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vendredi, 21 mars 2025

Rencontre d’Éric Rohmer et de Jean Parvulesco

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Rencontre d’Éric Rohmer et de Jean Parvulesco

Nicolas Bonnal

Jean Parvulesco a traversé l’âge doré du cinéma français (les années soixante et soixante-dix donc) comme un agent secret et un grand initié discret. Tous ces maîtres plus ou moins célébrés et reconnus réveillèrent une France cinématographique endormie par l’académisme de l’après-guerre (Lourcelles…) et l’Amérique. Et c’est elle qui se mit à inspirer l’Amérique, le tout grâce à un savant et pétillant mélange d’avant-gardisme et d’esprit réactionnaire (voyez notre texte sur la nouvelle vague). La France sous coupe réglée technocratique commençait à disparaître mais il restait quelque chose à anéantir encore. Cet heureux temps n’est plus.

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Jean me disait que l’autre lui devait tout, lui et bien d’autres encore. Il est clair en tout cas qu’ils ne surent ou ne voulurent pas l’utiliser, et que celui qui eût mieux pu le révéler était Rivette, et son obsession pour les conspirations et les mondes secrets. Toujours est-il que personne ou presque n’a vu Rivette et qu’en Amérique du sud j’ai pu voir ou revoir dans les Alliances françaises (que ce mot fait vétuste…) tous les Rohmer qui, en tant qu’ancien prof, avait bien su se faire distribuer. Il y avait d’un côté l’élitisme discret, de l’autre, cette popularité de festival, qui s’interrompit le jour où notre courageux géant régla son compte à notre Révolution dans l’Anglaise et le duc. Là les yeux de certains se dessillèrent et on tempêta contre l’intrus qui remettait en cause l’essentiel : la dictature culturelle de la gauche caviar.

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Envoutant et petit-bourgeois (je le dis presque élogieusement), le cinéma d’Éric Rohmer a célébré la terre de France comme personne, arpentant souvent du reste des lieux que je connaissais (que nous connaissions tous) enfant, quand ils n’étaient pas encore trop profanés (car le temps de Farrebique est loin…) : on eut le lac d’Annecy dans le Genou de Claire, le jardin des Buttes-Chaumont dans la Femme de l’aviateur, le coin de Ramatuelle dans la Collectionneuse, la région de Clermont dans ma Nuit chez Maud, plus grise et sinistre, encore industrielle. N’oublions pas Dinard et Saint-Malo dans Pauline ou le Conte d’été, le meilleur de la série.

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Rohmer a le mieux exprimé son lien avec les paysages et la géographie sacrée, façon Jean Phaure, dans le Rayon vert, tourné au pays basque et à Biarritz. J’avais lu le roman initiatique et voyageur de Jules Verne grâce à Gilbert Lamy et remis mon exemplaire à Jean, qui ne l’avait pas connu jusque-là. Ce film montre admirablement le basculement enchanteur de la dépression, du monde qui ne signifie rien, à celui de la géographie magique et du sixième sens amoureux.

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Éric Rohmer essayait de se protéger en protégeant la France avec sa caméra : c’est là que l’on redécouvre Reinette et Mirabelle, l’Arbre, le Maire et la Médiathèque, qui narre la lutte de l’inévitable Lucchini contre la mégalomanie bâtisseuse des années Mitterrand. Dans ce film de résistance politique, on découvre Parvulesco s’entretenant sur le « grand initié » qui se situe « dans ma dialectique à la droite de l’extrême-droite ». C’est vrai que depuis le départ de Mitterrand on a senti une accélération du processus de désintégration ontologique et physique de la France : effets de la construction européenne et du départ de ce bienveillant protecteur qui entretenait aussi une relation magique et tellurique avec sa terre.

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Le cinéma de Rohmer avait une dimension magique et tellurique, presque initiatique. On le comprenait par la beauté des images de Nestor Almendros (photo) qui malheureusement se sépara du maître au cours des années 80. La splendeur des images de Perceval (plus grande entreprise cinématographique de l’époque avec Apocalypse now, avait dit Joël Magny), de Claire et de l’incroyable Marquise d’Ô en témoignent. Dans son beau livre de mémoires Almendros, artiste hispano-cubain promis à un bel oscar pour le meilleur Malik, raconte que même le directeur de la photo de Kubrick, John Alcott en personne, lui avait demandé comment il s’y était pris pour ses fameux (mais moins que ceux de Barry Lyndon) éclairages à la bougie ; et on se prend comme Jünger à regretter Soixante-dix qui s’efface. Epoque libre, libertaire, païenne, aventurière (ô les Odyssées de Schroeder, autre ami de Parvulesco)…, les Seventies nostalgiques souvent et rebelles toujours se révèlent comme notre préhistoire maintenant. En marge du cinéma libre et des grands westerns révisionnistes, C’est THX 1138, Woody et les robots ou Roller Ball qui ont triomphé, et bientôt Soleil vert.

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La décennie soixante-dix, c’est aussi l’époque de Tarkovski cet autre maître traditionnel perdu dans l’entropie du système soviétique agonisant (et tolérant, finalement, comme je l’ai montré dans mon livre sur le folklore dans le cinéma soviétique). Le grand cinéma d’auteur européen disparaissait, qui avait génialement suppléé à l’effondrement de la Tradition : revoyez dans ce sens l’abominable début du Ginger et Fred de Fellini qui montre que l’Italie a disparu comme ça, en quelques années, au début des années 80. Fini son cinéma aussi comme on sait.

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Rohmer n’était pas un pleurnichard et, lui, il a tenu bon en célébrant jusqu’à la fin (j’allais écrire la faim) le vieux Paris, les villes nouvelles pour jeunes enracinés (L’ami de mon amie), les avanies de nos territoires protocolaires. C’est là que son ami Paul Virilio écrivit :

« Je considère qu’après la dissuasion militaire (Est-Ouest), qui a duré une quarantaine d’années, nous sommes entrés, avec la mondialisation, dans l’ère d’une dissuasion civile, c’est-à-dire globale. D’où les interdits si nombreux qui se multiplient aujourd’hui (exemples : un des acteurs de La Cage aux folles déclarant qu’aujourd’hui on ne pourrait plus tourner ce film ; ou mon ami Éric Rohmer à qui son film, L’Astrée, a valu un procès, un président de conseil régional l’attaquant pour avoir déclaré que L’Astrée — le film — n’a pu être tourné sur les lieux du récit engloutis par l’urbanisation, tu te rends compte ?). Donc je suis très sensible au fait que nous sommes des Dissuadés. »

Que le pauvre Rohmer ait été poursuivi pour avoir simplement déclaré que nous avions saccagé ou fait disparaître nos paysages est finalement un hommage rendu à sa grandeur et à son courage.

Pour le reste il faut aussi comprendre qu’il est trop tard pour s’adonner à la pleurnicherie nostalgique. Nous sommes trop avancés dans le néant pour ça, en France ou ailleurs.

Si j’avais un moment de Rohmer à recommander, pour terminer sur une note plus sereine, ce serait l’Heure bleue. C’est l’heure la plus silencieuse de Zarathoustra mise à portée des jeunes filles en fleur, ou le coin où l’espace et le temps se touchent, comme dit Guénon en évoquant Wagner.

Sources:

https://www.dedefensa.org/article/paul-virilio-et-lere-de...

https://www.dedefensa.org/article/parvulesco-et-le-secret...

https://www.dedefensa.org/article/nouvelle-celebration-de...

 

 

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