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dimanche, 21 décembre 2025

Weihnachten, Rauhnächte, Loostagen, 's kleine Johr: Aux origines des coutumes de Noël en Alsace, une affaire de calendrier

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Weihnachten, Rauhnächte, Loostagen, 's kleine Johr: Aux origines des coutumes de Noël en Alsace, une affaire de calendrier
 
 
La nuit qui précède l’Épiphanie marque traditionnellement la fin des redoutées Rauhnächte, ces nuits situées entre l’ancienne et la nouvelle année, chargées depuis des siècles d’un sens particulier. Elles incarnent à la fois l’achèvement d’un cycle et l’attente du renouveau, un temps d’incertitude où l’ordre du monde semble vaciller avant de se recomposer.
 
Bien avant leur intégration au calendrier chrétien, ces nuits étaient déjà investies d’une forte valeur symbolique, enracinée dans une conception ancienne du temps et du cosmos.
 
On croyait que, durant cette période, les frontières entre le visible et l’invisible s’amenuisaient, que les animaux pouvaient parler, que les rêves prenaient une valeur prophétique et que l’année à venir se laissait entrevoir à travers des pratiques divinatoires dont le coulage de plomb du réveillon n’est qu’un vestige tardif.
 
Pour se protéger des forces errantes censées parcourir ces nuits, on faisait grand bruit, on sonnait des cloches, on frappait des objets métalliques, et plus tard on tira des pétards et des feux d’artifice, tandis que le christianisme introduisit l’aspersion d’eau bénite et l’encensement rituel des maisons afin d’écarter toute influence néfaste.

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Les Rauhnächte, également appelées Raunächte, sont aussi connues sous les noms de Zwölfnächte ou Zwölfte (les douze nuits), Glöckelnächte (nuits des clochettes), Innernächte ou Unternächte, Zwischen den Jahren, Loostage, et en Alsace sous l’appellation de s’kleine Johr, la "petite année".
 
Elles désignent un ensemble de nuits entourant le passage à la nouvelle année, auxquelles le folklore germanique et alpin attribue une signification exceptionnelle.
 
Le plus souvent, elles correspondent aux douze jours de Noël, du 25 décembre jusqu’à l’Épiphanie, le 6 janvier, mais dans certaines régions, la période retenue commence dès le solstice d’hiver ou la nuit de la Saint-Thomas, le 21 décembre, et s’achève au Nouvel An.
 
Il arrive aussi que la Thomasnacht ne soit pas incluse dans le décompte.
 
Selon les croyances populaires, les puissances tempétueuses propres au cœur de l’hiver se retireraient dans la nuit du 6 janvier, moment où la Wilde Jagd, la Chasse sauvage, cesserait ses courses nocturnes.

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Les douze Rauhnächte servaient également de base à des règles paysannes : conformément à la pauren practick, chacune de ces nuits était censée annoncer le temps de l’un des douze mois de l’année à venir, inscrivant ainsi l’avenir météorologique dans ce temps suspendu.
 
L’origine profonde de cette période ne réside cependant ni dans le christianisme ni dans un folklore tardif, mais dans un problème fondamental de mesure du temps.
 
Une année fondée sur douze mois lunaires compte 354 jours, tandis que l’année solaire en compte 365.
Il existe donc un écart de onze jours, parfois conceptualisés comme douze nuits (les germains comptant en nuits), qui ne s’intègrent pas naturellement dans le cycle ordinaire de l’année.
 
Dans les calendriers lunisolaires simples, qui ne pratiquent pas l’intercalation régulière de mois supplémentaires, ces jours excédentaires sont considérés comme des jours "morts", des jours hors du temps, situés en marge du décompte normal des mois.
 
De nombreuses mythologies considèrent que, durant ces périodes intercalaires, les lois habituelles du monde sont suspendues, rendant les frontières entre les mondes perméables.
 
Ces nuits deviennent alors propices aux rites de protection, de purification et de divination, et il est probable que certaines coutumes liées à la sortie de l’hiver et au carnaval trouvent leur origine dans cette logique de réajustement symbolique du calendrier.

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Le solstice d’hiver, autour du 21 décembre, constitue à cet égard un seuil cosmique majeur.
 
La nuit y atteint sa durée maximale avant que la lumière ne commence lentement à regagner du terrain.
 
Les Rauhnächte s’inscrivent précisément dans cet intervalle critique, après la nuit la plus longue mais avant le retour visible de la clarté, un temps d’attente où le monde semble retenir son souffle.
 
Cette conception se superpose ensuite aux évolutions des calendriers historiques.
 
Dans le calendrier romain primitif, le début de l’année tombait le 1er mars.
 
En 153 av. J.-C., les consuls romains déplacèrent le début de leur mandat au 1er janvier, faisant de cette date le commencement officiel de l’année civile.
 
Avec l’essor du christianisme, de nouvelles tensions apparurent lorsque la fête de Noël fut élevée au rang de moment central de l’année liturgique.
 
Dans le christianisme primitif, la date de la naissance du Christ n’était pas fixée, et ce n’est qu’en 354 apr. J.-C. que l’on trouve la première attestation écrite d’une célébration du 25 décembre à Rome, date à laquelle le pape Libère fixa officiellement la Nativité, en correspondance avec le culte du dieu solaire Sol Invictus, étroitement lié au culte impérial.
 
Si le 1er janvier conserva son statut de début de l’année civile, la nouvelle année liturgique se trouva encadrée par la fête de l’Épiphanie, le 6 janvier, renforçant le caractère intermédiaire de la période située entre Noël et cette date.
 
Au concile de Tours, cette période fut rattachée au dodécaéméron liturgique, les douze jours et nuits désormais considérés comme particulièrement dignes de vénération, et cette conception est encore attestée à l’époque de l’empereur byzantin Constantin VII Porphyrogénète.

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Jusqu’à la réforme du calendrier par Grégoire XIII, le 6 janvier demeura dans de vastes régions d’Europe la date officielle du Nouvel An, tandis que la fin de l’année était traditionnellement célébrée dès le 24 décembre, laissant subsister un temps perçu comme situé "entre deux années".
 
L’introduction progressive du calendrier grégorien, inégale selon les territoires et les confessions, accentua encore ce flottement chronologique.
 
Ce n’est qu’en 1691 que le pape Innocent XII fixa définitivement le dernier jour de l’année au 31 décembre, jour de la mémoire de saint Sylvestre, stabilisant enfin le cadre civil sans effacer pour autant les représentations populaires héritées.
 
L’étymologie du terme Rauhnacht reflète cette ambivalence.
 
Selon une première interprétation, il dériverait du moyen haut allemand rûch, "rugueux, velu", terme encore présent dans le vocabulaire de la pelleterie sous les formes Rauware ou Rauchware, renvoyant à des êtres hirsutes et inquiétants censés rôder durant ces nuits dangereuses.

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Une autre interprétation le rattache au Rauch, la fumée, et aux pratiques d’encensement rituel des maisons et des étables destinées à éloigner les forces néfastes, pratiques attestées dès le XVIᵉ siècle par Johannes Boemus et Sebastian Franck :
"Die zwolff naecht zwischen Weihenacht und Heyligen drey Künig tag ist kein hauß das nit all tag weiroch rauch in yr herberg mache / für alle teüfel gespenst vnd zauberey.“ (Les douze nuits entre Noël et le jour des Saints Rois, il n’est pas une maison qui ne fasse chaque jour brûler de l’encens dans son logis, contre tous les diables, spectres et sortilèges.)
 
Ces deux lectures ne s’excluent pas : elles expriment un même imaginaire où le danger, la purification et la frontière entre les mondes se rejoignent.
 
Les Rauhnächte apparaissent ainsi comme l’expression d’un temps excédentaire, d’un reste calendaire investi de sens, un moment où l’on suspend l’action, où l’on observe, protège et anticipe.
 
Elles constituent le socle sur lequel se sont greffées figures mythiques, interdits domestiques, rites du feu et traditions alimentaires.
 
Temps dangereux mais nécessaire, elles marquent un passage, un seuil à franchir sans le brusquer, dans la lumière fragile du foyer, tandis qu’au-dehors, la nuit demeure le domaine des puissances errantes.

19:07 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : traditions, noël, solstice, alsace | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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