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mardi, 30 janvier 2007

Critique néo-baroque de la modernité

Robert Steuckers :

 

 

Pas de synthèse, ouverture permanente, néo-baroque: la critique authentique de la modernité de Willem Van Reijen

 

 

Très connu dans son pays, la Hollande, et en Allemagne, où il est abondamment sinon systématiquement traduit, Willem Van Reijen appartient à la génération des critiques de la modernité. Ce professeur de philo­sophie, né en 1938, a fait ses études à Louvain et à Fribourg-en-Brisgau. Depuis 1975, il enseigne à U­trecht. Il prend le relais de Jean-François Lyotard et de ses homologues américains, dans la mesure où sa quête philosophique participe d'une analyse critique de l'effondrement ou du tassement des grands mythes de la modernité (les “grands récits”). Dans Die authen­tische Kritik der Moderne,  il nous propose une histoire alternative de la pensée philosophique depuis ces deux cents dernières années. Opposé à la modernité, dont il estime que le projet a fait lamentablement faillite, il annonce d'emblée que “la destruction est le revers de cette tapisserie, dont le côté face pré­sente le processus de modernisation”.

 

 

Le programme de perfectionnement infini de l'homme, de la politique et du monde en général, tel que nous l'a suggéré l'Aufklärung, a enfermé la pensée dans des concepts unilatéraux, fermés sur eux-mêmes, qui rendent les hommes aveugles à tous les antagonismes de fond qui constituent la trame du monde et doi­vent subsister en tant qu'antagonismes sans bonne fin dans toute pensée authentique. Cet enfermement de la pensée dans des concepts fermés a des retombées pratiques, explique Willem Van Reijen. En effet, l'aveugle­ment de nos contemporains devient dangereux: il a conduit à une désoviétisation désastreuse en Europe centrale et orientale, où la mafia et l'ultra-libéralisme s'avèrent plus tyranniques encore que le stalinisme quotidien des années 40 et 50 pour les petites gens; à la destruction de toute solidarité sociale en Occident, provoqué par l'individualisme propre à cette modernité que l'on déclare si souvent “généreuse” avec beaucoup d'emphase; à la catastrophe écologique imminente. Combattre ces maux contemporains im­plique de changer de philosophie dominante ou d'apporter suffisamment de changements à l'intérieur de cette idéologie dominante, pour que les concepts (re)deviennent mouvants, plastiques, adaptables aux grouillements incessants de ces antagonismes incontournables qui font la trame du monde. Cette mobi­lité-plasticité-adaptabilité interdit de répondre aux maux de l'Europe orientale ou à l'effondrement de la so­lidarité en Occident par des images fixes alternatives, des utopies sociales figées, des discours camou­flants ou des retours évasifs à une religion, que l'on retaillerait et réaménagerait “à la carte”.

 

 

Willem Van Reijen rappelle que l'Aufklärung a été une réponse au dualisme du Baroque. L'Aufklärung veut “améliorer le monde” et combler cette césure, toujours omniprésente entre un monde de misère et un au-delà de bonheur, que maintenait le Baroque, avec une certaine fatalité: celui-ci acceptait les contradic­tions qu'il y avait dans le monde, il ne souhaitait nullement “réconcilier” dans une “synthèse”. L'Aufklärung veut réconcilier et synthétiser, combler la cé­su­re, “incomblable” aux yeux des Baroques. Bien vite, le mythe et l'“autre de la raison” sont exclus. La définition de la réalité se limite à ce qui est thématisable pour la Raison. La nature est réduite à ce qui en elle est mesurable et quantifiable. L'Aufklärung refuse d'aller du Particulier au Général, mais veut imposer le Général à toutes les formes de Particulier. Son grand projet est la “Formalisation universelle”, ce qui a des effet dés-historicisants, car tout passé, toute histoire-d'avant-l'Aufklärung, ne peut plus apparaître que comme imperfection indigne de l'intérêt de l'honnête homme. Mythe et Nature apparaissent au regard des tenants de l'Aufklärung comme “de la rai­son déficitaire”.

 

 

Le romantisme, poursuit Van Reijen, proteste contre l'exil du Mythe et de la Nature, mais à l'“unilatéralité” de l'Aufklärung, le romantisme n'oppose pas une autre “unilatéralité”: il propose une nou­velle unité des contraires. Il faut esthétiser les idées, rationaliser la mythologie, philosopher la mytholo­gie, mythologiser la philosophie, sensualiser les philosophes, etc. En bref, les romantiques espèrent une synthèse de la raison, de la morale et de l'esthétique. Ils veulent “intégrer” l'“autre de la Raison” dans leur synthèse. Et absorber toutes les contradictions du monde dans une “unité symbolique”. Et c'est sans doute Friedrich Schlegel qui nous livre la formule de cette mise au pas soft: «Pour l'esprit, il est également mortel d'avoir et de ne pas avoir de système, c'est pourquoi il devra se décider à en avoir un et à ne pas en avoir un. C'est-à-dire qu'en dernière instance l'exclusion sera exclue». Aporie dans laquelle plus d'un gauchiste-baba-cool a sombré, suivi par certains tenants de la “nouvelle droite”, devenus à leur tour “épiméthéiens post-marcusiens”, après avoir été bruyamment “prométhéiens anti-rousseauistes”. Ou d'une unilatéralité à l'autre... dans le petit monde des mauvais lecteurs de Nietzsche.

 

 

Van Reijen nous demande de réfléchir sur les avantages et les inconvénients du Baroque, soit de l'acceptation des contradictions sans synthèse. Nietzsche, en commençant par poser Apollon comme “Dieu du Paraître” (Gott des Scheines), dans La naissance de la tragédie, renoue avec une acceptation post-baroque et post-romantique des contradictions du monde. Car qu'en est-il de ce “Paraître”, de ce “beau Paraître”? Est-il vrai ou faux? Paisible ou dangereux? Quelle est l'“Etre” de ce Paraître? Ce Paraître cacherait-il un Devenir? Qui est tel aujourd'hui? Mais sera autre demain? Quels accidents, hasards ou arbitraires dissimule-t-il? Ni l'empirie ni la conceptualisation ni la logique ne nous aident à voir vérita­blement ce qu'il y a ou n'y a pas derrière le “beau Paraïtre”. Ceux qui penseraient qu'il y a une substance définitivement définissable derrière ce “beau Paraïtre” sont fous pour Nietzsche, tandis que sont normaux ceux qui reconnaissent le caractère parfaitement arbitraire de ce grouillement (dyonisiaque).

 

 

Nietzsche redécouvre donc le monde, soit une trame où s'entre-choquent sans fin mille et une contradic­tions sans que jamais n'apparaissent de véritables solutions. Constat choquant pour la modernité. Inac­ceptable pour les “esprits fous” qui veulent dompter et discipliner tout ce qu'il y a derrière le “beau Pa­raï­tre”. La modernité, poursuit Van Reijen, a voulu éliminer ou lever les contradictions. Tout a été mis en œu­vre (et continue à être mis en œuvre) pour  créer l'encadrement planétaire qui travaillera sans re­lâche, jour et nuit, pour procéder à ces éliminations et à ces sublimations “correctrices” et “progres­sis­tes”. Le “Grand Ca­dre” ou le “Grand Code” sera là, pour toujours, et absorbera de plus en plus effica­ce­ment les petites con­tradictions qui subsistent ou auraient l'outrecuidant culot de réapparaître. Ainsi avancera le pro­gram­me des Lumières: il per­fectionnera l'humanité, établira des règles scientifiques pour que tout soit, du moins en principe, re­con­naissable et manipulable. La post-modernité est donc une nouvelle acceptation des contradictions sans volonté de les résoudre ou d'imposer une synthèse. Le penseur qui, le premier, est parvenu à saisir l'es­sentiel de ce néo-baroquisme et de cette post-modernité est Walter Benjamin, é­crit Van Reijen. Dans le Trauerspiel  allemand, Benjamin découvre l'absence de toute transcendance, ne per­çoit aucune récon­cilia­tion entre les hommes et l'ordre cosmique: la souffrance dans le monde est in­con­tournable. Tout es­poir de libération définitive est illusion.

 

 

L'état du monde contemporain ne peut plus s'expliquer par des projets unilatéraux ou des schématismes dualistes. Devant les innombrables contradictions échappant à toute synthèse, il convient de développer une nouvelle critique, authentique, sans passer par les simplismes d'un “humanisme” scolaire ou d'un re­tour ”héroïque” à un mythe quelconque. Tous les engouements et toutes les critiques ont un caractère né­cessairement transitoire. Ce qui interdit aussi de se jeter, irréfléchi, dans l'activisme à tout crin ou de sombrer dans la “noble ré­signation”. Reconnaître et accepter les antagonismes, les ambigüités et les contradictions est sans nul doute, écrit Van Reijen, le meilleur rempart contre les fantasmes totalitaires et les tentatives de tout universaliser.

 

 

Robert STEUCKERS.

 

 

Willem VAN REIJEN, Die authentische Kritik der Moderne, Wilhelm Fink Verlag, München, 1994, 190 p., ISBN 3-7705-2919-7.

 

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Gespräch mit Mario Borghezio

Gespräch mit Mario Borghezio, Abgeordneter der Lega Nord im Europäischen Parlament

 

Über Einwanderung in Italie, über das “Bossi-Fini-Gesetz”, über den “Europäischen Haftbefehl”, über den EU-Beitritt der Türkei, über die Kampfrichtlinien der Lega für den Europawahl  2004

 

Mario Borghezio  ist 1947 in Torino geboren. Er ist Doctor in den Rechtswissenschaften, Anwalt, Fachmann für das Rechtsystem des Heiligen Römischen Reiches der Deutschen Nation.  Er bakam seine Ausbildung in der bekannten Universität Modena. 1992 wurde er Abgeordenter der “Lega  Nord”. 1994 wurde er Staatssekretär für Justiz in der ersten Berlusconi-Regierung. Seitedem is er Abgeordneter im Europa-Parlament.

 

F. : Herr Borghezio, Sie waren 1994 Staatssekretär für die Justiz in der ersten Berlusconi-Regierung. Warum wurden Sie für dieses Amt gewählt?

 

MM : Als einer der Mitgründer der Partei, war ich der Mann, der die Maffia-, Kriminalitäts- und Einwanderungsakte in den verschiedenen Aussschüssen der Lega Nord behandelte. Wenn mein Amt als Staatssekretär beendet war, wurde ich während drei nacheinanderfolgender Legislaturperioden Mitglied des “Anti-Maffia-Ausschusses” im italienischen Parlament. Das Problem, das für mich die ganze Zeit Vorrang hatte, war dasjenige der Gefängnisse. In Italien waren alle Gefängnisse eivoll. Man fürchtete eine regelrechte Explosion. Diese Lage wurde durch die Anwesenheit  von Zehntausenden gefangener Einwanderer, die in unseren Zuchtanstalten zuströmten. Der heutige Minister Roberto Castelli, der auch Mitglied der Lega Nord ist, arbeitet immer weiter im Sinn unseres Programms, insofern dass der italienische Staat heute stets weiter neue Zuchtanstalten bauen lässt. Eine solche Politik wollten die linken Kräfte nicht führen und zogen es vor, regelmässig allgemeine Amnestien auszurufen, um die Gefängnisse zu leeren bevor die Gefangenen ihre Strafen abgesessen haben. Ziel dieser Massnahmen war es, die Gefängnisse dann wieder mit neuen Gefangenen zu füllen, die selbstverständlich wissen, dass sie nie ihre vollzeitige Strafe verbüssen werden müssen. Wir haben auch dafür gesorgt, dass die Räume in den italienischen Gefängnissen nach den ethnischen oder religiösen Ursprüngen der Insassen getrennt werden, wissend dass die Gefangenen eine solche Massnahme sich auch wünschten. Die Lega Nord hat also eine viel strengere Politik gestartet, die diese sich immer wiederholenden Amnestien ablehnte, weil sie regelmässig die Kriminellen in der Strasse zurückbrachten.  In den Augen der “eingewanderten Insassen”, galt der italienische Staat als ein schwacher Marionnettenstaat, der von einer unbegreiflichen Schlaffheit erkrankt war. Castelli und ich haben immer Sorge für die Probleme und die Lebensumstände unserer armen und mittellosen Mitbürger getragen, weil diese chancenarmen Leuten durch Not gezwungen waren, in Vierteln zu leben, wo stets neue Einwanderer zuströmten, wie es manchmal der Fall ist in Städten wie Mailand, Torino, Verona und Padua. Persönlich, glaubte ich, dass meine politische Plicht es war, Protestdemos von einfachen Bürgern und Kleinhändlern zu veranstalten, die buchstäblich die Nase voll hatten,  Agressionen und Randalierungen dulden zu müssen, die in den meisten Fällen von unerlaubten papierlosen Einwanderern geübt wurden.

 

F. : Das italienische Parlament hat ein Gesetz (“das Bossi-Fini-Gesetz”) zugestimmt. Dieses Gesetz hat als Ziel, die Einwanderung zu bremsen. Wie ist das Parlament dazu gekommen und wie ist das Gesetz gestaltet?

 

MM : Das Bossi-Fini-Gesetz über Einwanderung ist das Resultat von  den langen Überlegungen und Seminararbeiten der verschiedenen Ausschüssen der Lega, da unsere Partei sich mehr um die Einwanderungsfragen gekümmert hat, als die Allianza Nazionale. Mit diesem Gesetz wird die juridische “Durchlaufstrecke” der abgeführten Einwanderer strenger und klarer bestimmt. Bevor dieses Gesetz existierte, führte die Schlaffheit der linken politischen Kräfte dazu, das der offiziell abgeführte papierlose Einwanderer bloss eine “Zettel” bekam, auf der geschrieben stand, dar er abgeführt war. Sie können sich sehr gut einbilden, dass diese einfache Zettel völlig unnötig war, da andererseits keine konkreten Massnahmen dabei getroffen wurden. Der Abgeführte konnte einfach den Inhalt dieser Zettel ignorieren, da eine solche Haltung natürlich keine gesetzliche Straffolgen hatte. Wenn der abgeführte Einwanderer in Italien blieb und zufälligerweise von irgendeinem Polizeidienst verhaftet oder kontrolliert wurde, wurde er nicht gestaft. Er bekam bloss nochmal eine Zettel! Heute, wenn  der Abgeführte dem Abführungsbefehl nicht folgt, gilt das als ein Delikt. So kann jetzt Italien die wilde Einwanderung und die daran gelinkten Kriminalitätsarten besser bekämpfen.

 

F.: Welche sind die wichtigsten Komponente der Einwanderung , die Probleme darstellen, im heutigen Italien? Welcher Art ist die Kriminalität, die man diese jeweiligen Gruppen zuordnen kann?

 

MM : Um Ihre frage koreklt beantworten zu können, muss ich zunächst einige Bemerkungen machen, was die allgemeine Lage betrifft : Die Einwanderung konzentriert sich meistens in den verstädterten Ballungsräumen Norditaliens, also in der Region, die wir “Padanien” nennen und die mit der Pobecken übereinstimmt. Die Reaktion der Bevölkerung war  ziemlich heftig, was unsere Partei an die Macht gebracht hat, eben wenn wir nur ein regionaler Verband sind. Die Bevölkerung fürchtete die Überschwemmung und ahnte, dass die Lage sehr bald total unkontrollierbar wurde. Die Gefahr bleibt heute bestehen. Die leute fürchten dabei auch, dass die fundamentalislamistische Terror sich im unkontrollierten Chaos der unerlaubten Einwanderungsvierteln  einnistet. Viele politische und wirtschaftliche Beobachter stellen schon fest, dass “freie Zonen” oder “rechtlose Zonen” (“zones de non-droit”, sagen die Franzosen, wobei sie meinen, dass dort der Rechtsstaat aufgehört zu existieren hat). In diesen Zonen, weiss kein Mensch, was eigentlich los ist. Mit meinen Freunden  der “Lega Nord’”, habe ich Demos gegen fundamentalislamistische Zentren veranstaltet, wo man Gewalt und Terror predigte oder in  denen man Mannschaft  für gewaltätige oder terroristische Aktionen  rekrutierte. InTorino, Cremona und Varese, haben wir entdeckt, dass einige fundamentalistischen Gruppen Verbindungen mit den Attentätern der blutigen Anschläge von Casablanca in Marokko hatten. Vermutlich handelt es sich um die gleichen Leute und Netzwerke als diejenigen die das furchtbare Attentat in Madrid am 11. März 2004 geübt haben.

 

Die gefährlichsten Gruppen, was potentielle Gewalt und Terror betrifft, werden durch nordafrikanische Staatsbürger, die die Ideologie der sogenannten “Salafisten” teilen. Die sind in der Regel sehr aktiv in Italien, genauso wie in Belgien oder in Frankreich. Ihre Aufgabe ist es, die verschiedenen Tätigkeiten des radikalsten Islams finanziell zu unterstützen. Das Geld stammt von sehr verschiedenen und zahlreichen Aktivitäten, wie Rauschgiftschmuggeln und besonders Handelstätigkeiten, die nicht deklariert oder registriert sind, wie die meisten “Phone-Shops” in Italien. Diese Handelstätigkeiten können eine öffentliche Legalität haben, dienen aber als Schirm für illegale Tätigkeit aller Art, besonders was die Machenschaften mit falschen Dokumenten und Akten, das Hehlen von in der EU eingeschmuggelten  oder gestohlenen Gütern, uzw.

 

Die zweite Gruppe der illegalen Einwanderer wird aus Albaner gebildet, die sehr einfach bei uns kommen können, indem sie kleine Boote, die wir “Scafisti” nennen, und die mit kleinen Motoren ausgerüstet sind, so dass sie ganz schnell die Adria überqueren können, um Einwanderer auf den Stränden der Provinz Puglie zu landen. Die heutige Regierung konnte die Einwanderung bremsen und eben stoppen, aber nichtdestoweniger sind die albanischen Maffien jetzt fest im Lande verankert, weil die früheren linken Regierungen schlaff waren und hundertausende illegale Einwanderer einfach und blindlings regularisiert haben, ohne nachzuschlagen wer die eigentlich waren, ohne die winzigste Schwierigkeit zu machen.

 

Die dritte Gruppe bilden die Chinesen, die nicht Kriminelle im üblichen Sinn des Wortes sind, die aber doch eine Gefahr ökonomischer und sozialer Art darstellen, insbesonders für die kleinen  lokalen Hanwerker und für die Restaurants. Die Anwesenheit dieser Chinesen und deren fürchterliche Effizienz haben schon tausende aber tausende kleine italienische Handwerker ruiniert, besonders im Gebiet der Lederbearbeitung. Diese unehrliche Konkurrenz schafft Arbeitlosigkeit  und lässt eine legitime und wohl verständliche Unzufriedenheit entstehen. Die Chinesen sind Meister in der Kunst, betrügliche Nachahmungen zu herstellen. Die Lage ist inzwischen so schlimme geworden,  dass sehr zahlreiche lokale, mikro-ökonomische und handwerkliche Traditionen verschwunden sind.

 

F. : Sie haben sich ganz entschieden gegen die Idee eines “europäischen Haftbefehls” entgegengestellt? Warum?

 

MM : Wir stellen uns tatsäschlich ganz  entschlossen gegen diese Idee eines “europäischen Haftbefehls”. In unseren Augen, kommt dieses Orwellsche Projekt geradeaus aus den verrückten Geistern des Euro-Brüsseler Nomenklatura. Eine solche Idee gefährdet die Freiheit des Bürgers und zielt direkt auf diejenigen die “non-konformistische” oder “politisch-unkorrekte” Meinungen verkünden würden. So könnte zum Beispiel ein dänischer Bürger durch einen französischen Richter verfolgt werden, weil er Mitglied der dänischen “Volkspartei”, während in Dänemark die Meinungsfreiheit fast total ist, eben für die Bürger die sich friedlich gegen jede Form von Einwanderung entgegenstellen. In Frankreich,  in Gegenteil, ist die bürgeerliche Meinungsfreiheit durch alle mögliche willkürliche und ruchlose Gesetze erdrosselt. Die Gefahr wird noch grösser, wenn die türkische Kandidatur letztendlich angenommen wird : jeder deutsche, österreichische  oder griechische Bürger, der mit dem kurdischen Freiheitskampf sympathisiert hätte oder der sich gegen  die türkische Kandidatur entgegengestellt hätte, könnte theoretisch vor einem türkischen Gericht geladen werden! Unser Justizminister, Roberto Castelli, der Mitglied der Lega Nord ist, hat sich formell und ganz entschieden gegen dieses Projekt gestellt. Durch seine Aktion, hält Italien bis jetzt stand und gibt nicht züruck. Wir werden diese Idee eines “europäischen Haftbefehls” nie akzeptieren; oder nur wenn er genug garantiert wird, damit die Grundrechte der Bürger, was Meinungsfreiheit betrifft, bewahrt bleiben.

 

F. : Wenn ich gut verstehe, sind Sie auch gegen jeden EU-Beitritt der Türkei...

 

MM : Ja. Auf internationaler Ebene, ist das ein der Hauptpunkte in unserem Kampfprogramm. Fur den Europawahl von Juni 2004, werden wir klar “nein” zum EU-Beitritt der Türkei, zum Projekt eines “europäischen haftbefehls”, zu einer EU-Verfassung, die nicht Ausdruck des Völkerwillens und der Identitätswerte Europas sind und die eher das Werk von einem Grossen Sanhedrin von Bankiers, anonymen Trustleitern, kurz gesagt, von der Eine-Welt-Kräfte, die eine “ökonomische Horror” darstellen, wie eine mutige linke Frau wie Viviane Forrester es nennt.

 

[Das Gespräch führte und übersetzte Robert Steuckers]

 

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J. Mabire: la Normannité

La Normannite

 

Trouver sur : http://perso.wanadoo.fr/unite.normande/Normannite.htm

 

par Jean Mabire, publié à Jersey le 25 octobre 1980

 

 

Je dois d'abord avouer que j'ai en horreur ce genre de néologisme. Nous avions déjà connu, au début du siècle, dans les années fiévreuses et poétiques qui ont procédé la célébration du Millénaire de 1911, des mots à prétention plus ou moins barbare. On a parlé de « normannisme ». Parfois même en employant un y, comme si, croyait-on naïvement, le normannysme devait faire plus anglo-saxon ou plus scandinave... Voici donc, aujourd'hui, proposé par le Mouvement Normand, le terme de « normannité ».

 

 

Normannité, permanence de la « manière normande »

 

 

J'eusse préféré que l'on parlât plus simplement et que l'on se contentât d'évoquer la « manière normande », tout comme nos ancêtres, voici quelques siècles, parlaient encore de la « danesche manere », pour désigner cette forme de mariage « more danico », qui devait engendré de nombreux bâtards, dont certains fort illustres.

 

 

Il est pourtant de fait que l'adjectif même de normand peut sembler, à lui seul, ambigu. Je n'en veux pour preuve que mon dictionnaire. J'ouvre le tome 7 du Grand Larousse en 10 volumes et je lis à la page 814 : Normand, adjectif : « roué, retors, à qui l'on ne peut se fier ». Il faut croire que les ligues spécialisées dans l'élimination - tant souhaitable - du racisme, n'ont pas encore épuré tous les dictionnaires!

 

 

La normannité, puisque normannité il y a, c'est donc tout bonnement la manière normande, ou, si l'on préfère, l'esprit normand, pour parler comme autrefois.

 

 

Je pense qu'il ne faudrait pas chercher à définir la normannité par rapport à un terme qui a sans doute inspiré les créateurs de ce barbarisme et qui est la francité, mot qui ne figure d'ailleurs pas dans mon dictionnaire en 10 volumes, et qui garde un sens étroitement linguistique : la francité étant l'ensemble des peuples parlant la langue française, de la Wallonie au Sénégal et de l'île Maurice à la province du Québec, en passant éventuellement par la vallée de la Loire. En ce sens étroit, la normannité regrouperait des îlots de patoisants, « étierpis » de Jersey en Pays de Caux. Sans nier cette réalité, qui se moque au moins d'une frontière - ce qui n'est déjà pas si mal - je pense que nous ne saurions fonder sur elle seule ce que nous avons décidée de nommer normannité.

 

 

On pourrait sans doute plus justement opposer la normannité à ce gallicanisme tricolore dont Michel Debré se veut le pape laïc et dont Alexandre Sanginetti avait été le prophète. Pourtant, la normannité ne peut se réduire à n'être que le contraire du jacobinisme, qu'il soit monarchique ou républicain, conservateur ou gauchisant. La normannité, plus que le contraire de la francité, cette fois au sens politique du terme, apparaît bien davantage comme le contraire du parisianisme.

 

 

On commence ainsi à s'avancer ainsi sur un terrain plus solide, plus explicité en tout cas.

 

 

Je pense que le mieux, si l'on veut vraiment définir a contrario la normannité, c'est encore de dire qu'elle est le contraire de l'actualité.

 

 

Par rapport à l'éphémère, qui noircit la première page des journaux ou tonitrue dans les téléviseurs, la normannité est d'abord l'expression d'une permanence. Permanence invisible et même secrète, mais qui doit nous conforter, au plus profond de nous-mêmes, sur l'importance de ce que nous entreprenons, malgré, bien souvent, l'incompréhension et même l'hostilité.

 

 

La Normandie, c'est-à-dire, pour nous, le peuple normand, l'histoire normande, la culture normande, tout cela représente une réalité infiniment plus essentielle et nécessaire que les modes, les régimes, les opinions dont nos contemporains doivent faire leur pâture quotidienne, à la lecture de leur journal favori ou à l'écoute de leur poste habituel.

 

 

Pourtant, ce dont tout le monde parle aujourd'hui n'aura plus guère d'importance dans un mois, très peu dans un an et pas du tout dans quelques dizaines d'années. La normannité reste infiniment plus forte, plus durable, plus significative que toutes les idéologies et toutes les querelles qui constituent le tam-tam de l'actualité.

 

 

La loi absolue des media modernes est de focaliser l'opinion sur un événement voué inexorablement à être englouti par événement suivant. Tout le monde connaît - si l'on peut dire - le « problème du jour », comme ce fameux « plat du jour » servi dans les restaurants, mais personne ne souvient de ce qu'il a mangé la semaine dernière... Quant à l'année dernière, autant parler d'avant le déluge. Car il y a, en effet, déluge de mots et de slogans, que barbouillent de leurs diarrhées verbales les mandarins spécialistes de la rationalisation intellectuelle.

 

 

La normannité n'est donc pas un thème de réflexion journalistique. Elle n'appartient pas à ce fameux débats des « Idées », que nous assène tous les jours un organe aussi indispensable et aussi incomplet que Le Monde.

 

 

 

 

 

La normannité : une réalité et un combat...

 

 

La normannité n'est pas une « idée » comme on dit. Elle est, à la fois, une réalité et un combat.

 

 

Une réalité, parce qu'il existe une manière normande d'appréhender le monde. C'est-à-dire une manière normande de sentir et de créer, de juger et de prier, d'aimer et de vivre. De mourir, aussi.

 

 

Un combat, parce que cette véritable « conception normande de la vie » reste bien souvent inconsciente et devient chaque jour plus menacée. Au cours des âges, elle a quitté d'ailleurs le terrain du fait pour celui du mythe. Mais, devenant mythe, cette normannité redevient, du même coup, fait à nouveau. Puisqu'il existe des hommes et des femmes pour transformer cette prise de conscience en volonté de lutte.

 

 

Il convient de faire une parenthèse qui n'a que trop tardé. Si l'on admet que la normannité est - ou peut devenir - le patrimoine et le moteur de trois millions de Normands, on peut s'inquiéter que ce sentiment ne soit alors que la centième parcelle de ce que l'on pourrait appeler l'esprit européen. Et mesurer par ailleurs combien cette Europe semble peu compter, eu égard à ce que Jean-Jacques Servan-Schreiber nomme le « défi mondial ». Ce serait nier la qualité au bénéfice de la quantité, appliquer je ne sais quelle arithmétique pseudo-démocratique. Nous sommes de ceux qui croyons que les peuples, comme les hommes, sont irremplaçables et irréductibles.

 

 

Parler de normannité, c'est d'abord refuser le monde gris des individus partout semblables, soumis à une loi, à un pouvoir, à un religion uniques, voués à quelque monothéisme charlatanesque et planétaire. Les Islandais sont dix fois mois nombreux que les Normands et qui oserait soutenir qu'ils n'ont pas le droit, et même le devoir, de défendre et d'illustrer une véritable conception islandaise de la vie - à laquelle, il faut bien le dire, nous nous sentons et nous nous voulons étroitement apparentés.

 

 

Un second écueil serait de prêter le flanc à un procès d'intention que l'on fait parfois aux militants du renouveau normand, en les accusant de vouloir faire du peuple normand je ne sais quel peuple élu, supérieur aux autres en quelque sorte. Le cher marquis de Saint-Pierre, quand il présidait aux destinées des Normands de Paris, avait ainsi une formule que j'estime pour ma part assez malheureuse : « Les Normands premier partout ». Nous ne plaçons pas les Normands « über alles in der Welt », au dessus de tout dans le monde... Nous pensons seulement que leurs qualités et leurs défauts en valent bien d'autres, et qu'ils ont le droit le plus strict de les préférer, pour eux, aux qualités et aux défauts des autres peuples.

 

 

La normannité n'est donc pas conçue pour nous comme un réflexe d'arrogance ou une volonté d'agression. Nous nous sommes toujours moqués de ce que les autres pensaient de nous - même quand c'est imprimé dans le dictionnaire Larousse. Mais, ne voulant pas imposer aux autres notre manière de voir le monde, nous ne désirons pas plus qu'ils nous imposent la leur.

 

 

 

 

 

... dont nous sommes responsables

 

 

En revanche, nous nous différencions radicalement de ceux qui pleurnichent sur le « colonialisme » - qu'il soit français ou américain - auquel nous serions, politiquement ou culturellement soumis. Nous pensons que si nous avons perdu notre normannité - ou si nous sommes en train de la perdre - nous en sommes les premiers responsables. Ou bien notre peuple pourra se libérer en accomplissant sa révolution culturelle. Et nous l'y aiderons de toutes nos forces. Ou il en sera incapable et subira alors une loi implacable de la vie, contre laquelle il ne sert à rien de gémir et d'en appeler à je ne sais quelle morale universelle, droits de l'homme ou droits des peuples.

 

 

Nous n'éprouvons pas de sentiment de supériorité et ne ressentons donc pas de sensation de culpabilité. Nous n'éprouvons pas d'avantage de sentiment d'infériorité et nous nous passons donc de réflexe moralisateur.

 

 

Voilà qui situe déjà la normannité et tend à rappeler que le Normand a généralement « bonne conscience » - ce qui n'est pas obligatoirement une vertu, mais explique en partie le succès du protestantisme dans cette province.

 

 

Allons même plus loin. Ce sentiment peut aller jusqu'au contentement de soi. « Je sais ce que je vaux et crois ce qu'on m'en dit », selon la formule de Pierre Corneille.

 

 

Cette attitude, pleine de « glorieuseté » du Normand devant la vie n'est-elle pas semblable à celle de son ancêtre - ancêtre réel ou ancêtre voulu, peu importe - le fameux Viking d'ail y a un millénaire ? Disciple fidèle de Fernand Lechanteur, je le crois assez volontiers. Et je discerne une continuité qui unit les sagas islandaises aux tragédies cornéliennes. S'y exalte un même type de héros.

 

 

Il est révélateur que le Nordique païen comme le Normand chrétien se réfère finalement, malgré un substrat religieux différent, à un système de valeurs identique - que l'on va retrouver au Grand Siècle sous les travestissements hispanique ou romain. Le héros cornélien est le même que le héros islandais. On peut dire qu'il vit totalement sa normannité.

 

 

La Structure de la saga septentrionale et de la tragédie classique offre une indéniable similitude : un homme solitaire affronte un destin tragique. Il ne se fait pas d'illusion sur l'issue fatale, mais reste jusqu'au bout fidèle à son devoir. C'est le triomphe du pessimisme héroïque et d'un sentiment, d'une rare plénitude, où l'orgueil se confond avec le sens de l'honneur. Le héros islandais ou cornélien est un personnage non pas de soumission mais de volonté. C'est exactement l'esprit du légendaire germanique : le héros connaît son destin, il ne s'y dérobe pas, mais, au contraire, l'assume totalement et trouve alors une sorte de joie amère à le mener jusqu'au bout. Comme le dira le Viking Ragnar Lodbrog dans la fosse aux serpents : « Je meurs en souriant ».

 

 

La plus ancienne caractéristique de la normannité est donc la reconnaissance du tragique de la vie. C'est ce qui entraîne un pessimisme foncier. Le Normand n'a pas d'illusions, ni sur lui-même, ni sur les autres et la vie est ce qu'elle est. La révolte est inutile. Pire, elle est « ignoble ».

 

 

Comme l'écrit Maupassant, à la fin de son roman Une vie : « La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon, ni si mauvais qu'on croit ».

 

 

La normannité exclut toute attitude de fuite, tout refuge dans l'irréel d'un arrière-monde. Devenu chrétien, le Normand fera sienne la maxime : « Aide-toi, le ciel t'aidera ».

 

 

 

 

 

La normannité : permanence d'un tempérament

 

 

La normannité se manifeste donc, en tout premier lieu, par la permanence d'un certain tempérament.

 

 

Abel Miroglio avait fondé au Havre, juste après la dernière guerre, un Institut de Psychologie des Peuples, dont les travaux ont été aussi passionnants que méconnus. Un de ses collaborateurs pour la Normandie était, tout naturellement, Fernand Lechanteur, qui se méfiait de la psychologie scientifique et qui faisait plutôt de la psychologie populaire, conjuguant avec bonheur une solide hérédité paysanne et une bonne formation universitaire. Son étude sur Les deux populations de la Manche est restée à juste titre célèbre. Elle contient un portrait du Normand « nordique », qui confirme, à l'aide de multiples exemples, ce que nous savions déjà par la lecture des travaux d'André Siegfried.

 

 

Il faut toujours se reporter à une remarquable conférence, vieille déjà d'un quart de siècle sur la Psychologie du Normand . Le sociologue havrais s'attache à mettre en valeur un certain nombre de traits qui constituent justement la normannité, et d'abord dans le domaine politique - qui n'est que la projection d'un tempérament que l'on pourrait aussi bien découvrir dans la littérature ou les arts plastiques.

 

 

Avant tout réalistes, les Normands ne sont ni des réactionnaires, ni des révolutionnaires, considérant les extrémismes comme des utopies, et se méfiant des utopies, qui leur semblent à la fois stupides et dangereuses. Ce sont plutôt des conservateurs, qui possèdent à la fois le sens de l'égalité et celui de la hiérarchie, ce qui apparaît pas sans quelque contradiction.

 

 

Sans illusion sur la nature humaine, ils se défient des rêveries à la Jean-Jacques Rousseau. Pessimistes et sceptiques de nature, ils tiennent à leur liberté, ce qui est somme toute assez fréquent, mais aussi à celle des autres, ce qui l'est moins. Aussi ils gardent le sens des nuances et refusent les fanatismes. Ils détestent les doctrinaires et sont essentiellement pragmatiques. Ils pensent assez volontiers que ce qui est bon, c'est ce qui réussit...

 

 

Une des formules d'André Siegfried me semble remarquable : « Les Normands ne pensent pas que la vérité soit toute entière d'un seul côté ». Aussi sont-ils tolérants de nature, ne détestant réellement que le sectarisme. Ils ne sont fanatiques que de la modération. Épris d'indépendance, mais amoureux de l'ordre, ils abominent tout autant la tyrannie que l'anarchie. Et la méfiance reste leur grande sauvegarde.

 

 

Ce tableau, dont les grandes lignes furent confortées par des observations « sur le terrain » lors de campagnes électorales (datant il vrai du début de ce siècle) se trouve sans aucun doute modifié par l'intrusion brutale des media modernes. Pourtant, il reste assez juste dans son ensemble et définit assez bien ce que peut être la normannité dans le domaine politique.

 

 

La géographie électorale de la Normandie témoigne encore d'une certaine constance qui va du bonapartisme sous le Second Empire au gaullisme plus récemment. Le reflux de ces tentations d'unanimisme conservateur, à la fois nationaliste et socialisant (la « participation ») se marque désormais par un goût pour le centrisme, qui englobe à la fois le centre droit et le centre gauche, et explique tout aussi bien les récentes poussées du parti socialiste ou de l'UDF, au détriment du RPR ou du Parti Communiste, que les médiocres résultats des droitiers ou des gauchistes. Quant à l'écologie, elle n'a de succès que lorsqu'elle apparaît comme un centrisme et non comme un extrémisme.

 

 

Plus que les conséquences électorales de la normannité politique, importe peut-être davantage pour nous l'origine même de ce tempérament particulier. Jean Datain a publié naguère un excellent essai sur la mentalité normande et les influences nordiques, qui recoupe parfaitement les remarques et les observations d'André Siegfried comme de Fernand Lechanteur.

 

 

Il s'attache à montrer que le tempérament normand reste avant tout sensible au sens des nuances et ne craint pas les contradictions apparentes.

 

 

L'Histoire a montré à quel point les Normands de la période ducale étaient à la fois braves et prudents, suivant d'ailleurs en cela l'enseignement du Havamal, le livre de l'antique sagesse scandinave.

 

 

D'autre part, les Normands ont montré au cours des âges et au hasard des conquête, une étonnante capacité à s'adapter à d'autres peuples et d'autres cultures, c'est-à-dire à se transformer en surface tout en restant fidèle à eux-mêmes dans le fond.

 

 

Hors de son pays, le Normand semble souvent perdre de son identité, alors que sa spécificité réside justement dans cette disparition apparente de la normannité extérieure.

 

 

Aussi, paradoxalement, les plus Normands de nos compatriotes sont souvent des gens ayant quitté leur pays, parfois depuis plusieurs générations. En revanche, des gens venus d'ailleurs - des horzains - se sont parfaitement acclimatés et sont devenus aujourd'hui des Normands exemplaires.

 

 

La normannité ne fonctionne donc pas en cercle fermé. Elle est un échange constant entre le plus profond de nous-mêmes et ce qui pourrait apparaître comme le plus étranger.

 

 

D'un côté, le Normand s'adapte. De l'autre, la Normandie adopte.

 

 

 

 

 

Les écrivains normands : des fondateurs et des précurseurs...

 

 

Parce qu'ils n'ont pas une langue particulière - je classe totalement à part les patoisants - les écrivains normands passent souvent à des yeux ignorants pour des écrivains français « comme les autres ». Cette impression pourrait s'accentuer encore quand on mesure à quel point les écrivains d'origine normande ont contribué à créer et à enrichir la littérature française. Et c'est bien là leur première caractéristique, celle d'être des fondateurs et des précurseurs.

 

 

Le Normand Turold, avec la Chanson de Roland, donne le coup d'envoi de la littérature héroïque médiévale. Et nous ne cesserons plus ensuite de nous trouver à l'aube de toutes les révolutions littéraires, y compris la poésie féminine avec marie de France et la satire politique avec Olivier Basselin.

 

 

On peut dire, sans trop exagérer, que Malherbe « invente » le classicisme, Fontenelle la philosophie du siècle des Lumières, Bernardin de Saint-Pierre le romantisme, Barbey d'Aurevilly le régionalisme, Flaubert et Maupassant le naturalisme, Alphonse Allais l'humoriste, Maurice Leblanc, Gustave Lerouge et Gaston Leroux (précédés par Hector Malot) le roman populaire, André Breton le surréalisme ou Léon Lemonnier le populisme.

 

 

Ces écrivains ont la passion de la langue, du mot juste, du verbe précis. Ils font, dans un certain sens, une littérature de juristes. Épris d'ordre, ils le sont autant de liberté et d'indépendance. Ils ne craignent pas la démesure, mais ils la contrôlent. Ils restent maîtres d'eux-mêmes et de leurs folies. Ils sont éloquents plus que lyriques. Ils possèdent tous une forte logique interne, même si ce n'est pas celle de tout le monde. Il existe un sens très normand de l'enchaînement inéluctable des causes et des effets. « Prendre les choses par le bon bout de la raison », disait toujours Rouletabille. Mais ces raisonneurs ne sont pas des sophistes. Et quel goût pour les solides réalités de la terre - qui n'est pas forcément le « terroir » dans un sens étroit.

 

 

Ces écrivains normands sont aussi bien souvent des témoins lucides et amers, à la fois profondément de leur temps et totalement en marge de la mode. Cela est très sensible avec des hommes aussi différents en apparence et aussi semblables dans le fond que Saint-Evremond et Boulainvilliers, Gobineau et Tocqueville, Frédéric Le Play et Georges Sorel, Rémy de Gourmont et André Gide, Drieu La Rochelle et Jean Prévost. Sans oublier Raymond Queneau.

 

 

Il existe chez eux une véritable normannité qui s'exprime dans cette passion d'observer les hommes et le monde, de les comprendre et de les deviner. Tout cela sans aucun souci des idéologies dominantes, des illusions morales, des tabous religieux.

 

 

La normannité se trouve, plus que nulle part ailleurs, dans ce paysage intellectuel situé à la charnière de la littérature et de la politique. Nous y avons brillé, avec une pléiade d'écrivains à la fois solitaires et inclassables et dont toute l'œuvre, d'analyse plus que de doctrine, est dominée par la double idée du scepticisme et de la tolérance. Tous sont des « moralistes », à condition de donner à ce mot sa véritable signification, puisque justement ils n'ont pas de « morale » au sens habituel et bourgeois du terme.

 

 

 

 

 

... mais aussi des sceptiques, des inclassables

 

 

Ces écrivains, qui incarnent, sans doute plus que d'autres, la normannité dans sa permanence, sont souvent des encyclopédistes-nés tout autant que des politologues d'instinct. Voir Émile Littré. Ces Normands sont curieux de nature, incapables de se désintéresser de la marche des choses, avides de « démonter la machine ». Et pourtant sans aucune illusion sur le néant final.

 

 

Flaubert reste assez exemplaire de cette attitude, avec Maupassant dans son ombre, aussi choqué par l'avidité de la classe possédante que par l'envie des partageux, comme on disait alors. D'où cette phrase immortelle de l'ermite de Croisset, qui résume assez bien une certaine sagesse politique normande, toute d'observation et de scepticisme : « L'idéal de la démocratie, c'est d'élever le prolétaire au niveau de la bêtise du bourgeois ».

 

 

Nos penseurs politiques expriment sans doute le plus la normannité dans ce qu'elle a d'original et de permanent. Ils restent, la plupart du temps, inclassables dans un parti traditionnel. Tocqueville n'est pas un vrai démocrate, ni Gobineau un vrai raciste, ni Sorel un vrai socialiste, ni Drieu un vrai fasciste (pas plus que son ami Raymond Lefevre n'était un vrai communiste, sans doute) ni Jean Prévost un vrai radical.

 

 

Le silence dont on entoure encore aujourd'hui la personnalité et l'œuvre de Jean Prévost montre à lui seul que grand résistant, fusillé par les Allemands au Vercors, n'est pas perçu comme un résistant semblable aux autres. Il gêne parce qu'il correspond à lui-même et non pas à l'image qu'on voudrait se faire de lui.

 

 

Quand il s'est agi de politique politicienne et non plus analytique, beaucoup d'entre eux, éternels insatisfaits par goût de l'absolu, ont navigué de la droite à la gauche et vice-versa. Le romancier Octave Mirbeau est assez exemplaire : antisémite devenu dreyfusard et socialiste devenu patriote.

 

 

La plupart ne sont pas anticléricaux, comme on disait autrefois, ni même croyants. Pourtant, ils montrent presque tous un intérêt passionné pour la religion ou plutôt pour l'intrusion du sacré dans la vie. Le scepticisme qui les éloigne de la foi ne les conduit pas pour autant à l'intolérance et au sectarisme. Ils sont de véritables agnostiques.

 

 

Un des traits constants de la normannité chez nos penseurs politiques, c'est leur souci de dépasser les frontières. Ils sont forts peu sensibles au nationalisme hexagonal. Mais quand ils se disent Normands, ce n'est jamais pour construire un micro-nationalisme, mais au contraire pour trouver des parentés et des aventures au-delà des frontières imperméables de la nation française.

 

 

La Normannité n'est jamais un repli frileux sur la province, mais au contraire une découverte de ce que notre ami Pierre Godefroy nomme l'universalisme - et dont il fait d'ailleurs le contraire du cosmopolitisme.

 

 

Déjà Pierre Dubois, sous Philippe Le Bel, au début du XIIIème siècle, rêvait de « faire l'Europe » et osait opposer le pouvoir temporel du souverain au pouvoir spirituel du pape. L'abbé de Saint-Pierre, d'une autre manière, a imaginé les États-Unis d'Europe et la Société des Nations, Saint-Evremond a vécu et est mort à Londres. Tocqueville s'est passionné tout autant pour la Russie que pour l'Amérique, Gobineau a voyagé dans le monde entier en cherchant les vestiges du grand choc planétaire des races, Rémy de Gourmont sans bouger de chez lui a été révoqué de son poste de fonctionnaire pour avoir été un petit pamphlet le joujou du patriotisme , Georges Sorel a inspiré Lénine tout autant que Mussolini, Drieu s'est voulu européen jusqu'à la démesure et s'est enflammé pour Genève, Berlin et Moscou, Jean Prévost a compris l'Espagne et l'Amérique mieux que nul autre. Quant à André Siegfried, il était comme chez lui dans le monde entier.

 

 

Si les écrivains normands, et spécialement les penseurs politiques, sont presque tous fascinés par leur souche originelle de lointaine origine scandinave, on ne trouve guère chez eux de racisme, mais au contraire curiosité et goût de la différence. L'idée que tous les hommes puissent être semblables leur paraît la plus dangereuse des utopies. Plutôt l'individualisme solitaire que l'état mondial. De surcroît, ils se méfient de la conscience universelle, comme ils se méfient de tout absolu et de toute chimère.

 

 

 

 

 

Mais encore des lucides et des solitaires

 

 

La normannité peut parfois sembler un refus de s'engager, tant la tolérance est instinctive et le scepticisme paralysant. Les Normands sont souvent assez lucides pour mesurer la vanité des choses. Ils ne se lancent dans l'action que par un difficile sursaut - voir Drieu et Prévost - mais souvent leur lucidité les freine. Ce sont plus des conseillers - solitaires et jalousés, d'ailleurs - que des meneurs. Peu de généraux et peu d'amiraux chez nous. Le seul Normand important pour Napoléon n'est pas un traîneur de sabre, mais c'est le consul Lebrun, celui qu'il aimait à nommer « mon sage Mentor ».

 

 

Il semble bien que les Normands répugnent à se classer et se sentent mal à l'aise quand ils doivent se frotter à la politique telle qu'elle est vécue dans l'hexagone. André Siegfried remarquait que le Normand était d'instinct un « Whig » et qu'un tel parti, s'il est une réalité outre-Manche, n'existe pas sur l'échiquier politique français.

 

 

Les Normands ont donc une étrange caractéristique, celle de se trouver partout chez eux. De se sentir « biens dans leur peau » n'importe où dans le monde. Et, en même temps, d'éprouver le sentiment d'être partout des étrangers, des « horzains ». Le Normand qui s'est frotté au monde a l'impression d'avoir été mal compris par les non-Normands. Certes. Mais il a aussi l'impression de n'être plus compris par ses compatriotes restés au pays. Content de lui, il ne se sent pourtant à l'aise nulle part désormais. Aussi la normannité est-elle souvent vécue comme une solitude.

 

 

Le Normand conscient de sa normannité appartient à ce peuple dont mon ami Paul-René Roussel aime à dire qu'il est « the people between », expression intraduisible, mais significative.

 

 

 

 

 

La normannité : une permanence et non « la tradition »

 

 

Cette normannité, cet esprit normand, dont nous avons entrevu les manifestations dans le monde éthique, littéraire ou politique, ne s'est pas manifesté avec une égale acuité au cours des siècles.

 

 

D'abord instinctive et vitale, la normannité a été l'irruption sur le terroir de Neustrie d'une force neuve. « Pure », comme dirait Patrick Grainville. Cette force s'est muée en conscience historique, grâce à la volonté du Duc Guillaume. Après l'abâtardissement dû aux Plantegenets, après la coupure entre le continent et la Grande Île, après l'annexion à la France, la normannité a glissé du plan souverain et guerrier au plan artistique et littéraire. Les Normands, ne pouvant s'exprimer politiquement, ont été obligés de trouver un substitut à leur trop-plein de vitalité et à leur désir de marquer le monde de leur empreinte.

 

 

Les étapes de la « réduction » qui vont conduire de l'indépendance à l'autonomie et du particularisme à l'assimilation, sont connues : 1204, 1469, 1790, pour n'en citer que trois. A chaque épreuve, il semble que les Normands « compensent « par un véritable réflexe inconscient, en se réfugiant dans les lettres et les arts. La politique - interdite - se transmue en architecture ou en littérature. Le dernier avatar est le folklore.

 

 

Il apparaît clairement que si nous voulons retrouver les grandes lignes de force de la normannité, nous ne devons pas nous contenter d'en appeler à une « tradition », qui aurait trouvé son aboutissement dans la civilisation rurale du siècle dernier.

 

 

Cette Normandie, qui va - en gros - de la Monarchie de Juillet à la guerre de 1914, nous paraît à la fois proche et lointaine. Proche, parce que nous en avons nous-mêmes connu et vécu de nombreux vestiges dans notre enfance. Lointaine, parce qu'elle est, dans ses manifestations extérieures, condamnée par l'évolution scientifique du monde moderne.

 

 

Le plus grand danger qui nous guette serait d'identifier la normannité à cette Normandie du XIXème siècle, figée en une sorte de musée Grévin des arts et des traditions populaires. Un attachement sentimental, et respectable, nous conduirait à en gommer tous les aspects négatifs. Entre autres la misère ouvrière et rurale, l'acceptation d'une tutelle administrative de plus en plus envahissante, l'alcoolisme partout présent, l'abandon total devant le centralisme, l'émigration vers paris considérée comme une promotion, etc...

 

 

N'attachons pas la normannité à une époque où la Normandie cesse volontairement de vouloir rester elle-même. Quand le naturel devient mascarade, on peut se demander comment pourrait subsister ce que nous appelons justement la normannité.

 

 

Et cette normannité ne se confond pas obligatoirement pour nous avec le seul niveau populaire, où il en subsiste encore des traces. Ne craignons pas de le dire : l'esprit normand a été vécu, exalté, transmis par des individus d'élite.

 

 

Il pouvaient certes être fils de pauvre paysans, comme Jean-François millet, mais ils se sont faits eux-mêmes, selon la belle expression, et sont devenus « des gens de marque ».

 

 

Ce sont ces « premiers hommes », comme on dit parfois, qui sont pour nous les vrais garants de la normannité. Celle-ci n'est pas une sorte d'état de grâce que partageraient tous ceux qui ont quatre grands-parents normands, de préférence natifs d'un bourg rural. La normannité est avant tout l'apanage de ceux qui ont donné un sens à notre peuple et qui lui ont ouvert la voie, les maîtres d'œuvre, les créateurs, les poètes qui sont aussi des prophètes.

 

 

 

 

 

La normannité : un ordre et une création

 

 

C'est pourquoi la normannité, nous la chercherons plus dans le cloître d'une abbaye que dans un pressoir à pommes, plus dans un essai politique original que dans une chansonnette qui a traîné dans tout l'hexagone, plus dans des œuvres littéraires nouvelles que dans des exaltations gastronomiques ou des superstitions villageoises.

 

 

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E. Jünger, lecteur de Léon Bloy

Alexander PSCHERA:

 

Ernst Jünger, lecteur de Léon Bloy

 

 

Les sept marins du “renversement copernicien” sont un symbole, qu’Ernst Jünger met en exergue dans la préface des six volumes de ses “Journaux”, intitulés “Strahlungen”. Les notes de ces “Journaux”, rédigées pendant l’hiver 1933/1934 “sur la petite île de Saint-Maurice dans l’Océan Glacial Arctique” signalent, d’après Jünger, que “l’auteur se retire du monde”, retrait caractéristique de l’ère moderne. Le moi moderne est parti à la découverte de lui-même, explique Jünger, conduisant à des observations de plus en plus précises, à une conscience plus forte, à la solitude et à la douleur. Aucun des marins ne survivra à l’hiver arctique. Nous avons énuméré là quelques caractéristiques majeures des “Journaux” de Jünger. Celui-ci rappelle simultanément les pierres angulaires de l’œuvre et de l’univers d’un très grand écrivain français, qu’il a intensément pratiqué entre 1939 et 1945: Léon Bloy.

 

 

Léon Henri Marie Bloy est né le 11 juillet 1846 à Périgueux. Il est mort le 3 novembre 1917 à Bourg-la-Reine. Il se qualifiait lui-même de “Pèlerin de l’Absolu”. Converti au catholicisme sous l’impulsion de Barbey d’Aurevilly en 1869, il devient journaliste, critique littéraire et écrivain et va mener un combat constant et vital contre la modernité sécularisée, contre la bêtise, l’hypocrisie et le relativisme, contre l’indifférence que génère un ordre matérialiste. Bloy remet radicalement en question tout ce qui fait les assises de l’individu, de la société et de l’Etat, ce qui le conduit, bien évidemment, à la marginalisation dans une société à laquelle il s’oppose entièrement.

 

 

Pour Bloy, Dieu n’était pas mort, il s’était “retiré”

 

 

Conséquences de la radicalité de ses propos, de son œuvre et de sa langue furent la pauvreté extrême, l’isolement, le mépris et la haine. Sa langue surtout car Bloy est un polémiste virulent, à côté de beaucoup d’autres. Son Journal, qui compte plusieurs volumes, couvre les années de 1892 à 1917; sa correspondance est prolixe et bigarrée; ses nombreux essais, dont “Sueur de sang” (1893), “Exégèses des lieux communs” (1902), “Le sang du pauvre” (1909), “Jeanne d’Arc et l’Allemagne” (1915) et surtout ses deux romans, “Le désespéré” (1887) et “La femme pauvre” (1897) forment, tous ensemble, une œuvre vouée à la transgression, que l’on ne peut évaluer selon les critères conventionnels. La pensée et la langue, la connaissance et l’intuition, l’amour et la haine, l’élévation et la déchéance constituent, dans les œuvres de Bloy,  une unité indissoluble. Il enfonce ainsi un pieu fait d’absolu dans le corps en voie de putréfaction de la civilisation occidentale. Ainsi, Bloy se pose, à côté de Nietzsche, auquel il ressemble physiquement, comme l’un de ces hommes qui secouent et ébranlent fondamentalement la modernité.

 

 

L’impact de Bloy ne peut toutefois se comparer à celui de Nietzsche. Il y a une raison à cela. Tandis que Nietzsche dit: “Dieu est mort”, Bloy affirme “Dieu se  retire”. Nietzsche en appelle à un homme nouveau qui se dressera contre Dieu; Bloy réclame la rénovation de l’homme ancien dans une communauté radicale avec Dieu. Nous nous situons ici véritablement  —disons le simplement pour amorcer le débat—  à la croisée des chemins de la modernité. Aux limites d’une époque, dans le maëlström, une rénovation s’annonce en effet, qu’et Nietzsche et Bloy perçoivent, mais ils en tirent des prophéties fondamentalement différentes. Chez Nietzsche, ce qui atteint son sommet, c’est la libération de l’homme par lui-même, qui se dégage ainsi des ordonnancements du monde occidental, démarche qui correspond à pousser les Lumières jusqu’au bout; chez Bloy, au contraire, nous trouvons l’opposition la plus radicale aux Lumières, assortie d’une définition eschatologique de l’existence humaine. Nietzsche a fait école, parce que sa pensée restait toujours liée aux Lumières, même par le biais d’une dialectique négative. Pour paraphraser une formule de Jünger: Nietzsche présente le côté face de la médaille, celle que façonne la conscience.

 

 

Bloy a été banni, côté pile. Il est demeuré jusqu’à aujourd’hui un auteur ésotérique. Ses textes, nous rappelle Jünger, sont “hiéroglyphiques”. Ils sont “des œuvres, pour lesquelles, nous lecteurs, ne sommes mûrs qu’aujourd’hui seulement”. “Elles ressemblent à des banderoles, dont les inscriptions dévoilent l’apparence d’un monde de feu”. Mais malgré leurs différences Nietzsche et Bloy constituent, comme Charybde et Scylla, la porte qui donne accès au 20ième siècle. Impossible de se décider pour l’un ou pour l’autre: nous devons voguer entre les deux, comme l’histoire nous l’a montré. Bloy et Nietzsche sont les véritables Dioscures du maëlström. Peu d’observateurs et d’analystes les ont perçus tels. Et,dans ce petit nombre, on compte le catholique Carl Schmitt et le protestant Ernst Jünger.

 

 

Si nous posons cette polarité Nietzsche/Bloy, nous considérons derechef que l’importance de Bloy dépasse largement celle d’un “rénovateur du catholicisme”, posture à laquelle on le réduit trop souvent. Dans sa préface à ses propres “Strahlungen” ainsi que dans bon nombre de notices de ses “Journaux”, Ernst Jünger cite Bloy très souvent en même temps que la Bible. Car il a lu Bloy et la Bible en parallèle, comme le montrent, par exemple, les notices des 2 et 4 octobre 1942 et du 20 avril 1943. C’est à partir de Bloy que Jünger part explorer “le Livre d’entre les Livres”, ce “manuel de tous les savoirs, qui a accompagné d’innombrables hommes dans ce monde de terreurs”, comme il nous l’écrit dans la préface des “Strahlungen”. Bloy  a donné à Jünger des “suggestions méthodologiques” pour cette nouvelle théologie, qui doit advenir, pour une “exégèse au sens du 20ième siècle”.

 

 

Mais Jünger place également Bloy dans la catégorie des “augures des profondeurs du maëlström”, parmi lesquels il compte aussi Poe, Melville, Hölderlin, Tocqueville, Dostoïevski, Burckhardt, Nietzsche, Rimbaud, Conrad et Kierkegaard. Tous ces auteurs, Jünger les appelle aussi des “séismographes”,  dans la mesure où ils sont des écrivains qui connaissent “l’autre face”, qui sentent arriver l’ère des titans et les catastrophes à venir ou qui les saisissent par la force de l’esprit. Dans “Le Mur du Temps”, Jünger nous rappelle que ces hommes énoncent clairement leur vision du temps, de l’histoire et du destin. Trop souvent, dit Jünger, ces “augures” s’effondrent, à la suite de l’audace qu’ils ont montrée; ce fut surtout le cas de Nietzsche, “qu’il est de bon ton de lapider aujourd’hui”; ensuite ce fut aussi celui de Hamann qui, souvent, “ne se comprenait plus lui-même”. On peut deviner que Jünger, à son tour, se comptait parmi les représentants de cette tradition: “Après le séisme, on s’en prend aux séismographes” —modèle explicatif qui peut parfaitement valoir pour la réception de l’œuvre de Jünger lui-même.

 

 

Le chemin qui a mené Jünger à Bloy ne fut guère facile. Jünger le reconnait: “Je devais surmonter une réticence (...)  —mais aujourd’hui il faut accepter la vérité, d’où qu’elle se présente. Elle nous tombe dessus, à l’instar de la lumière, et non pas toujours à l’endroit le plus agréable”. Qu’est-ce donc que cet “endroit désagréable”, qui suscite la réticence de Jünger? Dans sa notice du 30 octobre 1944, rédigée à Kirchhorst, Jünger écrit: “Continué Léon Bloy. Sa véritable valeur, c’est de représenter l’être humain, dans son infamie, mais aussi dans sa gloire”. Pour comprendre plus en détail cette notice d’octobre 1944, il faut se référer à celle du 7 juillet 1939, qui apparaît dans toute sa dimension drastique: “Bloy est un cristal jumelé de diamant et de boue. Son mot le plus fréquent: ordure. Son héros Marchenoir dit de lui-même qu’il entrera au paradis avec une couronne tressée d’excréments humains. Madame Chapuis n’est plus bonne qu’à épousseter les niches funéraires d’un hôpital de lépreux. Dans un jardin parisien, qu’il décrit, règne une telle puanteur qu’un derviche cagneux, qui est devenu l’équarisseur des chameaux morts de la peste, serait atteint de la folie de persécution. Madame Poulot porte sous sa chemise noire un buste qui ressemble à un morceau de veau roulé dans la crasse et qu’une meute de chiens a abandonné après l’avoir rapidement compissé. Et ainsi de suite. Dans les intervalles, nous rencontrons des sentences aussi parfaites et vraies que celle-ci: ‘La fête de l’homme, c’est de voir mourir ce qui ne paraît pas mortel’ “.

 

 

Bloy descend en profondeur dans le maëlström, les yeux grand ouverts. Cela nous rappelle la marche de Jünger, en plein éveil et clairvoyance, à travers le “Foyer de la mort”, dans “Jardins et routes”. Ce qui m’apparaît décisif, c’est que Bloy, lui aussi, indique une voie pour sortir du tourbillon, qu’il ressort, lui aussi, toujours du maëlström: “Bloy est pareil à un arbre qui, plongeant sa racine dans les cloaques, porterait à sa cime des fleurs sublimes” (notice du 28 octobre 1944). Cette image d’une ascension hors des bassesses de la matière, qui s’élance vers le sublime de l’esprit, nous la retrouvons dans la notice du 23 mai 1945, rédigée à la suite d’une lecture du texte de Bloy, “Le salut par les juifs”: “Cette lecture ressemble à la montée que l’on entreprend dans un ravin de montagne, où vêtements et peau sont déchiquetés par les épines. Elle trouve sa récompense sur l’arête; ce sont quelques phrases, quelques fleurons qui appartiennent à une flore autrement éteinte, mais inestimable pour la vie supérieure”.

 

 

“On doit prendre la vérité où on la trouve”

 

 

Dans la pensée de Bloy, Jünger ne trouve pas seulement une véhémence de propos qui détruit toutes les pesanteurs de l’ici-bas, mais aussi les prémisses d’un renouveau, d’une “Kehre”, soit d’un retournement, des premières  manifestations d’une époque spirituelle au-delà du “Mur du temps”, quand les forces titanesques seront immobilisées et matées, quand l’homme et la Terre seront à nouveau réconciliés. Nous ne pouvons entamer, ici, une réflexion quant à savoir si Jünger comprend la pensée sotériologique de Bloy de manière “métaphorique”, comme tend à le faire penser Martin Meyer dans son énorme ouvrage sur Jünger, ou s’il voit en Bloy la dissolution du nihilisme annoncé par Nietzsche —cette thèse pourrait être confirmée par la dernière citation que nous venons de faire où l’image de l’épine et de la peau indique un ancrage dans la tradition chrétienne. Mais une chose est certaine: Bloy a été, à côté de Nietzsche, celui qui a contribué à forger la philosophie de l’histoire de Jünger. “Les créneaux de sa tour touchent l’atmosphère du sublime. Cette position est à mettre en rapport avec son désir de la mort, qu’il exprime souvent de manière fort puissante: c’est un désir de voir représenter la pierre des sages, issue des écumes les plus basses, des lies les plus sombres: un  désir de grande distillation”.

 

 

Alexander PSCHERA.

 

(article tiré de “Junge Freiheit” n°09/2005).

 

Alexandre Pschera est docteur en philologie germanique. Il travaille actuellement sur plusieurs projets “jüngeriens”.

 

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lundi, 29 janvier 2007

Le retour de D. Cologne

Sur le site : http://www.europemaxima.com/

Nous avons eu la surprise de retrouver des textes de Daniel Cologne, personnage bizarre, qui avait présidé à la naissance de la revue "Totalité", avec Philippe Baillet, Georges Gondinet, Robert Steuckers, Eric Vatré de Mercy et Jean-François Mayer. Depuis cette époque héroïque, l'itinéraire de Cologne est moins connu, si bien que l'on puisse parler de la "vie cachée" de l'homme (mais qu'avait-il donc à cacher?). Il était revenu brièvement, en 2001, dans un long et intéressant entretien accordé à la revue "Nouvelles de Synergies Européennes", qui avait aussitôt été traduit en langue espagnole. Après la parution de ce double entretien, immédiatement envoyé, en ses deux versions, à la boîte de courriel de Cologne, l'homme est entré dans une fureur de Dieu le Père sous prétexte que le texte ne lui avait pas été envoyé! Peut-être s'était-il disputé avec le propriétaire de cette boîte de courriel, mais pour quelle obscure raison (nous savons tout...)? Ingrat, prompt à l'injure, avec sa politesse première se muant vite en grossièreté de chartier, l'homme avait encore lancé des polémiques aussi gratuites que stériles, polémiques qu'on n'imaginait que le propre d'Alain de Benoist.

Mais revoici Cologne, dans le meilleur de lui-même, c'est-à-dire en romaniste bien formé, spécialiste de surcroît de la littérature belge de langue française. Ce sont des articles de cet acabit qu'il offre au site "Europa Maxima" d'un certain Feltrin-Tracol, apparemment dissident du GRECE, où il prodiguait jadis ses enseignements à l'Université d'été de cette association dominée par Alain de Benoist. Les nouveaux articles de Cologne rencontrent nos préoccupations, et plus particulièrement, celles de l'école des cadres de Synergies européennes de Wallonie. Nous demandons donc à tous nos cadres et amis, sympathisants et lecteurs occasionnels, de lire attentivement ces articles du grand nomade de l'aire traditionaliste. Nous en tirerons indubitablement profit. Surtout les articles sur Eugène Demolder et sur Léon Vanderkinderen.

Bonne lecture! 

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Il principe Eugenio, eroe europeo

Gilberto Oneto:

Il principe Eugenio, un eroe europeo

 La cultura europea è da sempre oggetto di attacchi feroci di nemici che vogliono distruggerla. I suoi avversari sono interni ed esterni. Dentro c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non ama questa civiltà antica come il mondo e ricca di risorse spirituali e morali che sembrano inesauribili e che anche dopo periodi di prostrazione ritrovano ogni volta nuova energia. Fuori c’è sempre qualcuno pieno di odio, rancore o invidia che non sopporta la bellezza della nostra cultura, le nostre ricchezze e il nostro modo di vivere. Gli attacchi sono continui e negli ultimi secoli hanno assunto una ciclicità secolare. A cavallo fra il ’700 e l’800 è il giacobinismo a sovvertire dal suo stesso cuore la vecchia identità europea; esattamente un secolo dopo esso si evolve nella peste comunista che avvilisce e prostra gran parte del continente. Il nemico esterno più "fedele" e costante è l’Islam che da quattordici secoli aggredisce l’Europa da più parti e cerca di annientarne la grande civiltà. Alla fine del ’600 le sue orde sanguinarie sono arrivate fino al cuore pulsante dell’Europa più vera e assediano Vienna ma è ancora una volta a cavallo del secolo (esattamente trecento anni fa) che gli Europei ritrovano l’antico vigore dei padri e cominciano a ricacciarli verso le loro tane anatoliche, e l’artefice e il simbolo di quei giorni è un padano: il Principe Eugenio di Savoia. Oggi, a tre secoli da quegli avvenimenti, a due dalla rivoluzione giacobina e a uno da quella bolscevica, tutti questi nemici si ripresentano tutti assieme, con un nuovo compare: il mondialismo che ha posto il suo covo in America settentrionale e che da lì spinge i suoi tentacoli dappertutto utilizzando nella sua lotta contro l’Europa i suoi nemici di sempre, fatti uscire come zombies dai sepolcri in cui li avevano relegati la storia e la volontà dei nostri popoli. Oggi però gli schieramenti non sono più chiaramente delineati (con le insegne crociate da una parte e quelle islamiche dall’altra, con i rossi comunisti o i blu giacobini da una parte e i difensori bianchi delle libertà o gli insorgenti dall’altra): il nemico è fra di noi, è dentro di noi, controlla le nostre città, i nostri mezzi di comunicazione, le nostre scuole. Anche la Chiesa (che di questa difesa d’Europa è sempre stata uno dei più robusti baluardi) è disorientata e infiltrata; i Musulmani poi non sono dall’altra parte del muro o del fiume ma sono incistati nelle nostre case e nei nostri paesi. Sappiamo però (e per fortuna) che la vera forza delle tribù d’Europa viene fuori proprio quando il pericolo è massimo e quando tutto sembra perduto: è l’antico spirito di Salamina, di Teutoburgo, di Poitiers, di Lepanto e di Lipsia. Gli esempi e i riferimenti storici che ci possono dare coraggio e fiducia sono moltissimi ma uno più di tutti gli altri sembra essere particolarmente adatto ai giorni che stiamo vivendo. Eugenio di Savoia era nato a Parigi nel 1663, debole e malaticcio era stato avviato alla carriera ecclesiastica ma non ne voleva sapere. Appassionato di armi, si era presentato a Luigi XIV che lo aveva respinto dicendo che non aveva bisogno di "abatini". Si era allora rivolto agli Asburgo che gli avevano invece dato fiducia: come un altro grande padano, Raimondo Montecuccoli, diventerà uno dei migliori condottieri dell’armata imperiale impegnata contro i Turchi. L’Impero aveva appena respinto i Musulmani che, nel 1683, avevano assediato Vienna ma che continuavano a minacciare il cuore dell’Europa cristiana. Sotto gli ordini di Eugenio (diventato il leggendario Prinz Eugen) l’esercito cristiano batte i Turchi a Zenta l’11 settembre del 1697, a Peterwardein nel 1716 e a Belgrado nell’anno successivo. Nel 1706 era anche intervenuto a sostegno del cugino Amedeo II, spezzando l’assedio di Torino e mettendo in fuga i Francesi: un grande giorno per lui che si vendicava del disprezzo con cui i Francesi (amici dei Musulmani) l’avevano trattato e che contribuiva coi fratelli "bogianen" a salvare la sua Piccola Patria di origine. Il principe Eugenio era diventato (assieme alle navi veneziane) il vero protettore d’Europa dalle aggressioni turche (e dai tradimenti interni), era una sorta di reincarnazione di San Giorgio, difensore della Cristianità e patrono della Padania. Non potremmo oggi trovare un esempio più calzante. Figlio fedele delle Alpi padane (con lui c’erano sempre ufficiali e soldati arruolati nella Lombardia storica), al servizio dell’Impero asburgico (erede legittimo del più autentico spirito d’Europa, di Ambigato e di Carlo Magno), è stato il più audace e forte nemico delle orde islamiche che aggredivano l’antica terra dei padri. In questi tempi in cui la nostra Heimat padana e la grande patria europea sono ancora una volta assalite dagli Islamici, sono devastate da traditori e disfattisti, sono indebolite da mille cedimenti, e aggredite dal nuovo devastante potere mondialista, non potremmo trovare un riferimento più entusiasmante nella nostra lotta: il Principe Eugenio, piemontese e padano, fedele soldato dell’Austria e fiero nemico degli aggressori islamici. di Gilberto Oneto

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Culte et mythe de la déesse-mère

Detlev BAUMANN:

Culte et mythe de la déesse-mère

 

Analyse: Manfred Kurt EHMER, Göttin Erde. Kult und Mythos der Mutter Erde. Ein Beitrag zur Ökosophie der Zukunft, Verlag Clemens Zerling, Berlin, 1994, 119 p. (format: 20 cm x 20 cm), nombreuses illustrations, DM 36, ISBN 3-88468-058-7 (l'ouvrage comprend un glossaire mythologique et une bonne bibliographie).

 

 

L'écologie philosophique constitue une lame de fond en Allemagne depuis longtemps et renoue, c'est bien connu, avec le filon romantique et son culte de la nature, bien capillarisé dans la société allemande. Aujourd'hui, la sagesse qui découle de ce culte de la nature ne se contente plus de déclarations de principe écologistes un peu oiseuses et politiciennes, mais se branche sur la mythologie de la Terre-Mère et entend développer, pour le siècle à venir, une “écosophie”, une sagesse dérivée de l'environnement, de l'écosystème, capable de mettre un terme au progressisme moderne qui clopine de catastrophe en catastrophe: pollutions insupportables, mégapoles infernales, produits agricoles frelatés, névroses dues au stress, etc. M. K. Ehmer nous offre dans ce volume, abondamment illustré, une rétrospective solidement étayée des cultes que l'Europe a voués depuis des temps immémoriaux à la Terre-Mère et à ses multiples avatars. La déesse Gaïa est dans l'optique de tous ces cultes successifs dans l'histoire européenne, à la fois un être vivant, le symbole archétypal de la féminité/fécondité et l'objet des cultes à mystères de l'Europe et de l'Inde. Les sites préhistoriques et protohistoriques de Hal Tarxien à Malte, de Carnac en Bretagne, de Stonehenge et d'Avebury en Angleterre l'attestent. Pour Ehmer, ces lieux de culte doivent être considérés comme les réceptacles géomantiques de forces numineuses et fécondantes que la tradition chinoise appelle les forces chi  et que le Baron von Reichenbach (1788-1869), à la suite de 13.000 expériences empiriques, nomme “forces Od”.  La Terre-Mère, dans ces cultes, est fécondée par l'astre solaire, dont la puissance se manifeste pleinement au jour du solstice d'été: la religion originelle d'Europe n'a donc jamais cessé de célébrer l'hiérogamie du ciel et de la terre, de l'ouranique et du tellurique. L'Atharva-Veda indien est la trace écrite de cet hymne éternel que l'humanité européenne et indienne a chanté en l'honneur de la Terre-Mère, explique Ehmer. Ensuite, il relie l'idéal chevaleresque des kshatriyas indiens et le culte du dieu du Tonnerre Indra à la mystique du calice contenant le nectar Soma, source tellurique de toute vie et breuvage revigorant pour les serviteurs spirituels ou guerriers de la lumière ouranienne. Des kshatriyas indiens aux chevaliers perses et de ceux-ci aux cavaliers goths, cette mystique du Soma est passée, immédiatement après le début des croisades, dans l'idéal chevaleresque européen-germanique, sous la forme du Graal et dans le culte de Saint-Michel (qui ne serait qu'un avatar des dieux indo-européens du Tonnerre, tueurs de dragons, dont Indra en Inde ou Perkunas chez les Baltes et les Slaves). Pour Ehmer, le Graal est un calice contenant un breuvage surnaturel qui donne des forces à l'homme-guerrier initié, tout en échappant, par l'abondante plénitude qu'il confère aux compagnons du Graal, à l'entendement humain trop humain.

 

 

En Grèce, le culte de Gaïa/Demeter/Perséphone a été bien présent et s'est juxtaposé puis mêlé pendant l'Empire romain au culte latin-italique de la Terra Mater, aux mystères d'Attis et de Kybele (originaires d'Asie Mineure) et au culte d'Isis, déesse de la Terre et Reine du Ciel (dont les avatars se mêlent en Germanie, le long du limes  rhénan et danubien, à des figures féminines locales, notamment à cette jeune fille audacieuse descendant les rivières, debout sur un bloc de glace, sur lequel elle a dressé un mât porteur d'une voile, pour s'élancer, disent certaines légendes, vers l'Egypte; cf. Jurgis Baltrusaitis, La Quête d'Isis, Champs-Flammarion, 1997). A cette Isis nordique qui part seule à l'aventure pour l'Egypte, correspondent des Isis sur barque ou sur nef, dont celle de Paris, l'Isis Pharia, honorée à Lutèce pendant la tentative de restauration de Julien (d'où la nef des armoiries de Paris). Ou cette superbe Isis en ivoire alexandrin, sculptée sur la chaire de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle. Isis a connu un très grand nombre d'avantars en terre germanique où, souvent, elle n'a même pas été christianisée (voir les nombreux “Isenberge”, ou “Monts-d'Isis”). L'humaniste suédois Olav Rudbeck (1630-1702), exposant d'une origine hyperboréenne des civilisations, déduit dans sa mythographie parue en 1680, qu'Isis-Io est fille de Jonatör, un roi “commérien”, régnant sur un peuple du nord noyé dans les ténèbres d'une lointaine “Hyperborée”. Isis-Io, fille aventureuse, descend vers l'Egypte et le Nil en traversant les plaines scythes en compagnie de Borée (est-il un avatar de ce “jeune homme” couronné de feuilles, debout sur une barque à proue animalière, que l'on retrouve dans les plus anciennes gravures rupestres de Scandinavie et dans le mythe de Lohengrin?). Rudbeck avançait des preuves archéologiques: l'Isis lapone sort des neiges, porte plusieurs paires de mamelles (elle est une “multimammia”); son culte se retrouve à Ephèse et en Egypte. L'élément glace se retrouve même dans la proximité phonique entre “Isis” et “Iis” (“glace” en gothique) ou “Eis” (“glace” en allemand). Baltrusaitis écrit: «La cosmogonie hyperboréenne est aquatique par excellence. La terre, la vie procède de l'eau. Or l'eau provient de la glace, première substance solide de l'univers».

 

 

Les cultes grecs de la Terre-Mère trouvent leur pendant en Europe centrale et septentrionale dans le culte germanique de Nerthus, dans le culte celtique de Brighid, mère du monde et gardienne de la Terre, et dans la figure d'Ilmatar, le mère originelle de l'épopée du Kalevala. Ensuite dans la tradition chinoise du Feng-Shui, qui est celle de la géomantie, du culte du genius loci, pour laquelle il fallait donner forme à l'habitat des vivants pour qu'il coopère et s'harmonise avec les courants traversant son lieu. Car, cite Ehmer, «chaque lieu possède ses spécificités topographiques qui modifient l'influence locale des forces chi».  Ehmer débouche ainsi sur une application bien pratique et concrète du culte de la Terre-Mère, des sites sacrés ou du simple respect du site pour ce qu'il est: un urbanisme qui donne aux bâtiments la hauteur et la forme que dicte le topos, qui oriente les rues et les places selon sa spécificité propre et non d'après l'arbitraire du constructeur moderne et irrévérencieux, qui exploite la Terre sans vergogne. Après la disposition géomantique exemplaire de la Cathédrale de Chartres, la modernité occidentale a oublié et oublie encore ce Feng-Shui, qui n'a même plus de nom dans les langues européennes, malgré les recommandations d'un architecte britannique, Alfred Watkins (1855-1935), qui a redécouvert les lignes de forces telluriques, qu'il appelait les ley lines.

 

 

Pour Ehmer, le judéo-christianisme et la modernité prométhéenne sont responsables du “désenchantement” du monde. Mais son plaidoyer pour un retour à la géomantie et à l'écosophie ne s'accompagne pas d'une condamnation sans appel de tout ce qui a été dit et pensé depuis la Renaissance, comme le veulent certains pseudo-traditionalistes hargneux et parisiens, se proclamant guénoniens ou évoliens ou, plus récemment, “métaphycisiens de café” (mais qui ont mal digéré leur lecture d'Evola ou l'ont ingurgitée sans un minimum de culture classique!). Ehmer rappelle la cosmologie ésotérique de Léonard de Vinci, avec l'idée d'une “âme végétative”, où l'adjectif “végétatif” n'est nullement péjoratif mais indique la vitalité inépuisable du végétal et de la nature, et aussi l'idée d'une Terre comme “être vivant organique”. Ehmer rappelle également l'“harmonie” de Jean Kepler, avec l'idée d'un “soi planétaire de la Terre”, puis, la pensée organique de Goethe.

 

 

C'est donc sur base d'une connaissance profonde des mythologies relatives à la Terre-Mère et sur une revalorisation des filons positifs de la Renaissance à Goethe, sur une approche nouvelle de Bachofen et de Jung, qu'Ehmer propose une “nouvelle conscience gaïenne”. Celle-ci doit mobiliser les ressources de la sophia, pour qui l'esprit n'est pas l'ennemi de la vie, mais au contraire la vie elle-même; un tel “esprit” ne se perd pas dans la sèche abstraction mais reste ancré dans les saveurs, les odeurs et les grouillements de la Terre. C'est l'abandon de cette sophia  qui a fait le malheur de l'Europe. C'est le retour à cette sophia  qui la restaurera dans sa plénitude. (Detlev BAUMANN).

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Sur la fête de l'aurore

Frédéric VALENTIN:

Sur la fête de l’Aurore

 

 

Il est probable qu'une troisième classe de divinités s’insérait initialement entre celle du ciel diurne et celle du ciel nocturne : les divinités du ciel rouge, auroral et crépusculaire, en particulier les Aurores (1). L'intention d'une fête de l'Aurore a donc une certaine ambiguïté : soit elle vise à encourager l'Aurore contre l'offensive imminente du temps nocturne ; soit à renforcer l'Aurore contre sa propre lassitude.

 

 

Dans la religion cosmique, l'Aurore est l'intermédiaire obligé entre tous les dieux. Aussi, tantôt elle est une actrice énergique qu'il est très difficile de se concilier, surtout lorsque les rencontres qu'elle agence ont un caractère militaire, tantôt elle est l'objet de sévères disputes entre les deux forces qui la convoitent. En fait, l'Aurore est à la fois une déesse fille, mère et épouse des dieux, notamment ceux du ciel diurne.

 

Hiérogamie

 

 

Homère, dans le chant 14 de l'Iliade, narre l'union de Zeus et d'Héra sur le sommet du Gargaros. Schéma mythique : la scène se passe au printemps. Le retour du printemps est symbolisé par l'union amoureuse des deux divinités. Le lieu, la montagne, est essentiel. Il existe par exemple une " montagne de l'année ", le Lycabette dont le nom s'explique par le souvenir d'une liaison entre l'année et la montagne. La « montagne » de l’année est celle où se manifeste le retour du soleil : celle dont sortent les « Aurores de l’année ».

 

 

Le mythe de Vala

 

 

Selon le Veda, un être mythique, Vala, retient prisonnier dans une caverne les éléments de la création. Vala prospère grâce à cette rétention. Il faut qu'il soit assiégé par un Dieu armé de la parole et accompagné d'un chœur (le récit affirme qu'ils sont sept) pour que, fracturé par la parole, il relâche les biens de la création (2).

 

 

La caverne de Vala apparaît comme un enclos qui abrite les forces vitales entre deux cycles. Un tel lieu pourrait être connu par les mythologies de plusieurs peuples indo-européens. En Europe du Nord, les éléments qui permettront une vie nouvelle après la destruction du monde, lors du Ragnarök, sont sauvegardés dans le Gimlé. Puisque Vala symbolise l'hibernation de la Création accompagnée de l'affaiblissement de la nature, Vala fracturé c'est l'assurance du retour de la vie, du printemps. Ce retour est représenté par la délivrance des Aurores, les vaches d'abondance.

 

 

L'Aurore crée une filière

 

 

Selon les linguistes, il devait exister une formule indo-européenne : " Fendre la montagne par la formule pour faire luire la lumière cachée ". A partir de cette formulation, un réseau d'homologies est établi entre : lumière ; éveil ; vitesse vigueur et courage ; victoire. Parallèlement il existe une homologie entre chanter et luire.

 

 

L'Aurore, captive de la nuit silencieuse, est accompagnée de bruissements de la nature lorsqu'elle parait. D'où l'association entre l'apparition de la lumière et le bruissement, la rumeur matinale. Par inversion de l'effet et de la cause, le chant (ou bruissement) a délivré l’Aurore des ténèbres.

 

Selon les hymnes védiques à USAS l'Aurore, celle-ci préside au retour de la lumière solaire. En tant que bonne déesse, l'Aurore prodigue elle même ses dons, tout ce qui permet de subsister et d'être heureux. L'Aurore introduit la lumière en tant qu'éclairante, opposée à l'obscurité. Elle ouvre la succession des rites : elle met en rapport les dieux et leurs fidèles. Mais, simultanément, elle ouvre une longue saison avec un contenu incertain, imprévisible. En éclairant, elle éveille les acteurs de la comédie humaine et elle leur propose leur action. Elle ramène à la vue et à la mémoire les fins et les moyens de l'action de chacun, en sorte qu'elle entretient un rapport avec la déesse romaine Fortuna.

 

 

Rome et Mater Matuta (3)

 

 

Le jour romain commence à minuit et l'année débute après le solstice d'hiver car il existe une "bonne" obscurité, grosse du soleil, transmettant à l'Aurore l'enfant lumineux en train de naître. L'Aurore est considérée comme la mère adoptive du Soleil : elle le recueille. Ici, nuit et aurore ont en commun une œuvre maternelle. Ces “sœurs” sont des mères collaborantes. Soit elles sont les deux mères d'un même enfant, le Soleil (ou le Feu céleste}; soit l'Aurore prend livraison du fils de la nuit et le soigne à son tour (le Soleil étant remplacé, en Inde, par le Feu des offrandes).

 

Le service de la déesse se décompose en deux temps.

 

-          Aux matralia (11 juin), deux actions sont effectuées : Négative, chasser l'obscurité ; positive, recevoir le jeune soleil. Mater Matuta est la protectrice du plus brillant des nouveaux-nés, donc protectrice d'une catégorie de jeunes enfants.

 

-          Deux jours après, les Aurores récalcitrantes ( rôle tenu par des travestis), sont ramenées malgré elles et par ruse, à leur devoir .

 

Ovide signale que le jour des Matralia, les mères offrent des gâteaux en forme de roue, cuits dans un moule, et de couleur jaune. Cela se réfère à la naissance du soleil.

 

 

Conclusion

 

 

L'Aurore est à la fois : la compagne des guerriers (éveil, courage) ; celle des poètes (fendre la montagne par la formule); la porteuse de dons (bienfaits de la lumière opposée aux ténèbres) ; la garante du bon ordre du monde (une fois le souverain nocturne évincé, le jeune Dieu solaire peut naître). Ces multiples aspects sont à intégrer dans la fête de l'Aurore qui demande aussi que l'on choisisse entre la "montagne de l'aurore", ou la "fracture de la caverne" comme rite inaugural.

 

 

Frédéric VALENTIN.

 

 

(1) Jean HAUDRY : La religion cosmique des Indo-Européens. Arché,

 

Les Belles Lettres, 1987.

 

(2) Patrick MOISSON : Les dieux magiciens dans le Rig-Veda. Archè-Edidit. 1993, p.36 et suivantes.

 

(3) Georges DUMEZIL : Mythe et Epopée, III, 2°partie : la saison de l'Aurore. Gallimard, 1990.

 

 

 

 

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