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vendredi, 23 mai 2025

Enquêter, condamner, interdire. La démocratie selon l'UE

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Enquêter, condamner, interdire. La démocratie selon l'UE

par Mario Landolfi

Source: https://www.destra.it/home/indagare-condannare-proibire-l...

Vous souvenez-vous de la célèbre phrase de Voltaire (« Je désapprouve ce que vous dites mais je défendrai jusqu'à la mort votre droit de le dire ») répétée jusqu'à l'épuisement pour la plus grande gloire des principes de tolérance, de démocratie et de coexistence civilisée ? Eh bien, il faudra s'habituer à ne plus l'entendre car il est en train de disparaître et sera bientôt complètement obsolète. Oui, les temps sont en train de changer. C'est certain. Même dans ce paradis artificiel de règles parfaites, de principes inébranlables et d'unanimité intouchable que nous appelons l'Union européenne, mais qui n'est que la parodie bureaucratico-techno-financière de l'Europe. Même là, l'irrésistible Voltaire semble destiné à céder la place au Big Brother d'orwellienne mémoire, et alors tant pis pour la démocratie et la souveraineté populaire. Et tout cela se passe - c'est là tout le paradoxe - dans un climat d'inquiétude permanente face à l'habituel « fascisme rampant » et au milieu d'une croisade interdite par les démocraties pour arracher l'Ukraine aux griffes de l'Ours russe. C'est donc, purement, de la foutaise.

La vérité est que les classes dirigeantes européennes commencent à considérer la souveraineté populaire comme un facteur de risque sérieux pour le pouvoir établi. Mais au lieu d'analyser les causes profondes qui poussent des masses toujours plus grandes de citoyens vers les partis anti-système, elles préfèrent désigner ces citoyens comme de dangereux extrémistes. Ils confondent ainsi l'effet et la cause. En pratique, c'est comme si l'on s'en prenait au thermomètre lorsqu'il indique de la fièvre. Il faut donc continuer à fouler les procédures aux pieds, à triturer les lois et à modifier la constitution alors que des réponses politiques sont nécessaires. La gauche l'a fait au Danemark avec des interventions sérieuses et sévères dans la problématique de l'immigration, et ce n'est pas un hasard si cette gauche-là jouit d'une excellente santé politique. Le reste n'est que criailleries qui, de la France à l'Allemagne, en passant par la Roumanie, décrivent mieux qu'un traité de science politique le niveau de crise atteint par des systèmes politiques autrefois réputés, du moins ceux de Paris et de Berlin.

Commençons par la France, patrie de Voltaire et berceau de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Au premier tour des élections législatives de juin dernier, le Rassemblement national de Marine Le Pen a triomphé. Comme prévu, les alarmes "démocratiques" se sont déclenchées, tout le monde s'est ligué contre elle et au second tour, la France Insoumise de gauche menée par Jean-Luc Mélenchon l'a emporté. Que fait alors Macron ? Avec un parlement où pullulent nationalistes, souverainistes et communistes trotskistes, il appelle d'abord Michel Barnier puis François Bayrou, deux illustres cariatides centristes sans voix, à former le nouveau gouvernement. Le message est clair: sans sa place, le consensus électoral en France ne vaut rien.

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Mais ce n'est pas fini. Selon les sondages, en effet, Marine Le Pen reste compétitive, et donc dangereuse, comme candidate à la présidentielle de 2027. Pour stériliser ses ambitions, cette fois, ce sont les juges du tribunal de Paris qui n'ont qu'à déclarer immédiatement exécutoire l'interdiction d'exercer une fonction publique prononcée à l'encontre de la blonde du Rassemblement, ainsi que de boucler sa condamnation à quatre ans de prison pour détournement de fonds, pour mener à bien leur mission. Sauf miracle, la candidate souverainiste est hors course pour l'Elysée.

Moins raffinée est la technique utilisée en Roumanie. Ici, ce sont les juges de la Cour constitutionnelle qui actionnent le levier juridique qui « corrige » la souveraineté populaire, dont le verdict s'avère très malvenu pour l'establishment. Un autre souverainiste, Calin Georgescu, est alors le perdant. En novembre, il sort triomphant du premier tour des élections présidentielles. Mais les juges annulent le vote et excluent le candidat de la compétition. La raison ? L'ingérence présumée et jamais certifiée de la Russie dans la campagne électorale. Un jeu d'enfant. Mais les électeurs roumains ont aussi la tête dure. Et preuve que les Russes n'y sont pour rien, ils ont récompensé au nouveau premier tour (c'est dans l'air du temps) le national-conservateur George Simion, qui s'est placé dans le sillage de l'exclu Georgescu, dont il a également hérité du consensus.

Last but not least, l'Allemagne. Ici, c'est le professionnalisme et le respect maniaque des procédures qui règnent en maître. Voici les faits: l'Office pour la protection de la Constitution (oui, oui, un tel machin existe vraiment!!), dirigé par un service interne non spécifié, a proposé l'interdiction d'Alternative für Deutschland, le deuxième parti aux dernières élections (aujourd'hui premier dans les sondages), en tant qu'« organisation extrémiste et antidémocratique ». Le simple fait qu'un organisme portant un nom aussi orwellien existe et fonctionne en Allemagne - et c'est là que nous en venons aux opinions - fait fortement douter du niveau réel de la démocratie dans ce pays ; le fait que cet organisme soit confié aux soins de « fausses barbes » (peut-être même des 007 formés par d'anciens agents de la Stasi) transforme le doute en suspicion. Enfin, le fait qu'un repaire d'espions puisse décider qui doit gouverner un pays de plus de quatre-vingts millions de citoyens confirme de manière sinistre que le respect de la souveraineté populaire est en train de s'effondrer même là où l'on s'y attend le moins, c'est-à-dire dans la nation la plus avancée et la mieux placée d'Europe. Pourtant, certains prétendent qu'une démocratie se défend même de cette manière, c'est-à-dire en cessant d'en être une. Voilà qui est incroyable.

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Ceux qui, en revanche, cherchent à justifier le cas allemand par son contexte, font certainement davantage mouche. C'est vrai : contrairement à l'Italie, l'autre puissance vaincue pendant la Seconde Guerre mondiale, qui, elle, a opté pour une constitution dynamique, l'Allemagne, pour sa part, a adopté une constitution statique, qui ne distingue pas la méthode de la fin: les deux doivent être démocratiques. Chez nous, en Italie, en revanche, seule la première doit l'être. C'est la raison pour laquelle, en Italie, le PCI pouvait aspirer à l'objectif léniniste de la dictature du prolétariat à condition de le poursuivre par la méthode démocratique, c'est-à-dire par des élections libres, alors que son homologue allemand, la KPD, a été interdit en 1956 et que, trois ans plus tard, lors du congrès de Bad Godesberg, ce même parti social-démocrate a subi une véritable purge idéologique pour se débarrasser de toutes les scories du marxisme. Et encore : contrairement à l'Italie, qui a une constitution ouvertement antifasciste (la 12ème disposition transitoire et finale est très claire en ce sens), la constitution allemande contient, elle, un double blindage (antinazi et anticommuniste). Une particularité imposée par son statut de nation divisée par le « rideau de fer » et, pour cette raison, élevée au rang de symbole même de la « guerre froide ». Cependant, il est également vrai que ce monde n'existe plus. L'Allemagne s'est réunifiée, le siège de sa chancellerie et de son Bundestag se trouve à nouveau à Berlin, la capitale enfin libérée des barbelés et du mur érigés par la tyrannie communiste.

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Mais mieux que tout autre argument, la métamorphose en cours s'explique par l'annulation récente de la contrainte constitutionnelle dite du "Schwarze Null" (du "Zéro noir"), formule qui indiquait qu'il fallait toujours un budget de l'État en parfait équilibre. Plus qu'une contrainte, c'était un véritable tabou. En Allemagne, où le terme Schuld désigne à la fois la dette et la culpabilité, on n'a jamais oublié que c'est l'endettement monstrueux suivi de la dévaluation de la monnaie qui a mis à genoux la République de Weimar, ouvrant la voie à Hitler et au nazisme au tout début des années 1930. Mais ce tabou vient d'être brisé. Et maintenant que le recours à l'endettement n'est plus verboten, interdit, le gouvernement a déjà alloué la somme monstrueuse de 800 milliards d'euros pour financer non pas le célèbre État-providence teuton, mais le plan de réarmement et d'infrastructures stratégiques. C'est peut-être une coïncidence, mais c'est un fait qu'avec la guerre en cours, l'Allemagne est aussi de retour. Le fait que ce soit le parlement expiré et délégitimé, et non le parlement nouvellement élu, qui ait annulé le Schwarze Null, alloué l'argent et décidé du réarmement, est-il un indice ?

Le fond du problème n'est que trop clair: dans l'UE, il y a un divorce entre les vertus prêchées - tolérance, acceptation et inclusion - et les vices pratiqués: exclusion des dirigeants qui dérangent, interdiction des partis non approuvés et rejet de millions d'électeurs non désirés. En d'autres termes, nous nous trouvons dans un court-circuit entre la loi et la souveraineté populaire. Alors : un système démocratique peut-il annuler des élections, exclure des candidats, interdire des partis, faire modifier sa constitution après l'expiration des législatures, et continuer à se qualifier comme tel ? Par ailleurs, les gouvernants qui n'hésitent pas à restreindre le périmètre de la démocratie pour mieux contrôler les effets de l'expression de la volonté et de la souveraineté populaire sont-ils crédibles en tant que défenseurs de la liberté ? Enfin, quelle différence substantielle peut-on saisir entre une autocratie qui envoie les opposants à Poutine en Sibérie et une démocratie qui proscrit l'AfD au seul motif qu'elle prône des idées, des thèses et des solutions qui ne déplaisent pas tant à la Constitution allemande qu'aux thuriféraires woke, animés par l'idéologie du politiquement correct ?

Questions inconfortables, certes, et très probablement destinées à rester sans réponse, si ce n'est celles, évidentes, des tenants du dogme de l'infaillibilité de l'UE. En Italie, ils sont déjà à l'œuvre et, en filigrane, ils sont impatients de célébrer une dérive allemande chez nous aussi, ne serait-ce qu'en prenant pour prétexte le bras tendu de quelques crânes rasés. On les comprend : plutôt que de s'inquiéter du rétrécissement des espaces de liberté en Europe, Schlein et ses camarades trouvent plus rassurant de se blottir dans la flanelle de l'antifascisme maniériste: ça ne coûte pas cher et ça tient chaud à leur base. Dommage, car le tempérament d'aujourd'hui exigerait un tout autre courage.

Oui, le défi de la défense de la souveraineté populaire contre l'usage restrictif des Constitutions, ainsi que le recours aux logiques d'urgence (hier sanitaire, aujourd'hui climatique, demain militaire, le tout avec l'accusation de « négationnisme » en ligne de mire) est bien un défi pour la réaffirmation de la primauté du politique.

Ils ne se rendent pas compte non plus (et peut-être ne le savent-ils pas non plus), Schlein et ses camarades, que c'est surtout Togliatti qui n'a pas voulu de carcans trop rigides dans notre Charte fondamentale. S'il n'en tenait qu'à lui, nous n'aurions même pas de Cour constitutionnelle. Ce qui l'animait, ce n'était pas tant l'amour de la démocratie, ce dont on peut douter, que le souci de son parti, toujours en danger de survie en raison de son rôle de cinquième colonne d'une puissance étrangère et ennemie comme l'était l'Union soviétique. C'est pourquoi il est encore difficile d'interdire les mouvements d'extrême droite en Italie. Nous avons là un bel exemple d'hétérogénéité des fins. En tout cas, mieux vaut notre système que celui de l'Allemagne. Nous aimerions aussi que le dise la gauche qui, sur ce point, comme on vient de l'évoquer, a des mérites spécifiques. Mais elle ne le fait pas parce que, n'ayant plus de véritable peuple de référence, elle sent que on existence est fondamentalement garantie par l'écrasement progressif de pouvoirs théoriquement neutres ou tiers, comme le judiciaire, la bureaucratie, le Quirinal. C'est à dessein que ses dirigeants, tout en qualifiant avec dédain les démocraties des pays comme la Hongrie ou la Slovaquie, où pourtant personne n'annule les élections ni n'interdit les partis, ne trouvent pas un seul mot pour censurer les coups d'éclat de Macron, les décisions des juges roumains ou les rapports des services secrets allemands, qui convergent singulièrement pour tourner en dérision la souveraineté du peuple. En effet, ils continuent d'appeler cela la démocratie. Il doit bien y avoir une raison.

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