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mardi, 08 avril 2025

La jeunesse politique de Thomas Owen (1910-2002)

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La jeunesse politique de Thomas Owen (1910-2002)

par Daniel Cologne

Gérald Bertot naît le 22 juillet 1910 à Louvain. Il entreprend aux Facultés universitaires Saint-Louis, à Bruxelles, des études de droit dont certains aspects pragmatiques lui permettent de collaborer dès 1933 à la gestion du Moulin des Trois Fontaines (Vilvorde, banlieue Nord de Bruxelles). Il fait carrière dans la minoterie. En 1953, il est élu président de l’Association des meuniers belges. À l’époque, il a déjà derrière lui un nombre considérable d’écrits dans les catégories du journalisme politique (sous son patronyme), du récit policier ou fantastique (sous le pseudonyme de Thomas Owen) et de la critique d’art (sous le pseudonyme de Stéphane Rey).

Brillant représentant de ce que Jean-Baptiste Baronian appelle « l’école belge de l’étrange », Thomas Owen publie notamment Les maisons suspectes et autres contes fantastiques (1) et La Truie et autres histoires secrètes (2). Une dizaine d’années avant son décès (survenu le 2 mars 2002), il accorde un long entretien à un jeune universitaire qui lui consacre son mémoire et qui, parlant du talentueux polygraphe, l’évoque en ces termes : « Inépuisablement à l’affût des faiblesses humaines, jamais il ne juge ni n’impose ses pensées, étant lui-même sceptique et rebelle aux connaissances dogmatiques. » (3)

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Pourtant, cet homme à la grande ouverture d’esprit, dont la devise est « Tout comprendre pour tout pardonner », pourrait aisément être versé au nombre des  « révolutionnaires-conservateurs » des années 1930, voire à celui des adhérents à « l’aile dangereuse de la Jeune Droite ».

Gérald Bertot fait ses débuts littéraires en 1925 dans Le Blé qui lève, organe de la JUC (Jeunesse universitaire catholique). En 1930, il fonde La Parole universitaire. La même année, il devient rédacteur en chef de L’Universitaire catholique, tout en collaborant à des revues comme L’Autorité, dont l’intitulé même illustre le mot d’ordre : « Pas de compromission ». Gérald Bertot le concède : « Nous étions très rigoristes sur le plan de la position catholique […]. On nous considérerait probablement aujourd’hui comme des intégristes » (propos tenus en 1993).

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Anne Deckers confirme : « Tous ses textes de jeunesse, qu’ils soient critiques littéraires ou autres, restent très (trop ?) respectueux de la religion en dépit de leur vernis révolutionnaire et de leur ton de violente franchise ».

À Gérald Bertot, le catholicisme apparaît comme un ensemble de « trésors temporels et spirituels » constituant « le plus lumineux héritage à léguer aux temps à venir ». Il écrit encore cela en 1934. Mais vers 1936, il s’indigne devant   « le massacre qu’ils [les catholiques] font des plus nobles idées » et leur reproche de plus en plus leur « incompréhension du problème social », leurs « tâtonnements multiples », leurs « hésitations écœurantes », leur propension à se catamorphoser en une « ligue de bourgeois assouvis, attentifs à l’âme des petits, à la moralité des conscrits, mais trop longtemps insouciants du sort matériel et moral des travailleurs ».

Dans un article retentissant de l’été 1936, Gérald Bertot fait l’inventaire des « Fastes et faiblesses du parti catholique », l’accuse de se laisser contaminer par le « profitariat », grande maladie de l’après-guerre, le vitupère dans la mesure où il « restaure à coup de compromissions et de lâchetés » l’ordre ancien assimilé à un « édifice de plâtre » dont « il faut hâter l’écroulement ».

Chez le futur Thomas Owen affleure parfois l’impatience de participer à l’édification d’un « ordre nouveau ». Il n’est donc pas surprenant de trouver sous sa plume un éloge de Mussolini qui répand de « saines théories » de « renouveau social et politique ». Le jeune chroniqueur admire « la force qui se dégage de la personnalité du chef d’État italien ».

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Après l’Anschluss, Gérald Bertot prend ses distances par rapport à une Allemagne pour laquelle sa durable sympathie s’enracine dans une inébranlable conviction pacifiste et dans la dénonciation de l’iniquité du traité de Versailles. Il se déclare « convaincu de la lourde responsabilité des alliés dans le durcissement de l’Allemagne ». Il s’attaque à Romain Rolland et à son enthousiasme aveugle pour « la plus fragile trilogie de notre temps, le bloc France - Angleterre - URSS ». Le marxisme demeure son ennemi numéro un tout au long de la décennie 1930. Il qualifie de « folie pure » l’idolâtrie de la « collectivité abstraite ». Il décrit « l’esprit révolutionnaire » comme un pseudo-idéal « creux, vide autant d’héroïsme que de signification claire ». Dans la citation qui précède, c’est moi qui souligne, car à travers l’aspiration à la clarté, je pense mettre le doigt sur  « l’équation personnelle » du jeune journaliste politique en même temps que sur la meilleure raison de le relire d’un œil favorable. l’ordre nouveau doit se construire « par voie d’évolution raisonnée », écrit Gérald Bertot, pour qui la  « culture personnelle » et la « doctrine précise » sont les « seuls garants d’une action efficace et durable dans l’avenir ». Il ajoute pertinemment que « l’esprit ne peut perdre ses droits sous prétexte que le temps passe ».

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La Seconde Guerre mondiale brise chez Gérald Bertot l’appel gœthéen vers « plus de lumière » et le rêve kantien d’une « paix perpétuelle ». Thomas Owen se réfugie dans l’imaginaire, l’autre témoignage d’une nordicité qui imprègne la littérature belge de langue française de Charles De Coster à Jacques Brel. Le critique d’art Stéphane Rey demeure un grand classique amoureux des formes accomplies, peu perméables aux charmes douteux de l’abstraction - même baptisé « lyrique » - et à la trouble séduction d’un art « non-figuratif » que l’on devrait souvent vilipender comme un art défiguratif.

Que retenir de la préhistoire juvénile et politique de Thomas Owen ? Par delà son refoulement dégoûté du « régime pourri […] des politiciens sans sincérité », son aversion pour la nationalisme post-14-18 et ses aigres parfums de revanche, l’horreur que lui inspire la pseudo-religion marxiste, il faut voir en lui un « non conformiste des années Trente », un jeune catholique se débarrassant rapidement des préjugés de sa famille spirituelle d’origine et se hissant à la vision d’un « ordre nouveau » fondé « sur des principes immuables ». Ces « principes immuables » auraient pu s’articuler autour d’une identité européenne, via la réconciliation avec l’Allemagne, s’il s’était trouvé plus de gens pour « hurler que la guerre était avant tout idiote, que c’était indigne des hommes de l’avoir faite et que ce serait immonde de la recommencer ».

Voilà ce qu’écrit en 1937 un jeune « révolutionnaire-conservateur », à la fois « à droite » et « à gauche », qui s’apparente tantôt à Léon Daudet lorsqu’il honnit « le siècle plat » (le « stupide XIXe siècle »), tantôt à José Antonio Primo de Rivera à l’unisson duquel il pourrait clamer que « l’action sans pensée n’est que barbarie », tantôt à Jacques Prévert qui nous rappelle tout simplement, dans un poème mis en musique et chanté par Yves Montand : « Quelle connerie, la guerre ! »

Daniel Cologne

Notes

1 : Verviers, Éditions Marabout, 1978.

2 : Bruxelles, Éditions Labor, 1988.

3 : Anne Deckers, Thomas Owen ou La Force du regard, Université libre de Bruxelles, année académique 1992 - 1993, p. 183. Ce mémoire mériterait d’être édité. Les citations qui suivent sont extraites du premier chapitre (pp. 2 à 24) consacré à la jeunesse de Gérald Bertot devenu Thomas Owen en 1941.

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