et médiéval disparu (Hugo préfère le gothique au roman, à la fois pour des raisons politiques et esthétiques, il ne reste à l’artiste qu’à constater la montée de la géométrie qui enchantait les Grecs (Nerval dénoncera notre préjugé classique et notre oubli celtique).

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« À partir de François II, la forme architecturale de l’édifice s’efface de plus en plus et laisse saillir la forme géométrique, comme la charpente osseuse d’un malade amaigri. Les belles lignes de l’art font place aux froides et inexorables lignes du géomètre. Un édifice n’est plus un édifice, c’est un polyèdre. L’architecture cependant se tourmente pour cacher cette nudité. »

La transformation de l’édifice en polyèdre, c’est aussi – et le pauvre Hugo n’est pas là pour le voir – la transformation de l’Europe en bric-à-brac d’infrastructures et règlements, et aussi la transformation progressive de la France en hexagone. Le squelette mathématique pétrifie le monde depuis les ingénieurs de la Renaissance et l’horreur de leur architecture. Et le peuple des cités ou des condominiums a remplacé celui des bâtisseurs de cathédrales. On comprend l’hommage romantique au Moyen Age.

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