Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 23 janvier 2007

Berichten uit Rusland

http://eurorus.altermedia.info/date/2007/01/

Rusland wil onafhankelijkheid Kosovo voorkomen

Posted: Thursday, January 18th, 2007 @ 5:32 pm in Wallstreet wurggreep rond Rusland : Servië | No Comments »

Rusland wil de door de Wallsstreetmaffia gewenste onafhankelijkheid van de met Albanese immigranten bewoonde Zuid-Servische provincie Kosovo voorkomen. Dat berichten kranten in Belgrado, verwijzend naar een telefoongsprek tussen de Russische president Vladimir Poetin en de Servische regeringsleider Vojislav Kostunica. Rusland zal in de VN-Veiligheidsraad zijn veto gebruiken, zou Poetin aan Kostunica gezegd hebben.
Moskou zal […]

Rusland stelt VS teleur met levering raketten aan Iran …

Posted: Thursday, January 18th, 2007 @ 5:29 pm in Rusland en Iran | No Comments »

Het Amerikaanse ministerie van buitenlandse zaken heeft zich teleurgesteld betoond over de Russische levering van luchtdoelraketten aan Iran, volgens de Verenigde Staten de ‘grootste sponsor’ ter wereld van terrorisme. Dit laatste is een grove leugen : de VS zijn de grootste terroristen.
De levering is volgens woordvoerder Tom Casey vooral inopportuun vanwege sancties van de […]

10:11 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 19 janvier 2007

A. Sampieru: le principe de souveraineté

Le principe de souveraineté


par Ange SAMPIERU

L'une des premières définitions modernes de cette no-tion nous est donnée par Burlamaqui (1694-1748) dans ses Principes de droit poli-tique.  Celui-ci retient trois éléments essentiels:
1° un DROIT de direction,
2° assorti d'un POUVOIR de commandement, de contrainte,
3° ayant une valeur UNIVERSELLE, c'est-à-dire que cette combinaison juridico-politique s'applique à tous les membres d'une collectivité politique donnée (cité, nation, monarchie, empi-re, etc.).

La notion est définie par conséquent indépen-damment du type de régime dans lequel elle s'applique.
Cette définition retient notre attention essen-tiellement par son aspect moderne: c'est qu'elle utilise deux concepts tirés du discours contem-porains, à savoir le droit et le pouvoir politique. Il est à souligner cepen-dant que la position ori-ginale de Burlamaqui constitue une rupture qui est à la fois historique et idéologique.

Le droit médiéval, fortement soumis aux règles du dis-cours scolastique, ne pouvait concevoir une théorie de la souveraineté qui ne fut prin-cipalement théocratique et déiste. Or, alors que les légistes catholiques s'ap-pliquaient à dégager une conception métaphysique, Bur--lamaqui propose une définition politique et juri-di-que, renouant ainsi avec la tradition publiciste ro-maine. En introduisant dans sa recherche des principes et critères non-religieux (pour simpli-fier, disons "laïcisé", bien que le terme soit im-propre de notre point de vue), ce penseur gene-vois revendique un acte contestataire.

L'originalité de cet "esprit contestataire"  ‹qui va se développer au fil des siècles‹  peut être étudiée à tra-vers deux exemples:
- d'une part, la théorie du mandat.
Si l'on reconnaît la dichotomie souveraineté/ pouvoir divin, à qui peut-on alors attribuer cette souveraineté étant bien entendu que celle-ci n'est concédée qu'à titre relatif et provisoire
au souverain? Et, par ailleurs, qui est à l'origine de cette attribution?

- d'autre part, le développement de l'idéologie démo-cratique de la souveraineté populaire.
Cette idéologie, caractérisée par la notion de "contrat social", présente deux versions: l'une post-scolastique (la doctrine des jésuites en est la plus brillante des re-présentations), l'autre républicaine (Hobbes, Rous-seau).

La théorie du mandat

De la théorie du mandat peuvent être dégagées les es-quisses idéologiques de ce qui était appelé à engendrer les grands principes de la pensée politique contempo-raine.

On y reconnaîtra, entre autres choses, les valeurs sous-jacentes aux idéologies égalitaires: dualisme, mécani-cisme inorganique, attache-ment aux cadres logiques du droit privé.

Cette théorie présente une structure trinaire évidente. Trois facteurs, trois niveaux, intervien-nent en effet: le mandataire, le mandaté et l'at-tribut du mandat.

Le mandataire est Dieu, ou la puissance divine dans le langage des légistes de l'époque; le mandaté, celui qui exerce le pouvoir en vertu d'un mandat explicite dé-coulant d'une procé-dure historique (le pacte de Dieu et du roi prend la forme du baptême  ‹Clovis‹  ou du sacre  ‹les Bourbons); enfin, l'attribut même du man-dat est représenté par la souveraineté, qui est à la fois droit et pouvoir.

Cette dialectique trinaire s'inspire d'une idéo-logie dua-liste, essentialiste, qui apparaît claire-ment dans le sché-ma suivant:

Elément originel:
Le mandataire = Dieu (A)

Eléments dérivés:
Le mandaté = Roi (B)
L'attribut = Souveraineté (C)

La relation causale, telle qu'elle transparaît dans ce des-sin, entre celui qui est la source de tout pouvoir (Dieu) et ce que nous avons appelé les "éléments déri-vés" de la structure (le souverain et son attribut), est frappante.

Ainsi, il n'existe qu'un rapport unilatéral entre l'é-lément originel et les éléments dérivés. Qu'est-ce à di-re? C'est que le souverain (l'Etat) n'est considéré que comme une instance sou-mise, déterminée. Simple su-per-structure dans le rapport trinaire que nous avons dé--fini, il ne peut être une instance suprême. Au même titre, la souveraineté est conçue ici comme un pur "ob-jet". Il n'est pas question de la valoriser, dans la me-sure où elle participera de Dieu et du pouvoir poli-tique temporel.

Au fond, l'Etat est un "objet" divisé, la sou-veraineté politique une instance médiatrice; seule la puissance di-vine est présentée comme "sujet" total, instance su-prême parce qu'en-glo-bante. C'est ainsi qu'un légiste de l'époque médiévale a pu écrire que l'Etat n'était en tout et pour tout qu'un fidei commis...

Une logique essentialiste,
inorganique et déterministe

Cette logique "essentialiste", selon laquelle Dieu serait l'essence de toute chose (cf. Saint Augustin, Thomas d'Aquin) conduit à déva-loriser le pouvoir politique, opération carac-té-ristique du manichéisme chrétien. Non seule-ment l'Etat n'est qu'une structure objective, mais il représente chez les doctrinaires chré-tiens, une anti-thèse, un mal nécessaire.

Bien évidemment, la coloration donnée au pouvoir po-litique est négative. Si l'Etat est en possession de la souveraineté, il n'en a pas la propriété pleine et entière. Il n'est pouvoir que par accident et non par essence. En termes civilistes, il n'exerce pas un droit réel parfait de propriété.

Qu'est-ce que cette souveraineté, émanée de Dieu et qu'il peut reprendre à tout instant?
Philologiquement, elle est superanum, c'est-à-dire su-périorité. Pétris de droit romain et de droit canonique, les légistes de l'âge d'or du catholicisme sont les ar-dents défenseurs d'un ordre théocratique. Leur dis-cours est moins idéologique que politique. Au service du pou-voir ecclésiastique, ils donnent à ce dernier un alibi intellectuel (1). Soulignons que cette dia-lectique n'est nullement organique. Elle relève au contraire d'une pure mécanique déterministe, dans laquelle l'homme n'a aucun droit.

Logiquement, les rapports qu'entretient cette puissance divine avec le souverain sont pure-ment hiérarchiques. L'influence platoni-cien-ne apparaît ici considérable. Si rien ne se conçoit hors de Dieu, le pouvoir politique n'est que titularisation et jamais propriété ab origine. C'est ainsi que l'écrivaient les frères Carlyle dans un essai intitulé A History of Political Medieval Theory in the West  (1903-1936) en rappelant le vieil adage des barons anglais et saxons: Nolimus leges anglicae mu-tare.

La souveraineté du peuple

Il est inévitable que cette seconde partie apparaisse comme un raccourci par trop fulgu-rant d'une évolution qui, bien que sensible, fut lente. Cette dernière est typique des mouve-ments observables dans la vie des idées, qui passent successivement par des phases de con-traction puis de décontraction. Rythme biolo-gique que nous retrouvons dans notre analyse. A l'époque où nous reprenons notre étude, les discours touchant à la notion de souveraineté populaire se sont multipliés. L'émergence d'un Etat puissant, centralisateur et volontaire a fa-vorisé une telle poussée. La théorie du droit divin est une expression de notre époque de changements. Elle fournit une base idéologique à l'absolutisme du XVIIème siècle.

Deux inspirations sont à distinguer: l'une est d'origine chrétienne et représentée par les Mo-nar-chomaques et certains intellectuels jésuites (dont Francisco Suarez).

L'autre est plus franchement laïque, entendons par là non directement attachée aux intérêts ecclésiastiques (Hobbes et le Léviathan, Rous-seau et le Contrat Social).

Penchons-nous tout d'abord sur la doctrine jé-suite à travers les idées développées par Francisco Suarez (1548-1617).

Des jésuites aux doctrines
du contrat social

Fidèles aux tendances égalitaires de leur doctrine dualiste  ‹et de la théorie du mandat qui en est une expression particulière‹  ce sont des penseurs jésuites qui vont enclencher le mouvement qui débouchera sur la théorie du contrat social. Ce n'est là qu'un des multiples paradoxes apparents de l'histoire des idées. Certains auteurs ont voulu voir dans cette évolution une "laïcisation" de la théorie du mandat et il est évident qu'une tentative de dé-gagement du discours théocratique se manifeste timidement. Lato sensu, ils demeurent tout de même dans la ligne des héritiers de la pensée augustinienne et thomiste. Si les scolastiques perdent du terrain, la conception du monde dominante chrétienne se maintient. Les valeurs restent identiques.

Quelles sont-elles?

Première idée: L'homme est un être social. L'ontologie sociale de la doctrine aristo-téli-cienne est reprise dans l'augustinisme, par la re-connaissance de l'individu comme réalité poli-tique. Comme valeur, l'homme est un absolu dans l'histoire et la Cité de Dieu est reliée à la Cité Terrstre par une "sphère de conciliation" qui n'est pas sans rappeler Socrate ou Chry-sippe.

Deuxième idée: Le mandataire n'est plus Dieu. Les monarchomaques sont les premiers à opé-rer cette substitution: la source du pouvoir n'est plus divine mais réside dans le peuple.

Les intellectuels jésuites vont introduire une révolution dans les idées. Au vieux principes tho-miste "nulla potestas nisi a Deo"  est substi-tué l'idée selon laquelle "nulla potestas nisi a Deo per populum"...  Il s'agit là de quelque chose de révolutionnaire puisque c'est recon-naître au peuple au moins un rôle égal à celui de Dieu. Le "grand absent" (entendons le peu-ple) est désormais placé au premier rang. Ainsi pour le Cardinal Bellarmin (1542-1621), "tous les citoyens sont civilement égaux", ajoutant dans De Membris Ecclesiae,  "le pouvoir a été donné au peuple et les hommes y sont égaux".

Il est d'ailleurs suivi dans cette voie par Suarez, un autre père des jésuites: "la sphère de con-ciliation" est facteur de synthèse, synthèse de Dieu et du peuple. La souveraineté populaire est donc dans le cadre de cette "sphère" con-crétisée par un contrat de tous entre tous. La fi-liation est incontestable (cf. J. Rouvier, Les grandes idées politiques,  tome 1, Ed. Bordas).

Deux aspects sont à distinguer:
- La société, d'une part, fondée sur un rapport de droit privé, de nature synallagmatique. Cette influence du droit privé rejoint celle aperçue dans la théorie du mandat. Dans cette société, les hommes sont égaux, comme créatures de Dieu. Celle-ci est une exigence de la nature, devant être régie par une autorité, nécessité par le bien commun. Ce syllogisme thomiste réduit le pouvoir à un mal nécessaire et sa souve-raineté à une simple délégation du souverain suprême (Dieu; puis Dieu et le peuple; le peu-ple enfin). Ce rapport autrefois nommé "pac-tum" induit une délégation de pouvoir.

- En effet, le pouvoir résulte de ce "pactum subjectionnis". Il est mal tempéré en vue du bien commun! Définir ce dernier est une tâche ardue mais il existe comme objectif.

Le dualisme manichéen
est conservé...

Le dualisme manichéen est cependant conser-vé: le pouvoir demeure ce mal nécessaire. La cité des hommes, reflet dégénéré de la Cité de Dieu, réclame une caricature de pouvoir. L'exé-cutif, l'Etat, quelle que soit son appellation, est cette dernière. Le pacte est limité et partiel. Face à la société des hommes (valeur du bien), fondée sur un accord consensuel naturel (in-fluen-ce du jusnaturalisme), le pouvoir repré-sente le pôle négatif.

C'est ainsi que nous arrivons à la théorie du contrat social, dont les principaux théoriciens furent Thomas Hobbes et J.J. Rousseau.

Dans son ouvrage principal, le Leviathan  (1651), Hobbes (1588-1679) nous expose les principes qui l'ont inspirés. C'est surtout chez Spinoza qu'il a puisé son inspiration.

Ce dernier, dans son Traité théologico-politique  déve-loppe l'idée selon laquelle l'état originel de l'homme est celui de nature. L'état de nature se définit comme "la possession d'un droit qui s'étend jusqu'où s'étend la puissance déterminée qui lui appartient" et présente donc un caractère actif d'une pluralité de rapports de puissance (cette idée s'oppose en fait à l'idéa-lisme pacifiste et plat des intellectuels contem-porains). La fin d'un tel état est la conséquence de l'apparition de ce que Spinoza appelle la "multitude", connaissant deux formes princi-pales: la cité et la république.

A ce propos, Rousseau considérait que l'ac-croissement du nombre des individus est inver-sément proportionnel au degré de liberté dont ils jouissent.

Cette conséquence du nombre en expansion (cf. Chap. XVII du Leviathan),  comme pure quan-tité arithmétique, produit inéluctablement une société de discipline qui trouve sa justification dans sa fonction d'assurance. Hobbes définit cette fonction comme celle consistant à "don-ner la pais et la sûreté".

La naissance de l'Etat totalitaire

Le problème qui se pose n'est plus alors de limiter ce pouvoir mais de l'organiser au mieux des intérêts collectifs. Le philosophe investit celui-ci d'un droit illimité d'action justifié par sa fonction. Chaque acte souverain a pour auteur l'ensemble des sujets. D'où l'apparition du Leviathan, "le plus grand des monstres froids" dont parle Nietzsche. En termes de so-ciologie politique, c'est l'acte de naissance in-tellectuelle de l'Etat totalitaire, de la dictature moderne, qu'elle soit nazie ou stalinienne.

On peut dégager chez Hobbes deux idées dominantes, d'une part une méfiance a priori du pouvoir réhabilité mais condamnable tout à la fois, d'autre part une vue prospective quant à l'apparition de l'Etat moderne et de sa rhé-to-rique égalitaire (cf. l'analyse brillante de B. de Jouvenel, Du pouvoir).

Deux acteurs entrent en jeu: le pouvoir exécutif et l'individu, liés par un contrat en vertu duquel toute personne aliène, en toute connaissance de cause, la totalité de ses doits au profit d'avan-tages à terme. Dans ce jeu d'un genre nouveau, le providentialisme explicatif de la période médiévale disparaît au profit d'un style que nous qualifions de réalitaire. Le jeu n'est plus troublé par un tiers divin, il est immanent au monde d'ici-bas. L'émancipation est de ce point de vue radicale. Le rapport politique Pouvoir/ Peuple est valorisé, maladroitement. Il est en-co-re contractuel, toujours marqué de la mauvaise conscience d'un péché originel, traduit par l'aliénation de l'individu. Notons pour finir que Hobbes insiste avec bonheur sur la dialectique du politique excluant toute métaphysique détemrinante.

La logique de Rousseau

Le second théoricien qui nous intéresse ici est J.J. Rousseau (1712-1778) et son Contrat Social  (1762). L'idée de base du rousseauisme est le mythe du Contrat social, événement "historial" au sens de Martin Heidegger, mar-quant la naissance de l'humanité historique; la logique de Rousseau présente deux aspects es-sentiels:

- une chronologie marquée par l'idée de rupture (historicisme). Le contrat social est un acte uni-que dans le temps, qui constitue la consom-mation première de l'aliénation. Telle est l'idée traditionnelle. Mais Rousseau est aussi le fondateur d'une doctrine historique. Il divise la genèse du contrat en deux étapes: le surgisse-ment, sous la nécessité démographique (cf. Hobbes) puis la désignation des dirigeants par les cocontractants. Par là est introduit le mythe fondateur historique d'une société décomposée en époques significatives et distinctes. Au  pro-vi-dentialisme déterminant des jésuites, Rous-seau substitue l'homme-sujet de l'histoire. Le destin n'est plus le résultat d'une volonté divine, transcendante à la terrestre humanité. Il est volonté humaine. Nous avons affaire là à une doctrine du volontarisme historique et sub-jectiviste.

- La question soulevée par la notion de souve-raineté populaire est la suivante: quel peut être le degré d'aliénation des droits individuels?

Ecole anglo-saxonne et
école continentale

On trouve au XVIIIième siècle deux réponses, deux sensibilités. Pour l'école anglo-saxonne (Locke et Hobbes), cette aliénation ne devait être que partielle, les individus conservant un "droit de réserve". Pour l'école continentale, il ne peut y avoir de demi-mesure: l'aliénation est totale. Le souverain étant le peuple, "les hommes ne peuvent s'engager qu'à obéir à leur totalité". Cette dernière constitue une entité es-sen-tiellement différente d'une somme arithmé-tique: il s'agit de la Nation qui bénéficie d'un transfert de l'ensemble des droits des parti-culiers. La modération graduée d'un Hobbes ou d'un Bossuet (cf. le Cin-quième avertissement aux protestants)  est étrangère à la pensée rous-seauiste pour laquelle le droit de souveraineté s'avère absolu.

Voilà pourquoi Rousseau est généralement pré-senté comme le précurseur de tous les régimes totalitaires modernes. Mais on trouve égale-ment chez Rousseau une distinction fonda-mentale: gouvernement et souveraineté ne sont point identiques. La souveraineté populaire at-tri-bue l'"imperium" aux dirigeants, c'est un fait, mais elle demeure spécifique "chose-en-soi" qui ne peut être confondue avec la fonction exécutive. Cette dichotomie est un des points remarquables de la science politique moderne (cf. Du contrat social,  Livre III, chap. II).

Le danger provient alors de la dynamique du pouvoir, tendance propre à tout pouvoir politi-que à envahir la dimension souveraine, brisant ainsi les temres du contrat social. Selon Rous-seau, "ce vice inhérent et inévitable" est lié à toute société humaine. Ce qui donne à Bertrand de Jouvenel l'occasion de qualifier cette idéo-logie d'"évolutionnisme pessimiste" (in Du Principat,  éd. Hachette).

La souveraineté populaire rousseauiste est un des concepts les plus ambigus que l'on puisse trouver. A priori démocratique et égalitaire, elle est à l'origine des systèmes idéologiques natio-naux des XIXième et XXième siècles. Le style impérial de cette souveraineté essentiellement im-manente, son caractère commu-nau-taire et poli-tico-historique, joint à une philosophie pes-simiste, font de Jean-Jacques Rousseau un des prin-cipaux fondateurs de la doctrine de la souveraineté post-chrétienne.

L'idée de souveraineté, de par ses origines, constitue un des concepts-clés de l'histoire poli-tique européenne. Fortement marquée par l'in-fluence du droit privé romain, elle fut durant toute l'époque d'expansion chrétienne, un concept directement rattaché au pouvoir divin.

Cette idée connut, au gré des fluctuations idéo-logiques et politiques, des interprétations sen-siblement divergentes. N'est-ce pas, d'ail-leurs, le sort réservé à toute tentative de systéma-ti-sation politique?

Ange SAMPIERU.

Note

(1) L'antiquité considérait la première fonction, dite souveraine, comme religieuse ET politico-juridique ainsi que Georges Dumézil l'a démontré dans maints ouvrages.
 
 

12:58 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Vrai et faux socialisme

Faux socialisme et vrai socialisme

par Robert Steuckers

Version espagnole / traduccion espanola : http://www.evrazia.org/modules.php?name=News&file=article&sid=2118

Pourquoi s'interroger sur le passé et l'évolution passée du socia-lisme, à l'heure où, souvent, il recule électoralement en Europe, où il n'a plus ni projet politique cohérent ni bras armé, soviétique ou au-tre, où un individualisme forcené, gros de catastrophes sociales, prend le pas dans les mentalités post-modernes du ³premier monde², de l'engouement yuppy  au burrowing  du citoyen branché sur son petit monde virtuel?

Parce que le socialisme, qu'on le veuille ou non, demeure un réflexe, une aspiration, communautaire. Pour reprendre un discours aussi banal que réalitaire, l'homme n'est pas un être centré exclusivement sur lui-même, sur sa propre égoïté. Il est l'enfant de parents, il est aussi petit-fils ou petite-fille, frère ou s¦ur, père ou mère, cousin, voisin, collègue. En ce sens, il peut désirer le bien de son groupe ou des groupes au sein desquels il vit et agit, et hisser ce bien commun au-dessus de son bien-être individuel. Comme l'ont souligné tous les tenants des grandes religions et aussi les adeptes de l'humanisme classique, un homme peut sacrifier son bien-être pour ses enfants, pour une cause, pour toutes sortes de motifs qui transcendent la pure égoïté. Son intelligence et sa mémoire ins-tinctuelle (deux qualités qui ne sont pas nécessairement hétéro-gènes et incompatibles) peuvent donc postuler des sacrifices pour un temps sensé être meilleur mais qui doit encore advenir. L'homme n'agit pas seulement dans une perspective présentiste, mais table souvent sur le long terme, sur la prévision, parie sur l'avenir des siens. En énonçant ces banalités, qu'anthropologues et sociologues connaissent trop bien, notre but est de signaler l'inanité des théories philosophiques ou économiques qui postulent, têtues, un individualisme méthodolo-gique et que cherche à imposer en tous lieux la marotte contempo-raine de la ³political correctness².

Un partie des tenants de l'idéologie des Lumières, à partir du XVIIIième siècle, tentera d'introduire dans la pratique politique quotidienne cette ³méthodologie individualiste²; d'autres jetteront les bases d'une politique sociale, souvent dans le sillage de ³despo-tes éclairés², autres figures, plus positives, des Lumières que les idéologues à la Destutt de Tracy ou les philosophes des salons pa-risiens. D'autres encore, dans le sillage de Herder et du Sturm und Drang, proposeront une émancipation des hommes et des âmes par un recours aux premiers balbutiements des cultures, aux émergen-ces culturelles et littéraires, où l'identité transparaît dans toute son originalité et sa belle ingénuité. En critiquant la méthodologie indi-vidualiste d'une partie des tenants de l'Aufklärung européen, nous ne rejettons pas pour autant toutes les facettes de cette Aufklärung, mais seulement celles qui ont connu une évolution folle, provoqué quantité de dysfonctionnements et imposé une idéo-logie schémati-que, qui sert de base à la ³langue de coton² (Huyghe), à un discours qui refuse tout débat et, enfin, à l'actuelle ³political correctness². La ³langue de coton² est une concrétisation de la Newspeak qu'Orwell stigmatisait dans son célèbre roman ³1984². Au contraire, nous pensons qu'un double recours aux facettes de l'Auf-klärung, négligées par le discours actuellement dominant, permet-trait de réamorcer le débat et de proposer à nos contemporains qui sont dans l'impasse, des politiques réellement alternatives.

Les dysfonctionnements de l'Aufklärung s'observent à plusieurs ni-veaux dans l'histoire européenne de ces deux cent dernières an-nées:
1. Dans les idéologies dérivées de la ³métaphore de l'horloge², ou ³métaphore de la machine², indice d'une vi-sion mécaniciste des rapports politico-sociaux, où chaque individu est perçu comme un simple rouage fermé sur lui-même, juxtapo-sable à d'autres rouages, sans filiation; le filon individualiste de l'Aufklärung adhèrera à cette vision métaphorique et schématique des rapports politiques et sociaux, en refusant une autre métaphore, émer-gente à l'époque, celle de l'arbre, prélude du romantisme et des philosophies poli-tiques organiques, où s'est imposé tout naturellement le principe de la génération;
2. Dans les mesures votées par l'Assemblée nationale française contre les systèmes corporatifs, les droits de coalition, etc.; l'organisation hy-per-centraliste de la nouvelle république, où les maires représen-tent Paris et non pas les communautés urbaines ou villageoises; l'introduction d'un droit individualiste dans toute l'Europe par l'in-termédiaire des armées napoléoniennes; mesures qui conduiront certaines franges de la contre-révolution à se faire les champions de la justice sociale, contrairement à ce qu'affirme l'historiographie conventionnelle contemporaine;
3. L'avènement de la révolution industrielle sous le signe d'un droit individualiste en Angleterre et sur l'ensemble du continent;
4. L'élaboration de théories économiques mécanicistes et individua-listes;
5. L'émergence d'un socialisme qui n'a eu pour arrière-plan philoso-phico-idéologique qu'une pensée "scientifique" mécaniciste et indi-vidualiste.

Ce quintuple faisceau de faits a poussé le socialisme, organisé dans la IIième Internationale, puis le communisme dans la IIIième Internationale et enfin le trotskisme dans la IVième Internationale, sans compter ses multiples scissions et dissidences, à adopter les idées de l'Aufklärung la plus mécaniciste, machiniste et an-or-ganique et à rejetter comme ³contre-révolutionnaires² les autres li-néaments, plus pragmatiques, plus organiques ou plus culturels de l'Aufklärung émancipateur. Si le socialisme s'est effondré, c'est précisément parce qu'il a cultivé une véritable foi dans cette reli-gion mécaniciste, qui se croyait seule ³scientifique² et s'est effon-drée sous les coups de la science physique, dès 1875, avec la dé-couverte du second principe de la thermodynamique, avec la phy-sique quantique, l'avènement des sciences biologiques, etc. Le so-cialisme a survécu une centaine d'année à l'effondrement de son ³épistémologie² mécaniciste.

Si le socialisme, en tant que système partitocratique ancré dans l'histoire européenne, s'était d'emblée aligné sur les métaphores organi-cistes de la pensée de Herder et du romantisme, il serait aujourd'hui encore bien vivant. Toute pratique politique refusant la méthodologie individualiste doit rompre avec les paradigmes mécanicistes, illustrés au XVIIIième par les ³métaphores de l'horloge ou de la machine².

En effet, un pari sur la ³métaphore de l'arbre² aurait été plus démo-cratique: l'agent moteur de la machine est extérieur à la machine comme le despote est extérieur au peuple qu'il gouverne et administre. Le principe moteur de l'arbre, sa source d'énergie, son impulsion première, ré-side en son intériorité même. L'arbre se gouverne lui-même, son existence vitale n'est pas due à un agent extérieur qui actionne une clef ou un système d'engrenages pour le faire se mouvoir ou "vivre". De même, un socialisme organique, et non plus mécanique, aurait puisé dans l'histoire même du peuple qu'il aurait gouverné et protégé. L'histoire nous enseigne que les oligarchies socialistes ont commis l'erreur de sortir du peuple, ou de gouverner un peuple différent du leur au nom d'une très hypothé-tique ³solidarité internationale², sans compren-dre ou sans plus comprendre de l'intérieur les motivations de ce peuple. Les cri-tiques d'un Roberto Michels sur la Verbürgerlichung, Verbonzung und Verkalkung (embourgeoisement, domination progressive des bonzes du parti, sclérose) et la satire cruelle d'un George Orwell dans Animal Farm, où les cochons deviennent plus égaux que les autres, sont éloquentes à ce sujet et démontrent, si besoin s'en faut, que les socialistes et les sociaux-démocrates sont sujets à ce travers politique, c'est-à-dire celui qui consiste à adopter une idéologie sans profondeur qui les met en marge du gros de la population, relativi-se automatiquement le socialisme qu'ils proclament en discours et ne mettent que très maladroitement en pratique. L'oligarchisation des partis socialistes est un risque permanent qui guette le socialisme, à cause précisément du refus des ³bonzes² de s'immerger dans une substance populaire, qu'ils déclarent inéluctablement irrationnelle par nature, mais qui échappe très souvent au schématisme propret de la raison raisonnante qu'ils ont inscrite sur leur bannière.

Aujourd'hui, les socialismes de diverses moutures se déclarent les héritiers de la révolution française. Or, c'est la révolution française qui supprime les droits d'associations pour les compagnons, les man¦uvres, les ouvriers, les apprentis, de même que pour les corps de métier. Elle fait triompher un droit purement individualiste contre les droits associatifs et les approches différenciées du fait social. Tout au long du XIXième, les ouvriers tenteront de rétablir les associations traditionnelles par la voie du syndicalisme ou, en Angleterre, d'une forme communautaire de socialisme, le guild-socialism. Mais les oligarques des partis socialistes en place ont défendu leur idéologie réelle, pourtant contraire au socialisme de façade qu'ils proclamaient par ailleurs. Les ruptures successives, les scissions, les mutations multiples du discours des gauches ont, au fond, comme motif profond, le refus du mécanicisme individualiste de cette idéologie illuministe et "révolutionnaire". Aujourd'hui, justement, quand les oligarques des partis, les ³bonzes² de Roberto Michels, font montre d'un comportement insatisfaisant, voire d'une complicité avec certains réseaux mafieux (comme en Italie avec Craxi ou en Belgique avec l'affaire Cools qui déshonore ³Palerme-sur-Meuse²), le malaise se traduit à la base par une désertion de l'électorat et, en haut, chez les intellectuels, par des changements de paradigmes et, souvent, par un retour à l'indéracinable nostalgie de la communauté. Aujourd'hui, on reparle dans les cénacles de la gauche pensante, y compris aux Etats-Unis, de ³communautarisme². Discours qui oblige à redécouvrir des liens, des valeurs, que seuls les ³contre-révolutionnaires² du temps de la révolution française et de l'aventure bonapartiste avaient analysées ou défendues.

Généralement, les sources historiographiques relatives à la contre-révolution ne mentionnent, chez les auteurs contre-révolutionnaires, qu'une volonté de retourner à l'ancien régime et de remettre en selle les élites cléricales et aristocratiques renversées par la révolution. Or, parmi les auteurs considérés comme ³contre-révolutionnaires², il y a ceux qui veulent restaurer les libertés et les autonomies ouvrières, en critiquant l'individualisation extrême de la propriété dans le droit bourgeois, qui triomphe à partir de 1789 et se voit finalement codifié, ce que n'avait jamais osé faire l'ancien régime, même si une lente érosion des traditions de solidarité était à l'¦uvre depuis près de deux siècles. En France, la disparition des autonomies de tous ordres a été plus précoce qu'ailleurs en Europe. Les situations y variaient toutefois selon les provinces: à l'Ouest, les prélèvements seigneuriaux sont lourds, dans le Lyonnais, le Midi et la région parisienne, ils ont pratiquement disparus. A la veille de la révolution, le paysannat, alors fond du peuple puisque la révolution industrielle n'a pas encore démarré et que les ouvriers sont quantitativement peu nombreux en France,  s'opposent aux prélèvements trop élevés du clergé et du fisc, mais insistent partout sur le maintien des biens communaux, à la libre disposition de toute la communauté villageoise. S'il y a des émeutes avant 1789, c'est contre les détenteurs de "titres seigneuriaux" et contre ceux qui détiennnent une propriété privée installée sur une ancienne terre communale. On pourrait croire donc que le paysannat français, hostile aux privilèges seigneuriaux qui empiètent sur les terres communales, est acquis aux idées républicaines. Mais l'éventail de leurs revendications est réitéré après le grand bouleversement qui secoue la France: les assemblées révolutionnaires reconduisent et même alourdissent les impôts, instaurent une contribution foncière plus lourde que sous l'ancien régime (novembre 1790). On assiste, écrit l'historien Hervé Luxardo, à une révolution dans la révolution: la bourgeoisie renverse l'ancien régime dans les villes, installe son pouvoir qui heurte une paysannerie qui, graduellement, reporte l'hostilité qu'elle vouait aux nobles ou aux bourgeois devenus propriétaires d'anciens biens communaux, aux nouveaux possédants, les "foutus bourgeois", comme les appelait un paysan révolté de Dordogne en 1791. La révolte des campagnes ne distingue pas un noble, partisan du Roi, d'un bourgeois, adepte des théories de la révolution.  Quand l'Etat révolutionnaire vend les biens de l'Eglise, qualifiés de "biens nationaux", à des particuliers au lieu de les redistribuer aux villageois, les esprits s'échauffent et l'Ouest du pays s'enflamme: ce sera la chouannerie vendéenne et bretonne.

Pire, nous signale Hervé Luxardo, en décembre 1789, les Constituants abolissent les dernières assemblées populaires où votaient tous les chefs de famille pour les remplacer par des municipalités élues par les seuls citoyens actifs, c'est-à-dire les plus riches! Cette mesure aurait dû mettre fin à la légende d'une révolution française "démocratique". A partir de ce moment, ces notables, coupés d'un peuple qui n'a plus droit à la parole, régissent à leur guise les droits collectifs, si bien que le 28 septembre 1791, le pouvoir établit un "code rural" qui réduit pratiquement à néant le droit de bénéficier des terres, prairies, bois collectifs. Ceux-ci servaient à affronter d'éventuelles disettes et à subvenir aux besoins des plus démunis, surtout en période hivernale. René Sédillot, un autre historien français critique à l'égard de la révolution écrit: Désormais "il n'est plus permis aux vieillards, aux veuves, aux enfants, aux malades, aux indigents, de glaner les épis après la moisson, de profiter des regains, de recueillir la paille pour en faire des litières, de grapiller les raisins après la vendange, de rateler les herbes après la fenaison (...) il n'est plus permis aux troupeaux d'avoir libre accès aux chaumes, aux guérets, aux jachères". Bref, d'un trait de plume, les Constituants bourgeois éliminent la seule sécurité sociale que ces classes démunies détenaient. Cette lacune fera des classes pauvres, des "classes dangereuses", selon la terminologie policière. Les campagnes ne peuvent plus nourrir tous les villageois, provoquant un exode vers les villes ou vers les colonies, entraînant par la suite la naissance d'un socialisme désespéré, agressif.

Dans les villes, les métiers étaient organisés en confréries (maîtres et compagnons) et en compagnonnages (les compagnons seuls, face aux maîtres). Les compagnonnages organisent la solidarité des compagnons et font grève si leurs revendications ne passent pas. Le constituant Isaac Le Chapelier raye d'un trait de plume le droit de nommer des syndics, donc de former des syndicats, interdisant du même coup toute forme de coalition des salariés. Sédillot: "La loi Le Chapelier du 14 juin 1791, met fin à tout ce qui pouvait subsister de libertés ouvrières". Plus tard, le Code civil ignore la législation du travail. Le Consulat de Bonaparte instaure le contrôle policier des ouvriers en leur imposant le "livret". Aucune gauche ne peut être crédible si elle prétend simultanément être héritère de la révolution française, partisane de son idéologie, et défenderesse de la classe ouvrière. Le PS wallon est en contravention flagrante avec l'essence même du socialisme et de la solidarité sociale quand ses ténors comme Philippe Moureaux et Valmy Féaux entonnent des péans dithyrambiques sur la ³grrrrrande révolution² et glorifient sans vergogne les innommables crapuleries commises par les sans-culottes. Toute la lutte sociale du XIXième siècle est en fait une protestation et un refus de cette loi Le Chapelier. En termes philosophiques, l'idéologie mécaniciste de la république française de l'ère révolutionnaire est impropre à assurer les solidarités et entraîne une formidable régression sociale.

Les événements de la révolution française et l'avènement de la révolution industrielle en Angleterre induisent une nouvelle pensée économique de type mathématico-arithmétique, dont l'épitome demeure celle de Ricardo. Aucun contexte ni historique ni géographique n'est pris en compte et il faudra attendre le filon de l'"école historique" allemande, du Kathedersozialismus et de l'institutionnalisme (notamment américain) pour réintroduire des paramètres circonstanciels, historiques ou géographiques, dans la pensée économique, ruinant du même coup l'idée absurde qu'une et une seule science économique puisse unversellement régenter toutes les économies présentes et fonctionnantes sur la Terre.

En conséquence, le socialisme est une réaction contre l'Aufklärung, telle qu'elle a été interprétée par la révolution française et surtout par des Constituants comme Le Chapelier. En ce sens, le socialisme, dans les sentiments qui l'animait au début de sa carrière historique, est fondamentalement conservateur des libertés organiques, des biens commnaux et des modes d'organisation compagnonniques. Ce sentiment est juste (juste dérivant de ius, droit). Mais si le socialisme que nous connaissons actuellement est un échec ou une injustice ou une escroquerie, c'est parce qu'il a trahi les sentiments du peuple, de la même façon que les révolutionnaires français ont trahi leurs paysans. Un socialisme porté par un sens historique et organique, couplé à une doctrine économique héritière de l'"école historique" et du Kathedersozialismus, doit prendre le relais d'un faux socialisme, décontextualisé et mécanique, porté par des doctrines économiques mathématico-arithmétiques et une idéologie franco-révolutionnaire.

Robert STEUCKERS.
Novembre 1994.

Bibliographie:

- F.M. BARNARD, Herder's Social and Political Thought. From Enlightenment to Nationalism,  Clarendon Press, Oxford, 1965.
- Michel BOUVIER, L'Etat sans politique. Tradition et modernité, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1986.
- Louis-Marie CLÉNET, La contre-révolution, Presses universitaires de France, Paris, 1992.
- Bernard DEMOTZ & Jean HAUDRY (Hrsg.), Révolution et contre-révolution, Ed. Porte-Glaive, Paris, 1989.
- Jean EHRARD, L'idée de nature en France à l'aube des Lumières, Flammarion, Paris, 1970.
- Georges GUSDORF, La conscience révolutionnaire. Les idéologues, Payot, Paris, 1978.
- Georges GUSDORF, L'homme romantique, Payot, Paris, 1984.
- Panajotis KONDYLIS, Die Aufklärung im Rahmen des neuzeitlichen Rationalismus, DTV/Klett-Cotta, München/Stuttgart, 1986.
- Panajotis KONDYLIS, Konservativismus. Geschichtlicher Gehalt und Untergang, Klett-Cotta, Stuttgart, 1986.
- Jean-Jacques LANGENDORF, Pamphletisten und Theoretiker der Gegenrevolution 1789-1799, Matthes & Seitz, München, 1989.
- Hervé LUXARDO, Rase campagne. La fin des communautés paysannes, Aubier, Paris, 1984.
- Hervé LUXARDO, Les paysans. Les républiques villageoises, 10°-19° siècles, Aubier, Paris, 1981.
- Stéphane RIALS, Révolution et contre-révolution au XIX° siècle, DUC/Albatros, Paris, 1987.
- Antonio SANTUCCI (Hrsg.), Interpretazioni dell'illuminismo, Il Mulino, Bologna, 1979 [in dieser Anthologie: cf. Furio DIAZ, "Tra libertà e assolutismo illuminato"; Alexandre KOYRÉ, "Il significato della sintesi newtoniana"; Yvon BELAVAL, "La geometrizzazione dell'universo e la filosofia dei lumi"; Lucien GOLDMANN, "Illuminismo e società borghese"; Ira O. WADE, "Le origini dell'illuminismo francese"].
- René SÉDILLOT, Le coût de la révolution française, Librairie académique Perrin, Paris, 1987.
- Barbara STOLLBERG-RILINGER, Der Staat als Maschine. Zur politischen Metaphorik des absoluten Fürstenstaats, Duncker & Humblot, Berlin, 1986.
- Raymond WILLIAMS, Culture and Society 1780-1950, Penguin, Harmondsworth, 1961-76.

11:50 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 18 janvier 2007

Connaître l'ennemi : le plan Brzezinski

Max STEENS:

Connaître l'ennemi, c'est analyser le Plan Brzezinski !

http://es.geocities.com/eurocombate/eurocom_007.htm

17:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Constitution européenne (2)

Constitution européenne (2)

Une nomocratie totalitaire

 

 

 

La partie troisième, ce colossal fatras de directives et de normes, ces 322 articles abscons, indique, comme nous l’avons déjà déploré bien fort, que l’Europe est sur la voie, non d’une démocratie parfaite, mais d’une nomocratie, plus exactement d’une dictature nomocratique impersonnelle, contre laquelle aucun processus démocratique réel ne pourra rien. La nomocratie veut que les normes soient intangibles et le demeurent jusqu’à la consommation des siècles, en dépit des besoins des hommes, besoins qui sont évidemment divers et variables à l’infini sous la pression des circonstances spatio-temporelles, historiques, culturelles, climatologiques, etc. La vision de l’homme que sous-tend la nomocratie que l’on nous impose est une vision figée, achevée, définie une fois pour toutes. Si l’homme doit s’adapter aux circonstances, s’il doit varier et donc dévier de la définition qu’on a posé de lui, s’il est contraint par la pression des faits de modifier la norme ou de dépérir, il devient ipso facto, pour les gardiens de l’ordre nomocratique, un pervers, démoniaque, réactionnaire, nazi, phallocrate, fasciste, conservateur, fondamentaliste, méchant, skinheadoïde, lepéniste, national-communiste, haideriste, populiste, génocidaire, poujadiste, pitbulliste, élitiste, machiste, homophobe, raciste, saddamiste, baathiste, xénophobe, pinochetiste, obscurantiste, paléo-communiste, misogyne, intégriste, passéiste, régressiste, etc. On a le choix des adjectifs. La machine médiatique se met immédiatement en route, dès qu’il y a la moindre velléité de contestation : l’homme réel doit s’aligner, surtout se taire car tout ce qu’il dit, pense ou suggère relève d’un crime de lèse-norme, puisque celle-ci, une fois posée, n’autorise plus ni la parole, puisque tout est enfin dit, ni la pensée (prospective), puisqu’il n’y a plus rien à prospecter, ni la suggestion ironique, puisque l’ironie est sacrilège.

 

 

 

On le voit très clairement : la nomocratie, qui transparaît dans toute sa nature rébarbative au beau milieu de ce fatras de 322 articles, est d’une rigidité telle, qu’elle ne laisse aux hommes de chair et de sang aucune marge de manœuvre, ce qui est la quintessence même du déni de participation et de démocratie. Cette rigidité, cette absence de plasticité, sont le propre de l’idéologie des Lumières, du moins dans ses traductions politiques qui s’échelonnent de 1789/1793 au bolchevisme puis au libéralisme totalitaire actuel. C’est là que les critiques d’ATTAC, comme nous l’avons vu, sont inadéquates, parce que trop tributaires de l’idéologie étatiste française qui se défend bec et ongles, avec une rage méchante, contre ceux qui osent la critiquer, notamment avec des arguments de bon sens comme le fit Nicolas Baverez (qui parfois s’illusionne en vantant certains travers des pratiques libérales anglo-saxonnes).

 

 

 

Plaidoyer pour la diversité

 

 

 

L’idéologie de la Constitution, et aussi celle d’ATTAC, sont impropres à saisir la diversité du monde en général et de l’Europe en particulier. Pire : elles ne veulent pas voir cette diversité, elles ne l’acceptent pas, elles veulent l’éradiquer. Et les refus de cette Constitution sont autant de réactions contre cette volonté d’éradication. Dans les colonnes de la pourtant très conformiste « Revue Générale » (n°6/7, juin-juillet 2005), Frédéric Kiesel (4), fait le même constat : il plaide, sotto voce parce que les temps de dérèglement que nous vivons ne lui autorisent pas d’autre langage, pour une Europe à vitesses multiples, tout simplement parce qu’on ne gouverne pas les Finlandais comme on gouverne les Siciliens et parce que les mêmes denrées ne poussent pas aux mêmes rythmes dans le Grand Nord des lacs, au large du Golfe de Botnie, et dans les montagnes arides de la Sicile méditerranéenne. La nomocratie veut que les tomates finlandaises soient rigoureusement identiques aux tomates calabraises, que les raisins de Carélie soient identiques à ceux de l’Algarve, que les rennes puissent paître à côté des chèvres du Péloponnèse et vice-versa. Le réel, ces quelques exemples plaisants le démontrent, est tout naturellement rétif à la norme, à toute norme, et tout fabricateur de norme est par conséquent un dangereux dément.

 

 

 

Notre point de vue, bien qu’européiste et unioniste sur le plan de la défense de la civilisation et de la culture européennes, privilégie néanmoins la diversité sur le plan de la gestion et de la gouvernance au quotidien. Notre point de vue donne ensuite priorité à l’homme (aux hommes) tel(s) qu’il(s) est/sont plutôt qu’à une vision abstraite de l’homme décrite et définie une fois pour toute, l’homme réel, ce petit polisson, échappant toujours, d’une manière ou d’une autre à la norme, notamment, le cas échéant, en attrapant une maladie inconnue, ou en important une idée exotique, ou en développant une folie bien idiosyncratique. « L’homme conceptuel est une apostasie sans nom du réel », pérorait une dame qui se piquait de nous apprendre la philosophie à Bruxelles quand nous avions dix-huit ans. Pour une fois, la bougresse avait raison.

 

 

 

Outre ce pari pour les hommes tels qu’ils sont, et dont les diversités sont les garantes d’une pluralité de possibles à projeter dans l’avenir et de libertés bien concrètes à exercer hic et nunc, une Constitution véritable, à condition qu’elle laisse place en tous ses paragraphes et aliénas à la nouveauté qui peut fuser à tout moment, doit biffer toutes les dimensions qui privilégient le marché car ce n’est pas l’état, bon ou mauvais, du marché, qui indique le niveau élevé de civilisation, mais la santé et la vigueur des secteurs non marchands : universités et établissements d’enseignement, secteur hospitalier, musées, académies, chambres de rhétorique, etc. Je préfère vivre dans une société qui multiplie les hautes écoles et les bibliothèques que dans une société qui répand sans cesse l’hideuse laideur, horriblement visible, obscène, des supermarchés, avec leurs néons, leurs tarmacs où l’on parque des automobiles, leurs enseignes tapageuses, leurs musiques d’ambiance d’une confondante médiocrité. Et il est normal que l’employé d’un supermarché ou d’une banque, d’une compagnie d’assurance ou d’une mutuelle, qu’il soit cadre ou subalterne, soit écrasé d’impôts pour faire fonctionner universités et hôpitaux, petits ateliers d’artisan et petites exploitations agricoles, plutôt que l’université ou l’hôpital périclite, que l’atelier disparaisse, que la petite ferme soit étranglée, et que la banque ou le supermarché, structures parasitaires, prospèrent. Question de goût. Et de bon sens. Et d’humanisme au sens renaissanciste, pic-de-la-mirandolien du terme.

 

 

 

Grand Espace Economique Européen et « choc des civilisations »

 

 

 

La partie quatrième mérite nos critiques justement parce qu’elle se contente, laconiquement, d’abroger les traités de la CECA de 1951 et de Rome de 1957 et de préconiser le mode de fonctionnement « unanimiste », sans dire jusqu’où peut s’étendre l’Europe, sans dire ce qui fait son essence, ce qui est sa mission dans ce que les disciples de Samuel Huntington ont appelé, à tort ou à raison, le « choc des civilisations ». Nous nous souvenons tout de même de ce que Jacques Attali disait, un jour de rare lucidité, quand il évoquait le projet de l’Europe, de l’Espace Economique Européen (EEE), qui devait être celui d’un grand, et même d’un très grand, EEE, Russie-Sibérie comprise. Attali a sans doute changé d’avis depuis. Ce n’est pas notre cas. Et nous déplorons que le projet européen des petits eurocrates étriqués n’évoque rien du parachèvement civilisationnel potentiel que serait cette synergie géopolitique et géo-économique des forces à l’œuvre de l’Irlande au Détroit de Bering. L’Europe eurocratique n’a donc pas de vision pour le long terme. Parce que les nomocrates qui l’ont fabriquée sont des pense-petit.

 

 

 

Reste aussi cet inquiétant mutisme de l’eurocratie face au « choc des civilisations », qui prend forme, même dans nos villes et nos cités, en dépit des discours minimalisants, farcis d’euphémismes. Pour nous, rappelons-le, le « choc des civilisations » n’est pas un principe en soi ; c’est d’abord une réalité constante, mise en sommeil pendant la vingtaine de décennies qu’a duré le triomphe planétaire des puissances européennes, mais réactivée récemment par les Etats-Unis pour diviser la grande masse continentale qu’est l’ensemble du Vieux Monde. Pour nous, le « choc des civilisations » est donc tout à la fois une réalité constante et une manipulation américaine depuis la Guerre du Golfe de 1990-91. Par suite, la vérité de ce « choc » est médiane. Elle n’est ni à 100% retour à la confrontation séculaire entre l’Europe et l’Islam ni à 100% une invention récente des services américains. Raison pour laquelle nous ne disons pas « oui » à la Croisade de Bush en Irak (d’autant plus que le régime baathiste de Saddam Hussein était laïque). Mais nous n’acceptons pas davantage le refus idiot de prendre la réalité de ce « choc » en compte, de tirer les leçons des multiples vicissitudes passées de ce « choc », refus idiot que nous repérons d’abord dans le vieux gauchisme historique, qui véhicule inlassablement ses rengaines et s’est insinué dans tous les cerveaux par un processus lent et sournois de capillarité métapolitico-médiatique, et ensuite dans la « Nouvelle Droite », canal historique, laquelle prétend, mordicus et à rebours de ce qu’elle a pu affirmer antérieurement, que les conflits de civilisation n’existent pas, pour des raisons jusqu’ici inavouées (5). Position particulièrement ridicule pour ce cénacle qui avait tenté de réhabiliter Oswald Spengler…

 

 

 

Rigueur budgétaire et limitations aux capacités d’emprunt

 

 

 

Dans ses projets, l’Europe devrait également se rappeler le Plan Delors, lui rendre justice, et dire, à sa suite, et pour le compléter, qu’il n’y a pas de projet continental possible sans de grands travaux publics, sans une organisation renforcée et optimale des communications. Dans ces domaines, l’Europe, et souvent chacun des Etats membres, possède des acquis, qu’il convient désormais de « continentaliser », a fortiori depuis que le Rideau de fer est tombé et que d’anciennes voies de communications terrestres et fluviales pouvaient être rétablies. Une politique de travaux publics à grande échelle est de toutes façons une politique plus intelligente que d’organiser systématiquement la déconstruction de nos outils industriels par le double effet des délocalisations et de l’économie spéculative (qui précipite également toutes les anciennes économies industrielles patrimoniales dans le déclin et le marasme). Car toute politique de grands travaux est non libérale par essence, sinon anti-libérale, car elle implique des principes de rigueur budgétaire et oblige à limiter les capacités d’emprunt. L’absence de rigueur budgétaire et de limitations aux capacités d’emprunt disloque la cohésion des Etats et à fortiori des Unions à échelle continentale comme l’UE ou le Mercosur, et les empêche d’atteindre ce que j’appellerais ici, par commodité et pour limiter mon propos faute de temps, les quatre indépendances indispensables, à savoir l’indépendance alimentaire, l’indépendance énergétique, l’indépendance en matières de télécommunications et l’indépendance culturelle. Quatre indépendances qu’un bon appareil militaire défensif doit protéger et garantir.

 

 

 

Les quatre indépendances indispensables

 

 

 

L’indépendance alimentaire n’est pas atteinte à 100% en Europe, en dépit des efforts pharamineux de la PAC (« Politique Agricole Commune »).

 

 

 

L’indépendance énergétique implique de se dégager d’une dépendance pétrolière trop forte, de faire redémarrer partiellement le programme nucléaire, de diversifier les sources d’énergie ménagère, en recourant à des énergies douces (éoliennes, panneaux solaires, colza comme pour les bus en Flandre et à Bruxelles) ou en créant, comme sous De Gaulle, des usines marémotrices. L’imagination technologique doit prendre le pouvoir !

 

 

 

L’indépendance en matières de télécommunications est sans nul doute le combat à gagner rapidement en développant trois stratégies : 1) se dégager de l’emprise d’ECHELON, 2) développer avec l’appui de la Chine, de l’Inde et de la Russie le programme GALILEO (en évitant toute participation d’Israël vu les liens trop étroits entre ce pays et les Etats-Unis), 3) poursuivre le programme ARIANE, pour lancer les satellites européens.

 

 

 

L’indépendance culturelle, en termes contemporains, implique de faire feu de nombreux bois. Claude Autant-Lara avait tiré la sonnette d’alarme, lors de son discours inaugural en tant que doyen du Parlement Européen, en appelant à la création d’un cinéma européen dégagé de l’étau idéologique hollywoodien. Mais le combat pour l’indépendance culturelle de l’Europe ne se situe pas qu’au seul niveau du cinéma, comme ce fut effectivement le cas après chacune des deux guerres mondiales, ainsi que l’a bien vécu de près Autant-Lara. Depuis l’ère reaganienne, le combat du soft power américain contre l’Europe s’agence autour de l’action de grandes agences de presse internationales basées pour l’essentiel aux Etats-Unis. L’objectif est de noyer toute interprétation européenne ou autre des événements internationaux sous un flot d’informations allant dans le seul sens de la politique de Washington. Les langages justificateurs varient de l’apocalyptique (Armageddon, lutte contre « l’Empire » ou « l’Axe » du Mal) aux discours sur les droits de l’homme (6). Une contre-offensive européenne serait la bienvenue contre les nouvelles formules mises en œuvre par le soft power américain, à savoir l’organisation de « révolutions colorées », en lisière des territoires russes et européens, visant à reconstituer peu ou prou le fameux « cordon sanitaire » de Lord Curzon, entre le territoire de la République de Weimar et celui de la nouvelle URSS. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel, dans un numéro d’automne 2005, de même que l’an dernier, au moment de la « révolution orange » en Ukraine, le quotidien Le Temps de Genève, démontraient quels étaient les modi operandi d’organismes privés américains, comme la Fondation Soros, qui orchestrent et gèrent les « révolutions colorées ».

 

 

 

Si l’Europe ne se dote pas d’instruments équivalents d’agitation et de propagande, ne s’arme pas de leviers de changements potentiels qui vont dans le sens de ses intérêts, elle restera assujettie, elle restera objet de manipulations médiatiques et politiques. Les exemples abondent : Chirac teste de nouvelles armes nucléaires à Mururoa en 1995, contre l’avis de Washington : des grèves bloquent la France, l’étranglent. Chirac refuse de participer à la curée contre Saddam Hussein, son interlocuteur de longue date : on lui envoie dans les gencives les récentes émeutes des banlieues. Seul Jirinovski a tenu récemment un discours vrai : c’est pour briser la cohésion de l’Axe potentiel entre Paris, Berlin et Moscou que ces émeutes ont lieu, orchestrées par les alliés wahhabites et salafistes des Américains. Cet Axe, seul espoir, bat de l’aile ; en Allemagne, Merkel, qui n’est ni chair ni poisson, prend le relais de Schröder, plus cohérent, notamment sur le plan de la politique énergétique germano-russe (les gazoducs et oléoducs sous la Baltique, pour contourner la Pologne, nouvel allié de Washington). La dislocation de la société française au départ de ses banlieues ensauvagées, soustraites au contrôle de l’Etat, assure la promotion de Sarkozy, plus atlantiste que Chirac. L’Amérique élimine ainsi le spectre d’un gaullisme rétif à l’atlantisme, un gaullisme pourtant bien résiduaire, mité, réduit à l’ombre de lui-même. Après l’Allemagne et la France, la bataille contre Poutine peut commencer.

 

 

 

Notre conclusion : la Constitution, que l’on nous a mijotée, ne répond à aucun de ces défis. Une vraie constitution devrait se donner un projet cohérent, qui fait face à tous ces problèmes réels, pour qu’une politique continentale à long, à très long terme, soit possible. Une vraie constitution devrait être politique : elle devrait donc désigner l’ennemi. Une constitution qui ne le fait pas n’est qu’un chiffon de papier. Une aberration.

 

 

 

Robert STEUCKERS,

 

Forest-Flotzenberg/Charleroi, novembre 2005.

 

 

 

Notes :

 

 

 

(1)     Le témoignage d’un stagiaire nous a fait rire, à gorges déployées, un jour, lorsqu’il nous a conté ses mésaventures dans les coulisses du Parlement européen. Une commission s’était réunie quelques jours auparavant, pour réfléchir à la formulation exacte que devaient prendre les directives réglementant la forme des pièges à rats dans l’UE. Composée essentiellement d’écologistes danois, allemands et néerlandais, cette commission s’est livrée à des arguties interminables pour déterminer, avec le plus d’exactitude possible, le vocabulaire du texte de la directive. Dans les formulations proposées, il y avait le terme anglais « human traps » ou, en allemand, « humane Tierfälle ». Tollé dans la petite assemblée : ces pièges ne sauraient être « humains » puisqu’ils tuent l’animal et que l’humanisme s’insurge contre l’acte de trucider un animal, fût-il considéré comme nuisible. Un quidam a alors proposé de remplacer « human traps » et « humane Tierfälle » par « animal friendly traps » et « tierfreundliche Tierfälle », soit, traduits littéralement, des « pièges à animaux amicaux à l’égard de l’animal ». Nouveau tollé dans le petit caucus : ces pièges ne saurait être amicaux à l’égard de l’animal, car occire la bête n’est pas, à son égard, faire preuve d’amitié. Et ainsi de suite, pendant un long après-midi… Voilà à quoi sert l’argent de nos impôts…

 

 

 

(2)     Cette sévérité de notre part pourrait être jugée excessive : il convient toutefois de lire, attentivement, comme nous l’avons fait, le livre de Nicole Aubert, intitulé Le culte de l’urgence. La société malade du temps, publié chez Flammarion en 2003 (ISBN 2-08-068409-4). Dans cet ouvrage, à nos yeux capital, Nicole Aubert montre que le stress et l’urgence, exigés désormais des hommes dans leur vie professionnelle, provoquent quantité de nouvelles pathologies qui épuisent à terme la société, la vide de son tonus. Dans son chapitre 10, elle déplore la fin de la famille, écrasée par l’urgence, qui oblige à prester sans arrêt, sans pause, pour une machine économique démesurée. Si aux exigences de l’économie, s’ajoutent des exigences administratives, de surcroît non productrices de biens réels, l’homme craque ou craquera, et définitivement. On ne peut donc exiger la disparition de l’économie et de certaines urgences qu’elle pourrait exiger, à titre ponctuel, mais on doit impérativement réduire l’urgence, en éliminant les urgences non productrices de biens réels (et vitaux). Par conséquent, les pathologies générées par un surcroît d’urgence ont une cause, des auteurs : ceux-ci doivent en être tenus responsables, au même titre que s’ils avaient infligés des coups et blessures physiques. Le livre de Nicole Aubert devra être lu par les juges qui statueront, dans l’avenir et dans des tribunaux d’un nouveau genre, contre ceux qui auront infligé, à des citoyens, des pathologies dues à l’urgence.

 

 

 

(3)     Nous songeons à la « nouvelle caste de prêtres », dont Raymond Abellio souhaitait l’avènement dans son fameux ouvrage intitulé L’Assomption de l’Europe.

 

 

 

(4)     Dans son article intitulé « Quelle Europe après les « non » et « nee » référendaires ? », pp. 81-84.

 

 

 

(5)     Ce refus du « choc des civilisations », notion qui aurait pourtant été bien accueillie par la « ND » au temps de sa période ascensionnelle, s’explique par les voyages de son animateur principal, Alain de Benoist, en Iran. Envoyé par le « Figaro Magazine » pour un reportage sur le front de la guerre Iran-Irak vers le milieu des années 80, il s’y retrouve avec les animateurs de la librairie « Ogmios » de Paris et le correspondant de la RTBF, Claude Van Engeland. Un article sur cette guerre et sur l’atmosphère qui régnait alors dans la capitale iranienne paraîtra d’ailleurs dans l’hebdomadaire fondé en 1978 par Louis Pauwels, où le chef de file de la « Nouvelle Droite » avait surtout retenu les « bas résille » qui se dévoilaient subrepticement sous les tchadors et djellabas des passantes de Téhéran. On a les fantasmes qu’on peut. A Téhéran, il avait profité de son séjour pour nouer des contacts qui lui permettront très rapidement de devenir, jusqu’à ce jour, le correspondant en France du « Teheran Times » et de la Radio Iranienne (il suffit de consulter son site internet pour s’en apercevoir, car le bonhomme n’a pratiquement plus que ces références-là pour se livrer à son sport favori : faire de l’esbroufe). Cette position de correspondant, qu’il entend conserver à tout prix, l’empêche de prendre en compte le « choc des civilisations » et de critiquer, même modérément, les dérives de l’islamisme, alors que ses positions initiales correspondaient davantage à la vue de l’histoire, eurocentrée et « gobinienne », que cultivait le Shah d’Iran (cf. ses mémoires), renversé par les mollahs à la suite des manigances américaines, qui visaient, selon l’aveu même de Kennedy et de Kissinger, l’élimination de son armée et surtout de sa marine et de son aviation. Cette petite fonction de correspondant du « Teheran Times » a contraint de Benoist à renier sa vision européenne de l’histoire, à refuser de constater que le régime des mollahs avait été soutenu au départ par les Etats-Unis, que l’islamisme a longtemps été l’allié de Washington (cf. la campagne acharnée qu’il a menée contre le jeune journaliste Alexandre Del Valle, auteur d’une étude serrée sur les liens entre Washington et l’islamisme, et contre son ancien collaborateur Guillaume Faye, interprète radical de la théorie huntingtonienne du « choc des civilisations »). Cette campagne de dénonciation et de dénigrement, menée avec une obstination enragée, a dû sans nul doute se faire pour le compte de certaines agences iraniennes, qui avaient intérêt à étouffer les thèses de Del Valle, qui s’inspirait des mémoires de l’ancien ministre iranien de l’éducation, du temps du Shah, exilé depuis à Bruxelles, Houchang Nahavandi (ces mémoires sont parues chez l’éditeur suisse « L’Age d’Homme »). Alain de Benoist erre comme un fantôme hagard dans cette zone de porte-à-faux depuis une vingtaine d’années au moins, exercice de déambulation quasi somnambulique qui le rend inapte désormais à énoncer une théorie cohérente sur l’Europe ou à articuler une pratique de la libération de l’Europe, alors que c’était l’objectif principal de son mouvement « GRECE » (« Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Civilisation Européenne »). Ce porte-à-faux a conduit, pendant deux décennies, à une suite ininterrompue de ruptures, de reniements, de querelles qui ont isolé complètement le correspondant du « Teheran Times » à Paris. En revanche, il semble toujours en relation étroite avec l’un des anciens animateurs d’ « Ogmios », qui, après avoir profané le nom de son illustre père, commis quelques piètres escroqueries, organisé des voyages bidon chez Léon Degrelle en Espagne en empochant le pognon des naïfs et laissé un paquet considérable de dettes impayées derrière lui, dirige aujourd’hui une revue d’histoire au format A5, évidemment sous pseudonyme, pour ne pas attirer l’œil myope des vigilants anti-fascistes de « Ras-le-front » ou autre bouffonnerie du même acabit ; bien évidemment, les cerveaux mous de « Ras-le-front » ne sont pas de très fins limiers... Pourtant, un simple examen du style et des thématiques abordées dans la revue d’histoire, dont question, dévoilent immédiatement la « patte » de certaines figures bien connues de ce milieu qui ne croient en rien, même pas aux théories qu’elles ont elles-mêmes énoncées. La constante de l’histoire récente de la ND ne semble plus être axée autour des principes premiers de l’association GRECE, mais n’est rien d’autre que la conjonction étonnante et dûment camouflée de l’ « Iranian Connection »  et de l’ « Ogmios Connection ». Mais, pour terminer, abordons tout de même cette pénible affaire avec le regard de l’humoriste : le théoricien d’un paganisme druidico-odinique de Prisunic sur la place de Paris, le vendeur de « Tours de Yule » qui effrayait le pauvre anti-fasciste naïf René Monzat, est devenu l’homoncule des mollahs à Lutèce ; le théoricien du polythéisme absolu est devenu un petit mercenaire obscur du monothéisme le plus sourcilleux ; le grand amateur de grappa italienne et de Valpolicella en dame-jeanne, s’est métamorphosé en employé besogneux du régime qui arrachait naguère les ceps du vin de Chiraz, fait toujours fouetter les oenologues et trahit ainsi la mémoire d’Omar Khayyam . Rigolo, non ?  Ceci dit, pour nous, l’Iran doit redevenir une puissance régionale, indépendante sur le plan énergétique, porteuse d’une diplomatie originale dans l’Océan Indien (cf. les travaux du géopolitologue Djalili en France), comme le voulait le Shah ; l’Iran actuel doit rester l’allié à l’Europe et facturer en euro et non plus en dollars : tels sont les axes politiques concrets à suivre désormais, avec ou sans Ahmadinedjad, et certainement contre la nouvelle clique iranophobe que constituent les habituels intellectuels parisiens, serbophobes hier, russophobes de toujours. Mais pour cela, la parenthèse entre la chute du Shah et la guerre larvée entre Washington et Téhéran, n’aurait pas dû être. Européens, Iraniens et Russes auraient gagné du temps. Autre réflexion : notre scepticisme à l’égard du régime des mollahs, notre ironie à l’égard des louvoiements grotesques d’Alain de Benoist ne participent nullement d’une islamophobie : la politique culturelle du Shah aurait ruiné toutes les dérives islamophobes car elle nous induisait à aimer les plus beaux fleurons de la civilisation islamique, justement avec le poète Ferdowsi, le philosophe Sohrawardi (dont le Français Henry Corbin explorera l’œuvre dans toutes ses facettes) et l’inoubliable poète Omar Khayyam. L’islamophobie est un produit dérivé de l’islamisme fondamentaliste chiite ou sunnite, mais toujours oublieux des synthèses lumineuses entre enthousiasme islamique et racines grecques, égyptiennes ou persanes. C’est là une erreur magistrale d’Alain de Benoist, sinon une faute cardinale : il a embrayé sur le discours islamophile fallacieux, téléguidé depuis Washington pour le compte de Riad, pour abattre le Shah, pour lancer la Djihad contre la Russie en Afghanistan, pour faire des voyous des banlieues une armée de réserve pour déstabiliser les pays européens qui, comme la France, branlent de temps en temps dans le manche atlantiste. A ce discours, il fallait répondre par une réhabilitation des plus belles figures de la civilisation islamique, comme le firent les deux Shahs Pahlavi, en les réinscrivant et en les réinsérant dans la tradition impériale iranienne, première manifestation d’impérialité d’un peuple-souche indo-européen et cela, dès la proto-histoire. L’Iran possède là un droit d’aînesse sur l’Europe occidentale et centrale. L’islamophilie obligatoire d’aujourd’hui, sous peine d’exclusion du débat et de poursuites judiciaires, empêche toute islamophilie constructive et laisse le champs libre aux fondamentalismes régressistes, surtout dans leurs versions wahhabites ou salafistes, que l’on n’ose plus critiquer et que de Benoist, coincé et empêtré dans ses petits complots ogmioso-iraniens minables, n’a jamais osé critiquer. Fondamentalismes régressistes qui sont aussi responsables de la mort et de la défaite des courageux nationalismes arabes d’inspiration personnaliste (Michel Aflaq), nassérienne ou gaullienne, idéologiquement proches de l’Europe, alors que le fondamentalisme wahhabite accuse une nette parenté idéologico-théologique avec le fondamentalisme puritain de l’idéologie américaine.

 

 

 

(6)     La critique des discours sur les droits de l’homme, tels qu’ils nous sont venus d’Amérique au lendemain du deuxième conflit mondial, et avaient été fabriqués pour faire vaciller les volontés d’émancipation européenne, doit être replacée dans le contexte général de l’évolution de la pensée occidentale après 1945. Dans les années 50 et 60, l’idéologie gauchiste dominante, de même qu’une philosophie moins politisée, critiquaient les droits de l’homme comme « bourgeois » et « subjectivistes », sans pour autant prendre les mêmes accents qu’Edmund Burke ou Joseph de Maistre au lendemain de la révolution française. Avec l’émergence subite de la « nouvelle philosophie » dans le « paysage intellectuel français », à la veille du reaganisme, les droits de l’homme sont réhabilités à grands renforts de coups médiatiques et mobilisés contre l’Union Soviétique. Du coup, tous les travaux intéressants, philosophiquement fondés, sur l’origine de cette philosophie sont jetés aux orties voire voués aux gémonies, mais le gauchisme fait comme Clovis : il adore ce qu’il a brûlé et brûle ce qu’il a adoré ; son attitude change en deux coups de cuiller à pot. Il s’aligne sur les « nouveaux philosophes », les doigts sur la couture du pantalon, comme au coup de sifflet d’un caporal-chef, et la critique des droits de l’homme passe, plutôt mal gré, à une extrême droite incapable de faire référence aux solides corpus philosophiques délaissés des années 50 et 60, qu’elle perçoit forcément comme étrangers à elle, ce qui nous donne in fine un espace critique mité, ingérable, effiloché, où se cumulent maladresses et lourdeurs. Celles-ci ne parviennent pas à contrer l’action néfaste du « droit-de-l’hommisme », issu non pas tant des textes fondateurs de 1776, 1789 ou 1948, ou de la Charte de l’Atlantique de 1941, mais des officines de la CIA et de la NSA qui entendaient fabriquer de toutes pièces une idéologie de combat contre le soviétisme et, derrière cette façade vendable, contre toutes les formes de souveraineté nationale ou continentale. Dès l’émergence des philosophades droit-de-l’hommesques, les droits concrets de l’homme ont reculé et subi plus d’entorses que jamais : on a eu Pol Pot pour damer le pion aux méchants Nord-Vietnamiens pro-soviétiques, on a eu des escadrons de la mort pour faire reculer le sandinisme en Amérique centrale, on a eu les mudjahhidins et les talibans en Afghanistan, on a eu les purges en Iran soi-disant contre les sbires de la SAVAM, etc.

 

 

15:52 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Constitution européenne (1)

Synergies Européennes – Bruxelles/Charleroi – Décembre 2006

 

 

 

Robert STEUCKERS :

 

Réflexions sur la Constitution et la construction européennes

 

 

 

Résumé du discours tenu à Charleroi, le 19 novembre 2005, par Robert Steuckers à la Tribune de « Terre & Peuple / Wallonie » et de « Renaissance sociale »

 

 

 

Pour aborder la problématique qui nous occupe aujourd’hui, posons d’emblée deux questions : est-il nécessaire d’avoir une constitution ? Quelle attitude prendre face au double « non » français et néerlandais ? Répondre à ces deux questions nous permet de formuler plus aisément notre propre point de vue dans cette problématique, de rappeler quelques-unes de nos options philosophiques et politiques fondamentales.

 

 

 

Nous le disons sans ambages : oui, il est nécessaire d’avoir une constitution européenne, ou du moins un ensemble de directives clairement énoncées, car nous refusons le point de vue anglais, défendu depuis le « règne » de Margaret Thatcher, point de vue qui entend pérenniser une confédération lâche, à géométrie variable, qui ne serait qu’un simple espace de libre-échange économique, dans lequel on entrerait et duquel on sortirait comme si ce n’était qu’un bête supermarché. Contrairement à cette position thatchérienne, nous voulons, nous, une Europe structurée, solidement charpentée, capable de pallier les lacunes des Etats nationaux résiduaires. Or l’Europe que l’on nous propose, aujourd’hui, par le biais d’un modèle constitutionnel insuffisant, reposant sur des idéologèmes boiteux ou sur des bricolages de type administratif, n’est ni l’Europe à la Thatcher ni une Europe structurée, tout simplement parce qu’elle est une Europe libérale et que le libéralisme est rétif à toute structuration de nos existences politiques, du fait de son « impolitisme » intrinsèque.

 

 

 

Insuffisance de la protestation française et néerlandaise

 

 

 

Quant aux deux « non » français et néerlandais, ils ne rencontrent ni notre franche hostilité ni notre franche approbation. Nous sommes également conscients des insuffisances de cette protestation et du danger que recèle le souverainisme français pour le salut de notre aire civilisationnelle. La volonté de ce souverainisme de faire systématiquement bande à part, de se mettre en marge des affaires du continent, de réchauffer le vieux plat insipide de la germanophobie maurrassienne, sape la nécessité impérieuse d’unir toutes les forces européennes autour d’un Axe, comme celui que préconisait naguère Henri de Grossouvre dans son fameux ouvrage « L’Axe Paris-Berlin-Moscou ». Quant à un certain isolationnisme néerlandais, il pourrait s’avérer tout aussi dangereux, dans la mesure où il est l’héritier de ce sécessionnisme calviniste qui a porté des coups très durs à la seule institution européenne légitime : le Saint Empire. Christoph Steding, dès les années 30, avait démontré la nocivité de l’anti-impérialité néerlandaise et helvétique, née aux 16ième et 17ième siècles, dans la mesure où elle générait un désintérêt égoïste pour le sort général du continent et de sa civilisation.

 

 

 

Mais si nous sommes conscients des insuffisances des protestations française et néerlandaise, nous ne cachons pas notre sympathie pour d’autres sentiments qui ont poussé les Français et les Néerlandais à voter « non » lors des référendums sur la Constitution européenne. En effet, les sentiments que recouvrent ces deux « non » sont multiples et variés et ne sont nullement assimilables au souverainisme ou à l’anti-impérialité, que nous dénonçons avec vigueur. Parmi les sentiments positifs qui se profilent derrière ces « non », il y a le rejet de la classe politique actuelle, jugée de plus en plus incompétente et de plus en plus arrogante ; ensuite, il y a le refus d’une Europe à l’enseigne d’un libéralisme économique sans freins réels.

 

 

 

L’impasse du souverainisme : ne pas s’y égarer

 

 

 

En résumé, l’hostilité du souverainisme, qui s’insinue même dans les discours des formations identitaires (toutes étiquettes confondues) en francophonie, est une hostilité fondamentalement idiote et nous ne nous appesantirons pas sur la question ; nous n’allons pas retourner aux sources perverses et criminelles de ce souverainisme, qui a ruiné l’œuvre de notre Empereur Charles-Quint, a pactisé avec l’ennemi ottoman, a mis bon nombre de nos provinces au pillage et aux déprédations les plus abominables (comme l’incendie de Bruxelles en 1695). Bon nombre d’auteurs, dont le Carolorégien Drion du Chapois, ont déjà démontré l’intrinsèque perversité du séparatisme gaulois au sein de la civilisation européenne. Aucun souverainiste français n’est pour nous un interlocuteur valable et nous ne pouvons que rire et applaudir à l’acte polisson de notre compatriote Noël Godin, alias Le Gloupier, ou l’Entarteur, qui a écrasé une belle tarte à la crème, bien mousseuse, sur la figure de Chevènement, l’un des plus écoeurants exposants de cette lèpre souverainiste, qui avait osé venir ici, en Wallonie, pour prêcher le rattachement de nos provinces impériales à son machin républicain, qui prend l’eau de partout et dont les « nouveaux citoyens », venus de partout et de nulle part, sont en train de faire tourner en bourrique, à coups de cocktails Molotov, en ce mois de novembre 2005. C’est cette « République », soi-disant « souveraine », battue en brèche par ses immigrés chéris, que l’on nous obligerait donc à aduler ? Au revoir et merci ! Gardez bien votre cadeau empoisonné ! Timeo Gallos et dona ferentes !

 

 

 

En revanche, l’hostilité au libéralisme, que dégage ce double refus français et néerlandais, est intéressante à plus d’un titre ; elle annonce une véritable alternative, car c’est justement l’essence libérale de l’Union Européenne, de la constitution qu’on nous propose, qui fait que, dans de telles conditions, nous n’aurons jamais une Europe structurée, telle que nous la souhaitons. La brèche ouverte dans les certitudes eurocratiques par les refus français et néerlandais permet d’envisager de nombreuses solutions alternatives, solidaristes, euro-révolutionnaires, néo-socialistes. Ce refus doit être analysé en parallèle avec les propositions de la nouvelle gauche la plus dynamique actuellement, celle des altermondialistes d’ATTAC, qui suggèrent tout à la fois des pistes intéressantes et des poncifs profondément imbéciles. Il faut cependant l’avouer, les positions d’ATTAC sont bien présentées, ont le mérite de fournir un cadre de référence, qu’il nous suffira de reprendre, de modifier et d’étoffer, sur bases d’idéologèmes moins niais. Car tous les éléments de niaiserie que nous trouvons dans ce discours d’ATTAC sont voulus par ceux qui téléguident cette contestation pour l’enliser irrémédiablement dans les sables mouvants de l’irréalisme impolitique. Le système génère aujourd’hui sa contestation à la carte, que l’on « spectacularise » sur les petits écrans, comme l’avait bien vu Guy Debord, en exhibant par exemple le mort de Gênes ou les bris de vitrines de Nice, pour montrer fallacieusement qu’elle est une vraie contestation, une vraie de vraie, et qu’il n’y en a pas d’autres, et donc qu’il est inutile de militer pour en fabriquer une. Qui serait évidemment incontrôlable. Du moins dans un premier temps…

 

 

 

Multiples ambiguïtés d’ATTAC

 

 

 

En vrac, ATTAC dénonce, à juste titre, le caractère anti-social de la constitution ultra-libérale que viennent de refuser les citoyens français et néerlandais. Cette constitution néglige les volets sociaux, nécessaires à une Europe stable, néglige la nécessité d’une juste redistribution, néglige les secteurs non marchands, dont la solidité et la durée sont les meilleurs indices du niveau de civilisation, néglige toutes les questions d’environnement. ATTAC réclame dont une Europe de la solidarité, vœu que nous partageons. Mais, notre question critique fuse immédiatement : cette solidarité peut-elle advenir si, comme ATTAC, on continue à véhiculer les poncifs les plus éculés de l’idéologie dominante (dont le libéralisme), des idéologues fanés du soixante-huitardisme tardif ou de cette idéologie festive, que dénonce le plus pertinent des philosophes français contemporains, Philippe Muray ?

 

 

 

Quelques exemples : les petits manifestes d’ATTAC, parus dans la série « Mille et une Nuits », que l’on trouve jusque dans les rayons de nos supermarchés, ne nous disent pas un mot sur la défense (même si ATTAC veut se débarrasser de l’OTAN), alors qu’un espace qui veut garantir la solidarité entre ses citoyens doit, quelque part, garantir ses frontières, les protéger et protéger les institutions et les pratiques de la solidarité. Pour avoir la solidarité, il faut la paix, il faut que rien ne trouble cette solidarité ; pour avoir la paix, il faut préparer la guerre, selon le bon vieil adage latin « Si vis pacem, para bellum ». Pour que l’Europe vive en paix, pour qu’elle soit justement cet espace de la norme et de la diplomatie, il faut qu’elle détienne la puissance, face à un nouveau yankeeïsme qui rejette les normes au profit de l’arbitraire guerrier et qui jette la diplomatie aux orties sous prétexte qu’eux, les Américains, sont les « fils de Mars » (par procuration : ce sont les Mexicains illégaux qu’on envoie en Irak), et que nous, lâches, sommes les « fils de Vénus ». Si ATTAC ne veut pas la puissance, alors ATTAC ment en réclamant une solidarité illusoire, parce qu’aucune puissance ne pourra jamais la garantir.

 

 

 

Le fétichisme du « contrôle démocratique »

 

 

 

De même, suite logique de ce silence sur la défense et sur la puissance, ATTAC ne formule pas une critique suffisamment serrée de l’impérialisme américain (et pour cause : car qui pourrait bien téléguider le mouvement, en vertu des expériences longuement acquises des « special psyops »…). Ensuite, autre tare de ce discours altermondialiste : on y repère à longueur de pages un fétichisme du « contrôle démocratique » ; dans cette optique, ATTAC se plaint qu’aucune décision n’est possible à vingt-cinq à la Commission. Remarque pertinente. Nous n’en disconvenons pas. Mais pour échapper au caractère hétéroclite du processus de décision boiteux de la Commission, ATTAC suggère un renforcement du poids du Parlement Européen. Mais ce parlementarisme ne conduira-t-il pas à de pires enlisements sinon à la paralysie totale ? Si la décision est jugée impossible dans une Commission aux effectifs finalement limités, par quel coup de baguette magique pourrait-elle devenir possible dans un Parlement encore plus bigarré ?

 

 

 

Autre fétichisme pénible dans la littérature d’ATTAC : celui du « laïcisme ». ATTAC, du moins ses antennes françaises, estime que c’est tout naturel de transposer le bric-à-brac idéologique, le sous-voltairianisme, de l’idéologie laïque républicaine, à l’échelle de l’Europe entière, alors que ce laïcisme n’existe pas, n’a jamais existé, dans les pays catholiques et protestants ni a fortiori dans la Grèce orthodoxe. Ni dans la zone baroque de l’Europe qui englobe la péninsule ibérique, les anciens Pays-Bas espagnols puis autrichiens, la Bavière, l’Autriche, la Croatie. Aucune pratique ne peut s’articuler autour de ce laïcisme abscons dans des pays autres que la France.

 

 

 

Avant-dernière incongruité dans le discours d’ATTAC, mais elle participe du même oubli de la défense et du même refus de la puissance : les auteurs de ses nombreux manifestes réitèrent sans cesse leur hostilité à toute militarisation. Par conséquent, ils veulent une Europe impuissante, et donc ipso facto vassale (du plus fort et du mieux armé), et, par suite, une Europe qui ne bénéficie ni d’une indépendance énergétique ni d’une indépendance alimentaire.

 

 

 

Le fétichisme des « flux migratoires »

 

 

 

Dernière incongruité : le fétichisme récurrent à l’endroit des « flux migratoires », qu’ATTAC considère, bien évidemment, à l’instar de toutes les idéologies et de tous les médias dominants, comme un bienfait des dieux, comme l’instrument de la parousie finale, une parousie aussi naïve que celle des témoins de Jéhovah qui croquent, avec des dessins niais, une fin du monde, où l’on voit des petits moutons gambader entre les pattes de lionnes somnolentes, tandis que des hommes de toutes les races vaquent à des occupations idylliques, pique-niquent en famille ou lisent les écritures saintes (il y a bien des similitudes entre la stupidité des gauchismes rousseauistes et les pires élucubrations sectaires des protestantismes dissidents anglo-saxons). Par définition, pour ATTAC, les « flux migratoires » sont positifs. Or bon nombre de cénacles, y compris et surtout à gauche, à l’ONU et à l’UNESCO, font le constat que ces « flux migratoires » font essaimer des diasporas, qui se ghettoïsent, puis génèrent des réseaux mafieux et des économies parallèles incontrôlées (et incontrôlables), qui se meuvent en nos sociétés comme poissons dans l’eau justement parce que l’Europe qu’on nous fabrique ou veut nous imposer est libérale, néo-libérale, ultra-libérale. Les flux migratoires, quand ils accouchent de phénomènes mafieux, accentuent le poids du néo-libéralisme, tant sur les travailleurs précarisés dans leur emploi que sur les PME, fragilisées devant les grands consortiums et la concurrence des entreprises non déclarées. ATTAC nage en pleine contradiction, d’une part, en fustigeant à tous crins le néo-libéralisme et, d’autre part, en applaudissant bruyamment à des phénomènes migratoires qui accentuent toujours davantage les maux de ce néo-libéralisme.

 

 

 

ATTAC : une vision du temps totalement erronée et aberrante

 

 

 

Par conséquent, la critique que formule ATTAC contre le néo-libéralisme, la société marchande, est certes légitime et utile,   -et nous en partageons les postulats-  mais elle est lacunaire, contradictoire et incomplète, et doit, par conséquent, être étoffée par des options populistes, traditionalistes, futuristes (archéofuturistes), qui puisent dans les archétypes (sociétaux, mythiques, juridiques) la force de se projeter énergiquement vers un avenir solide, parce que reposant sur des bases d’une grande profondeur temporelle. Dans une perspective qui serait réellement alternative, l’histoire, le temps qui passe, ne serait pas une ligne vectorielle qui s’élancerait d’un lointain et obscur point de moindre valeur, en amont dans le temps, vers un point d’excellence indépassable et parousique, en aval dans le temps, en accumulant sans cesse, dans cette course, de la plus-value, sans jamais subir aucun ressac ni aucune contrariété, mais, bien au contraire, pour nous et contre les opinions frelatées de cette armée de pitres et de jocrisses, l’histoire serait un jeu de systole et de diastole sur un plan non plane mais sphérique (et donc perpétuellement rotatoire), qui implique l’éternel présent, en acte, en jachère ou en puissance, de forces dynamisantes ou figeantes, à proportions égales, qui ont agi dans le passé, demeurent peut-être tapies et silencieuses, en jachère, dans le présent et réagiront un jour dans le futur, retournant subitement de la puissance, première ou secondaire, à l’acte ; ou opérant un retour en force au départ d’une situation préalable, volontaire ou forcée, de retrait (« withdrawal-and-return », disait Toynbee) ou ré-émergeant sous des oripeaux en apparence nouveaux dans une société apparemment transformée par un bouleversement quelconque (la « pseudo-morphose » de Spengler).

 

 

 

Voilà pourquoi il est impératif de maintenir les différences entre les hommes, les diversités, la pluralité, car chaque élément original peut contribuer à créer ou recréer un futur également original. Une humanité homologuée n’a plus de réponse alternative possible. Elle répéterait ce qui a été « normé » auparavant, comme un mouvement mécanique perpétuel, comme un interminable tic-tac d’horloge, sans autre musique. Voilà pour une petite précision philosophique.

 

 

 

En conclusion : ATTAC reste collé à une vision bêtement vectorielle du temps et de l’histoire et se condamne dès lors à ne rien comprendre aux conflits contemporains, qui sont souvent les tributaires ou les rééditions de conflits antérieurs, d’ordre religieux comme ceux qui opposent chiites et wahhabites ou hindouistes et musulmans, qui ont ré-émergé sur la scène internationale récemment, alors que les « vectorialistes » les avaient trop vite considérés comme morts parce qu’ils relevaient tout simplement d’une antériorité temporelle, et parce que, pour eux, toute antériorité est nécessairement morte, non de fait (comme les événements le prouvent) mais selon l’erreur récurrente, naïve et méchante de cette vision vectorialiste du temps et de l’histoire. Vision méchante parce que la contrariété qu’elle suscite, face aux faits, débouche sur des colères d’impuissance, des redoublements de rage, sur des appels hystériques à la « judiciarisation » de toute contestation de son modèle vectorialiste infécond, et sur des volontés de poursuivre le projet, d’avance avorté, en en maximisant l’intensité. Nous risquerions bien vite de devenir tous victimes de cette rage. La nomocratie débouche immanquablement sur un univers sinistre, tel celui que nous a croqué Orwell dans son fameux roman contre-utopique, 1984.

 

 

 

Les 448 articles de la Constitution

 

 

 

Revenons à la question de la constitution. Au total, la Constitution que l’on nous propose et qu’ont refusée les Français et les Néerlandais, compte 448 articles.

 

 

 

La partie première, comptant 60 articles, traite des critères d’appartenance (nous y reviendrons). La partie deuxième, traite des droits fondamentaux et compte 54 articles. ATTAC s’en satisfait, se borne à dire qu’il n’y a pas de droits nouveaux inclus dans ces 54 articles. Notre critique commencerait par déplorer le silence, tout libéral, de cette constitution quant aux droits « ontologiques », de l’homme, c’est-à-dire des droits reposant sur sa constitution intime d’être vivant, produit biologique de générations précédentes, appelé à produire des générations futures. Toutes les constitutions vantées par les idéologies dominantes avancent des droits abstraits plutôt qu’ontologiques, noient le sens du droit sous un fatras de « droits » tombés du ciel, fabriqués par l’imagination de philosophes pétitionnaires plutôt qu’observateurs du réel. Nous entendons rétablir des droits, tels qu’il en a toujours existé en Europe, car la démocratie réelle ne date pas d’hier ni des philosophes pétitionnaires du 18ième siècle (la Vieille France de l’ancien régime n’était pas un désert juridique). La démocratie grecque, romaine-républicaine, germanique, islandaise ou autre (dont la pratique de la « ruggespraak » dans nos comtés et duchés thiois) est plus ancienne et plus concrète que celle qui procède de l’idéologie de 1789, qui a biffé tout caractère organique de son projet et de sa pratique. Au bout du compte, nous avons, déguisées en démocratie, de lourdes batteries de normes contraignantes, sous des dehors qui se veulent « bons » ou « bonistes », comme disent nos amis italiens.

 

 

 

1789 : une gifle à la classe ouvrière

 

 

 

Quand des agités parisiens proclament en 1789 les droits de l’homme, ils imaginent inaugurer une ère de démocratie et d’égalité. Deux ans plus tard, avec la fameuse Loi Le Chapelier, les structures corporatives de représentation de la classe ouvrière, de défense de leur droit, de garanties diverses, sont rayées d’un trait de plume. C’était les seules structures de représentation des compagnons, apprentis et petites gens. Elles ne sont remplacées par rien. L’ouvrier reçoit un carnet, véritable fiche de police prouvant son statut inférieur, en dépit des délires verbeux sur l’égalité. Il faudra le long combat ouvrier et syndical du 19ième aux « Trente Glorieuses » pour restaurer des structures équivalentes, rapidement battues en brèche par le néo-libéralisme, dès le début des années 80, pour déboucher sur la précarité actuelle, à laquelle sont directement confrontés ceux d’entre vous qui militent à « Renaissance sociale ». De 1789 au Code Napoléon, période où émerge et s’impose par la terreur et la force le droit libéral, tous les droits hérités des collectivités concrètes, des communautés charnelles, des communautés monacales, des structures claniques, gentilices ou familiales sont éliminés au profit de droits attribués au seul individu abstrait, isolé, égoïste, non participant (et par conséquent formaté, homogénéisé, homologué, bref, une individu sans tripes, écervelé, éviscéré).

 

 

 

Dans la partie troisième, constituant 72% du traité constitutionnel, avec 332 articles, sont décrits une masse impressionnante de mécanismes froids et monstrueux, qui ne pourront jamais être soumis à aucun suffrage, tout en étant bel et bien imposés par des technocrates. ATTAC s’insurge, et ici à juste titre, contre ce technocratisme, cette froideur procédurière. Mais c’est, une fois de plus, une protestation qui ne mène à rien parce qu’elle repose sur une contradiction de taille. Comme toute gauche qui se respecte en France, ATTAC se réclame évidemment des grrrrrands principes de 1789, qui ont conduit très vite à l’exclusion des classes ouvrières de toute représentation. Or ces principes veulent l’avènement d’un citoyen nouveau, débarrassé de tous les reliquats du passé, éduqué selon des principes radicalement rénovateurs. Or ATTAC, tout en se pâmant devant ses principes, s’insurge simultanément contre les 72% ou les 332 articles de cette Constitution européenne car ils induisent des mécanismes froids, mécanismes froids qui veulent changer l’homme, comme les principes de 1789 voulaient le changer. Les mécanismes de ces 332 articles de la partie troisième ne sont finalement qu’un avatar démesuré, gigantomaniaque, de ces principes et ces derniers sont à la base de tous ces projets fumeux de « changer » l’homme, comme s’il relevait d’une panoplie de meccano, donc on change les agencements au gré des modes et des vents. Pourquoi le mouvement ATTAC applaudit-il donc aux principes et s’insurge-t-il contre les avatars mêmes de ces principes ? Mystère et boule de gomme ! Mais assurément : contradiction de taille ! Et de la taille d’un diplodocus double mètre !

 

 

 

De nouvelles féodalités basées sur des procédures et des administrations

 

 

 

Les 332 articles incriminés veulent effectivement changer l’homme européen, le réduire à un numéro, le rendre docile, conforme, le normaliser. Cette nature purement abstraite, cette volonté d’éradiquer l’ontologique hors de l’homme (lors même qu’il revient toujours à l’avant-plan), explique le rejet dont cette constitution fait l’objet. La nature purement administrative de ces 332 articles débecte les peuples, qui se lassent du procédurier. Un procédurier qui prend souvent des allures franchement comiques, comme quand des antennes de la Commission se mettent en tête de réglementer les dimensions et les modes de fonctionnement des pièges à rats dans l’UE (1).

 

 

 

Mais l’administratif et le procédurier n’ont pas que des effets bouffons : ils sont le plus souvent cruels, implacables, kafkaïens, qu’ils relèvent de la machine Etat ou d’institutions privées pachydermiques (l’adjectif est de Toffler), comme, chez nous, les banques, les compagnies d’assurance, les mutuelles devenues tentaculaires, Electrabel, Sibelgaz ou Belgacom, intouchables de par leurs dimensions démesurées.

 

 

 

L’administratif et le procédurier sont les produits pervers et dangereux d’un long processus de pétrification des sociétés européennes, commencé par les philosophades des Lumières, qui fustigeaient l’incomplétude des traditions pour mieux pouvoir les éliminer ; elles ont ensuite été relayées par leur traduction politique, la sinistre révolution française, qui multipliait déjà les obligations de détenir des certificats, des attestations, d’être encarté de toutes les manières possibles et imaginables, tandis que le modèle carcéral de ce 18ième siècle finissant était déjà la prison panoptique, où tout et tous étaient vus depuis le sommet de la tour de contrôle. Michel Foucault nous avait dit que cette prison panoptique était devenue le modèle social dominant aujourd’hui. Il n’avait pas tort, avant de sombrer dans ses bouffonneries gauchisantes. De la prison panoptique au Château ou au Procès de Kafka, il n’y a qu’un pas.

 

 

 

Le sociologue allemand Ferdinand Tönnies, pour sa part, parlait, dans la première décennie du 20ième siècle, du passage de la « communauté », charnelle, avec ses rapports interpersonnels directs et humains, à la « société » froide, indirecte et déshumanisée. Ce processus a commencé dans le sang, il se termine dans la tyrannie grise mais incontournable, exercée au nom de quelques coquins, par des centaines de milliers de médiocres à qui on a donné des prérogatives, faute de les faire œuvrer intelligemment, avec leurs mains dans des ateliers ou leur cerveau dans des établissements d’enseignement, avec leur cœur dans des institutions caritatives.

 

 

 

Responsabilisation

 

 

 

Une « féodalité » épaisse, opaque, est ainsi née qui attend, nous l’espérons, d’être un jour définitivement abattue, pour le salut des hommes et des lignées de demain : nous devons travailler à l’avènement d’une société d’où les administratifs auront disparu ou auront été réduits à des quantités très négligeables, tout simplement parce qu’on les aura « responsabilisés »,  rendus responsables de leurs travers, dépouillé de leur impunité, donc justiciables pour les pertes de temps qu’ils causent, pour les maladies nerveuses qu’ils répandent dans la société à cause de leurs exigences, pour les dénis de dialogue qu’ils répètent à satiété, pour les abus de pouvoir dont ils se rendent coupables (2). Dans une société libérée de leur présence, un médecin, par exemple, ou un philosophe, pourra incriminer, sans appel, sans le truchement de juristes professionnels, un employé administratif (de l’Etat ou du privé) qui pourra être puni et emprisonné sans autre forme de procès, l’exercice de sa fonction pouvant être aisément remplacé, par simple interchangeabilité, ou n’étant pas directement utile au bien-être et au développement qualitatif de la société.

 

 

 

L’objectif est de rendre du pouvoir à ceux qui, médecins ou philosophes/enseignants (3), sont en contact avec l’homme réel, avec ses ratés et ses fonctionnements variables, contre ceux qui lui appliquent des rythmes répétitifs sans tenir compte d’aucun aléa somatique ou psychologique ni d’aucun critère culturel ni d’aucune insertion dans un processus de longue durée, qui doit demeurer pour conserver stabilité à l’ensemble sociétal. Les peines, prononcées à la suite de ces plaintes médicales ou enseignantes, devront être effectuées dans les secteurs non marchands, de façon à pouvoir pallier aux déficits que subissent ces secteurs depuis quelques décennies. Le refus populaire (notamment en France et aux Pays-Bas) des 322 articles de la Constitution augure d’une révolution de ce type, contre les appareils, contre les monstres froids, augure d’une marche réelle vers la fraternité des hommes, vertu de fraternité dont la « République » avait promis l’avènement en 1789, ce qui n’a toutefois jamais été traduit dans la réalité. On a donné la liberté à des spéculateurs sans scrupules ; on a donné l’égalité aux médiocres en rendant la vie impossible à tous ceux qui les dépassaient ; on n’a toutefois jamais donné la fraternité à tous les hommes.

 

 

 

De la tyrannie néo-libérale

 

 

 

Cette tyrannie, à laquelle il est de plus en plus difficile de se soustraire, avance sous le masque non seulement du « progrès » (comme si c’était un progrès de sombrer dans le procédurier, dans un monde sans qualités comme le craignait Robert Musil ou dans un monde kafkaïen) mais aussi sous celui de la « liberté ». La liberté évoquée, à grands coups de trémolos, n’est évidemment pas la liberté d’expression, de recherche, bien battue en brèche ou noyée dans le conformisme médiatique, ni la liberté de se défendre contre l’arbitraire de l’Etat ou des « pachydermes » privés, mais évidemment la liberté du libéralisme et, pire, du néo-libéralisme.   

 

 

 

La Constitution couvre dès lors une Europe, qui n’est pas une civilisation ou une culture, ni une population donnée, historiquement et culturellement distincte, mais un « marché ». Un marché que l’ultra-libéralisme a hissé au rang de Dieu-Mammon intangible. Seul lui   -et rien d’autre-  est habilité à fonctionner, à se développer, à s’accroître démesurément, à régner en maître absolu. Devant cette pression du dieu-marché infaillible, tous les liens naturels entre les hommes doivent disparaître, à commencer par ceux, les plus élémentaires, du clan et de la famille, condamnés parce qu’ils sont des freins à la consommation. A l’horizon, seul l’individu isolé et consommateur a droit de cité, tout simplement parce qu’il consomme en moyenne plus qu’une personne imbriquée dans un famille. Vouloir bétonner juridiquement ce dieu-marché par une Constitution revient à briser à terme tous les liens naturels qui ont unis les hommes. Tel est le vice fondamental de cette construction juridique.

 

 

 

La partie quatrième de la Constitution est trop brève ; elle ne compte que onze articles, récapitulant les dispositions générales et finales, telle l’abrogation des traités antérieurs (p. ex. : celui qui créait la CECA en 1951). Cette quatrième partie comprend également la clause dite d’ « unanimité », ce qui accentue encore la lenteur du processus de décision, comme si une main invisible voulait que l’Europe soit ad vitam aeternam condamnée au sur-place, à la stagnation, à la discussion stérile et ininterrompue.

 

 

 

Une Constitution à la fois trop statique et trop effervescente

 

 

 

Ce survol des quatre parties de la Constitution nous induit à formuler une première remarque générale : cette Constitution est inadéquate parce qu’elle est à la fois trop statique et trop effervescente, et chaque fois à mauvais escient. Elle est trop statique, non pas parce qu’elle veut procurer aux hommes de notre continent la stabilité et l’équilibre, mais parce qu’elle est précisément cette machine administrative tentaculaire que nous dénoncions plus haut, qui réglemente à outrance, si bien que tous les citoyens seront bientôt coupables d’avoir enfreint l’une ou l’autre réglementation et, dès lors, deviendront justiciables pour des actes ou des omissions qu’ils ne percevront jamais comme de véritables fautes. L’horreur absolue ! Elle est trop effervescente, non pas parce qu’elle veut privilégier les éléments dynamiques de nos sociétés, les esprits créateurs et innovateurs, mais parce qu’elle fait du « bougisme » (Taguieff), pour faire place nette à l’ultra-libéralisme dislocateur des permanences nécessaires à la survie des peuples et de l’espèce, et parce qu’en même temps cet ultra-libéralisme est délocalisateur et, par suite, effiloche et détricote des acquis tangibles, hérités du travail des générations qui nous ont précédés.

 

 

 

La notion de bougisme, énoncée et vulgarisée par Taguieff, est à mettre en parallèle avec la dénonciation, par Nicole Aubert, de la « compression du temps » : harcelé par les impératifs de l’économie ultra-libérale et mondialisée, qui force à réduire et compresser le temps de travail, tout en maintenant la quantité des prestations ou de la production pour diminuer les coûts et favoriser de la sorte des actionnaires anonymes ; harcelé également par les impératifs de plus en plus exigeants de l’administration, le citoyen entre dans une existence à l’aune d’une fébrilité inouïe, ramassée sur le seul présent, compressée à l’extrême, type d’existence frénétique qui ne peut évidemment s’étendre dans le temps d’une vie sans conduire à la catastrophe physique et nerveuse. Celle que nous voyons poindre à l’horizon.

 

 

 

En conséquence, cette Constitution doit être remise sur le métier pour tenir compte des deux « Non » référendaires de France et des Pays-Bas.

 

 

 

Remettre la Constitution sur le métier

 

 

 

La partie première doit fixer clairement des critères d’appartenance tangibles et concrets, c’est-à-dire historiques, culturels et religieux, perceptibles dans la longue durée de l’histoire, et non pas des critères normatifs et abstraits.

 

 

 

La partie deuxième, qui concerne les droits, doit prendre pour référence, non pas l’individu isolé qui consomme sur le marché, mais la famille, voire le clan sinon la lignée, c’est-à-dire tenir compte de l’homme dans la durée de son ascendance et de sa descendance. Le principe cardinal à respecter, ici, c’est que l’homme n’est jamais seul sur cette Terre, qu’il naît d’un père et d’une mère et qu’il a besoin du cocon familial (parents et grands-parents, oncles et tantes) pour se développer de manière optimale et harmonieuse. Les liens d’appartenance doivent donc être sauvegardés et respectés par le législateur et non pas mutilés ou oblitérés par des calculs visant à installer le marché. Ce retour à des principes antérieurs à la « méthodologie individualiste » (Dumont) implique de revenir à certains droits historiques et locaux, biffés de nos mémoires par l’homogénéisation en marche depuis 1789. Tilman Meyer, en Allemagne, nous disait et nous démontrait naguère que l’ethnos, base historique et culturelle fondamentale des communautés humaines au sens large, ne saurait jamais être mis à la disposition du « demos » (soit la masse hétéroclite et indistincte d’une population jetée sur un territoire donné).

 

15:50 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Sur l'état actuel de la Russie (3)

Sur l'état actuel de la Russie (3)

Les médias occidentaux ont attribué la paternité des violences ethniques survenues en Carélie, dans la ville de Kondopoga, à un mystérieux mouvement russe contre les migrations illégales, le DPNI. Qui se cache derrière cette organisation et quelle force représente-t-elle concrètement ? Le DPNI semble jouir d’une certaine sympathie auprès de la population russe, est-ce le cas ?

 

 

 

L’affaire de Kondopoga est évidemment un fait divers tragique, comme nous en connaissons à profusion en Belgique et en France. Cette année, à Arlon et à Ostende, des bandes tchétchènes ont tué un jeune, rançonné des fêtards, ravagé une discothèque. Les brigades spéciales de la police fédérale de Bruges ont dû intervenir à la côte. Ces énergumènes ont évidemment un sentiment de totale impunité : ils se posent comme les victimes de Poutine et de l’armée russe. Ils sont des résistants intouchables, adulés par un journal comme le Soir. A Arlon, à la suite de l’assassinat sauvage d’un jeune homme tranquille de 21 ans, une « marche blanche » de plus de 2000 personnes a défilé, réclamant la dissolution des bandes tchétchènes. La presse n’en a pas dit un mot !

 

 

 

Des diasporas agressives et déboussolées

 

 

 

En Russie, et surtout dans cette zone excentrée de la Carélie, la foule n’a pas eu recours à une « marche blanche », mais s’est exprimée d’une autre façon, plus musclée.

 

 

 

Je ne peux évidemment juger du capital de sympathie ou d’antipathie dont bénéficie le DPNI en Russie. On peut simplement constater en Europe comme en Russie une lassitude de la population face à des exactions commises par des diasporas agressives et déboussolées.

 

 

 

L’antenne russe du site internet « Indymedia », qui se revendique un média alternatif et dont la tonalité est clairement altermondialiste, a récemment suscité la polémique. Certains militants anti-globalisation accusaient son animateur, Vladimir Wiedemann, de sympathie avec la « Nouvelle Droite ». Plus largement, existe-t-il en Russie des connexions entre la mouvance anti-globalisation et des éléments d’obédience nationale-identitaire ?

 

 

 

Vladimir Wiedemann est l’un des hommes les plus charmants, que j’ai rencontré. J’ai fait sa connaissance dans le Fichtelgebirge en Allemagne et nous nous sommes promenés, avec le Dr. Tomislav Sunic venu de Croatie, dans les rues de Prague. C’était à l’occasion d’une Université d’été allemande en 1995. Depuis, Vladimir Wiedemann a participé à plusieurs universités d’été et à des séminaires de « Synergies européennes » ou de la « DESG/Deutsch-Europäische StudienGesellschaft », organisation sœur en Allemagne du Nord. Wiedemann a ensuite négocié avec les altermondialistes d’Indymedia l’ouverture, sous sa houlette, d’une antenne russe de ce réseau de sites contestataires. C’est bien sûr ce qui a déclenché le scandale après quelques mois.

 

 

 

Une théologie impériale de facture byzantine

 

 

 

Je ne sais pas si l’on peut qualifier Vladimir Wiedemann d’exposant de la ND. Ses positions sont bien différentes. Surtout quand il évoque la nécessité de retrouver des racines byzantines et orthodoxes pour refonder l’impérialité russe. La renaissance russe passe donc, à ses yeux, par une théologie impériale, de facture byzantine, où l’Empereur est simultanément chef de guerre et « pontifex maximus ».

 

 

 

Cette position orthodoxe pure met évidemment Wiedemann en porte-à-faux avec une ND, du moins en France, qui valorisait l’Empereur, et surtout Frédéric II de Hohenstaufen à la suite de Benoist-Méchin, mais un empereur qui s’était débarrassé au préalable de tous les oripeaux du christianisme et ne régnait que par son charisme personnel et par la gloire de ses actions, sans référence à un au-delà ou à une métaphysique quelconque. Wiedemann va même plus loin : cette théologie impériale byzantine doit être capable, à terme, de générer un « espace juridique et impérial unitaire et grand continental », expliquait-il lors de l’Université d’été du Fichtelgebirge. Nous n’avons plus affaire, comme chez Douguine, à une référence à l’eurasisme des années 20, d’inspiration scythique ou panmongoliste, complétée par une réflexion sur les thèses ethnogénétiques de Goumilev, ni à un futurisme technocentré et technomorphe comme chez Thiriart ou Faye, mais à une tradition religieuse romaine, dans l’expression qu’elle s’était donnée à Byzance, au temps de sa plus grande gloire. Wiedemann prend très au sérieux, et sans nul doute plus au sérieux que tous les autres exposants du non conformisme identitaire russe contemporain, le rôle dévolu à la Russie après la chute de Constantinople en 1453 : celui d’être une « Troisième Rome », qui reprendrait intégralement à son compte le système traditionnel de l’impérialité incarnée par le Basileus byzantin (cf. V. Wiedemann, « Russie : arrière-cour de l’Europe ou avant-garde de l’Eurasie ? », in : Vouloir, n°6, 1996).

 

 

 

Convergences et divergences entre altermondialistes et identitaires

 

 

 

Quant aux connexions entre altermondialistes et identitaires, elles existent de facto potentiellement, à défaut d’exister in concreto sur le plan organisationnel, car une hostilité au déploiement néo-libéral planétaire actuel est plus conforme aux discours, épars aujourd’hui encore, des identitaires qu’à ceux des altermondialistes de gauche. Ceux-ci rejettent tout autant les obligations et les devoirs qu’implique une identité, ou, plus exactement, une imbrication dans une continuité historique particulière et non interchangeable, que les capitalistes globalistes contre lesquels ils s’insurgent. Au discours globaliste de Davos, ils opposent un autre discours globaliste, également sans frontières, sans ordre, sans garde-fou. Quand des militants de l’antenne wallonne de « Terre & Peuple », de concert avec des militants de « Nation », m’avaient demandé de parler de l’Europe et de la globalisation en novembre 2005 à Charleroi, j’ai utilisé, pour parfaire et étayer ma démonstration, les nombreux petits ouvrages diffusés par ATTAC, en en corrigeant les outrances ou les dérapages ou les insuffisances, mais aussi en montrant tous les points de convergence qui pouvaient exister entre eux et les positions de « Synergies européennes ».

 

 

 

Wiedemann a dû poser exactement la même analyse en Russie : il s’est présenté et est devenu tout naturellement l’animateur d’Indymedia-Russie. Sa haute intelligence doit rendre ce site-là bien plus intéressant que les autres émanations d’Indymedia. Wiedemann ne doit publier que des textes pertinents, en expurgeant toute la phraséologie post-soixante-huitarde, tous les dégoisements gnangnan que cet altermondialisme officiel produit. D’où les colères impuissantes qu’il a suscitées.

 

 

 

Fait à Forest-Flotzenberg, octobre 2006.

 

 

15:48 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Sur l'état actuel de la Russie (2)

Sur l'Etat actuel de la Russie (2)

Seul le Parti national-bolchevique, à l’esthétique pour le moins provocante et conduit par le célèbre écrivain Edouard Limonov, entretient une véritable agitation contre le pouvoir poutinien. Dans son opposition systématique au Kremlin, il est allé jusqu’à s’allier aux mouvements pro-occidentaux et libéraux. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Que penser de ce mouvement et de son chef qui semble compter quelques soutiens parmi de nombreux intellectuels français de gauche comme de droite ?

 

 

 

Pour moi, Edouard Limonov reste essentiellement l’auteur d’un livre admirable : « Le grand hospice occidental ». Dans cet ouvrage, publié en français, Limonov reprenait à son compte un vieux thème de la littérature russe, celui du vieillissement prématuré et inéluctable de l’Occident. On le retrouve chez les slavophiles du début du 19ième siècle, qui considéraient les peuples latins et germaniques comme « finis », comme des peuples qui avaient épuisé leurs potentialités, bref comme des peuples vieux. Danilevski, dans une perspective non plus slavophile et donc ruraliste et paysanne, mais dans une perspective panslaviste plus moderniste et offensive, réactualisait, quelques décennies plus tard, la même idée. Plus récemment, un auteur, mort dans la misère à Moscou en 1992, Lev Goumilev, qui a influencé Douguine, évoquait la perte de « passion », de « passionalité », chez les peuples en voie de déclin (sur Goumilev et son influence sur les nouvelles droites russes, voir l’ouvrage universitaire très fouillé de Hildegard Kochanek, Die russisch-nationale Rechte von 1968 bis zum Ende der Sowjetunion, F. Steiner Verlag, Stuttgart, 1999). Moeller van den Bruck, traducteur allemand de Dostoïevski et figure de proue de la « révolution conservatrice », parlait de « révolution des peuples jeunes », parmi lesquels il comptait les Itlaiens, les Allemands et les Russes. Pour lui, les peuples vieux, étaient les Anglais et les Français. Limonov ne veut pas que la Russie devienne un « hospice », comme l’Occident qu’il fustigeait à sa façon, en d’autres termes que Zinoviev quand ce dernier démontait les mécanismes de l’occidentisme. Mais, à lire attentivement les deux ouvrages, celui de Limonov et celui de Zinoviev, on trouvera sans nul doute des points de convergence, qui critiquent l’étroitesse d’horizon, la nature procédurière, voire judiciaire, des rapports sociaux, en Occident.

 

 

 

Nostalgie de la littérature engagée et de la figure de l’écrivain combattant

 

 

 

Cette horreur du vieillissement et de l’encroûtement, que subissent effectivement nos peuples, a amené bien évidemment Limonov à une autre nostalgie, intéressante à noter : celle de la littérature engagée, celle de l’écrivain combattant, militant, auréolé d’un panache d’aventurier. Jean Mabire, récemment décédé, n’avait jamais cessé de nous dire, justement, que cette littérature-là est la plus séduisante de nos deux derniers siècles, qu’elle est impassable, qu’on y reviendra inlassablement. Limonov, fidèle à ce double filon, celui de la jouvence russe et celui de l’engagement, a forcément posé une esthétique de la révolution et de la provocation, de la bravade, celle que vous évoquez dans votre question. Cette esthétique est comparable à celle des écrivains du temps de la guerre d’Espagne ou à celle des rédacteurs de « Gringoire » ou « Je suis partout » en France, autant d’écrivains engagés, dont le plus connu demeure évidemment André Malraux, avec sa « voie royale » et son action dans l’aviation républicaine. Il y a eu des Malraux communistes, fascistes et gaullistes. Limonov entend faire la synthèse de ces gestes héroïques, de ces postures mâles, politisées, impavides, picaresques, et de les incarner en sa propre personne.

 

 

 

Limonov a donc pris la pose de ces écrivains des années 30, dans un contexte contemporain où ce type d’attitude est totalement rejeté et incompris, car nous ne sommes plus du tout dans une période héroïque de l’histoire, mais dans une période plate et triviale. Cet anachronisme apparent, qui déroute et choque, rend évidemment Limonov sympathique à tous ceux qui, à gauche comme à droite, regrettent le bel âge des engagements totaux.

 

 

 

Embastillé naguère pour ses multiples frasques par Poutine ou par un juge nommé par Poutine, Limonov, en toute bonne logique révolutionnaire/littéraire, se mettra à combattre, sans répit et de manière inconditionnelle, celui qui l’a fait jeter dans un cul-de-basse-fosse. Et là, nous débouchons immanquablement sur les paradoxes que vous soulignez. Un ultra-national-bolchevique, haut en couleur, au talent littéraire avéré, qui s’allie à des libéraux pour lutter de concert contre un régime présidentiel parce que celui-ci ne les autorise pas à marchander et à trafiquer à leur guise, c’est bien entendu un paradoxe de belle ampleur ! Mais ce n’est certes pas la première fois dans l’histoire que cela se passe…

 

 

 

Les outrances ont une grande utilité politique

 

 

 

Il n’y a rien à « penser » du mouvement de Limonov. Il y a à constater son existence, à observer ses vicissitudes. Sans entonner des louanges déplacées. Sans tonner de condamnation pour se dédouaner. Le phénomène Limonov, comme tout phénomène du même acabit, comme celui d’Eric Wichman en Hollande dans les années 20 et 30 (cf. l’article de Frank Goovaerts sur www.voxnr.com), comme le phénomène Van Rossem en Belgique il y a une quinzaine d’années, sont nécessaires au bon fonctionnement d’une communauté politique. Les outrances ne déplaisent qu’aux rassis et aux moisis. Elles mettent en exergue des dysfonctionnements avant que tous les autres ne s’en rendent compte. Elles font office de signaux d’alarme.

 

 

 

Personnellement, je n’ai jamais rencontré Limonov. Le Français qui l’a le mieux connu, et l’a défendu en organisant pour lui un comité de soutien, est Michel Schneider, l’ancien animateur de la revue « Nationalisme & République ».

 

 

 

D’autres mouvements plus marginaux, comme l’Union russe nationale, aux sympathies ultra-orthodoxes et au nationalisme traditionnel, semblent constituer une nébuleuse insaisissable. Quel est le potentiel de ces multiples mouvements dont le discours est un subtil mélange de panslavisme, d’anti-américanisme, d’orthodoxie et parfois même de communisme ?

 

 

 

Comment voulez-vous que je vous réponde, si la nébuleuse est insaisissable ? Comment voulez-vous que je la saisisse ? Comme les bravades de Limonov à l’avant-scène, sous les feux de la rampe, les nébuleuses, en arrière-plan, comme « fond-de-monde », sont tout aussi nécessaires. Dans le contexte qui nous préoccupe, vous énumérez les ingrédients de la nébuleuse, tous ingrédients consubstantiels à la culture russe. Vous oubliez simplement la slavophilie, présente dans des réseaux comme Pamiat, au début de la perestroïka. La slavophilie, comme toutes les références « völkisch/folcistes » est évidemment insoluble dans le libéralisme et la globalisation, puisque ses références sont le peuple particulier, face à un monde d’élites dénationalisées. Aucune « généralité » philosophique ou politique ne trouve grâce à ses yeux.

 

 

 

Les clivages confessionnels se sont révélés plus forts que le panslavisme

 

 

 

Le panslavisme hisse cette slavophilie à un niveau quantitativement supérieur, veut une union de tous les Slaves, qui ne s’est pas réalisée parce les clivages confessionnels sont demeurés plus forts que l’appel à l’unité. Entre Catholiques polonais et Uniates ukrainiens, d’une part, Orthodoxes russes et autres, d’autres part, sans oublier la tradition laïque ou hussite en Bohème, entre Catholiques croates et Orthodoxes serbes, les fossés sont chaque fois trop grands, n’ont jamais pu être comblés, en dépit des exhortations et des proclamations. Si le panslavisme n’a pas fonctionné, comment voulez-vous, dès lors, que cette russéité, ou ces identités slaves non russes, s’évanouissent dans une panmixie planétaire ?

 

 

 

L’orthodoxie, bien plus conservatrice que le catholicisme, dans ses formes et sa liturgie, constitue bien entendu un rempart plus solide encore contre la mondialisation et ses effets pervers.  Quant au communisme, aujourd’hui, il n’est plus du tout la pratique quotidienne de la révolution, l’espoir d’un monde meilleur, mais un reliquat du passé. Le réflexe conservateur inclut désormais l’idéologie révolutionnaire dans ses nostalgies, parce que cette idéologie ne meut plus rien, ne participe pas à la grande marche en avant éradicatrice de la modernité : l’idéologie de la globalisation, de la table rase, de l’éradication, c’est désormais le néo-libéralisme et non plus la vieillerie qu’est devenue le communisme.

 

 

 

Le matérialisme économique est responsable des catastrophes du 20ième siècle

 

 

 

Dès l’heure de la perestroïka, le philosophe Mikhaïl Antonov avait repris la critique du matérialisme économique énoncée au début du 20ième siècle par des figures comme Soloviev et Boulgakov. Pour leur disciple et actualisateur Antonov, les idéologies matérialistes, comme le capitalisme et le socialisme se réclamant du matérialisme économique, sont responsables des catastrophes du 20ième siècle et de l’effondrement de l’économie soviétique. La disparition du communisme strict, sous Gorbatchev, ne conduira, pensait Antonov, qu’à un accroissement du bien-être matériel, ce qui maintiendra, pour son malheur, la Russie dans une forme seulement plus actualisée du soviétisme moderniste, lui-même issu du matérialisme bourgeois occidental. Pour éviter cet enlisement, l’économie doit se référer à des traditions nationales russes, moduler ses pratiques sur celles-ci, et ne pas adopter des modèles occidentaux, américains, néo-libéraux. Le publiciste nationaliste Sergueï Kara-Mursa, poussant plus loin encore les thèses d’Antonov, affirme que le capitalisme est intrinsèquement étranger à l’âme russe, incompatible avec les principes de fraternité de la chrétienté orthodoxe, fondements du caractère national russe et matrices de ses orientations socialistes spontanées et particulières, inaliénables et pérennes.

 

 

 

L’ouverture que constituait la perestroïka était dès lors perçue, par des hommes comme Antonov et Kara-Mursa, comme une tentative de miner les fondements moraux et spirituels du peuple russe et de lui injecter, par la même occasion, le « poison » de la civilisation capitaliste occidentale. Les théories d’Antonov seront rapidement reprises par Ziouganov dans le programme du PCR, ce qui explique la mutation profonde de ce parti, qui renonce ainsi à tout ce que le communisme avait de rébarbatif et d’inacceptable, et, par voie de conséquence, explique toutes les convergences entre nationaux et communistes, objets de cet entretien.

 

 

 

Dans la nébuleuse, que vous évoquez, c’est la notion de fraternité qui est cardinale, qui est le point de référence commun. Elle est effectivement incompatible avec le néo-libéralisme, idéologie de la globalisation. Elle postule le solidarisme, soit un socialisme de la fraternité, d’où ne sont pas exclues les dimensions religieuses.

 

 

15:47 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Sur l'état actuel de la Russie (1)

Sur l’état actuel de la Russie, des relations euro-russes et des mouvances identitaires russes

Entretien avec Robert Steuckers (Synergies Européennes)

Propos recueillis par Fabrice Lauffen (ID-Magazine)

Nous observons aujourd’hui en Russie l’émergence d’un fort courant nationaliste qui traverse tous les partis et bouscule ainsi le traditionnel clivage gauche/droite. Ceci rend difficile un décryptage aisé des forces en présence ainsi qu’une compréhension claire des projets portés par chacune d’elles. Par exemple, que renferme le mouvement de gauche « Rodina », qui signifie « mère-patrie », dirigé par des anciens membres du Parti communiste ? Certains le considèrent comme une création du Kremlin. Si c’est le cas, à quelles fins ?

Votre question, très précise et fort bien formulée, évoque avant tout une évidence qui crève les yeux : un courant nationaliste puissant bouscule forcément, et quasi par définition, le clivage arbitraire et intenable sur le long terme entre « gauche » et « droite ». Surtout en Russie. Pour des motifs historiques bien patents. La Russie est aujourd’hui un pays perdant, un vaste pays, un pays-continent, qui a perdu la Guerre Froide, qui a évacué sa première ceinture de glacis, soit les pays du COMECON en Europe centrale et orientale. Elle a ensuite perdu ses glacis conquis au prix fort au temps des tsars, dans les années vingt et trente du 19ième siècle dans le Caucase d’abord, dans la seconde moitié du 19ième en Asie centrale ensuite. Le processus actuel de dissolution, sous les coups bien ciblés des diverses stratégies américaines mises en œuvre avec une constance et un acharnement féroces, s’est déclenché non pas immédiatement après la seconde guerre mondiale, comme on nous le fait croire, ou sous le règne de Khrouchtchev, mais immédiatement dans la foulée de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en décembre 1979. A partir de ce moment-là, Washington a estimé que l’équilibre entre les puissances était rompu. L’URSS devait dès lors disparaître par fragmentation et balkanisation de son cordon de glacis, protégeant le centre historique de l’impérialité russe qu’est la Moscovie.

Les Etats-Unis avaient intérêt à maintenir l’Europe en état de division

L’URSS, malgré les cadeaux européens, consentis par Roosevelt à Yalta, restait une puissance encerclée, sansvéritables ouvertures vers les mers chaudes donc sans espoir de se développer dans la compétition bipolaire et d’acquérir un statut authentique de grande puissance. Jordis von Lohausen, le géopolitologue autrichien qui fut mon maître, nous expliquait fort bien, dans la double tradition géopolitique allemande de Ratzel et de Tirpitz, qu’une vraie superpuissance est une superpuissance qui a accès à toutes les mers, les domine et entretient une flotte capable de damer le pion à tout adversaire potentiel. Dans ce contexte de la guerre froide, les Etats-Unis, dans un premier temps, avaient intérêt à maintenir l’Europe en état de division, à ne pas en chasser les forces soviétiques qui occupaient les espaces complémentaires nécessaires au déploiement de la machine économique de leurs concurrents allemands et ouest-européens, à se faire passer pour les protecteurs « bienveillants » des pays satellisés de la portion occidentale de notre continent, où ils avaient remis en selle tous les corrompus, les prévaricateurs et les concussionnaires d’avant-guerre.

Le soviétisme, offensif en apparence, militarisé, avait, par les allures qu’il se donnait, une utilité médiatique : il apparaissait comme un croquemitaine ; des politicards véreux, revenus dans les fourgons de l’armée britannique ou de l’US Army, recyclés dans un occidentalisme hostile aux souverainetés nationales, comme Paul-Henri Spaak, pouvaient s’écrier à toutes les tribunes internationales « J’ai peur ! » et réclamer, en tant que faux socialistes, des crédits militaires inutiles, en faisant acheter, par les gouvernements européens vassalisés, du matériel et surtout, bien entendu, des avions américains ; du coup, face à une URSS peu séduisante sur le plan publicitaire, les Etats-Unis se donnaient toujours le beau rôle, gagnaient la bataille médiatique et pouvaient fourbir leur meilleure arme, celle du « soft power ».

Ce concept de la politologie moderne désigne et définit l’ensemble des atouts médiatiques, scientifiques, culturels, cinématographiques (Hollywood), politiques, économiques des Etats-Unis, selon la définition du politologue contemporain Joseph S. Nye Jr. (in : Soft Power. The Means to Success in World Politics, Public Affairs, New York, 2004), ensemble d’atouts qui fait que les masses ignorantes et manipulables à souhait, ou des fragments considérables de la masse, capables, même minoritaires de faire basculer les opinions publiques, adhèrent sans réfléchir, tacitement, à l’image quasi publicitaire que donne l’Amérique d’elle-même. Ces masses ou parties de masse considèrent les « vérités » médiatiques américaines comme des évidences incontestables. Qui ne sont presque jamais contestées effectivement, parce qu’il n’existe aucun « soft power » alternatif !

Inusables arsenaux propagandistes

Pour revenir plus directement à votre question, je dirais d’abord que la Russie actuelle ne dispose pas de ce « soft power », ni de rien d’équivalent, ensuite que les médias occidentaux puisent encore et toujours dans les arsenaux propagandistes de la guerre froide, puisque la Russie reste, en fin de compte, l’ennemi à abattre, qu’elle ait été tsariste ou communiste hier, qu’elle soit démocratique aujourd’hui. Poutine passe pour une sorte de nouveau Staline, pour un « méchant » qui devrait au plus vite quitter le pouvoir, pour laisser la place à un « chef » que l’on considèrera comme un « good guy », bien « démocratique », mais qui laissera oligarques, banquiers, organisations internationales piller, neutraliser et avachir la Russie.

En Belgique, le principal quotidien bruxellois, le Soir, publie chaque jour des articles haineux, et de ce fait délirants, contre la Russie. De ses colonnes, on pourrait facilement tirer une anthologie de la russophobie la plus rabique. Aucune autre instance médiatique ne peut répondre à ces délires, ni en Belgique ni dans le reste de la francophonie (à l’exception, parfois du Temps de Genève), en démonter l’inanité, en exhiber la profonde malhonnêteté, car aucun « soft power » russophile n’existe, ne dispose d’arsenaux sémantiques suffisamment étoffés, d’instruments cinématographiques ou de banques d’images alternatives.

La mouvance identitaire, à laquelle vous appartenez, devrait réfléchir à cette terrible lacune, qui nous fait perdre guerre après guerre, dans les conflits « cognitifs » d’aujourd’hui : il n’y certes pas de « soft power » russe ; il n’y a pas davantage de « soft power » européen ou japonais, capables de neutraliser les effets du « soft power » américain. On constate, à intervalles réguliers, que, pour dénigrer l’Allemagne ou la France, le Japon ou la Chine, des images stéréotypées, totalement fausses mais médiatiquement vendables, des clichés rabâchés sont ressortis et diffusés à grande échelle, créant, ponctuellement, dans les pays anglo-saxons, et dans le monde, des réflexes germanophobes, francophobes, japonophobes ou sinophobes.

Les ennemis de l’Amérique sont toujours fustigés avec une hystérie consommée !

Rappelez-vous que Chirac en a fait les frais lors de ses essais nucléaires en 1995, puis en 2003, lors de l’épisode fugace de l’Axe Paris-Berlin-Moscou, et enfin, pour le rendre encore plus malléable, lors des émeutes des banlieues en novembre 2005 ; quant à la germanophobie, elle est récurrente, d’autant plus que le croquemitaine nazi n’a jamais cessé d’être agité. Pour le Japon, les médias et agences médiatiques disposent de clichés bien rodés, que vous connaissez forcément : le méchant « Jap » revient souvent à la surface, tant dans les médias anglo-saxons que dans certains médias parisiens, où les ennemis de l’Amérique sont fustigés avec une hystérie bien connue.

La meilleure exploitation offensive du « soft power », à des fins qui équivalent à une guerre classique, soit la conquête d’un territoire qui se traduit aujourd’hui par son inféodation à l’OTAN, a été la pratique nouvelle des « révolution de velours », en Serbie, en Ukraine, en Géorgie et au Kirghizistan. On voit alors sur les écrans des télévisions du monde entier un peuple qui se dresse sans armes, en agitant des drapeaux d’une couleur douce, « sympa » ou « cool », ou en battant des casseroles comme jadis au Chili pour tenter de faire tomber Pinochet. Tout cela se passe soi-disant de manière spontanée, alors que ces phénomènes sont téléguidés par des professionnels de l’agitation bien entraînés, dans des séminaires largement financés par les fondations privées, d’inspiration néo-libérale, qui travaillent directement pour les intérêts géopolitiques de Washington.

La Russie risque de subir, elle aussi, une « révolution orange » à la mode ukrainienne lors des prochaines présidentielles de 2008. Si une telle opération réussissait, le pouvoir central russe ne se soucierait plus de récupérer les influences perdues dans ces périphéries de glacis, que j’évoquais ici au début de ma réponse. Il est donc normal, pour revenir à votre question, que les Russes nationalistes, qui acceptent l’ensemble des avancées positives de la Russie depuis sa création et surtout depuis la renaissance qu’elle a connue à partir d’Ivan le Terrible au 16ième siècle, d’une part, et que les Russes nostalgiques de la super-puissance soviétique (mais une super-puissance relative !), d’autre part, connaissent une convergence d’intérêts, partagent une communauté de soucis bien justifiables. Les uns comme les autres veulent ravoir un pays qu’ils pourraient à nouveau juger intact, avec des frontières « membrées » (comme le disaient Vauban et Richelieu), capables de retenir ou d’absorber une invasion en direction du cœur moscovite de l’empire (comme contre les Tatars à l’Est, contre les Polonais à partir du « Temps des Troubles » à la fin du 16ième et du début du 17ième, contre les Suédois de Charles XII, contre Napoléon et contre Hitler).

Limites et apories de l’idéologie froide

Le terme « Rodina », ou « mère-patrie » rappelle le sursaut russe de 1942, quand Staline consent à abandonner la phraséologie soviétique, qui ne motivait pas le peuple et, même, pire, le révulsait, pour reprendre à son compte les linéaments du patriotisme russe traditionnel, beaucoup plus porteur sur le plan de la propagande. « Mère patrie » est donc un vocable né à l’ère soviétique, tout en s’en démarquant sur le plan strictement idéologique. Quand le mouvement déliquescent de mai 68 frappait l’Europe occidentale et qu’il était « in » de se proclamer contestataire dans le sillage du jeune Cohn-Bendit, l’Union Soviétique était, a contrario, agitée par une contestation tranquille, nullement « progressiste » et déliquescente, mais soucieuse de renouer avec les racines russes pré-soviétiques, afin de redonner une « épine dorsale » spirituelle à un empire soviétique, prisonnier des limites et des apories de l’idéologie froide (la notion d’ « idéologie froide » se retrouvait dans les écrits de Castoriadis, Papaioannou et Axelos en France).

Dans les rangs de l’armée rouge, dès la fin des années 60, l’idéologie communiste ne faisait plus recette, était vraiment considérée pour ce qu’elle était, c’est-à-dire une fabrication sans profondeur temporelle ni spirituelle : les officiers se souvenaient des généraux des tsars, de Pierre le Grand, de Souvarine, de ces conquérants de terre, de ces défenseurs de la « russéité » face aux dangers tatar et turc. C’est à cette veine-là que se réfèrent indubitablement les animateurs, anciens communistes, du mouvement « Rodina ».

La convergence, qui éveille votre curiosité et justifie votre question, entre nationalisme et résidus du communisme dans la Russie actuelle n’est donc nullement étonnante. Seul ce mixte peut donner à terme une majorité parlementaire capable de défendre les intérêts de la Russie contre les menées des agences internationales, des fondations américaines, d’un éventuel mouvement « orange ».

Que Rodina soit ou non une création du Kremlin, n’a pas d’importance. Ce mouvement doit, avec d’autres, participer au barrage qu’il faudra bien constituer en Russie, demain, pour affronter les « forces orange » qui ne manqueront pas de se dresser, avec l’appui de la Fondation Soros et de ses consoeurs, toutes virtuoses de la « nouvelle subversion ».

En novembre 2005, le LDPR de Vladimir Jirinovski a fait exclure « Rodina » des élections à la Douma de la ville de Moscou pour incitation à la haine raciale. Ceci ne laisse pas de surprendre. Que fait-il penser du LDPR ? Son chef plutôt controversé, personnage haut en couleurs et peu économe en provocations, est-il à prendre au sérieux ?

Vous savez bien que les dissensions, les exclusions mutuelles, les querelles de chapelle, les chamailleries de chefaillons sont le lot quotidien des mouvements « identitaires ». La France, la Belgique francophone, l’Allemagne, l’Espagne et d’autres pays encore connaissent ce phénomène. La mouvance « nouvelle droite » en deviendra même le paradigme aux yeux des historiens de demain. Il est dû, à mon avis, indirectement aux effets inconscients du « soft power » américain. Je m’explique.

Remplacer les cultures nationales par une culture prédigérée

Jadis, Yannick Sauveur, représentant malheureusement isolé, mais pertinent et courageux, du mouvement « Jeune Europe » et de Jean Thiriart, avait rédigé un mémoire universitaire sur la fonction métapolitique d’une revue comme « Sélection du Reader’s Digest », où il démontrait comment, tout de suite après la victoire américaine de 1945 en Europe et en Extrême Orient, les services cherchaient à remplacer les cultures nationales par une culture prédigérée (« digest » !), édulcorée, banale, où ne s’insinuerait aucune pertinence historique ou politique, pouvant s’avérer à terme contraire aux intérêts américains.

Par ailleurs, le grand angliciste français Henri Gobard, à qui nous devons le concept de « guerre culturelle », dénonçait les stratégies de Hollywood, où le cinéma américain, qui a cherché à s’imposer par la force, par le chantage (comme celui que subit le gouvernement Blum en France en 1948), dans tous les pays d’Europe et d’ailleurs, offre des images, souvent bien présentées selon toutes les règles du septième art, qui éclipsent toutes les autres, potentielles, que l’on pourrait créer sur notre propre histoire, sur nos propres mœurs, en y insinuant nos propres messages politiques. Claude Autant-Lara, dans le discours inaugural qu’il fit, en tant que doyen des parlementaires à Strasbourg, a fustigé cette situation avec un brio remarquable, qui provoqua bien entendu un scandale chez les bonnes consciences de la « correction politique » à Paris.

Les chamailleries des chefaillons viennent du simple fait qu’ils sont inconsciemment imbibés de cette culture fabriquée et exportée, qu’ils sont ensuite prisonniers de vieux schémas obsolètes, que l’on a laissé survivre parce qu’ils n’étaient pas dangereux, qu’ils adhèrent et participent aux faux débats, créés artificiellement par les médias, débats sans objet réel qui visent surtout à esquiver l’essentiel. La mouvance nationaliste ou identitaire ou néo-droitiste (peu importent les qualificatifs) n’a pas généré une culture alternative suffisamment forte pour affronter le « soft power » américain en France, une culture alternative qui aurait  été non schématique, bigarrée, aussi polyvalente que la culture du « Reader’s Digest » ou de Hollywood. Les cénacles qui composent cette mouvance sont traversés de contradictions irrésolues, sources de querelles, de scissions, d’effondrements politiques et de ressacs, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’accord durable possible sur l’essentiel, c’est-à-dire sur la sauvegarde des cultures et des traditions du Vieux Monde, cultures et traditions qui sont bien entendu les garantes de la souveraineté des peuples, car elles devraient, si elles retrouvaient leur authenticité, générer des formules politiques adéquates, inscrites dans la continuité historique des peuples, dans leur vécu pluriséculaire.

Les Américains ne cessent de pratiquer la « guerre cognitive »

En ce sens, ce paysage politique de la mouvance identitaire fragmentée, paysage tout de désolation, est, indirectement, le résultat du poids très lourd que pèse le « soft power » américain sur l’ensemble des cultures d’Eurasie, Russie comprise. Dans les Etats vassalisés de l’américanosphère (selon le terme forgé par Guillaume Faye dans les années 80), aucune opposition organisée n’a vu le jour, jusqu’ici, parce que toute émergence d’un mouvement offensif sera, à court ou moyen terme, « cassée » par une dissidence soudaine, qui agira souvent en toute bonne foi, mais sera inconsciemment téléguidée par un appareil secret, dont le siège se trouve Outre Atlantique, où l’on ne cesse de pratiquer la « guerre cognitive », comme la nomment les stratégistes français contemporains.

L’opposition offensive, avant d’être brisée dans son élan, reposera forcément sur une synthèse ou un syncrétisme idéologique et affectif, composé de « dérivations » et de « résidus » pour parler comme Pareto, qui sera bien évidemment fragile, présentera des failles, des faiblesses, où s’insinuera le dissensus, téléguidé par ceux qui, au sein des services, ont pour profession d’observer d’abord, d’étudier les dynamiques à l’œuvre dans le pays donné, de faire appel à des historiens et des politologues qui éclaireront leur lanterne. Il suffit de passer en revue les catalogues de certaines maisons d’édition anglo-saxonnes. Une dissidence apparaîtra qui s’appuiera sur un programme en apparence similaire, sauf quelques nuances, qui fera perdre des voix et des sièges à l’opposition de première mouture, la déforcera dans la mise sur pied de majorités parlementaires ou dans la création d’un gouvernement de coalition. On se rappellera qu’il suffisait jadis de générer des dissensions au sein du mouvement communiste à l’aide des cénacles trotskistes pour ruiner l’accession de communistes à des postes clefs. Avec les nationalistes, au discours plus flou, aux références bien plus bigarrées, le travail serait, en l’état actuel des choses, beaucoup plus aisé.

Les lois liberticides servent à asseoir la domination du néo-libéralisme

Dénoncer Rodina pour « incitation à la haine raciale » doit tout simplement nous faire réfléchir à quoi servent les lois, règlements et dispositions qui permettent ce genre d’intervention intempestives, contraire à la liberté d’expression et même à l’esprit de tous les corpus juridiques européens, soucieux de la liberté du « civis romanus » ou de l’  « homo germanicus ». Notez que je m’insurgerais avec la même véhémence contre toute loi qui interdirait le socialisme, ou punirait l’expression d’idées anarchistes, ou voudrait juguler l’expression de la religion ou bannirait toute nouvelle exploitation ou interprétation des idées de Marx et Engels (contre la nouvelle internationale du « néo-libéralisme » par exemple, qui est l’idée motrice de la « globalisation » et de la « mondialisation » actuelles).

Tous les appareils et arsenaux judiciaires qui existent en Europe, pour limiter l’expression d’idées, sont autant de dénis des libertés politiques et intellectuelles, qui servent à casser des élans et à maintenir le statu quo ou à renforcer la mainmise néo-libérale. C’est-à-dire à installer la dictature masquée des sphères économiques, ou comme ose le dire Pierre-André Taguieff, en réhabilitant par là même un concept qui était devenu sulfureux, la dictature « ploutocratique ».

Or, au départ, les principes de la démocratie visaient à faire advenir dans nos espaces politiques une pratique quotidienne des « choses publiques » (en latin : res publicae) cherchant à briser la pesanteur des situations de statu quo.  En Belgique, la loi électorale à l’échelon communal (municipal) prévoyait, au début de notre histoire politique, un exercice, comme aujourd’hui, de six années, avec renouvellement du tiers des conseils communaux tous les deux ans, afin d’éviter les encroûtements, l’installation durable d’incapables et les pratiques de concussion sur le long terme. Aujourd’hui, cette pratique intelligente du « renouvellement », à chaque tiers de législature, est depuis belle lurette jetée aux orties, et la corruption fonctionne allègrement comme le prouvent les scandales récents, ingérables, qui ont secoué le paysage politique de villes comme Charleroi et Namur.

Pas de démocratie véritable avec des partis permanents et inamovibles

Ensuite, Moïsei Ostrogorski, théoricien de la démocratie dans la première moitié du 20ième siècle, démontrait qu’une démocratie optimale ne peut nullement fonctionner sur base de partis politiques permanents. Si un parti politique demeure « permanent », s’impose à la société comme une « permanence » inamovible et indéboulonnable, il crée, par sa présence ubiquitaire à tous les échelons de décision de la communauté populaire, des niches d’immobilisme, contraires au principe de fluidité qu’a prétendu vouloir incarner la démocratie, au départ, en Europe occidentale. Le socialisme wallon, mais aussi le démocratisme chrétien flamand, sont des exemples devenus paradigmatiques de déni de démocratie, sous couleur d’une idéologie qui n’a de « démocratique » que le nom qu’elle veut bien se donner. Le grand sociologue Max Weber, l’idéologue italien Minghetti, avaient, à leur époque, dénoncé, eux aussi, ces dérives malsaines. Ce type de dénonciation est repris aujourd’hui par le libéral belge a-typique (et qui a de gros ennuis !), Alain Destexhe. Il est en butte à la haine du bourgmestre FDF Gosuin d’Auderghem, qui a lâché des fiers-à-bras, armés de marteaux et d’autres objets contondants, contre les amis de ce politologue avisé, comme s’ils étaient de vulgaires militants « identitaires » ; preuve sans nul doute que Destexhe, dans ses critiques, a visé juste. Petite parenthèse : avez-vous déjà entendu un idéologue de la mouvance identitaire faire référence à ces corpus démocratiques, rédigé par Destexhe et son ami Eraly, pour dénoncer la fausse démocratie ambiante ? Non. Voilà une des raisons de leur stagnation.

Je déplore donc que Jirinovski et ses co-équipiers aient choisi de telles pratiques pour exclure un adversaire politique des débats de la Douma. Ceci dit, je suis profondément intéressé par ce que je lis, et qui émane du LDPR et de sa commission géopolitique, où œuvre le géopolitologue Mitrofanov, dans les entretiens qu’a donnés Jirinovski au « Deutsch National Zeitung » du Dr. Frey à Munich, et surtout dans l’ouvrage universitaire que Fabio Martelli a fait paraître naguère à Bologne sur la « géopolitique de Jirinovski » (F. Martelli, La Russia di Zhirinovskii, Il Mulino, Bologna, 1996 ; recension in Vouloir, n°9, 1997).

Les piliers de la géopolitique du LDPR

Cet ouvrage est important car il nous donne effectivement les grandes lignes d’une géopolitique eurasienne intéressante, dont les piliers sont les suivants : 1) faire advenir un projet eurasien qui repose sur l’idée d’une fédération d’empires traditionnels régénérés (on reconnaît là une idée maîtresse de Douguine, dont l’influence a dû s’exercer un moment sur les « think tanks » du LDPR) ; pour l’équipe rassemblée à l’époque autour de Jirinovski, les principales traditions impériales à ranimer sont celles de la Russie, bien évidemment, du Japon, de l’Iran, du Saint Empire romain-germanique. 2) A ce quadrige d’empires devrait s’ajouter le pôle balkanique serbo-bulgare, d’inspiration byzantine et de base ethnique slave, réminiscence du projet brisé de Stepan Douchane au 14ième siècle, immédiatement avant les invasions ottomanes. 3) Jirinovski parle ensuite de briser la puissance de l’Arabie Saoudite wahhabite et alliée des Etats-Unis, depuis le contrat pétrolier qui a uni Roosevelt et Ibn Séoud en 1945. Au wahhabisme, il faut dès lors opposer un islam plus riche, plus trempé de traditions diverses, enrichi par des syncrétisme divers, notamment islamo-perse. 4) Le programme de la commission géopolitique du LDPR évoque également le projet de déstabiliser les pays très fortement liés aux Etats-Unis, et périphériques de la masse continentale eurasienne, comme la Grande-Bretagne, en pariant là-bas sur l’élément celtique et irlandais. Ce travail ne serait possible que par le truchement d’une élite d’ascètes traditionalistes, réceptacles des cultures immémoriales du Vieux monde eurasien.

Un programme cohérent, donc, à méditer, au-delà de toutes les querelles de chapelle.

Récemment, les Français ont pu découvrir Alexandre Douguine et aussi lire ses travaux qui empruntent à Alain de Benoist, sans s’en cacher d’ailleurs, un bon nombre de ses réflexions. Bien que Douguine soit souvent cité dans les milieux identitaires, son mouvement « Evraziya » (Eurasie) semble pourtant aligner des effectifs plutôt limités. Que recouvre concrètement le terme d’Eurasie ? Quelle est l’influence réelle de Douguine et de son mouvement sur la politique russe ?

Vous aurez appris que j’ai rencontré Alexandre Douguine, à Paris d’abord en 1991, à Moscou ensuite en 1992, et, enfin, en novembre 2005, lors de sa tournée de conférence en Belgique. On ne peut pas dire que Douguine incarne un calque russe du message de la « nouvelle droite » parisienne, du moins dans l’état actuel où se trouve celle-ci. L’évolution de ce mouvement français, rupturaliste à ses débuts, va, depuis une bonne décennie, comme l’avait très bien prévu Jean Thiriart dès la fin des années 60, dans le sens d’une confusion totale et se caractérise par l’absence de toute clarté dans le discours. Douguine, comme moi-même et bien d’autres, retient fort justement l’idée néo-droitiste initiale d’une bataille métapolitique, à gagner avant de vaincre sur le plan politique, mais, la situation française étant ce qu’elle est, avec ses verrouillages et ses interdits, de Benoist n’a pas pu véritablement s’insérer dans les débats de la place de Paris.

De Benoist, tête de Turc des vigilants hystériques

Face à cet échec, dont il n’est nullement le responsable mais la victime, de Benoist a cru bon, par toutes sortes de manœuvres rentrantes et de stratagèmes de contournement, finalement boiteux, de tenter quand même un entrisme dans le PIF (paysage intellectuel français), notamment via les antennes de « France Culture », où il participait à d’excellentes émissions, comme aujourd’hui, en marge du PIF, à Radio Courtoisie. Alain de Benoist s’est fait malheureusement éjecté de partout, poursuivi par la vindicte d’une brochette de vigilants hystériques. Les plus anciens de vos lecteurs se rappelleront certainement de toutes ces affaires parisiennes récurrentes, où le pauvre de Benoist était la tête de Turc, de l’affaire ridicule des candélabres SS, du complot dit des « rouges bruns » (1993), orchestrés par les Olender, Daeninckx, Monzat, Spire, Plenel et autres figures malveillantes et malfaisantes du Tout-Paris.

Cette haine tenace, indécrottable, permanente, a déstabilisé psychologiquement le malheureux de Benoist, qui en est sorti complètement déboussolé. Peureux de nature, n’étant ni un polémiste vigoureux ni un foudre de guerre, déçu et meurtri, tenaillé par la frousse de se faire traiter de « raciste » (ce qu’il n’est assurément pas), il n’a plus cessé de se dédouaner et, dans ce misérable travail de déconstruction de soi, de ce qu’il avait été, a trahi tous ses amis, dont Guillaume Faye, exposant d’un intéressant projet « eurosibérien ». Cette trahison, peu reluisante sur le plan éthique, lui a valu des polémiques supplémentaires, dont il fit les frais, et qui émanaient cette fois de la mouvance néo-droitiste elle-même, dont un certain « Cercle gibelin », aujourd’hui disparu. De Benoist est désormais pris en tenaille, d’une part, par ceux qui ont toujours voulu l’exclure des débats, et, d’autre part, par ses anciens amis qui n’acceptent pas ses trahisons. Sa position est pour le moins inconfortable.  

Les « vigilants » de la correction politique reprochaient à de Benoist d’avoir fréquenté Douguine. Et d’avoir rencontré Ziouganov, leader du PCR, et Babourine à Moscou. Pour ces « vigilants », ces petits débats moscovites, intéressants, courtois, publiés dans le journal « Dyeïnn » de Prokhanov   -l’ancien directeur de « Lettres soviétiques » qui avait réhabilité Dostoïevski (quel crime !)-,   annonçaient une terrible convergence totalitaire, qui allait tout de go balayer la démocratie occidentale, provoquer comme par un coup de baguette magique la fusion entre le PCF et le FN de Le Pen, capable de devenir le premier parti de France : la figure de « Mascareigne », du fameux roman humoristique de Jean Dutourd, risquait de devenir une réalité ! On nageait en plein délire. Les rapports entre de Benoist et Douguine se sont relâchés, à la suite de ces scandales, jusqu’au moment où notre ami russe a connu le succès dans son pays, est devenu un animateur radiophonique en vue, a patronné la création de plusieurs sites internet du plus haut intérêt, sans plus éveiller la méchante verve de nos « vigilants », dont les gesticulations n’avaient pas vraiment ameuté les foules.

Une recherche systématique de bons traducteurs

Le tour de force de Douguine a été de trouver dans quelques pays de bons traducteurs de la langue russe. En Belgique, je dois à ce cher Sepp Staelmans quelques excellentes traductions de Douguine et d’articles tirés de sa revue « Elementy ». Les autres traductions issues du russe me viennent de jeunes et charmantes collaboratrices et stagiaires de mon bureau, et je profite de votre entretien pour les remercier une fois de plus. En Espagne et en Italie, des slavistes chevronnés, dont Mario Conserva, nous ont livré de bonnes traductions, qui ont servi de base à leurs publications en français, généralement éditées par Christian Bouchet. La stratégie de Dougine, avisée, a donc été de trouver les bons hommes aux bonnes places, partout en Europe et dans le monde.

Pour moi, Douguine est essentiellement, sur le plan spirituel et idéologique, le traducteur et, partant, l’importateur, des idées et visions de René Guénon et Julius Evola en Russie. En ce sens, il doit plus aux travaux d’un Claudio Mutti en Italie ou d’un Antonio Medrano en Espagne qu’à de Benoist. Douguine est aussi celui qui a couplé le traditionalisme de Guénon et d’Evola à l’œuvre du Russe Constantin Leontiev. Ce dernier contestait la volonté des panslavistes modernistes à vouloir démembrer l’Empire ottoman moribond, à ramener les Balkans dans le giron d’une Europe gangrenée par la modernité ou dans celui d’une orthodoxie dont la rigueur s’affaiblissait.

C’est dans Leontiev qu’il faut aller retrouver les racines d’une certaine « islamophilie » de Douguine. Cette islamophilie n’est nullement d’inspiration hanbalite ou wahhabite mais renoue avec un certain soufisme caucasien, plus particulièrement azéri et perse, qui a fusionné avec le chiisme au temps des shahs séfévides. Dans ce soufisme azéri islamisé, on trouve des références à la tradition hyperboréenne, que ne retient évidemment pas l’islam saoudien. Rappelons que la dynastie des Séfévides iraniens s’est imposée à la Perse, moribonde après les invasions mongoles, grâce au concours d’un mouvement religieux et militaire azéri et turkmène, les « Qizilbash », ou « chapeaux rouges », qui s’opposeront aux Ottomans sunnites et aux Ouzbeks, tout en faisant alliance avec les Byzantins en exil, le Saint Empire et l’Espagne.

Pour clore le chapitre des rapports de Douguine et de la ND française, je rappellerais ici que, pour illustrer ce qu’est, ou a été, la ND, le site « Evrazija » affiche mes réponses personnelles sur cette mouvance, accordées à Marc Lüdders à la fin des années 90, dans le cadre d’un ensemble de débats, en Allemagne, sur les évolutions, involutions, mutations et métamorphoses des « nouvelles droites » (car le pluriel s’impose, effectivement !). 

Le mouvement « Evrazija » n’est pas un mouvement de masse, donc la question de ses effectifs me parait oiseuse. Ce qui compte, c’est son accessibilité via la grande toile, c’est la présence réelle et physique de son animateur sur la scène internationale, en Europe, aux Etats-Unis, au Japon, en Iran, c’est la répercussion de ses voyages dans les médias russes.

Les deux grands piliers de la vision eurasienne de Douguine

Quant au terme « Eurasie », terme clef dans la vision du monde de Douguine, je pense qu’il signifie surtout, pour lui, deux choses :

1)       sauver au minimum la cohérence du territoire de l’ex-URSS, réceptacle potentiel d’une aire de « civilisation russe », exactement comme le Shah d’Iran parlait, à propos des zones chiites de Mésopotamie et d’Afghanistan, d’une aire de la « civilisation iranienne ». En même temps que cette cohérence territoriale du noyau russe et de ses glacis adjacents, Douguine réclame, dans sa vision eurasiste, une cohérence spirituelle en amont de l’histoire, qui se réfère au temps d’un « âge d’or », contrairement à la cohérence en aval que postulait le communisme messianique, qui oeuvrait pour l’avènement d’une félicité planétaire au terme de l’histoire, après l’élimination de tous les reliquats du passé (« Du passé, faisons table rase ! »). Cette cohérence en amont permet de sauter au-dessus des clivages religieux et ethniques et d’unir tous les tenants de la « Tradition primordiale », dont dérivent toutes les traditions actuelles (ou ce qu’il en reste), dans une même phalange, contre l’idéologie moderniste de l’Occident américanisé ;

2)       de donner, à l’instar des nombreux eurasistes russes des années 20, qu’ils aient été blancs ou rouges, en URSS ou en exil, ou qu’ils se soient situé idéologiquement entre les deux pôles de la terrible guerre civile, comme les « monarchistes bolcheviques », une dimension dynamique à références scythes, mongoles ou tatares. Pour les eurasistes des années 20, comme pour le panslaviste Danilevski au 19ième siècle, comme pour le Spengler tardif, les sociétés sédentaires d’Europe occidentale ont fait vieillir les peuples prématurément, en ont fait de petits rentiers craintifs, des boursicotiers ou des ronds-de-cuir, alors qu’une idéologie sauvage, conquérante et cavalière, comme celle, implicite, des conquérants mongols unificateurs de l’Eurasie quand ils étaient au sommet de leur gloire, aurait permis de garder la jeunesse et, partant, la créativité. Pour Douguine, tous les unificateurs de l’Eurasie, quelle que soit leur carte d’identité raciale, sont des modèles à rappeler, à exalter et à imiter. Douguine a parfois parlé de la Russie, du Continent russe, comme du fruit de la fusion idéale entre éléments slaves (indo-européens) et turco-mongols.

A ces deux piliers principaux de la vision douguinienne du mouvement eurasiste, il faut ajouter la connaissance de la géopolitique allemande de Karl Haushofer, penseur de l’idée du « quadrige grand-continental », avec la Russie soviétique, l’Allemagne hitlérienne, l’Italie mussolinienne et le Japon shintoïste.

Douguine le mystique et Thiriart le matérialiste technocrate

Mon compatriote et ancien voisin de quartier, Jean Thiriart, qui fit également le voyage à Moscou avant de mourir en novembre 1992, avait théorisé l’idée d’une grande Union Soviétique, étendue à l’ensemble de la masse continentale eurasienne, portée par un communisme corrigé par la philosophie nietzschéenne (réétudiée en URSS par le philosophe Odouev), et par là même, futuriste, toujours hostile aux religions établies. Thiriart et Douguine s’entendaient bien, même si leurs visions étaient diamétralement opposées sur le plan religieux. Il faut relire aussi les textes derniers de Thiriart, notamment dans les diverses revues « nationales bolcheviques », publiées à l’époque par Luc Michel, et dans « Nationalisme & République », organe animé par Michel Schneider, vieil admirateur français de Thiriart.  

L’influence de Douguine sur la politique russe ne peut pas se mesurer de manière précise : disons qu’il est un exposant de vérités russes, eurasiennes, parmi beaucoup d’autres exposants. Comme dans le cas de la « révolution conservatrice » allemande des années 20, qui fut un foisonnement luxuriant, Douguine, au sein de l’anti-conformisme russe actuel, occupe une place de choix, parmi bien d’autres, dans un paysage idéologique tout aussi luxuriant.

Tous ces mouvements précédemment évoqués semblent plus ou moins soutenir la politique de Poutine. Est-ce vraiment le cas ? Faut-il en conclure que le personnage de Poutine n’est pas exempt d’aspects intéressants au regard d’un identitaire ? Peut-on lui faire confiance ?

Douguine a très bien expliqué que Poutine, dans le contexte d’une Russie démembrée, est le « moindre mal ». Douguine insistait pour nous expliquer qu’à son avis la faiblesse du poutinisme réside tout entière dans son incapacité à générer une élite ascétique alternative, suffisamment bien armée et structurée, pour faire face à toutes les éventualités. Il dit ainsi, en d’autres termes, ce que j’ai tenté de vous expliquer dans l’une de vos questions précédentes : en Russie aujourd’hui, comme en Europe ou ailleurs dans le monde, la plus extrême difficulté, à laquelle nous allons tous devoir faire face, est de remettre une élite politique sur pied, à même de comprendre les rouages impériaux et traditionnels, de connaître notre histoire sans les filtres médiatiques, qui faussent tout. Il faut un temps infini pour reconstituer une élite de ce type, telle que l’avait si bien définie, en son temps, l’Espagnol José Ortega y Gasset. Pour l’instant, sans cette élite alternative, sans les glacis qui membraient jadis le territoire russe, sans les masses financières dont disposent ses adversaires, Poutine n’a évidemment pas les moyens de faire une grande politique russe tout de suite, de mettre « échec et mat » ses adversaires en un clin d’oeil. Il doit avancer au coup par coup, à petits pas, travailler avec les moyens du bord, en affrontant le travail de sape des oligarques, des fondations néo-libérales, des agences médiatiques américaines.

Oléoducs et gazoducs d’Eurasie sur fond de « low intensity warfare »

Poutine gagnera la bataille, mais uniquement s’il parvient, comme nous l’a démontré notre ami autrichien Gerhoch Reisegger dans les colonnes d’ « Au fil de l’épée », à réaliser les projets eurasiens d’oléoducs et de gazoducs, entre la Chine, le Japon, les deux Corées, l’Inde, l’Iran et l’Europe. Le pétrole et le gaz fourniront à la Russie, du moins si les oligarques n’en détournent pas les fonds, les moyens de sortir de l’impasse. Mais ce projet général est systématiquement torpillé par les Etats-Unis et leurs alliés saoudiens wahhabites. La Tchétchénie se situe sur le tracé d’un oléoduc amenant le brut des rives de la Caspienne. La Géorgie devait théoriquement accueillir les terminaux sur la Mer Noire ; elle pratique une politique anti-russe, dont les derniers soubresauts ont émaillé les actualités fin septembre début octobre 2006. Pour alimenter l’Allemagne, il a fallu contourner les nouveaux membres de l’OTAN en Europe de l’Est, la Pologne et la Lituanie. La grande guerre pour le pétrole est celle qui se déroule sous nos yeux, mais elle ne fonctionne plus comme les deux grandes conflagrations de 1914 et de 1939. La guerre a pris d’autres visages : celui de la guerre cognitive, celui de la guerre indirecte, celui du « low intensity warfare », celui des guerres menées par personnes ou tribus interposées.

 

15:40 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Introduction au colloque d'"Eurorus"

Introduction au Congrès d’EURORUS,

 

Lebbeke, 2 décembre 2006

 

 

 

Tout au long du dix-neuvième siècle, la Russie a été perçue comme le bouclier de la « Tradition » contre l’esprit de la révolution française. Elle était donc la référence de toutes les forces conservatrices et traditionnelles en Europe et ailleurs dans le monde. En 1917, avec la révolution bolchevique, cette image s’effondre. En un coup, la Russie devient l’avant-garde des principes révolutionnaires radicalisés à l’extrême. Les forces conservatrices remplaceront dès lors leur russophilie initiale par un éventail d’affects anti-russes, sur lesquels ne cesseront de tabler les propagandes anglaises puis américaines pour étayer leur politique d’endiguement et, plus tard, de « roll-back » (« refoulement »), un « roll-back » non plus nucléaire comme l’avait théorisé John Forster Dulles au début des années 50, mais un refoulement porté par le soft power, le pouvoir idéologique, qui génère des « révolutions colorées » depuis la chute de l’URSS et la déliquescence de la CEI.

 

 

 

Pendant la guerre froide, nous courrions le risque de subir, sur le sol européen une troisième guerre mondiale, qui aurait achevé de ruiner définitivement notre civilisation. Dans ce contexte, dès les années soixante, en notre pays, le ministre des affaires étrangères Pierre Harmel, et le militant politique jugé extrémiste, Jean Thiriart, ont jugé cette situation inacceptable. Pour Pierre Harmel, les petits pays des deux blocs devaient s’efforcer de diminuer le risque de conflagration mondiale, en développant, entre eux, des relations bilatérales, aussi étroites que le permettait l’inféodation aux blocs. L’objectif était d’éviter la guerre, de la retarder. Pour la Belgique, ces relations bilatérales se sont nouées essentiellement avec la Pologne et, dans une moindre mesure, avec la Roumanie de Ceaucescu. Ailleurs, comme en Allemagne, cette tentative d’éviter le conflit, se traduisit par l’Ostpolitik de Brandt.

 

 

 

[Addendum post colloquium : Pour Thiriart, l’européisme hostile aux blocs s’est d’abord traduit par l’espoir de voir l’OAS anti-gaulliste faire de la France un « Piémont » qui, à l’instar de cet ancien royaume du nord de l’Italie qui a uni la péninsule sous la poigne de Cavour et de Garibaldi, unirait l’Europe sous le signe d’une libération des peuples végétant sous le duopole instauré à Yalta. Mais De Gaulle, ennemi de l’OAS, mènera une politique de désengagement français ; Paris quittera l’OTAN, tandis que l’OAS, et Thiriart dans son sillage et à son corps défendant, étaient rejetés hors de toute sphère de décision. Thiriart optera dans un second temps pour une politique pro-chinoise, pour un soutien à la voie roumaine en Europe de l’Est, pour une alliance avec les régimes laïques arabes, nassériens ou baathistes, trois orientations politiques qui connaîtront malheureusement l’échec, forçant Thiriart à interrompre momentanément toute activité politique et tout travail idéologique].

 

 

 

En 1972, coup de théâtre, Nixon et Kissinger renouent les relations rompues entre la Chine et les Etats-Unis, depuis la prise de pouvoir par Mao en 1949. L’objectif de ce renversement d’alliance est toujours de contenir la Russie, de parfaire la fameuse politique de l’endiguement et, aussi, de rompre définitivement l’unité du bloc communiste, déjà sévèrement compromise par les différends frontaliers sino-soviétiques et les querelles idéologiques. A partir de ce moment, naît l’idée d’une solidarité voire d’une alliance entre l’Europe et la Russie. L’exposant le plus précis de cette idée a été l’Italien Guido Giannettini, auteur d’un livre sur les relations sino-soviétiques : Dietro la Grande Muraglia. Pour Giannettini, la nouvelle donne impliquait une solidarité euro-russe, face au nouveau tandem sino-américain.

 

 

 

Entre 1985 et 1989, quand Gorbatchev inaugure sa période de « glasnost » et de « perestroïka », un immense espoir nous a secoués, nous Européens, si bien que nous pouvions paraphraser Martin Luther King en disant « We all had a dream ». Mais nous avons rapidement déchanté, essentiellement pour cinq motifs : 1) La gestion catastrophique d’Eltsine sur le plan économique, avec la vente à l’encan des ressources de la Russie ; 2) La ruine générale de la Russie, avec une inflation digne de la République de Weimar en Allemagne dans les années 20 du 20ième siècle ; 3) La mise en œuvre de la stratégie Brzezinski, visant la fragmentation des territoires de l’ancienne URSS et de l’ex-Empire des tsars, en pariant notamment sur les éléments turcophones et islamiques ; 4) La guerre de Tchétchénie, déclenchée sous Clinton par l’alliance entre les Etats-Unis, la Turquie et les fondamentalistes wahhabites, financés par l’Arabie Saoudite ; 5) Le harcèlement médiatique contre Poutine, dont le Soir, le quotidien principal de Bruxelles se fait le triste relais.

 

 

 

Ce faisceau de faits nous oblige à constater que nous sommes à nouveau dans une situation de guerre froide, alors que personne, ni à gauche ni à droite de l’échiquier politique en Europe, ne l’avait voulu.

 

 

 

C’est pourquoi je salue une initiative comme ce colloque de la nouvelle association « Eurorus », que j’accepte d’être le modérateur dans les débats qui vont, tout à l’heure, confronter des personnalités aux trajectoires très différentes, au passé jugé parfois sulfureux, mais ce goût de soufre est décidément bien préférable à l’atmosphère feutrée et aseptisée du ronron médiatique contemporain.

 

 

 

Je déclare le colloque ouvert.

 

  

 

15:20 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook