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lundi, 08 septembre 2025

Guillaume Faye et la Russie

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Guillaume Faye et la Russie

Par Robert Steuckers

Préface à l'anthologie de textes de Guillaume Faye consacrés à la Russie et traduits en italien. Intitulée Contro la russofobia: Russia post-sovietica, federalismo eurosiberiano e crisi ucraina, cet ouvrage vise, pour l'essentiel, à réfuter les ragots colportés sur la personne de Faye, le décrivant comme "atlantiste" et partisan de l'Occident. Ces textes datent tous de la dernière décennie de Faye et constituent, en quelque sorte, un testament politique. Pour commander: https://www.amazon.it/dp/B0FP8VC5RC?ref=cm_sw_r_ffobk_cp_...

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Guillaume Faye a tenu longtemps un blog qui, hélas, n’a pas été assez connu voire a été délibérément ignoré par ses ennemis de tous horizons. Dans ce blog, Guillaume Faye traitait, avec le brio qu’on lui connait, les grands thèmes de notre époque. La Russie y tenait toutefois une place privilégiée. Tous comptes faits et six ans après sa disparition, la teneur de ses textes sur la Russie actuelle et sur les initiatives de son président est tout à la fois dense et agile : elle permet à l’honnête homme et au diplomate européen potentiel, soit le diplomate d’une autre Europe qu’il faut malgré tout espérer voir advenir, d’acquérir les bases essentielles et nécessaires pour pouvoir juger correctement la Russie, son histoire, son système politique, son essence, et pour traiter avec elle, au-delà de toutes les mièvreries et les hystéries idéologiques qui ont mené l’Europe à sa déchéance actuelle. Faye fut certes le théoricien d’une certaine identité européenne qui, pour renaître, devrait se dé-coloniser et organiser la remigration, mais il ne fut pas que cela : il fut un esprit capable d’arraisonner le réel au départ de nombreuses de ses facettes, selon un perspectivisme bien compris, suite à une bonne lecture de Nietzsche.

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Le tropisme russe, chez Faye, est toutefois ancien, bien que Français de l’Ouest, il ne se soit jamais frotté dès l’enfance ou l’adolescence à des faits russes, exprimés par des personnalités issues directement de l’espace russe ou de l’émigration blanche. A la fin des années 1970, la mouvance dite de « nouvelle droite », en laquelle il oeuvrait, avait commencé à adopter des positions très critiques à l’égard de la civilisation américaine, à l’importation en Europe de la sous-culture américaine et aux pratiques de la politique étrangère américaine, sur des tons différents de l’hostilité aux Etats-Unis que cultivaient les milieux de gauche suite, par exemple, à la guerre du Vietnam ou aux appuis apportés aux bourgeoisies compradores d’Amérique ibérique. Plus tard, les passerelles entre les deux modes d’anti-américanisme critique se feront de plus en plus nombreuses.

guillaume-faye-jeune-3445975739.jpgStefano Vaj et moi-même, nous nous sommes connus en juin 1979 lors d’une réunion organisée par Faye à Paris dans le cadre de sa mission de directeur du « Département Etudes et Recherches » du GRECE. Il convient de rappeler qu’il s’est acquis de cette mission avec un extraordinaire brio, jusqu’à son départ du GRECE, fin 1986. Les textes, souvent inédits, qu’il a produits dans le cadre de cette mission, prouvent l’extrême pertinence de sa pensée en bon nombre de domaines. Dans ces textes, épars, dispersés, rejetés par sa « hiérarchie » à qui il faisait de l’ombre à son corps défendant, l’affirmation européenne, contre l’hégémonisme américain, tient une place prépondérante.

9782911202278.jpgEn tant que Français, Faye reposait une bonne part de ses arguments sur les principes du non-alignement gaullien, théorisés notamment par Maurice Couve de Murville (qui fut nommé ministre des affaires étrangères en 1958) et Michel Jobert (ministre des affaires étrangères en 1973-74, opposé aux immixtions de Kissinger dans les affaires européennes). Jobert préfacera d’ailleurs l’ouvrage capital de Faye, Nouveau Discours à la Nation européenne (Albatros, janvier 1985), livre qui sera considérablement amplifié en 1999, dans une seconde édition parue chez L’Aencre. Je vais y revenir.

Le contexte des années 1970 est donc celui qui a éveillé un anti-américanisme militant dans la mouvance dite de « nouvelle droite ». Pourquoi ce rejet, précisément à ce moment-là de l’histoire européenne et mondiale ? Les Etats-Unis sous la présidence de Jimmy Carter connaissaient un ressac, du moins en apparence : la débâcle au Vietnam en 1975 (mais la présence américaine n’y était plus vraiment nécessaire vu l’alliance implicite avec la Chine de Mao suite aux tractations très habiles de Kissinger en 1972), l’endettement considérable que ce conflit indochinois avait provoqué dans les finances de l’Etat américain, le phénomène de la stagflation qui s’installait dû au manque de volonté d’investissement des milieux économiques américains donnaient l’impression que l’on avait affaire à une grande puissance sur le déclin, dont il fallait se débarrasser de la tutelle. Un tel rejet semblait alors possible. Carter avait tourné le dos au « réalisme politique » du tandem Kissinger-Nixon et opté pour un « soutien aux droits de l‘homme » partout dans le monde même chez des alliés des Etats-Unis (Somoza au Nicaragua, par exemple), soit pour un « idéalisme libéral », le terme « libéral » étant, dans le langage politique américain, le synonyme de ce qu’est pour nous le « gauchisme ».

71d44iz4dKL._SL1496_-3603283719.jpgIl resterait beaucoup à écrire pour expliquer à nos contemporains, et surtout aux « millenials » ce que furent ces années 1975-1980, où les grands problèmes irrésolus de notre troisième décennie du 21ème siècle ont émergé sur la scène internationale. Rappelons que les thèses pessimistes et alarmistes du Club de Rome commencent à circuler à partir de 1975, que le phénomène des « boat people » annonce, dès la chute de Saïgon, les problèmes de migrations massives vers l’Europe et l’Amérique du Nord, que le facteur religieux et l’opposition chiites/sunnites redeviennent cruciaux avec l’avènement de Khomeiny en Iran, que le « gauchisme » de Carter fera place dès 1979 à une autre déviance idéologique, le néolibéralisme de Thatcher et de Reagan (entraînant le monde dans une spirale socialement descendante, surtout depuis la crise de 2008), que des vagues successives et persistantes d’écologisme politisé et déréalisant ont envahi depuis 1979 les parlements de toutes les nations de l’américanosphère (terme inventé par Faye) pour culminer dans les errements dramatiques de l’avant-dernier gouvernement allemand dit « feu tricolore » (Ampel).

Annalena-Baerbock-2-cropped-scaled-1828108195.jpgCe gouvernement, présidé par le socialiste Olaf Scholz, comptait dans ses rangs une ministre, Annalena Baerbock, qui a réussi à porter au pinacle le cartérisme antiréaliste des années 1970, avec les résultats désastreux que l’on aperçoit aujourd’hui. Tel était donc le contexte dans lequel nous travaillions, Vaj et moi-même, avec Faye, à la fin de cette décennie dont les événements et les trouvailles idéologiques malsaines nous taraudent encore aujourd’hui et nous obligent à faire face à une dépolitisation totale, dont nous n’imaginions pas la survenance dans une telle ampleur. Ou si, oui, nous l’imaginions dans nos scénarios les plus outrés, nous aurions été enclins à penser qu’elle n’aurait qu’un règne très fugace, renversée aussitôt par des « restaurateurs du politique » comme l’entendait Julien Freund, le mentor de Faye.

30864351479-2333025117.jpgA ce propos, il y avait ce curieux roman « national-bolchevique » de Jean Dutourd, Mascareigne, où un militant communiste notoire devient président de la France pour se muer en un nouveau dictateur bonapartiste…

Le pandémonium qui se mettait en place entre 1975 et 1980 ne rencontrait que peu d’opposition. Le soft power qui l’orchestrait en coulisses brouillait pistes et repères, édulcorant les corpus doctrinaux en place, ceux de droite comme ceux de gauche, ceux de tradition maurassienne en France comme ceux de tradition marxiste à Paris ou ailleurs ou comme ceux du vieux libéralisme chanté par un Raymond Aron. Les uns comme les autres tentaient de se mettre au diapason des nouveaux engouements idéologiques : on a vu apparaître ainsi du marxisme écologisé ou du conservatisme vert ou un libéralisme, propre aux droites conventionnelles, aveugle aux problèmes des migrations croissantes, etc.

La confusion idéologique était généralisée : nous avions Reagan, adulé par les droites oublieuses de l’antilibéralisme de tous les anciens conservatismes, qui craignait en paroles l’Armageddon et l’Axe du Mal mais dont les services reprenaient certaines pratiques libérales-gauchistes préconisées par son prédécesseur Carter en soutenant, avec le Vatican, le mouvement Solidarnosc en Pologne, ce qui amena Faye à parler de « reagano-papisme », un mélange de protestantisme quaker américain, de libéralisme anglo-saxon outrancier et de vaticanisme moderniste. Bref une soupe abracadabrante…

12809065643-2531577606.jpgFace à cette confusion « impolitique », l’URSS de Brejnev apparaissait comme un pôle certes archaïque, désuet en bien de ses aspects, mais un pôle plus rationnel, plus réaliste que le pandémonium déclenché par les services dans l’américanosphère. En dépit de l’anticommunisme professé par la mouvance néo-droitiste ou par les autres formes de conservatismes (édulcoré ou non), la « soviétosphère » apparaissait plus traditionnelle, en dépit du vernis communiste. La figure emblématique de l’anticommunisme en Occident, à l’époque, était Alexandre Soljénitsyne. Or, dès 1978, à l’occasion d’un discours à Harvard, ce dernier se met à fustiger l’Occident et ses travers, redevenant un slavophile inutilisable pour les services occidentaux, au contraire des « occidentalistes » de la dissidence libérale russe.

ob_aecb3a_le-declin-du-courage01-985266360.jpgLes ouvrages ultérieurs de Soljénitsyne accentueront encore cette slavophilie qui accompagnera toutes les « droites » (ou mouvances considérées comme telles) hostiles à l’hégémonisme américain. Ce qui amena Faye à prononcer en privé l’un de ses célèbres bons mots : « La France doit adhérer au Pacte de Varsovie!». Il pensait même en faire le titre d’une bonne brochure militante, arguant que la position, encore quelque peu « tierce » de la France dans les années 1980, lui permettrait de sortir de l’impasse que devenait ce qu’il appelait le « Gros-Occident ». Boutade, mi polissonne mi sérieuse, énoncée au même moment où, en Allemagne, un formidable aréopage, venu des gauches comme des droites, envisageait la neutralisation des deux états allemands, de la Pologne, de la Hongrie, de la Tchécoslovaquie et des trois états du Benelux. Juste avant et juste après la perestroïka de Gorbatchev, cela bouillonnait ferme dans les espaces non-conformistes d’Europe, plus nombreux et mieux formés que ceux qui subsistent vaille que vaille aujourd’hui.

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En 1984, avec l’avènement de Gorbatchev et son projet de « Maison commune » désoviétisée, les apriori antisoviétiques habituels commencent à s’estomper ou à disparaître. A la même époque, Jean Thiriart, à Bruxelles, revient à la politique, conteste la perestroïka car elle fracasse l’ensemble soviétique qui, selon lui, était sainement cohérent, mais appelle à la constitution d’un espace « euro-soviétique » des Açores à Vladivostok. Faye, lui, parlera plutôt d’une « Euro-Sibérie ».

41hOhVQW1qL-2003627696.jpgCe concept avancé par Faye vient d’un dialogue que j’avais eu avec lui après lui avoir présenté un ouvrage fondamental, celui d’un Russe blanc, établi pendant l’entre-deux-guerres à Berlin puis à Stockholm, Youri Semionov, auteur d’un livre copieux sur les richesses de la Sibérie qu’un consortium euro-russe pourrait exploiter en commun. Plus tard, dans la première décennie du 21ème siècle, Pavel Toulaev, identitaire russe, lui expliquera que la Sibérie n’a jamais été un sujet de l’histoire, que seule la Russie l’a été en ce vaste espace, et qu’il conviendrait dès lors de parler d’  « Euro-Russie ». Faye a admis l’argument. Raison pour laquelle il parle dans les articles du présent volume de Russie et pratiquement jamais d’ « Euro-Sibérie ».

Après les premiers balbutiements de la perestroïka de Gorbatchev et avant la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, Faye avait quitté la mouvance dite « néo-droitiste », en butte qu’il était aux jalousies et aux intrigues propres à la clique parisienne qui s’agitait sous cette étiquette.

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Faye, pendant ses années passées dans les antres du showbiz (1987-1998) ne s’est donc pas exprimé (ou très peu par la suite) sur la période de déchéance de la Russie sous le piètre règne de Boris Eltsine. Toutefois, dans les addenda de 1999, ajoutés à la seconde édition du Nouveau Discours à la Nation européenne, Faye évoque clairement (mais trop brièvement) l’effondrement du potentiel militaire de la Russie, sa crise financière et son délitement politique et s’alarme surtout de son effondrement démographique. Il était donc bien conscient du problème de la « catastroïka » eltsinienne. En 1999, le problème premier qui mobilise les opinions en Europe est celui de la guerre que livre l’OTAN à la pauvre Serbie, sur laquelle ces addenda sont assez prolixes. La conclusion de Faye sur le bref paragraphe consacré à la période Eltsine est clair : « L’Europe devrait se consacrer à aider la Russie à se relever » (p. 174).

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Iévguény Primakov et Vladimir Poutine, au début de sa carrière publique en 2000.

Dès la fin de l’année 1999, toutefois, tout se met à changer à Moscou dans le sens souhaité par Faye, en fait sous l’impulsion discrète de Primakov. En 2000, commence l’ère Poutine qui mettra fin au binôme calamiteux de l’ère Eltsine où le pouvoir était détenu par la présidence (faible) et le comité des Sept Oligarques (qui vendait le pays à l’encan). Poutine mettra ces derniers au pas, comme on le sait, restaurant par la même occasion la primauté du politique, ce qui ne pouvait qu’enthousiasmer le disciple de Julien Freund qu’était Guillaume Faye.

Le regard de Faye sur le redressement de la Russie et sur les réalisations de Poutine est le sujet du présent recueil. Le lecteur pourra donc juger sur pièces.

Cependant, depuis les événements d’Ukraine en 2004 déjà et surtout, bien sûr, depuis les bouleversements de 2014 à Kiev, une confusion totale règne dans la mouvance identitaire (et non plus uniquement dans celle, réduite, de la dite « nouvelle droite »). Cette confusion est le résultat d’une inculture généralisée due à l’effondrement des systèmes d’enseignement dans toute l’Europe et, par suite, de l’incapacité des générations nées dans les années 1990 et 2000 à assimiler, par lecture et par raisonnement logique, des faits de monde sans être influencées par toutes sortes de filtres incapacitants. Le temps que l’on peut consacrer à la lecture est réduit à peu de minutes par semaine vu la surabondance des sollicitations audio-visuelles incapables d’imprimer durablement du savoir dans les cerveaux. Il y a certes de notables exceptions mais elles se font de plus en plus rares, rendant toute conversation inter-générationnelle avec nos cadets extrêmement pénible.

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A cet effondrement cognitif s’ajoute, chez ceux qui se piquent de faire de la « métapolitique » comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, une dispersion tous azimuts des centres d’intérêt, un émiettement dramatique du savoir dont Faye était déjà bien conscient et qu’atteste, à chaque numéro, la table des matières d’une revue dont il fut, un moment, l’animateur principal.

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On peut effectivement parler de la diffusion d’un savoir inutile, constitué de brics et de brocs qui virevoltent à la façon d’un mouvement brownien ; dans un tel contexte, les grands thèmes du savoir politique ne trouvent hélas pas leur place, comme si on cherchait délibérément à les occulter (pour le compte de qui ?). Il y a ensuite le mouvement dit « identitaire », qui connait des fleurons admirables, comme le travail d’un Sellner en Autriche et dans l’espace linguistique allemand, ou comme le mouvement « Terre & Peuple » en France, mais à côté desquels, hélas, on trouve aussi de petits cénacles réduits et repliés sur une poignée d’isolés qui ont peur de leur ombre, des bandes de copains ou de copines sympathiques mais inefficaces, sauf à organiser des barbecues quand le soleil atteint son zénith ou risque de disparaître à l’horizon au cercle polaire arctique, des clubs de collectionneurs nostalgiques animateurs d’oripeaux militaires ou autres portés au cours de certaines décennies du 20ème siècle, de petites escouades d’anachroniques en tous genres, des coteries de grognons qui vitupèrent contre les immigrations sans jamais analyser le problème et sans jamais proposer de mesures concrètes, etc.

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Le problème que soulève le terme « identitaire » aujourd’hui, n’existait pas quand le vocable a été utilisé pour la première fois, dès le tout début des années 1990, par les courageux pionniers de cette mouvance qui se voulait enracinée dans l’histoire européenne. Aujourd’hui le terme est utilisé dans des acceptions bien plus diverses, surtout celles qui ont émergé aux Etats-Unis, avec le mot « identity ». On parle désormais d’identité de genre, d’identité de race (dans le sens de « non-blanc »), d’identité sexuelle, LGBT+. L’identité n’est plus une référence à un collectif historique, à un peuple, à une communauté populaire, à un « nous ». Mais le terme « identité » sert à désigner ce que je veux ou prétend être en dépit des faits anthropologiques, biologiques, sexuels, raciaux, etc. Tel quidam peut se dire femelle, alakalouf, chienne de race Yorkshire, et définir ainsi son « identité » (choisie et, à ses yeux, incontestable) tout en étant objectivement mâle, bavarois et homo sapiens. Tel autre se déclarera transsexuel, numismate et handicapé tout en étant objectivement femme, douanière et championne de saut en hauteur. Si l’identitaire enraciné, par la revendication de cet enracinement, ne pouvait être qu’Angevin, Français, Européen ou Bavarois, Allemand, Grand-Germanique et Européen, l’identitaire perturbé ou le millenial fragilisé pourra dire qu’il est « identitaire » et « occidentalisé », s’assimilant donc à une culture de l’américanosphère qui a généré le wokisme et la « cancel culture », tout en étant contre l’immigration, seul critère factuel dont il sera tenu compte, alors que la généralisation des phénomènes migratoires depuis les boat people a été propagée par les Etats-Unis, qui, pour eux, sont l’hegemon protecteur contre les méchants Africains, Russes, Chinois et autres Bordures ou Poltomaltèques. Toutes les autres questions politiques dont la géopolitique (affaire de « boomers » parait-il…), l’économie politique, le droit ne sont plus jamais abordés et quiconque les aborde est un déviant ou, une fois de plus, un « boomer » (notion désormais élargie à tous ceux qui sont nés avant 1995). Rappelons-le une bonne fois pour toutes : l’Occident est ce qui nie en permanence les héritages solides partout dans le monde mais surtout en Europe. On ne peut donc se déclarer « occidentaliste » et évoquer le salut ou l'identité de l’Europe. Les deux postures sont incompatibles.

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Cliché pris par un de nos amis dans le Paris ratisé d'Anne Hidalgo: un métapolitologue browno-mobile a pris rendez-vous sur un site de speed-dating avec une millenial occidentalo-identitaire au QI à deux chiffres. 

Ce glissement vers le ridicule, cette lamentable déchéance de la pensée militante, s’est repérée dans un circuit qui fut pourtant très proche de Faye au cours des derniers mois de sa vie.  Ce mouvement était animé par un certain Daniel Conversano. Certes, il faut chaleureusement remercier ce Monsieur Conversano et une équipe de ses amis d’avoir généreusement aidé Faye dans les cruelles semaines de misère et de souffrance qui ont précédé son décès et d’avoir édité les derniers ouvrages de Faye, Guerre civile raciale et Nederland. Cependant, la contradiction entre les positions de nos deux hommes, l'admirateur naïf et le vieux métapolitologue disciple de JUlien Freund, a éclaté au grand jour dans un entretien filmé, sur Youtube,  entre notre cher Guillaume Faye et ce Daniel Conversano: ce dernier prononce le mot « Occident » avec trémolo dans la voix, Faye marque un très bref instant de silence et dit : « Moi, mais j’ai écrit un livre contre l’Occident ». Et l’autre, un peu perplexe malgré ses airs d’éternel rigolard fait: « Ah, bon ? ». Le malheur, c’est que Conversano et les millenials boutonneux qui le suivent comme s’il était un gourou hindou, n’ont jamais eu une vision complète de Faye, qui a été l’incarnation d’un militantisme ininterrompu de cinquante années : de ses dix-neuf ans, quand il arrive à Paris pour y étudier, à ses soixante-neuf ans, âge de son passage en l’autre monde et ce, malgré la parenthèse du showbiz où, en dépit du burlesque outrancier, le message qu'il cherchait à lancer demeurait parapolitique voire carrément politique. Sans procéder à une rétrospective bien étayé de l'itinéraire de Faye, sans une rétrospective chronologiquement fondée, on tombe alors dans les simplismes, que profèrent ceux que l’Education nationale française a abandonnés depuis près de quatre décennies. Ils ne peuvent hélas plus proférer autre chose que des simplismes.

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Le livre que vous avez ici entre les mains vise justement à réfuter l’image d’un Faye, réduit à une hostilité aux migrations non-européennes en Europe (hostilité qui était certes bien présente chez lui), à un adepte d’un occidentalisme qu’il a pourtant toujours âprement combattu et, partant, puisqu’il serait « occidentaliste », on fait parfois aussi de lui un fervent supporter de Zelensky (après les prestations de ce dernier dans le showbiz ukrainien…). Ce livre vise donc aussi à réfuter les légendes tenaces (et partiellement répandues par ses ennemis rabiques au sein du cœur de la mouvance dite de « nouvelle droite ») qui font de lui un « agent de la CIA » et un « sioniste » (jamais il n’a eu l’idée d’aller s’établir en « Terre Sainte » pour y attendre le retour du Christ ou du Messie). Ce livre a donc pour objectif de rétablir, dans l’esprit de ses futurs lecteurs, l’image du vrai Faye, celui qui anima le « Département Etudes & Recherches » du GRECE. Celui qui fut mon chef et que je n’abandonnerai jamais. Celui qui est présent, en pensées, à côté de moi quand je traduis sans relâche les articles de mes camarades du monde entier. Et que je les diffuse sur la « grande toile ».

Robert Steuckers, Forest-Flotzenberg, août 2025.

 

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Ordre, autorité, communauté

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Ordre, autorité, communauté

Le conservateur authentique, c'est-à-dire continental, se distancie du pseudo-conservatisme anglo-américain. Il s'oppose beaucoup plus fermement au libéralisme, dont le mot d'ordre est devenu : liberté, égalité, fraternité.

Jiří Hejlek

Source: https://deliandiver.org/rad-autorita-pospolitost/

Nous nous trouvons dans une situation qui exige un nouvel ancrage intellectuel de l'action politique. Il est aujourd'hui courant d'utiliser le terme « conservatisme » dans ce contexte. Nous nous opposons ainsi au libéralisme dominant, que nous rejetons instinctivement, mais dont nous reprenons généralement les schémas intellectuels et le langage, restant ainsi sous son influence.

L'éminent philosophe politique russe Alexandre Douguine est bien conscient des écueils auxquels se heurte le conservatisme et préfère donc qualifier sa position de « quatrième théorie politique », qui s'inscrit dans la continuité du traditionalisme conservateur.

La première théorie, actuellement victorieuse mais en déclin, est le libéralisme, envers lequel il faut se démarquer.

La deuxième est le socialisme et le communisme, qui sont morts d'épuisement à un âge avancé, tandis que la troisième théorie, c'est-à-dire le fascisme au sens large, est morte jeune de ses propres maladies. Il n'est plus possible de s'appuyer sur l'une ou l'autre des deux dernières théories, même si l'on peut y trouver des éléments positifs. Cherchons donc une quatrième théorie. Voilà expliciter sommairement la position de Douguine. Il convient encore de noter qu'il s'appuie sur les conservateurs les moins respectables, tels qu'Alain de Beonist aujourd'hui et Arthur Moeller van den Bruck, Oswald Spengler ou Carl Schmitt dans le passé.

Nous conserverons le terme « conservatisme », car il est plus courant en Europe centrale qu'en Russie. Il est souvent opposé au libéralisme, mais généralement sans clarification de ses fondements idéologiques. Nous laisserons de côté les expressions confuses telles que « politique libérale-conservatrice » et montrerons au contraire la forte opposition entre ces deux positions politiques et idéologiques.

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Cette opposition est complètement occultée par l'interprétation anglo-saxonne des termes correspondants et des concepts qui leur correspondent. Partons de la théorie civilisationnelle selon laquelle la civilisation actuelle dans la majeure partie de l'Europe est une civilisation atlantique, dont les foyers sont les pays anglophones. Elle a pour ambition de conquérir progressivement le monde entier et, depuis ses débuts à la fin du 17ème siècle, elle utilise non seulement la violence, mais aussi une propagande sophistiquée.

C'est une civilisation bâties sur des illusions auxquelles elle succombe elle-même, et c'est pourquoi l'hypocrisie est sa caractéristique typique. L'ensemble de ces illusions forme son idéologie libérale éclairée, qui se présente hypocritement comme une simple description de ce qui est « naturel » et donc universellement valable.

L'illusion centrale, autour de laquelle tout le reste gravite, est celle de la liberté. Le libéralisme a fabriqué de toutes pièces un individu libre qui, d'un côté, est l'égal de tous les autres et, de l'autre, n'est qu'un simple exemplaire de « l'homme en général ». L'idole ainsi créée est devenue une divinité dans le culte de l'humanisme et des droits de l'homme.

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La Révolution française, qui a suivi la Révolution anglaise de cent ans et la Révolution américaine de plus de dix ans, a formulé le célèbre slogan du libéralisme : liberté, égalité, fraternité. Ses racines sont toutefois anglo-saxonnes. Lorsque le conservatisme a commencé à se former à la fin du 18ème siècle en opposition au libéralisme, une différence déjà nette est apparue en Europe entre les positions des fondateurs du conservatisme britannique et continental.

Le conservatisme britannique, puis américain, ne sont en fait que des ramifications du libéralisme. Ils en maintiennent les principes fondamentaux: la liberté individuelle, la protection de la propriété, la méfiance envers l'État et les autres autorités, et surtout le libre marché. Après tout, deux célèbres conservateurs britanniques sont issus des rangs des libéraux: Edmund Burke et Winston Churchill.

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Le leader conservateur victorien Disraeli (photo) était un défenseur du libre-échange. Nous ne devons pas non plus nous faire d'illusions sur nos héros conservateurs anglo-saxons des années 80, Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Sans parler de Donald Trump. Leurs positions morales étaient certes louables, mais en matière économique et sociale, ils étaient des libéraux purs et durs.

Chez les Britanniques, il ne faut pas se laisser tromper par leur attachement apparent au caractère aristocratique du conservatisme. Immédiatement après la révolution anglaise de 1688, dont Burke est si fier, les aristocrates sont devenus des entrepreneurs capitalistes, alors qu'en France, et a fortiori en Allemagne, ils sont longtemps restés séparés de la bourgeoisie. De même, la figure du roi britannique est trompeuse. L'influence de la couronne a décliné jusqu'à ce qu'avec l'avènement de la dynastie hanovrienne, qui détient encore aujourd'hui la couronne, la Grande-Bretagne devienne essentiellement une république oligarchique dirigée par les financiers de la City de Londres, qui ont renversé le roi légitime en 1688 et placé sur le trône leurs marionnettes Marie et Guillaume d'Orange.

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En France, le conservatisme est né de l'opposition à la révolution. Tout le monde connaît aujourd'hui le nom du pseudo-conservateur Burke, mais qui connaît Joseph de Maistre (illustration) ou Louis-Gabriel de Bonald, véritables pères fondateurs du conservatisme ? L'art anglo-saxon de la propagande a réussi à effacer presque totalement ces grands hommes de la mémoire historique. Il en a été de même pour un autre noble et diplomate, l'Espagnol Juan Donoso Cortés. Ce n'est pas un hasard si tous étaient catholiques, tout comme les fondateurs du conservatisme romantique allemand, Adam Müller, Friedrich Schlegel et Friedrich Wilhelm Joseph Schelling. On peut également citer des poètes et des écrivains. Outre Schlegel, déjà mentionné, il y a son ami Novalis, le Français François René de Chateaubriand et, plus tard, l'admirable Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Son œuvre complète a été traduite en allemand par Moeller van den Bruck, chef de file du conservatisme allemand du premier quart du 20ème siècle.

Après avoir clarifié la question de l'origine du conservatisme dans sa forme continentale authentique, accompagnée d'un bref aperçu historique, nous nous pencherons sur les principes fondamentaux du conservatisme authentique. Revenons donc à la liberté libérale. Celle-ci montre clairement son vrai sens sous la forme de la liberté du commerce. Alors que les libéraux « pudiques », tels qu'Isaiah Berlin, mettent l'accent sur la liberté négative, c'est-à-dire la liberté de quelque chose (par exemple de la peur), et comprennent ainsi la liberté comme une indépendance, les libéraux directs mettent l'accent sur la liberté pour quelque chose. Il ne s'agit en fait que de pouvoir. La liberté du marché est la liberté des plus riches d'éliminer progressivement les moins riches. La liberté des grandes nations leur permet d'opprimer les petites. La liberté de l'individu sans scrupules lui donne le pouvoir d'asservir les plus démunis. Les Anglo-Saxons mettent donc l'accent sur le droit naturel, qui crée l'illusion parfaite que cette oppression est une évidence. Ils s'opposent également à un État qui pourrait faire obstacle à ce gouvernement illusoire du droit. À la place de l'État, ils ont mis en place une structure appelée « société », ou « société ouverte » ou « société civile ». Nous y reviendrons plus tard.

adam-heinrich-muller-illustration-md-2799369282.jpegLes conservateurs ont remarqué la confusion entre liberté et pouvoir. Ils ont compris que la liberté n'est pas indivisible. Au contraire, peu de choses peuvent être divisées aussi bien que la liberté. La liberté des uns repose souvent sur la servitude des autres. Là où se manifeste le désir de liberté d'une communauté, une autre vague de désir pour une autre liberté se lève contre elle. Adam Müller (ill. ci-contre) a génialement appelé ce phénomène « anti-liberté ». Dans nos actions, la valeur est ce qui ne peut être réduit à quelque chose de plus fondamental, ce qui ne peut être défini par autre chose. Déclarer quelque chose comme une valeur est une sorte d'axiome moral.

L'interprétation de Kant de la valeur comme impératif catégorique était erronée, mais ne nous attardons pas là-dessus. Pour nous, il est important de comprendre que la liberté n'est pas une valeur. D'où pouvons-nous donc la déduire pour ne pas avoir à la considérer comme un simple pouvoir ? La réponse conservatrice est: de l'Ordre. L'ordre n'est pas l'œuvre des hommes ni une question de règles. Il est donné aux hommes de l'extérieur comme tout ce qui sert leur bien. Mais il n'est pas donné de telle sorte que nous le voyons, le comprenons et l'appliquons immédiatement. Il change de forme au cours de l'histoire et l'homme doit le redécouvrir sans cesse. Il a également ses formes culturelles. C'est pourquoi les conservateurs accordent une telle importance à l'histoire et aux différentes nations. De Maistre disait qu'il ne connaissait pas l'homme, mais seulement des Français, des Allemands, des Russes, etc. La liberté n'est possible que dans le cadre de l'ordre, elle n'est pas le libre arbitre d'un individu ou d'un groupe d'individus. La liberté dans le cadre de l'ordre découle de l'axiome le plus fondamental: rien de ce qui concerne l'homme n'est autonome, mais hétéronome.

OIP-1203607757.jpgAdam Müller soulignait la différence fondamentale entre ce qui est vivant et ce qui est inanimé ou mort. Il disait par exemple que le concept est mort, mais que l'idée est vivante. Oswald Spengler (ci-contre) a repris cette idée plus tard dans sa conception de la civilisation. Selon lui, chaque civilisation commence spontanément, s'éveille à son apogée. Dès que les formes culturelles vivantes se figent et se fossilisent, une période de civilisation, une époque de formes mortes, commence, signe indubitable de sa fin prochaine.

Un conservateur authentique reconnaît cette différence dans tout et fait la distinction entre l'organique et le mécanique, entre ce qui peut croître par lui-même et ce qui est simplement construit. Tout ce qui trouve son origine dans l'autonomie humaine est artificiel, mécanique, donc mort. Ce qui nous est donné de manière hétéronome est vivant, organique. L'ordre est de nature organique, ce qui est une définition bien meilleure que « naturel ». Le principe de l'ordre hétéronome s'oppose radicalement à l'idée autonomiste d'une loi déterministe de l'histoire et de son mouvement immanent, et donc à l'idée de progrès.

Si nous nous en tenons au mot d'ordre de la Révolution française, nous devrions maintenant nous occuper de l'égalité. À première vue, il est évident que l'égalité appartient également au domaine des mécanismes morts. Les libéraux ont beau se tortiller comme ils le peuvent, ils en arrivent toujours à transformer l'égalité en uniformité.

550daa8dc80455f2486d1038069d19e5.jpgEt l'égalité juridique initialement prévue, combinée à la conception libérale de la liberté comme arbitraire, transforme d'une part chaque être humain vivant en un élément mort et indifférent de la soi-disant société et, d'autre part, lui permet de se créer – de manière illusoire, bien sûr – en ce qu'il veut. C'est ainsi, par exemple, que nous sommes passés du statut juridique des femmes à la création de dizaines de statuts sexuels, appelés de manière absurde « genres ». La question se pose donc: si l'ordre est le fondement de la liberté possible, quel est le fondement de l'égalité ? Et tout comme l'égalité est liée à la liberté, le fondement de l'égalité est-il lié à l'ordre ? Cette fois, la réponse tient en deux mots étroitement liés : hiérarchie et autorité. Et ceux-ci sont bien sûr liés à l'ordre.

Lorenz-Oken-lithograph-1131255577.jpgAu tout début de la civilisation atlantique des Lumières, on avait encore conscience de l'ordre inhérent à toute chose. Carl Linné et ses disciples trouvaient l'ordre de la nature dans son organisation hiérarchique. Au cours de la première moitié du 19ème siècle, le naturaliste et philosophe Lorenz Oken (ill. ci-contre) a créé un système sophistiqué pour toute la nature. L'effondrement du principe hiérarchique n'est survenu que lorsque la hiérarchie, qui faisait obstacle à la pensée des Lumières parce qu'elle maintenait l'idée d'hétéronomie, a été littéralement uniformisée (le terme nazi de Gleichschaltung est ici approprié) par le principe purement autonomiste de l'évolution. Le modèle évolutionniste a écarté de la pensée européenne la pensée hiérarchique, non seulement dans ses relations avec la nature, mais aussi dans ses relations avec l'environnement humain. Aujourd'hui encore, on sous-estime philosophiquement la négation darwinienne des frontières entre les espèces, qui sont devenues « fluides ».

Alors que dans la nature, la hiérarchie est une propriété immanente que personne ne peut remettre en question, dans l'environnement humain (nous ne l'appelons pas « société »), elle est maintenue, voire transformée, par un facteur hétéronome, à savoir l'autorité conférée à certaines personnes qui sont responsables de son utilisation. Celle-ci est un instrument indispensable au maintien de la cohésion des groupes humains. Après avoir brisé la hiérarchie dans l'environnement naturel de l'homme, la civilisation atlantique a dû trouver le moyen de perturber la hiérarchie ici aussi.

aristoteles_e4c48da3_550x825-4015537808.jpgLa seule possibilité était de nier toute forme d'autorité, ce qui a plongé la fragile hiérarchie interhumaine dans le chaos actuel. Un conservateur authentique doit donc insister sur le rétablissement de l'autorité, en particulier dans quatre domaines. Il s'agit de la famille, de l'école, du travail et de l'État. Si les trois premières autorités, à savoir les parents, les enseignants et les employeurs, ne suscitent apparemment pas beaucoup de controverses, l'autorité de l'État est aujourd'hui problématique. Il existe une explication conservatrice à cela. Par État, nous entendons une structure institutionnelle qui garantit aux citoyens d'un État donné ce qu'Aristote appelait « eu zén », une bonne vie, ou plus précisément une bonne existence, ce qui ne signifie pas le bien-être matériel, mais une vie digne.

L'État, ou la communauté, doit, par son gouvernement, offrir à ses citoyens un cadre de vie meilleur que celui dont ils disposeraient sans lui. Malheureusement, la formation politique actuelle, qui prétend être un État, ne gouverne pas et n'administre pas le pays de manière à rendre la vie digne d'être vécue. Les conservateurs veulent que la nation retrouve sa pleine souveraineté, qui lui apporterait un État capable de devenir une véritable autorité.

À ce stade, on ne peut ignorer la question de la démocratie. Elle n'est pas essentielle à notre analyse, nous n'y ferons donc qu'une brève allusion. Aujourd'hui, on n'utilise plus les slogans « liberté et égalité », mais « liberté et démocratie ». On y ajoute parfois « prospérité ». Celle-ci est certes bonne pour la paix dans l'État, mais ce qui importe davantage, c'est la vie digne dont nous venons de parler. Si un slogan est répété à l'envi, les mots qu'il contient perdent leur sens. Pour conserver son efficacité, il faudrait le retirer de la circulation comme une pièce usée ou un billet de banque froissé. Mais cela n'arrive généralement pas. Le slogan change en effet de mission. Il devient une shahada, une profession de foi succincte. Le prononcer signifie que l'on appartient à la religion correspondante.

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Aujourd'hui, lorsqu'une personne se revendique de la « liberté et de la démocratie », elle montre qu'elle appartient à la civilisation atlantique et qu'elle professe sa religion, centrée sur les valeurs sacrées du libéralisme (liberté), de la démocratie (égalité) et des droits de l'homme (fraternité). Dans l'Empire romain, la loyauté s'exprimait par des sacrifices aux dieux romains, les chrétiens ont le Credo et les musulmans la shahada, les communistes avaient le socialisme et l'internationalisme prolétarien. Le fait que le mot « démocratie » soit devenu une sorte de formule magique rend son analyse et son interprétation difficiles. La « liberté » est plus facile à comprendre, car elle a d'autres utilisations que politiques.

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Une fois débarrassé de son contexte idéologique, le mot « démocratie » ne pose pas de problème majeur aux conservateurs. Il a alors un double sens. Tout d'abord, il exprime la volonté de donner à tous les citoyens jouissant des droits correspondants, et donc pas aux étrangers par exemple, la possibilité de participer à la vie publique. Dans ce sens, le conservateur considère la démocratie comme l'opposé de l'oligarchie, qui est le régime politique typique du libéralisme, hypocritement déguisé en démocratie. Une telle « démocratie » n'est rien d'autre que le règne de l'argent, comme l'a démontré Oswald Spengler.

Dans le second sens, la démocratie est également acceptable pour les conservateurs sous certaines conditions. Il s'agit d'une démocratie procédurale, formelle, c'est-à-dire la sélection des représentants politiques sur la base d'élections. Pour un conservateur authentique, le problème réside dans le système parlementaire multipartite, qui tend vers une oligarchie libérale et dans lequel les partis politiques se réduisent à la représentation non pas des citoyens, mais de groupes d'intérêt.

La république est un bon terme pour désigner une démocratie non partisane et anti-oligarchique. À l'heure actuelle, où la noblesse européenne, avec à sa tête les familles royales, a été dénationalisée et s'est en fait fondue dans la ploutocratie mondiale, le système politique le plus acceptable pour les conservateurs est la république telle que décrite ci-dessus. Il est donc plus approprié d'utiliser le terme « républicain » que « démocratique » en relation avec le conservatisme.

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L'idée s'impose que le problème le plus immédiat lié à l'égalité est la question sociale. Le paragraphe précédent a déjà indiqué que le conservateur est proche du socialiste à bien des égards (notamment dans son opposition commune à l'individualisme libéral). Bien sûr, il ne part pas comme lui de l'égalité ni de la « solidarité ». La « solidarité » est l'équivalent actuel du mot désuet « fraternité ». Du point de vue du conservatisme authentique, il s'agit pour ainsi dire d'un concept d'urgence qui implique la notion de « société » en tant qu'entité sociale atomisée et mécanique. Les partisans actuels du socialisme trahissent par le terme « solidarité » leurs origines libérales du début du 19ème siècle. Un social-démocrate pourrait leur faciliter leur rejet croissant de l'héritage libéral.

Ferdinand_Toennies_web2-4045707833.jpgLe créateur de la sociologie philosophique allemande, Ferdinand Tönnies (photo), s'est inspiré des oppositions déjà évoquées entre « vivant » et « mort », ainsi qu'entre « organique » et « mécanique ». En tant qu'opposant actif au national-socialisme naissant, il adhéra en 1930, à l'âge de 75 ans (!), au Parti social-démocrate allemand. Entre autres, en 1936, année de sa mort, parut une nouvelle édition de son opera magna, Gemeinschaft und Gesellschaft (« Communauté et société ») de 1887. Il y oppose les structures sociales mécaniques et organiques. La société représente les structures mécaniques, tandis que la communauté représente les structures organiques. C'est précisément la communauté qui est devenue au 20ème siècle la clé de la résolution des problèmes sociaux pour les conservateurs. Dans le monde anglo-américain, un courant politique appelé « communitarisme », d'après le terme anglais désignant la communauté, a même influencé la philosophie politique de la fin du 20ème siècle. Les communitaristes étaient soit des libéraux, soit des pseudo-conservateurs.

Chaque individu appartient à plusieurs communautés, et ces appartenances constituent son identité. La communauté fondamentale est la famille, ou plutôt la lignée. À la campagne notamment, il s'agit de la communauté de voisins, qui peut s'étendre à tout le village. La communauté religieuse, de la paroisse au diocèse, est également incontournable. Nous connaissons également les cercles d'amis, qui sont des communautés d'amis. La communauté se crée également dans les relations de travail. L'histoire nous a surtout appris l'existence des corporations, qui réunissaient des personnes exerçant la même profession, de manière beaucoup plus étroite et surtout plus durable qu'aujourd'hui.

Les communautés sont capables de créer un réseau complexe de relations, dont la société civile n'est qu'un piètre substitut. Là où aucune structure identitaire de communautés ne se construit, la société civile s'installe. La communauté qui englobe toutes les autres est la nation. La nation n'est toutefois pas seulement une communauté de contemporains, elle comprend également les ancêtres et les descendants. La tâche des contemporains est de transmettre l'héritage de leurs ancêtres à leurs descendants. Pour les conservateurs, il n'y a donc pas de conflit générationnel. Si l'on exclut les contemporains de la nation, il ne reste que le peuple. C'est précisément le peuple que les libéraux et les socialistes libéraux appellent à tort « société ». Mais le peuple n'est pas un mécanisme, il est vivant, très vivant. Il est également le sujet qui forme les institutions couronnées par l'État. Seul le peuple, qui est en même temps une nation, peut créer un État libre. Libre au sens de l'indépendance et au sens du pouvoir. Pour cela, il faut encore que l'État soit construit et maintenu (c'est-à-dire conservé) par des individus connaissant l'ordre et dotés d'une autorité légitime.

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La vie d'une nation se déroule au sein de communautés hiérarchisées. Cela vaut également pour les relations de travail. Pour le conservateur continental (tout comme pour le socialiste), le travail jouit d'un grand prestige. Les gens devraient exercer des professions utiles, qui apportent un bénéfice réel, qu'il soit matériel ou immatériel, et ils devraient les exercer si possible toute leur vie et dans le cadre de la famille. Le credo du conservateur vise le déclin de toutes les formes possibles de migration et de mobilité.

Il ressort clairement de ce qui précède que le conservateur continental (contrairement au conservateur anglo-américain) est opposé au capitalisme. La question reste ouverte de savoir si – ou plutôt comment – les idées du corporatisme peuvent être reprises dans l'économie. L'une des caractéristiques qui distingue la communauté de la société est la cohésion interne. C'est pourquoi nous ne parlons pas de solidarité, c'est-à-dire des relations entre des étrangers, mais de cohésion, de cohésion interne. Seuls les membres d'une même communauté nationale peuvent aider volontiers les autres membres de cette communauté.

Le réseau des communautés doit également servir de base à la vie politique. La politique doit être exercée par des citoyens respectés et riches d'une longue expérience de la vie. Ceux-ci représenteraient différentes communautés partielles, et non des partis. Il est toutefois évident que des partis politiques verraient le jour au sein des assemblées représentatives, mais ceux-ci ne seraient pas des institutions permanentes.

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Le contrôle de l'économie doit être une tâche importante. Les conservateurs ont toujours exigé que l'économie soit contrôlée politiquement, civilement. C'est une autre caractéristique qu'ils partagent avec les socialistes et qui les oppose aux libéraux. Bien qu'ils soient partisans d'un ordre hiérarchique dans le domaine économique, ils considèrent comme néfaste l'apparition de trop grandes différences de richesse entre les individus. On retrouve cette idée dans La République de Platon.

Pour conclure, rappelons un fait oublié. Dans la folie écologique actuelle, rappelons-nous que ce sont les conservateurs continentaux qui ont été les premiers à brandir l'étendard de la protection de la nature. Leur romantisme les a conduits à cette idée, ainsi que l'égarement des capitalistes. Dès le début du 19ème siècle, Adam Müller s'est lancé dans une campagne contre la déforestation en Allemagne pour des profits dérisoires. On peut trouver de nombreux exemples de ce type.

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Les conservateurs ne doivent plus laisser les extrémistes s'approprier cette question. L'approche conservatrice ne devrait probablement pas utiliser le terme « écologie » et ses dérivés, mais nous pourrions plutôt parler de protection et de préservation (conservation) de la nature pour les générations futures, pour la nation. Cela va de pair avec l'entretien général du paysage et la production d'une alimentation nationale saine.

Faisons un bref résumé. Un conservateur authentique, c'est-à-dire continental, se distancie du pseudo-conservatisme anglo-américain. Il s'oppose beaucoup plus fermement au libéralisme, dont le slogan est devenu : liberté, égalité, fraternité (1). Le conservateur, en revanche, répète : ordre, hiérarchie et autorité, communauté et nation. Il s'oppose aux déviations sexuelles et de genre, à la folie écologique et aux autres pratiques terroristes de la ploutocratie mondiale.

Note :

(1) Et en effet, ce slogan mystique des démocraties a surtout sa place sur les drapeaux. Dès qu'on le retire, il devient et est déjà devenu source d'innombrables contradictions. Dans la triade Liberté – Égalité – Fraternité, le mot liberté est primordial, sinon pourquoi serait-il placé en tête ? D'ailleurs, sa primauté sémantique découle trop clairement de tout ce que nous avons envisagé depuis la Renaissance [idée libérale].

Les deux autres termes expriment également des exigences, mais les choses se présentent ainsi : la fraternité est une réminiscence pathétique, inconsciemment religieuse, elle témoigne de la descendance chrétienne évangélique et du lien qui existe entre toutes les formes de démocratisme, tous les hommes sont les enfants du même Père divin, ils sont donc frères et doivent s'aimer fraternellement.

Sur le plan moral et émotionnel, cette réminiscence est appropriée, mais sur le plan factuel, elle n'est qu'une métaphore, tandis que l'exigence de liberté est prise au sens littéral, « réaliser et naturaliser ».

Quant à l'égalité, en tant qu'exigence abstraite, elle n'a pas plus de sens concret ; en réalité et naturellement, les hommes ne sont pas, ne peuvent et ne doivent être égaux, l'humanité n'est pas, ne peut pas et ne doit pas être la répétition d'un même exemplaire biologique et psychique en trois milliards d'exemplaires, l'inertie de l'égalité et de l'uniformité arrêterait son évolution si elle ne la ramenait pas à l'état simiesque : le rouquin n'est pas l'égal du brun, le travailleur n'est pas l'égal du paresseux, le génie n'est pas l'égal de l'idiot, l'homme à la volonté active n'est pas l'égal du primitif incorrigible qui ne veut rien d'autre que satisfaire ses besoins végétaux.

L'égalité en tant qu'exigence abstraite est tout simplement un malentendu, et plus précisément une conclusion erronée tirée du rationalisme philosophique des Lumières et de l'empirisme philosophique des Lumières: dans le rationalisme, elle découle de la définition de l'homme comme être doué de raison, contrairement à l'animal, et de la conception cartésienne de la raison comme « la chose la mieux partagée du monde », c'est-à-dire la chose la mieux, la plus généralement et la plus équitablement partagée dans le monde ; dans l'empirisme, on y est parvenu par l'expérience, c'est-à-dire par l'observation de la vie, qui présente chez l'homme les mêmes attributs, depuis la même bipédie jusqu'à la même capacité de parler et de penser raisonnablement.

Mais, qu'il soit dit aux rationalistes que la raison est certes la chose la plus uniformément partagée entre les hommes (chacun a une raison), mais qu'elle est très inégalement et inégalement répartie (personne ne l'a autant et comme un autre) ; aux empiristes, qu'il faut dire que nous sommes tous bipèdes, mais que chez beaucoup, la qualité humaine continue à marcher à quatre pattes, seul le tronc s'est redressé.

Le reste de l'erreur a été fourni par le zèle enthousiaste de la lutte des Lumières contre l'Ancien Régime et ses privilèges de naissance et de classe, et plus encore par le primitivisme égalitaire démagogique du progressisme moderne.

L'identité abstraite de la même chose, mais répartie de manière inégale entre les individus, ne fonde absolument pas une quelconque égalité naturelle et intrinsèque entre tous, et ne peut en aucun cas être formulée comme une exigence d'égalité qui, dans la coexistence sociale, égaliserait et nivellerait les différences individuelles entre les personnes.

Voltaire n'a donc jamais été l'égal de son tailleur, et à l'époque, ils le savaient tous les deux, et Einstein n'est pas l'égal d'un gitan analphabète, et aujourd'hui, au moins Einstein le sait. Cela n'empêchait pas le tailleur, et encore moins le gitan, d'être des adeptes bruyants et exigeants de l'égalité commune à quatre, en pensant avant tout à l'égalité des biens. Pour leur faire plaisir, pensons-y nous aussi, hélas, mais montrons en même temps que l'égalisation ou l'uniformisation des gens dans la société, ne serait-ce qu'en termes de propriété absolue, est une solution totalement utopique qui ne survivra pas à une seule génération : au cours de ces trente années, ces personnes « égalisées » contribueront de manière très, très différente selon leurs talents et leur diligence, et à la fin de la génération, une inégalité renouvelée apparaîtra et l'égalisation devra être répétée de force, de sorte que le développement social devra nécessairement repartir tous les trente ans d'une « tabula rasa » sociale, de zéro, du déluge. – Réflexion de V. Černý tirée de : O povaze naší kultury (Brno : Atlantis, 1991), 39–41.

Note du site DP :

« ... aucun conservateur ne veut être exclu du débat public comme quelqu'un qui a déjà « franchi la ligne ». Les conservateurs ? Ce ne sont que des libéraux un peu en retard sur leur temps, que les progressistes tirent derrière eux comme un canard en bois, qui se met parfois sur la tête, dont on bloque parfois les rouages, mais qui, en principe, maintient le cap », déclare – en notre nom et au nom de notre – Václav Jan dans son article (« Desatero progresivní detektivky »). Et il en a toujours été ainsi, puisque les premiers conservateurs continentaux ont été des aristocrates libres penseurs – des libéraux français, des monarchistes modérés qui ont pris peur devant les conséquences de leur propre idéologie (voir O. Spengler, Myšlenky, p. 162 et suivantes) : y compris la guillotine.

C'est ainsi que « la droite » s'est progressivement rapprochée de ses adversaires de classe, les réactionnaires irréconciliables du « trône et de l'autel » (voir P. Sérant, Le romantisme fasciste, p. 299 et suivantes). Dans la seconde moitié du 19ème siècle, sous la pression des socialistes internationalistes, les nationalistes-républicains bourgeois, véritables démocrates, se joignent à eux.

Par la suite, les esprits les plus pénétrants constatent que dans un contexte de décomposition générale, de « déclin de l'Occident », le conservatisme ne peut plus être que révolutionnaire... « Si nous comprenons la raison bourgeoise comme une pensée démocratique-libérale au sens général, il est évident que la révolution conservatrice la critique de manière destructrice, c'est-à-dire de manière totalement négative. » Alors que : « Le néo-marxisme veut que sa critique de la raison bourgeoise aboutisse à quelque chose de positif – il ne peut donc logiquement être la continuation d'une critique qui voulait aboutir à la destruction. » Il en découle que « il est vrai que, par rapport au monde qui les entoure, les fascismes sont révolutionnaires au sens le plus radical et aussi au sens étymologique du terme, ce que même leurs adversaires les plus honnêtes ont fini par reconnaître.

Horkheimer, marxiste à l'origine et finalement porte-parole d'une sorte de néo-judaïsme abstrait, a reconnu à la fin de sa vie que « la révolution ne peut être que fasciste », car seul le fascisme veut renverser complètement le « système de valeurs » existant et « changer le monde », de sorte qu'il considère le monde actuel exactement comme les premiers chrétiens considéraient le monde gréco-romain et l'Empire romain. » (voir G. Locchi, Podstata fašismu, p. 40, 16)