mercredi, 15 octobre 2025
Polarisation politique au Brésil
Polarisation politique au Brésil
Leonid Savin
La confrontation entre les États-Unis et le Brésil dure déjà depuis plusieurs mois, alors que ce dernier pays traverse également une polarisation politique, qui a des causes tant internes qu’externes.
Les deux principales raisons de la pression américaine sur le Brésil sont la demande de concessions sur les nouveaux tarifs douaniers et le procès de l’ancien président Jair Bolsonaro, allié idéologique de Donald Trump. Trump lui-même a menacé d’imposer des droits de douane de 50% dans une lettre adressée au président brésilien Lula da Silva le 7 juillet. Lula a ignoré cette lettre. Après l’annonce du verdict, le 12 septembre, qui a condamné Bolsonaro à 27 ans et 3 mois de prison pour complot en vue d’un coup d’État, la rhétorique agressive de la Maison-Blanche à l’égard du gouvernement de Lula da Silva s’est intensifiée.
L’ancien président n’a cependant pas été incarcéré, et ses avocats ont déclaré qu’il avait été diagnostiqué d’un cancer de la peau et avait besoin d’un traitement urgent. Beaucoup ont perçu cet état de flottement comme le fait que les autorités utilisaient Bolsonaro comme otage politique.
Les États-Unis ont imposé des sanctions, dans le cadre du Global Magnitsky Act, contre le juge de la Cour suprême brésilienne Alexandre de Moraes. Son épouse, Viviane Barci de Moraes, directrice de l’Institut Lex, a également été sanctionnée. Les sanctions s’appliquent également à toutes les mesures juridiques prises par Alexandre de Moraes. D’autres juges en exercice et leurs assistants figurent aussi sur la liste des sanctions.
De plus, de nombreux hommes politiques brésiliens ont vu leur visa pour les États-Unis annulé avant et pendant l’Assemblée générale de l’ONU. Paula Coradi, dirigeante du Parti socialisme et liberté (Partido do Socialismo e Liberdade, PSOL), a été la dernière à subir de telles mesures.
Le président brésilien Lula da Silva, présent à New York pour un discours à l’Assemblée générale des Nations unies, a refusé une rencontre personnelle avec Donald Trump. Le ministre brésilien des Affaires étrangères a toutefois indiqué qu’un échange téléphonique était encore possible. D’une manière générale, dans son discours devant les Nations unies, Lula a ouvertement critiqué les actions des États-Unis contre son pays, affirmant qu’« une attaque contre l’indépendance du système judiciaire est inacceptable ». Il a également défendu Cuba, exigeant que les États-Unis le retirent de la liste des « États soutenant le terrorisme », et a plaidé pour la création de l’État de Palestine.
Il est significatif que, dans le contexte de la confrontation avec les États-Unis, les relations du Brésil avec le Venezuela se soient améliorées (il convient de rappeler qu’auparavant, c’est le Brésil qui avait empêché le Venezuela de rejoindre les BRICS+) et que le trafic aérien entre les deux pays ait été rétabli.
Dans l’ensemble, les processus politiques au Brésil se déroulent sur fond de spéculations et de désinformation. Ainsi, il y a quelque temps, une rumeur a circulé selon laquelle le gouverneur de l’État de São Paulo, Tarcisio de Freitas, se présenterait à la présidentielle l’an prochain. Cela a entraîné une hausse de l’indice boursier brésilien. Mais après que le gouverneur a démenti cette intention et annoncé qu’il briguerait un nouveau mandat à l’échelle de l’État, l’indice s’est effondré.
Les partisans de Bolsonaro organisent des manifestations de masse. Récemment, de tels événements ont été organisés sous prétexte d’une amnistie nécessaire. De leur côté, les partis de gauche de la coalition au pouvoir organisent des rassemblements tout aussi importants.
Pendant ce temps, les parlementaires travaillent à des mesures pour empêcher l’ingérence dans les affaires intérieures du pays. Le député fédéral Filipe Barros (photo) a notamment déclaré qu’une loi interdisant la réception de fonds étrangers par les ONG opérant au Brésil serait adoptée dans les prochaines semaines.
Paradoxalement, une telle loi pourrait également affecter les intérêts de la coalition de Lula da Silva. En effet, plusieurs personnalités de la gauche brésilienne, y compris le président lui-même, sont en contact avec Alexander Soros, fils de George Soros, qui préside le conseil d’administration de l’Open Society Foundation et possède ses propres actifs et intérêts à long terme au Brésil.
Les paradoxes de la confrontation américano-brésilienne ne s’arrêtent pas là. Les industriels de l’État de São Paulo, dont les autorités s’opposent à Lula et soutiennent Bolsonaro, sont les plus vulnérables aux nouveaux tarifs américains. Bien sûr, le secteur agricole, très important, sera également touché de manière indirecte, mais il est depuis longtemps réorienté vers la Chine.
Il convient de noter que parmi les produits exclus des nouveaux tarifs figurent les avions et pièces d’avion, qui constituent l’un des principaux postes d’exportation à forte valeur ajoutée du Brésil, ainsi que la cellulose, le minerai de fer, le pétrole et les produits pétroliers. Mais de nombreux produits, difficiles voire impossibles à remplacer sur le marché américain, tels que le café, le bœuf et le bois, n’ont pas été exemptés des droits de douane.
Ainsi, le Brésil ne comprend pas la logique de l’administration Trump et tente de faire valoir ces questions auprès du Congrès américain et des entrepreneurs américains, et surtout auprès des oligarques de droite alliés de Bolsonaro.
Néanmoins, dans un contexte global, il est évident que les mesures de Trump ne relèvent pas du protectionnisme, par exemple dans le secteur de l’acier, où l’acier brésilien, moins cher, concurrence l’acier américain. Trump a justifié les nouveaux tarifs par le déficit commercial, mais ce n’est pas suffisant pour déclarer une guerre commerciale. Avec la Chine, les États-Unis ont un déficit bien plus important, mais avec Pékin, Washington tente de trouver des solutions acceptables pour éviter une spirale d’escalade.
Un facteur d’irritation probable pour l’administration Trump est l’activité du BRICS+ et la présidence brésilienne de cette association cette année. Il n’est pas étonnant que Trump ait auparavant menacé de punir quiconque prônerait la dédollarisation, et Lula da Silva lui-même a publiquement soutenu l’idée de s’éloigner du dollar. Il faut ajouter que le Brésil dispose de son propre système de paiement Pix, à cause duquel les États-Unis ont déjà tenté de « mettre la pression » sur le Brésil. Brasilia a répondu que le système était très apprécié par des organisations telles que le FMI et l’OCDE, et qu’en outre, Pix facilitait la concurrence sur le marché des paiements électroniques, ce qui a conduit à une plus grande implication des entreprises privées, y compris américaines.
Mais, apparemment, Trump ne veut pas de concurrence saine, mais seulement de la dépendance. À cet égard, le Brésil a réduit sa dépendance vis-à-vis des États-Unis d’environ moitié au cours des 20 dernières années, pour atteindre environ 10%. Les exportations sont dirigées vers divers pays du Sud global, et cette tendance s’accentue. Enfin, au niveau international, le Brésil a acquis le rôle et le statut de partisan d’un monde multipolaire. C’est probablement la véritable raison de l’hystérie de Donald Trump, qui voit le crépuscule de la Pax Americana se dérouler sous ses yeux.
Pour la direction brésilienne, il est important de déterminer ses alliés stratégiques, parmi lesquels les « sorosiens » n’augurent rien de bon. De même, les rencontres avec le dictateur Zelensky (la dernière ayant eu lieu lors de l’Assemblée générale de l’ONU) ne donneront pas de poids politique à Lula da Silva. À l’approche des élections générales de l’année prochaine au Brésil, il est nécessaire d’avancer avec un programme d’action clair, à orientation sociale, sans flirt avec les forces néolibérales.
18:03 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : brésil, actualité, politique internationale, états-unis, amérique du sud, amérique ibérique, amérique latine, amérique lusophone, brics | |
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