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lundi, 13 août 2007

Roth, Chomsky & Huntington

Jürgen Roth, Noam Chomsky et Samuel Huntington:

 

La maison d’édition “Europa-Verlag”, de Hambourg, publie les écrits de Noam Chomsky, qui, comme on le sait, critique sévèrement l’impérialisme américain, l’accusant d’hybris, ainsi que la politique israélienne, en l’accusant, elle, d’entretenir une logique de la guerre civile permanente au Proche-Orient. Retenons aussi de l’œuvre actuelle de Chomsky une dénonciation systématique du rôle des médias dans la fabrication d’opinions bellicistes ou dans la banalisation d’agressions militaires, qui ne servent que les seuls desseins de Washington, au détriment des intérêts de toutes les autres puissances du globe. “Europa-Verlag” œuvre donc en Allemagne pour diffuser la pensée alternative de Chomsky. On peut évidemment regretter que l’instrumentarium déployé par ce linguiste américain est seulement critique et, à nos yeux, pas assez constructif. Rien n’est dit quant à la seule solution envisageable pour contrer cet impérialisme ubiquitaire : construire l’alliance stratégique grande-continentale et eurasiatique, comme l’avaient voulu Haushofer et ses inspirateurs japonais du début du 20ième siècle.

 

De même, “Europa-Verlag” a publié naguère le fameux ouvrage de Samuel Huntington sur le “choc des civilisations”, grand classique politique des années 90 du siècle dernier, mais qui ne cesse d’alimenter le débat de manière féconde. L’éditeur allemand ne s’est cependant pas borné à ce seul ouvrage désormais classique : il a également publié le débat entre Huntington et Lawrence E. Harrison sur la lutte entre les valeurs, suite logique des thèses énoncées dans le “choc des civilisations”. Enfin, troisième volume de cette série “huntingtonienne” : Who are we? Die Krise der amerikanischen Identität (= Qui sommes-nous? La crise de l’identité américaine). Huntington s’interroge sur les valeurs de la société américaine. Le peuple américain est-il bien conscient des valeurs qui fondent une civilisation? Ou est-il victime  —la première victime—  de l’anomie généralisée induite par l’esprit marchand depuis le 19ième siècle? Poser ces questions équivaut à aborder l’essentiel à la veille, justement, d’un choc des civilisations, celui qui s’annonce, inexorablement, à court terme.

 

Ensuite, le même éditeur nous fait découvrir un autre non-conformiste intéressant, allemand celui-là : Jürgen Roth. Celui-ci a successivement abordé les thèmes du lien mafias/entreprises/politique, des réseaux terroristes liés à la drogue et donc aux mafias, des oligarques post-soviétiques qui déstabilisent l’ex-bloc de l’Est et, aussi, par voie de conséquence et par multiplication des métastases mafieuses en Europe occidentale, nos propres pays [Jürgen Roth, Ganz reale Verbrecher. Millionen, Macht und Auftragsmord, (= Des criminels bien réels. Les millions, le pouvoir et le crime commandité), ISBN 3-20381528-1, 17,90 Euro; Netzwerke des Terrors, (= Les réseaux du terrorisme), ISBN 3-203-81529-X, 16,90 Euro; Der Oligarch. Vadim Rabinovich bricht das Schweigen, (= L’oligarque. Vadim Rabinovitch rompt le silence) ; ISBN 3-203-81527-3, 19,90 Euro; Die Gangster aus dem Osten. Neue Wege der Kriminalität, (= Les gangsters venus de l’Est. Les nouvelles voies de la criminalité), ISBN 3-203-81526-5, 17,90 Euro]. Adresse de l’éditeur : Europa Verlag GmbH, Neuer Wall 10, D-20.354 Hamburg; http://www.europaverlag.de ].

 

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dimanche, 12 août 2007

Une économie qui affaiblit

Une économie qui appauvrit:

Horst Afheldt est irénologue (c’est-à-dire une personne qui étudie les conditions pour que règne la paix au sein d’une aire civilisationnelle), écologue et économiste, attaché à l’Institut Max Planck de Munich. Les Français se rappelleront sans doute d’un ouvrage important de sa plume, paru aux éditions La Découverte, qui esquissait les conditons nécessaires pour établir une zone  de paix entre les deux blocs, dans la foulée du bellicisme reaganien et de l’installation de fusées otanesques pointées sur le territoire de la RDA et de la Tchécoslovaquie. Les Allemands se souviendront encore davantage de ses nombreux textes bien étayés, visant à dégager leur pays de la politique mortelle que lui imposaient les Etats-Unis et l’OTAN. Horst Afheldt (°1924), bientôt octogénaire, reste très actif. Son dernier ouvrage est une critique aussi serrée que raisonnée du néo-libéralisme ambiant, introduit en Europe en même temps que la logique bellogène des Reagan avant-hier, des Clinton hier (les démocrates ne sont pas moins va-t’en-guerre que les républicains), des Bush aujourd’hui. L’économie, comme son nom et son étymologie grecs l’indiquent, sert à normer l’oikos, l’habitat premier de l’homme et de sa famille, à générer des richesses assurant la survie d’une communauté clairement circonscrite à la Cité grecque ou à l’Etat social de keynésienne mémoire. L’économie vise la distribution juste et équitable des richesses produites par la communauté, la Polis ou l’Etat-Nation. Elle n’a pas d’autres raisons d’être. Si elle faillit à cette mission, qui est la sienne et est son propre, elle constitue forcément une aberration. Le néo-libéralisme, introduit dans les institutions productrices d’idéologies et de praxis politiques depuis les avènements de Thatcher en Grande-Bretagne et de Reagan aux Etats-Unis, inverse la logique traditionnelle de l’économie, ou retourne au manchestérisme le plus pur, dans la mesure où elle réduit les salaires et augmente la production. En bout de course, nous assistons à l’émergence, non pas de chômeurs démunis parce qu’ils sont victimes d’accidents conjoncturels, mais de travailleurs à temps plein, dont l’emploi est stable depuis de longues années, qui n’arrivent pas à nouer les deux bouts. Une théorie “économique” qui génère de telles incongruïtés ne relève pas de l’économie économique, comme le disait Julien Freund. En éclatant la société de la sorte, la fausse économie en place devient “in-économique”, conclut Afheldt. L’économie est indissociable de la notion grecque de “nomos”, d’ordonnancement équitable et raisonnable. L’hybris accumulateur, déséquilibrant, est un facteur de liquéfaction, de déliquescence, de la chose publique, équilibre entre politique et économique.

[Références : Horst AFHELDT, Wirtschaft die arm macht. Von Sozialstaat zur gespaltenen Gesellschaft, Verlag Antje Kunstmann, München, 256 p., 19,90 Euro. http://www.kunstmann.de ].

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samedi, 11 août 2007

Sur les politiciens

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Sur les politiciens:

 

Hermann Scheer (°1944), président de l’association EUROSOLAR, qui plaide pour l’énergie solaire et pour les énergies renouvelables, détenteur du Prix Nobel alternatif en 1999, nous avait déjà intéressé à maintes reprises, notamment à l’occasion d’un colloque de “SYNERGON-Deutschland” en novembre 1997 à Sababurg, où nous avions analysé, très positivement, les jugements sévères et parfaitement justes qu’il portait à l’encontre d’un monde politique figé dans ses certitudes et ses erreurs. Hermann Scheer est l’auteur de Klimawechsel. Von der fossilen zur solaren Kultur. Gespräche mit Christiane Grefe (= Modification climatique. De la culture des énergies fossiles à la culture de l’énergie solaire. Conversations avec Christiane Grefe), livre rédigé avec le concours de Carl Amery, théoricien notoire de l’écologie; et aussi de : Solare Weltwirtschaft. Strategie für eine ökologische Moderne (= Economie mondiale à énergie solaire. Stratégie pour une modernité écologique). Dans le premier de ces ouvrages, Scheer et Amery déplorent l’absence de réaction des autorités politiques allemandes et européennes face à la crise écologique et économique générée par l’utilisation systématique des énergies fossiles et nucléaires, non renouvelables. La nouvelle majorité rouge-verte en RFA, qui a remplacé au pouvoir l’Union chrétienne-démocrate de Kohl, malgré ses promesses électorales, n’a pas fait un pas de plus dans la direction d’une nouvelle culture énergétique. Dans Solare Weltwirtschaft, il développe le même constat et la même amertume. Il avance l’argument, d’une confondante évidence, qu’il suffirait d’une simple décision politique pour amorcer le passage salvateur des énergies dangereuses à l’énergie solaire et naturelle. Son dernier ouvrage, paru en cette année 2003, s’intitule plus simplement Die Politiker (= Les politiciens). On y retrouve le même tonus et la même vigueur critique. Son éditeur écrit : “La politique est une des conditions de l’existence réelle d’une société. Sans politiciens, il n’y aurait pas de politique. Il faut dès lors tirer le signal d’alarme quand, dans certaines sociétés, le terme “politique” devient un mot imprononçable et quand l’appelation “politicien” devient une insulte. Lorsque les électeurs ne font plus confiance aux députés et aux partis élus, ainsi qu’aux solutions qu’ils proposent, le déclin guette les états constitutionnels démocratiques. Ce livre examine quelles sont les conditions fondamentales qui président à l’action politique, quelles sont les structures de nos institutions politiques, quels sont les acteurs politiques actuels et quelles sont les idées que nous nous faisons d’eux. Pourquoi attend-on des politiciens qu’ils résolvent quasiment tous les problèmes, alors que nous leurs accordons de moins en moins le droit d’influencer et de façonner la vie politique et la vie quotidienne? Scheer décrit les processus de déliquescence de la démocratie, mais aussi les espaces où l’action politique peut réellement exercer sa fonction formatrice; il aborde les espaces d’action politique perdus comme ceux qu’il convient de reconquérir à nouveau. Sans concession et avec un regard panoramique, de manière concrète et stimulante, il plaide pour une réactivation de la démocratie classique, qui repose sur la séparation des trois pouvoirs, ensuite pour une vision nouvelle de la politique, qui ait un réel avenir, et nous exhorte à avoir le courage de coopérer à la chose politique de manière intelligente et adéquate”.

 

Un livre à lire en parallèle avec beaucoup d’autres —comme celui, sur lequel nous reviendrons inévitablement, d’Hans Herbert von Arnim sur le déclin d’un univers politique surdéterminé par les partis (H. H. von Arnim, Das System. Die Machenschaften der Macht, Droemer, München, 2001). En Scheer nous trouvons une voix pertinente appartenant à la famille politique écologique. Se référer à son œuvre sauverait assurément du naufrage les partis écologiques belges et français, animés, hélas, par des sourds, voire des sourds-dingues, qui ne font montre d’aucun réalisme politique (ni même écologique) et se contentent de répéter des slogans ineptes de facture soixante-huitarde. Mieux, Scheer réconcilie l’écologisme politique et la grande politique; ses projets de faire fonctionner notre modernité industrielle avec l’énergie solaire ou avec d’autres énergies renouvelables nous assurerait à terme une indépendance énergétique par rapport au pétrole, dominé par les consortiums anglo-saxons et saoudiens. Tel est bien l’enjeu d’aujourd’hui. Et de l’Axe Paris/Berlin/Moscou, auquel devront se joindre Beijing, New Delhi et Tokyo.

 

[Références : H. SCHEER/C. AMERY, Klimawechsel..., 144 p., 9,90 Euro; H. SCHEER, Solare Weltwirtschaft..., 344 p., 16,90 Euro; H. SCHEER, Die Politiker, 380 p., 22,90 Euro; à commander chez : Verlag Antje Kunstmann, Georgenstraße 123, D-80.797 München, http://www.kunstmann.de ].

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vendredi, 10 août 2007

Chine / USA

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Texte déjà ancien (1999!), cet article de M. Wiesberg relève des faits permanents ou des éléments dont il faut tenir compte dans le conflit potentiel qui pourrait, dans de prochaines décennies, opposer la Chine aux Etats-Unis. Raison pour laquelle, nous l'archivons sur ce blog.

 

La confrontation Chine-USA est-elle inévitable ?

 

Le 8 avril dernier, le New York Times écrivait que des fonctionnaires du gouverne­ment américain avaient reçu au début de l’année 1996 un rapport inquiétant éma­nant d’un agent américain en place en Chine. Des collaborateurs des services secrets chinois se vantaient, rapportait cet espion, d’avoir volé des documents con­fi­dentiels aux Etats-Unis, permettant aux experts chinois d’améliorer leur pro­gram­me de bombe à neutrons. Le New York Times remarquait que cet agent a­mé­ricain a­vait dans le passé fourni des renseignements exacts et qu’on pouvait dès lors croi­re que ses informations étaient sérieuses.

 

Ce rapport était inhabituel, dans le sens où, généralement, les Américains relativi­sent les activités d’espionnage de la Chine. Le porte-paroles de Clinton, Lockhardt, a déclaré à ce propos qu’il n’y avait pas de preuves sûres permettant d’affirmer que les Chinois avaient orchestré un espionnage de grande envergure dans le sec­teur nucléaire américain.

 

Cette déclaration, sur fond d’article dans le New York Times, est une grossière dé­for­mation des faits. Déjà, le 6 mars 1999, James Risen et Jeff Gerth rapportaient dans le même quotidien que les experts ès-armes atomiques à Los Alamos sup­po­saient, après avoir examiné les données relatives à la dernière expérience nucléai­re souterraine des Chinois, qu’il y avait « une curieuse ressem­blan­ce » entre les ty­pes d’armes nucléaires récentes des Américains et des Chinois.

 

Ces indices permettent d’opérer un rapprochement avec les déclarations du député républicain Christopher Cox (Californie) relatives aux activités d’espionnage des Chi­nois aux Etats-Unis. Dans son rapport, Cox écrit, notamment, ce qui suit : « La Ré­­publique Populaire de Chine aurait dérobé des informations concernant les têtes nucléaires américaines les plus avancées. Ce vol doit être mis en rapport avec le pro­gramme d’exploration des services de renseignements chinois déployés depuis plus de deux décennies et toujours en activité. Ce programme contient, outre des ac­tivités d’es­pion­nage, un volet prévoyant d’importants projets d’échanges scien­ti­fi­ques avec des personnalités travaillant dans des institutions américaines dé­ve­lop­pant des systèmes d’armement à Los Alamos, Lawrence Livermore, Oak Ridge et Sandia.

 

Ce sont précisément ces programmes d’échanges qui ont considérablement com­pli­qué les enquêtes sur les activités d’espionnage des Chinois, d’après les en­quêteurs du FBI. Ainsi, James Risen écrit dans le New York Times du 9 mars, que les Chinois retirent souvent de gros avantages de ces pro­gram­mes d’échanges et de toutes les autres formes de contacts dans le domaine scientifique. Ils par­viennent de cette fa­çon à s’emparer d’informations importantes et considérables ; il s’avère dès lors dif­ficile de repérer le lieu et le moment de la fuite, de savoir comment des secrets mi­litaires ont pu tomber entre les mains des Chinois.

 

Les échanges académiques à fins d’espionnage

 

Un facteur supplémentaire dans la difficulté de tout contrôler : le nombre dispro­por­tionné de scien­ti­fiques américains nés à l’étranger. Tim Weiner cite à ce propos dans l’édition du 14 mars du NYT les paroles d’un diplomate américain, actif à Pékin du temps de Ronald Reagan. Celui-ci se de­man­dait avec inquiétude si, dans l’avenir, un soupçon général n’allait pas peser sur tous les scientifi­ques chinois. « Allons-nous vers une nouvelle chasse au sorcières ? », disait ce diplomate. Et il a­jou­tait : « Qu’adviendrait-il de la capacité américaine à affronter la concurrence si ces scientifiques étrangers ne travaillaient plus aux Etats-Unis ? ».

 

Le COSTIND chinois comme fer de lance de l’espionnage scientifique

 

Les Chinois utilisent les programmes d’échanges académiques pour parfaire des ac­ti­vités de rensei­gnement : cela semble clair. Nicholas Eftimiades, qui travaille au con­­tre-espionnage américain, é­crit, dans son livre Chinese Intelligence Operations, pa­­ru en 1994, que les services de rensei­gne­ment chinois utilisent une méthode a­vé­rée, lorsqu’ils poussent les scientifiques de leur pays à in­vi­ter en Chine des col­lè­gues universitaires américains dans le cadre de programmes d’échanges. Efti­mia­des constate ensuite que le COSTIND (« China’s Commission of Science, Technology and In­dustry ») prenait en charge tous les frais entraînés par les programmes de visite. Après les heures de cours avec les collègues américains, fixés dans le programme, des « séances spéciales » étaient organisées, en présence d’experts du COSTIND, qui sondaient de manière appropriée les scien­tifi­ques américains. En résumé, Efti­mia­des constate que le COSTIND envoie des scientifiques chinois aux Etats-Unis, a­fin de glaner toutes sortes d’informations pour développer les systèmes d’arme­ment chinois.

 

D’autres informations en ce sens nous ont été fournies par le texte des positions pri­ses par le gou­ver­nement US après l’audition de Peter Lee, un scientifique sino-amé­ricain, soupçonné d’es­pion­na­ge au profit de la Chine. Dans ce texte, on trouve éga­lement des déclarations du fonctionnaire du FBI Gilbert R. Cordova, qui a acté ce qui suit : « Il y a en Chine surtout deux institutions scien­tifi­ques, qui s’occupent d’espionner les scientifiques américains : la CAEP (Académie Chinoise des Ingé­nieurs en Physique) et l’IAPCM (Institut de Physique Appliquée et de Mathématique In­formatique). Ces deux institutions ont pour attribution de planifier et de déve­lop­per le programme de l’arme­ment nucléaire chinois.

 

Les renseignements que les Chinois auraient dérobé aux Etats-Unis auraient permis, selon le Rapport Cox, de construire des têtes nucléaires modernes et de les tester avec succès. Ce qui chagrine surtout les Américains, c’est que le développement de leur nouveau type de tête nucléaire, mis au point à Los Alamos pour servir au dé­part de sous-marins, le W-88 (W = Warhead), a été espionné a­vec une quasi certitu­de par les Chinois.

 

L’importance du missile W-88

 

Le W-88 est utilisé sur les fusées Trident D-5 SLBM (= Submarine Launched Ballistic Missile). La ca­rac­téristiques principale de ces têtes modernes, c’est qu’une seule fusée peut en transporter plu­sieurs. De cette façon, la charge explosive de 12.500 tonnes de TNT (celle de la Bombe « Little Boy » d’Hiroshima) peut être augmentée jusqu’à 300.000 tonnes. Cela signifie, par exemple, que les fu­sées inter-continen­ta­les américaines « Peacekeeper » (portant la tête W-87) peut transporter 24 fois la charge de la bombe atomique d’Hiroshima.

 

Le Rapport Cox part du principe que les Chinois possèdent désormais des connais­san­ces sur la con­struction et le fonctionnement de toutes les têtes nucléaires uti­li­sées par l’armée américaine au­jourd’hui.

 

Quelles pouraient être les conséquences de cet état de choses pour les Etats-Unis dans les circon­stances actuelles ? Telle est la question que posait l’ancien ministre de la défense Perry dans les co­lonnes du NYT, le 15 mars. Avec ou sans la tête nu­cléaire W-88, la Chine est désormais en me­su­re de menacer directement les E­tats-Unis. Perry sait de quoi il parle. Il a visité la Chine ce prin­temps et a rencon­tré de très hauts représentants de l’armée chinoise ainsi que le Président Jiang Ze­­min. Les Etats-Unis doivent s’attendre à ce que la Chine augmente considérable­ment son po­tentiel militaire dans les années à venir. La Chine va devenir un facteur de puissance à l’échelle glo­bale. Le défi consiste à savoir comment les Etats-Unis réagiront à cette nouvelle donne.

 

La Chine combat la domination globale de l’Occident

 

Dans le même quotidien toutefois, Bates Gill, spécialiste des questions militaires chi­noises auprès du célèbre Institut Brookings, écrit que, même si la Chine troquait ses têtes nucléaires habituelles contre de nouvelles têtes multiples, les Etats-Unis conserveraient leurs avantages stratégiques et resteraient dominants. Toutefois, les opérations stratégiques américaines s’avèreraient plus com­pliquées, vu les a­van­­cées de l’armement chinois.

 

Il faut néanmoins retenir l’hypothèse que la Chine et les Etats-Unis deviendront ra­pi­dement des con­currents sur la scène internationale. C’était déjà vrai quand la Chi­ne accusait un retard techno­logique important en matière d’armements nuclé­ai­res. C’est aussi l’avis de deux experts américains des questions asiatiques, Ri­chard Bernstein et Ross H. Munro, dans leur dernier livre The Coming Conflict with China (New York, 1997). Ces deux auteurs défendent la thèse suivante : l’antagonisme en­tre la Chine et les Etats-Unis constituera le premier grand conflit du 21ième siè­cle. Cette rivalité entre les deux super-puissances s’étendra à tous les domaines de concurrence : le secteur militaire, la stabilité économique, l’hégémonie sur d’au­tres nations et, surtout, là où l’Ouest estime avoir une chasse gardée : le plan des normes et des valeurs internationales.

 

La Chine cherche à être la puissance dominante dans l’Extrême-Orient pacifique

 

Bernstein et Munro perçoivent un conflit d’intérêt quasi sans solution et très dur entre la Chine et les Etats-Unis. Nos deux auteurs disent qu’au cours du siècle é­cou­lé, les Etats-Unis se sont efforcés d’empêcher la domination exclusive d’un seul Etat dans la région extrême-orientale de l’Asie. Or c’est cette domination que cherche à asseoir la Chine aujourd’hui. Automatiquement, les intérêts des deux pays entreront en collision.

 

Ensuite, Bernstein et Munro constatent que la Chine coopère étroitement avec la Russie, apporte son aide technologique et politique à des Etats islamiques en Afri­que du Nord et en Asie centrale et consolide ses positions en Asie orientale, ce qui l’amène dans un réseau dense d’Etats dont l’ob­jec­tif est de contester fondamen­ta­lement les objectifs politiques des Américains. Tous ces Etats sont liés par un rejet commun de la domination occidentale. Bernstein et Munro concluent donc que la Chi­­ne ne peut plus être considérée comme un allié stratégique, mais comme un ad­ver­saire des E­tats-Unis, qui le restera sur le long terme.

 

Pour étayer leurs thèses, les deux auteurs avancent les arguments contenus dans un livre (« L’armée chinoise peut-elle gagner la prochaine guerre ? »), qui n’était jus­qu’ici qu’un document interne, seulement accessible pour les plus hauts fonc­tion­naires. Par une négligence, ce livre s’est retrouvé à l’étal d’une librairie de Pé­kin, où un citoyen américain a pu en acheter un exemplaire. Grâce à l’ini­tiative personnelle de ce citoyen, l’Occident a pu se faire une meilleure image des in­ten­tions chi­noises.

 

Les auteurs chinois de ce livre disent que la région asiatique du Pacifique deviendra prioritaire dans la stratégie américaine après l’an 2000. La Chine est donc con­train­te d’agir, écrivent-ils, tant que les Américains sont occupés ailleurs. Ils consta­tent : « Le poids majeur des confrontations militaires à la fin de ce siècle et au dé­but du siècle prochain se concentrera sur les guerres régionales. Celui qui, dans la pha­se de transition, prendra des initiatives, acquerra une position décisive dans le fu­tur ordre militaire ». Ensuite, les auteurs chinois écrivent : «Vu leurs intérêts é­co­nomiques et politiques divergents dans la région du Pacifique en Asie, ces deux E­tats (les Etats-Unis et la Chine) vont se trouver en état de confrontation per­ma­nen­te ».

 

Les enjeux économiques freinent la confrontation

 

Cette analyse montre clairement que le concept de « partenariat stratégique », for­gé par les Pré­sidents Clinton et Jiang Zemin, ne vaut même pas le prix du papier sur lequel il est imprimé. Pour­quoi, dès lors, les Etats-Unis se montrent-ils si mo­dé­rés à l’égard de la Chine ? Question légitime dans le contexte que nous venons d’é­vo­quer. Bernstein et Munro y apportent une réponse : ils nous parlent de l’influen­ce croissante du « lobby chinois » aux Etats-Unis. Il existe également toute une sé­­rie d’hommes politiques connus aux Etats-Unis, dont le plus célèbre est l’ancien mi­nistre a­mé­ri­cain des affaires étrangères Harry Kissinger, qui se sont recyclés en con­seillers ou en intermédiaires pour les entreprises américaines actives en Chine et touchent par là de plantureux honoraires. Kis­singer lui-même, disent Munro et Bern­stein, aurait fondé une entreprise (« Kissinger Associates »), qui aurait pour tâ­che de représenter un « grand nombre de sociétés américaines faisant des af­faires avec la République Populaire de Chine ». Elles paieraient royalement l’an­cien mi­nis­tre des affaires étrangères pour les « contacts exceptionnels qu’il favoriserait avec les détenteurs du pouvoir en Chi­ne ».

 

Kissinger, figure du proue du lobby chinois

 

Vu ces circonstances, on ne s’étonnera pas que Kissinger s’est abstenu de tout com­mentaire désob­li­geant à l’égard du massacre de la Place Tien An Men et a mê­me demandé à ses compatriotes de com­prendre l’attitude du pouvoir chinois. Une condamnation trop véhémente du massacre aurait com­promis ses très bons con­tacts avec les sphères du pouvoir à Pékin et donc aurait eu des con­sé­quences fi­nancières importantes.

 

Les Chinois savent y faire quand il s’agit d’instrumentaliser les intérêts économi­ques américains en leur faveur. Les hommes politiques américains, qui se montrent trop critiques vis-à-vis de la Chine, perdent rapidement tout crédit auprès des puissants de Pékin. Cette situation explique pourquoi le gouvernement de Clinton adopte un profil bas dans l’affaire d’espionnage actuelle. Les intérêts économiques oblitèrent encore une réalité stratégique qui évolue vers la confrontation Washington-Pékin. Celle-ci sera inévitable.

 

Michael WIESBERG.

(ex : Junge Freiheit, n°24/1999).

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dimanche, 05 août 2007

Géostratégie américaine, impuissance européenne

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Sur la géostratégie américaine et l'impuissance européenne

Entretien avec Andreas von BÜLOW

 

Andreas von Bülow a été député de la SPD socialiste au Bundestag de 1969 à 1994. De 1976 à 1980, il a occupé le poste de secrétaire d'Etat au ministère fédéral allemand de la défense. De 1980 à 1982, il a été ministre fédéral de la recherche scientifique. Aujourd'hui, retiré de la politique, il est avocat à Bonn. Il est l'auteur d'un livre qui a fait beaucoup de bruit : Im Namen des Staates. CIA, BND und kriminelle Machenschaften der Geheimdienste [Au nom de l'Etat. De la CIA, du BND et des machinations criminelles des services secrets], paru chez l'éditeur Piper à Munich en 2000.

 

Q.: Dr. von Bülow, dans un entretien récent, paru dans nos colonnes et traitant de la politique intérieure de la RFA, vous nous avez démontré comment les Etats-Unis, quasiment depuis la naissance de la RFA, ont recruté dans les milieux radicaux de droite un groupe terroriste, l'ont constitué, financé, équipé et même armé. Dans votre livre "Im Namen des Staates", vous évoquez une liste noire de politiciens de la gauche et de la sociale démocratie "qu'il conviendrait, le cas échéant, d'assassiner". Pourriez-vous être plus clair?

 

AvB: Ce type de "préparation", avec l'argent et les armes de la CIA, pouvait se repérer  partout en République Fédérale au début des années 50; tout cela se passait  au su de quelques rares fonctionnaires en poste auprès du cabinet du Chancelier, auprès du Ministère de l'Intérieur et à l'Office de Protection de la Constitution (Verfassungsschutz).

 

Q.: Donc le Verfassungsschutz était au courant…

 

AvB: Parfaitement, mais seulement le représentant du Président, qui venait du BND ("Bundesnarichtendienst" - Office d'Information Fédéral), qui, à l'époque, était encore occupé par d'anciens membres de la NSDAP. Dans les services secrets, il est souvent important que le principal responsable puisse à tout moment nier, avoir su ou deviné quelque chose. De cette façon, en cas de besoin, on peut envoyer ce représentant à la retraite prématurée. Ensuite, le pouvoir américain de l'époque se préparait à affronter militairement l'Union Soviétique, qui pouvait attaquer à tout moment, et entendait pouvoir compter, en cas de coup dur, sur des partenaires potentiels.

 

Q.: Il existait donc en Allemagne un système comparable au Gladio d'Italie, où la CIA, le "Secret Service" et l'OTAN ont mis sur pied en 1956 une troupe secrète et paramilitaire dénommée "Gladio", qui aurait eu pour mission, en cas de victoire électorale communiste, de faire un putsch d'extrême-droite?

 

AvB: Le réseau Gladio n'existait pas seulement en Italie, mais dans tous les pays de l'OTAN: en France, en Belgique, aux Pays-Bas, etc. Et même en Suède et en Suisse! La souveraineté de la RFA, comme celle de la plupart des Etats européens, était fort limitée durant le conflit Est-Ouest.

 

Q.: Vous affirmez par ailleurs qu'aujourd'hui encore le radicalisme de droite en Allemagne reçoit un soutien de l'étranger et, même, est créé de toutes pièces à partir de l'étranger. Qu'en est-il plus précisément?

 

AvB: Le milieu de l'extrême-droite américaine est largement infiltré par les services secrets de Washington. A partir de ce milieu d'extrême droite aux Etats-Unis, avec notamment les cercles des "suprématistes" blancs aryens (White Aryan Supremacists), du Ku Klux Klan, des groupes qui sèment la haine raciale et des petites partis nazis, les services de diversion tentent d'acquérir une influence sur le milieu de l'extrême droite allemande. Ainsi, par exemple, un "suprématiste aryen" se vantait, lors d'une émission de télévision aux Etats-Unis, d'avoir servi d'abord chez les Marines, puis dans une troupe spéciale mise à la disposition des services secrets, d'avoir entraîné, après la réunification allemande, des bandes de skinheads dans vingt villes allemandes afin qu'elles apprennent les techniques de la guerre de guérilla et qu'elles se préparent à des attentats contre les demandeurs d'asile et les étrangers. Mieux: sur ce chapitre, les services américains, qui sont pourtant profondément infiltrés dans ces milieux, refusent de coopérer avec les services allemands du Verfassungsschutz.

 

Q.: Vous donnez dans votre livre un exemple révélateur : les Allemands, dites-vous, sont provoqués afin qu'ils se comportent comme des "extrémistes de droite", et les protestations des Kurdes, au milieu des années 90, qui ont connu de sérieux dérapages, étaient en quelque sorte destinées à susciter des réactions violentes chez les Allemands…

 

AvB: Posons d'abord une question : quel pourrait bien être l'intérêt des dirigeants de la communauté kurde en Allemagne de bloquer totalement la principale autoroute allemande un vendredi? Les organisateurs de ce blocus savaient parfaitement que les Allemands allaient considérer cette action comme une entorse grave au droit d'asile qu'ils avaient accordé à ces Kurdes. Cette action, à terme, ne pouvait que nuire à la cause kurde. Les organisateurs de cette action, qui travaillent vraisemblablement à couvert, devaient avoir pour objectif de réduire à néant les sympathies que cultivent les Allemands à l'endroit de la cause kurde ou bien de provoquer une vague de xénophobie au sein de la population allemande.

 

Q.: Dans quel but?

 

AvB: Il s'agit principalement de donner une image totalement négative de l'Allemagne à l'étranger : l'Allemagne doit y apparaître comme un pays où les brutalités des skinheads sont monnaie courante, où l'on ne cesse de profaner des cimetières juifs ou des synagogues, où l'on fait la chasse aux étrangers pour les molester. L'image des Allemands doit être celle d'un peuple qui a la haine, aux capacités intellectuelles réduites, à la bêtise caricaturale, correspondant à l'image du nazi de tous les temps. On veut dépeindre notre pays comme dépourvu d'attraits. Y compris pour les têtes les mieux faites de la planète.

 

Q.: L'objectif est donc de tenir l'Allemagne en échec…

 

AvB: Le conseiller du Président Carter en matières de sécurité, le célèbre Zbigniew Brzezinski, écrit dans son livre "Le Grand Echiquier" que la puissance qui contrôle l'Eurasie (c'est-à-dire toute la masse continentale entre les Iles Britanniques et l'Archipel japonais), contrôle le monde, tout simplement parce qu'elle aurait alors accès aux ressources naturelles inépuisables. Les challengeurs des Etats-Unis, dans la course à la domination de l'Eurasie, sont seulement la Grande-Bretagne, le Japon, la France et l'Allemagne. Brzezinski écrit cependant que la Grande-Bretagne est un pays "fatigué" sur le plan géopolitique, qui n'est plus utile qu'à une seule chose, c'est-à-dire à épauler les Etats-Unis au titre de premier partenaire, notamment pour des opérations cachées. La France a des capacités intellectuelles, qui lui permettrait de poursuivre des objectifs géopolitiques à long terme, mais elle est trop faible économiquement. Quant à l'Allemagne, elle dispose d'une puissance économique réelle, mais elle ne peut pas faire valoir pleinement ses visées hégémoniques, parce qu'elle doit sans cesse tenir compte des implications de l'holocauste. Le tandem potentiel France-Allemagne serait rapidement tenu en échec par ses propres voisins. De cette démonstration de Brzezinski, on peut aisément conclure quelle est la politique à suivre que suggèrent, à l'endroit de l'Europe et surtout de l'Allemagne, les têtes pensantes (comme Brzezinski) de la politique étrangère américaine et de ses services secrets. Je ne suis pas un aficionado des petits jeux de monopoly à la sauce géopolitique, mais, force est de constater, tout de même, qu'ils existent bel et bien et qu'ils se présentent à nous, hostiles, sous la forme du jeu que jouent actuellement la politique extérieure américaine et les services secrets US - nous ne pouvons plus adopter la politique de l'autruche. Les Etats-Unis s'apprêtent, très concrètement, à mettre la main sur les ressources du monde, à commencer par l'Eurasie et cette région d'Asie centrale que Brzezinski a appelé les "Balkans eurasiens", à titre de compensation, pensent-ils, pour le rôle de "policier de la planète" qu'ils occupent; en prime, ils deviendront donc la seule et unique puissance mondiale. C'est ce que nous déclare en fait Brzezinski sans beaucoup de vergogne. A l'heure actuelle, l'objectif est principalement les ressources de pétrole et de gaz naturel qui se trouvent autour de la Caspienne, sur le territoire de l'ancienne URSS. Pour obtenir ces ressources de pétrole et de gaz, les Etats-Unis doivent évidemment tenir fermement sous leur contrôle les voies d'accès qui y mènent ou qui permettent de sortir le pétrole. Pour y parvenir, les Etats-Unis actualisent un vieux projet géopolitique britannique: transformer la masse continentale compacte de l'ancien empire colonial russe en Asie centrale en une mosaïque de petits Etats. Les Britanniques avaient tenté de le faire immédiatement après la révolution de 1917, mais ils avaient échoué. Aujourd'hui, les Etats-Unis prennent le relais en mobilisant toutes leurs forces.

 

Q.: Quel est dès lors le jugement que vous posez sur les hommes politiques allemands qui, par leurs comportements, font tout pour maintenir l'Allemagne dans cette situation d'étranglement qu'induit ce discours tissé de moralisme?

 

AvB: Nous avons une dette envers les Etats-Unis dans la mesure où ils nous ont débarrassé du national-socialisme, où ils ont permis le redressement économique et culturel de notre pays après la guerre et, enfin, où ils ont apporté leur soutien actif lors de la réunification en 1990. Cependant, il faut dire que la conscience historique des Allemands n'a pas encore été capable de comprendre une chose : que nous étions déjà un instrument de la politique anglo-saxonne avant 1945 et que nous le sommes restés jusqu'en 1990. Toutefois, il me semble aujourd'hui que l'Allemagne, de concert avec les autres peuples européens, doit emprunter une voie émancipatrice. C'est clair : les Etats-Unis ont des intérêts économiques et politiques qu'ils vont imposer au monde de manière impitoyable et féroce, même envers et contre le droit des gens. Dans cette démarche, ils veilleront évidemment à ce qu'aucun concurrent européen ne se mette en travers de leur chemin. Nous, Allemands, ne pouvons en aucune manière cesser de penser notre destin (géo)politique, sous prétexte que nous devons aussi être reconnaissants à l'égard des Etats-Unis.

 

Q.: Comment allez-vous rencontrer un véritable acteur géopolitique? Si l'on jette un regard réaliste sur la situation, il n'y a plus qu'une alternative : ou bien on fait soi-même de la géopolitique ou bien on fait la géopolitique d'un autre…

 

AvB: La première chose à faire, c'est de s'efforcer de voir clair dans le jeu. Le droit international est aujourd'hui une entrave aux objectifs géopolitiques d'une grande puissance, qui, jusqu'ici, a utilisé comme méthode l'incitation à la révolte ou au terrorisme, via des expédients camouflés, comme le financement par la drogue ou la livraison d'armes à des minorités en état d'insurrection. L'Europe tout entière doit s'opposer à cette façon d'agir. Impossible, face à cette stratégie globale des Etats-Unis, d'imaginer un rôle particulier et isolé de l'Allemagne. Expressis verbis, je rejette cette illusion! Berlin n'est plus aujourd'hui que la capitale d'une province qui traîne des casseroles et marine dans sa naïveté! Quand Londres et Paris joindront leurs efforts aux nôtres pour donner une réponse commune à la politique actuelle des Etats-Unis et pour la traduire en actes, alors nous aurons une chance de sortir du carcan idéologique actuel et de concrétiser une véritable géopolitique.

 

Q.: Je me permets une question critique : pensez-vous que, par votre appel "soft" à devenir une "grande puissance culturelle", vous allez pouvoir mettre en œuvre ce projet? A entendre l'analyse lucide et réaliste que vous nous faites ici, ne pourrait-on pas vous faire le reproche d'avoir peur, anticipativement, de la fournaise terrible qu'induiraient vos idées, si elles trouvaient un début de concrétisation, fournaise qui se ferait d'abord sentir sur le plan de la politique intérieure, avant de s'étendre à la politique extérieure?

 

AvB: Non, car mon objectif n'est pas d'affronter l'Amérique. Je rêve encore et toujours à une solution pacifique. En Amérique, nous pourrions sans crainte démarrer une discussion sur ces sujets, par exemple quant à savoir quelle est la mission de l'Amérique dans le monde; et cette mission a-t-elle été de détruire les mouvements démocratiques et libertaires dans le monde, de liquider leurs chefs charismatiques et de les remplacer par des régimes corrompus? Effectivement, cette politique liberticide a été mise en pratique parce qu'on s'imaginait à Washington —et on craignait—  que les chefs charismatiques du tiers monde allaient tôt ou tard choisir le camp de l'Union Soviétique. C'est par cette peur du danger communiste que l'on justifiait la lutte contre les mouvements de libération nationale et qu'on les décapitait sans hésiter, même avant qu'ils ne se soient installés au pouvoir.

 

Q.: Il y a une hypothèse plus plausible que l'émancipation européenne pour les prochaines décennies : dans cet avenir immédiat, il semble plus évident que nous serons, en Europe, impliqués encore plus profondément dans le système géopolitique des Etats-Unis, et donc dans les guerres qu'il va susciter. La Chine n'est-elle pas le challengeur le plus probable du 21ième siècle?

 

AvB: En 1952, les Américains ont envoyés des combattants au Tibet, afin d'y déclencher des insurrections. Les Chinois ont immédiatement riposté. La brutalité qu'ils déploient dans leur oppression du Tibet est une cause directe de cette immixtion indirecte des Etats-Unis. L'Afghanistan a, pendant longtemps, été une zone tampon entre les sphères d'influence britannique, russe et chinoise. Cette espèce de "no-man's-land" vient d'être occupé par les Etats-Unis. Pour quelle raison? Pas seulement parce que les talibans s'avéraient incapables de protéger les oléoducs d'Unocol qui doivent amener le pétrole aux rives de l'Océan Indien, mais, plus prosaïquement, pour se donner des bases militaires afin de contrôler l'espace asiatique. La Chine risque bien de s'organiser encore davantage et de devenir ainsi le grand challengeur. En Afghanistan, il ne s'agit pas seulement de combattre le terrorisme. Là-bas, le scénario est le même qu'en Arabie, où l'on a utilisé comme prétexte l'invasion irakienne du Koweit, ou que dans les Balkans, où l'on a argué qu'il fallait mettre fin aux guerres de Bosnie et du Kosovo. On prend aujourd'hui le prétexte de la guerre contre le terrorisme pour se tailler des points d'appui en Asie centrale. Les Etats-Unis ne se contenteront d'ailleurs pas de l'Asie centrale, mais installeront leurs soldats partout où cela s'avèrera nécessaire, selon leur optique; ils nous diront tout simplement que là où ils veulent s'installer, il y a quelques combattants d'Al-Qaeda, ou leurs financiers ou leurs hôtes.

 

Q.: Donc la lutte contre le fondamentalisme islamique des talibans et d'Al-Qaeda n'est qu'un pur prétexte pour atteindre enfin une hégémonie complète sur le monde…

 

AvB: Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 n'ont probablement pas été l'œuvre de musulmans.

 

Q.: De qui alors?

 

AvB: Je ne peux pas vous le dire. L'action intentée en justice a pour objectif de prouver l'identité des vrais coupables.

 

Q.: Comment donc en êtes-vous arrivé à cette conclusion?

 

AvB: Si je ne peux pas vérifier la véracité de la théorie sur base de faits, alors je dois recommencer l'enquête dès le début. Or, il y a un fait qui est désormais certain : des dix-neuf pilotes suicides théoriques, on a pu prouver que sept étaient encore en vie. En plus, dans la liste des passagers des quatre avions détournés, qui ont été publiées, nous ne trouvons pas un seul nom arabe. La présentation des faits, telle qu'elle nous est servie aux Etats-Unis et en Europe, est plus que probablement fausse, tout simplement. Ou, pour le dire mieux: elle a été falsifiée. De surcroît, la lutte planétaire contre le terrorisme est un prétexte en or pour mener des actions contre tous les pays qui entravent les projets géopolitiques de l'Amérique. Quelques figures importantes de l'administration de Washington parlent même de soixante Etats récalcitrants, qu'il s'agit désormais de mettre au pas. Ces Etats ont probablement été désignés à cause de leur position stratégique et des ressources que recèle leur sol.

 

Q.: Vous n'allez tout de même pas nous dire que la CIA se cache derrière ces attentats?

 

AvB: Immédiatement après la seconde guerre mondiale, les Britanniques et les Américains ont commencé à développer des procédés permettant de téléguider des avions au départ du sol. Ils sont ainsi parvenus à maîtriser par téléguidage le décollage et l'atterrissage d'aéronefs et, même, les vols en formation. Les professionnels, qui ont organisé l'attentat du 11 septembre 2001, ont probablement fait usage de ces techniques; à des fins de désinformation, ils ont ensuite diffusé des listes d'auteurs présumés pour faire croire à une piste islamiste. Je ne peux émettre aucun jugement sur les affirmations en ce sens que formule l'ingénieur aéronautique britannique qui a évoqué cette possibilité. Mais il y a une chose que je constate bel et bien, c'est que certains indices n'ont pas été retenus, n'ont pas été évoqués dans les médias. L'administration américaine a donc pu donner l'ordre de marche à ses soldats, en invoquant la conspiration de Ben Laden. Certains silences persistants confirment mon scepticisme.

 

Q.: Mais Ben Laden a déclaré clairement la guerre aux Etats-Unis. Ce fait ne permet-il pas de dire que la piste Ben Laden est effectivement la plus plausible?

 

AvB: On a souvent l'impression que les services secrets américains se détestent plus entre eux qu'ils ne haïssent l'ennemi de leur pays. En plus, on peut dire que le Mossad israélien a intérêt à démontrer à l'Occident qu'il est autant concerné qu'Israël par la menace islamiste. En tout cas, on peut dire des attentats du 11 septembre 2001 qu'ils ont été organisés par des professionnels de très haut niveau. L'organisation de telles actions ne peut donc pas avoir été mise au point au départ d'une grotte perdue dans les montagnes afghanes. Une telle hypothèse est à exclure. Pour ce qui concerne directement Ben Laden, je puis dire qu'il m'apparaît comme une pure fabrication des services américains. Sans les opérations couvertes de la CIA en Afghanistan afin d'en déloger les Soviétiques et de combattre leurs troupes, nous n'aurions pas vu arriver en Afghanistan 30.000 combattants islamiques, venus de tous les pays musulmans, pour servir de mercenaires, nous n'aurions pas vu naître l'association des anciens combattants islamistes d'Afghanistan (les "Afghanis"), qui s'appelle… Al-Qaeda. De même, les talibans n'auraient jamais été les maîtres à Kaboul. Ce sont les fonds fournis par les Américains et les Saoudiens, sans compter la tolérance de tous les services policiers et judiciaires à l'endroit du trafic des drogues aux Etats-Unis et en Europe, qui ont permis au fondamentalisme islamiste de prospérer dans le monde musulman. Conclusion: ce sont les services secrets occidentaux, y compris le Mossad, qui nous ont fabriqué le fondamentalisme islamiste.

 

(propos recueillis par Moritz Schwarz et publiés dans Junge Freiheit, n°7/2002 - http://www.jungefreiheit.de ). 

dimanche, 29 juillet 2007

De l'Europe à l'Eurasie militaire

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De l'Europe à l'Eurasie militaire

par Robert STEUCKERS

A la demande de Reinhard Staveaux, prématurément décédé voici quelques années, et de Karim Van Overmeire (député de Flandre orientale), j'ai prononcé l'allocution suivante dans un débat contradictoire en février 1994, lors de la “Fête” du parti flamand. Mon honorable con­tradicteur, lors de cette table ronde, était l'écrivain flamand Mark Joris, qui a sur­tout mis l'accent sur le “danger islamique” et a rapellé les doctrines militaires suc­cessives de l'Alliance atlantique. J'ai ajouté au texte initial quelques éléments nou­veaux, dictés par l'actualité.

Depuis l'effondrement de l'URSS, la situation militaire de l'Europe est devenue extrêmement compliquée. La disparition de l'«ennemi» crée un flou artistique, si bien que le commun des citoyens n'y voit plus clair.

D'une part, nous avons les institutions européennes (la CEE, l'AELE/EFTA  —ou ce qu'il en reste—  le Groupe de Visegrad avec la Pologne, la Hongrie et la République tchèque), qui n'ont aucune compétence militaire; ensuite, nous avons le vaste en­semble que constitue la CSCE, qui regroupe certes tous les pays européens et toutes les républiques de l'ex-URSS mais aussi le Canada et les Etats-Unis, qui appartiennent à un autre hémisphère, au nouveau monde, selon la planisphère établie jadis par Mercator. Cette projection ne nous permet pas d'apercevoir l'importance cruciale de la zone arctique, où Canadiens, Américains et Russes sont mitoyens, ce qui pourrait nous amener, un jour, à parler d'un hémisphère nord, plutôt que d'une juxtaposition d'un «vieux» et d'un «nouveau» monde, d'un hémisphère occidental américain et d'un hémisphère oriental eura­sien.

Enfin, nous avons l'UEO, qui a en théorie des compétences militaires, mais où le poids de la France et de la Grande-Bretagne est très nettement marqué, au détriment peut-être des autres puissances européennes. Dans cet imbroglio institutionnel, force est de constater que l'OTAN est la seule structure qui a fonctionné au cours des décennies qui viennent de s'écouler. Mais, sans rideau de fer, cette institution militaire (et civile, on l'oublie trop souvent) doit se donner des objectifs nouveaux, pour ne pas demeurer en porte-à-faux par rapport à la nouvelle donne stratégique.

Nos souhaits se portent vers une rédéfinition globale de la CSCE et de l'UEO: les territoires européens et ex-soviétiques de la CSCE devraient représenter le nouvel espace stratégique, le nouveau sanctuaire, où aucune puissance extérieure ne devrait intervenir. L'intérêt de l'UEO dans cette optique, c'est qu'elle est exclusivement européenne, n'implique ni les Etats-Unis ni une autre puissance de l'«hémisphère occidental», et qu'elle s'est donné un instrument militaire, l'Eurocorps, qui considère l'Allemagne comme un partenaire à part entière. Cependant l'Eurocorps ne peut nullement demeurer l'affaire du tandem franco-allemand: l'adjonction récente de troupes espagnoles et belges lui confère une dimension plus européenne; les manœuvres germano-polono-tchèques préparent, avec des unités allemandes qui ne sont ni inféodées à l'OTAN ni à l'Eurocorps, un élargissement centre-européen de la défense du continent sans ingérence américaine. Effectivement, il nous semble bon de prévoir l'inclusion de troupes est-européennes dans une structure militaire hors OTAN, où il n'y a pas de pré­sence américaine. Ce processus pourrait s'amorcer dès que les pays de l'ex-COMECON trouveront la stabilité.

En effet, l'Eurocorps ou tout embryon d'armée européenne, ne peut être réservé aux seules puissances de l'Ouest, aux pays fondateurs de la CEE. Militairement et stratégiquement, nous concevons l'Europe comme un bloc indivisible, dont l'Ouest n'est qu'une partie, une frange atlantique.

Certes, la marche vers cet idéal d'unité sera longue. Les événements dans l'ex-Yougoslavie ont prouvé l'incapacité des Européens à agir de leur propre chef, sur leur propre territoire. Dans le conflit sud-slave, diplomates et militaires européens devraient s'abstenir de toute phobie: ni croatophobie, ni serbophobie, ni islamophobie en Bosnie (à ce propos, je rappelle que hier le délégué croate, qui est aussi le Président de l'association Flandre-Croatie, a réfuté l'islamophobie anti-bosniaque). L'attitude froide et mesurée que devraient prendre les décideurs européens, extérieurs à ce conflit, doit conduire à réfléchir sur la notion de “frontière juste et claire”. Tous les peuples de l'ancienne fédération yougoslave doivent avoir accès à l'Adriatique (les Serbes l'ont via le Montenegro dans la nouvelle fédération yougoslave; les Bosniaques doivent l'obtenir en Dalmatie mé­ridionale); de même, à l'intérieur des terres, les peuples doivent avoir accès aux grandes rivières (Save, Danube) pour autant que le cours de ces fleuves ait eu une importance à un moment de leur histoire. C'est sur ces réalités concrètes que doivent s'axer les négociations et non sur des découpages artificiels, tracés dans des états-majors étrangers, dans des cabinets, où règne la méconnaissance du terrain. Le découpage farfelu de Lord Owen a conduit à la tragédie bosniaque plus que la férocité des combattants!

En ex-Yougoslavie, une Europe adulte ne pourrait tolérer l'immixtion globale de l'ONU; sans doute, pourrait-elle tolérer que les intervenants supranationaux soient à la fois membres de l'ONU et de la CSCE (hémisphère oriental uniquement!), prépa­rant du même coup une «continentalisation» au sein de la structure planétaire, «continentalisation» qui impliquerait automati­quement des «interdictions d'intervention pour les puissances extérieures à un espace donné» (donc pas de casques bleus eu­ropéens en Amérique ou dans les Caraïbes ou en Extrême-Orient, de la même façon qu'au Rwanda, il ne devrait y avoir que des soldats onusiens issus d'Afrique noire). Il nous apparaît aberrant de voir des soldats pakistanais, kenyans ou nigérians monter la garde à Sarajevo, à Vukovar ou à Mostar.

Dernière remarque concernant la catastrophe sud-slave: l'idéologie de la paix absolue, l'irénisme idéologique, sont mauvais conseillers; la guerre en ce monde est trop souvent inévitable. L'objectif ne doit donc pas être de la supprimer  —ce qui serait impossible—  mais de la limiter dans certaines proportions. La présence de troupes onusiennes empêchent une solution mili­taire du conflit, où les protagonistes directement concernés mettraient, eux-mêmes, de leurs propres forces, un point final (provisoire) à la guerre. Le hasard des combats décide du destin, en bonne logique traditionnelle. L'ONU pérennise le conflit en voulant le supprimer.

Dans un concert européen, les nouveaux Etats doivent être des Etats fédéraux, prévoyant la protection des minorités, sur le modèle des cantons de l'Est en Belgique et des minorités danoises et sorabes en Allemagne. Ce respect des minorités im­plique un gouvernement tenant compte de toutes les formes de subsidiarité. Les voies de communication doivent être respec­tées au bénéfice de tous. Les coopérations interrégionales, dont Alpe-Adria est l'exemple le plus probant, sont une solution d'avenir, qui contribue à surmonter les divisions bétonnées par les Etats nationaux pour créer des fora européens adaptés à l'immense diversité de notre continent, mais dans le respect des identités locales, économiques et humaines.

Nous sommes donc en faveur d'un système de défense purement européen, capable d'intégrer les pays occidentaux de l'OTAN, les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, les neutres et, peut-être dans un pilier autonome, les forces des nouveaux Etats issus de l'ex-URSS. Entre le pilier occidental et le pilier oriental, soit entre l'Europe de l'Atlantique au Boug et la Russie du Boug au Pacifique, un accord pourrait être signé pour maintenir la présence russe en Asie centrale et pour contenir toute avan­cée chinoise en direction de la Sibérie voire du Turkestan (Européens et Russes n'ont pas intérêt d'ailleurs à ce que la Chine mette la main définitivement sur le Sinkiang et sur le Tibet; de concert, nous devons réclamer la protection des minorités dans ces deux régions contrôlées par la Chine, à la suite de l'essouflement russe et européen consécutif à la seconde guerre mon­diale).

Quant à l'Eurocorps, nous souhaitons que son fonctionnement soit plurilingue comme celui de l'OTAN, quitte à trouver une koiné. Ensuite, nous souhaitons que la France mette fin à l'ambigüité qu'elle entretient: se placera-t-elle avec l'Eurocorps en dehors de la structure intégrée de l'OTAN ou retournera-t-elle avec l'Eurocorps dans la cette structure intégrée? Cette valse-hésitation ne permet pas de clarifier le problème.

Les Etats-Unis craignent de voir se constituer une Europe totalement indépendante du point de vue militaire; déjà, les velléités de construire un pôle européen autour de l'UEO, avant même qu'on ne parle d'Eurocorps, avaient suscité le désaccord de Washington. Mais à l'heure où les Etats-Unis veulent se donner un nouveau destin américain en formant l'ALENA (NAFTA), comment pourraient-ils contester aux Européens le droit de conjuguer leurs efforts au niveau de leur propre continent? Aux Etats-Unis, trois écoles s'affrontent: les isolationnistes, qui veulent se dégager des affaires européennes (ce que nous souhai­tons); les internationalistes qui se subdivisent en deux groupes: les unilatéralistes et les multilatéralistes. Avec les unilatéra­listes, pas de discussion possible. C'était l'option de Bush: le monde entier devait s'aligner derrière les positions américaines sans discuter. Dans cette optique, l'Eurocorps devrait être entièrement intégré dans l'OTAN, contrôlé par Washington. C'est la logique de la guerre froide, qui ne nous semble plus de mise. Les multilatéralistes veulent un partage des tâches et des res­ponsabilités: avec eux la discussion est possible, surtout si l'on tient compte du facteur arctique, que nous oublions trop sou­vent tant nous sommes accoutumés aux projections de Mercator.

Dans l'immédiat, la position minimaliste, la première petite pierre à poser dans les circonstances actuelles, reflets de notre misère politique, c'est d'exiger que l'Eurocorps, même s'il doit rester provisoirement dans l'OTAN, fasse respecter scrupu­leusement la souveraineté des Etats européens face à la centrale américaine. Du respect de cette souveraineté, on pourra ai­sément passer à l'élaboration d'un pilier européen plus étoffé que l'UEO, dans lequel l'Eurocorps serait le bras armé et où se­raient progressivement incluses les armées des neutres (Suède, Finlande, Autriche, Slovénie) et des pays du Groupe de Visegrad. Des manœuvres communes auraient lieu, à une étape ultérieure, avec les armées des pays de la CEI, Russes compris. Autre objectif: développer une logistique grande-continentale pour venir éventuellement en aide aux fronts centre-asiatique et extrême-oriental. Progressivement, la CSCE, pilier oriental, se doterait d'une armature militaire cohérente.

Robert STEUCKERS, février 1994.

 

mardi, 24 juillet 2007

Stratégie de Washington au Vénézuela

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Cris CARLSON :

La nouvelle stratégie impériale de Washington au Venezuela ou Comment on fomente des troubles à Caracas

Un correspondant nous adresse un texte émanant d’un journaliste indépendant vivant au Venezuela, Cris Carlson. Particulièrement sensible aux questions relatives à la mondialisation et à son économie dévorante, ce dernier démonte les mécanismes de la globalisation tels que les Américains les pratiquent pour étendre leur influence et leur contrôle sur le monde.

Cette enquête, émaillée de notes renvoyant à des ouvrages ou à des articles de presse américaine, anglaise et vénézuélienne, est à rapprocher de deux articles parus dans « Le Monde » des 19 et 20 juin 2007 bien que la presse française dans son ensemble soit plutôt muette sur le sujet. Le premier a pour titre « Les projets en Iran de la compagnie gazière autrichienne OMV provoquent la colère de Washington » – le titre, à lui seul, est suffisamment explicite – et, dans le second, « La lutte contre l’insécurité grandissante est devenue la priorité des Vénézuéliens », on retrouve, avec certains faits cités à mots couverts, quelques-unes des observations de Cris Carlson.
Nous sommes en Amérique du Sud ; cet article est donc teinté de tiers-mondisme. On remarquera toutefois que les méthodes appliquées pour instaurer le mondialisme sont universelles.
Polémia

La nouvelle stratégie impériale de Washington au Venezuela
ou Comment on fomente des troubles à Caracas

Utilisée pour la première fois en Serbie en 2000, Washington a maintenant mis au point une nouvelle stratégie impériale pour maintenir sa suprématie dans le monde. Alors que les invasions militaires et l’installation de dictatures ont été traditionnellement les moyens employés pour dominer des populations étrangères et les maintenir à l'écart de la marche des affaires, le gouvernement des Etats-Unis a désormais développé une nouvelle stratégie qui n'est pas aussi compliquée ni brutale mais beaucoup plus douce; tellement douce, en fait, qu’elle est presque invisible.

Elle a été si peu visible en Serbie, en 2000, que personne n’a semblé se rendre compte, au moment du renversement du régime, que le pays s’ouvrait à une privatisation massive et au transfert, aux mains des Etats-Unis et des multinationales, des énormes industries, des sociétés et des ressources naturelles appartenant au secteur public. De la même manière, peu de gens ont remarqué que des pays de l'ancien bloc soviétique avaient été, il y a peu, les victimes de la même stratégie, avec exactement les mêmes résultats.

Les nations qui ne cèdent pas aux exigences de l'empire et à l'expansion du capitalisme mondial font l’objet d’un plan secret et bien conçu destiné à changer la situation politique de leur pays et à ouvrir leurs portes aux investisseurs. Avec le soutien des Etats-Unis des groupes, à l’intérieur de ces pays, renversent le président en donnant l’impression qu’il n’y a aucune intervention venant de l’extérieur. Et aujourd’hui, Washington se tourne vers une nouvelle menace, la plus grande : l'Amérique latine, et plus particulièrement le Venezuela.

La montée du Nouvel Ordre mondial

Au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, les capitalistes américains ont pris conscience que les perspectives nationales d’investissement et de croissance arrivaient à saturation. Les volumes d’affaires atteignaient un niveau où les possibilités d’expansion, à l’intérieur des frontières du pays, étaient pratiquement épuisées et la seule possibilité de croissance était de rechercher à l'étranger de nouvelles perspectives d’avenir. Des groupes d’entreprises en voie d’expansion cherchaient à développer leurs opérations partout dans le monde, en investissant, en privatisant et en achetant tout ce qui leur tombait sous la main. Le capital national se tournait vers l’international et à la fin du siècle le capitalisme était vraiment devenu mondial.

« Grossir ou se faire manger » : telle était leur nouvelle philosophie, et ils décidèrent de grossir en avalant des nations entières. Avec l'aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, partout des économies étaient ouvertes à la privatisation. Les systèmes de télécommunication, les réseaux électriques, la distribution de l'eau et les ressources naturelles étaient rachetés par de riches capitalistes partout dans le monde. Le capitalisme du libre-échange régnait alors en maître : un paradis pour le capital international puisque la richesse du monde était de plus en plus concentrée dans leurs mains (1).

Quelques nations, cependant, étaient bien résolues à ne pas se laisser manger. La privatisation était un concept impopulaire parmi des populations qui avaient développé la folle idée que leurs ressources naturelles leur appartenaient, à elles et non pas à des sociétés étrangères. Une résistance s'est installée dans plusieurs régions du monde, et un certain nombre de nations n’ont pas voulu se plier à la logique du capitalisme mondial. Mais Washington était décidé à ouvrir le monde au développement de ses entreprises. Il obligerait ces pays qui n’obtempéraient pas, soit par la force soit  par la ruse.

Le cas de la Yougoslavie : un modèle pour le changement de régime

Ce fut en Yougoslavie, et plus particulièrement en Serbie, que la nouvelle stratégie de Washington allait vraiment prendre forme pour la première fois. De là, cette stratégie allait être exportée à d’autres pays afin d'essayer de renouveler l’énorme succès de l'expérience serbe. Et il n'est pas difficile de voir pourquoi. Après que le renversement du régime Milosevic eut permis une privatisation en masse, tout ce qui restait de l’ancien pays socialiste, y compris certaines des plus grandes réserves européennes de ressources naturelles, tomba bientôt dans les mains des Etats-Unis et des investisseurs internationaux.

La stratégie est une stratégie très élaborée. Dans le dessein d'évincer un régime indésirable, le gouvernement des Etats-Unis se consacre au renforcement et à l’union de l'opposition à son gouvernement. Ceci comprend le financement des partis politiques d'opposition et la création d’organisations non gouvernementales visant à renverser le régime au pouvoir. Par-dessus le marché, les Etats-Unis peuvent engager par contrat des conseillers politiques et des instituts de sondage pour aider leur candidat favori à gagner l’élection. Mais au cas où ils ne peuvent pas gagner l’élection, de faux sondages jettent le doute sur les résutats électoraux officiels et l'opposition crie à la fraude. Des manifestations en masse et la quasi-totalité des médias mettent la pression sur le régime pour qu’il se retire et cède aux exigences de l’opposition (2).

Aussi peu vraisemblable que cela puisse paraître, c’est exactement cette stratégie qui fut utilisée pour renverser Slobodan Milosevic en Serbie, en 2000. Après que la guerre du Kossovo et les bombardements de l’OTAN eurent échoué à provoquer le changement de régime, les Etats-Unis travaillèrent à renforcer les adversaires internes de Milosevic en les unissant derrière un candidat, Vojislav Kostunica, et en alimentant sa campagne électorale avec près de 40 millions de dollars (3). Des ONG et des conseillers électoraux financés par les Etats-Unis réussirent à lancer une campagne de propagande autour des élections et travaillèrent en coulisses à l’organisation d’une résistance massive au régime de Milosevic (4). Le jour du vote, des « aides aux électeurs » formés par les Etats-Unis étaient déployés dans tout le pays pour suivre de près les résultats. Les Etats-Unis avaient même fourni à de jeunes activistes des milliers de bombes de peinture et d’autocollants pour couvrir le pays de slogans anti-Milosevic (5).

Selon les résultats officiels du premier tour des élections, aucun candidat n'avait obtenu la majorité des voix, et il devait donc y avoir un deuxième tour. Mais les conseillers américains publièrent leurs propres « sondages à la sortie des bureaux de vote » qui donnaient Kostunica largement en tête et que Milosevic refusa de reconnaître (6). L'opposition cria à la fraude et des groupes soutenus par les Etats-Unis organisèrent des actions de résistance non violente pour faire pression sur le gouvernement. Des groupes armés envahirent l'Assemblée fédérale et le siège de la télévision d'Etat (7). Des manifestations et une rébellion massive obligèrent Milosevic à se retirer. Il ne devait pas y avoir de deuxième tour et le candidat de Washington, Vojislav Kostunica, prit le pouvoir. La stratégie avait fait son œuvre.

Mais pourquoi les Etats-Unis avaient-ils pris la Serbie pour cible et, plus particulièrement, la petite province du Kossovo ? La réponse remonte à l'administration Reagan et à un document secret de 1984 sur « La politique américaine à l’égard de la Yougoslavie ». Une version censurée fut révélée en 1990 qui préconisait « le déploiement d’efforts pour encourager une “révolution pacifique” visant à renverser le gouvernement communiste et les partis » (8).

Pendant des années le gouvernement des Etats-Unis a travaillé au démantèlement et au morcellement de la Yougoslavie socialiste, soutenant tous les mouvements d’indépendance, quels qu’ils fussent, à l’intérieur des différentes provinces, y compris l’intervention militaire de 1999 au Kossovo pour favoriser la séparation de cette province. Ce qui avait été, par le passé, un relatif succès économique sous le célèbre Josip Tito et son économie socialiste fondée sur la propriété collective et l’autogestion des entreprises, ne permettait pas les investissements étrangers ni le capital américain. C'était un péché mortel vis-à-vis du capitalisme mondial moderne. Comme l'écrit Michael Parenti :

« La Yougoslavie était le seul pays d’Europe de l'Est qui ne voulait pas démanteler son économie collectiviste d'état-providence. Elle était la seule à ne pas avoir sollicité son entrée à l'OTAN. Elle poursuivait – et c’est encore le cas pour ce qui en reste – une route indépendante, non conforme au Nouvel Ordre mondial (9). »

Morceler le pays en petits Etats dépendants et détruire leur économie collectiviste étaient l’objectif final, et Milosevic, un admirateur du socialiste Tito, était leur seul obstacle.

Leur travail fut considérablement récompensé. Une fois Milosevic disparu, une des premières mesures prises par le nouveau gouvernement fut d’abroger la loi de 1997 sur la privatisation et de permettre aux investisseurs étrangers d’acquérir 70% du capital d’une entreprise (10). En 2004, la mission de l'ONU au Kossovo annonça la privatisation de 500 entreprises, et ce furent les sociétés américaines qui se révélèrent les grandes gagnantes. Phillip Morris acheta une manufacture de tabac pour 580 millions de dollars, U.S. Steel traita une affaire de 250 millions de dollars avec un producteur d’acier, Coca-Cola s’empara d’un fabriquant d’eau en bouteilles pour 21 millions de dollars, et ainsi de suite (11).

De surcroît, les investisseurs occidentaux avaient désormais accès à ce que le « New York Times » appela le « prix fabuleux de la guerre », les deuxièmes plus grands gisements de charbon d’Europe et les énormes réserves de plomb, de zinc, d’or, d’argent et même de pétrole (12). Et la perle des perles se situait dans la province du Kossovo : l’énorme complexe minier de Trepca, évalué à plus de 5 milliards de dollars, ouvert aujourd’hui au plus offrant (13).

Le succès de la stratégie en Serbie servit merveilleusement de leçon aux décideurs politiques de Washington. Ils allaient la répéter à plusieurs reprises dans l'ensemble de l'Europe de l'Est, dans des régions comme la Géorgie (en 2003), l’Ukraine (en 2004), le Kyrgyzstan (en 2005) et la Biélorussie (sans succès en 2001). Au cours de ce qu’on a appelé les « Révolutions de couleur », chaque mouvement, aidé par les Etats-Unis, allait remplacer un régime par un autre plus favorable aux politiques de libre-échange promues par Washington (14). La stratégie préférée pour obtenir un changement de régime devint cette nouvelle sorte de résistance non violente, et maintenant l'empire dirige son regard sur l'Amérique du Sud, où une nouvelle menace pour le capitalisme mondial est soudainement apparue.

Le problème du Venezuela

Si, pour la Serbie, la mine de Trepca au Kossovo était le gros lot de l'intervention dans ce pays, au Venezuela c'est la compagnie pétrolière d'Etat, PDVSA. Le Venezuela possède certaines des plus grandes réserves de pétrole du monde, peut-être devant l'Arabie Saoudite si l’on tient compte de tous les gisements de brut. Et c'est PDVSA qui domine au Venezuela, avec un total monopole sur les ressources pétrolières de la nation. Avec une capacité de production de 4 milliards de barils par jour et un revenu annuel 65 milliards de dollars, la compagnie possède également un réseau de plus de 15.000 stations-services aux Etats-Unis ainsi que plusieurs raffineries, à la fois aux Etats-Unis et en Europe, la plaçant à la deuxième place des plus grandes compagnies de toute l'Amérique latine (15).

On peut être sûr que les investisseurs en entreprises aimeraient mettre la main sur PDVSA, comme sur d’autres sociétés du secteur public du Venezuela. En fait, c’est ce qu’ils ont fait tout au long des années 1990. En 1998, les sociétés multinationales avaient déjà raflé la compagnie nationale du téléphone, la plus grande compagnie de l'électricité, et l’opération sur PDVSA traversait ce qu’ils appelaient une période d’ « ouverture » au capital international ; une façon plus élégante d’appeler la privatisation (16).

Mais cette même année, Hugo Chavez fut élu président sur une plateforme anti-impérialiste, et la vente aux enchères du Venezuela cessa brusquement. En fait, Hugo Chavez est devenu un vrai problème pour les impérialistes industriels et leurs domestiques à Washington. Non seulement il a mis fin aux privatisations mais il fait actuellement marche arrière en re-nationalisant tout ce qui a, par le passé, été privatisé. La privatisation de la compagnie pétrolière d'Etat est désormais interdite par la loi, et son gouvernement a pris son entier contrôle, en l’utilisant pour financer le développement du pays.

Mais ce qui inquiète encore plus Washington et ses promoteurs économiques c’est de voir que cette tendance se propage à travers l'Amérique latine. Le gouvernement Chavez a tissé des liens étroits avec beaucoup de ses voisins, et beaucoup marchent dans ses pas. Des pays comme la Bolivie et l'Equateur reprennent le contrôle de leurs énormes réserves de gaz et de pétrole, laissant moins d’emprise aux grosses sociétés qui espéraient les posséder un jour.

Et par conséquent, exactement comme ils l’ont fait en Serbie, en Géorgie, en Ukraine et ailleurs, Washington a déployé ses forces au Venezuela avec l'intention de se débarrasser de la menace Chavez. Après avoir tenté différentes actions au cours des années, y compris un coup d’Etat qui a fait long feu, une manipulation électorale et des manifestations de masse, Washington n'a pas été capable de renverser le chef populaire. Mais ils n'ont pas abandonné pour autant. Au contraire, ils continuent précisément à augmenter leur niveau d’implication.

Répétition de l'expérience de l'Europe de l'Est au Venezuela

La nouvelle stratégie impériale comprend ce que l’on appelle « les coins américains ». Ces « coins » sont de petits bureaux, mis en place par Washington  à travers le pays cible, qui servent pratiquement de mini-ambassades. On ne sait pas très bien ce que font exactement ces « coins », mais on y trouve tout un choix de renseignements sur les Etats-Unis, y compris des offres d'études à l'étranger, des cours d’anglais et de la propagande pro-américaine. En plus de tout cela, les mini-ambassades organisent également des événements, des formations et des cours pour jeunes étudiants.

Curieusement, ces « coins » semblent se trouver en très grand nombre dans les pays que Washington cherche à déstabiliser. Les anciens pays yougoslaves ont un total de 22 « coins américains », dont 7 en Serbie. L'Ukraine en a 24, la Biélorussie 11, la Russie 30, l’Irak, même, 11. La concentration de loin la plus élevée des « coins » est en Europe de l'Est, sur laquelle Washington dirige ses tentatives de déstabilisation depuis quelques années (17).

Il existe au moins quatre « coins américains » au Venezuela, implantation la plus importante de tous les pays latino-américains, et les Etats-Unis financent aussi littéralement des centaines d'organismes dans tout le pays pour un montant de plus de 5 millions de dollars par an (18). Ces organisations financées par les Etats-Unis travaillent de concert pour transplanter l'expérience de l’Europe de l’Est au Venezuela. Comme le rapporte Reuters, l’opposition vénézuélienne est déjà en train d’apprendre les tactiques serbes de renversement de régime de la bouche d’un colonel de l’armée américaine en retraite, nommé Robert Helvey :

« Helvey, qui a enseigné à de jeunes activistes au Myanmar [en Birmanie] et à des étudiants serbes qui ont participé à la destitution de l'ancien dirigeant yougoslave Slobodan Milosevic en 2000, donne, cette semaine, des cours de tactique d'opposition non violente à une université à l’est de Caracas », dit l’article. « Ni Helvey ni les organisateurs du séminaire de Caracas n’ont voulu donner de précisions sur les tactiques d'opposition  enseignées. Mais, dans sa mission en Serbie avant la chute de Milosevic, Helvey fournissait des instructions aux étudiants sur les façons d'organiser une grève et sur la manière de miner l'autorité d'un régime dictatorial », rapportait Reuters (19).

Et plus récemment, dans la ville universitaire de Mérida, un professeur d'histoire du Texas, Neil Foley, a animé une manifestation organisée par l'ambassade des Etats-Unis et le Centre vénézuélo-américain (Cevam), qui n’est pas officiellement un « coin américain » mais qui vise le même objectif. Foley, qui s’est exprimé dans divers « coins américains » de Serbie, a donné des conférences en Bolivie et au Venezuela sur « les valeurs américaines » (20).

J’ai assisté à l’une des conférences de Foley et, comme prévu, c’était une véritable campagne de propagande pro-américaine infligée aux étudiants de l’université. Le professeur a donné très exactement le message pour lequel il avait été payé par l’ambassade des Etats-Unis, en vantant les mérites de la société américaine et de « la démocratie américaine ». Selon Foley, les Etats-Unis résolvent tous leurs problèmes par la tolérance envers les autres et un « dialogue » sans exclusive avec leurs opposants. Et par un clair appel du pied en direction de ces étudiants vénézuéliens, Foley laissait entendre que tout gouvernement qui ne respectait pas ces critères « devait être renversé » (21)

Tous ces efforts convergent dans une campagne à l’échelle nationale visant à unir, renforcer et mobiliser l'opposition au gouvernement démocratiquement élu de Chavez. L’objectif final, naturellement, est de déstabiliser le gouvernement, en organisant et en dirigeant des groupes d'opposition qui devront commettre des actes de résistance pacifique et des manifestations de masse. Comme cela a été fait en 2002, quand les groupes vénézuéliens d'opposition ont organisé des manifestations massives qui ont tourné à la violence et finalement conduit au renversement provisoire du gouvernement Chavez, la campagne financée par les Etats-Unis cherche à déstabiliser le gouvernement, de n’importe quelle façon, pouvant aller jusqu’à provoquer la violence dont ils rejetteront plus tard la responsabilité sur le gouvernement (22).

A présent presque tous les éléments de la stratégie utilisée en Serbie et dans d’autres pays de l'Est ont été mis en œuvre au Venezuela au moment où Washington dirige et contrôle la campagne de l'opposition vénézuélienne. Les mêmes « conseillers électoraux » employés pour la Serbie, l’entreprise Penn, Schoen et Berland basée à Washington, ont été également utilisés au Venezuela pour publier de faux sondages effectués à la sortie des bureaux de vote dans le dessein de faire planer le doute sur les élections vénézuéliennes. Cette stratégie de manipulation électorale a été employée à l’occasion du référendum de rappel de 2004 où l’ONG Sumate, financée par les Etats-Unis, et la firme Penn, Schoen et Berland ont diffusé de faux sondages à la sortie des bureaux de vote annonçant que Chavez avait perdu le référendum. Ils refirent la même chose avant les élections de 2006, en prétendant que l’adversaire de Chavez « avait nettement le vent en poupe » (23). Aussi bien en 2004 qu’en 2006, les faux sondages donnaient raison aux allégations de fraude avancées par l'opposition avec l'espoir de provoquer des manifestations de masse contre le gouvernement. La stratégie a en grande partie échoué mais elle a jeté un doute sur la légitimité du gouvernement de Chavez et a affaibli son image sur le plan international.

Les tentatives de déstabilisation prennent forme de manière concrète dans les semaines qui viennent avec les énormes manifestations antigouvernementales de Caracas contre l’action entreprise par le gouvernement à l’encontre de la chaîne de télévision privée RCTV. Des groupes d'opposition se sont mis en place autour de cette décision du gouvernement, proclamant qu’elle piétinait la « liberté d'expression », et ils ont organisé une série de grandes manifestations dans la capitale aboutissant à un défilé massif le 27 mai, jour où expire le permis d'émission de RCTV.

Tous les médias privés ont joué leur rôle en annonçant et en invitant les téléspectateurs à participer au défilé pour manifester contre le gouvernement. Tout le monde s’attend à ce qu’il y ait une énorme participation à la fois de la part des partisans du gouvernement et de la part de ses opposants, et le gouvernement a déjà prévenu qu’il pourrait y avoir au cours de ce défilé des violences dont on tentera de rejeter la responsabilité sur lui pour déstabiliser le régime. Ces derniers jours, les services de renseignements du gouvernement ont découvert, chez les opposants, 5 fusils destinés à des tireurs isolés ainsi que 144 cocktails Molotov, qui semblent bien prouver que la violence est au menu (24) (25).

C'est exactement ce genre de manifestation qui, en 2002, a entraîné des dizaines de morts, des centaines de blessés et le renversement provisoire du gouvernement Chavez. Les chaînes de télévision privées comme RCTV ont manipulé les reportages filmés pour attribuer la responsabilité des morts aux défenseurs de Chavez, et condamné le gouvernement pour ses atteintes aux droits de l'homme. Aussi, cette fois, les fonctionnaires du gouvernement ont-ils demandé aux activistes pro-gouvernmentaux de surveiller les manifestations de l’opposition avec photos et vidéos les 27 et 28 mai afin d'éviter une situation semblable à celle du coup d’Etat de 2002.

S'il n'y avait eu les énormes manifestations pro-gouvernementales après que Chavez eut été renversé en 2002, la stratégie de Washington se serait peut-être déjà débarrassée de ce président populaire. Mais la stratégie a échoué, et par conséquent l'empire poursuit ses tentatives. Comme cela s’est passé en Ukraine, en Serbie, en Géorgie et ailleurs, la stratégie exige de faire descendre dans la rue un grand nombre de personnes pour manifester contre le gouvernement. Indifférents au fait que le gouvernement dispose ou non d’une popularité, qu’il soit élu démocratiquement ou non, les groupes d’opposition tentent d’imposer leur volonté au gouvernement en mettant la pression.

Ce que la plupart des manifestants ne savent probablement pas, c’est qu'ils sont simplement les pions d’une plus grande stratégie qui a pour objectif de déboucher sur un capitalisme mondialiste de « libre-échange » et des privatisations dominées par les grosses entreprises. Tandis que d’énormes sociétés multinationales se partagent le monde, de petites nations comme la Serbie et le Venezuela sont simplement des obstacles malencontreux à la réalisation de leurs objectifs. Dans la ruée mondiale pour voir qui grossira et qui se fera manger, le fait que des pays préféreraient ne pas être mangés n’a tout simplement pas d’importance pour les bureaucrates de Washington.
 
Cris Carlson, journaliste indépendant habitant au Venezuela.
Voir son blog personnel à :
www.gringoinvenezuela.com
13 mai 2007
Venezuelanalysis.com

______________

Notes :

1.    Pour en savoir plus sur la façon dont la Banque mondiale et le FMI forcent la privatisation sur les pays pauvres :
      
http://www.thirdworldtraveler.com/IMF_WB/IMF_WB.html...
2.    Quatre articles de Michael Barker expliquent plus amplement cette stratégie.
      
http://www.zmag.org/content/showarticle.cfm?ItemID=10987...
3.    Michael A. Cohen et Maria Figueroa Küpçü, « Privatizing Foreign Policy », « World Policy Journal », Volume XXII, n° 3, automne 2005 :
       http://worldpolicy.org/journal/articles/wpj05-3/cohen.html
4.    Chulia, Sreeram : « Démocratisation, révolutions de couleur et le rôle des ONG : Catalyseurs ou saboteurs ? »:
      
http://www.globalresearch.ca/index.php?context=viewArticl...
5.    Michael Dobbs, « Les conseillers politiques américains ont aidé l'opposition yougoslave à renverser Milosevic », « The Washington Post », 11/12/00 : http://www.washingtonpost.com/ac2/wp-dyn?pagename=article...
6.    Ian Traynor explique comment l’opposition a utilisé les sondages à la sortie des bureaux de vote pour renverser les régimes en Europe orientale, « The Guardian », 26/11/04 :http://www.guardian.co.uk/ukraine/story/0,15569,1360236,0...
7.    Chris Marsden, « Comment l’Ouest organisa la chute de Milosevic » : http://www.wsws.org/articles/2000/oct2000/yugo-o13_prn.sh...
8.    Finley, Brooke : « Remembering Yugoslavia: Managed News and Weapons of Mass Destruction », extrait du livre « Censored 2005 », Seven Stories Press, 2004.
9.    Michael Parenti, « The Media and Their Atrocities, You Are Being Lied To », p. 53, The Disinformation Company Ltd., 2001.
10.  Neil Clark, « The Spoils of Another War/NATO’s Kosovo Privatizations », Znet, 21/09/04 :
http://www.zmag.org/content/showarticle.cfm?ItemID=6275...
11.  Elise Hugus, « Eight Years After NATO’s “Humanitarian War”/Serbia’s New “Third Way” », « Z Magazine », avril 2007, volume 20 n° 4 : http://zmagsite.zmag.org/Apr2007/hugus0407.html...
12.  Hedges, C., « Kosovo War's Glittering Prize Rests Underground », « New York Times », 08/08/98.
13.  Michel Chossudovsky, « Dismantling Former Yugoslavia, Recolonizing Bosnia-Herzegovina », « Global Research », 19/02/02, « Covert Action Quarterly », printemps, 18/06/96 :
http://www.globalresearch.ca/index.php?context=viewArticl...
14.  Jonathan Mowat, « Coup d’Etat in Disguise: Washingtons’s New World Order “Democratization” Template », « Global Research », 09/02/05 :
http://www.globalresearch.ca/articles/MOW502A.html...
15.  http://es.wikipedia.org/wiki/Petróleos_de_Venezuela...
16.  Steve Ellner, « The Politics of Privatization, NACLA Report on the Americas », 30/04/98 :
http://www.hartford-hwp.com/archives/42/170.html...
17   http://veszprem.americancorner.hu/htmls/american_corners_...
18.  Jim McIlroy & Coral Wynter, « Eva Golinger: Washington's “Three Fronts of Attack” on Venezuela », « Green Left Weekly », 17/11/06 :
http://www.greenleft.org.au/2006/691/35882
19.  Pascal Fletcher, « US Democracy Expert Teaches Venezuelan Opposition », Reuters, 30/04/03 :
http://www.burmalibrary.org/TinKyi/archives/2003-05/msg00...
20.  La page web de l’ambassade américaine de Bolivie témoigne que Neil Foley a prononcé un discours à La Paz, en Bolivie, pour « La semaine culturelle des Etats-Unis », dans la semaine qui a précédé son arrivée au Venezuela.
http://www.megalink.com/USEMBLAPAZ/english/Pressrel2007En...
21.  Notes personnelles prises par moi-même lors du discours de Mr. Foley à l’université des Andes à Merida, Venezuela, le 16 avril 2007.
22.  Pour plus de détails sur le coup d’Etat de 2002 on lira le récent article de Gregory Wilpert : « The 47-Hour Coup That Changed Everything » :
www.venezuelanalysis.com/articles.php?artno=2018...
23.  Voir mon précédent article « Coup d’Etat au Venezuela: Made aux Etats-Unis/Le projet américain de destitution d’Hugo Chavez dans les jours qui ont suivi l’élection », Venezuelanalysis.com, 22/11/06 :
www.venezuelanalysis.com/articles.php?artno=1884...
24.  Le président Chavez annonce que les services de renseignements ont infiltré des groupes d’opposition et qu’ils ont trouvé parmi eux un homme en possession de cinq fusils avec silencieux, « Chávez anuncia incautación armas vinculadas a complot en su contra », Milenio.com, 606/05/07 :
http://www.milenio.com/index.php/2007/05/05/65937/...
25.  La police de Los Teques, près de Caracas, a trouvé 144 cocktails Molotov tout prêts à être utilisés pour « être emportés dans la rue la semaine prochaine dans l’intention de troubler l’ordre public et favoriser une confrontation directe avec les autorités », « Prensa Latina », 09/05/07 :
http://www.prensalatina.com.mx/article.asp?ID=%7BEEAA37C7...)

Correspondance Polémia
Traduction René Schleiter
Polémia -
http://www.polemia.com/contenu.php?cat_id=12&iddoc=14...
22/06/07

04:05 Publié dans Défense, Géopolitique, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 20 juillet 2007

Etranges conservatismes américains

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Etranges conservatismes américains

Par Herbert AMMON

En dépit des impulsions culturelles venues des Etats-Unis via Hollywood et la Pop culture, le paysage idéologique et politique de la seule puissance globale (dixit Zbigniew Brzezinski) demeure « terra incognita » pour la plupart des Européens. Les césures spécifiquement américaines, qui séparent les « liberals » des « conservatives » ne se perçoivent jamais clairement, tant et si bien qu’on les classe en Europe de manière binaire : entre une gauche et une droite. Les problèmes s’accumulent lorsque l’on cherche à établir une bonne taxinomie des écoles politiques et idéologiques américaines : les slogans et mots d’ordre sont si nombreux, reçoivent tant de définitions particulières qu’on ne s’y retrouve plus, surtout si l’on évoque une ancienne droite et une nouvelle droite, soit des paléo-conservateurs et des néo-conservateurs.

Pour définir les camps politico-idéologiques américains, les définitions habituelles ne sont guère de mise (sauf quand il s’agit, par exemple, du conservatisme tel que l’a défini jadis un Russell Kirk). Européens et Américains ont une expérience différente de l’histoire, nomment donc les choses politiques différemment, ce qui conduit aux confusions et quiproquos actuels. « Cum grano salis », on peut distinguer quelques différences majeures entre conservatismes européens et américains : d’abord, les conservatismes européens sont devenus sceptiques quant à l’histoire à venir ; les conservatismes américains sont nettement orientés vers le futur, sont, dans le fond, anti-historiques, dans la mesure où ils entendent maintenir l’idée fondamentalement américaine d’une société contractuelle (ils n’envisagent pas d’autres modèles). Ensuite, les conservatismes américains sont fiers de leur tradition historique continue, non brisée, que les Européens jugent « courte » ; les conservatismes européens, eux, sont contraints de tenir compte d’une longue histoire, marquée par des ruptures successives. Enfin, les conservateurs américains perçoivent de façon positive le rôle de puissance mondiale que joue leur pays, alors que les Européens se souviennent constamment du « suicide de l’Europe » (dixit Paul Ricoeur) en 1914. Et, last but not least, les conservateurs américains acceptent sans hésitation l’idée libérale d’un libre marché sans entraves, alors que les conservatismes européens critiquent tous le libéralisme.

Adhésion sans entraves au libre marché

La genèse des notions de « liberal » et de « conservative » nous ramène à l’ère Roosevelt (1933-1945). Les partisans de la politique social-réformiste et interventionniste / étatique du New Deal rooseveltien se dénommaient « liberals ». Les adversaires de Franklin D. Roosevelt venaient d’horizons divers : parmi eux, on trouvait des libéraux au sens économique le plus strict, qui se posaient comme les seuls véritables libéraux ; il y avait ensuite des critiques de la bureaucratie (du « big government »), en train de devenir pléthorique à leurs yeux. Enfin, du moins jusqu’à l’attaque japonaise contre Pearl Harbor, il y avait les défenseurs de l’isolationnisme. Murray Rothbard, un « libertarien », soit un extrémiste du marché, désigne cette coalition hostile à Roosevelt sous le nom de « Vieille Droite » (« Old Right »). D’après Rothbard, le terme « conservateur » n’était guère usité aux Etats-Unis avant la parution en 1953 de « Conservative Mind », le grand livre de Russell Kirk.

Les « conservateurs », qui suivaient la forte personnalité de Robert A. Taft, sénateur de l’Ohio (de 1939 à 1953) et rival républicain de Dwight D. Eisenhower en 1952, renonçaient à toute élévation du débat intellectuel en politique. Attitude qui n’a guère changé en dépit de l’émergence de courants de pensée conservateurs mieux profilés. Libéral et théoricien peu original, Peter Viereck, dans « Conservatism Revisited » (1949) s’est posé comme critique des idéologies totalitaires, le « communazisme ». Russell Kirk (1918-1994) fut donc le premier à se positionner comme explicitement conservateur et à être reconnu comme tel par l’établissement « libéral ». En se référant à Edmund Burke, le critique de la révolution française de 1789, perçue comme rupture de la Tradition, Kirk mettait l’accent sur l’origine « conservatrice » de la révolution américaine. Dans ses écrits, Kirk citait, en les comparant à Thomas Jefferson, les pères fondateurs « conservateurs », tels John Adams et les auteurs des « Federalist Papers », se référait également aux critiques européens de la révolution comme Burke ou Tocqueville. Kirk se posait également comme un conservateur écologiste, pratiquant la critique de la culture dominante, ce qui fit de lui une exception parmi les conservateurs américains, optimistes et orientés vers le futur.

« On pourrait, pour simplifier, résumer comme suit l’histoire du conservatisme américain : Russell Kirk l’a rendu respectable ; William Buckley l’a rendu populaire et Ronald Reagan l’a rendu éligible » (citation de J. v. Houten). En effet, les conservateurs doivent à William F. Buckley, né en 1925, d’avoir pu accroître leurs influences au sein du parti républicain et d’avoir percé pendant l’ère Reagan. Ils doivent ces succès au réseau de revues et de « think tanks » que Buckley a tissé dès les années cinquante, dont l’ « American Heritage Foundation », créé en 1973.

Buckley, comme le rappelle son livre « God and Man at Yale » (1951), était un catholique fervent. Il débarque un beau jour à Yale dans le bastion du « liberalism » à l’américaine, dominé par les agnostiques, les athées et les unitariens post-chrétiens, variante du protestantisme aligné sur l’idéologie des Lumières. En 1955, ce fils d’un millionnaire du pétrole fonde la « National Review », autour de laquelle se rassembleront des personnalités très diverses, toutes étiquetées, à tort ou à raison, comme « conservatrices » : des libertariens à Kirk lui-même. Dans ces années-là, où la « New Left » connaissait son apogée, le groupe « Young Americans for Freedom », lancé par Buckley, constituaient déjà un contrepoids politique. Et puisque Buckley, récemment, a critiqué les stratégies de Bush, quoique de manière très modérée, on peut le considérer aujourd’hui comme un représentant des « paléo-conservateurs ».

Le conservatisme américain, nous l’avons constaté, est un champ fort vaste dont les idéologèmes et les stratégies ne se sont cristallisés que depuis quelques décennies, contrairement à ce que l’on observe chez les conservateurs européens. Aujourd’hui, c’est évidemment George W. Bush qui domine l’univers conservateur américain. Bush se déclare « conservateur », plus exactement le continuateur de l’œuvre politique de Reagan que tous vénèrent en oubliant qu’il était au départ un « liberal ». Les Républicains doivent leurs succès électoraux depuis Reagan à un courant profond, agitant toute la base aux Etats-Unis, courant qui englobe le patriotisme (la fierté de s’inscrire dans une tradition de liberté) et les « valeurs » conservatrices (la famille, la religion, la morale, l’assiduité au travail, etc.).

Les hommes politiques qui veulent réussir en tant que « conservateurs » sont dès lors contraints de chercher le soutien de la « droite chrétienne ». Par ce vocable, il faut entendre cette immense masse d’électeurs liés aux mouvements religieux du renouveau protestant, animé par les « évangélisateurs ». Ce conservatisme théologien, partiellement fondamentaliste, rassemble des groupements où l’on retrouve les « Southern Baptists », le plus grand groupe protestant organisé, les pentecôtistes (notamment les « Assemblies of God ») et, bien sûr, les « méga-églises » des télé-évangélistes. Tous ensemble, ces mouvements évangéliques alignent quelque 80 millions de croyants, ce qui les place tout juste derrière les catholiques, qui restent le groupe religieux chrétien le plus nombreux aux Etats-Unis.

Certains évangélistes toutefois, et pas seulement les Afro-Américains, estiment que leur foi peut s’exprimer chez les démocrates. Religion et race se mêlent souvent : ainsi, Pat Robertson, étiqueté de « droite », et Jesse Jackson, étiqueté de « gauche », appartiennent tous deux au mouvement qui soutient les Baptistes et le sanglant « seigneur de le guerre » Charles Taylor au Libéria.

Malgré la très forte pression que la « droite religieuse » exerce aux niveaux locaux, voire dans certains Etats, elle n’a presque aucune influence au niveau fédéral. Ainsi, le candidat à la Présidence, Mitt Romney, appartient à la secte des Mormons, considérée comme éminemment conservatrice, ce qui ne l’a pas empêché d’être élu gouverneur du Massachusetts, Etat à majorité « libérale ». Le pentecôtiste John D. Ashcroft, représentant notoire de la « droite religieuse », fut ministre de la justice dans le premier cabinet de George W. Bush. Il serait faux, toutefois, de dire qu’après le choc du 11 septembre 2001, le bellicisme de l’actuel président américain, qui prétend être un « chrétien re-né » tout comme son adversaire Jimmy Carter, découle en droite ligne de sentiments religieux qui lui seraient propres.

La politique extérieure américaine est marquée depuis longtemps par les néo-conservateurs, comme on le constate sous le républicain Reagan avec Jean C. Kirkpatrick ou sous le démocrate Bill Clinton avec Madeleine Albright. Sous Bush Junior, les « neocons » tirent toutes les ficelles seulement depuis le retrait de Colin Powell. L’exécutif qui a programmé la politique moyen-orientale et déclenché la seconde guerre d’Irak alignait des hommes comme Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et Richard Perle.

Tous ceux qui ont forgé le vocable « neocons » viennent à l’origine, comme d’ailleurs aussi bon nombre de paléo-conservateurs, du camp de la gauche (des « liberals ») ; on trouve dans leurs rangs des intellectuels de la gauche progressiste, issu des milieux juifs, qui se sont détachés du Parti démocrate au cours des années 70. Les meilleurs plumes de ce groupe furent Irving Kristol, avec sa revue « The Public Interest », Norman Podhoretz, avec « Commentary », et le sociologue Daniel Bell (« La fin des idéologies », 1970).

La définition usuelle du néo-conservatisme nous vient de Kristol : « Un conservateur est un homme de gauche, qui a été frappé de plein fouet par le réel ». Ce bon mot ne nous révèle que la moitié de la « réalité » : il pose le néo-conservateur, ex-homme de gauche, simplement comme celui qui n’accepte plus et critique les programmes sociaux pléthoriques lancés par les Démocrates. En fait, le néo-conservateur veut surtout une politique étrangère musclée : ainsi, le fils d’Irving Kristol, William Kristol (revue : « The Weekly Standard ») veut que cette politique étrangère américaine instaurent partout une « démocratisation », selon des critères déterminés depuis longtemps déjà par la vieille gauche interventionniste.

Pat Buchanan : vox clamans in deserto

Les « anciens conservateurs », ou paléo-conservateurs, qui avaient jadis forcé la mutation sous Reagan, entre 1981 et 1989, ont perdu depuis bien longtemps toute influence. Ainsi, Pat Buchanan n’est plus qu’une voix isolée dans le désert depuis des années, alors qu’il fut l’un des rédacteurs des discours de Nixon, puis conseiller de Reagan. Il tenta, rappelons-le, de lancer un parti réformiste et échoua dans sa candidature à la présidence en 2000. Il est redevenu républicain par la suite. En politique intérieure, Buchanan, catholique traditionnel, dont on se moque en le traitant de « conservateur paléolithique », lutte contre les « libertés » nouvelles que veulent imposer les « liberals » et les libertariens (avortement, mariage homosexuel, euthanasie).

Buchanan est protectionniste, s’oppose à la société multiculturelle et à l’immigration qui modifie de fond en comble le visage de l’Amérique. Sur le plan de la politique extérieure, il défend un isolationnisme modéré et s’inquiète des pièges que recèle l’interventionnisme global voulu par les « neocons ».

Il me reste à mentionner –et à saluer-  un combattant isolé, qui pourfend le « culte de la faute » choyé par de nombreux « liberals » (et par leurs homologues allemands), culte qui sert à promouvoir l’idéologie de la « correction politique » (les « Gender studies », les codes anti-discriminatoires de tous acabits, le multiculturel, etc.) : ce combattant n’est autre que l’historien des idées Paul Gottfried. Mais, malgré Buchanan et Gottfried, les paléo-conservateurs n’ont plus aucun influence notable, ni dans les universités ni dans les médias, a fortiori dans l’établissement politique.

Quelles conclusions peut-on tirer de la topographie que je viens d’esquisser ici ? Après la disparition graduelle des paléo-conservateurs, les nationaux-conservateurs allemands auront bien des difficultés à trouver des alliés Outre-Atlantique. Sans doute, seuls les chrétiens à la foi très stricte trouveront des frères en esprit pour toutes les questions morales chez les évangélisateurs ou les conservateurs catholiques.

Personnellement, je ne trouve, dans ce camp conservateur américain (toutes tendances confondues), aucune position qui me sied. Si je suis éclectique, je trouverai peut-être quelques points d’accord avec Russell Kirk, mais seulement quand il appelait en 1976 à voter pour le « démocrate de gauche » Eugene McCarthy. Quand je pense à l’idéologie qui domine la RFA aujourd’hui, je suis souvent d’accord avec Paul Gottfried, qui avait dû quitter, enfant, le IIIième Reich national-socialiste. Enfin, je lis toujours avec beaucoup d’intérêt les textes des intellectuels américains qui s’opposent à l’interventionnisme.

Vu que nous assistons à une orientalisation, soit une islamisation croissante de l’Europe occidentale les analyses clairvoyantes de nos temps présents par Samuel P. Huntington méritent que nous y consacrions toute notre attention ; Huntington nous annonce le déclin de l’Occident en général et la perte d’identité européenne des Etats-Unis. Aujourd’hui âgé de 80 ans, ce professeur de Harvard n’est toutefois pas étiqueté « conservative » mais considéré comme un représentant du « liberal establishment ».

S’intéresser aux relations intellectuelles transatlantiques est une bonne chose et permet de se comprendre réciproquement. Jusqu’ici, le monde universitaire s’est limité à importer en Allemagne et en Europe le prêchi-prêcha du « politiquement correct » des « liberals », y compris les expressions du mépris que vouent les gauches à Bush qui, quand elles sont satiriques, satisfont leur orgueil blessé. Une poignée de conservateurs allemands critiquent aujourd’hui l’idéologie importée des « liberals » (qui s’expriment en Allemagne sous des oripeaux «écologistes ») mais cette démarche est insuffisante. Face à l’immigration de masse qui menace directement l’existence du peuple allemand, en tant que peuple porteur d’histoire et en tant que nation historique et politique, et l’avenir même de l’Europe toute entière, nous devons, en première instance, procéder à une analyse factuelle et objective de la situation et ne pas ergoter et pinailler sur nos préférences intellectuelles ou rêver à d’hypothétiques coalitions qui ne viendront jamais.

La politique extérieure américaine se caractérise depuis l’immixtion des Etats-Unis dans la politique mondiale (au moins depuis 1917) par la double nature de la puissance et de la morale qu’elle révèle. La conscience qu’ont les Américains de mener à bien une « mission » inspire cette politique globale ou planétaire, et vice-versa, dans la mesure où les démarches concrètes de cette politique étayent la vision messianique que distille la religiosité américaine.

Henry Kissinger était une exception : il se posait comme « réaliste » et les notions de « mission » ne l’intéressaient pas vraiment. Depuis la montée en puissance des « neocons », qu’ils soient adhérents des démocrates ou des républicains, l’aspect idéologique et para-religieux de la politique extérieure des Etats-Unis est passé à l’avant-plan. Force est de constater que les assises fondamentales de la politique extérieure des Etats-Unis réconcilient, in fine, les « liberals » et les « conservatives » : il nous suffit d’énumérer les grands événements de ces quinze ou vingt dernières années, avec l’élargissement de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale, avec la politique balkanique (de Madeleine Albright), avec l’appui qu’apporte Washington à la candidature turque à l’UE, aux conflits qui ensanglantent le Proche- et le Moyen-Orient, etc.

Par ailleurs, la politique extérieure américaine se montre souvent fort dépendante des fluctuations de l’opinion publique intérieure. Hillary Clinton et d’autres candidats à la Présidence commencent à caresser cette opinion dans le sens du poil, en songeant à l’investiture de 2008, car, en effet, si les troupes américaines doivent se retirer d’Irak aussi peu glorieusement qu’elles se sont retirées du Vietnam, la politique extérieure américaine se trouvera confrontée à ses propres misères, aux monceaux de ruines qu’elle aura provoquées.

Quel rôle jouera la Turquie dans ce scénario ? Rien n’est certain. Quoi qu’il en soit, la paix entre Israël et la Palestine sera, une fois de plus, remise aux calendes grecques.

Herbert AMMON.

(article extrait de « Junge Freiheit », n°29/2007). 

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mardi, 17 juillet 2007

Naar een rechtse lente

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Een goede tekst van Erik Van Goor met een vernietigend oordeel over de “rechterzijde”.

http://reimerswaal.blogspot.com/2007/07/naar-een-rechtse-lente.html

Naar een rechtse lente


Het rechtse landschap maakt allesbehalve vrolijk. In de ogen van een rechts mens is "de ruimte op rechts" een groot gapend gat. De leegte is beklemmend en er is geen enkel signaal dat dit ooit anders zal worden. De stompzinnigheid wordt met de dag groter, het venijn giftiger en de decadentie schrijnender. Het landschap van rechts denken, schrijven en opereren is onverwoestbaar leeg. Rechts is dood. Want de wereld is dood. Om met Heidegger te spreken: "Alleen een godet kan ons nog redden."

Naarmate de oorlogsstemming toeneemt richting de islam, wordt steeds duidelijker dat "rechts" niets meer is dan de optelsom van ultralinks en islamhaat. De dood van westerse militairen in Afghanistan, de mislukte bomaanslagen in Groot-Brittannië en de uitspraken van imams in eigen land, wakkeren het vuur van haat hoger en hoger. "Rechtse" blogs als Elsevier.nl, Nederkrant en HetVrijeVolk.com staan vol met uitspraken in de trant van: "Het Salafisme moet uitgeroeid worden". "Iran moet worden gebombardeerd". "De woestijncultuur moet eraan geloven." Kortweg gezegd: het "islamofascisme" met een halt worden toegeroepen. Met een regen van vrije woorden en vrije bommen.

Zonder verstand, zonder joie de vivre, zonder humor en zonder fatsoen (vooral dit laatste) bestookt men alles wat beweegt, binnen en buiten het kamp, met geschimp en geschater. Gerenommeerde journalisten als Leon de Winter, 'deftige' (nou ja, deftige...) hoogleraren als Afshin Ellian en Hans Jansen razen met hun giertanks door de vaderlandse beemden, akkers en rozenperkjes. Dit alles aangevuld met een horde anonieme bloggers, haatliefdezaaiers, gefrustreerde homoseksuelen en ander volk wat te lang in Amsterdam Oud-West heeft gewoond.

Het ontwortelde en nihilistische "rechts" heeft bezit genomen van de ooit zo statige monumenten van rechts levensbesef en heeft de ernst verdreven. Alles wat "rechts" beetpakt, blijkt of dood te zijn, of wordt alsnog doodgeknepen. De historie leeft niet meer voor "rechts", maar is hoogstens een grabbelton om de liberale status quo mee op te tuigen. Het christendom, de klassieken, hoogstens worden er wat politieke en culturele clichés aan ontleend. Orde, natuurwet, traditie zijn niet in tel, alleen wanneer de melancholie in een onbewaakt moment bezit neemt van de "rechtse" opinieleiders komen de Antoine Bodars, Benno Barnards en anderen de kolommen volzwammen met opgelepelde wijsheden uit een voorbij verleden.

Het gebrek aan decorum is echter het meest in het oog springende van "rechts". Het boerse onbenul van Rita Verdonk, de stramme benadering van Wilders richting zijn tegenstanders, maar ook de volstrekte onwetenschappelijke optreden van iemand als prof. Hans Jansen, waarvan het me niet zou verbazen dat hij de zogenaamde imam, dr. Abd Al Ghaffar Al Firsani, is die keer op keer in het opinieweekblad Opinio zijn (allesbehalve) ludieke fatwa's uitspreekt.

Het is vooral dit laatste blad wat in het oog springt als bron van teleurstelling. Bij de start profileerde men zich als de stem van "fatsoenlijk rechts"; een denken dat niet overhelt naar populisme, radicalisme en bovendien een denken dat aandacht heeft voor cultuur, filosofie en diepergravende essays. De buitenkant was slechts schijn. Of misschien ook niet. De eenzijdigheid van een Elsevier wordt door Opinio niet gecorrigeerd, alleen brengt men verdieping aan, aan de stokpaardjes van "Elsevier-rechts" Nederland. Dus manifesteert men zich bij tijd en wijle als broeinest van oorlogstaal en gedweep met de sterke staat. Is het het medium dat deformeert? Zijn het de overdreven hooggespannen verwachtingen die ze de das omdoen? Het gebrek aan voorbereiding? Of wordt met de komst van een zogenaamd "conservatief" blad juist de deformatie van het rechtse denken des te duidelijker? Wanneer het gajes vuilspuit, kijkt niemand daar van op. Maar als gerenommeerde heren van stand ditzelfde doen, maar dan in mooiere woorden, dan is er iets aan de hand.

De met regelmaat terugkerende islambashing in dit blad, die geen ruimte overlaat voor tegengeluiden, wordt versterkt met oproepen tot meer bevoegdheden voor geheime diensten door Hans Jansen en een regelrechte oproep tot oorlog tegen Iran door de neoconservatieve Amerikaan Norman Podhoretz. Deze oproep was koren op de molen van Wilders die onlangs dit geluid herhaalde in de Tweede Kamer: Iran moet een halt worden toegeroepen, zonodig met militaire middelen en "bommen op dit land".

De "rechtse" bijbel

De vreemde ideologische mix van Opinio is illustratief voor de geestelijke toestand van "rechts" Nederland. De bijbel van Opinio kent een merkwaardige opbouw. De Apocalyps is er sterk in vertegenwoordigd in de vorm van rampscenario's op het gebied van demografie en internationale politiek. Het profetendom is voor een groot deel een geïmporteerd profetendom (Angelsaksisch). Het evangelie is een onverbloemde lofzang op Verlichting, democratische rechtsstaat, liberale vrijheid en vrije markt. Het geheel wordt doorspekt met de Psalmen van Hennie Vrienten en het Hooglied van Xandra Schutte, de Predikerdialoog van Yoram Stein en wat wijze Spreuken van Dalrymple.

Wat echter ontbreekt, is de basis van elke fatsoenlijk bijbel: de wet. Waar is de basis van onze cultuur, de grondlegging van ons volk? De fundamenten onder alle wetten. Waaruit wordt de ultieme rechtvaardigheid gekend? Zonder "Wet van Mozes" is er immers geen "bijbel"? De profeten passen de Wet toe. De Psalmen bezingen de Wet. Het Evangelie is de vervulling van de Wet. De wijsheidsboeken zijn de toepassing van de Wet. De Apocalyps is het schrikbeeld van een tijdperk zonder Wet. Als de Wet er niet is, valt al het andere weg. Een bijbel zonder wet is een verzameling losse flodders: prietpraat.

De vraag is nu: welke Wet hanteert "rechts"? Wat zijn de eeuwige ordeningen (bijvoorbeeld de "boventijdelijke morele orde") waar de wet naar verwijst? Wat is het verbond (de verbonden) waar een volk dat de wet kent van uitgaat en waar alle maatschappelijke verbanden door worden vormgegeven? Wat is de prepolitieke en preculturele basis van ultieme rechtvaardigheid; met andere woorden: met wat voor recht mogen we Iraanse islamieten doden wanneer eer geen rechtvaardigheid wordt beleden? Het antwoord is: in het gunstigste geval weet men dat niet; maar in de meeste gevallen is men er of niet in geïnteresseerd of men gelooft niet in zo'n Wet. De werkelijkheid waar "rechts" van uitgaat is hoogstens de "maatschappelijke werkelijkheid". Niets meer dan een stand van zaken die je verandert door debat of door flink in het rond te trappen.

Levenloze oorlogsverhalen

Het gevolg is een levenloos opportunisme. Men schrijft weliswaar vele oorlogsverhalen, maar nooit werpt men daarin, zoals in de echte Bijbel, een kritische blik naar zichzelf. Ook de oorlogsverhalen gaan niet echt ergens over; hoogstens spelen er wat "verworvenheden" een rol die men wil verdedigen. Nooit wordt de westerse, verlichte, democratische rechtsstaat aan de kaak gesteld in al haar zwakheden en inconsistenties. En nooit heeft men oog voor de eigen inconsistenties... Men verafschuwt zogenaamd links, maar tegelijkertijd wil men links een absolute macht geven "rechts" te vernietigen. Het zijn met name de geëtaleerde onrust en paniekzaaierij met de daaruit voortvloeiende oorlogsscenario's die potsierlijke suïcidale experimenten naar voren schuiven. Want waar leiden veel voorstellen van onze zogenaamde "rechtse" denkers toe? Iemand als dr. Ad Verbrugge meent dat een sterke staat nodig is om de maatschappij te hoeden en te bewaren:

"Ik ben nu dus voor een sterke staat die publieke middelen inzet voor de controle op de kwaliteit van het onderwijs. En dat ben ik uit sociale overwegingen."

Dr. Verbrugge wil op het gebied van onderwijs een sterke staat. Hans Jansen wil op het gebied van veiligheid een sterke staat. Hirsi Ali wil op het gebied van opvoeding een sterke staat. Waarom wil "rechts" iets versterken dat inherent is aan vijandigheid ten aanzien van "rechts"? Wanneer dit soort denkwijzen doorzetten, zullen de gevolgen desastreus zijn voor wat er nog over is van de gezonde, klassieke maatschappelijke, culturele en morele ordening.

Het pleidooi voor een neutrale overheid is in de huidige constellatie van een qua competenties uitdijende overheid zodoende een moordaanslag op de civil society. Met name Hirsi Ali's denkbeelden over staatsopvoeding ("opvoeding is een taak van de staat") zijn een regelrechte aanslag op de basis van elke gezonde, zelfregulerende en weerbare maatschappij: het gezin. Waarom wordt ze hier niet genadeloos op afgerekend door "rechts"?

Hetzelfde zagen we na haar voorstel op het verbieden van besnijdenis. In het kader van de discussie rond het besnijden van meisjes poneerde ze ook de noodzaak van een verbod op besnijdenis van jongetjes, zowel van islamitische als van joodse jongens. De gevolgen van het invoeren van dit voorstel zijn niet te overzien. Joden wordt het onmogelijk gemaakt op het meest basale van hun religie te praktiseren. Meer nog: wanneer joden vanwege hun geloof niet zouden kunnen en willen voldoen aan dit verbod, zouden overheidsmaatregelen een ongekende aanslag op de moraliteit betekenen. Want wat moet een overheid doen? Joden voor altijd uit hun ouderlijke macht ontzetten? De kinderen van hen afnemen? Joodse mannen gedwongen steriliseren? Om zodoende eindelijk een vreedzame Endlösung te hebben gevonden?

"Rechts" is met uitlatingen als deze een continue stroom van aanslagen op de basis die men niet zou moeten vernietigen, maar zou moeten verdedigen. De ronduit stompzinnig oproep van prof. Hans Jansen tot meer geheime dienst en een geheime dienst binnen de geheime dienst om het moslimterrorisme te lijf te kunnen, is een ander voorbeeld. De moderne staat is de afgelopen decennia een voertuig voor het linkse denken geworden. Waar Hirsi Ali de buffers tegen deze staatsalmacht van "links" wil afbreken (familie, traditie en religie) wil Jansen de "rechtse" basis vanaf de andere kant aanvallen: door de linkse staat de almacht te schenken om alles op te ruimen wat haar nog in de weg staat. De liberale oorlogshitsigheid keert zich in de gedaante van "rechts" en "linksconservatief" tegen "oudrechts".

"Rechtse" gebreken

Er zijn weliswaar nog integere en voortreffelijke "rechtse" conservatieve denkers, waaronder Kinneging en (de in Nederland veel gelezen) Scruton. En natuurlijk mogen we Verbrugge hier ook niet helemaal afserveren. Maar enkele witte raven maken nog geen rechtse lente.

Genoemde heren zijn een toonbeeld van klassieke meesters in moraal, wijsheid en wetenschap. Waar over het algemeen zo'n gebrek aan lijkt te bestaan binnen het "rechtse" kamp; er is een schrijnend gebrek aan autoriteit. Grijze muizen, schobbejakken en doorbraak- en vernieuwingsgezinde geesten bepalen het beeld van wat er over is van het rechtse intellectuele discours. Men mist de kracht van het diep verworteld zijn in traditie en besef van orde, en ontbeert daardoor de autoriteit die nodig is om leerlingen te vormen en krachtig te maken.

Maar rechtse leiders - hoogleraren, politici, geestelijken en anderen - moeten weer achtenswaardige "meesters" worden die hun leerlingen hoeden en vormen. Rechts heeft leiders nodig die nergens bang voor zijn - een eigenschap die ze bezitten, niet door blikvernauwing en onkunde, maar door een diep besef van waarheid en "het kan en mag niet anders" en een besef "het goede te willen voor iedereen". En dat besef is grotendeels afwezig. Bij de meeste scribenten in Elsevier, Opinio, HetVrijeVolk, HP De Tijd, Nederkrant en de talrijke zogenaamde weblogs zijn de gebreken.

Er is allereerst een opvallend afwezig gebrek aan dankbaarheid naar de erfenis van christendom, traditie, gemeenschap en de voorvaderen. Men verdedigt het westen, maar de inhoud van het westen werpt men verachtelijk weg. Het daarmee samenhangende gebrek aan integrale levensvisie, waarin al deze dingen - samen met de nieuwe fenomenen - een plek krijgen in een omvattend geheel, is dan ook niet verwonderlijk. "Rechts" heeft geen visie, maar maalt daar niet om. Waar eerst de klimaatverandering werd ontkend en weggehoond, wordt deze nu toegejuicht. Dat zoveel opportunisme irritatie oproept bij anderen, is niet gek. Maar wat wil je? De onnatuurlijke denkwijze van modern "rechts" keert zich ook tegen de niet-menselijke natuur; een woestijn is helemaal niet vervelend, je kunt er ook lekker op strandballen en met de Hummer erover heen racen.

Gebrek aan moed; veel zogenaamde "rechtse" durf is verhulde links-extremistische retoriek waarin men de stokpaardjes van de moderniteit overdreven prijst en beschermt zonder een echte eigen visie te hanteren. Terwijl rechtse politici in Vlaanderen nog steeds leven zonder een ultrazware persoonlijke beveiliging, leiden "rechtse" politici in Nederland een bunkerbestaan. Dit heeft niet alleen iets met risico's en met standpunten te maken.

Verder is er het gebrek aan vertrouwen. Men vertrouwt elkaar niet. Maar men ook wekt geen vertrouwen bij het publiek. De cultuur van pseudoniemen en van verhulling moet daarom doorbroken worden. Behalve het leiderschap van de klassieke, rustige eruditie moet er het vertrouwen heersen van de openheid. Rechts heeft toch niets te verbergen? Zonder vertrouwenwekkende openheid zal rechts nooit de middenmoot overtuigen van haar gelijk. Maar misschien wil "rechts" dat ook niet. De middenmoot is namelijk nog steeds (!) traditioneler ingesteld dan de "rechtse" opiniemakers. En voor vertrouwen is herkenning nodig; dan moeten de "rechtse" opiniemakers met de billen bloot en moeten ze laten zien dat ze niets hebben met het volk dat zelf zijn kinderen wil opvoeden en geen 24-uurs economie wil. Nee, dan is oorlogsdemagogie handiger; daarmee vergeet de toehoorder in al zijn ongerustheid zichzelf en zet op een gegeven moment al zijn kaarten op vreemde "rechtse" demagogen. "Rechts" prefereert de onvrede niet voor niets boven het vertrouwen.

Er is een gebrek aan vermogen om wolven in schaapskleren op te merken. Het gedweep met Ayaan Hirsi Ali en Verdonk, die weinig meer zijn dan linkse bekeerlingen tot de harde variant van het integratieliberalisme, was inhoudelijk gezien een miskleun. Het harde staatsdenken van deze lieden dat hun morele anarchie moet compenseren is een levensgrote bedreiging voor "rechts" tot in haar diepste vezels. Om de misschien noodzakelijke remigratie van sommige bevolkingsgroepen te vermijden, neemt men de toevlucht tot de politiestaat. Men heeft geen respect voor de tegenstanders; men wil niet werven, maar vernietigen en murw maken en men streeft daarom naar een onvoorwaardelijke capitulatie van de islamitische wereld.

Er is gebrek aan humor, goedmoedige zelfspot en aan een vriendelijkheid die niet voortkomt uit slapte, maar uit de vanzelfsprekendheid van een krachtig vaderschap c.q. leiderschap. Men mist de levensvreugde om de gewone - echt waardevolle - dingen. Men hoeft geen Bas van der Vlies van de SGP of een Hans Wiegel na te willen doen, maar men zou in dit opzicht wel wat van hen kunnen leren.

Er is kortom gebrek aan verstand, aan humor en aan etiquette. Aan verstand dat is ingebed in traditie, gemeenschap en in een integrale levensvisie. Aan humor dat in haar zelfspot laat zien dat het ons niet om onszelf te doen is, maar om het goede voor iedereen. En aan etiquette die de beheerste kracht toont en het vertrouwen schenkt aan de toeschouwers van morele, etnische en culturele conflicten. Deze inwinnende houding heeft misschien geen resultaat als het om terroristen gaat, maar wel als het om (bijvoorbeeld islamitische) omstanders gaat die met een verdeeld hart alles gadeslaan.

Nieuwe Orde

"Rechts" wil echter niet harten winnen, maar culturen vernietigen. "Rechts" verdedigt geen waarden, maar abstracties waar men zelf wel in moeten geloven om anders niet met lege handen te staan. "Rechts" leeft bij containertermen: democratie, vrije markt, gelijkheid, respect, scheiding kerk en staat, etc.

De onaantastbaarheid van deze Nieuwe Orde onderstreept het geloof van "rechts" dat de geschiedenis is geëindigd om te verdampen onder de vooruitsnellende vooruitgangsidee. Er is in dit denken geen wijkplaats. Niet alleen Bin Laden, elke traditionele (nu alleen nog zij) islamiet moet worden opgejaagd tot in elke grot of spelonk aan toe om daarna te worden uitgeschakeld. Als er onrecht wordt geconstateerd moet er meteen worden ingegrepen. Zogenaamd om de humaniteit te beschermen.

Gevolg van dit denken in containertermen is een daaruit voortvloeiend zuiverheidstreven. Het schermen met aftandse begrippen als "mensenrechten" en "vooruitgang" maakt dat het "rechtse" denken steriel is en kunstmatig in stand wordt gehouden. Begrippen als volk, openbaring, natuur, historie kom je of niet tegen, of althans nooit als constituerende factoren De ondertoon is door en door democratisch en gekunsteld. Er is geen wijkplaats, geen geduld. Culturen krijgen niet de kans om van binnenuit getransformeerd te worden en zodoende het goede te behouden.

"Rechts" kent namelijk niet zoiets als "het goede" of "het goede leven", en al zeker niet in vreemde culturen. "Rechts" Nederland kan niet de hoogstaande moraal van iemand als Filip Dewinter opbrengen, voorman van het VlaamsBelang die sterke normen en waarden combineert met een sterk besef van volk en traditie. En die denken in termen van "vriend en vijand" samen kan nemen met "respect voor de vijand".

Toen enige tijd geleden de programmamakers "Ab en Sal", twee Marokkanen, Dewinter interviewden, viel hun deze houding al snel op. De humor en de charme, de verbetenheid ten aanzien van de islam ("ik werk niet samen want ik sluit geen pact met de duivel"), maar ook het respect en waardering voor elementen uit de islamitische cultuur: respect voor ouderen, familieleven en de doodstraf (waar Dewinter voor is, maar zijn eigen partij tegen). Waar Dewinter doorgaans schofterig wordt behandeld (bij tv-programma Jensen bijvoorbeeld) of wordt genegeerd (door Wilders bijvoorbeeld), waren deze twee Marokkaanse jongen wel in staat een fatsoenlijke ontmoeting met hem te hebben.

Dewinter was hiertoe in staat omdat bij hem nog altijd zoiets is van het "oudrechtse" levensbesef. Bij hem is er allereerst de Oude Orde van familie, respect voor ouderdom, wijsheid en traditie en rechtvaardigheid op basis van recht. Daarentegen gaat modern "rechts" niet uit van de oude orde, die een gemeenschappelijke basis toont die door alle culturen heenloopt, maar gaat ze uit van de Nieuwe Orde van gelijkschakeling, individualisme en afgedwongen onderdanigheid onder nieuwe principes die al het gemeenschappelijk menselijke elimineren.

Weerbaarheid

Door blind te zijn voor de oude orde van orde, gemeenschap en traditie, en door het omhelzen van de Nieuwe Orde van de moderniteit, heeft "rechts" geen oog voor de weerbaarheid en de voorwaarden voor weerbaarheid. Weerbaarheid is niet slechts het vermogen om de tegenstander te vernietigen, het is ook het vermogen om in het leven zelf tegenslagen te incasseren. Het doorgedraaide abstracte vrijheidsbegrip speelt "rechts" voortdurend parten. Het is een vrijheid zonder dankbaarheid, zonder inhoud, zonder fundering en derhalve gevaarlijk. Het kan zich tegen alles en iedereen richten.

Het kan uitmonden in onbeschoftheid, beter gezegd: narcistisch ressentiment. Elke binding, elke ontstaansgrond is immers inherent aan vrijheidsbeperking. Het leven dat wordt gevuld met vrijheid richt zich per definitie tegen gronden als opvoeding, moraal, godsdienst etc. Bij het wegwerpen van de inhoud is de enige inhoud die ertoe doet vernietigingsdrang van datgene dat doet denken aan de beperking van het leven. "Rechts" is vervuld met vernietigingsdrang ten aanzien van het leven zelf (cultuur, beschaving, etc.) dat immers slechts bestaat bij de gratie van beperking. En elke conservatief weet dat deze beperking niet een opgelegde overheersing is, maar een beantwoorden aan de aard van het leven zelf dat wordt weerspiegeld in de orde.

"Rechts" is daarom een gevaar voor zichzelf en voor haar omgeving. Achter een façade van oprechte verontwaardiging over het schenden van mensenrechten, van zogenaamde solidariteit met Amerika en Israël, of achter het opkomen voor onze cultuur, huist een verbijsterende, onverwoestbare leegte. Door deze leegte zijn onze zelfverklaarde "verdedigers van het westen" in staat zelfs het smerige werk te doen voor de werkelijke vijand: het ultraliberalisme.

Zodoende komt de linkse politiestaat er mede door toedoen van "rechts". En worden van traditionele islamieten afgedwongen nihilisten gemaakt. En wordt met overdreven doorgevoerde vrijheden op het gebied van media, meningsuiting en seksualiteit elk restant van karakter en weerbaarheid gesmoord in de onbenulligheden - pardon: verworvenheden van de moderne, westerse cultuur. Als het om de afbraak van het gezin gaat door homohuwelijk en adoptie, de afbraak van het gezag door het verbod op de "corrigerende tik" of om de vrijheid van (gewapende) zelfverdiging; "rechts" of wat daar voor doorgaat houdt de lippen stijf op elkaar. De basis wordt verzwakt - moet worden verzwakt - en de politiestaat komt er voor in de plaats. En "rechts" vindt het allemaal wel best. Die ziet geen enkele samenhang; enkel bedreigde onbenulligheden en gediscrimineerde homo's. Die ziet kortom helemaal niks.

Een rechtse lente?

Komt er ooit nog een rechtse lente? Een wederopbloei van gezond denken en van gezonde cultuur? We moeten het blijven hopen, maar de situatie is ernstig zo niet uitzichtloos. De grootste vijand voor het westen is het liberalisme. En de grootste vijand voor rechts is "rechts" "zelf". En al die projecten die proberen de laatste "rechtse" mensen zand in de ogen te strooien met linksconservatieve en rechtspopulistische verhaaltjes. De antitraditionele en dikwijls ook antireligieuze en antiklassieke houding van veel van deze mannetjes en vrouwtjes geeft aan dat de vijandschap wederzijds is. Ook voor de zogenaamde "rechtse" opiniemakers is rechts (oudrechts) de grootste vijand. Het verschil tussen de opiniemakers en het luisterende restje oudrechtse volk is dat de eersten, de opiniemakers, weten wat ze doen, namelijk de vernietiging nastreven van het westen, en dat de laatsten nog steeds niet in de gaten hebben dat het "hun" opiniemakers niet te doen is om de verdediging van het westen, maar om de verwoesting van de rechtse ziel van Europa.

De leegheid van de leiders zoekt een spiegelbeeld in de leegheid van de toehoorders. De rechtse lente komt er pas als het rechtse volk haar "rechtse leiders" respectvol in de sloot heeft gedeponeerd (met meer respect voor het ambt en de publieke zaak, dan voor de persoon en toevallige "democratische" meerderheden). En de importconservatieven een retourtje richting Iran of Somalië heeft "geschonken". Oude principes moeten herleven: leiders die hun belofte en roeping verraden, moeten worden afgezet. Net zoals in vroegere tijden. En zonodig moet een onervaren (jonge) garde het maar overnemen.

We kunnen wachten op een godet die ons redding moet verschaffen. We kunnen wachten op een moment dat de wal het schip keert. We kunnen wachten op een Grote Charismatische (doch Democratische) Leider die de democratische massa's zal weten in te winnen. We kunnen wachten op een geestelijke herleving van ons volk. We kunnen wachten tot we een ons wegen en in het graf liggen weg te teren.

We kunnen ook ons afkeren van de "rechtse" opiniemakers en onze eigen, eigenzinnige, weg gaan. Leren niet meer onder de indruk te zijn van "rechtse" praatjes of van liberale containertermen. Leren te lachen om onze vijanden - ze zonodig te negeren - en wegen zoeken om de toeschouwers in te winnen voor onze zaak. We moeten bijvoorbeeld islamieten duidelijk maken dat er ook nog een ander alternatief dan het voze liberalisme bestaat. Het is mogelijk om het goede leven te leven vanuit een bedding van traditie, christendom, orde en dankbaarheid.

Een cultuur van "harde liefde" en van "mannelijk respect" moet weer leidraad worden in ons handelen, spreken en schrijven. Islamieten die daar niet aan willen, moeten we eruit gooien en bekampen. Maar pas nadat we libertijnen, en "rechtse" landverraders van hun sokkels hebben neergehaald en in de sloot hebben gegooid. Pas dan spreken we een taal die tegenstanders verstaan: "Wie hard en eerlijk is voor zichzelf, mag ook hard en eerlijk zijn naar een ander toe". Maar zover is het nog lang niet. De rechtse lente zal nog wel even op zich laten wachten.

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Wolfowitz: Return to Sender?

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Wolfowitz: Return to Sender?

by Bill Berkowitz

http://www.antiwar.com/ips/berkowitz.php?articleid=11268...

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lundi, 16 juillet 2007

Reinhard Wulle

Reinhard Wulle

16 juillet 1950: Le théologien, germaniste et historien Reinhold Wulle meurt à Gronau en Westphalie. Né en 1882, il avait embrassé la carrière de journaliste en 1908 et prit la direction du célèbre Deutsche Zeitung, fonction qu’il exercera entre 1918 et 1920. Elu au Reichtstag sur les liste de la DNVP nationaliste en 1920, il se détache de son parti d’origine pour fonder avec son collègue von Graefe le “Deutschvölkische Freiheitspartei” qu’il dirigera entre 1928 et 1933. Il s’opposera, à cause de son nationalisme de facture libertaire, protestante, prussienne et bismarckienne, au nouveau régime national-socialiste. Il a exprimé sa conception du politique dans un ouvrage à la fois théorique et historique, Geschichte einer Staatsidee (1935). Pour donner corps à son op­position nationaliste à Hitler, il fonde, avec ses amis, la “Gesellschaft Deutsche Freiheit” (= Société de la Li­berté Allemande), ce qui conduit à son arrestation en 1938, puis à son internement dans le camp de con­cen­tration de Sachsenhausen, où il restera jusqu’en 1942. En dépit de cette opposition réelle au régime, les alliés in­terdisent le parti qu’il constitue dès 1945, la “Deutsche Aufbaupartei”. Cette interdiction prouve que les op­posants sérieux au national-socialisme n’ont pas été tolérés par les puissances occupantes, qui préféraient les dé­magogues et les idéologues écervelés, sans épine dorsale historique.

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dimanche, 15 juillet 2007

Entretien avec D. Lloyd (Plaid Cymru)

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Entretien avec le Dr. Dai Lloyd, chef de la fraction parlementaire du « Plaid Cymru », parti nationaliste gallois

 

Le Pays de Galles, frange occidentale et celtophone de la Grande-Bretagne, est divisée depuis 1996 en 22 « unitary authorities », instances en charge des administrations locales. Le Pays de Galles compte trois millions d’habitants. Le parti identitaire gallois, le « Plaid Cymru », a été fondé en 1925. En 2003, il avait subi un ressac électoral, mais tous les sondages prouvent désormais qu’il reprend du poil de la bête. Lors des élections du 3 mai 2007, ce parti identitaire a réussi à conquérir le quart des sièges du parlement gallois, soit 15 députés sur 60. Le « Plaid Cymru » est désormais la deuxième force politique du pays. Allié aux Ecossais du « Scottish National Party », qui ont enregistré, eux aussi, des résultats mirobolants, le « Plaid Cymryu » fait partie du groupe « EFA » au Parlement européen, une alliance qui rassemble les partis à vocation régionale. Le Dr. Dai Lloyd, qui préside la fraction parlementaire du « Plaid Cymru » a répondu aux questions de la « National-Zeitung » (n°22/2007) de Munich. Voici la version française des principales réponses du Dr. Lloyd.

 

DNZ : Comment votre parti a-t-il réussi à consolider sa représentation politique en devenant la deuxième force au Parlement national gallois, oubliant du même coup le ressac électoral que vous aviez subi en 2003 ?

 

Dr.DL : Dès qu’a démarré notre campagne électorale au début de l’année 2006, nous avons pu faire un grand pas en avant en très peu de temps. Ce succès est dû à des mutations purement extérieures, comme par exemple notre nouveau logo, avec son coquelicot jaune stylisé, qui prouve que nous sommes désormais un parti tourné vers l’avenir et non plus seulement obnubilé par le passé. D’autres innovations ont séduit l’électeur, notamment notre manifeste riche en idées nouvelles. Ensuite, pour la première fois, nous avons réussi, face aux Gallois, à évoquer des choses qui les concernaient directement, ce qui les a enthousiasmé d’emblée.

 

Nous n’avons pas seulement mené une campagne électorale fructueuse à l’échelon national gallois, mais nous avons surtout travaillé dur entre les deux scrutins. Nous demandons désormais à tous les élus de notre parti, à quelque niveau que ce soit, d’aller frapper à toutes les portes de cinq rues au moins chaque semaine, de façon à rester constamment en contact avec les gens de leur commune et à déceler immédiatement les problèmes qui surgissent.

DNZ : Quel rôle a joué la guerre en Irak dans le succès électoral du « Plaid Cymru », sachant que, pour nous, identitaires allemands, cette guerre est en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux du droit des gens ?

Dr.DL : Le « Plaid » a refusé clairement, de manière constante et récurrente, la guerre contre l’Irak. Dans l’avenir, nous continuerons à exiger le retrait des forces militaires britanniques et le démantèlement des bases militaires qu’entretient le Royaume-Uni en Irak et en Afghanistan.

DNZ : Pourquoi le « Plaid Cymru » réclame-t-il l’indépendance du Pays de Galles, en tant qu’Etat libre au sein de l’Union Européenne ?

Dr.DL : Notre vision d’un Pays de Galles indépendant prend appui sur les besoins réels qu’éprouvent au quotidien les habitants de notre terre. Les faits parlent pour eux-mêmes : les citoyens des petits et moyens pays indépendants, dans l’Europe entière, sont en général plus riches et vivent en meilleure santé. Le peuple du Pays de Galles mérite d’obtenir les mêmes avantages dans l’avenir. Nous voulons aussi que le Pays de Galles contribue à façonner, avec les autres Européens, un monde plus juste, plus pacifique et à l’avenir certain.

DNZ : Quand l’indépendance du Pays de Galles pourra-t-elle devenir réalité ?

Dr.DL. : Notre façon de penser et d’agir politiquement part du principe intangible que la souveraineté du peuple gallois doit trouver sa légitimité dans le peuple gallois lui-même. Le « Plaid Cymru » pense que le pouvoir devrait se trouver entre les mains du peuple et de lui seul. Les Gallois ont le droit inaliénable de décider seuls de leur avenir, de décider où, par qui et dans quel but le pouvoir doit s’exercer. Notre marche vers l’indépendance sera donc, en toute bonne logique, une entreprise que nous mènerons en commun avec tous les hommes et toutes les femmes du Pays de Galles. Ainsi, tous les pas importants qui jalonneront cette marche vers l’indépendance seront nécessairement sanctionnés par des référendums.

DNZ : Dans quelles circonstances un Pays de Galles indépendant pourra-t-il faire partie de l’OTAN ?

Dr.DL : Nous aimerions bien qu’une coopération plus accentuée existe au sein de l’UE dans les questions relatives à la politique extérieure, à la prévention des conflits, à l’engagement de forces militaires dans des opérations de maintien de la paix. Nous estimons que l’UE possède les capacités pour mettre en œuvre un solide système de contrepoids à la puissance américaine dans le monde.

DNZ : Quel rôle la monarchie britannique pourrait-elle jouer après la proclamation de l’indépendance du Pays de Galles ?

Dr.DL. : Après l’indépendance du Pays de Galles, il faudra organiser un référendum sur la monarchie, par lequel les Gallois pourront décider eux-mêmes de la présence future de cette institution.

DNZ : Comment le « Plaid Cymru » va-t-il gérer le problème de la modification des limites des circonscriptions électorales, modification qui a été apportée en vue de torpiller les avancées du mouvement identitaire gallois ? Et comment va-t-il gérer ce problème d’ici aux prochaines élections pour le Parlement britannique de Londres ?

Dr.DL. : Avec notre succès du 3 mai 2007 dans les élections pour le parlement régional gallois, nous avons prouvé que les modifications apportées aux circonscriptions électorales n’avaient freiné en rien la progression de notre parti. Quoi qu’il en soit, nous mènerons une campagne électorale dure, tambour battant, et nous ferons en sorte que les Gallois puissent jouer un rôle plus important dans le Parlement de Londres.

(entretien paru dans DNZ n°22/25 mai 2007 ; trad. franç. : R. Steuckers).

 

 

 

lundi, 02 juillet 2007

P. Lensch, théoricien socialiste de la Nation

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Le socialiste marxiste Paul Lensch, théoricien de la Nation comme sujet actif du progrès historique

Drei Jahre Weltrevolution [Trois ans de Révolution mondiale] : tel était le titre d’une publication due à la plume d’un député social-démocrate (SPD) du Reichstag, Paul Lensch, parue lors de la troisième année de la Grande Guerre. Cette publication constituait le troisième volet d’une trilogie, dont la première partie était sortie de presse en 1915, sous le titre de Die deutsche Sozialdemokratie und der Weltkrieg [La social-démocratie allemande et la Guerre mondiale], et dont la seconde partie, intitulée Die Sozialdemokratie, ihr Ende und ihr Glück [La social-démocratie, sa fin et sa chance], avait été publiée en 1916. Cette trilogie a été suivie, à la fin du conflit, par une autre brochure, dont le titre était Am Ausgang der deutschen Sozialdemokratie [Quand vient la fin de la social-démocratie allemande]. La lecture de cette trilogie et de cette brochure est fascinante, indépendamment du fait qu’il faille toujours étudier en toute autonomie les sources directes, sans passer sous les fourches caudines de la tutelle que veulent exercer les professionnels orwelliens de la correction systématique du passé. L’œuvre de Lensch nous montre comment un marxiste internationaliste devient un socialiste national, tout en conservant son mode d’argumentation de mouture marxiste. Si bien qu’il est possible de le considérer comme un précurseur du mouvement qui s’appelera —ce n’est évidemment pas un hasard— “national-socialiste”.

Paul Lensch appartenait à l’aile gauche de la SPD, c’est-à-dire à une minorité de la fraction social-démocrate du Reichstag, qui avait pour intention première de refuser de voter les crédits de guerre, qui voulait donner à la gestion allemande de la belligérance une légitimité démocratique. Dans ce contexte toutefois, Lensch va rapidement opérer un changement, comme on pouvait le prévoir pour tout le courant révisionniste de gauche au sein du parti, courant que le politologue Abraham Ascher nommera les “radical imperialists” au sein de la SPD.

L’argumentation des “révisionnistes de gauche”, dont Lensch, repose sur la théorie de l’impérialisme de Lénine. En réfléchissant à la substance des écrits de Lénine sur l’impérialisme, ce courant de gauche au sein de la SPD allemande en est venu à constater que l’Empire allemand, grâce à l’action politique des socialistes au cours des décennies qui ont précédé 1914, est un Etat progressiste, à la pointe du progrès social. Dans ce contexte, l’Allemagne de Guillaume II a une mission historique, estiment-ils : celle de mener à bien la révolution socialiste contre l’impérialisme mondialiste britannique. Lensch et ses camarades constatent, en partant de leur point de vue léniniste, que le service militaire généralisé, l’obligation de scolarité et les institutions démocratiques allemandes, sanctionnées par le suffrage universel qui permet à tous d’élire les députés du Reichstag, ont émancipé la classe ouvrière allemande bien plus que ses homologues dans le reste du monde. Le progrès a donc, à leurs yeux, été réalisé de manière bien plus complète en Allemagne qu’ailleurs.

L’émancipation ouvrière, amorcée sous le Reich de Bismarck, amènera la fin de la lutte des classes, comme l’annonce clairement l’émergence de facto d’une communauté populaire de combat, ainsi que l’attestent les événements vécus d’août 1914, où l’on a vu s’opérer la fusion du nationalisme et du socialisme. Ces événements ont nettement prouvé que la social-démocratisation de la vie politique allemande avant 1914 a induit une nationalisation de la classe ouvrière allemande.

La guerre mondiale, dans cette perspective, correspond bien à ce qu’avait prophétisé Marx, qui voyait en la guerre la sage-femme qui allait accoucher de la révolution, et même de la révolution mondiale. Se souvenant des écrits de Marx dans les années 1840-1850, Lensch et ses amis constate aussi que la guerre mondiale en cours va unir définitivement l’Allemagne et l’Autriche, même si les questions constitutionnelles n’étaient pas encore envisagées ; la guerre allait accoucher d’un Empire grand-allemand et réalisé de la sorte le rêve des révolutionnaires démocratiques de 1848. En outre, toujours selon la même logique tirée des écrits de Marx, la guerre mondiale en cours est la suite normale de la guerre d’unification de 1871.

Dans la mesure où l’Allemagne de 1914 affronte la Russie tsariste, le rêve de Karl Marx se réalise : une guerre révolutionnaire contre la Russie réactionnaire a enfin commencé! Celle-ci n’avait pas pu encore être détruite, pensent Lensch et ses camarades socialistes de gauche, parce que la situation de l’Allemagne était telle qu’elle devait tenir compte des intérêts russes. La victoire sur la Russie tsariste, pense Lensch, permettra aux socialistes allemands de vaincre l’“Angleterre intérieure”, représentée, à ses yeux, par les Junker prussiens (on s’étonne de constater que la liberté d’expression était largement accordée dans l’Empire allemand, même en pleine guerre!). Les Junker, en effet, veulent conserver un suffrage censitaire en Prusse, ce qui empêche la constitution d’une communauté populaire véritablement démocratique, donc national(ist)e. Vu les fortes positions de la social-démocratie en Allemagne, une victoire allemande dans la guerre en cours signifierait une victoire de la théorie marxiste, surtout vis-à-vis des partis socialites étrangers, dont les orientations politiques et sociales étaient nettement moins déterminées par l’œuvre de Marx. Pour Lensch, l’enjeu historique primordial de la guerre mondiale en cours était la lutte entre une Allemagne socialiste et le libéralisme britannique. Si celui-ci gagne la partie, le capitalisme organisé règnera sur le monde. C’est pourquoi le socialisme qui dépasse la lutte des classes est une forme d’organisation sociale supérieure qui conduira à l’émergence d’une véritable communauté populaire, qui devra rendre impossible le règne du capitalisme total à l’anglaise.

Au cœur de tous ses écrits, Lensch critique les positions pro-britanniques que prennent bon nombre de sociaux-démocrates. En ce sens, ses textes restent intéressants pour comprendre la critique récurrente de la politique anglaise. Ils méritent d’être encore lus et relus sous cet angle. En avançant ses arguments, Lensch applique avec pertinence à la politique étrangère les catégories conceptuelles forgées par Karl Marx et Friedrich Engels sur la lutte des classes, où l’Angleterre apparaît comme la puissance exploitrice et réactionnaire par excellence,dont l’immense empire doit être conduit à l’effondrement par la guerre mondiale qui, de fait, est une révolution mondiale.

Quand l’Allemagne perd finalement la partie, Lensch retombe sur les pattes, à sa manière. Il revient à l’anglophilie social-démocrate, qu’il avait pourtant critiquée. Sous la pression de la guerre mondiale, l’Angleterre avait changé, pensait-il. En politique intérieure, elle avait adopté les principes allemands du capitalisme organisé ; elle avait décrété le service militaire obligatoire, qui est d’essence démocratique ; elle était ainsi, à son tour, devenue une puissance progressiste. Malgré ces concessions positives, Lensch développe toutefois, dans son argumentation théorique d’après 1918, un point négatif, sur le plan de sa théorie générale du progrès : la victoire anglaise a certes porté la SPD au pouvoir sans partage, ce qui permettait d’ouvrir sans obstacle la voix au socialisme, mais elle avait simultanément détruit en Allemagne les éléments concrets qui en faisaient un pays totalement progressiste, dans une perspective marxiste. Pour réaliser un véritable socialisme, expliquait Lensch après 1918, il aurait fallu conserver l’armée prussienne-allemande et le gouvernement des fonctionnaires non partisans pour enrayer les tendances ploutocratiques du parlementarisme.

Les conditions dictées par le Traité de Versailles sanctionnent la victoire du capitalisme réactionnaire, ce qui, pour Lensch, implique, à l’évidence, qu’il faut dorénavant transposer les catégories marxistes de la lutte des classes dans la sphère de la politique internationale, de manière à penser la situation globale de manière féconde. Malgré les résultats contradictoires de la guerre mondiale, Lensch continuait à penser que l’Allemagne conservait son rôle de puissance sociale-révolutionnaire, dont l’importance était capitale, était d’une importance cruciale pour l’histoire future du monde. Elle pouvait d’autant mieux le jouer que la social-démocratie était victorieuse sur le plan intérieur et que la réaction avait été mise hors jeu. La “mascarade monarchique” avait disparu, ce qui rendait plus visible encore la disparition du facteur “réaction”. Pour pouvoir mener à bien cette lutte des classes au niveau international, il fallait d’abord, pensait Lensch, poursuivre la lutte des classes à l’intérieur, c’est-à-dire maintenir à flot cette idée concrète de communauté populaire, comme en août 1914.

Au fil des arguments avancés par Lensch, on constate, chez lui comme chez d’autres révisionnistes de gauche de l’époque, tel l’Italien Benito Mussolini, que la nation active, finalement, prend la place de la classe ouvrière en tant que sujet agissant du progrès historique. Il convient dès lors de mener une lutte internationale de libération contre le nouvel ordre imposé à Versailles, ce qui revient à poursuivre la guerre qui fut une révolution mondiale et à préparer une deuxième guerre, dès que la lutte des classes sur le front intérieur aura été parachevée sous l’égide d’un socialisme porté par un chef charismatique.

Paul Lensch fut pendant la “révolution de Novembre”, c’est-à-dire pendant les troubles qui ont immédiatement suivi l’armistice du 11 novembre 1918, l’intermédiaire entre les députés du peuple et l’état-major général des armées. Plus tard, il ne trouva pas de majortié au sein de la SPD pour appuyer ses projets révolutionnaires. En 1922, parce qu’il a coopéré à la neutralisation de la révolte spartakiste, il est exclu de la SPD. Son destin nous oblige toutefois à poser un question importante, dans le contexte du sort que l’on fait subir à la vérité historique en RFA aujourd’hui : n’était-ce qu’une foucade polémique de Crispien, porte-paroles de l’USPD pré-communiste et dissidente de la SPD jugée trop fade, d’avoir utilisé le vocable de “national-scoaliste” pour désigner cette SPD majoritaire, après l’élimination du spartakisme? La paternité du vocable ne revient pas à ce Crispien ; le terme a été utilisé pour la première fois en 1897 par les dissidents de la social-démocratie austro-hongroise dans l’espace tchèque (Bohème et Moravie) qui ont nommé leur parti Ceskoslovenska strana narodnescosocialisticka, soit “Parti national-socialiste tchécoslovaque”. En 1903, en réaction à la création de cette formation nationale-socialiste tchécoslovaque, les socialistes allemands de la région des Sudètes fondent un Deutsche Arbeiterpartei , soit un “Parti ouvrier allemand”, qui sera débaptisé en 1918 pour se nommer “Deutsche National-sozialistische Arbeiterpartei” [Parti ouvrier national-socialiste allemand], qui anticipera directement la NSDAP hitlérienne.

L’itinéraire personnel de Paul Lensch, député socialiste du Reichstag, explique pourquoi les figures de proue du socialisme allemand d’après 1945, tels Kurt Schumacher, qui fut Président de la SPD, ou Johann Plenge, n’ont jamais cessé de dire que l’émergence du national-socialisme n’a été possible qu’à cause de l’existence préalable du socialisme. Il existe donc bel et bien une évolution logique qui partirait du socialisme marxiste pour aboutir au national-socialisme. Cette évolution n’est pas purement dialectique, mais organique. Elle a été rendue possible en Allemagne après 1918, à cause des conditions trop contraingnantes du Traité de Versailles, qui ont obligé l’Allemagne vaincue à suivre une voie propre, particulière, que l’on ne peut comparer à celles des pays voisins.

Analyser les écrits de Paul Lensch, examiner le développement successif de sa vision politique, nous permet de mieux comprendre aujourd’hui quel a été le contexte idéologique et intellectuel purement socialiste —et marxiste-léniniste— dans lequel a émergé le national-socialisme allemand.

Josef SCHÜSSLBURNER.

(article tiré de Junge Freiheit, n°5/1998).

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dimanche, 01 juillet 2007

Türkisches Roulette

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Türkisches Roulette

Die neuen Kräfte am Bosporus

1. Auflage 2007, 256 Seiten mit 30 Fotos und Karte im Vor/Nachsatz
ISBN13: 978-3-7766-2527-1
19,90 EUR D / 20,50 EUR A / 34,90 CHF
Herbig
Dieter Sauter zeichnet ein differenziertes Bild der Türkei und erklärt Vor- und Nachteile eines EU-Beitritts.

Die Türkei ist ein Land der Widersprüche, das mit einem negativen Image kämpft: »Ehrenmorde«, Korruption, tote Journalisten und fliehende Schriftsteller beherrschen die Schlagzeilen. Der langjährige ARD-Korrespondent Dieter Sauter sprach mit Mafiosi, Militärs, Polizisten, Frauenrechtlerinnen und Menschenrechtsaktivisten. Er erklärt, wie dieses Land im Wandel, an der Grenze zum Nahen Osten mit seinen Krisengebieten und Energiequellen, funktioniert und was wir wissen müssen, um seine Menschen und seine Politik wirklich zu verstehen.

Wohin steuert die Türkei? Am Bosporus überstürzen sich die Ereignisse: Bei der Präsidentenwahl mischt sich das Militär ein und droht mit Putsch. Demonstrationen, Verfassungsänderungen, vorgezogene Neuwahlen bestimmen den politischen Alltag – und wo bleibt das Projekt EU-Mitgliedschaft? Was wird aus der Europäischen Union?, fragt man sich unterdessen in Europa. Dort ist ein EU-Mitglied Türkei nur schwer zu vermitteln. Zwar ist Ankara von einem riesigen Krisengebiet umgeben, das vom Hindukusch über den Persischen Golf bis zum Kaspischen Meer reicht, und es ist Energiekorridor zwischen Ost und West. Damit ist zwar seine geostrategische Bedeutung umrissen – aber gibt es nicht auch eine Vielzahl von Problemen und Risiken am Bosporus, die eine Mitgliedschaft der Türkei zum »Ernstfall« für die EU werden ließen?

Auf der Suche nach Antworten hat Dieter Sauter, der seit 1992 für die ARD aus Istanbul berichtete, mit Mafiosi, Militärs, Polizisten, Frauenrechtlerinnen und Menschenrechtsaktivisten gesprochen, um die Türkei auf ihrem Weg in die Moderne zu porträtieren. Er zeigt ein Land im Umbruch: wie sich trotz Behördenwillkür, Mafia, islamistischem Politikerfilz und traditionellem Stammesleben auch Bürgerinitiativen und modernes urbanes Leben entwickelten. Dabei ist es ihm gelungen, ein lebendiges und vielschichtiges Bild zu zeichnen, das dieses Land und seine Zukunft, die auch unsere ist, für uns verständlich macht.
Beachten Sie bitte auch folgenden Link: www.dieter-sauter.com

samedi, 30 juin 2007

R. Steuckers: Discours sur l'euro

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Robert Steuckers

«L'Euro ne sera une véritable monnaie que si l'Europe est forte et souveraine!»

     Chers amis,

     A moins de trois semaines de l'introduction officielle de l'Euro dans l'UE, à l'exception du Royaume-Uni, du Danemark et de la Suède, je voudrais rappeler trois faisceaux de faits, qui doivent encadrer toute pensée sur la nouvelle monnaie unique, que cette pensée lui soit hostile ou favorable. Je ne suis pas un

économiste et Monsieur Chalumeau, ici présent, vous présentera le volet économique de l'introduction de l'Euro avec beaucoup plus de brio que moi. Mon propos sera donc de donner quelques idées cadres et de rappeler quelques faits historiques. 

1. D'abord, l'Euro n'est pas la première monnaie à vocation européenne ou internationale. L'Union latine, de la fin du 19ième siècle à 1918, a introduit une monnaie supranationale partagée par la France, la Belgique, la Suisse, la Grèce, plus tard l'Espagne et le Portugal, suivis de la Russie et de certains pays d'Amérique latine. La première guerre mondiale, ayant créé des disparités énormes, a mis fin à ce projet d'unification monétaire, dont le moteur était la France avec son franc-or. L'Euro, dans cette perspective, n'est donc pas une nouveauté.  
2. Sur base du souvenir de l'Union latine et sur base des volontés, à l'époque antagonistes, de créer l'Europe économique autour de la nouvelle puissance industrielle allemande, l'idée de créer une monnaie pour le continent européen tout entier n'est pas a priori une mauvaise idée, bien au contraire. Le principe est bon et pourrait favoriser les transactions à l'intérieur de l'aire civilisationnelle européenne. Mais si le principe est bon, la réalité politique actuelle rend l'Europe inapte, pour l'instant, à garantir la solidité d'une telle monnaie, contrairement à l'époque de l'Union latine, où la position militaire des nations européennes demeurait prépondérante dans le mon-de.  
3. L'Europe est incapable de garantir la monnaie qu'elle se donne aujourd'hui parce qu'elle subit un terrible déficit de souveraineté. Dans son ensemble, l'Europe est un géant économique et un nain politique: on a répété cette com-paraison à satiété et à juste titre. Quant aux Etats nationaux, même les deux principaux Etats du sous-continent européen, membres de l'UE, la France et l'Allemagne, ne peuvent prétendre à l'exercice d'une souveraineté capable de résister voire de battre la seule puissance véritablement souveraine du monde unipolaire ac-tuel, c'est-à-dire les Etats-Unis d'Amérique. Les dimensions territoriales somme toute réduites de ces pays, le nom-bre restreint de leur population ne permettent pas la levée d'impôts suffisants pour se doter des éléments techniques qui seraient en mesure d'asseoir une telle souveraineté. Car aujourd'hui, comme hier, est souverain qui peut décider de l'état d'urgence et de la guerre, comme nous l'enseignait Carl Schmitt. Mais pour être souverain, il a toujours fallu disposer de moyens techniques et militaires supérieurs (ou au moins égaux) à ses adversaires potentiels. A l'heure actuelle, ces moyens sont un système de surveillance électronique planétaire, com-me le réseau ECHELON, né des accords UKUSA (Royaume-Uni et Etats-Unis), qui englobent aussi le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, anciens dominions britanniques. La maîtrise de l'espace circumterrestre par les puissances navales anglo-saxonnes découle d'une stratégie longuement éprouvée: celle qui vise à maîtriser les "res nullius" (les "territoires" qui n'appartiennent, et ne peuvent appartenir, à personne, parce qu'ils ne sont pas telluriques mais marins ou spatiaux). 

     La première "res nullius" maîtrisée par l'Empire britannique a été la mer, d'où ont été impitoyablement éliminés les Français, les Russes, les Allemands et les Japonais. Sous l'impulsion idéologique de l'Amiral Mahan et de la "Navy League" américaine, les Etats-Unis ont pris le relais En 1922, le Traité de Washington consacre la suprématie navale anglo-saxonne et japonaise (le Japon ne sera éliminé qu'en 1945), réduisant à néant la flotte allemande construite par Tirpitz et à la portion congrue les flottes française et italienne. La France subit là une gifle particulièrement humiliante et scandaleuse, dans la mesure où elle avait sacrifié 1,5 million de soldats dans une guerre atroce dont les deux puissances navales anglo-saxonnes allaient tirer tous les bénéfices, avec des sacrifices proportionnellement moindres. La domination des mers, première res nullius, entraînera la maîtrise d'un autre espace englobant, dont la maîtrise permet d'étouffer les continents, selon la "stratégie de l'anaconda" (Karl Haushofer). Cet autre espace englobant, également res nullius, est l'espace circumterrestre, conquis par la NASA et désormais truffé de satellites de télécommunications et d'observation, qui donnent aux puissances qui les alignent et les pilotent une supériorité en matière de renseignement et de guidage des tirs balistiques. Les puissances qui ne sont ni marines ni spatiales sont alors littéralement étouffées et broyées par l'anaconda naval et l'anaconda satellitaire. Français et Allemands ont toujours eu du mal à comprendre l'utilité des "res nullius" maritime et circumterrestre, malgré les avertissements d'un Ratzel, d'un Tirpitz ou d'un Castex. Les peuples rivés à la terre, soucieux de vivre selon les règles d'un droit bien solide et précis, évitant toute ambiguïté, admettent difficilement qu'un espace, même impalpable comme l'eau ou l'éther atmosphérique ou stratosphérique, n'appartient à personne. Cette qualité paysanne, ce souci du tangible qui est foncièrement honnête, hérités de Rome, s'avèrent tares devant une approche contraire qui, elle, privilégie la mobilité incessante, la conquête de lignes de communication invisibles et non quantifiables par un géomètre ou un arpenteur. 

     Voilà donc les trois faisceaux de considérations que je voudrais que vous reteniez tous après cette soirée.

     Espace circumterrestre et souveraineté militaire réelle

     Avant de conclure, je me permettrais de vous faire part de quelques autres considérations, cette fois d'ordre historique et monétaire. L'Euro nous a été présenté comme la monnaie qui concurrencera le dollar et éventuellement l'éclipsera. Face à ce jeu de concurrence, l'Euro part perdant, car le dollar américain, lui, dispose d'une couverture militaire évidente, comme l'ont prouvé les trois derniers conflits du Golfe, des Balkans et de l'Afghanistan. L'incontestable souveraineté militaire américaine se voit consolidée par un appareil diplomatique bien rodé où l'on ne tergiverse et ne discute pas inutilement et où l'on dispose d'un savoir historique bien charpenté, d'une mémoire vive du temps et de l'espace, contrairement à l'anarchie conceptuelle qui règne dans tous les pays d'Europe, victimes d'histrions politiques écervelés, dans la mesure où ils ne se sentent plus du tout responsables d'une continuité historique, qu'elle soit nationale-étatique ou continentale; cette irresponsabilité débouche sur toutes les fantaisies budgétaires, toutes les capitulations, toutes les démissions. Attitudes qui interdisent l'éclosion d'une souveraineté, donc aussi le droit régalien de battre monnaie. La conquête par l'Amérique de l'espace circumterrestre donne un avantage énorme dans la course aux renseignements, comme nous allons le voir tout à l'heure. Or, depuis le Chinois de l'antiquité, Sun Tzu, n'importe quel débutant en études stratégiques, donc en études politiques, sait que la puissance provient de l'abondance et de la précision du renseignement: 1) Sun Tzu: "Si tu connais l'ennemi et si tu te connais toi-même, tu ne connaîtras aucun danger dans cent batailles". 2) Machiavel: "Quelles sont les ressources physiques et psychiques que je contrôle, quelles sont celles que contrôle mon concurrent?". 3) Helmuth von Moltke: "Rassembler de manière continue et exploiter toutes les informations disponibles sur tous les adversaires potentiels". 4) Liddell-Hart: "Observer et vérifier de manière durable, pour savoir où, comment et quand je pourrai déséquilibrer mon adversaire".  Depuis 2500 ans, la pensée stratégique est unanime; les officines stratégiques britanniques et américaines en appliquent les axiomes; le personnel politique européen, histrionique, n'en tient pas compte. Donc l'Euro restera faible, fragile devant un dollar, peut-être économiquement plus faible dans l'absolu ou en pure théorie économique, mais couvert par une armée et un système de renseignement redoutablement efficace.

     Le seul atout de l'Euro est la quantité des échanges intérieurs de l'UE: 72%. Magnifique performance économique, mais qui nie les principes d'autarcie ou d'autosuffisance, opte donc pour un type d'économie "pénétrée" (Grjébine) et ne protège pas le marché par des instruments étatiques ou impériaux efficaces. De telles inconséquences conduisent à l'échec, au déclin et à l'effondrement d'une civilisation. 

     Autre aspect de l'histoire monétaire du dollar: contrairement aux pays européens, dont les espaces sont réduits et densément peuplés, et exigent donc une organisation rationnelle stricte impliquant une dose plus forte d'Etat, le territoire américain, encore largement vierge au 19ième siècle, constituait à lui seul, par sa simple présence, un capital foncier non négligeable, potentiellement colossal. Ces terres étaient à défricher et à organiser: elles formaient donc un capital potentiel et constituaient un appel naturel à des investissements destinés à devenir rentables dans tous les cas de figure. De surcroît, avec l'afflux d'immigrants et de nouvelles forces de travail, les exportations américaines en tabac, coton et céréales ne cessaient de croître et de consolider la monnaie. Le monde du 19ième siècle n'était pas clos, comme celui du 20ième et a fortiori du 21ième, et autorisait tout naturellement des croissances exponentielles continues, sans gros risques de ressacs. Aujourd'hui, le monde clos n'autorise pas autant d'espoir, même si les produits européens d'aujourd'hui sont parfaitement vendables sur tous les marchés du globe. Le patrimoine industriel européen et la production qui en découle sont indubitablement les atouts majeurs de l'Euro, mais, contrairement aux Etats-Unis, l'Europe souffre d'une absen-ce d'autarcie alimentaire (seules la France, la Suède et la Hongrie bénéficient d'une autarcie alimentaire relative). Elle est donc extrêmement fragilisée à ce niveau, d'autant plus que son ancien "poumon céréalier" ukrainien a été ruiné par la gestion désastreuse du communisme soviétique. Les Américains sont très conscients de cet-te faiblesse et l'ancien ministre Eagleburger constatait avec la satisfaction du puissant que "les denrées alimentaires étaient la meilleure arme dans l'arsenal américain". 

     Les deux escroqueries qui ont "fait" le dollar

     Le dollar, appuyé sur des réserves d'or provenant partiellement de la ruée de 1848 vers les filons de la Californie ou de l'Alaska, s'est consolidé également par une escroquerie retentissante, qu'il n'était possible de commettre que dans un monde où subsistaient des clôtures. Cette escroquerie a eu le Japon pour victime. Vers la moitié du 19ième siècle, désirant augmenter leurs réserves d'or pour avoir une couverture suffisante pour entamer le processus de rentabilisation du territoire américain, depuis le Middle West jusqu'à la Californie, fraîchement conquise sur le Mexique, les Etats-Unis s'aperçoivent que le Japon, isolé volontairement du reste du monde, pratique un taux de conversion des métaux précieux différent du reste du monde: au Japon, en effet, on échange un lingot d'or pour trois lingots d'argent, alors que partout ailleurs la règle voulait que l'on échangeât un lingot d'or pour quinze lingots d'argent. Les Américains achètent la réserve d'or du Japon en la payant au mode d'échange japonais, c'est-à-dire au cinquième de sa valeur! L'Europe n'aura pas la possibilité de commettre une telle escroquerie, pour consolider l'Euro. Deuxième escroquerie: la rentabilisation de l'Ouest passe par la création d'un colossal réseau de chemins de fer, dont les fameux transcontinentaux. Faute d'assez d'investisseurs américains, on fait appel à des investisseurs européens, en leur promettant des dividendes extraordinaires. Une fois les voies et les ouvrages d'art installés, les sociétés de chemin de fer se déclarent en faillite, ne remboursant dès lors ni dividendes ni capitaux. La liaison Est-Ouest par voies ferrées n'a rien coûté à l'Amérique; elle a ruiné des Européens naïfs et fait la fortune de ceux qui allaient immédiatement les utiliser.  

     Les Etats-Unis ont toujours visé le contrôle de la principale source énergétique, le pétrole, notamment en concluant très tôt des accords avec l'Arabie Saoudite. La guerre qui se déroule aujourd'hui en Afghanistan n'est ja-mais que le dernier volet d'une guerre qui dure depuis très longtemps et qui a pour objet l'or noir. Je ne m'é-ten-drai pas sur les vicissitudes de ce vieux conflit, mais je me bornerai à rappeler que les Etats-Unis possèdent sur leur propre territoire suffisamment de réserves pétrolières et que le contrôle de l'Arabie Saoudite ne sert qu'à empêcher les autres puissances d'exploiter ces gisements d'hydrocarbures. Les Etats européens et le Japon ne peuvent quasiment acquérir de pétrole que par l'intermédiaire de sociétés américaines, américano-saoudiennes ou saoudiennes. Cet état de choses indique ou devrait indiquer la nécessité absolue de posséder une autonomie énergétique, comme le voulait De Gaulle, qui pariait certes sur le nucléaire (à l'instar de Guillaume Faye), mais pas exclusivement; les projets gaulliens en matière énergétique visaient l'autarcie maximale de la nation et prévoyaient la diversification des sources d'énergie, en pariant aussi sur les éoliennes, les usines marémotrices, les panneaux solaires, les barrages hydro-électriques, etc. Si de tels projets étaient à nouveau élaborés en Europe à grande échelle, ils consolideraient l'Euro, qui, ipso facto, ne serait pas fragilisé par des coûts énergétiques trop élevés. 

     Autre atout qui favorise le dollar: l'existence du complexe militaro-industriel. Immédiatement avant la guerre de 1914, les Etats-Unis étaient débiteurs face aux Etats européens. Ils ont fourni des quantités de matériaux di-vers, d'aliments en conserve, de camions, de coton, de munitions aux alliés occidentaux, que ceux-ci ont livré leurs réserves et sont passés du statut de créanciers à celui de débiteurs. L'industrie de guerre américaine était née. Elle démontrera sa redoutable efficacité de 1940 à 1945 en armant non seulement ses propres troupes, mais aussi celles de l'Empire britannique, de l'armée levée par De Gaulle en Afrique du Nord et de l'armée soviétique. Les guerres de Corée et du Vietnam ont été de nouvelles "injections de conjoncture" dans les années 50, 60 et 70. L'OTAN, si elle n'a pas servi à barrer la route à l'hypothétique envahisseur soviétique, a au moins ser-vi à vendre du matériel aux Etats européens vassaux, à la Turquie, à l'Iran et au Pakistan. L'industrie de guerre européenne, sans doute capable de fabriquer du matériel plus performant en théorie, manque de coordination et bon nombre de tentatives amorcées pour coordonner les efforts européens sont purement et simplement torpillées: je rappelle que le "pool" européen de l'hélicoptère, qui devait unir MBB (Allemagne), Das-sault et Westland (Royaume-Uni) a été saboté par Lord Brittan. 

     En 1944, la situation est tellement favorable aux Etats-Unis, grands vainqueurs du conflit, qu'un taux fixe d'échange entre le dollar et l'or est établi: 35 $ pour un once d'or. Nixon mettra fin à cette parité en 1971, provo-quant la fluctuation du dollar, qui, entre lui et Reagan, va varier entre 28 FB et 70 FB (4,80 FF et 11,5 FF au taux actuel). Mais ces fluctuations, que d'aucuns feignaient de percevoir comme des calamités, ont toujours ser-vi la politique américaine, ont toujours créé des situations favorables: le dollar bas facilitait les exportations et le dollar élevé permettait parfois de doubler le prix des factures libellées en dollars et d'engranger ainsi des capitaux sans coup férir. On peut douter que l'Euro soit en mesure un jour de se livrer aux mêmes pratiques. 

     Revenons à l'actualité: en 1999, au début de l'année, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour l'Euro. L'inflation diminuait dans les Etats membres de l'Union. Les déficits budgétaires nationaux se résorbaient. La conjoncture était bonne. Les Etats d'Asie, notamment les NPI, annonçaient qu'ils se serviraient de l'Euro. Avec le déclenchement de la guerre des Balkans, l'Euro passera du taux de change de 1 Euro pour 1,18 $, le 4 janvier 1999, à 1 Euro pour 1,05 $ à la fin avril, en pleine guerre dans le ciel serbe, et à 1 Euro pour 1,04 $ en juin, au moment où cessent les bombardements en Yougoslavie. En tout et pour tout, l'Euro aura perdu 11% de sa valeur (18% disent les plus pessimistes), à cause de l'opération contre Milosevic, démonisé par les bons soins de CNN. 

     La guerre du Kosovo a dangereusement fragilisé l'Euro

     Après la guerre du Kosovo, l'Euro, fragilisé, acquiert la réputation d'être une monnaie de perdants. L'Europe devient un théâtre de guerre, ce qui diminue la confiance en ses institutions, notamment en Asie. L'arrêt des bombardements ne signifiant pas la fin des hostilités dans les Balkans, on verra une UE impuissante à maintenir l'ordre dans sa propre aire géopolitique. L'économiste allemand Paul J. J. Welfens énonce six raisons concrètes pour expliquer la dévaluation de l'Euro:
   1. Il n'y aura plus de démarrage dans le Sud-Est du continent avant longtemps. L'espace balkanique, ajouterais-je, est un "espace de développement complémentaire" (Ergänzungsraum) pour l'Europe occidentale et centrale, com-me c'était d'ailleurs déjà le cas avant 1914. Une des raisons majeures de la première guerre mondiale a été d'em-pêcher le développement de cette région, afin que la puissance allemande, et subsidiairement la puis-san-ce russe, ne puisse avoir de "fenêtre" sur la Méditerranée orientale, où se trouve le Canal de Suez, dont les Français avaient été évincés en 1882. En 1934, quand Goering, sans tenir compte du désintérêt de Hitler, par-vient à créer un modus vivendi par ses accords avec les dirigeants hongrois et roumains, et surtout par son en-ten-te avec le brillant économiste et ministre serbe Stojadinovic, les services américains évoquent la création de facto (et non de jure) d'un "German Informal Empire" dans le Sud-Est européen, ce qui constitue un "casus belli". En 1944, Churchill parvient à morceler les Balkans en gardant la Grèce, en "neutralisant" la Yougoslavie au bénéfice de l'Occident et en laissant tous les pays sans façade méditerranéenne à Staline et aux Soviétiques, qui furent ainsi totalement roulés dans la farine en dépit du rôle de "grands méchants" qu'on leur donnait. La fin du Rideau de fer aurait pu permettre, à terme, de refaire des Balkans cet "espace de développement complémentaire" dans l'aire européenne. Fidèles à leur volonté de toujours balkaniser les Balkans pour qu'ils ne deviennent jamais l'appendice de l'Allemagne ou de la Russie, les Américains ont réussi à geler tout développement potentiel dans la région pour de nombreuses décennies. L'Europe ne bénéficiera donc pas de l'espace de développement sud-oriental. Par conséquent, cet état de choses ralentira la conjoncture et les premières victimes de la paralysie des activités dans les Balkans sont l'Allemagne (comme par hasardЉ), l'Italie, l'Autriche (qui avait triplé ses exportations depuis 1989) et la Finlande. L'Euro en pâtira. 

     2. Les "dégâts collatéraux" de la guerre aérienne ont provoqué des flots de réfugiés en Europe, ce qui coûtera 40 milliards d'Euro à l'UE. 

     3. L'Europe sera contrainte de développer un "Plan Marshall" pour les Balkans, qui représentera, une demie année du budget de l'UE!

     4. Les migrations intérieures, provoquées par cette guerre et par le pourrissement de la situation, notamment en Macédoine et dans une Serbie privée de bon nombre de ses atouts industriels, vont poser problème sur le marché du travail et augmenter le taux de chômage dans l'UE, alors que, justement, ce taux de chômage élevé con-stitue l'inconvénient majeur de l'économie de l'UE.

     5. La guerre permanente dans les Balkans mobilise les esprits, rappelle Welfens, qui ne songent plus à mettre au point les projets de réformes structurelles nécessaires dans l'ensemble du continent (réformes structurelles qui voient par ailleurs leurs budgets potentiels considérablement rognés). 

     6. La guerre en Europe va entraîner une nouvelle course aux armements, qui va bénéficier aux Etats-Unis, déten-teurs du meilleur complexe militaro-industriel. 

     Nous voyons donc que la solidité d'une monnaie ne dépend pas tant de facteurs économiques, comme on tente de nous le faire accroire pour mieux nous ahurir, mais dépend essentiellement du politique, de la souveraineté réelle et non de la souveraineté théorique. 

     Cette souveraineté, comme je l'ai déjà dit au début de cet exposé, reposerait, si elle existait dans le chef de l'Europe, sur un système au moins équivalent à celui d'ECHELON. Car ECHELON ne sert pas à guider les missiles, comme une sorte de super-AWACS, mais sert surtout à espionner les secteurs civils. Dans l'enquête que le Parlement Européen a ordonné récemment sur le réseau ECHELON, on a pu repérer des dizaines de cas où de grands projets technologiques européens (notamment chez Thomson en France ou chez un concepteur d'éoliennes en Allemagne) ont été curieusement dépassés par leurs concurrents américains, grâce à ECHELON. L'élimination des firmes européennes a entraîné des faillites, des pertes d'emploi et donc un recul de la conjoncture. Comment l'Europe peut-elle, dans de telles conditions, consolider sa monnaie? Pire: l'atout européen majeur, ces fameux 72% de transactions internes à l'Union, risque d'être écorné si des firmes américaines fournissent des produits de haute technologie à vil prix (puisqu'elles n'en ont pas financé la recherche!). 

     L'Euro est une bonne idée. Mais l'UE n'est pas une instance politique décisionnaire. Le personnel politique qui l'incarne est histrionique, s'avère incapable de hiérarchiser les priorités. Dans de telles conditions, nous courrons à la catastrophe.
 

     12 décembre 2001 

 

ENGLISH SUMMARY
 

«The euro will  be a real currency only in a strong and sovereign Europe!» 


Address by Robert Steuckers to the Euro colloqium in Paris-Saint-Germain, December 13 2001, and to a meeting of “European Renaissance”, Brussels, December 20 2001  
 

In the present situation Europe is unable to guarantee its new currency. There is a terrible deficit of sovereignty. Europe is an economic giant but a political dwarf.
Sovereignty means owning technical and military means comparable to the ones of the potential enemy. But today the aerial and sea spaces are mastered by the US.
The only strong point of the euro is the high level of intra-European trade; but it is counterbalanced by a contradictory policy denying protection to the European market.
Europe cannot count upon the extraordinary conditions that favoured the rise of the dollar to world supremacy: the iniquous acquisition of Japanese gold, the exploitation of European investment in US railways, the control on energy sources, the existence of the military-industrial complex, and finally the unique situation that existed after World War II..
Besides, the euro has undergone a true sabotage due to the economic and political consequences of the Kosovo war.
To sum up, the strength of any currency lies not so much on economic factors, as on the essentially political factor of true sovereignty. As long as this element is missing, Europe is running towards catastrophe.

(M.C.)

06:05 Publié dans Affaires européennes, Economie, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 18 juin 2007

Sur l'égalitarisme moderne...

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Sur l'égalitarisme moderne

Réponse de Robert Steuckers à un étudiant dans le cadre d’un mémoire de fin d’étude

Quelle différence entre Nietzsche et Marx quand on se place du point de vue de l’égalitarisme moderne? Pour Marx, l’injustice provoque l’inégalité, pour Alain de Benoist, en ce sens post-nietzschéen, l’injustice s’instaure justement parce que nous vivons dans une ère égalitaire…

(Robert Steuckers, mai 1998) - Votre question s’inscrit dans une problématique d’ordre sémantique. Vous cherchez à y voir clair dans la manipulation tous azimuts de “grands mots” du débat politico-social: justice, liberté, égalité, etc., toutes dévalorisées par les “discours-bâteaux” de la politique politicienne. Essayons ici de clarifier ce débat.

1. Pour Marx, effectivement, l’injustice sociale, la non redistribution harmonieuse des revenus sociaux, la concentration de capitaux en très peu de mains provoquent une inégalité entre les hommes. Il faut donc redistribuer justement, pour que les hommes soient égaux. Ou ils seront égaux quand ils ne seront plus victimes d’aucune injustice d’ordre matériel (bas salaires, exploitation du travail humain, enfants compris, etc.).

2. Pour la tradition dite “inégalitaire” dont s’est réclamé de Benoist au début de sa carrière “métapolitique”, l’injustice, c’est que les individus d’exception ou surdoués ne reçoivent pas tout leur dû dans une société qui vise l’égalité. En ce sens, “égalité” signifie “indifférenciation”. Cette équation est sans doute plausible dans la plupart des cas, mais ne l’est pas toujours. Alain de Benoist craint surtout le nivellement (par le bas).

Ces opinions se développent au niveau de la vulgate, de la doxographie militante.
Pour approfondir le débat, il faut récapituler toute la pensée de Rousseau, son impact sur le socialisme naissant, sur le marxisme et sur les multiples avatars de la gauche contestatrice. Néanmoins, dans le débat actuel, il convient de souligner ce qui suit:

a) Une société équilibrée, consensuelle, harmonieuse, conforme à une tradition crée d’elle-même la justice sociale, elle la génère spontané­ment, elle est travaillé par une logique du partage (des risques et des biens) et, partiellement, du don. Elle évite les clivages générateurs de guerres civiles, dont les inégalités trop flagrantes en matières économiques. La Rome antique nous donne de bons exemples en la matière, et pas seulement dans les réformes des Gracches (auxquelles se réfèrent les marxistes). Les excès de richesses, les accumulations trop flagrantes, les spéculations les plus scandaleuses, l’usure étaient réprimés par des amendes considérables, réinvesties dans les festivités de la ville. On s’amusait a posteriori avec l’argent injustement ou exagérément accumulé. Les amendes levées par les édiles couroules et plébéiennes taxaient ceux qui contrevenaient à la frugalité paradigmatique des Romains et le peuple en tirait profit. L’accumulation exagérée de terres arables ou de terres à pâturages étaient également punie d’amende (multo ou mulcto).

b) La pratique de la justice est donc liée à la structure gentilice et/ou communautaire d’une société.

c) Une structure communautaire admet les différences entre ses citoyens mais condamne les excès (hybris, arrogance, avarice). Cette condamna­tion est surtout morale mais peut revêtir un caractère répressif et coercitif dans le chef des autorités publiques (le multo réclamé par les édiles de la Rome antique).

d) Dans une structure communautaire, il y a une sorte d’égalité entre les pairs. Même si certains pairs ont des droits particuliers ou complémen­taires liés à la fonction qu’ils occupent momentanément. C’est la fonction qui donne des droits complémentaires. Il n’y a nulle trace d’inégalité ontologique. En revanche, il y a inégalité des fonctions sociales.

e) Une structure communautaire développe simultanément une égalité et des inégalités naturelles (spontanées) mais ne cherche pas à créer une égalité artificielle.

f) La question de la justice est revenue sur le tapis dans la pensée politique américaine et occidentale avec le livre de John Rawls (A Theory of Justice, 1979). Le libéralisme idéologique et économique a généré dans la pensée et la pratique sociales occidentales un relativisme culturel et une anomie. Avec ce relativisme et cette anomie, les valeurs cimentantes des sociétés disparaissent. Sans ces valeurs, il n’y a plus de justice sociale, puisque l’autre n’est plus censé incarner des valeurs que je partage aussi ou d’autres valeurs que je trouve éminemment respectables ou qu’il n’y a plus de valeurs crédibles qui me contraignent à respecter la dignité d’autrui. Mais, dans le contexte d’une telle déperdi­tion des valeurs, il n’y a plus de communauté cohérente non plus. La gauche américaine, qui s’est enthousiasmée pour le livre de Rawls, a vou­lu, dans une deuxième vague, restaurer la justice en reconstituant les valeurs cimentantes des communautés naturelles qui composent les Etats et les sociétés politiques. Reconstituer ces valeurs implique forcément un glissement à “droite”, non pas une droite militaire ou autoritaire, mais une droite conservatrice des modèles traditionnels, organiques et sym­biotiques du vivre-en-commun (merry old England, la gaieté française, la liberté germanique dans les cantons suisses, etc.).

g) La contradiction majeure de la “nouvelle droite” française est la suivante: avoir survalorisé les inégalités sans songer à analyser sérieusement le modèle romain (matrice de beaucoup de linéaments de notre pensée politique), avoir survalorisé les différences jusqu’à accepter quelques fois l’hybris, avoir simultanément chanté les vertus de la communauté (au sens de la définition de Tönnies) tout en continuant à développer un discours inégalitaire et faussement élitiste, ne pas avoir vu que ces communautés postulaient une égalité des pairs, avoir confondu l’égalité des pairs et l’égalité-nivellement ou ne pas avoir fait clairement la différence, avoir produit des raisonnements critiques sur l’égalité sans prendre en compte la valeur “fraternité”, etc. D’où l’oscillation de de Benoist face à la pensée de Rousseau: rejet complet au début de sa carrière, adhésion enthousiaste à partir de la fin des années 80 (cf. intervention au colloque du GRECE de 1988). Avec la percée de la pensée communautarienne américaine (cf. Vouloir n°7/NS et Krisis n°16), qui se réfère à la notion de justice théorisée par Rawls, la première théorie néo-droitiste sur l’égalité vole en éclat et n’est plus reprise telle quelle par la nouvelle génération du GRECE.

h) L’égalité militante, leitmotiv qui a structuré les démarches de toutes les pensées politiques dominantes en France, est une égalité qui vise l’arasement, la mise au pas des mentalités et des corps (Foucault: “surveiller et punir”), le quadrillage du territoire, qui agit par le déploiement d’une méthode systématique pour transformer la diversité grouillante de la societas civilis en une “Cité géométrique” (Gusdorf). Dans une telle démarche les communautés et les personnalités sont disciplinées, se voient imposer l’interdiction d’exprimer et leur spontanéité et leur spécificité et leur génie créatif. La volonté de restaurer cette spontanéité, cette spécificité et ce génie créatif passe par un refus des méthodes d’arasement “égalitaires”, mais n’interdisent pas de penser l’égalité en termes d’égalité des pairs et en termes de “phratries” communautaires et de fraternité au sens général (troisième terme de la triade révolutionnaire française, mais laissée pour compte dans quasi toutes les pratiques politiques post-révolutionnaires). La ND française (contrairement à ses pendants allemand et italien) a mal géré cette contradiction entre la première phase de son message (anti-égalitariste obsessionnel) et la seconde phase (néo-rousseauiste, démocratiste organique, communautarienne et citoyenne, intérêt pour la théorie de la justice chez Rawls). Elle est toujours perçue comme anti-égalitariste obsessionnelle dans les sources historiographiques les plus courantes, alors qu’elle développe un discours assez différent depuis environ une douzaine d’années, discours dont les principaux porte-voix sont de Benoist lui-même et Charles Champetier.

jeudi, 14 juin 2007

Théologie politique américaine

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De la théologie politique américaine

«C’est un paradoxe flagrant de l’histoire de voir comment un nationalisme précis (et particulièrement puissant) se déclare non seulement “prophétique” mais aussi universel, tout en se matérialisant dans de nombreux actes d’expension ou d’interventionnisme». Anders Stephenson*

L’éminent juriste allemand Carl Schmitt a ca­rac­térisé l’idéologie de l’expan­sion­nisme et de l’im­périalisme américains comme une théolo­gie politique, qui est en même temps totali­tai­re, dogmatique et pseudo universaliste, et qui s'in­gé­nie à faire l'équation —avec le zèle et la fer­veur d’un Torquemada— entre l’in­térêt in­ter­national particulier des Etats-Unis et l’in­té­rêt du genre humain.

Hans Morgenthau remarque que l’universa­lis­me est une idéologie qui répond aux besoins de l’impéria­lis­me et de l’expansionnisme. L’ex­pansionnisme est sans cesse en opposition avec l’ordre international dominant et le statu quo existant. L’expansionnisme doit prouver que le statu quo qu’il cherche à vaincre mérite d’être vaincu et que la légitimité morale qui, dans l’esprit de beaucoup, est attachée aux cho­ses telles qu'elles sont, sera finalement ob­ligée de céder face à un principe de plus gran­de moralité, tout en faisant appel à une nou­velle distribution de pouvoir (1). «Jusqu’à pré­sent, vu que les idéologies typiques de l’impé­ria­lisme utilisent des concepts de droit, elles ne peuvent faire référence de manière correcte au droit international positif, c’est-à-dire au droit in­ternational tel qu’il existe aujourd’hui. Dans le do­mai­ne du droit, c’est la doctrine du droit naturel, c’est-à-dire du droit comme il de­vrait être [et non pas tel qu'il est, ndt], qui répond aux besoins idéo­lo­giques de l’im­péria­lisme… Lorsque la politique impé­rialiste expan­sionniste n’est pas dirigée contre un sta­tu quo en particulier, fruit d’une guerre perdue, mais tend à s'accroître à l'appel d'un vide de pou­voir qui invite à la conquête, elle avance tout un arsenal d’idéologies morales / moralisantes qui ont évidem­ment pour corollaire de rem­pla­cer le simple appel à un “droit naturel juste” contre “un droit positif in­juste” par le devoir, inévitable, de conquérir le pays récalcitrant (2).

La doctrine de la “destinée manifeste”

L’objectif principal de l’idéologie impérialiste est de faire l'équation entre les aspirations po­litiques d’une nation précise, d'une part, et les lois morales qui gou­vernent l’univers, d'autre part; nous avons là une idéologie spécifique­ment anglo-saxonne pour habiller les aspi­ra­tions particulières et les actions impérialistes d'un objectif moral, qui correspondrait aux lois de l’univers. Cette idéologie a d'abord été ty­pi­quement britannique, mais elle a été perfec­tion­née et absoluisé par les Etats-Unis. «Le fait que savoir que les nations soient soumises à la loi mo­rale est une chose, mais prétendre sa­voir avec as­surance ce qui est bon et mauvais dans les relations entre les nations, est d’un au­tre ressort. Il y a un mon­de de différence en­tre la croyance que toutes les nations sont sous le couvert du jugement de Dieu, impéné­trable au genre humain, et la conviction blas­phé­matrice que Dieu est toujours de son côté et que ce que cette puissance alliée à Dieu veut pour elle-même ne peut pas connaître l'é­chec, parce que cette volonté est aussi celle de Dieu» (3).

L'exemple d'école d’un tel blasphème se re­trou­ve dans l’assertion du Président McKinley qui affirmait que l’annexion des Philippines (et la série de mas­sacres de civils qui s'ensuivit) était un signe de la providence divine. Cette con­quête et ces massacres avaient été entre­pris après que le président ait reçu un signe de la Providence. L’Amiral Dewey reven­di­quait le fait que la conquête des Philippines était un ga­ge d’approbation divine. «Je devrais dire que la main de Dieu y était pour quelque cho­se» (4).

Les arguments avancés pour justifier la con­quê­te des Philippines se concentraient sur des thèmes re­ligieux. «Ces thèmes s'exprimaient par les mots de­voir et destinée. Selon le pre­mier terme, refuser l’annexion des Philippines au­rait signifié omettre d'ac­complir une obliga­tion divine et solennelle. Selon le second ter­me, l’annexion des Philippines en parti­culier et l’expansion en général étaient inévitables et ir­ré­sistibles» (5); dans cette optique, l’expan­sion­nis­me impérial américain était une “desti­née manifeste” sous le signe de la Providence.

Une doctrine calviniste

La doctrine calviniste devient ainsi une arme idéo­lo­gique pour la guerre d’agression et l’ex­pansion­nis­me. «Les victoires rapides gagnées par les forces américaines ont renforcé les po­si­tions psycholo­gi­ques des impérialistes. L’im­pres­sion de commettre un acte répréhensible ne se renforce que si l’action contestable est suivie de revers. Inversement, la mauvaise cons­cience diminue ipso facto si le projet est exécuté avec brio. L'échec s'interprète comme une punition de la Providence; mais la réus­si­te, telle que la décrit le schéma calviniste, se perçoit comme le signe extérieur d’un état de grâce intérieur… Le «devoir», disait le Pré­si­dent McKinley, «détermine la destinée». Tandis que le devoir signifie que nous avons une obli­gation morale, la destinée signifie que nous al­lons certainement remplir cette obligation, que la capacité à le faire nous est inhérente. Notre histoire a toujours été une histoire ininterrom­pue d'expansion; notre pays était toujours par­­venu autrefois à s'étendre, ainsi il était cer­tain qu'il réus­sirait de la même façon dans le fu­tur. La force d’ex­pansion est un héritage na­tio­nal et “racial”, un be­soin intérieur, irrésis­ti­ble et profond… La Providence a été vraiment in­dulgente envers nous en nous pro­curant des réussites si fructueuses que nous com­met­­trions un péché si nous n’acceptions pas les res­ponsabilités que l’on nous a demandé d’as­sumer» (6).

L’impérialisme américain a développé une puis­­­sante théologie de l'élection. L’idée améri­caine d'élection historique ou providentielle, in­hérente à la doctrine de la Destinée Mani­fes­te, a fait en sorte que Dieu et la géopolitique fu­sionnent en un tout parfaitement instrumen­ta­lisable; la doctrine procure ainsi la «légi­ti­mi­té» à la conquête et l’expansionnisme.

Un charabia moraliste et religieux

Le charabia moral et religieux de la doctrine de la Destinée Manifeste, tellement américain dans son sens primitif profond, est facile à éva­cuer car elle n'est qu'un bric-à-brac idéo­logique. Malgré sa nature de bric-à-brac, cet abominable bricolage est devenu l'assise de la théologie politique et de la politique étrangère américaines. L’expansionnisme impéria­lis­te se voyait élevé au rang d’obligation positive, au rang de devoir. Plus l’expansionnisme était im­pi­toyable, plus on le justifiait par une appro­ba­tion divine. La volonté des impérialistes amé­ricains était d’égaler la volonté de Dieu. L’im­pé­rialisme est de­venu «une vertu dérivée de l’ap­pel de Dieu». Rester en deçà équivalait à «re­jeter la guidance divine». Le Sénateur Al­bert J. Beveridge déclara un jour que «Dieu n’a pas passé son temps pour rien durant un millier d’années à préparer les peuples anglo­pho­nes pour qu'ils ne se livrent à rien d'autre qu'une vaine et ridicule auto-contemplation et au­to-admiration. Non! Il a fait de nous les maî­tres-organisateurs du monde pour établir des systèmes ordonnés là où régnait le chaos. Il a fait de nous des virtuoses de la bonne gou­vernance pour que nous puissions, le cas é­chéant, gérer la politique chez les peuples sau­vages et les peuples séniles» (7).

Pris dans la spirale du destin

Le thème de la destinée était un corollaire du thè­me du devoir. A maintes reprises, on a dé­cla­ré que l’ex­pansion était le résultat d’une «tendance cosmique», que «c’était le destin», que c’était «la logique ine­xorable des événe­ments», etc. La doctrine qui affir­me que l’ex­pan­sion est inévitable a bien sûr été long­temps familière aux Américains; nous savons ô com­bien la Destinée Manifeste a été invoquée au cours du 19ième siècle. Albert Weinberg souli­gne, toutefois, que cette expression prend un nouveau sens dans les années 90. Auparavant, destinée si­gnifiait, dans son sens premier, que l’ex­pansion a­mé­ricaine, quand on le voulait, pou­vait être con­tre­carrée par d'autres qui pou­vaient se mettre en tra­vers de notre chemin. Au cours des années 90, le sens de cette no­tion de “Destinée Manifeste” a lé­gèrement é­vo­lué; elle finit pas vouloir signifier que “les A­méricains ne pouvaient pas, par leur propre volonté, refuser cette expansion”, car ils é­taient pris, qu'ils le veuillent ou non, dans la spi­rale du destin. Nous faisions montre d'une cer­taine réti­cence. Ce n’était pas tout à fait ce que nous voulions faire; c’était ce que nous de­vions faire. Notre politique agressive se vo­yait implicitement définie comme obligatoire, com­me le fruit, non pas de nos propres envies, mais d’un besoin objectif (ou de la volonté de Dieu) (8). La destinée a toujours eu une desti­na­tion, et la destination correspondait à l’ex­pan­sion­nisme géopolitique; ainsi la source de l’impé­ria­lisme américain était le désir de Dieu don­né aux élus pour destinée.

La mythologie politique de la Doctrine de Monroe

Kenneth M. Coleman définit le corollaire politi­que (et géopolitique) de la doctrine de la Des­tinée Manifes­te, soit la doctrine Monroe, com­me une mythologie po­litique : «Une mytholo­gie politique a émergé par­mi les Nord-Amé­ri­cains pour justifier la réalité de leur hégémonie dans les Amériques. La doctrine Mon­roe con­sti­tue un exemple quasi paradigmatique de la création d'un mythe politique accompagnant la création de l’empire américain. Il apparaissait néces­saire, à l'époque, de trouver une sorte de vé­hicule rhétorique par lequel on puisse sug­gé­rer non pas une intention expansionniste, mais une auto-abné­gation… Dès ses débuts, la doctrine Monroe a été un artifice rhétorique con­çu pour réconcilier les valeurs affirmées, c'est-à-dire celles qui évoquent le désin­té­res­se­ment et l'abnégation des Américains, avec leurs intentions expansionnistes réelles qui vi­sent à réaliser leurs intérêts stratégiques et éco­nomiques majeurs. Ainsi la première carac­té­ri­stique dans la définition d'une mythologie po­litique est son actua­lité… L’hégémonie, tout comme l’Empire, postule la création d’une my­tho­logie légitimante… Dans le cas d'un Empire, la mythologie doit faire raisonner les Améri­cains comme suit : «Nous vous dirigeons parce qu’il est dans votre intérêt que ce soit nous qui le fassions»… Dans le cas d'une hégémonie, la my­thologie doit générer la croyance que les re­lations existantes sont bénéfiques aux parte­nai­res et que ceux qui ne les perçoivent pas comme telles sont malavisés ou intrinsèque­ment mauvais...» (9).

Le message normatif de la Doctrine de Monroe

La mythologie politique, qui sous-tend les di­ver­ses formes d'hégémonie, se distingue des au­tres mytho­lo­gies, dans le sens où elle nie l’existence de la do­mination politique et éco­no­mique. Elle est similaire à la mythologie de l’im­périalisme parce qu'elle affirme que les re­la­tions existantes sont justes, appropriées, i­né­vitables, ou défendables de manière sur le plan des normes… La doctrine Monroe ren­fer­me un mes­sa­ge normatif… qui dit que les cau­ses actuelles, dé­fendues par l'Amérique, sont ju­stes, moralement dé­fendables, et en accord avec les plus grands prin­cipes d’un ordre poli­ti­que supérieur à d’autres ordres politiques (10) et que l’impérialisme américain sert un but moral plus élevé, celui de la Destinée Ma­ni­feste laquelle a été préalablement fixée par Dieu lui-même. Kenneth M. Coleman cite Sal­va­dor de Ma­da­riaga qui décrit la nature de la doctrine Monroe selon les termes suivants: «Je sais seulement deux choses à propos de la doc­trine Monroe: l’une est qu’aucun Américain que j’ai rencontré ne sait ce que c’est; l’au­tre est qu’aucun Américain que j’ai rencontré ne consentirait à ce que l'on tergiverse à son pro­pos… J’en conclus que la doctrine Monroe n’est pas une doctrine mais un dogme… pas un seul dogme, mais bien deux, à savoir: le dogme de l’in­faillibilité du Pré­sident américain et le dog­me de l’immaculée con­ception de la politique étrangère américaine» (11).

Les intérêts des Etats-Unis sont les intérêts de l'humanité toute entière

Croire que les Américains sont un peuple choisi par Dieu, pour amorcer une expansion sans fin, était in­hérent tant à la doctrine de la Des­ti­née Manifeste qu'à la doctrine de Monroe. «Le terme qui a servi à prendre ce sens de moral, du moins sur le plan de l’expansion géo­graphique, est celui de “Destinée Ma­ni­fes­te”; il révèle la certitude calviniste avérée : Dieu révélera au monde ceux qui assureront Sa grâ­ce et les rendra prospères». Si les Etats-Unis re­pré­sentent la Terre Promise du Peuple Choisi, alors « il est absolument impossible de concevoir une si­tua­tion dans laquelle les in­té­rêts du genre humain ne sont pas tout à fait iden­tiques à ceux des Etats-Unis. En faisant mon­tre d'une telle présomption, l’oppo­si­tion à la Destinée Manifeste (des Etats-Unis) n’était pas une simple opposition politique —elle ne re­pré­sentait pas une quelconque différence d’o­pinion et se posait plutôt comme une hé­ré­sie, en révolte contre les gens choisis par Dieu lui-même… Si les autorités des Etats-Unis —les autorités choisies par les gens favorisés par Dieu lui-même— étaient en faveur d'u­ne politi­que donnée, alors critiquer la justice ou la mo­­ra­lité de cette politique s'avérait moralement im­possible» (12).

Dans cette optique, il faut se souvenir de la con­clu­sion de Werner Sombart qui disait que «le calvi­nis­me est la victoire du judaïsme sur la chrétienté» et que «l’Amérique est la quin­tessence du judaïsme». L’immoralité politique de la doctrine de la “Destinée Manifeste”, l’ex­pansionnisme géopolitique, sous la for­me d'u­ne conquête de territoires, telle que la re­ven­­dique la doctrine de Monroe, et l’impérialisme économique, tel qu'il se manifeste sous la for­me de la politique des “portes ouvertes” (Open Doors Po­licy), deux options qui ont été fusion­nées par la suite sous la dénomination de “wil­so­nisme” (Doctrine de Wilson), sont en fait des traductions simplistes et mal­veillantes de la vieil­le immoralité talmudique, re­pérable dans l'his­toire.

Carl Schmitt a souligné que la transformation de la doctrine de Monroe, à partir d’un Gross­raum ("grand espace") concret, en un principe universel, c’est-à-dire la “théologisation” d’un im­périalisme américain spécifique et particu­lier, en une doctrine mondialiste universelle, qui doit inéluctablement déboucher sur une puis­sance-monde unique et absolument domi­nante, une “Capital Power”, laquelle “servirait” les intérêts du genre humain. Cette trans­for­ma­tion d'un impérialisme particulier en un mon­­dialisme sans al­ter­native est aussi le com­men­cement de la “théo­lo­gisation” des objectifs politiques étrangers améri­cains (13). Ce pro­ces­sus de “théologisation” a débu­té au cours de la présidence de Théodore Roosevelt, mais le Président Woodrow Wilson fut le premier à élever la doctrine de Monroe au rang d'un prin­cipe mon­dial, à véritablement “mondialiser” une doctrine qui, auparavant, était censée se li­miter au seul hé­misphère occidental, pana­mé­ricain. Dans la moralité calviniste, talmudi­que et axée sur la Prédestination de Woodrow Wilson, l'idée-projet de la domination mondiale de l'Amérique devient la substance même de son plaidoyer pour une doctrine de Monroe à ap­pliquer au monde entier.

L'immoralité foncière de Wilson le “moraliste”

Un cas à mentionner : le slogan américain de la «De­s­tinée Manifeste» a servi à accroître l'ai­re d'ap­pli­cation de la doctrine de Monroe par le biais du prin­cipe de l'autodétermination des peuples qu’a uti­lisé le Président Wilson lors de la Conférence de Paix de Paris (Versailles), pour accroître de fait —et sub­tilement— les sphè­res d'influence anglo-saxonne et pour créer un Cordon Sanitaire autour de l’Alle­ma­gne et de la Russie Soviétique en Europe, un Cordon Sanitaire composé d’Etats tampons. Évi­demment, le Président Wilson, dans son em­pressement à faire va­loir en Europe le droit à l’autodétermination, n’a jamais dénoncé la doc­trine de Monroe qui incarnait, à son épo­que, dans l'hémisphère américain, la né­ga­tion absolue de ce droit qu’il proclamait au bénéfice des petits peuples des anciens môles impé­riaux d'Eu­­rope centrale et orientale. En fait, ce qu’il a vou­lu dire en parlant du droit à l'auto­dé­termination était clairement démontré en 1914 déjà, lorsque l’Améri­que, renversant le gou­vernement élu au Mexique, a bombardé la vil­le mexicaine de Vera Cruz, tuant ain­si des cen­taines de civils. Après le bombardement qui, par la suite, a conduit à la chute du gou­ver­ne­ment mexicain et à l’installation d’un fan­toche à la solde des Etats-Unis, le Président Wil­son, en mettant l’accent sur la soi-disant iden­tité entre la politique américaine et la jus­tice universelle, a convaincu le mon­de que «les Etats-Unis ont renversé le pouvoir mexicain pour rendre service à l'humanité» (14) (sic!). Le Président Wilson croyait sincèrement au rô­­le providentiel, désigné par Dieu, des Etats-U­nis pour diriger le monde.

Aujourd’hui, si l’on regarde la situation de la You­go­slavie, on peut constater qu’une fois en­co­re le prin­cipe pseudo-universel du droit à l’au­todétermination a été utilisé comme un mo­yen idéologique pour ren­verser un statu quo existant, via un règlement fron­talier en Europe, alors que les frontières euro­péennes a­vaient été définitivement reconnues et ac­ceptées comme telles par les Accords d’Hel­sin­ki. De même, ce fameux droit à l'autodéter­mi­nation, in­ven­té jadis par Wilson, a servi à lé­gi­timer les atrocités musulmanes lors de la guer­re en Bosnie d’abord, puis celles, innom­ma­bles, des bandes armées isla­mistes, ter­roristes et mafieuses des Albanais du Ko­sovo; en fait, ces bandes d'irréguliers musulmans sont l’équivalent européen des “Contras” du Ni­cara­gua, armés, entraînés et subsidiés par les Etats-U­nis. L'Europe est désormais traitée de la même ma­nière que les anciennes ré­pu­bliques latino-amé­ri­cai­nes.[ndt : Pire, dans le cas de la Bosnie et du Ko­sovo, les dirigeants des principales puissances euro­péennes ont ap­plaudi et participé à ces horreurs, en po­sant, via les relais médiatiques, les assassins bos­niaques et albanais comme des héros de la li­berté ou des défenseurs des droits de l'hom­me].

Quand l'Allemagne hitlérienne reprenait à son compte les concepts forgés par Wilson

Ironie historique : l’Allemagne nazie avait em­prun­té, en son temps, de nombreux concepts idéo­logiques venus d'Amérique. Ainsi, l’Allema­gne nazie fondait ses requêtes pour réviser le statu quo du Traité de Versailles, d'abord sur le principe d’égalité que le Traité de Versailles avait violé. Les juristes alle­mands ont pris cons­­cience que le droit international en place n’était rien d’autre que l’universalisation de l’hé­gémonie anglo-saxonne, et, partant, la “théo­lo­gi­sation” de l’intérêt national américain en par­ticulier. Ces juristes allemands se sont donc mis à parler d’un nouveau droit interna­tio­nal qui servirait l’intérêt national allemand, comme le droit en place servait les intérêts na­tio­naux américains. Ce nouveau droit, favo­ra­ble aux intérêts allemands, utiliserait égale­ment le concept d'un “nouvel ordre mondial juste” destiné à justifier l’expansionnisme ger­ma­nique et à préparer le renversement du sta­tu quo international, qui s'était établi après la guerre de 14-18.

Les principes de bases de la théologie politique a­mé­ricaine peuvent se résumer comme suit:

◊ a) L’intérêt national des Etats-Unis s'univer­sa­lise dans le but de devenir l’intérêt universel du genre humain ou de la communauté inter­na­tio­nale. Par conséquent, l’expansionnisme im­périaliste américain est alors vu comme un avancement de la race hu­maine, une promo­tion de la démocratie, luttant con­tre le totalita­ris­me, etc. Les intérêts américains, le droit in­ter­national, et la moralité internationale de­vien­nent équivalents. Ce qui sert les intérêts a­mé­ri­cains est posé, avec une incroyable ef­fron­terie, com­me des actes visant ou poursui­vant les desseins de la morale et du droit, dans tous les cas de figure (15).

Délégitimer les intérêts nationaux des autres pays

b) Par conséquent, l’universalisation de l’inté­rêt na­tio­nal américain, sa légitimation transna­tio­nale —u­ne façade allant au-delà de toutes les légitimités concrètes— conduit à délégiti­mer les intérêts natio­naux des autres pays. A travers la doctrine de Mon­roe, les pays latino-américains se voyaient refuser l'ex­pression de leurs intérêts nationaux, du moins ceux qui dif­féraient de ou s'opposaient à l’intérêt na­tio­nal américain. Quoi qu'il en soit, une analyse his­torique objective montre clairement que l’intérêt na­tio­nal authentique des pays latino-a­méricains s'op­po­sent, en règle générale et par nécessité, à l’intérêt national des Etats-Unis. L’effet de la doctrine de Mon­roe était que les pays latino-américains cessent d’exister po­li­tiquement, en devenant des protecto­rats et des nations captives au sens propre du ter­me.

c) Avec le Pacte Briand-Kellog, les Etats-Unis amor­cèrent l'étape suivante dans la globalisa­tion de leur théologie politique. Les guerres me­nées au départ d’intérêts nationaux diffé­rents de ceux des Etats-Unis se voyaient éti­que­tées comme des “guerres d'agression”, tan­dis que les guerres agressives me­nées par les Etats-Unis étaient considérées comme des “guerres justes”. Les réserves émises par les E­tats-Unis quant au Pacte de Kellog revêtent une im­portance particulière : les Etats-Unis se ré­servent le droit d’être seuls juges de ce qui constitue une guer­re d’agression. La doctrine américaine de reconnais­sance et de non-re­con­naissance des Etats est éga­le­ment signifi­ca­tive : les Etats-Unis se réservent le droit d’ê­tre les seuls juges pour décider quel Etat doit être reconnu ou non et quels sont les motifs qui les amènent à reconnaître un Etat ou non. Ces mo­tifs équivalent à l’intérêt national des Etats-Unis. Pour voir à quels dangers et quelle absurdité grotes­que, cette équivalence peut me­ner s'observe dans l’exemple historique de la non-reconnaissance par les Etats-Unis de la Chine après 1949, alors qu'ils re­connaissaient le régime fantoche de Tchang Kai Tchek, qu'ils avaient installé et qu'ils contribuaient à main­te­nir. Les Etats-Unis ont utilisé leur doctrine de non-reconnaissance, bloquant l’admission de la Chi­ne aux Nations Unies, dans le but précis de sa­boter les Nations Unies et aussi pour s’assu­rer, par cet ar­tifice, deux sièges au Conseil de Sé­curité des Na­tions Unies, la Chine de Tchang Kai Tchek leur étant dévotement inféodée.

d) L’utilisation idéologique du concept de guer­re —et les principes de reconnaissance et de non-recon­naissance— mène également à la dés­hu­manisation médiatique des adversaires de l'Amérique : l'ennemi n'est plus un ennemi qui défend à égalité ses inté­rêts nationaux, mais un paria international.

e) La conséquence finale du développement de la théo­logie politique américaine est l’identifi­ca­tion du droit international —le Droit des Na­tions— avec le sy­stème de l’impérialisme amé­ri­cain. La source de ce droit international n'é­tant, dans un tel contexte de "nouvel ordre mondial", plus rien d'autre que la volonté géo­politique et stratégique des Etats-Unis. Un tel "droit international" (?) n’est vraiment plus le Droit des Nations, au sens classique et habi­tuel du terme, mais bien le droit du pays le plus fort, l’in­car­nation de l’hégémonie et de l’ex­pansionnisme amé­ricains. L’intérêt national des Etats-Unis reçoit un sta­tut d'universalité dans le "nouvel ordre mondial" et passe pour re­présenter l’intérêt de la commu­nau­té inter­na­tionale. En outre, les Etats-Unis eux-mê­mes de­viennent un sujet omnipotent et transna­tio­nal, s'universalisent, sans cesser d'être eux-mê­mes et rien qu'eux-mêmes, représentant sans médiation la communauté mondiale tout entière.

Les autres Etats n'existent plus que comme entités non politiques

La théologie politique américaine est incom­pa­tible en soi, non seulement avec le principe de l’égalité des Etats et avec celui de leur souve­rai­neté individuelle, mais aussi avec toute or­ganisation qui se prétend ê­tre une orga­nisa­tion internationale réelle comme les Nations U­nies. Dans le "nouvel ordre mondial", les E­tats ne peuvent exister que comme entités non-po­li­tiques; les prérogatives de toute instance po­li­tique et territoriale concrète et réelle, telle que nous les trouvons énumérées et définies dans et par la ter­mi­nologie de Carl Schmitt, sont réservées uniquement aux Etats-Unis, de même que le droit y afférent, de les exercer. Et une organisation internationale ne peut exister que si elle n'est plus rien d'autre qu'un équivalent fonctionnel de l'Organisation des E­tats A­méricains (OAS), c’est-à-dire qu'une telle organisa­tion internationale ne peut plus être au­tre chose qu'une façade multilatérale pour lé­gitimer le désir hé­gémonique américain. L’hi­sto­rien britannique Ed­ward Hallet Carr re­mar­que, dans son livre, The Twen­ty Years' Crisis - 1919-1939, publié à l’origine en 1939, que, ju­ste un peu avant l’entrée des Etats-Unis dans la première guerre mondiale, dans un dis­cours au Sénat sur les objectifs de la guerre, le Pré­sident Wilson expliquait que les Etats-Unis, ja­dis, a­vaient été «fondés pour le bien de l’hu­ma­nité» (16) (sic!). Wilson affirmait catégori­que­ment: «Ce sont des principes américains, ce sont des politiques amé­ricaines… Ce sont les principes du genre humain et ils doivent pré­dominer» (17). Carr souligne que «les dé­cla­rations de ce personnage viennent es­sen­tiel­lement d’hommes d’Etat anglo-saxons et d'é­cri­vains. Il est vrai, ajoute Carr, que lors­qu’un natio­nal-socialiste important certifiait que «tout ce qui est profitable au peuple al­lemand est juste, tout ce qui fait du mal au peu­ple allemand est mauvais», il pro­posait qua­siment la même équation entre l’intérêt na­tional et le droit universel, équation qui a­vait déjà été établie par Wilson pour les pays de langue an­glaise».

Les deux explications de Carr

Carr a donné deux explications alternatives à ce pro­ces­sus d'universalisation de l’intérêt na­tional particu­lier. La première explication se re­trouve fréquem­ment dans la littérature poli­ti­que des pays continen­taux : elle avance que les peuples de langue anglai­se sont de vieux maîtres dans l’art de concevoir leurs intérêts na­tionaux égoïstes comme l'expression pure et sim­ple du bien général, et que ce genre d’hy­­po­crisie est une particularité spéciale et carac­té­ristique de la façon de penser des Anglo-Sa­xons. La seconde explication était plus sociolo­gi­que : les théo­ries sur la moralité sociale sont tou­jours le pro­duit d’un groupe dominant, qui s’i­dentifie d'emblée à la communauté prise dans son ensemble et qui pos­sède des moyens que ne possèdent pas les groupes ou individus subordonnés pour imposer leur point de vue sur la vie dans la communauté. Les théories de la moralité internationale sont, pour les mê­mes rai­sons et en vertu du même processus, le produit des nations hégémoniques et/ou des groupes de nations dominantes. Durant les cent dernières années, et plus particulièrement de­puis 1918, les nations de lan­gue anglaise ont formé le groupe dominant dans le monde; les théories actuelles de la moralité inter­na­tio­na­le ont été choisies par eux pour perpétuer leur suprématie et se sont généralement d'a­bord ex­primées dans l’idiome qui leur est pro­pre (18).

Le vocabulaire de l'émancipation

Autre aspect important de la théologie politi­que : la pratique de mythifier et d'idéaliser l’ex­pansionnisme américain pour en faire une mo­ralité internationale u­ni­verselle. Quelles sont les caractéristiques de la my­thologie uni­ver­saliste? C’est de transformer la si­gni­fication de la réalité politique classique (ndt : ari­sto­té­li­cienne et nationale-étatique) pour n'en faire qu'une illusion chimérique, de facture répres­sive, et, en conséquence, de neutraliser et de dé­lé­gitimer le langage politico-étatique (natio­nal) ou tout acte de ré­sistance contre l'uni­ver­salisme américain. En d’au­tres termes, la my­tho­logie politique de facture uni­ver­saliste con­siste toujours à confisquer le réel, à l'é­liminer et l'évacuer. Dans ce contexte, le langage ar­­ticulé de l'ère étatique nationale, ou les actes de ré­sistance, affirmés par ceux qui refusent cette logi­que universaliste, offrent peu de ré­sistance, car leur contenu se voit neutralisé par la théologie politique universaliste. Pour pa­raphraser Roland Barthes (19), la théologie politique est expansive; elle s’invente el­le-mê­me sans cesse. Elle tient compte de tout; de tous les aspects des relations internationales, de la di­plomatie, du droit international. Les pays opprimés ne sont rien : ils ne produisent qu'un langage, le cas échéant, celui de leur é­mancipation, or cette éman­cipation a déjà été dé­légitimée à l'avance. L’oppres­seur, en l'oc­cur­rence les Etats-Unis, sont tout, leur langage politico-théologique a été élevé au rang de dog­me. En d’autres termes, dans le cadre de la théo­logie politique, les Etats-Unis ont le droit exclu­sif de produire le méta-langage qui vi­se à pérenniser l’hégémonie américaine. La théo­logie politique, en tant que mythe, nie le caractère empirique de la réa­lité politique; ain­si la résistance à cette théologie hégémonique doit viser à recréer et à émanciper la réalité em­pirique.

Un méta-langage qui accepte pour argent comptant les slogans de la propagande

Durant la marche en avant de l’expansion­nis­me a­mé­ricain, déjà tout entière contenue dans la doctrine de Monroe et dans ses nombreuses extensions, en particulier durant la Guerre Froi­de avec sa justifi­ca­tion idéologique, on pou­vait lire dans des documents tels le NSC-68, qu'une destruction et une idéolo­gi­sation du langage politique devaient s'accomplir et l'ont été. L’histoire de la Guerre Froide a débouché sur le fait que les Américains anglophones sont tom­bés dans le jargon propagandiste de l'ancienne idéo­logie et pratique panaméri­cai­nes, avec sa propen­sion à accepter pour ar­gent comptant les slogans, les simplifications, les mensonges et les clichés pom­peux tels que le "totalitarisme", la "défense de la dé­mo­cra­tie", le "péril rouge", etc.

L’expansionnisme américain et les machina­tions co­lo­niales d’une Amérique perfide ont pré­cisément in­clus de force des sémantèmes nou­veaux dans le lan­gage, des sémantèmes dont Washington avait be­soin pour exprimer ou camoufler vaille que vaille sa sauvagerie, déguisée en universalisme au service du genre humain; l'objectif préventif est de délégitimer toute résistance potentielle et légitimer à l'a­van­ce la conquête et l’hégémonie. Les Etats-Unis ont imposé une subversion planétaire du lan­gage et c'est sur la base de cette gigan­tes­que falsification que l’Améri­que contemporaine a été éduquée.

Un gigantesque mur de mythes

Pour paraphraser George Steiner, les diri­geants de l’Amérique construisent entre l’es­prit américain et la réalité empirique un gigan­tesque "mur de mythes". Au fur et à mesure, les mots ont perdu leur sens ori­ginel et ont acquis les contenus sémantiques propres de la théologie politique universaliste, manipulée par Washington. Le langage est devenu une falsi­fi­cation générale, à tel point qu'il n’est plus ca­pable de saisir ou d’exprimer la vérité. Les mots sont devenus des instruments de men­son­ge et de désinformation, des convoyeurs de fausseté, servant à bétonner l’hégé­monie. «Le langage n’était pas seulement infecté par ces colossales bêtises, il était sommé d'imposer les in­nombrables mensonges [de la propagande]» (20), d’endoctriner et de persuader les Amé­ricains que les nombreux actes visant à mettre des nations entières hors jeu, ainsi que le droit international, que les a­gressions militaires et les crimes de guerre en Co­rée, au Vietnam et, plus récemment, au Panama et en Irak, ont ser­vi la cause des grands principes "hu­manitai­res". La subversion du langage par la théo­logie politique américaine fait en sorte que la vérité empirique ne puisse plus être dite, et érige un mur de silence et de mensonge, qui a pour résultat inat­tendu l’effondrement de la langue anglaise, héritée de l'histoire, au profit du jar­gon panaméricain, pure fabrication récente. Et lorsque la langue « a été pi­quée de menson­ges, seule la vérité la plus crue peut la puri­fier» (21).

Des torrents de parlottes moralisantes

Il est un phénomène américain très étrange que l’on ne retrouve pas en Europe : un Hom­me de Dieu —d’ordinaire un prêtre— qui s’a­vère charlatan. Eh bien, dans l’arène politique, après la fin de la pre­mière guerre mondiale, le Président Wilson était un de ces "Hommes de Dieu" qui voilait l’expansionnis­me américain par des torrents de parlottes morali­santes. Pour Wilson, les Etats-Unis détenaient un rôle, que leur avait dévolu la Providence, celui de di­riger le monde. Le wilsonisme était l’origine et la per­sonnification du totalitarisme améri­cain universa­liste. A présent, dans l’après-Guer­re Froide et l’a­près-Yalta, nous avons af­faire à un nouveau Wilson, un petit Wilson, soit le Président Clinton, qui, à son tour, ré­veil­le le torrent de parlottes moralisantes de son prédécesseur; lui aussi se pose comme "Hom­me de Dieu", et a pris sa place dans la cour­se à l’ex­pan­sionnisme universaliste, de fac­ture néo-wilsonienne, en utilisant la même vieille notion de Destinée Ma­nifeste et la mê­me théologie politique, cette fois sous les ori­peaux du "nouvel ordre mondial". Mais une fois de plus, les concepts de la théologie poli­ti­que universaliste américaine se dévoilent pour ce qu'ils sont : l’opium de la communauté in­ter­na­tio­nale.

Nikolaj-Klaus von KREITOR.

(http://mid.diplomat.ru/wwwb/main/messages/1220.html... ; trad. fr. : LA).

notes :

*Anders Stephenson Manifest Destiny. American expansion and the Empire of Right (Hill and Wang, New-York, 1995).

(1) Hans J. Morgenthau, Politics Among Nations (Alfred A. Knopf, New-York, 1948) p. 64.

(2) Hans J. Morgenthau, Politics Among Nations, ibid., p. 65.

(3) Hans J. Morgenthau, Politics Among Nations, aux édi­tions Stanley Hoffman; Contemporary Theory in Inter­natio­nal Relations (Prentice Hall, Inc, Englewood Cliffs, 1960) p. 61.

(4) Louis A. Coolidge, An Old Fashioned Senator: Orville H. Platt (New-York, 1910) p. 302.

(5) Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Poli­tics (The University of Chicago Press, Chicago, 1965) p. 174.

(6) Richard Hofstadter, ibid. pp. 175, 176, 177.

(7) Claude G. Bowers, Beveridge and the Progressive Era (New-York, 1932), p. 121.

(8) Richard Hofstadter, ibid. p. 177.

(9) Kenneth M. Coleman, The Political Mythology of the Monroe Doctrine:Reflection on the Social Psychology of Domination, pp. 99, 100, 110

(10) M. Coleman, ibid. pp. 97, 103.

(11) M. Coleman, ibid. p. 102. Coleman quotes after Salvado de Madariaga Latin America Between the Eagle and th eBear (Praeger, New-York, 1962) p. 74

(12) Coleman, ibid. pp. 105, 109.

(13) Carl Schmitt, Grossraum gegen Universalismus in Position und Begriffe im Kampf mit Weimar-Genf-Versailles 1923-1939 (Duncker & Humblot, Berlin, 1988) pp. 295-303.

(14) Edward Hallet Carr, The Twenty Year’s Crisis 1919-1939 (Harper Torchbooks, New-York, 1964) p. 78; aussi R.S. Baker Public Papers of Woodrow Wilson: The New Democracy.

(15) Voir sur ce sujet: Kenneth W. Thompson, Toynbee and the Theory of International Poitics, aux editions Hoffman, Contemporary Theory in International Relations, ibid., p. 97.

(16) Editions R. S. Baker, Public Papers of Woodrow Wilson: The New Democracy pp. 318-319.

(17) Edward Hallet Carr, The Twenty Year Crisis, ibid. p. 79; aussi Toynbee, Survey of International Affairs, 1936, p. 319.

(18) Edward Hallet Carr, ibid., pp. 79, 80.

(19) Roland Barthes, Mythologies (Hill and Wang, New-York, 1987) pp. 131, 148, 149.

(20) Georg Steiner, A Reader, (Oxford University Press, New-York, 1984), p. 212.

(21) Georg Steiner, ibid. p. 219.


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jeudi, 07 juin 2007

Mouvement métapolitique à Vienne (19ième) (II)

Le mouvement métapolitique d'Engelbert Pernerstorfer à Vienne à la fin du 19ième siècle, précurseur de la "révolution conservatrice" (DEUXIEME PARTIE)

Intervention de Robert Steuckers lors de la 9ième Université d'été de l'association «Synergies Eu­ropéennes», Région de Hanovre, août 2001

Les activistes contre l'intellectualisme inerte

Pendant ce temps, les activistes marquent des points. Adler, Pernerstorfer, Friedjung et les frères Braun cherchent à traduire en termes politiques efficaces les idées qu'ils ont cultivées dans les co­lonnes de Die Telyn et dans les cercles de lectures universitaires qu'ils ont animés. Friedjung est sans doute l'homme qui perçoit le plus rapidement le danger de l'“intellectualisme inerte”, des discussions stériles qui ne débouchent sur rien et, surtout, qui ne communiquent pas leur flamme à des catégories plus vastes de la société. C'est pourquoi le groupe décide de s'allier en 1879 à un jeune orateur politi­que fougueux, nationaliste et populiste, Georg von Schö­nerer. Dans un discours électoral de 1875, ce­lui-ci avait réclamé, dans une perspective libérale, progressiste et anti-cléricale, le “maximum de liberté politique pour tous les citoyens”, le bannissement des Jésuites, la reconnaissance de la maçonnerie, la lutte contre la corruption, toutes revendications qui continueront à faire partie du corpus nationaliste ger­manique, à l'exception de l'indulgence pour la franc-maçonnerie. Avant qu'il n'ait pris contact avec les jeunes autour de Pernerstorfer, Schönerer n'avait qu'une vague conscience des problèmes sociaux réels qui affectaient les classes défavorisées en Au­triche.

 

En 1875, alors qu'il était encore un libéral bon teint sur le fond, Schönerer se distinguait toutefois par sa rhétorique, plus musclée, plus scandée, de ton plus acerbe (scharfe Tonart). Cette caractéristique ira cres­cendo, deviendra de plus en plus virulente, fai­sant du coup la célébrité du député fort en gueule. En 1878, en plein Parlement à Vienne, il traite ses collègues députés d'“eunuques de la politique”. En Italie comme en Autriche, voire en Belgique avec Paul Hymans, la critique du statu quo et des lenteurs parlementaires, qui sera le principal cheval de batail­le des nationalismes et des fascismes du 20ième sièc­le, trouve ses racines dans l'aile gauche et populiste du libéralisme.

 

Schönerer, le député ad hoc

 

Lors d'une réunion du Leserverein, Anton Haider (ancêtre de Jörg Haider) lance l'idée que leur cercle de lecture, pour trouver sa traduction dans la sphère politique réelle, a besoin de l'appui d'un député ca­pa­ble de défendre le corpus idéologique de la com­munauté militante étudiante sur les strapontins de la Diète impériale. Pour Anton Haider, les travaux des cercles de lecture sont insuffisants, si un tel appui n'existe pas. Les autres lui répondent qu'il y a pas de député qui corresponde à ce profil. Anton Haider répond : « Il y en a un qui pourrait le devenir… Il s'ap­pelle Schönerer. Il n'est guère connu; il est jeu­ne, élu de fraîche date et n'a pas encore d'orien­tation bien définie, mais je pense qu'il pourra être d'accord avec nous. Je crois que nous campons déjà sur des positions voisines, sans le savoir. Nous de­vrions l'inviter et parler avec lui. Je retiens qu'il est la personne adéquate». C'est ainsi que Georg von Schönerer devint membre du Leseverein. 

 

L'alliance entre ce Schönerer et le Groupe de Per­ner­storfer conduit à une fusion (qui sera passagère mais qui, en dépit des engagements ultérieurs, dif­férents, ne sera pas pour autant reniée) entre les pion­niers du socialisme autrichien et les premiers na­tionalistes pangermanistes. Les deux idéologies sont au départ étroitement mêlées — et même de ma­nière inextricable—  et l'ennemi qu'elles dési­gnent est le libéralisme, qu'elles entendent faire re­culer et disparaître, parce qu'il est un crime contre l'esprit, l'art, la moralité publique et le Bien Com­mun. Cette volonté s'est exprimée dans le fameux «Programme de Linz», résultat du travail politique de Pernerstorfer et de ses amis, plus que de la fa­conde de Schönerer. L'historiographie conformiste n'évoque cette fusion que rarement —et avec réti­cence—  et le mérite de l'avoir exploré correctement revient au Professeur américain William J. McGrath.

 

Du “Deutscher Klub” au Programme de Linz

 

Le Programme de Linz est en réalité le programme du mouvement pangermaniste autrichien, visant un rapprochement avec l'Allemagne de Bismarck, voir l'Anschluß, et un détachement graduel des Alle­mands d'Autriche-Hongrie de l'Empire des Habs­bourg (1). Parmi ceux qui ont forgé ce programme, nous trouvons, outre Pernerstorfer, Friedjung et Adler, le Chevalier von Schönerer et le futur bourg­mestre de Vienne Karl Lueger, populiste et anti­sé­mite. Certes, à cette époque, l'antisémitisme de Schö­nerer et de Lueger n'est pas encore trop vi­rulent et ne choque nullement Adler et Friedjung, tous deux d'origine juive. Ce n'est qu'en 1882, à la suite d'un discours tonitruant de Schönerer, de fac­ture nettement antisémite, que leurs rapports vont se relâcher, puis que leurs voies vont se séparer. Pendant cette période fort effervescente de trois années de fusion entre populistes et socialistes, les cercles universitaires changent de forme, les "as­so­ciations de lecture" de l'Université, réservées aux étudiants, et les "associations de lecture pour uni­versitaires devenus actifs", tel le “Deutscher Klub”, où participent médecins, professeurs, ingénieurs plon­gés dans la vie économique réelle, agissent en parallèle; à celles-ci s'ajoutent une "association pour les écoles allemandes", visant à défendre la langue et la culture allemandes sur les confins de l'empire (Tyrol, Slovénie, Tchéquie, etc.). Ces activités in­ten­ses ont une tonalité plus nationaliste que socialiste, mais d'aucuns, comme Friedjung, Pernerstorfer et Adler, se rendent parfaitement compte qu'il est impossible de créer un parti de masse sur base du nationalisme seul : il faut penser des "passerelles", aus­si nombreuses et diversifiées que possibles, tâ­che à laquelle s'attèleront la métapolitique de Per­nersstorfer et la praxis wagnéro-marxienne d'Adler. Nous y reviendrons.

 

Parallèlement au Programme de Linz, Friedjung avait sorti en 1876 un opuscule, tout aussi programma­tique, sous le titre de Ausgleich mit Ungarn (= “Rè­gle­ment de toutes les questions avec la Hongrie”). Il préconisait une politique générale pour l'Empire, plus nationaliste allemande qu'impériale : 1) sépara­tion définitive entre la partie allemande (la Cisleitha­nie) et la partie hongroise de l'Empire, afin de faire glisser définitivement la Cisleithanie dans le bloc al­le­mand forgé par Bismarck après les guerres contre le Danemark, l'Autriche-Hongrie et la France. 2) L'au­tonomie de la Galicie polonophone, afin de ré­duire le poids des députés polonais catholiques et conservateurs dans le Parlement de Vienne. 3) Im­position de la langue allemande dans toutes les ad­ministrations publiques de la Cisleithanie (2). Pour Fried­jung : «Les Allemands d'Autriche ne doivent ja­mais oublier qu'ils ont été politiquement unis aux au­tres souches germaniques pendant tout le millé­naire qui à précédé 1866 [= date de la défaite de l'Autriche face aux armées de Bismarck]». 4) L'indé­pendance des Etats balkaniques vis-à-vis de la Rus­sie, avec, en compensation pour la Russie, la pro­mes­se autrichienne de ne procéder à aucune con­quête ou annexion dans la péninsule au Sud-Est de l'Eu­rope. 5) Union douanière avec l'Allemagne des Hohenzollern.

 

Le volet socialiste contre le manchestérisme

 

Plus tard, Friedjung ajoutera à ce programme de po­litique extérieure en revendiquant une liberté de pres­se pleine et entière, avec droits de réunion et d'as­sociation. Ensuite, sur le mode des organisations paysannes, venant en aide au petit paysannat, il revendique la création d'associations ouvrières et l'extension du droit de vote à de plus larges strates de la population. Sur le plan fiscal, Friedjung pré­co­nise un allègement général de l'impôt pour les clas­ses modestes, compensé par des taxes plus lourdes sur les produits de luxe et sur les transactions bour­sières. Friedjung réclame aussi une administration plus diligente et une justice moins onéreuse pour les citoyens aux revenus modestes.  Autres revendica­tions : nationalisation des chemins de fer (pour évi­ter toute réédition de l'affaire von Ofenheim), lois ré­glementant le travail dans l'industrie, réduction du pouvoir de l'Eglise, lois pour éviter les fraudes dans les opérations boursières. L'objectif général, idéolo­gi­que, consiste à mettre hors jeu “le libéralisme cos­mopolite, qui ignore les besoins authentiques de la communauté nationale” et dont le noyau idéologique fondamental est “le libre développement” (le “laisser faire, laisser passer”), propre du manchesterisme, “qui a fini par détruire la véritable essence de la na­tion”.

 

En gestation constante au fil des mois, le Pro­gram­me de Linz, dans sa version définitive, est publié dans le numéro du 16 août au 1 septembre 1882 de la revue Deutsche Worte (= Paroles allemandes). Les revendications de Friedjung, et celles des autres protagonistes de l'union entre jeunes socialistes et populistes pangermanistes, y trouvent une formula­tion plus achevée, mais où l'on doit tout de même reconnaître une contradiction : cette version du pro­gramme demande une “défense énergique des in­térêts autrichiens en Méditerranée” (3).

 

Primordialité de l'art

 

Mais la volonté de rédiger un programme, comme ce­lui de Linz, vient essentiellement de Pernerstorfer. Sa volonté était de donner à la politique autrichienne un “contenu allemand”. Pour Pernerstorfer, le grou­pe aura réussi sa mission quand l'assiduité alle­man­de et l'art allemand, sous toutes leurs formes, au­ront compénétré la vie publique autrichienne. L'art re­çoit donc un statut primordial dans la démarche de Pernerstorfer. Sa motivation est principalement es­thétique, car elle est directement inspirée de Richard Wagner et de Friedrich Nietzsche, pour qui il y a uni­té de l'art et de la politique. Cette primordialité de l'art, ensuite, aura une incidence de premier plan sur la tactique et le style du mouvement. Déjà, pour Friedjung, l'art était le “principe viril” et le remède contre l'impuissance et la paralysie de la politique li­bérale (on songe aux propos que tiendront un Ma­ri­net­ti puis un Evola quelques décennies plus tard). Les politiciens deviennent trop prudents, trop timo­rés, ils changent de couleur, ou plutôt, leurs cou­leurs initiales sont rapidement délavées. Par le re­cours aux formes sublimes de l'art, les jeunes géné­ra­tions pourront, en s'initiant à la pensée de Wagner et de Nietzsche, “donner pleine expression à leurs en­thousiasmes”. Friedjung: «Orphée ose entrer a­vec sa lyre dans le règne des enfers uniquement parce qu'il sait que dans ces masses obscures vit une va­gue pulsion endormie, qu'une note juste peut subite­ment réveiller, la transformant en un sentiment vi­brant ». L'art  —et la musique en particulier—  doit donc servir à réveiller les masses.

 

L'art comme ciment  de la communauté nationale

 

Dans un article de 1884 de Deutsche Worte, intitulé significativement “Metapolitik”, Pernerstorfer sou­tient le Prof. Immanuel Hoffmann, un Wagnérien en querelle avec les Bayreuther Blätter, organe officiel de l'orthodoxie wagnérienne, parce qu'il préconise l'in­troduction du plébiscite, que les orthodoxes ju­gent inopportune. Hoffmann : « L'art et la religion ne peuvent exister séparément de la politique… L'art véritable ne peut se déployer, selon la parole du Maî­tre (= Wagner), que sur le terrain d'une éthique authentique, et aucun peuple ne pourra avoir un art et une religion authentiques si sa vie politique re­pose sur le mensonge […] L'erreur historiciste sur laquelle se fonde notre culture actuelle  —erreur qui nous permet de la qualifier de culture du men­son­ge—  est de préférer le parfum des fleurs aux fleurs elles-mêmes, d'apprécier les distillations plutôt que l'essence naturelle de la chose, de croire que les élus du peuple sont plus sages que le peuple lui-même». Pernerstorfer soutient donc Hoffmann dans son plai­doyer pour le plébiscite (la votation référendaire), car il donne plus grande cohésion à la communauté nationale. L'art comme ciment de la communauté na­tionale, le plébiscite comme expression directe de sa volonté sont les deux facettes d'une même réa­lité. La cohésion sociale passe par la participation de tous à la vie spirituelle et intellectuelle de la com­munauté nationale, car il ne s'agit pas seulement “de jouir des biens matériels, car ceux-ci ne sont que les simples instruments pour atteindre des fins plus élevées”. Les biens matériels sont là pour offrir à tout individu la possibilité de participer à l'héritage spirituel de la nation, afin d'être un membre réceptif et créatif du grand corps que doit devenir la com­mu­nauté populaire germanique, ajoutait Pernerstorfer.

 

La fusion communautaire dans le théâtre grec et l'opéra wagnérien

 

Comme dans la Grèce antique, le lieu où cette fusion communautaire nationale devra s'effectuer est le théâ­tre, ainsi que l'avait préconisé le jeune Nietz­sche, en assistant aux drames wagnériens. Pour lui, le noyau d'émergence de la communauté nationale allemande résidait tout entier dans les opéras de Wag­ner, dont le centre de gravité se situe dans l'or­chestre exactement comme il se situait dans le chœur du théâtre grec antique. Dans cette pers­pec­tive, la germanité de la fin du 19ième siècle est la nou­velle hellénité, la restauration de l'hellénité per­due depuis l'antiquité, espérée depuis la renais­san­ce, une hellenité qui ne se contente plus d'être une simple et sèche érudition, mais une hellénité qui re­noue avec le théâtre antique, avec la charge de dio­nysisme que véhiculait la tragédie grecque. Per­ner­storfer : « Wagner avait trouvé chez les Grecs le théâ­tre dans sa pureté idéale et dans tout son su­blime; religion et art y fusionnaient et de cette fu­sion naissait une communauté qui aujourd'hui enco­re, après plus de deux mille ans, reste l'un des plus beaux rêves de l'humanité ». Pernerstorfer rejoint Wag­ner quand il s'agit d'exalter le vif sentiment na­tio­nal qui unissait les Grecs : « Les Grecs se sen­taient comme une seule nation et ont créé une cul­ture unitaire, si bien que l'esprit populaire hellénique se reconnaissait dans la dramaturgie nationale ».

 

Pour les Allemands d'Autriche, le chant jouera le rôle de ciment. Lors de manifestations pangermanistes et socialistes, dont celle, historique, du 5 mars 1883, le chant occupe une place centrale. Les participants, généralement des étudiants contestataires de la po­litique conservatrice du Premier ministre autri­chien Taaffe, s'étaient regroupés sous une immense ban­nière allemande, celle de l'Empire fondé à Versailles par Bismarck. Aucune bannière autrichienne n'était arborée dans la salle. L'orchestre jouait la Marche Im­périale (allemande) et les participants chantaient, tour à tour, l'hymne de bataille de Rienzi, quelques partitions du Tannhäuser et le chant de guerre Wacht am Rhein, très populaire à l'époque, y com­pris en Flandre (4). A la suite de ces préliminaires mu­sicaux et chorégraphiques, Hermann Bahr parle du nationalisme d'inspiration wagnérienne, puis Schö­nerer monte à la tribune, pour terminer un dis­cours exalté, par un tonitruant “Vive notre Bis­marck!”, jugé séditieux par la police, présente dans la salle. La foule se disperse en chantant Wacht am Rhein. Pour Pernerstorfer et ses amis, ce type de ma­nifestation, alliant musique, discours et chants, permet, à terme, de recréer un esprit national, de for­ger une communauté soudée par des émotions par­tagées. Quand une telle communauté sera vrai­ment soudée, quand un maximum de citoyens aura ad­héré à l'idéologie implicite, non rationnelle et tota­lement intuitive, du mouvement, le peuple sera “ré­généré”.

 

Une métapolitique reposant  sur l'élément émotif

 

Le thème central de toute cette effervescence est ef­fectivement la “régénération”, qui naît d'une “ex­plo­sion unitaire de foi politique”. La métapolitique de Per­nerstorfer repose donc entièrement sur l'élément émotif et sur le style tapageur des manifestations po­litiques, sortes de messes wagnériennes, conçues dé­libérément pour répudier la rationalité des libé­raux et des conservateurs. D'un côté, les passions du cœur, le sens de la justice, la rébellion contre la sécheresse, de l'autre, les hommes “aux cœurs ge­lés”. D'un côté, le cœur du peuple réel, de l'autre, les idées abstraites du centralisme, du libéralisme, de la culture (des Philistins), la notion de “légalité con­stitutionnelle”. Dans Deutsche Worte, Perner­stor­fer explicite cette position : « La politique des libé­raux est trop doctrinaire et dépourvue d'idéalisme pour être capable de susciter de véritables émo­tions». Plus tard, dans un numéro ultérieur de la re­vue : «[Eduard Herbst] est le représentant typique d'un style politique cérébral à l'excès : nous n'en­ten­dons pas chez lui ce ton d'animateur, propre d'un sen­ti­ment national viril; il est incapable de dire quoi que ce soit sur les grands problèmes que nous avons à af­fronter ». En bref : qui n'adhère pas pleinement au style hellénique-wagnérien est une lopette, ou, pour paraphraser Schönerer, “un eunuque politique”. Herbst, comme les autres libéraux, les von Plener, Sax et von Bründelsberg, se bornent à ânonner des “vérités familières à n'importe quel écolier sur un ton de grande solennité; [à répéter] des citations d'au­teurs célèbres avec des airs professoraux devant un public révérencieux”.

 

«Vers une organisation de parti »

 

Les blocages qui affectent la société autrichienne de l'époque sont donc dus à un style trop compassé où l'on ne veille qu'à la correction des procédures et non pas à affronter les problèmes réels. Ces mau­vaises habitudes doivent être balayées, pensent Per­nerstorfer et ses amis politiques. Dans cette optique, Pernerstorfer écrit un maître article dans Deutsche Worte, significativement intitulé “Vers une organisa­tion de parti”. La réflexion initiale qui le motive dans la rédaction de cet article important est la suivante : « La conscience et les aspirations nationales ne se commandent pas, ne s'enseignent pas; il n'est pas possible de les introduire dans les strates les plus larges de la population par le truchement des mé­thodes traditionnelles d'éducation ». De même, le fonc­tionnement de toutes les petites sociétés politi­ques libérales, où la discussion feutrée est toujours de mise, ne peut servir de modèle à la constitution d'un futur parti ou mouvement national, s'adressant aux masses. Les discussions raisonnables des nota­bles libéraux sont valables seulement si le vote est cen­sitaire ou réservé à une petite catégorie de cito­yens, votant en toute connaissance de cause, mais en ne tenant compte que de leurs seuls intérêts sec­toriels et limités. Les mouvements de masse de l'a­venir, pense Pernerstorfer, ont besoin d'une petit grou­pe choisi, bien formé, qui décide des objectifs à poursuivre et des tactiques à mettre en œuvre. La grande masse ne peut avoir la lucidité rationnelle de la minorité des censitaires. Pour cette raison, le fonc­­tionnement formel des cercles politiques con­ven­tionnels du libéralisme doit faire place à un fonc­tionnement informel : les idées nationales doivent cir­culer dans toute la population, dans les familles, dans les discussions informelles des citoyens dans les cafés et autres lieux publics. Cibles de cette mé­tapolitique, fonctionnant de manière informelle : les femmes et les jeunes, parce que les unes influencent leurs enfants et leurs maris, et parce que les autres sont les électeurs de l'avenir, à cette époque où les pyramides démographiques ne sont pas encore in­ver­sées. L'infiltration discrète de cercles divers, mê­me a priori hostiles au nationalisme, est une néces­sité impérieuse.

 

Une maïeutique au service de la cause nationale

 

Les membres des cercles nationalistes doivent con­naître les opinions de leurs adversaires, percevoir comment il faut les subvertir, les investir pour en re­tourner la force au profit du nationalisme. Quant aux citoyens sans formation, l'absence de logique dans leurs raisonnements constitue un tremplin métapo­liti­que : dans ce vide, on peut injecter un contenu nou­veau, allant dans le sens du combat qu'on s'est assigné. Pernerstorfer, ensuite, préconise de ne pas attaquer les arguments des adversaires de front : il importe de gagner d'abord leur sympathie, pour en­tamer ensuite un débat fructueux, qui n'est grevé d'au­cun ostracisme de nature personnelle. L'ex­posant de la métapolitique pernerstorfienne se po­se d'emblée comme un homme intéressant et af­fable, qui opère par le biais d'une sorte de maïeutique so­cratique, c'est-à-dire en ne rejetant pas d'emblée les arguments de l'adversaire, en écoutant ses argu­ments puis en induisant la conversation vers les po­sitions de bon sens nationalistes. Chants, théâtre, o­pé­ra, recours aux émotions populaires, aux senti­ments sains du bon peuple, argumentation subtile de type socratique/maïeutique forment le menu de l'ac­tivisme politique à l'ère des masses, selon Per­ner­storfer.

 

Le fair play  qu'il préconisait ne cadrait pas entière­ment avec le ton âpre et violent de Schönerer, qui bascule bien vite dans l'antisémitisme ambiant de la société viennoise et autrichienne. La rupture entre les deux pôles du mouvement pangermaniste et po­puliste se consommera en 1883, à la suite d'un dis­cours extrêmement violent de Schönerer. Mais la que­stion de l'antisémitisme ne se posait pas de la même façon à l'époque qu'aujourd'hui. William J. McGrath se réfère à George Mosse, spécialiste de cette question dans le contexte germanique : pour Mosse, les jeunes activistes métapolitiques juifs de la Vienne des dernières décennies du 19ième siècle entendaient rompre avec un certain judaïsme de leurs pères, qu'ils jugeaient stéréotypé. Ils s'in­sur­geaient contre l'image stéréotypée qui faisait d'office du juif un être exclusivement intellectuel et artificiel, privé de racines et de liens à la nature et, par consé­quent, parfaitement adapté au milieu capitaliste et urbain, que dénonçaient les nationalistes. Les jeunes activistes juifs et pangermanistes estimaient de fait que ce stéréotypage n'était pas faux en soi et qu'il de­vait être dépassé par des efforts de volonté : l'hom­me juif dans la société allemande devait aban­donner cet intellectualisme et cette artificialité sté­ri­le, retrouver des racines et des liens avec la nature au même titre que les Allemands “chrétiens” ou “ar­yens”. C'est cette démarche de libération, esti­maient-ils, qui devait fonder leur identité politique, sans déterminisme matériel ou racial aucun. L'adhé­sion à l'esthétique wagnérienne et nationale, à l'art al­lemand, constitue le fondement volontariste de l'i­dentité politique. Pour l'aile représentée par Schö­nerer, il y a un déterminisme biologique qui sur­plom­be irrémédiablement ce fondement volontariste.

 

Travailler à l'émergence d'un bloc populiste solide

 

Après la rupture avec Schönerer, Adler et Perner­stor­fer évoluent vers un socialisme populaire, non dé­terministe, marqué par Nietzsche et Wagner. Fried­jung opte pour la position des libéraux de gau­che, favorable à l'émancipation des classes laborieu­ses et défavorisées. Adler et Pernerstorfer ne réser­vent pas leur socialisme à la seule classe ouvrière proprement dite, mais l'étendent aux artisans, aux paysans pauvres et à la partie des classes moyen­nes, dont les revenus sont faibles. L'objectif est d'u­nir, en un bloc populiste solide, toutes ces classes vi­vant dans la précarité économique pour qu'elles lut­tent de concert contre le libéralisme autrichien, qui génère une hiérarchie sociale basée sur l'argent et la quantité, et non sur la qualité et le mérite. Ouvriers, paysans, artisans et représentants de la petite classe moyenne doivent communier dans la foi nationaliste, ciment de leur unité, pour lutter de concert contre la dictature sournoise et indirecte de l'argent, quasi in­visible dans les textes de loi ou dans les insti­tu­tions, mais bien présente dans la société et fort lour­de à supporter.

 

La pensée de ce socialisme est organique. Karl Aus­serer, membre du groupe Pernerstorfer, écrit dans la Deutsche Wochenzeitschrift du 16 mars 1884 un article qui exprime parfaitement cette mystique de la nature, présente dans le corpus intellectuel du grou­pe depuis les années du Schottengymnasium. Aus­se­rer : « Sous les tempêtes hivernales, tout obser­vateur attentif prévoit de longue date l'apparition du printemps, le réveil de la nature… Une force élé­mentaire invisible est à l'œuvre dans les profondeurs de la Terre; tout est en germination, tout croît, se remplit de lymphe et de suc vital » (Comment ne pas penser à Henri Bergson ou à Maurice Blondel?).  Ausserer se réclame ensuite du passé médiéval alle­mand, surtout de l'époque ottonienne et de celle des Hohenstaufen. La poésie et la musique médiévales al­lemandes ont été mises en exergue à l'époque par des philologues et des médiévistes tels Victor Scheffel et Julius Wolff. Ausserer : « Ces poètes [du mo­yen âge] ont fait vibrer les cordes de nos cœurs et leurs chants se sont ancrés dans le peuple… Bien vite, à ces chants, s'est associée la mélodie ».

 

Pour un équilibre entre émotions et rationalité

 

Les référentiels et les leitmotive des hommes du grou­pe de Pernerstorfer sont donc doux, empreints de sagesse et de quiétude, en dépit de la nécessité, qu'ils reconnaissent, d'employer des mots durs pour fustiger les “eunuques politiques”. A la suite de la rupture avec Schönerer, le groupe d'Adler et de Per­ner­storfer perçoit le risque de dérive découlant de l'utilisation irraisonnée des “discours âpres” et d'une excitation irréfléchie des émotions populaires. Le 10 mai 1885, Friedjung explique, dans les colonnes de la Deutsche Wochenschrift, que la politique décou­lant des “discours plus âpres” est pleinement justi­fiée, car elle met un terme à une tiédeur politique délétère pour amorcer une ère nouvelle, énergique, où l'esprit national se défend avec virilité, mais cette défense virile de la nation ne doit pas s'accompagner d'une atrophie spirituelle, de limitations qui con­dui­sent à la stupidité. Le 31 mai, dans les colonnes de la même revue, Friedjung écrit : « Le sentiment et l'é­motion ont leur place dans la politique et sans le soutien précieux de ces facultés  —les plus nobles de la nature humaine—  la vie publique dégénère trop souvent en un jeu d'ambitions et en un combat fon­dé uniquement sur les intrigues ». Et il ajoute : « Il faut cependant éviter tout excès de sentimentalisme facile, éviter de se complaire dans les slogans de bas de gamme, vides de sens et trop hauts en cou­leurs».

 

Friedjung, après la rupture de 1883, tente donc de redéfinir le style politique du groupe issu du Schot­ten­gymnasium et du Leserverein. Les appels à l'é­motion doivent recevoir des contrepoids plus ré­flé­chis pour amorcer une stratégie plus vaste, destinée à rameuter l'électorat indécis oscillant entre les libé­raux (de gauche) et les pangermanistes populistes. En 1885, cette nouvelle stratégie porte ses fruits : pas moins de 47 députés représentent la mouvance au Parlement, dont de nouveaux élus comme Per­nerstorfer, Ausserer et Steinwender. Pernerstorfer, financé par son ami Adler, est élu député socialiste de Wiener Neustadt. Il le restera quasiment pour le reste de ses jours.

 

L'apport de Victor Adler au socialisme autrichien et les aveux de Kautsky

 

Victor Adler, qui avait opté plus tôt pour un combat plus socialiste, plus social-démocrate, que ses collè­gues issus du Leserverein, fera une carrière brillante au sein du parti socialiste autrichien, dont il fut l'un des pères fondateurs. Il assurera une transition sans heurt entre le pangermanisme de sa jeunesse et la sociale démocratie de sa maturité. Médecin de pro­fes­sion, on le surnommait dans les quartiers popu­laires de Vienne le “Docteur”. Ses discours avaient une teneur psychanalytique avant la lettre, soit avant la vulgarisation généralisée du freudisme. Il avait retenu les leçons de Theodor Meynert, pro­di­guées à la tribune du Leserverein. Dans un discours prononcé devant une assemblée de socialistes vien­nois en 1901, Adler révèle sa vision thérapeutico-politique : « Le cerveau est un organe répressif et c'est en cela que réside sa supériorité; mais si le cer­veau ne se consacre qu'à la seule répression, il court le risque de ne plus pouvoir activer ses centres moteurs ». Adler fustige les théoriciens rigides, dé­terministes et marxo-matérialistes de la sociale dé­mo­cratie allemande et autrichienne : comme le fera plus tard Henri De Man, Adler vise à créer, au sein du parti socialiste, un équilibre entre politique (ra­tion­nelle) et psychologie (émotive des masses), ce qui revient à prôner un équilibre entre l'émotivité qui impulse l'action politique à la base et la nécessité d'a­voir un cadre doctrinal efficace. Même Karl Kaut­sky, exposant d'un socialisme positiviste et ratio­na­liste, souvent brocardé par les soréliens et les léni­nistes pour sa rigidité et ses modérations, reconnaît la qualité et l'efficacité des positions d'Adler : «[Dans les rangs des nationalistes pangermanistes], il a acquis une formation politique et une capacité de traiter les situations et les hommes, qu'avant lui, les chefs de la sociale démocratie autrichienne n'avaient jamais eue. L'arrivée d'Adler dans leurs rangs a mis fin au règne de l'infantilisme politique ». L'aveu est de taille : cela signifie, si l'on retient ces paroles de Kautsky et qu'on les extrapole, sans pour autant les solliciter outre mesure, qu'un socialisme privé du terreau des pensées énergiques (et énergisantes) de l'élan vital nationaliste, pangermaniste, wagnérien et nietzschéen, sombre quasi automatiquement dans la banalité et l'infantilisme…

 

Le passage au socialisme n'estompe nullement l'élan pangermaniste

 

Dans d'autres passages de l'œuvre ou des mémoires de Kautsky, nous trouvons d'autres évocations élo­gieuses d'Adler : « Autour de lui, il y avait un cercle d'in­tellectuels  —des médecins, des avocats, des com­positeurs, des journalistes—  qui s'intéressaient tous au socialisme et qui étaient très proches de lui. Une seule chose m'éloignait d'eux : le fait qu'ils pro­fes­saient ouvertement des idéaux pangermanistes… [Les membres juifs de ce groupe] étaient de fer­vents nationalistes, beaucoup étaient même chau­vins… Ils ne voulaient rien avoir à faire avec les Habs­bourg et n'exaltaient que les Hohenzollern. Les juifs autrichiens étaient à l'époque les défenseurs les plus passionnés de l'Anschluss, auquel s'opposait clai­re­ment Bismarck ».  Malgré les sentiments po­sitifs qu'il éprouvait à l'égard d'Adler, Kautsky ex­primait souvent son incompréhension face au wag­nérisme et au nietzschéisme qu'il avait hérités de son long passage dans le mouvement pangerma­niste. Devenu à son tour député socialiste, Perner­storfer explique les mobiles qui ont animé sa jeu­nes­se, qu'il ne renie pas, dans les colonnes de Deutsche Worte : « J'ai grandi pendant une période de grande exaltation patriotique, mais, dès ma jeunesse, je me suis intéressé aux idées démocratiques et socia­lis­tes; je pensais que le pangermanisme, tout comme les autres mouvements nationaux dont s'étaient inspirées les guerres de libération contre Napoléon, étaient de nature démocratique ». Quant à Adler, il n'a jamais cessé de lire et de vénérer les corpus lé­gués par Wagner et Nietzsche. Axiome indépassable de sa pensée : la musique créera le sens commu­nau­taire socialiste et national. A ce propos, il écrit : « La musique a le pouvoir de nous guider vers les plus hautes cimes du sentiment, où toutes les parti­cu­larités disparaissent et où notre regard ne ren­contre plus que ce qui est grand et sublime. Le sens le plus élevé de notre solidarité, l'enthousiasme pour la cause sacrée où les masses s'unissent dans la fra­ternité, ne peuvent s'exprimer par des mots : ils doi­vent se chanter ».

 

Un socialisme culturel et non matérialiste

 

Pour Adler, les objectifs du socialisme ne sont donc pas d'ordre matériel, ne visent pas uniquement à a­méliorer le bien-être matériel des masses, à en faire des animaux d'élevage gavés, dociles et domptés, mais surtout à élever leur niveau culturel. Il exprime clairement cette idée dans un article de la revue Gleichheit de 1887 : « La révolution économique a­van­ce inexorablement sur sa voie, en suivant les lois de la mécanique… mais, simultanément, une autre révolution avance dans la conscience de l'humanité, une révolution intellectuelle qui, elle, est le véritable objectif premier des partis prolétariens sociaux dé­mocratiques ». Les militants socialistes sont dès lors des missionnaires, les missionnaires d'une révolution culturelle, éducatrice qui vise l'élévation morale des classes défavorisées. Les historiens du socialisme in­ternational reconnaissent cette spécificité du mes­sa­ge d'Adler; ainsi, l'historien britannique G. D. H. Co­le: «… le mouvement socialiste viennois se distin­guait des autres surtout par les succès qu'il avait rem­portés dans son travail culturel; les socialistes autrichiens, ou du moins les socialistes viennois, sont devenus le groupe prolétarien le plus cultivé et le mieux préparé du monde ». Pernerstorfer est fier du travail réalisé par ses amis et camarades; lors du congrès des socialistes autrichiens de 1894, il les fé­licite et ajoute une phrase capitale, qui prouve net­te­ment que l'idéologie de la table rase, propre des socialistes dégénérés et véreux d'aujourd'hui, n'est pas la sienne : « Tout ce qui forme le patrimoine des civilisations du passé et du présent, tout ce qui est noble, grand et beau, se concentre en vous ».

 

Un socialisme qui table sur le “mythos” plutôt que sur le “logos”

Le socialisme n'a de sens, ajoute McGrath, que s'il pa­tronne une éducation artistique des masses prolé­tariennes. Pour y parvenir, Pernerstorfer sait qu'on ne peut faire table rase des legs de la religion, des sym­boles, des mythes, notamment de ceux qui s'ex­primaient dans le théâtre de la cité grecque antique. Avant d'autres auteurs importants, notamment de la future “révolution conservatrice”, Pernerstorfer affir­me que le socialisme, s'il veut triompher, doit tabler sur le “mythos” plutôt que sur le “logos”. Leitmotiv qui est évidemment d'inspiration wagnérienne et nietzschéenne. Pour lui, un peuple qui ne va plus au théâtre, qui ne dispose plus de théâtres où il peut créer directement ses formes d'expressivité, est un peuple mort-vivant. De même, si le théâtre n'est plus que commémoratif, répétition stérile des mê­mes clichés, il ne peut servir de ciment commu­nau­taire. Bertold Brecht pour la “gauche” officielle du 20ième siècle, Hanns Johst, dans le contexte national-socialiste, ne diront pas autre chose. Quelques cita­tions puisées dans les articles de Pernerstorfer sont révélatrices à cet effet : « L'immense majorité du peu­ple est complètement exclue du théâtre et de l'art en général; la dramaturgie, qui, normalement, est intimement liée à la collectivité nationale tout entière, du fait du caractère religieux de ses origines et de son développement, n'est plus que le privilège d'une strate très restreinte de la population ». «Ja­dis, la nation et le théâtre étaient étroitement liés l'une à l'autre. Ils se développeront à nouveau tous deux lorsque de nouvelles formes de vie, dans la gran­de ère à venir, se montreront capables de réu­ni­fier la nation au niveau culturel le plus élevé, alors naîtra un nouvel art dramatique, qui ne sera en rien inférieur aux plus grandes créations de l'art anti­que». «Seul le socialisme pourra créer en toute cons­cience une situation où il n'y aura plus de res­trictions sociales empêchant les individus d'évoluer totalement… Alors seulement la souveraineté de l'œuvre d'art, dont rêvait Richard Wagner, deviendra réalité ».

 

Socialisme = culture, libéralisme = barbarie

 

Le socialisme est donc au service de l'esthétique, de l'art, et non l'inverse. Il est le contraire du libéra­lis­me, qui crée un monde d'enfer, parce que le beau n'a, pour lui, aucune importance, seules comptent pour lui les plus sinistres abstractions inventées par l'homme : les bilans, les procédures bancaires, l'ar­gent, les accumulations quantitatives, la production d'horribles objets sérialisées, le vacarme d'abomi­na­bles automobiles. Pour satisfaire le culte insensé voué à ces abstractions, on faisait mourir des en­fants, que l'on laissait déchiqueter sous des machi­nes à tisser, comme le montre le film poignant con­sacré, il y a quelques années, à l'œuvre politique du Père Daens. L'artiste, l'historien, le philologue, le phi­losophe, le créateur dérangent, au lieu de les res­pecter et de les choyer, on les condamne à la misère existentielle et morale. L'employé de banque, le comp­table, l'ingénieur commercial, le "manager", le producteur tayloriste sont hissés sur le pavois, payés grassement pour ne rien créer de beau et même pour généraliser toujours davantage l'horreur séria­li­sée qui est leur propre, alors que leurs abjectes et médiocres personnes, par le fait même qu'elles exis­tent, mangent, ch…. et respirent, font chavirer notre civilisation dans un déclin irrémédiable, à l'horizon duquel une misère noire nous attend, une double mi­sère morale et économique, car ce fatras infâme fi­nira par crouler  —sa croissance exponentielle ne pouvant se poursuivre à l'infini. Un vrai socialisme as­pire à une société débarrassée des maniaques de l'accumulation quantitative sans frein, les émules de la crapule marchande von Ofenheim.

 

On ne peut être socialiste qu'avec l'indispensable zeste de wagnérisme et de nietzschéisme

 

L'exemple historique le plus patent qui vient à l'es­prit quand on rappelle ces deux équations, chères à Pernerstorfer et Adler  —“socialisme = esthétique” et “libéralisme = barbarie culturelle”—,  est le sort ad­ve­nu aux créations architecturales de Victor Horta : celui-ci n'était pas encore décédé que les libéraux, élus par le plus vil des esprits mercantiles, faisaient raser à Bruxelles les immeubles qu'il avait érigés. Plus tard, après la seconde guerre mondiale, quand le socialisme avait vraiment perdu ses dernières plu­mes culturelles, qu'il avait sombré dans l'horreur ma­térialiste la plus vulgaire, sa splendide “Maison du Peuple” de la rue Joseph Stevens, près du Sablon, croulait sous les pioches et les bulldozers des démo­lisseurs, malgré les appels et les pétitions lancées dans le monde entier, notamment par le grand ar­chi­tecte finlandais Alvar Aalto. Le socialisme belge, qui avait partagé avec le socialisme autrichien une vo­lonté d'esthétiser la vie publique, perdait bel et bien ses dernières bribes qualitatives : depuis, il n'a ces­sé de sombrer dans la fange la plus abjecte, dans la veulerie, la crapulerie et la corruption. Il est au­jour­d'hui représenté par d'ignobles voyous sans foi ni loi, qui auraient fait honte à des esprits aussi é­le­vés que les fondateurs de la sociale démocratie au­trichienne : Engelbert Pernerstorfer et Victor Adler. Avec eux et avec Horta, nous aurions été socialistes sans arrière-pensées, avec l'indispensable zeste de wagnérisme et de nietzschéisme. Avec la vermine qui prétend représenter le socialisme en Belgique au­jourd'hui, on n'ose plus revendiquer cette étiquet­te. 

 

Pour Adler, la politique est l'art de l'action

 

Victor Adler a bel et bien représenté un socialisme où il y avait équilibre en l'esprit et le cœur, entre l'in­tellect et les passions. Emile Vandervelde, dans l'hommage qui lui rend immédiatement après sa mort, écrit : « Je n'ai jamais connu personne  —et je le répète, personne—  en qui se résumaient si bien toutes les qualités de caractère et d'intelligence, ce qui concourait à former un grand chef politique. Il appréciait les grandes motivations idéales mais ne fermait pas les yeux face à la réalité; il avait une parfaite maîtrise des théories et des faits, faisait mon­tre d'un merveilleux équilibre entre l'esprit et le cœur; il avait un pouvoir magnétique qui lui permet­tait d'entraîner les hommes tout en conservant le calme nécessaire pour les freiner dans leurs mo­ments de colère ». Ces qualités distinguaient Adler de la grande majorité des chefs sociaux-démocrates allemands. Il se désolait de voir combien un Bebel ignorait les ressorts de la psychologie des masses. Ces socialistes allemands étaient des raisonneurs abstraits, des bâtisseurs d'hypothèses rigides. Julius Braunthal observe qu' « Adler n'avait pas la moindre sympathie pour tout ce qui est hypothétique, ab­strait et artificieux… Pour lui, la politique était l'art de l'action, l'art de faire ce qui est nécessaire en des circonstances déterminées ».

 

Adler admirait Jean Jaurès, son style théâtral, sa ca­pa­cité d'enivrer. Comme lui, il entendait, en toute conscience, valoriser l'aspect théâtral de la politique. Plus spécifiquement, écrit McGrath, un examen ap­pro­fondi des techniques utilisées par Adler démontre qu'il était un maître de la symbolique politique. Les exemples que souligne McGrath sont intéressants : le combat mené par Adler et ses amis pour faire du 1 mai la fête des ouvriers, d'une part, la grande ma­nifestation qu'ils ont organisée à Vienne pour obtenir le suffrage universel.

 

Cri d'appel et ligne ondulatoire

 

Pour Adler, la politique fonctionne correctement, fait vraiment bouger les choses si on table sur l'“appel”, le cri d'appel, le Weckruf, qui consiste à réveiller l'énergie vitale assoupie. L'appel du 1 mai passe par le retour à un mythe païen, celui de la célébration du printemps, de la fête qui inaugure le temps de la fertilité et la période des fleurs. Pour Adler, le 1 mai ne doit pas être une journée de revendications bru­tales, mais une journée festive. Adler mêle là tra­di­tions populaires et éléments glanés dans La Nais­san­ce de la Tragédie de Nietzsche.  Le choix de la fête, plutôt que de la manifestation purement revendi­ca­tive, est un choix tactique conscient. Il sait que le par­ti socialiste doit maintenir vive la conscience des iniquités sociales dérivant du mode de scrutin cen­si­taire en vigueur dans l'Autriche de son temps. Mais, en tant que psychologue, il sait aussi que “l'on ne peut maintenir éternellement la lutte à la tempé­ra­tu­re maximale, une température maximale qui n'est pos­sible qu'en certains moments et dans des con­di­tions favorables”. Il serait donc criminel et vain de maintenir une pression constante de type linéaire. Le risque est alors de courir à la catastrophe. Adler ne croit pas à la “ligne droite” mais à la “ligne ondu­la­toire” (Wellenlinie). Il l'explique au congrès socialiste de 1904 : « Toute activité psychique  —et la poli­ti­que est aussi et surtout une activité mentale—  se dé­veloppe selon un rythme ondulatoire. Dans tout mou­vement, il y a des crêtes de vague, mais chacu­ne d'elles est suivie, par nécessité physique, d'un creux, d'une diminution d'intensité qui constitue un moment de pause et prépare une reprise d'intensité dans le mouvement. Aucune activité psychique ne peut se maintenir sur le long terme ou pour toujours à son niveau maximal ». La triple lecture de Scho­pen­hauer, de Wagner et de Nietzsche permet à Adler de mieux saisir la psychologie des masses que ses collègues marxistes conventionnels, qui n'argumen­tent qu'avec des schémas secs, rationalistes ou po­sitivistes. Par conséquent, tout mouvement socialiste qui s'écarte de la pensée en termes de “rythmes on­dulatoires” sombre dans l'apathie ou le ronron po­li­ti­cien. Il n'y a pas de socialisme triomphant qui soit pensable sans apport nietzschéen.

 

La grande manifestation pour le suffrage universel

 

La campagne pour le suffrage universel permet une nouvelle fois à Adler de démontrer l'excellence de ses conceptions. Le Premier ministre hongrois Fejér­va­ry annonce en septembre 1905 que la partie hon­groise de l'Empire adoptera le suffrage universel mas­culin. Aussitôt, en Cisleithanie, les esprits s'é­chauffent et veulent le même statut. Les Tchèques sont en faveur d'une grève générale (prélude à une insurrection?). Adler, plus prudent, opte pour une tac­tique différente. L'émeute n'arrangerait pas les choses : le gouvernement conservateur risquerait de tenter à son tour le coup de force, comme le gou­vernement russe qui vient de mater la révolte de 1905. Adler veut organiser une fête, un Volksfeier­tag. Les ouvriers défileront dans le calme, le silence et la dignité (Würde) devant le Parlement, où l'on dé­bat sur la question du suffrage universel masculin. Ils doivent défiler en famille, vêtus de leurs beaux effets du dimanche. Réclamer le suffrage universel ne se fait pas par des cris, des vociférations, des ba­garres, mais par le faste d'une procession quasi reli­gieuse ou d'un cortège traditionnel, inscrit dans la li­turgie naturelle et agraire qui se profile derrière la li­turgie catholique. 250.000 ouvriers allemands d'Au­tri­che et une centaine de Slovaques de Moravie (en désaccord avec les Tchèques) participeront à cet im­men­se défilé silencieux et digne. L'Arbeiter Zeitung é­crit le lendemain : « Tous, du sympathisant au sim­ple observateur, garderont le souvenir d'un spec­ta­cle sublime (erhabenes Schauspiel) ». L'unité popu­lai­re (et celle du prolétariat) ne naît pas d'une orga­nisation rigide et enrégimentée mais d'une authen­tique communion d'idée et de sentiments. Les ou­vriers autrichiens, en défilant calmement devant le Parlement de Vienne, ont prouvé qu'ils n'étaient pas un troupeau ignare manœuvré par des agitateurs. Cette vision, explique l'organe socialiste, est un “cliché libéral”, propre aux “philistins de l'imposture individualiste”. La classe ouvrière viennoise a fait preuve d'autodiscipline, a démontré sa volonté col­lec­tive qui était, non pas le produit d'une violence destructrice, mais, au contraire, le produit d'un long travail éducatif, métapolitique, sans précédent. Au len­demain de cette gigantesque manifestation cou­ronnée de succès, Victor Adler souligne le contraste entre, d'une part, cette masse puissante par le nom­bre et la discipline et, d'autre part, l'impuissance du Parlement, ou, pour parler comme Maurras, le con­traste entre le pays réel et le pays légal. Adler écrit : « Cette Chambre ne jouit que de peu de crédit dans le peuple… Elle n'est plus en mesure de faire quoi que ce soit de bon, ni même quoi que ce soit de mau­vais : elle est devenue complètement inutile ». L'anti-parlementarisme, dont on a accusé plus tard les fascistes, a des racines socialistes et foncière­ment démocratiques. Du moins en Autriche.

 

Victor Adler traversera les turbulences de la premiè­re guerre mondiale et mourra le 11 novembre 1918. Un jour après sa mort, la République est proclamée. Mais ce n'était pas la république dont il avait rêvé dans sa jeunesse, surtout parce qu'elle s'interdisait de réaliser l'Anschluß, l'union des Allemands d'Autri­che à la “grande patrie germanique”. Ce ne seront plus les socialistes qui militeront pour cette réunion, mais les nationalistes, héritiers directs d'un ancien associé politique d'Adler : le Chevalier von Schöne­rer.

 

Conclusion :

 

◊ Nous avons retracé, en suivant les démonstrations de McGrath et de Battey, l'histoire d'un mouvement politique à la fois identitaire et universel, un mouve­ment qui a clairement fait appel aux racines (Nibe­lungen, poésie et mystères médiévaux, ères des Stau­fer et des Othoniens, etc.), qui a imité des dé­mar­ches identitaristes pionnières telles les Eistedd­fodd gallois, tout en proposant un modèle universel (et non pas universalistes). Tous les peuples ont le de­voir éthique de défendre leurs racines : cette véri­té est universelle, mais ne débouche pas, a fortiori, sur un modèle universaliste arasant, qui se poserait comme unique pour toute la planète. Nous con­sta­tons aussi que si les composantes spécifiques, fondement de l'identité, sont négligées, passent à l'ar­rière-plan ou subissent un processus volontaire d'expurgation, le mouvement bascule dans l'inau­then­tique, dans la répétition stérile de poncifs fonc­tionnels sans âme puis dans le n'importe-quoi et dans la corruption. Ainsi, l'abandon par les forces so­cialistes des linéaments nationalistes, identitaristes, wagnériens et nietzschéens  a conduit le mouvement so­cialiste à l'impasse qu'il connaît aujourd'hui : être un mouvement gestionnaire de la gabegie dominan­te, incapable d'affronter le néo-libéralisme, être un mou­vement qui se contente de survivre ou être un mou­vement anti-démocratique qui oblitère la variété nécessaire des réalités sociales, estime être l'horizon indépassable de l'humanité (dans ce cas, l'horizon n'est guère éloigné…), impose une forme ou une au­tre de “pensée unique”.

 

◊ Le Programme de Linz, la volonté de faire parti­ciper les masses par le théâtre, les manifestations chantées ou les processions comme le Volksfeiertag de Vienne lors de la lutte pour le suffrage universel, sont des mixtes audacieux et efficaces de populisme actif, un vrai socialisme. Sans ces dimensions, le so­cia­lisme est une imposture.

 

◊ Une révolution conservatrice réelle doit se vouloir un retour à cette forme de socialisme, postuler à nou­veau l'usage des “paroles fortes” ou des “paroles âpres”, se remémorer la notion de “cri d'appel” (Weck­ruf)  telle que l'avait forgée Victor Adler, re­mettre à l'honneur la pratique des défilés de masse dans la dignité. Une telle révolution conservatrice se­rait civile, instrumentalisable contre le néo-libéra­lis­me. Personne ne pourrait incriminer une telle i­déo­logie révolutionnaire-conservatrice, puisque l'in­cri­miner équivaudrait à incriminer le mouvement so­cialiste et démocratique (suffrage universel, journée des huit heures), dont se réclame la “correction poli­tique” actuelle, alors que sa rigidité et sa répétitivité sont le déni absolu du fondement identitariste, de la dynamique de base, de ce mouvement dans sa pha­se ascendante. Les champions de la “pensée uni­que”, de la “bien-pensance” (Elizabeth Lévy), de la “political correctness”, rejettent comme “fascistes”, “fascistoïdes” ou “fascistogènes” les éléments qui ont donné au mouvement socialiste et démocratique leur plus forte impulsion, leur dynamique ascen­dan­te. C'est la preuve qu'ils ne sont pas démocratiques, parce que sans ces éléments jugés “fascistes” par les terribles simplificateurs d'aujourd'hui, le mouve­ment démocratique n'aurait jamais connu le succès. L'objectif des champions de la “bien-pensance” est d'éradiquer dans la Cité tout ferment de dynamisme, de clore le bec aux citoyens et d'asseoir définitive­ment la gabegie dominante, d'en faire l'horizon in­dépassable de l'histoire.

 

Robert STEUCKERS.

(Forest/Flotzenberg, Vlotho im Wesergebirge, juillet/août 2001).

 

Notes:

 

◊ 1. La volonté de détacher les Allemands d'Autriche, voire l'ensemble des peuples de Cisleithanie (Tchèques, Italopho­nes du Trentin, Slovènes et Allemands) de la partie de l'Em­pire réunie à la Couronne de Hongrie (Hongrois, Slovaques, Croates) ruine la perspective danubienne de l'histoire alle­mande. Cette idée, tout à la fois folciste, au sens où l'en­ten­dait Herder, et moderne, est en contradiction avec la mis­sion confiée au Traité de Verdun à Louis le Germanique (Lud­wig der Deutscher) en 843. Louis avait reçu la mission de conquérir le cours du Danube pour restaurer l'impérialité romaine dans sa plénitude. Le détenteur du titre de Kaiser, Lothaire (Lothar), avait reçu cette dignité parce qu'il régnait sur les deux fleuves qui avaient donné à Caius Julius, de la gens julia, la dignité de Caesar : le Rhône, le Rhin (et dans une moindre mesure le Pô). Abandonner cette perspective d'un bassin danubien unifié est une négation de l'héritage romain, donc de l'avenir européen. C'est évidemment un point du programme du Groupe Pernerstorfer que nous ne saurions partager.

 

◊ 2. Après que l'Empire austro-hongrois soit devenu “dua­liste” en 1867, on a eu coutume d'appeler Cisleithanie la par­tie occidentale, essentiellement allemande, mais aussi tchè­que, avec pour villes principales Prague, capitale du Ro­yaume de Bohème, et Vienne, capitale de l'Autriche et rési­den­ce de l'Empereur. Le parlement des peuples de Cisleitha­nie siégeait à Vienne. Celui de la Transleithanie à Budape

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mercredi, 06 juin 2007

Mouvement métapolitique à Vienne (19ième) (I)

Le mouvement métapolitique d'Engelbert Pernerstorfer à Vienne à la fin du 19ième siècle, précurseur de la "révolution conservatrice" (PREMIERE PARTIE)

 

Intervention de Robert Steuckers lors de la 9ième Université d'été de l'association «Synergies Eu­ropéennes», Région de Hanovre, août 2001

 

Analyse :

William J. McGRATH, Arte dionisiaca e politica nell'Austria di fine Ottocento, Einaudi Editore, Torino, 1986 (Original anglais : Yale University Press, 1974), ISBN 88-06-59147-9.

Bret BATTEY, The “Pernerstorfer Circle”, http://faculty.washington.edu/vienna/projects/pern/

Sur Siegfried Lipiner : http://www.bautz.de/bbkl/l/lipiner.shtml

Sur Richard von Kralik : http://www.bautz.de/bbkl/k/Kralik.shtml 

Pourquoi avoir choisi cette thématique? Pourquoi avoir ressorti un auteur quasiment oublié? La pre­mière raison qui m'a poussé à opérer ce choix et à vous présenter les initiatives d'Engelbert Perner­storfer c'est justement que le concept de "révolution conservatrice" m'apparaît désormais trop restreint, trop limité, surtout dans le temps. Cinq faisceaux de motivations m'ont amené à réétudier, à partir des recherches de deux Américains, William McGrath et Bret Battey, les activités métapolitiques de la Vienne des trois dernières décennies du 19ième siècle et d'en dégager des idées que l'on peut considérer comme les prémisses —ou comme certaines prémisses—  de la future "révolution conservatrice".

◊ La période choisie par Armin Mohler est limitée: elle va de 1918 à 1932, soit une période de quatorze années, qui est trop particulière, trop marquée par la défaite de 1918, par les clauses du Traité de Versailles de 1919, par les débordements proches de la guerre civile (Putsch de Kapp, intervention des Corps francs à Munich, dans la Ruhr et en Silésie), pour offrir une alternative complète au système pour une période non effervescente. Qui plus est, les ra­cines des idées développées par les principaux pro­tagonistes de la "révolution conservatrice" de 1918 à 1932, plongent dans une antériorité qu'il convient également d'explorer. Cette remarque n'en­lève rien au mérite de Mohler et à l'excellence de son travail encyclopédique. Mon objectif est de don­ner une di­mension temporelle plus profonde à son concept de "révolution conservatrice", ce qu'il en­ten­dait amor­cer lui-même, notamment en accueillant favorable­ment les travaux de Zeev Sternhell.

 

Réflexions sur les vertus soldatiques

 

◊ L'accent de la "révolution conservatrice" après 1918 est tout naturellement mis sur les vertus "sol­datiques" qui ont été cultivées pendant la première guerre mondiale et se sont avérées nécessaires pour éloigner le danger bolchevique des frontières de l'Allemagne en Silésie et dans l'espace des Pays Bal­tes et pour le conjurer à l'intérieur même du Reich, notamment dans la Ruhr, à Berlin et à Munich. La figure du combattant de la Grande Guerre est évo­quée, de manière sublime, dans l'œuvre d'Ernst Jün­ger et dans celle de Schauwecker; la figure du com­battant des Corps Francs dans les ouvrages d'Ernst von Salomon. Dans l'espace idéologique de la "nou­velle droite" française, avant que celle-ci ne titube d'une démission et d'un aggiornamento à l'autre, Do­minique Venner a introduit cette thématique dans un livre à grand tirage : Baltikum. Dans le Reich de la défaite, le combat des Corps-francs. 1918-1923, Robert Laffont, Paris, 1974. Ultérieurement, une ver­sion de ce titre est parue dans “Le Livre de Poche”. Sur le même thème, D. Venner a fait paraître plus ré­cemment : Histoire d'un fascisme allemand. Les Corps-francs du Baltikum. Du Reich de la défaite (1918) à la Nuit des Longs Couteaux (1934), Pyg­ma­lion/Gérard Watelet, Paris, 1996.

 

Déjà lors mon intervention dans un colloque d'o­rien­tation idéologique, tenu dans une auberge de la Lan­de de Lüneburg, au début de l'aventure de «Syner­gies Européennes» en Allemagne, j'avais souligné l'in­térêt politique qu'il y avait de suggérer à nos con­temporains un projet révolutionnaire-conservateur, qui soit général et civil et non plus seulement sol­datique, vu que cet idéal soldatique ne permet plus au­jourd'hui de pénétrer les mentalités des masses, celles-ci n'étant plus du tout pétries de cet idéal, du fait de l'éloignement temporel qui nous sépare désormais, de plus en plus, de cette "période axiale" du 20ième siècle (pour reprendre une expression chè­re à Karl Jaspers, à Armin Mohler et à Raymond Ru­yer). Ce qui n'ôte évidemment rien à l'importance in­­trinsèque et primordiale que revêt une lecture, dans l'adolescence et au début de l'âge adulte, de cette geste héroïque contemporaine, notamment via les livres d'Ernst von Salomon et l'étude de Do­mi­nique Venner.

 

◊ Du fait des impératifs qu'impose la rédaction d'u­ne thèse, comme celle de Mohler, à cause aussi d'un ex­cès d'attention accordé dans certains milieux —cher­chant à continuer la "révolution conserva­tri­ce"—  à l'aspect héroïque de la seule geste solda­ti­que de 1918-1919, la révolution conservatrice his­to­rique, réduite à la période étudiée par Mohler, sem­ble une sorte de météorite qui traverse trop rapi­de­ment le ciel, un phénomène sans antériorité ni pro­fondeur temporelle. En rester à un tel jugement con­duit à une insuffisance doctrinale, à une mutila­tion idéologique, à une coupure incapacitante. En guise de palliatif, le présent exposé a pour objectif premier de conseiller la lecture de travaux universitaires, gé­né­ralement anglo-saxons, comme ceux de William Mc­Grath (réf. infra) sur Vienne, que je vais aborder ici, et de David Clay Large sur Munich, que j'a­bor­derai ultérieurement. William McGrath explore l'épo­que qui va de 1865 à 1914 à Vienne. David Clay Lar­ge analyse les vicissitudes culturelles et politiques qui secouent la vie publique à Munich entre 1890 et 1945 (nous nous bornerons à présenter la période qui va de 1890 à 1920, car c'est elle qui nous ins­truit clairement sur les évolutions idéologiques à l'œu­vre dans la capitale bavaroise).

 

La nostalgie d'une unité idéologique perdue

 

◊ Après la lecture de ces ouvrages anglo-saxons, nous sommes amenés à constater qu'il n'y avait pas de clivage gauche/droite bien tranché avant la prise de Munich par les Corps Francs en 1919. Ce clivage, aujourd'hui réel, est né du choc frontal entre ces vo­lontaires nationalistes et les gardes rouges de la Ré­pu­blique des Conseils; une césure binaire, parfaite­ment tranchée, n'existait pas auparavant. Avant les événements tragiques de Munich (et de Berlin) en 1918 et 1919, les composantes idéologiques, deve­nues antagonistes, ont connu un stade de “fusion” où elles se mêlaient dans des synthèses civiles, non idéologisées comme dans les années 20, 30 et 40 du 20ième siècle. Cette fusion, perceptible dans les dé­bats de Vienne à la fin du 19ième, à Munich de 1890 à 1914 ou à Bruxelles avec des figures comme Victor Horta ou Charles Buls à la même époque, a suscité des nostalgies —nostalgies d'une unité perdue—  que l'on repère dans certains linéaments du comple­xe “national-bolchevique” (autour d'Ernst Niekisch et de ses revues), dans les tentatives de restaurer un esprit communautaire contre la pesanteur des mas­ses dans le socialisme marxiste ou contre l'individua­lisme forcené des libéralismes, dans les rangs du Wan­dervogel ou des mouvements de jeunesse qui ont pris sa succession après 1918, dans le socia­lis­me libertaire préconisé par Gustav Landauer ou, en fi­ligrane, dans l'œuvre de Walter Benjamin, qui a mû­ri, elle aussi, dans le Schwabing de la Bohème lit­téraire munichoise.

 

◊ La saisie en profondeur des racines de notre temps, du contexte idéologique très dense de cette époque qui s'étiolera après la révolution bolchevi­que, la prise du pouvoir par Hitler et la fin de la se­conde guerre mondiale, passe par la nécessité de s'adonner  —et de manière intense—  à des lectures parallèles, ce qui, hélas, n'a jamais été fait dans notre courant de pensée, où trop souvent, les juge­ments à l'emporte-pièce ou le culte des chromos fi­gés n'ont cessé de tenir le haut du pavé. Ces lec­tures parallèles, indispensables à la bonne compré­hension des racines de notre temps, impliquent de lire conjointement

◊ 1. les travaux de Zeev Sternhell et de Steve Ash­heim, tous deux chercheurs de l'école californienne et israélienne,

◊ 2. l'histoire des mouvements artistiques à Bru­xel­les et à Vienne (avec l'accent sur le Jugendstil et la Wiener Sezession),

◊ 3. l'histoire du mouvement pré-raphaëlite en An­gleterre, avec étude de l'œuvre de Ruskin, du “Fa­bian Socialism”, des ouvrages de Matthew Arnold et de Thomas Carlyle et surtout impliquent

◊ 4. d'acquérir une bonne connaissance des produc­tions de la maison d'édition d'Eugen Diederichs à Leip­zig et Iéna, où l'on a traduit et commenté ces œuvres et où l'on a approfondi ces thématiques.

 

Méconnaissance des corpus philosophiques qui sous-tendent la “révolution conservatrice”

 

La première étape dans cette enquête, dans cette historia au sens grec du terme comme nous le rap­pelle Michel Foucault et son exégète française, An­gèle Kremer-Marietti, va nous conduire à Vienne, puis, seconde étape, à Bruxelles, et, troisième et quatrième étapes, à Munich et à Berlin. Car la notion d'enquête, d'historia, est à la base de la méthode ar­chéologique et généalogique que nous ont léguée Wil­helm Dilthey et Friedrich Nietzsche, méthode ar­chéologique/généalogique qui est la marque de l'épi­sté­mologie révolutionnaire-conservatrice. La mécon­nais­sance de ce corpus, chez la plupart des expo­sants naïfs ou prétentieux d'une nouvelle “révolution conservatrice”, conduit à des apories, des quipro­quos ou des “maculatures” sans nom. La “nouvelle droite”, et certains personnages qui l'ont animée, en ont donné le triste exemple pendant plus de trente ans. Personnages qui persistent dans leurs insuf­fi­sances. Et qui nous traitent d'“anarchistes”, à l'idéo­logie “peu claire” ou “peu sûre”, parce que nous re­montons véritablement aux sources, des sources que, curieusement, ils ne veulent pas connaître, sans doute parce qu'elles les obligeraient à sortir de leurs chromos simplistes ou à relativiser leurs posi­tions trop schématiques. Pire : citer Landauer, Ben­jamin et Foucault (même par le biais d'Angèle Kre­mer-Marietti) constitue un crime de “judéophilie” ou de “gauchisme” pour ces esprits bornés, qui osent ériger leurs tristes limites voire leurs obsessions ri­dicules au rang de paradigmes. Reproche d'autant plus infondé que des exposants non juifs, parfaite­ment “aryens”, ont défendu exactement les mêmes thèses ou positions. Ces paradigmes figés sont éri­gés en dogmes fixes, alors que l'objet même de nos préoccupations, la révolution conservatrice et ses antécédents, sont des phénomènes dynamiques, des dynamiques effervescentes, qui ont leur trajectoire; même si les limites de l'idéologie dominante actuelle et des sycophantes qui l'instrumentalisent bloquent ces dynamiques, elles ont encore des impacts, mê­me si ces impacts ne sont plus des flots fougueux d'innovations, mais de minces filets qui ne cessent de filtrer, en dépit de tout : il suffit d'observer les suc­cès de certaines expositions d'Europalia, sur Vien­ne ou sur d'autres villes, pour le constater. Une nostalgie indéracinable, bien qu'inconsciente ou frag­mentaire, continue à attirer les foules vers les productions artistiques ou littéraires de cette épo­que, productions qui forment aussi l'arrière-plan po­li­tique des grands mouvements populaires de la fin du 19ième siècle.

 

La revue “Die Telyn” au Schottengymnasium de Vienne

 

Sortir des impasses de la clique parisienne qui pré­tend réincarner la “révolution conservatrice”, impli­que justement de poser une démarche archéolo­gi­que/généalogique. Et cette démarche, pour le volet vien­nois de notre enquête, aboutit à étudier la tra­jectoire d'un personnage des plus intéressants : En­gel­bert Pernerstorfer. Il débute sa longue carrière po­litique et métapolitique en mars 1867, alors qu'il n'est encore qu'un modeste lycéen, inscrit dans une célèbre école de Vienne, le Schottengymnasium, tenu par des pères bénédictins. A l'origine, cette institution d'enseignement catholique avait été fon­dée par des religieux issus d'Irlande, qui avaient immigré en Europe centrale, sans doute en même temps que les “Oiseaux Migrateurs”, ces mercenai­res irlandais mettant leur épée au service du Saint-Empire contre les ennemis de l'Europe. Engelbert Per­nerstorfer et ses amis du Schottengymnasium fon­dent une revue pour exprimer leurs idées; elle porte le titre de Die Telyn, soit “La Harpe celtique”, clin d'œil, sans doute, à ces bénédictins d'Irlande ve­nus jadis à Vienne, pour accompagner leurs compa­triotes soldats. Mais une autre référence celtique ani­me les jeunes collégiens : la fête de l'Eisteddfodd gal­lois, remise à l'honneur au Pays de Galles à la fin du 18ième siècle, dans le cadre de ce que l'on a com­munément appelé le “Celtic Revival”. L'Eisteddfodd consistait en un festival de musique traditionnelle, avec récitations de poésie, avec chants puisant dans le patrimoine mythologique et national irlandais ou gallois. Le choix de l'instrument de musique symbo­lique de la Verte Eirinn et la référence à l'Eistedd­fodd gallois indique clairement que nos collégiens du Schottengymnasium avaient un projet précis : re­vi­ta­liser la culture populaire, remettre les racines à l'hon­neur à l'instar des celtisants gallois, afin d'ame­ner, à terme, une révolution politique.

 

Nature, patrie, art

 

Dans ce premier groupe autour d'Engelbert Per­nerstorfer, nous trouvons Victor Adler (d'ascendance israélite), Max Gruber et Heinrich Friedjung (égale­ment d'ascendance israélite). Pourquoi Pernerstorfer a-t-il immédiatement barre sur ses condisciples? Par­ce que son père a fait la révolution de 1848. Il est d'ascendance modeste. Il est un homme du peu­ple, alors que les familles des Adler, Gruber et Fried­jung appartiennent à une bourgeoisie aigrie, mé­contente du rythme trop trépident que prennent la révolution industrielle et la modernité. Pour nos qua­tre collégiens, trois valeurs doivent être sauvées, res­taurées et portées au pinacle de la Cité : la na­tu­re, la patrie et l'art. Dans le concret, cela signifie quatre orientations politiques précises : 1) On s'op­po­se aux Habsbourgs, car on est pangermanique, on veut l'unification générale des Allemands ethniques, unification perçue comme un impératif de la nature; 2) On est socialiste, au sens où la révolution de 1848 a anticipé le mouvement socialiste et où la cri­se de l'ordre économique existant postule un chan­ge­ment allant dans le sens d'une redistribution plus juste et d'un dépassement du primat accordé par le libéralisme à l'économie et aux accumulations quan­ti­tatives de tous ordres. Le socialisme de ces lycéens est proche de celui de Ferdinand Lassalle, qui s'en­tendra avec Bismarck. Lassalle veut un socialisme é­tatique, c'est-à-dire un socialisme acceptant les cor­rectifs de l'Etat; 3) On veut se dégager des con­ven­tions sociales, qui sont autant d'étouffoirs à la créa­ti­vité; cette volonté de dégagement vaut autant pour les Catholiques, majoritaires en Autriche, que pour les Juifs ou les Protestants; 4) On veut instau­rer une pédagogie, un système d'éducation, permet­tant à tous d'accéder aux hautes valeurs de la cul­ture, car la culture, les arts et la littérature seront le ciment de la communauté nationale allemande, comme ils ont été le ciment de la conscience natio­nale et ethnique des Gallois.

 

Panthéisme irlandais et Nibelungen

 

Cette quadruple option, prise par notre quatuor de ly­céens viennois, s'explique par la psychologie et par une idiosyncrasie particulière. Sur le plan psycho­lo­gique, leur réaction est, dit McGrath, une réaction de fils contre le monde de leurs pères, en d'autres ter­mes, une révolte juvénile qui anticipe celle du Wan­dervogel berlinois, né en 1896. McGrath ne formule au fond rien de bien original, sacrifie peut-être un peu trop aisément aux manies freudistes améri­cai­nes; pour lui, les pères veulent un monde stable, figé, tandis que les fils, par définition  —ce qui nous lais­se sceptiques—  un monde mouvant, efferves­cent. Sur le plan idiosyncratique, le Schottengymna­sium, par le truchement de ses traditions pédago­giques, a provoqué tous les déclics idéologiques chez notre quatuor de lycéens. Ce refuge de bénédictins irlandais en Autriche véhiculait, volens nolens, une tradition irlando-écossaise, plus panthéiste que ne l'é­taient les scolastiques de l'enseignement catho­lique habituel ailleurs en Europe. Ce panthéisme ir­landais au sein d'un catholicisme continental, plus ra­tionaliste, explique la double référence celtique : à la harpe (la telyn) et aux fêtes de l'Eisteddfodd gal­lois. Deux professeurs ont laissé une empreinte phi­losophique indélébile sur Pernerstorfer et ses jeunes amis, leur ont communiqué les linéaments d'une idéo­logie alternative : Hugo Mareta et Sigismund Gschwan­der. Le niveau de leur enseignement est très élevé, dans toutes les branches, mais le déno­minateur commun du message que communiquent les pères, dénommés “Schotten”, est un ancrage dans le paysage, dans la terre des forêts entourant Vienne et dans le peuple qui véhicule des traditions authentiques, bien plus anciennes que les poncifs du libéralisme du 19ième. Hugo Mareta, germaniste, initie ses élèves à tous les arcanes des Nibelungen et les plonge dans un univers wagnérien.

 

Cette référence constante aux racines et à la nature amène les élèves du Schottengymnasium à perce­voir le libéralisme ambiant comme une crise de ci­vilisation passagère, comme une ère qu'il convient de dépasser. Pour effectuer la transition, il faut pré­pa­rer une élite qui sache renouer avec la tradition an­térieure. Mais cette élite ne devra pas se conten­ter de réminiscences stériles du passé, de répétitions interminables de ce qui a été (et ne sera plus) : elle est appelée, au contraire, à l'action politique con­crète, qui consistera, dans un premier temps, à re­chercher systématiquement des alternatives idéolo­giques à la fausse culture libérale.

 

Du lycée à l'université

 

Le temps du lycée est bref, pour tous les adoles­cents. La deuxième étape dans la trajectoire du grou­pe de Pernerstorfer se déroule à l'Université, où ils fondent, le 2 décembre 1871, le “Leseverein der deutschen Studenten Wiens” (= Cercle de lecture des étudiants allemands de Vienne), puis, dans la fou­lée, la “Burschenschaft Arminia” (la Corporation Ar­minia). Dans leur formulation, les écrits laissés par le Leseverein sont moins radicaux que ceux de Die Te­lyn. Mais leur niveau est forcément plus élevé, les rédacteurs acquérant sans cesse savoir et maturité.

 

Le Prof. McGrath, dans son enquête minutieuse, a retracé l'historique des conférences prononcées à la tribune du Leseverein, ce qui nous permet de mettre en exergue ses idées motrices, telles qu'elles sont apparues au fil du temps. McGrath nous rappelle un débat récurrent sur l'œuvre de Lorenz von Stein, professeur à Vienne jusqu'en 1885. Lorenz von Stein est considéré comme un “conservateur social”, cher­chant à réduire la dépendance des ouvriers, en leur donnant un accès à la propriété et à l'instruction. La dépendance ouvrière s'est accrue après les révolu­tions bourgeoises, française et industrielle : elle est un fruit de la modernité et non pas un héritage de l'Ancien Régime, qui prévoyait des protections diver­ses pour les pauvres, souvent en nature (vivres, jouis­sance de logements individuels ou collectifs, terres de pâturages sur les communs, revenus allo­diaux, droits de récoltes ou de ramassage divers, etc.). Lorenz von Stein critiquait les théories pré-communistes des théoriciens français (notamment Blanqui). Ce communisme, outrancier, ne peut dé­bou­cher que sur l'oppression généralisée et abstraite de tout le peuple et ne permet pas de construire un ordre économique capable de fonctionner sur le long terme. L'alternative, proposée par Lorenz von Stein, est une société organique axée sur le Bien Commun (concept hérité d'Aristote), qui combat l'égoïsme et l'individualisme.

 

Sur le plan pratique, la société organique et la no­tion aristotélicienne de Bien Commun induisent la né­cessité d'améliorer les conditions de vie des ou­vriers et de leur accorder une plus grande mobilité so­ciale, de permettre une circulation des élites plus fluide. Le socialisme ultérieur de Pernerstorfer et d'Ad­ler découle davantage des idées conservatrices et aristotéliciennes de Lorenz von Stein que de Karl Marx. Et, in fine, tout socialisme efficace, tout so­cia­lisme réellement populaire ne fonctionne que sur ba­se d'un héritage organique perceptible, ancien, an­cré dans un tissu social, et non pas sur des innova­tions et des bricolages boiteux, nés de l'esprit de fa­brication (Joseph de Maistre).

 

La référence schopenhauerienne de Karl Rokitansky

 

Le premier maître à penser philosophique du groupe est Arthur Schopenhauer. Dans le curriculum du Le­se­verein, ce sera un docteur en médecine, Karl Ro­kitansky, qui, par le biais de ses conférences, injec­tera les bases d'un schopenhauerisme pratique dans le corpus doctrinal du groupe. Rokitansky part de l'idée de la solidarité générale unissant toute la vie animale. Il énonce, à partir de cette idée tirée d'une lecture de Schopenhauer, une théorie biosociale, cer­tes darwinienne en même temps que schopen­hauerienne, mais solidariste et non pas compétitive. La solidarité, réclamée par Rokitansky, dérive de la no­tion (bouddhiste) de compassion, énoncée dans l'œuvre de Schopenhauer. L'homme doit dépasser les pulsions négatives qui le poussent à agresser ses concitoyens, à l'égard desquels il doit se montrer solidaire, afin de consolider le Bien Commun. Le scho­penhauero-darwinisme de Rokitansky conduit à affirmer un altruisme solidaire, dont le ciment est la culture, qu'il s'agit de défendre et de développer, surtout au sein des masses déshéritées par les pra­tiques du libéralisme.

 

Le conférencier Theodor Meynert, psychiatre, va com­­muniquer aux étudiants du Leseverein un corpus reposant à la fois sur Kant et sur Schopenhauer (un corpus qui sera repris plus tard par Konrad Lorenz). Pour Kant, expliquait Meynert, il existe un moi pri­maire et égoïste et un moi secondaire et abstrait, capable de recul. Ce recul permet la civilisation, in­duit la solidarité réclamée par son collègue Rokitan­sky, mais que Meynert appelle le “mutualisme”, idéo­logie dont la vocation est de réaliser la frater­nité. Nous constatons donc que l'époque connaît deux variantes de darwinisme, le darwinisme libéral axé sur la concurrence et le darwinisme solidariste et mutualiste, axé sur la coopération et l'altruisme, deux vertus politiques qui consolident le Bien Com­mun et rendent les sociétés, qui les pratiquent, plus fortes.

 

Le scandale von Ofenheim

 

Ex cursus : Au moment où les étudiants du Lese­ver­ein planchaient sur les idées de Lorenz von Stein et écoutaient les conférences de Rokitansky et Mey­nert, éclate en Autriche, en 1875, un scandale em­blématique, celui provoqué par les manigances du fi­nancier véreux Victor von Ofenheim. Ce noble dévo­yé avait spéculé sur les chemins de fer en Galicie, ven­du des actions gonflées démesurément, promis des dividendes pharamineux, attiré par ses leurres des milliers de gogos qui ont évidemment été ruinés. Cité en justice par les actionnaires floués, von Ofen­heim entend le Comte Lamezan, véritable aristocrate de robe, prononcer contre lui un réquisitoire sévère. Le Comte Lamezan, proche à certains égards des é­tu­diants du Leseverein, estime que le procès qui se dé­roule est emblématique : il met en exergue la con­tradiction —apparemment insoluble—  qui existe en­tre l'éthique et l'économie. Mais en dépit du bril­lant réquisitoire de Lamezan, von Ofenheim gagne le procès; il déclare, via son avocat, qu'“avec la mora­le, on ne construit pas de chemins de fer”. Les étu­diants, mutualistes, constatent avec énormément d'a­­mertume : «Le système libéral est mauvais, puis­qu'il s'avère incapable de sanctionner des activités aussi immorales». L'avocat de von Ofenheim s'en é­tait tiré par une pirouette, en disant qu'il existait cer­tes des tribunaux terrestres pour sanctionner des délits, mais que seul le tribunal céleste pouvait sanc­tionner l'immoralité.

 

Troisième orateur de marque dans le Leseverein, le philosophe Johannes Volkelt qui proposera aux étu­diants viennois une synthèse entre Kant, Hegel, Scho­penhauer et von Hartmann. Le titre de sa pre­mière conférence indique qu'il part résolument de Kant : “Kants kategorischer Imperativ und die Ge­gen­wart” (= L'impératif catégorique de Kant et les temps présents). Volkelt avait commencé sa con­fé­rence en rappelant que le sujet connaissant (tel que défini par Kant) est instable, vu les limites de ses ca­pacités cognitives. L'homme, sujet connaissant, est jeté dans un monde instable (en ce sens, il préfigure Heidegger). Pour pallier cette instabilité, l'homme doit respecter un code moral extrêmement rigou­reux, qui lui donne les recettes de la survie et de la navigation sur la mer, souvent déchaînée, des cir­con­stances existentielles (plus tard Arnold Gehlen par­lera de "culture", comme système de palliatifs pour consolider la position de l'homme, être fragile quant à ses dons et capacités naturels). L'exigence morale de Kant est terrible. Elle postule de dépouil­ler systématiquement l'agir éthique de tout désir, de toute aversion, de tout affect. L'éthique qui en ré­sulte est certes tranquille, mais elle est le résultat d'une lutte perpétuelle que l'homme a à mener con­tre lui-même. Finalement, ce n'est qu'au terme de cet­te âpre lutte qu'il est capable d'affirmer pour lui-même et pour les autres, une véritable autonomie. L'au­tonomie est atteinte seulement quand tous les affects incapacitants, distrayants, dissipants, sont éli­minés (cette position de Volkelt est à mettre en parallèle avec la théorie de l'“individu absolu” de Ju­lius Evola).

 

Volkelt contre l'amollissement généralisé

 

Au nom de la morale kantienne, Volkelt condamne, devant ses auditeurs du Leseverein, la société con­temporaine, parce qu'elle est axée sur la commodité (la Bequemlichkeit), qui, elle, abandonne par princi­pe toute lutte. Volkelt condamne aussi l'orientation des sciences et des techniques de l'époque, dans le sens où elles conduisent à la facilité, qui ruine et fait disparaître la vigueur et l'indépendance de l'homme, par ailleurs garantes dans la durée de son auto­no­mie. Quand il chavire dans la facilité, l'homme aban­don­ne son trésor le plus sacré : l'autonomie. Le ju­ge­ment de Volkelt est sans appel : “Wir leben in ei­ner Zeit allgemeiner Auspolsterung” (= Nous vivons une époque d'amollissement généralisé) (à lire en pa­rallèle avec Die Perfektion der Technik de Friedrich Georg Jünger). La civilisation moderne, pour Volkelt, conduit donc à la superficialité spirituelle, à la lé­gè­reté et à la futilité, où les idéaux sont bannis, où la moralité n'est plus qu'une simple convention, où l'op­portuniste est roi. L'affaire von Ofenheim l'a clai­rement démontré.

 

L'objet de la métapolitique (et le terme n'est pas anachronique comme nous allons le voir) est de for­ger une nouvelle éthique, contraire diamétral du libéralisme, de jeter les bases d'un nouvel ordre so­cial et de restaurer le Bien Commun. Par consé­quent, il faut remplacer l'individualisme matérialiste des libéraux classiques par une sorte de collecti­vis­me idéaliste, où les salaires et les profits sont pro­portionnels au travail réellement presté, où les hom­mes sont animés par la conscience de faire quelque chose d'utile au Bien Commun, et ne poursuivent pas le but pervers de l'enrichissement personnel.

 

De Kant au binôme Wagner / Nietzsche

 

Par la suite, le Leseverein abandonne progressive­ment le kantisme pour adopter les idées de Wagner et de Nietzsche, surtout celles qui évoquent une “mé­taphysique de l'artiste” (dans le cadre de la “nou­velle droite”, qui n'a jamais évoqué l'œuvre de Pernerstorfer, seul Giorgio Locchi a abordé la rela­tion complexe entre Nietzsche et Wagner).

 

C'est Victor Adler qui, le premier, a introduit Nietz­sche dans le groupe qui participait à la rédaction de Die Telyn. Mais, il s'agissait du premier Nietzsche, pour qui l'art joue un rôle central, constitue la vé­ri­table activité métaphysique. La musique, pour ce pre­mier Nietzsche, exprime une volonté collective non individualiste, elle est l'expression d'une sa­pien­ce, d'une sagesse dionysiaque, présente dans le théâ­tre d'Eschyle et de Sophocle. Pour rappel, chez ce premier Nietzsche, le théâtre grec constitue une communion de l'homme avec sa propre communauté et avec la nature. Dans la dialectique Apollon / Dio­ny­sos, que ses livres sur la tragédie grecque expli­citent, un surplus d'apollinisme conduit à la sclérose (comme à Rome), tandis que l'irruption permanente et ininterrompue du dionysiaque donne force et vitalité à la Cité. La Polis grecque, pour Nietzsche, fusionne ses éléments épars, ses différences de clas­se ou d'origine, dans la communauté mystique du ri­te dionysiaque. Si le flot dionysiaque vient à s'ame­nuiser, la Cité entre en déclin, comme ce fut effecti­vement le cas à partir d'Euripide. Nous assistons alors à l'assèchement des sources organiques, tant et si bien que l'homme de la période hellénistique est devenu trop “théorique”. Le bon fonctionnement de la Cité, hier en Grèce, à l'époque d'Adler et Per­nerstorfer dans le monde germanique, implique de limiter l'extension des formes découlant du logos. L'Allemagne a pour mission de corriger par la musi­que une civilisation qui sombre dans un excès de lo­gos. La musique allemande est l'élément dionysia­que, donc la source vitale, de la culture germanique d'Europe centrale. La fusion communautaire dans la Cité s'opère donc par la voie artistique et non pas par la raison économique.

 

La métaphysique des artistes et des long-voyants

 

Adler, comme Nietzsche, appelle l'avènement d'une “métaphysique de l'artiste” (Artistenmetaphysik). Le surhomme de la métaphysique de l'artiste est celui qui s'est auto-transcendé par la création artistique (lato sensu). Il a généré des formes éternelles, a ainsi dépassé la finitude du physique. Nietzsche é­voque la nécessité de créer des institutions ou des agences capables de promouvoir les activités de ces créateurs de formes. Ces institutions doivent per­mettre de voir plus loin et plus clair, les deux valeurs cardinales d'une réforme profonde de l'enseigne­ment et de la société en général sont la clairvoyance et le sens du long terme. Ceux qui participent à des cercles “long-voyants”, comme ceux d'Adler et de Per­nerstorfer, doivent se former eux-mêmes et pré­parer l'avènement d'êtres géniaux, les aider à faire mûrir leurs œuvres. Cette optique vaut sur le plan artistique et littéraire, mais aussi sur le plan politi­que : il faut faire émerger une capacité de décision, étrangère et différente de l'esprit dominant de l'é­poque (matérialiste, positiviste, économiciste). L'op­tique nietzschéenne de Victor Adler entend maintenir intacte la force, la puissance des passions, généra­trices de formes esthétiques ou de volontés politi­ques au service du Bien Commun (cette intuition du jeune Victor Adler est à mettre en parallèle avec l'œuvre de ce dissident russe, décédé trop tôt en 1992, Lev Goumilev, théoricien de la “passionalité” des peuples jeunes et dynamiques; l'estompement des passions conduisant au déclin irrémédiable).

 

La troisième étape du groupe “Telyn”, dans sa forme initiale, commence le 18 décembre 1878 quand est prononcée la dissolution du Leseverein. Nos jeunes hommes quittent l'Université et se réunissent dans les cafés viennois. Une partie du groupe devient ac­ti­viste politique avec Adler, Pernerstorfer et Fried­jung. Une autre partie décide de s'adonner à l'es­thé­ti­que, avec Lipiner, von Kralik, Wolf et celui qui deviendra le grand compositeur autrichien Gustav Mahler (auquel le père de Victor Adler avait acheté son premier piano). Les esthètes se réunissent au sein du Gralbund (La Ligue du Graal), fondé en 1905, principalement sous l'impulsion de Richard von Kralik. Cette “Ligue du Graal” est in fine d'in­spi­ration catholique, même si elle mêle à son catho­li­cis­me des éléments traditionnels non spécifiquement chré­tiens.

 

Ainsi, les activistes s'entendent autour du “Program­me de Linz”, à la fois socialiste et nationaliste, et dont les éléments “nationalistes” sont surtout portés par Friedjung, d'origine israélite. Friedjung entend défendre la langue allemande et milite pour une diminution, sinon une disparition, des taxes levées dans les classes pauvres. Parallèlement aux efforts d'Adler, Pernerstorfer et Friedjung, Georg von Schö­nerer, socialiste, pangermaniste et antisémite, déve­lop­pera une synthèse plus âpre, plus populiste. Les esthètes se veulent tout à la fois prêtres et poètes, entendent gérer la “passionalité”, la conduire sur des chemins positifs, en faire un ciment de cohésion pour le Bien Commun. Dans ce contexte, Richard von Kralik, dans le cadre du Gralbund, vise à réno­ver la culture européenne par un recours permanent aux idées-forces de l'antiquité, de la germanité, du christianisme médiéval et de la tradition des mystè­res, le tout s'inscrivant naturellement dans le cadre du national-catholicisme autrichien.

 

Richard von Kralik et  les “esthètes pythagoriciens"

 

L'itinéraire de Richard von Kralik est intéressant pour saisir l'évolution des esprits et la synthèse que ceux-ci finissent par proposer dans le cadre de la culture germanique du 19ième siècle. En 1876, deux ans avant d'entrer dans le groupe de Pernerstorfer, von Kralik étudiait à Berlin chez Theodor Mommsen, le spécialiste de la Rome antique à l'époque, et as­sistait aux leçons de Treitschke et de Hermann Grimm. Il est socialiste, milite au parti, dévore l'œu­vre complète de Ferdinand Lassalle, se frotte à l'i­déo­logie marxiste en pleine maturation. En 1878, quand Siegfried Lipiner, ami de Wagner et futur ré­dacteur des Bayreuther Blätter, l'introduit dans le cer­cle de Pernerstorfer, il commence à lire Nietz­sche, s'enthousiasme pour Wagner, de concert avec Gu­stav Mahler. Mais la rupture entre Nietzsche et Wagner créera une importante polarisation dans le groupe : les uns acceptent le wagnérisme mystique de la fin, curieux mixte de Schopenhauer, de théorie musicale et de mystique chrétienne, dont Kralik et Mahler. D'autres suivent les critiques de Nietzsche, estimant que Wagner avait subi une “involution”, et que le complexe idéologique de socialisme chrétien et mystique, assorti d'une option végétarienne (que Wagner déclarait “pythagoricienne”), n'avait aucun avenir, n'était qu'une illusion pseudo-religieuse par­mi bien d'autres.

 

« L'homme fort est en mesure de créer pour lui-même une réalité idéale »

 

Un clivage net commence à séparer les esthètes (py­thagoriciens) des activistes. Les wagnéristes vé­gé­tariens, autour de Kralik, Mahler et Lipiner, con­si­dèrent comme totalement futiles les questions d'or­dre politique. Richard von Kralik justifie ses positions anti-politiques par une révélation, qu'il aurait eue à la suite d'une dépression : il nie désormais l'existen­ce d'une réalité plus parfaite au-delà du monde sen­sible des phénomènes. Face à la crise de son ami, Lipiner écrit à Nietzsche, au philosophe naturaliste, tellurique et mystique Gustav Theodor Fechner et à Paul de Lagarde, pour qu'ils fassent en sorte que Kralik change d'avis. Seul Lagarde répondra. Et ob­tiendra des résultats : Kralik admet à nouveau l'exis­tence d'une sphère idéale transcendant la réalité quotidienne, mais le lien que cette sphère transcen­dante peut entretenir avec notre monde, passe par la médiation de la mythologie et de la symbolique ger­maniques, seules capables de faire miroiter l'idéal caché dans le réel. Mais Kralik refuse toujours la po­litique : «L'homme d'Etat doit savoir que toutes ses luttes ne lui apporteront aucun résultat». Finalement Kralik et Lipiner conviennent qu'aucune alternative valable ne s'offre à l'imperfection du réel; l'homme fort est en mesure de créer pour lui-même une réa­lité idéale. Ces positions, partagées par nos deux hom­mes, conduisent à la création en 1881 de la Sa­gen­gesellschaft (La Société de la Saga). Elle accueil­lera ceux qui, par esthétisme, refusent l'engagement politique, fuient la réalité et la sphère publique pour se consacrer à l'art. Lipiner : «Pour nous, le royau­me des formes n'est pas un monde merveilleux qui existe pour que l'on s'évade de la vie; pour nous, ce monde est la vraie vie, ou, alors, rien n'est rien».

 

Pour un art authentique et unitaire

 

Richard von Kralik décrit l'objectif de la “Société de la Saga”: «L'objectif le plus important me semble le suivant : assurer à notre nation un substrat culturel épique comparable à celui qu'avaient les Grecs, les Indiens et les Perses; par ce projet, nous devons donner une unité à notre héritage de sagas sur les dieux et les héros, comme l'avaient fait Homère, Hé­siode et Ferdawsi» (nous reprenons la transcription de ce nom persan, telle que nous l'a léguée Henry Corbin). Cette volonté de retrouver le noyau com­mun des mythologies indiennes, persanes, grecques et germaniques dérivent d'une lecture de Religion und Kunst de Wagner. La référence à la Perse vient très certainement de Gobineau. La mise en exergue du noyau commun à ces mythologies indo-euro­péen­nes permettra, pensent les membres de la “So­ciété de la Saga”, de créer un “art authentique et unitaire”. Telle est la mission qu'ils se donnent, à la suite des recommandations de leur maître Richard Wagner. Tâche évidemment titanesque. Mais Ri­chard von Kralik ne baissera pas les bras. Succes­si­vement, il s'intéressera aux mystères médiévaux, à la constitution d'un corpus aussi complet que pos­sible des sagas et mythes germaniques, à la quête du mythe faustien dans ses formes originelles, à la poésie de Dante, etc.

 

L'idéal de Kralik est de faire ré-émerger une culture régénérée, inspirée des mythes, capable de com­pren­dre et de faire comprendre, par ses symboles, ce qui transcende les simples phénomènes. Son intérêt pour le mythe de Faust le conduit, para­do­xa­lement, à prendre des positions anti-faustiennes et à vouloir substituer à la culture faustienne, qu'il quali­fie d'aveugle et d'insatiable, une “culture du Graal”, dont Parsifal, héros wagnérien et pur idéaliste (rei­ner Tor), est le symbole. Cette culture du Graal cor­respond évidemment aux derniers idéaux de Wag­ner: mélange de schopenhauerisme, de mystique néo-chrétienne et de compassion bouddhiste.

 

(A SUIVRE DANS NOS EDITIONS QUOTIDIENNES ULTERIEURES).

dimanche, 27 mai 2007

The American Enemy

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Roger, Philippe

The American Enemy: The History of French Anti-Americanism.

Translated by Sharon Bowman. 536 p. 6 x 9 2005

Cloth $35.00 ISBN: 978-0-226-72368-6 (ISBN-10: 0-226-72368-2) Spring 2005
Paper $22.50 ISBN: 978-0-226-72369-3 (ISBN-10: 0-226-72369-0) Fall 2006

Georges-Louis Buffon, an eighteenth-century French scientist, was the first to promote the widespread idea that nature in the New World was deficient; in America, which he had never visited, dogs don't bark, birds don't sing, and—by extension—humans are weaker, less intelligent, and less potent. Thomas Jefferson, infuriated by these claims, brought a seven-foot-tall carcass of a moose from America to the entry hall of his Parisian hotel, but the five-foot-tall Buffon remained unimpressed and refused to change his views on America's inferiority.

Buffon, as Philippe Roger demonstrates here, was just one of the first in a long line of Frenchmen who have built a history of anti-Americanism in that country, a progressive history that is alternately ludicrous and trenchant. The American Enemy is Roger's bestselling and widely acclaimed history of French anti-Americanism, presented here in English translation for the first time.

With elegance and good humor, Roger goes back 200 years to unearth the deep roots of this anti-Americanism and trace its changing nature, from the belittling, as Buffon did, of the "savage American" to France's resigned dependency on America for goods and commerce and finally to the fear of America's global domination in light of France's thwarted imperial ambitions. Roger sees French anti-Americanism as barely acquainted with actual fact; rather, anti-Americanism is a cultural pillar for the French, America an idea that the country and its culture have long defined themselves against.

Sharon Bowman's fine translation of this magisterial work brings French anti-Americanism into the broad light of day, offering fascinating reading for Americans who care about our image abroad and how it came about.

“Mr. Roger almost single-handedly creates a new field of study, tracing the nuances and imagery of anti-Americanism in France over 250 years. He shows that far from being a specific reaction to recent American policies, it has been knit into the very substance of French intellectual and cultural life. . . . His book stuns with its accumulated detail and analysis.”—Edward Rothstein, New York Times
                                                                                            
“A brilliant and exhaustive guide to the history of French Ameriphobia.”—Simon Schama,
New Yorker

TABLE OF CONTENTS

Introduction
Prologue
Part I - The Irresistible Rise of the Yankee
1. The Age of Contempt
2. The Divided States of America
3. Lady Liberty and the Iconoclasts
4. From Havana to Manila: An American World?
5. Yankees and Anglo-Saxons
6. Portraits of Races
7. "People of Enemy Blood"
8. The Empire of Trusts: Socialism or Feudalism?
Part II - A Preordained Notion
9. The Other Maginot Line
10. Facing the Decline: Gallic Hideout or European Buffer Zone?
11. From Debt to Dependency: The Perrichon Complex
12. Metropolis, Cosmopolis: In Defense of Frenchness
13. Defense of Man: Anti-Americanism Is a Humanism
14. Insurrection of the Mind, Struggle for Culture, Defense of the Intelligentsia
Conclusion
Notes
Index

samedi, 19 mai 2007

Affrontement sino-nippon

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Chine-Japon: l'affontement

Trouvé sur : http://www.radio86.fr/decouvrir-et-apprendre/chine-hebdo/...

Alors que pourtant l'interdépendance économique s'accroît entre les deux géants asiatiques, leurs relations n'ont cessé de se détériorer depuis 2004. Dans “Chine-Japon, l'affrontement” paru aux éditions Perrin, Valérie Niquet passe au peigne fin les relations entre les deux pays, aborde les sujets de tensions. Des tensions qui ont en réalité très peu avoir avec l'histoire mais tout, au contraire, avec le présent et même l'avenir.

Valérie Niquet est professeur au Collège interarmées de défense (CID- École militaire) où elle assure le cours de géopolitique de la Chine. Elle est japanologue, sinologue et dirige le centre ASie de l’IFRI.

Outre de nombreux articles sur des enjeux d’actualité, elle a traduit deux oeuvres majeures de la stratégie chinoise: “L’Art de la guerre”, de Sun Zi et le “Traité militaire”, de Sun Bin

Chine-Japon: des relations diplomatiques au plus bas
Depuis 2004, de nombreux évènements en Chine ont reflété le sentiment anti-nippon de plus en plus présent dans la société chinoise mais également entretenu par les autorités. Face à cette impopularité croissante, le Japon a brandi l'arme économique et a affirmé vouloir supprimer les programmes de développement accordés à la Chine à l'horizon 2008. Reflet de cette « hystérisation » des relations, aucune rencontre officielle n'a eu lieu depuis la visite de Junichiro Koizumi en 2001.

Le poids du passé
Officiellement, les griefs de Pékin envers Tokyo sont de nature essentiellement historiques. La question de la « révision des manuels » visant à présenter la guerre en Asie comme une guerre de libération contre les anciennes puissances coloniales et dans laquelle le massacre de Nankin est fortement édulcoré à provoqué de vives manifestations en Chine en avril 2005.L'autre sujet de contentieux, le plus connu, est l'affaire du sanctuaire Yasukuni, où reposent 14 criminels de guerre de classe A.
Pékin considère alors que le Japon ne souhaite pas « expier la faute de la seconde guerre mondiale ». Mais pourtant, le gouvernement japonais a déjà présenté des excuses, notamment en 1995, à l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale dans le Pacifique. Pékin utilise notamment l'argument historique pour justifier son opposition à la candidature du Japon qui souhaite devenir membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU.

Les sujets de discorde
Valérie Niquet s'intéresse à un nouveau terrain possible d'affrontement, la question énergétique, qui vient exacerber les tensions entre la Chine et le Japon. Si les besoins et la dépendance énergétiques de la Chine augmentent beaucoup, le Japon demeure tout aussi dépendant de l'extérieur. Tokyo et Pékin se trouvent alors en concurrence sur le marché russe mais aussi en Iran ou en Arabie Saoudite, partenaire traditionnels du Japon, où Pékin ne cesse pourtant d'avancer ses pions. Malgré ses nombreux sujets de discorde, les relations économiques entre les deux pays sont « florissantes » comme en témoigne le montant des échanges qui ont atteint 189 milliards de dollars en 2005, contre seulement 120 milliards en 2003 et… un milliard lors du rétablissement des relations diplomatiques en 1972. La Chine et le Japon sont les premiers clients l'un de l'autre. Mais pourtant le facteur économique n'apaise en rien les relations sino-japonaises.
Derrière cette « guerre froide qui ne dit pas son nom », c'est la question de la concurrence des modèles chinois et japonais en Asie qui est en jeu.

Enfin Valérie Niquet examine les scénarios probables des rapports entre Tokyo et Pékin.
Titre: Chine-Japon, l’affrontement

Auteur: Valérie Niquet

Paru le:24 août 206

Editeur:Librairie Académique Perrin

Prix éditeur:18,50 euros


Auteur: Marion Zipfel

05:10 Publié dans Eurasisme, Géopolitique, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 15 mai 2007

A. Moeller van den Bruck: Dritte Partei

Die dritte Partei für das neue Deutschland
Vor 80 Jahren verfaßte Arthur Moeller van den Bruck sein vielbeachtetes Hauptwerk »Das dritte Reich«

http://www.deutsche-stimme.de/Sites/07-03-Partei.html...

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In der tiefen Orientierungskrise, die das deutsche Volk nach dem Ersten Weltkrieg erfaßt hatte, steckte auch der biedere und sozialreaktionäre Patriotismus wilhelminischer Prägung. Junge Nationalisten begriffen die Niederlage nun als Chance, Nationalismus, Preußentum und Sozialismus zu verschmelzen. Gewaltigen Ausdruck fand dieses Sehnen nach einer echten deutschen Gemeinschaft in der 1923 erschienenen Schrift »Das dritte Reich« von Arthur Moeller van den Bruck. Ein Buch, das fanfarengleich die besten Geister zum Banner der Konservativen Revolution rief.
Am 30. Mai 1925 setzte Arthur Moeller van den Bruck seinem zuletzt von Schwermut gedrückten Leben ein frühes Ende. Damit verlor der mythenumwitterte Juni-Klub seinen spiritus rector und die nationalistische Schriftstellerei einen ihren kraftvollsten Visionäre. Wurde Moeller van den Bruck von der Spannung zwischen seinem angestrebten »dritten Reich« und dem entmutigenden Politikalltag der verhaßten Weimarer Republik innerlich zerrissen? Fand der Rechtsintellektuelle keinen Ausweg mehr aus dem Niemandsland, in das er sich mit seiner vagen Geschichtsprophetie begeben hatte?
Sein schillernder Lebenslauf gleicht dem anderer politischer Romantiker. Im April 1876 wurde Arthur Moeller – später hängte er seinem Geburtsnamen den mütterlichen Namen an – als Sohn eines königlich-preußischen Baurates geboren, zu dessen Vorfahren preußische Offiziere, Gutsbesitzer und Pastoren gehörten. Das Gymnasium vor dem Abitur verlassend, führte er nach seiner frühzeitigen Heirat und einem auskömmlichen Erbe ein ungezwungenes Leben im Künstlermilieu. In schlaflosen Nächten las er sich ein beträchtliches kunst- und geistesgeschichtliches Wissen an. Vor der Hinwendung zum politischen Nationalismus stand Moeller bereits im Banne von Nietzsches Lebensphilosophie, einer elitären Kulturkritik und eines kriegerischen Heroismus. Aus dieser Zeit stammen die Zeilen: »Sie ist prachtvoll, die Schlacht, und menschenwürdiger als Selbstgenuß in dumpfem Behagen. Sie gibt uns, gerade wenn es die Schlacht der Geister und Leidenschaften ist, unsere höchsten Könige und besten Helden. Das andere, der ewige Frieden, wäre nicht zu tragen – eine Langeweile, ein Gähnen, das uns nur den Philister gäbe.«
Aus Gründen, die im Dunkeln liegen, siedelte Moeller 1902 nach Paris über. Während seines vieljährigen Auslandsaufenthalts reifte er vom Europäer zum herkunftsbewußten und stolzen Deutschen heran. Aus diesem Geist heraus erschien zwischen 1904 und 1910 die umfangreiche Essaysammlung »Die Deutschen« mit Biographien über deutsche Staatsmänner, Philosophen und Künstler. Darin erklärte sich der Autor ausdrücklich zum »deutschen Nationalisten«.
Erste unverwehbare Spuren in der deutschen Geistesgeschichte hinterließ Moeller durch eine kulturpolitische Großtat: Zusammen mit einem russischen Dichter gab er zwischen 1905 und 1914 die 22-bändige Gesamtausgabe des russischen Dichters Fjodor Dostojewski heraus. Für die geistig rege deutsche Jugend vor und nach dem Ersten Weltkrieg wurde die Lektüre Dostojewskis zu einem Schlüsselerlebnis. Bei ihm vernahm sie die Stimme der russischen Seele und einer mythischen Lebenswelt, die keinen Zugang zum Liberalismus und Rationalismus des europäischen Westens erlaubte. Von dem Russen übernahm Moeller den raunenden Prophetenton, in dem dieser von »jungen Völkern« und den »Revolutionären aus Konservatismus« gesprochen hatte. Das Vermächtnis Dostojewskis – die Verachtung für den westlichen Materialismus, für Fortschritts- und Vernunftglauben – wurde zu einer geistigen Waffe der jungen Rechtsopposition in Deutschland.
Während eines Italien-Aufenthaltes entwickelte Moeller die Umrisse eines großen Werkes über den Gegensatz von alten Völkern (Franzosen, Engländern und Italienern) und jungen Völkern (Deutschen, Russen und US-Amerikanern), das jedoch Fragment blieb. 1907 nach Deutschland zurückgekehrt, verließ er seit Kriegsausbruch 1914 sein Vaterland nicht mehr. Moeller meldete sich freiwillig zum Waffendienst und kam als Landsturmmann an die Ostfront, wurde wegen eines Nervenleidens aber schon bald in die Presse- und Propagandazentrale der Obersten Heeresleitung versetzt. Im Rahmen dieser Tätigkeit verfaßte er den Aufsatz »Das Recht der jungen Völker«, der sich als Akt geistiger Landesverteidigung verstand. Unter dem Eindruck der Augusttage 1914, als der zivilisatorische Lack der feisten Bürgergesellschaft abplatzte und der erstarrte Wilhelminismus einer schicksalstiefen Volksgemeinschaft wich, leisteten auch Köpfe wie Werner Sombart und Thomas Mann ihre geistigen Kriegsbeiträge.
Während des Krieges veröffentlichte Moeller sein Buch »Der preußische Stil«, seine einzige Arbeit, die nach 1945 neu aufgelegt wurde. Darin wird atmosphärisch dicht, kenntnisreich und in einer feierlichen Tonlage die preußische Kultur und Geisteshaltung unter besonderer Würdigung ihrer Baukunst beschworen. Das Buch ist eine leidenschaftliche Parteinahme für Preußen-Deutschland, das im tobenden Krieg unbedingt zu verteidigen und danach zu erneuern sei. Nicht ohne weiteres in Einklang zu bringen mit der Nüchternheit und Sachlichkeit der preußischen Staatsidee war indes der romantische Mythos, den Moeller van den Bruck nach der Kriegsniederlage predigte: der Mythos vom Reich, eines neuen, dritten Reiches.

Der Berliner Juni-Klub

Als »Das dritte Reich« 1923 erschien, war der Autor schon ein wichtiger Ideengeber der radikalen Rechten und der intellektuelle »Star« des legendären Juni-Klubs. Dieser Verein, der sich nach dem Monat der Unterzeichnung des Versailler Diktats (Juni 1919) benannt hatte, war in der Berliner Motzstraße 22 ansässig. Dort trafen sich regelmäßig Gelehrte und Publizisten der republikfeindlichen Rechten, deren Auffassungen in der Wochenzeitschrift »Das Gewissen« verbreitet wurden. Mitglieder des Juni-Klubs waren neben Moeller u.a. Eduard Stadtler (»Antibolschewistische Liga«), Max Hildebert Boehm (Buch: »Das eigenständige Volk«), Hans Grimm (Buch: »Volk ohne Raum«) und Hans Blüher, Autor wichtiger Bücher über die Wandervogel-Bewegung. Gäste der elitären Runde waren neben anderen Otto Strasser und Adolf Hitler.
Moeller schwankte anfänglich zwischen den Titeln »Die dritte Partei« und »Der dritte Standpunkt« für sein programmatisches Hauptwerk, dem er schließlich den Namen »Das dritte Reich« gab. Im letzten Kapitel erklärte der Autor: »Die dritte Partei will das dritte Reich. Sie ist die Partei der Kontinuität deutscher Geschichte. Sie ist die Partei aller Deutschen, die Deutschland dem deutschen Volke erhalten wollen.«
Dem Hauptwerk Moellers lag eine niederschmetternde Gegenwartsanalyse des Vaterlandes zugrunde. Die wilhelminische Vergangenheit, schon vor Kriegsausbruch vielfach als überlebt wahrgenommen, war unwiederbring- lich dem Urteilsspruch der Geschichte zum Opfer gefallen. In dieser Lage wandelten sich einige Konservative zu Nationalisten, die dem Konservatismus eine revolutionäre Wendung gaben und damit das geschundene Deutschland wieder aufrichten wollten. Durch die revolutionäre Zerstörung des Dekadenten und Würdelosen – konkret des Systems von Weimar – sollte das wieder ans Licht gebracht werden, was im konservativen Sinne der Bewahrung überhaupt erst lohnte. Die Hauptlehre, die konservative Revolutionäre aus Krieg und Niederlage zogen, war die Herstellung einer mythisch aufgeladenen und solidarischen Volksgemeinschaft. Der Nationalist Franz Schauwecker kleidete eine damals weitverbreitete Ahnung in die Worte: »Wir mußten den Krieg verlieren, um die Nation zu gewinnen.«
Die Erneuerung und Stärkung der niedergeworfenen deutschen Nation war für Moeller das heilige Gebot der Stunde: »Aus Trümmern, die mit dem Staate die Nation zu begraben drohen, hebt sich jetzt als eine sich entringende Gegenbewegung die konservativ-revolutionäre des Nationalismus. Sie will das Leben der Nation. Sie will das, was der alte Staat wollte und jeder Staat wollen muß: aber sie will es nicht von Begriffen aus, sondern vom Erlebnis aus: Sie will nachholen, was versäumt wurde: die Teilhaftigkeit der Nation an ihrer Bestimmung.«
Dieser neue Nationalismus nahm geistig-politisch eine Doppelfrontstellung gegen zwei nur vordergründig feindliche Gesinnungsrichtungen ein: den Liberalkapitalismus und den Kommunismus. Beide Ideologien waren vulgäre Kinder des Aufklärungs- und Fortschrittsglaubens, die sich in ihrer materialistischen Weltsicht und ihrer Feindschaft gegen alle organischen Gebundenheiten von Volkstum, Staat und Tradition trafen. Moeller van den Brucks »dritte Position«, die in einem »dritten Reich« ihre dauerhafte staatliche Form finden sollte, war der nationale Weg jenseits der Abirrungen von Liberalkapitalismus und Kommunismus. Gleichzeitig bescheinigte er dem verflossenen Kaiserreich, bei der Integration aller Volksteile versagt zu haben. Das neue Reich sollte endlich die bisherigen Klassen-, Konfessions- und Stammesgegensätze in einem deutschen Sozialismus aufheben.

Gegen deutschenunwürdige Lebensverhältnisse

Moeller stellte klar: »Für die Deutschen der neuen Generation, die nicht das Bewußtsein einer Klasse, sondern dasjenige der Nationalität haben, ist es unvorstellbar und als Vorstellung unerträglich, daß wir jene zwanzig Millionen in sozialen Zuständen unter uns leben lassen, die nicht menschenwürdig sind, und nicht deutschenwürdig. Diese Menschen der neuen Generation, die nicht Proletarier sein wollen, sind Sozialisten aus Kameradschaft.«
Ohne Scheu verwendete der Autor den Sozialismusbegriff. Dies freilich in scharfer Abgrenzung zur Sozialismus-Rhetorik falscher Arbeiterfreunde und ihres verlogenen Alleinvertretungsanspruchs. Internationalismus und Klassenkampfideologie führte Moeller auf Karl Marx und damit das Judentum zurück. »Er (Marx; Anm.) besaß als Jude kein Vaterland. Also versicherte er dem Proletariat, daß es gleichfalls kein Vaterland habe,« so Moeller. Den Gegensatz von schaffendem und raffendendem Kapital thematisierend, heißt es weiter: »Noch immer wird das große Hindernis für eine dauernde Befriedigung der Klassen und Klassenansprüche in dem Gegensatze von Arbeiter und Arbeitgeber gesucht. Noch immer wird das Kapital dort angegriffen, wo es arbeitet, und nicht dort, wo es wieder vertan, verbracht, verschwendet wird. Nicht Klassen, sondern Typen scheiden die Menschen.«
Dem Liberalkapitalismus warf Moeller wütend vor, der Arbeiterschaft den ihr gebührenden Platz innerhalb der deutschen Nation verweigert zu haben. Der Staat habe die private Wirtschaft an die Zügel zu nehmen und dafür Sorge zu tragen, »daß die Menschen leben und wohnen und arbeiten können, daß ihr wirtschaftliches Dasein in den Bedingungen gesichert ist«. Die besondere Anklage galt dem sogenannten Manchesterkapitalismus, der die erbarmungslose Auspressung der Arbeiter zum Leitprinzip des Wirtschaftens erhoben hatte. Mit der deutschen Kriegsniederlage hatte das Entente-Kapital nie zuvor dagewesene Möglichkeiten, das Herzland Europas und seine Menschen auch wirtschaftlich zu unterwerfen. Nur auf dem Wege der innerdeutschen Klassenversöhnung und Arbeiterintegration unter der Standarte eines deutschen Sozialismus schien der Befreiungsschlag gegen das Entente-Kapital denkbar. In seiner Schrift »Sozialismus und Außenpolitik« erklärte Moeller Völker statt Klassen zu den eigentlichen Ausbeutungsobjekten der Versailler Nachkriegsordnung: »Nicht Klassen, sondern Nationen sind heute die Unterdrückten. Kann es eine andere Außenpolitik für unterdrückte Völker geben als die, welche die Unterdrückung endet?«

Der Blick nach Osten

Auf der Suche nach außenpolitischen Bündnisgenossen für das in eine Paria-Rolle gedrängte Deutschland richtete Moeller – ohne eigentlich in die Gruppe der Nationalbolschewisten eingeordnet werden zu können – seinen Blick nach Osten. Als literarischer Kronzeuge für den Kampf gegen den Nihilismus des Westens diente ihm wiederum Fjodor Dostojewski, der für die unverbrauchten Seelenkräfte des russischen Volkes stand. In »Sozialismus und Außenpolitik« versuchte sich der deutsche Nationalist in einer nüchternen Auslotung deutsch-russischer Bündnismöglichkeiten: »Der deutsche Sozialismus kann sich nur dann für Rußland entscheiden, wenn auch der russische Sozialismus erkennt, daß jedes Volk seinen eigenen Sozialismus hat.«
Wie distanziert der politische Schriftsteller aber der Realpolitik und konkreten politischen Schritten gegenüberstand, zeigte sein Gespräch mit dem Kommunisten Karl Radek über ein deutsch-russisches Bündnis gegen den Imperialismus der Entente-Mächte. Radek, Deutschlandspezialist der Kommunistischen Internationale, stellte Moeller im Juni 1923 – kurze Zeit nach der Erschießung Leo Schlageters durch die Franzosen – die Frage: »Gegen wen wollen die Deutschvölkischen kämpfen: gegen das Ententekapital oder gegen das russische Volk? Mit wem wollen sie sich verbinden? Mit den russischen Arbeitern und Bauern zur gemeinsamen Abschüttelung des Joches des Ententekapitals, oder mit dem Ententekapital zur Versklavung des deutschen und russischen Volkes?« Der so Angesprochene wich den konkreten Fragen aus und lenkte die Diskussion auf weltanschauliche Grundsatzfragen, die eine Verständigung nicht zuließen.
Eine ähnliche Scheu vor greifbarer politischer Selbstverantwortung bestimmte neben weltanschaulichen Auffassungsunterschieden – z.B. in der Rassendoktrin – auch sein Verhältnis zu den Nationalsozialisten. Dies läßt sich an einer Begegnung mit Adolf Hitler festmachen: Nach einem Gastvortrag des NSDAP-Führers vor dem Juni-Klub im Jahr 1922 wandte sich dieser an Moeller mit den Worten: »Sie haben alles das, was mir fehlt. Sie erarbeiten das geistige Rüstzeug zu einer Erneuerung Deutschlands. Ich bin nichts als ein Trommler und Sammler. Lassen Sie uns zusammenarbeiten.« Moeller reagierte zurückhaltend. Nachdem Hitler die Motzstraße 22 verlassen hatte, sagte Moeller zu Rudolf Pechel, dem Herausgeber der »Deutschen Rundschau«: »Pechel, der Kerl begreift‘s nie.«

Streiter gegen den Liberalismus

Die Bedeutung Arthur Moeller van den Brucks lag denn auch nicht in dem Einsatz für Parteipolitik und Tagesfragen, sondern als Ankläger des alles zersetzenden Liberalismus: »Liberalismus hat Kulturen untergraben. Er hat Religionen vernichtet. Er hat Vaterländer zerstört. Er war die Selbstauflösung der Menschheit.« Mit Flammenworten warf er dem Liberalismus vor, die Völker zu zerstören und seinen Angriff auf alle traditionellen menschlichen Bindungen mit verlogenen Freiheitsparolen zu tarnen. Die gezielte Transformation einer gewachsenen Gemeinschaft in eine von bindungslosen Sozialatomen bestimmte Gesellschaft wurde klar erkannt: »Der Liberalismus ist Ausdruck einer Gesellschaft, die nicht mehr Gemeinschaft ist. (…) Jeder Mensch, der sich nicht mehr in der Gemeinschaft fühlt, ist irgendwie ein liberaler Mensch.«
Moellers Entwurf eines dritten Reiches, inhaltlich vage gehalten und in einer suggestiven Sprache verfaßt, begeisterte die nationalen Gegner des Weimarer Systems über alle Maßen. Joseph Goebbels zeigte sich 1925 in seinen Tagebüchern tief beeindruckt: »So klar und so ruhig, und dabei doch von inneren Leidenschaften ergriffen, schreibt er all das, was wir Jungen längst mit Gefühl und Instinkt wußten.« Zeugnis für einen regelrechten Moeller-Kult legte ein deutscher Nationalist ab, als er kurz nach 1933 schrieb: »Es kam – nach den geltenden Anschauungen – etwas ganz Unvernünftiges, es kam die Idee des Dritten Reiches. Und dieser Gedanke packte den deutschen Menschen, er packte politisch Heimatlose und politische Abenteurer, er packte Erdverbundene und Entwurzelte, er packte Naturen, mit denen man nicht sprechen, nicht diskutieren konnte.« Arthur Moeller van den Bruck erlebte die Ausbildung und Geschichtsmächtigkeit seines Mythos vom dritten Reich nicht mehr.

Jürgen W. Gansel

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dimanche, 13 mai 2007

M. Onfray : achever mai 1968?

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Michel ONFRAY:

Achevons mai 1968!

http://michelonfray.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/05/0...

On peut trouver certaines poses d'Onfray dans les médias superbement agaçantes. Il n'empêche que cet article mérite méditation. Bonne lecture !

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jeudi, 10 mai 2007

Faye et les Arabes

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Faye et les Arabes

Par Ivane / sur : http://aumilieudesruines.blogspot.com/.

On me fait remarquer que Faye n’est pas très pro-arabe, contrairement à moi. Et que considérant cela, je devrais m’abstenir de faire de la pub pour ce salaud de sioniste… Ben oui mais la vérité est toujours plus compliquée que… Que quoi ? Ces ébauches de caricatures ?

Et d’abord suis-je pro-arabe ? Non. Je suis pour les peuples, pour tous les peuples qui se battent contre le formatage et la mise en fiche par le Nouvel Etatisme mondialiste et bien-pensant. Dictature sans limite qui prétend régenter l’ensemble d’une Humanité qui aurait vocation à s’unifier. Les maniaques de l’Unique sont nos ennemis. Quel que soit le peuple dont ils sortent. Ceux qui s’y opposent sont, au moins objectivement, nos alliés.

Je note, très empiriquement, que les Américains portent ce projet mortifère. Aidés et cornaqués par de petites élites embusquées un peu partout dans le monde. Je constate, alors que les Européens, esclaves volontaires de leurs grands frères américains depuis soixante ans, ont abandonné tout esprit de lutte et d’indépendance, que des peuples attardés dans une fidélité à leurs racines et à des modes de vie traditionnels, se tiennent, malgré un déficit technique et financier gigantesques, debout et fiers. Cela fait-il de moi un pro-arabe ? Je ne l’affirmerais pas. Mais cette étiquette en vaut bien une autre… Alors…

*

Pour ce qui est de Guillaume Faye, dont, très imprudemment, j’ai recommandé la lecture à de jeunes et moins jeunes camarades, il distingue aujourd’hui l’ennemi de l’adversaire, les USA étant tenus pour un adversaire passager, « non point une "nation" ni encore moins un "empire", mais une gigantesque entreprise commerciale et financière - une symbiose étatico-entrepreneuriale - appuyée par le complexe militaro-industriel et fondée sur la nécessité d’un état de guerre permanent. »

L’ennemi c’est, pour Faye, l’Islam à la longue mémoire, avec son réservoir inépuisable de combattants que lui fournit une démographie pléthorique. Il ne croit pas à la pérennité de la puissance américaine. Il écrit : « A terme, l’Amérique perdra. Ses atouts de superpuissance sont déjà minés. Elle ne pourra pas contenir d’ici trente ans, l’énorme masse de la Chine, qui sera la première puissance étatique mondiale. Les Etats-Unis ne feront pas non plus le poids contre la force de l’islam, dont les racines archaïques et fanatiques, sont infiniment plus puissantes que le containment (contention) technologique ou financier américain, ou que son idéal matérialiste habillé de sensiblerie biblique. De plus, démographiquement, les Etats-Unis sont de moins en moins anglo-saxons, et ce fait aura des conséquences fatales sur leur fameux "dynamisme", comme sur la force de leur patriotisme. »

*

Qu’ajouter ? Sinon que j’inverserais quant à moi les propositions. L’ennemi c’est pour moi cette Amérique, cette Europe reniée qui met son idéal dans le cosmopolitisme et sa puissance au service du matérialisme le plus creux. Un ennemi qui l’est d’autant plus qu’on le ne connaît pas pour tel, qu’il s’est insidieusement glissé dans la mémoire collective de nos peuples, parasitée dès l’enfance au moyen des techniques de publicité et décérébrée par le bombardement de l’industrie cinématographique… Un ennemi qui nous a volé notre âme et qui nous a appris à nous haïr… Un ennemi dont la domination a rendu possible l’invasion de cet adversaire millénaire que représente l’Islam, avec ses cavaliers ou ses foules faméliques…

Mais, au-delà de ces priorités dans la désignation du l’ennemi, on ne peut que tomber d’accord quand il écrit : « Et vous remarquerez que, même si ces deux adversaires s’accusent mutuellement d’incarner le Démon, ils n’en sont pas moins tous les deux - comme par hasard - fils de la violence biblique de l’Ancien Testament, dont les puritains américains comme les musulmans sont les fils spirituels. Ce sont des frères ennemis, mais des frères en idéologie. Ils partagent la même vision manichéenne du monde. Ben Laden et Bush sont liés, comme Caïn et Abel, issus du même moule.

Et, nous autres, Européens, "bons Européens", comme disait Nietzsche, ne devons plus entrer dans ce jeu. Nous devons être impitoyables quand il s’agit de protéger notre espace des colonisateurs, mais parfaitement respectueux des autres chez eux et indifférents à leurs mœurs. »

*

Les citations sont extraites de Avant-guerre publié en 2000 aux éditions de l’Aencre.

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mercredi, 09 mai 2007

T. Sunic: le langage politiquement correct

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Le langage « politiquement correct » ou genèse d'un emprisonnement

par Tomislav Sunic
([1]
tomislav.sunic@zg.htnet.hr)

Par «politiquement correct » on entend l’euphémisme actuellement le plus passe-partout derrière lequel se cache la censure et l’autocensure intellectuelle. Si le vocable lui-même n’émerge que dans l’Amérique des années 1980, les racines moralisatrices de ce phénomène à la fois linguistique et politique sont à situer dans la Nouvelle Angleterre puritaine du XVIIe siècle. Cette expression polysémique constitue donc la version moderne du langage puritain, avec son enrobage vétérotestamentaire. Bien qu’elle ne figure pas dans le langage juridique des pays occidentaux, sa portée réelle dans le monde politique et médiatique actuel est considérable. De prime abord, l’étymologie des termes qui la forment ne suggère nullement la menace d’une répression judicaire oud les ennuis académiques. L’expression est plutôt censée porter sur le respect de certains lieux communs postmodernes tels que le multiculturalisme ou une certaine historiographie, considérés comme impératifs dans la communication intellectuelle d’aujourd’hui. En règle générale, et dans la langue française, prononcer l’expression “politiquement correct” déclenche souvent le processus d’association cognitive et fait penser aux expressions tels que “la police de la pensée,” “la langue de bois” et “la pensée unique”. Or si ces dernières notions ont ailleurs qu’en France, en Europe comme en Amérique, des équivalents, ceux- ci n’y possèdent pas sur le plan lexical la même porte émotive. Ainsi par exemple, lorsque les Allemands veulent designer le langage communiste, ils parlent de “Betonsprache” (”langue de béton”), mais la connotation censoriale de la locution française “langue de bois” n’y est pas rendue. Quant à la “pensée unique,” elle reste sans équivalant hors du français, étant intraduisible en anglais ou en allemand ; seule le vocable slave “jednoumlje” - terme en vogue chez les journalistes et écrivains russes, croates ou chèques - possède la même signification(1).

En comparaison de l’Europe, les Etats-Unis, bien qu’étant un pays fort sécularisé, restent néanmoins très marqués par de « grands récits » moralistes issus de la Bible ; aucun autre pays sur terre n’a connu un tel degré d’hypermoralisme parabiblique, dans lequel Arnold Gehlen voit « une nouvelle religion humanitaire »(2). Cependant après la deuxième guerre mondiale, le langage puritain a subi une mutation profonde au contact du langage marxiste en usage en Europe, véhiculé par les intellectuels de l’Ecole de Francfort, ou inspirés par eux, réfugiés aux Etats-Unis et plus tard installés dans les grandes écoles et universités occidentales. Ce sont eux qui après la guerre ont commencé à agir dans les médias et dans l’éducation en Europe, et qui ont joué un rôle décisif dans l’établissement de la pensée unique. C’est donc de la conjonction entre l’hypermoralisme américain et les idées freudo-marxistes issues de ce milieu qu’est né le phénomène actuel du politiquement correct.
On sait que les Etats-Unis n’ont jamais eu comme seule raison la conquête militaire, mais ont cultivé le désir d’apporter aux mal-pensants, qu’ils fussent indiens, nazis, communistes, et aujourd’hui islamistes, l’heureux message du démocratisme à la mode américaine, même avec l’accompagnement du bombardement massif des populations civiles. Cet objectif s’est largement réalisé vers la fin de la deuxième guerre mondiale, quand l’Amérique, comme principale grande puissance, s’installa dans son rôle de rééducatrice de la vieille Europe. Et dans les années ultérieures, le lexique américain, dans sa version soft et libéralo-puritaine, jouera même un rôle beaucoup plus fort par le biais des médias occidentaux que la langue de bois utilisée par les communistes esteuropéens et leurs sympathisants. Au vingtième siècle cependant, l’héritage calviniste a perdu son contenu théologique pour se transformer en un moralisme pur et dur prônant l’évangile libéral des droits de l’homme et le multiculturalisme universel.

Dès la fin des hostilités, un grand nombre d’agents engagés par le gouvernement du président Harry Truman furent donc envoyés en Europe afin de rectifier les esprits, et notamment les tendances autoritaires supposées inhérentes au modèle familial européen. Parmi ces pédagogues figuraient un certain nombre d’intellectuels américains issus de la WASP et imprégnés d’esprit prédicateur, mais aussi des éléments de tendance marxiste dont les activités s’inscrivaient dans le sillage de l’Ecole de Francfort. Pour les uns et les autres, guérir les Allemands, et par extension tous les Européens, de leurs maux totalitaires fut le but principal(3). Tous se croyaient choisis par la providence divine - ou le déterminisme historique marxiste - pour apporter la bonne nouvelle démocratique à une Europe considérée comme une région à demi-sauvage semblable au Wilderness de l’Ouest américain du passé. Le rôle le plus important fut néanmoins joué par l’Ecole de Francfort, dont les deux chefs de file, Theodor Adorno et Max Horkheimer, avaient déjà jeté les bases d’une nouvelle notion de la décence politique. Dans un ouvrage important qu’il dirigea(4), Adorno donnait la typologie des différents caractères autoritaires, et introduisait les nouveaux concepts du langage politique. Il s’attaquait surtout aux faux démocrates et « pseudo conservateurs » et dénonçait leur tendance à cacher leur antisémitisme derrière les paroles démocratiques(5). D’après les rééducateurs américains, « la petite bourgeoisie allemande avait toujours montré son caractère sadomasochiste, marqué par la vénération de l’homme fort, la haine contre le faible, l’étroitesse de coeur, la mesquinerie, une parcimonie frisant l’avarice (dans les sentiments aussi bien que dans les affaires d’argent) »(6).

Dans les décennies qui suivirent, le seul fait d’exprimer un certain scepticisme envers la démocratie parlementaire pourra être assimilé au néonazisme et faire perdre ainsi le droit à la liberté de parole.
Lorsque le gouvernement militaire américain mit en oeuvre la dénazification(7), il employa une méthode policière de ce genre dans le domaine des lettres et de l’éducation allemande. Mais cette démarche de la part de ses nouveaux pédagogues n’a fait que contribuer à la montée rapide de l’hégémonie culturelle de la gauche marxiste en Europe. Des milliers de livres furent écartés des bibliothèques allemandes ; des milliers d’objets d’art jugés dangereux, s’ils n’avaient pas été détruits au préalable au cours des bombardements alliés, furent envoyés aux Etats-Unis et en Union soviétique. Les principes démocratiques de la liberté de parole ne furent guère appliqués aux Allemands puisqu’ils étaient en somme stigmatisés comme ennemis de classe de la démocratie. Particulièrement dur fut le traitement réservé aux professeurs et aux académiciens. Puisque l’Allemagne national-socialiste avait joui du soutien (bien que souvent momentané) de ces derniers, les autorités américaines de rééducation à peine installées se mirent à sonder les auteurs, les enseignants, les journalistes et les cinéastes afin de connaître leurs orientations politiques. Elles étaient persuadées que les universités et autres lieux de hautes études pourraient toujours se transformer en centres de révoltes. Pour elles, la principale tare des universités pendant le IIIe Reich avait été une spécialisation excessive, creusant un gouffre entre les étudiants comme élite, et le reste de la société allemande. L’éducation universitaire aurait donc transmis la compétence technique tout en négligeant la responsabilité sociale de l’élite vis-à-vis de la société(8). Les autorités américaines firent alors remplir aux intellectuels allemands des questionnaires restés fameux, qui consistaient en des feuilles de papiers contenant plus de cent demandes visant tous les aspects de la vie privée et sondant les tendances autoritaires des suspects. Les questions contenaient souvent des erreurs et leur message ultramoraliste était souvent difficile à comprendre pour des Allemands(9). Peu à peu les mots « nazisme » et « fascisme », subissant un glissement sémantique, se sont métamorphosés en simples synonymes du mal et ont été utilisés à tort et à travers. La « reductio ad hitlerum » est alors devenue un paradigme des sciences sociales et de l’éducation des masses. Tout intellectuel osant s’écarter du conformisme en quelque domaine que ce fût risquait de voir ses chances de promotion étouffées.

C’est donc dans ces conditions que les procédures de l’engineering social et l’apprentissage de l’autocensure sont peu à peu devenues la règle générale dans l’intelligentsia européenne. Bien que le fascisme, au début du troisième millénaire, ne représente plus aucune menace pour les démocraties occidentales, tout examen critique, aussi modeste soit-il, de la vulgate égalitaire, du multiculturalisme et de l’historiographie dominante risque d’être pointé comme « fasciste » ou « xénophobe ». Plus que jamais la diabolisation de l’adversaire intellectuel est la pratique courante du monde des lettres et des médias.

L’Allemagne forme certes un cas à part, dans la mesure où sa perception des Etats-Unis dépend toujours de celle que les Allemands sont obligés d’avoir d’eux-mêmes, comme des enfants auto-flagellants toujours à l’écoute de leurs maîtres d’outre-Atlantique. Jour après jour l’Allemagne doit faire la preuve au monde entier qu’elle accomplit sa tâche démocratique mieux que son précepteur américain. Elle est tenue d’être le disciple servile du maître, étant donné que la « transformation de l’esprit allemand (fut) la tâche principale du régime militaire »(10). Voilà pourquoi, si l’on veut étudier la généalogie du politiquement correct tel que nous le connaissons, on ne peut pas éviter d’étudier le cas de l’Allemagne traumatisée. Et cela d’autant plus qu’en raison de son passé qui ne passe pas, l’Allemagne applique rigoureusement ses lois contre les intellectuels mal-pensants. En outre, l’Allemagne exige de ses fonctionnaires, conformément à l’article 33, paragraphe 5 de sa Loi fondamentale, l’obéissance à la constitution, et non leur loyauté envers le peuple dont ils sont issus(11). Quant aux services de défense de la Constitution (Verfassungschutz), dont la tâche est la surveillance du respect de la Loi fondamentale, ils incluent dans leur mission de veiller à la pureté du langage politiquement correct : « Les agences pour la protection de la constitution sont au fond des services secrets internes dont le nombre s’élève à dix-sept (une au niveau de la fédération et seize autres pour chaque Land fédéral constitutif) et qui sont qualifiées pour détecter l’ennemi intérieur de l’Etat »(12).
Puisque toutes les formes d’attachement à la nation sont mal vues en Allemagne en raison de leur caractère jugé potentiellement non-démocratique et néonazi, le seul patriotisme permis aux Allemands est le « patriotisme constitutionnel ».

La nouvelle religion du politiquement correct est peu à peu devenue obligatoire dans toute l’Union européenne, et elle sous-entend la croyance dans l’Etat de droit et dans la « société ouverte ». Sous couvert de tolérance et de respect de la société civile, on pourrait imaginer qu’un jour un individu soit déclaré hérétique du fait, par exemple, d’exprimer des doutes sur la démocratie parlementaire. De plus, en raison de l’afflux des masses d’immigrés noneuropéens, la loi constitutionnelle est également sujette à des changements sémantiques. Le constitutionnalisme allemand est devenu « une religion civile » dans laquelle « le multiculturalisme est en train de remplacer le peuple allemand par le pays imaginaire de la Loi fondamentale »(13). Par le biais de cette nouvelle religion civique l’Allemagne, comme d’autres pays européens, s’est maintenant transformée en une théocratie séculière.

***

Sans cette brève excursion dans le climat du combat intellectuel d’après-guerre il est impossible de comprendre la signification actuelle du politiquement correct. La récente promulgation de la nouvelle législation européenne instituant un « crime de haine » est ainsi appelée à se substituer aux législations nationales pour devenir automatiquement la loi unique de tous les Etats de l’Union européenne. Rétrospectivement, cette loi supranationale pourrait être inspirée du code criminel de la défunte Union soviétique ou de celui l’ex-Yougoslavie communiste. Ainsi, le Code criminel yougoslave de 1974 comportait une disposition, dans son article 133, portant sur « la propagande hostile ». Exprimée en typique langue de bois, une telle abstraction sémantique pouvait s’appliquer à tout dissident - qu’il se soit livré à des actes de violence physique contre l’Etat communiste ou qu’il ait simplement proféré une plaisanterie contre le système.
D’après le même code, un citoyen croate, par exemple, se déclarant tel en public au lieu de se dire yougoslave pouvait se voir inculper d’« incitation à la haine interethnique », ou bien comme « personne tenant des propos oustachis », ce qui était passible de quatre ans de prison(14). Il faudra attendre 1990 pour que cette loi soit abrogée en Croatie.

A l’heure actuelle le Royaume-Uni témoigne du degré le plus élevé de liberté d’expression en Europe, l’Allemagne du plus bas. Le Parlement britannique a rejeté à plusieurs reprises la proposition de loi sur « le crime de haine », suggérée par divers groupes de pression - ce qui n’empêche pas les juges britanniques d’hésiter à prononcer de lourdes peines contre les résidents d’origine non-européenne par crainte d’être accusés eux-mêmes de cultiver un « préjugé racial ». Ainsi, indépendamment de l’absence de censure légale en Grande-Bretagne, un certain degré d’autocensure existe déjà. Depuis 1994, l’Allemagne, le Canada et l’Australie ont renforcé leur législation contre les malpensants.
En Allemagne, un néologisme bizarre (Volkshetze : « incitation aux ressentiments populaires »), relevant de l’article 130 du Code pénal, permet d’incriminer tout intellectuel ou journaliste s’écartant de la vulgate officielle. Vu le caractère général de ces dispositions, il devient facile de mettre n’importe quel journaliste ou écrivain en mauvaise posture, d’autant plus qu’en Allemagne il existe une longue tradition légale tendanciellement liberticide d’après laquelle tout ce qui n’est pas explicitement permis est interdit. Quant à la France, elle comporte un arsenal légal analogue, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi Fabius-Gayssot adoptée le 14 juillet 1990 - sur proposition d’un député communiste, mais renforcée à l’initiative du député de droite Pierre Lellouche en décembre 2002. Cette situation se généralise dans l’Union européenne(15), en comparaison de quoi, paradoxalement, les pays postcommunistes connaissent encore un plus grand degré de liberté d’expression, même si en raison de la pression croissante de Bruxelles et de Washington cela est en train de changer.

En Europe communiste, la censure de la pensée avait un gros avantage. La répression intellectuelle y était tellement vulgaire que sa violente transparence donnait à ses victimes l’aura des martyrs. La fameuse langue de bois utilisée par les communiste débordait d’adjectifs haineux au point que tout citoyen pouvait vite se rendre compte da la nature mensongère du communisme. En outre, comme la Guerre froide, vers la fin des années 1940, avait commencé à envenimer les rapports entre l’Est communiste et l’Ouest capitaliste, les élites occidentales se crurent moralement obligées de venir en aide aux dissidents esteuropéens, et cela moins en raison de leurs vues anticommunistes que pour prouver que le système libéral était plus tolérant que le communisme. Nul n’en sut profiter mieux que les architectes libéraux du langage politiquement correct.
En cachant leurs paroles démagogiques derrière les vocables de « démocratie », « tolérance » et « droits de l’homme » ils ont réussi à neutraliser sans aucune trace de sang tout opposant sérieux. Le langage médiatique a été également sujet à des règles hygiéniques imposées par les nouveaux princes de vertus. L’emploi châtré des structures verbales qui se sont propagés à travers toute l’Europe reflète des avatars puritains sécularisés si typiques autrefois des autorités militaires américaines dans l’Allemagne d’après-guerre. De nouveaux signifiants se font incessamment jour pour permettre à la classe dirigeante, ayant peur pour ses sinécures, de cacher ainsi ses propres signifiés privés. A-t-on jamais tant parlé en Amérique et en Europe de tolérance, a-t-on jamais tant prêché la convivialité raciale et l’égalitarisme de tous bords alors que le système entier déborde de toutes formes de violences souterraines et de haines mutuelles?
L’idéologie antifasciste doit rester un argument de légitimité pour tout l’Occident. Elle présuppose que même s’il n’y a plus aucun danger fasciste, son simulacre doit toujours être maintenu et brandi devant les masses.

Partout en Europe, depuis la fin de la Guerre froide, l’arène sociale doit fonctionner comme un prolongement du marché libre. L’efficacité économique est vue comme critère unique d’interaction sociale. Par conséquent, les individus qui se montrent critiques au sujet des mythes fondateurs du marché libre ou de l’historiographie officielle sont automatiquement perçus comme ennemis du système. Et à l’instar du communisme, la vérité politique en Occident risque d’être davantage établie par le code pénal que par la discussion académique. De plus, aux yeux de nouveaux inquisiteurs, l’hérétique intellectuel doit être surveillé - non seulement sur la base de ce qu’il dit ou écrit, mais sur celle des personnes qu’il rencontre. La « culpabilité par association » entrave gravement toute carrière, et ruine souvent la vie du diplomate ou du politicien. N’importe quelle idée qui vise à examiner d’une manière critique les bases de l’égalitarisme, de la démocratie et du multiculturalisme, devient suspecte. Même les formes les plus douces de conservatisme sont graduellement poussées dans la catégorie « de l’extrémisme de droite ». Et ce qualificatif est assez fort pour fermer la bouche même aux intellectuels qui font partie du système et qui ont eux-mêmes participé dans la passé à la police de la pensée. « Il y a une forme de political correctness typiquement européenne qui consiste à voir des fascistes partout » écrit ainsi Alain Finkielkraut(16). Le spectre d’un scénario catastrophique doit faire taire toutes les voix divergentes. Si le « fascisme » est décrété légalement comme le mal absolu, toutes les aberrations du libéralisme sont automatiquement regardées comme un moindre mal. Le système libéral moderne de provenance américaine est censé fonctionner à perpétuité, comme une perpetuum mobile(17).

L’Occident dans son ensemble, et paradoxalement l’Amérique elle-même, sont devenus des victimes de leur culpabilité collective, qui a comme origine non tant le terrorisme intellectuel que l’autocensure individuelle. Les anciens sympathisants communistes et les intellectuels marxistes continuent à exercer l’hégémonie culturelle dans les réseaux de fabrication de l’opinion publique.
Certes, ils ont abandonné l’essentiel de la scolastique freudo–marxiste, mais le multiculturalisme et le globalisme servent maintenant d’ersatz à leurs idées d’antan. La seule différence avec la veille est que le système libéralo-américain est beaucoup plus opérationnel puisqu’il ne détruit pas le corps, mais capture l’âme et cela d’une façon beaucoup plus efficace que le communisme. Tandis que le citoyen américain ou européen moyen doit supporter quotidiennement un déluge de slogans sur l’antiracisme et le multiculturalisme, qui ont acquis des proportions quasi-religieuses en Europe, les anciens intellectuels de tendance philo-communiste jadis adonnés au maoïsme, trotskisme, titisme, restent toujours bien ancrés dans les médias, l’éducation et la politique. L’Amérique et l’Europe s’y distinguent à peine. Elles fonctionnent d’une manière symbiotique et mimétique, chacune essayant de montrer à l’autre qu’elle n’accuse aucun retard dans la mise en place de la rhétorique et de la praxis politiquement correctes.
Autre ironie de l’histoire : pendant que l’Europe et l’Amérique s’éloignent chronologiquement de l’époque du fascisme et du national-socialisme, leur discours public évolue de plus en plus vers une thématique antifasciste.
Contrairement à la croyance répandue, le politiquement correct, en tant que base idéologique d’une terreur d’Etat, n’est pas seulement une arme aux mains d’une poignée de gangsters, comme nous l’avons vu en ex-Union Soviétique. La peur civile, la paresse intellectuelle créent un climat idéal pour la perte de liberté. Sous l’influence conjuguée du puritanisme américain et du multiculturalisme de tendance postmarxiste européen, le politiquement correct est devenu une croyance universelle. L’apathie sociale croissante et l’autocensure galopante ne nous annoncent pas de nouveaux lendemains qui chantent.

Notes :

1. Force est de constater que les Européens de l’Est semblent avoir fort bien appris à désigner les pièges de l’homo sovieticus. Voir James Gregor, Metascience and Politics: An Inquiry into the Conceptual Language of Political Science (New Brunswick: Transaction Publishers, 2004), pp. 282- 292, où se trouvent décrites les “locutions normatives” du langage protototalitaire.
2. Arnold Gehlen, Moral und Hypermoral (Vittorio Klostermann GmbH, Francfort 2004, p.78).
3. Cf. Paul Gottfried, The Strange Death of Marxism, University of Missouri Press, Columbia-Londres, 2005, p. 108. Voir également Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse? La CIA et la guerre froide culturelle, Denoël 2003.
4. Theodor Adorno (with Else Frenkel-Brunswick, Daniel J. Levinson, R. N. Sanford), The Authoritarian Personality (Harper and Brothers, New York 1950, pp. 780-820).
5. Le langage déconstructiviste promu par l’École de Francfort a récemment été critiqué par Kevin McDonald qui observe dans les analyses d’Adorno une diffamation de la culture européenne, tout « ethnocentrisme européen étant interprété comme un signe de pathologie ». Kevin MacDonald, The Culture of Critique: An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth Century Intellectual and Political Movement (Praeger Publications, Westport CT, 1998, repris par Authorhouse, Bloomington 2002, p. 193).
6. Caspar Schrenck-Notzing, Characterwäsche (Seewald Verlag, Stuttgart 1965, p. 120).
7. La dénazification (Entnazifizierung) avait été expressément décidée lors de la conférence de Yalta (février 1945). Elle fut menée selon un critère de classe en zone soviétique, rapidement confiée aux soins de juges allemands en zones française et britannique, mais directement exercée par des agents américains dans la zone relevant de leur responsabilité, de manière tellement étendue qu’elle finit par s’étouffer elle-même.
8. Manfred Heinemann, Ulrich Schneider, Hochschuloffiziere und Wiederaufbau des Hochschulwesens in Westdeutschland,1945 – 1952 (Bildung und Wissenschaft, Bonn 1990), pp. 2-3 and passim. Voir Die Entnazifizierung in Baden 1945-1949 (W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1991) concernant les épurations des enseignants allemands par les autorités françaises dans la région allemande de Baden. Entre 35 % et 50 % des enseignants dans la partie de l’Allemagne contrôlée par les Américains ont été suspendus d’enseignement. Le pourcentage des enseignants épurés par les autorités françaises s’élevait à 12-15 %. Voir Hermann–Josef Rupieper, Die Wurzeln der westdeutschen Nachkriegesdemokratie (Westdeutscher Verlag, 1992), p. 137.
9. Le romancier et ancien militant national-révolutionnaire Ernst von Salomon décrit cela dans son roman satirique Der Fragebogen, et montre comment les « nouveaux pédagogues » américains arrachaient parfois des confessions à leurs prisonniers avant de les bannir ou même de les expédier à l’échafaud.
10 . Caspar Schrenck-Notzing, op. cit., p 140.
11 . Cf. Josef Schüsslburner, Demokratie-Sonderweg Bundesrepublik, Lindenblatt Media Verlag, Künzell, 2004, p.631.
12 . Ibid., p. 233.
13 . Ibid., p. 591.
14 . Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence, Peter Lang, Francfort, New York, 1995.
15. Ainsi, sur proposition initiale du conseiller spécial du gouvernement britannique Omar Faruk, l’Union européenne s’apprête-t-elle à éditer un lexique politiquement correct destiné aux dirigeants officiels européens impliquant de distinguer soigneusement entre islam et islamisme, et de ne jamais parler, par exemple, de « terrorisme islamique » (source : www.islamonline.net/English/News/2006-04/11/article02.shtml).
16. Alain Finkielkraut, « Résister au discours de la dénonciation » dans Journal du Sida, avril 1995. Voir « What sort of Frenchmen are they? », entrevue avec Alain Finkielkraut in Haaretz, le 18 novembre 2005. A. Finkielkraut fut interpellé suite à cet entretien par le MRAP, le 24 novembre, pour ses propos prétendument anti-arabes. Le 25 dans Le Monde, il présente ses excuses pour les propos en question.
17. Alain de Benoist, Schöne vernetzte Welt, « Die Methoden der Neuen Inquisition » (Hohenrain Verlag, Tübingen 2001, pp. 190-205).