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dimanche, 19 novembre 2023

La bataille du point médian

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La bataille du point médian

par Georges FELTIN-TRACOL

Le 30 octobre dernier, par 221 voix pour et 82 contre, le Sénat adoptait une proposition de loi déposée par Les Républicains hostile à l’écriture inclusive tant dans les textes officiels que dans les documents privés (actes juridiques, contrats de travail, mode d’emploi d’appareils électro-ménagers ou informatiques). La proposition votée attend maintenant son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, inscription qui n’est pas pour l’heure prévue. Il est toutefois cocasse d’apprendre que quelques jours auparavant, le 19 septembre, le groupe RN au Palais-Bourbon présentait sans grand succès une autre proposition de loi contre cette nuisance lexicale, linguistique et grammaticale.

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Ces deux initiatives entendaient d’abord conforter et consolider une circulaire prise en 2017 par Édouard Philippe, alors Premier ministre, contre l’emploi du point médian sans pour autant avoir de valeur contraignante. Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, signait en 2021 un décret opposé à l’écriture inclusive. Ces deux textes de portée administrative n’empêchent pas maintes universités hexagonales de se vautrer au quotidien dans l’écriture inclusive, cet acmée de la dysgraphie.

Au cours des débats au Palais du Luxembourg, la sénatrice LR de l’Aisne, Pascale Gruny, a considéré cette écriture monstrueuse comme « le résultat d’une démarche militante dictée par la doxa du temps présent ». Pour l’excellent sénateur Reconquête ! des Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier, cette fausse écriture « n’est rien d’autre qu’une écriture de l’exclusion, qui met la langue française en péril. Les malvoyants, les dyslexiques et les étudiants étrangers seront les victimes de ce saccage ». Le même jour, en visite à Villers-Cotterêts dans l’Aisne, commune picarde dirigée dès 2014 par le RN Franck Briffaut, militant frontiste exemplaire depuis 1977, Emmanuel Macron déclarait pour l’inauguration de la Cité internationale de la langue française que dans la langue de Molière, de Voltaire et de Charles Péguy, « le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin d’y ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets ou des choses pour la rendre lisible ». Est-il aussi direct à propos des nouvelles horreurs telles « celleux », « iel » ou « toustes » ? Non, puisque le célèbre « en même temps » persiste. Ainsi, en 2021, Élisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, disait-elle – on appréciera la délicatesse de la phrase - « que l’on dise que, potentiellement, on peut dire “ iel “, parce que ça enrichit la langue et c’est un pronom neutre, pourquoi c’est si choquant ? » Il est regrettable d’accepter ces monstruosités sémantiques, ces manifestations flagrantes de barbarisme et de solécisme. Le projet sénatorial du 30 octobre n’est que la neuvième proposition sur ce sujet depuis 2018...

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Toujours en pointe dans la décadence, les élus socialistes s’indignent de ces initiatives législatives de rectification et/ou de correction linguistique de bon aloi qui constitueraient à leurs yeux « une attaque du camp conservateur contre la féminisation des noms, de l’égalité hommes – femmes ». Ancienne élue de l’Oise qui vient d’être hélas réélue sénatrice dans le Val-de-Marne, la socialiste Laurence Rossignol va encore plus loin. Pour elle, « le président de la République dit que le neutre est masculin. C'est vrai, mais le masculin, lui, est loin d'être neutre : il est viril, fondé sur des perceptions de la différence des sexes ». Égalitariste forcenée et négatrice de la différenciation sexuelle, cette impayable sénatrice songe à un monde uniforme, à une termitière, sinon à une fourmilière. On sait par ailleurs que JK Rowling, l’autrice progressiste de Harry Potter, est aujourd’hui menacée par des terroristes du troisième type parce qu’elle a osé affirmer qu’une femme est une personne qui a une anatomie et des organes… féminins. Non ! Pour ses détracteurs hallucinés, une femme est certainement un homme, porteur d’un utérus, ou l’homme est une femme pourvue d’un pénis. Jean Raspail a écrit en 1972 le prophétique Camp des saints. On oublie qu’il publia sept ans plus tard le visionnaire Septentrion, un récit haletant d’un groupe fuyant vers le Nord le raz-de-marée grandissant d’uniformité mortifère incarnée par les Rudeau…

Dans un entretien sur Téléfatras – pardon ! Télérama - mis en ligne le 31 octobre, Michel Launey, linguiste de profession, estime qu’« une partie de la communication écrite n’a pas pour fonction d’être lue à l’oral, donc ce n’est pas choquant tant que c’est compris. L’intérêt de l’écriture inclusive est d’ailleurs relevé par le Haut Conseil à l’égalité : les femmes ont par exemple tendance à moins postuler à une offre d’emploi écrite au masculin, plutôt qu’en écriture inclusive ». Bigre ! Tous craignent une hypothétique milice terminologique réactionnaire alors que, si rien n’est fait, adviendra une police des dictionnaires inclusive et politiquement correcte.

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Il serait donc temps d’arrêter ce festival de sornettes et tordre le cou à la fallacieuse égalité entre l’homme et la femme qui n’existe pas. Entre ces deux sexes psycho-biologiques se noue en revanche une indispensable complémentarité. Cela ne signifie pas qu’à travail égal, une femme soit moins bien rémunérée qu’un homme. Cette triste réalité demeure un tort social inexcusable. Par ailleurs, la féminisation des noms n’est pas un problème insoluble, quitte à leur donner une nouvelle acception (chancelière ou ambassadrice). Par conséquent, puisons dans notre histoire du vocabulaire et restaurons « mairesse », « chevaleresse », « doctoresse », « défenderesse », « chasseresse », voire « écrivaine » ! Mais tolérance zéro pour « j’esmère » au lieu de « j’espère » ou « matrimoine » à la place de « patrimoine ». Et pourquoi pas « j’esparent 1 » et « parent 2 moine » ? La complémentarité accentue les saines différences. Le devoir aux différences tangibles s’impose à nous tous au moment où s’achève enfin l’ère de l’universalisme, y compris national.

Les tenants de l’universalisme sont dorénavant sur la défensive. Les universalistes républicains raisonnent encore avec un paradigme moderne désuet. Nous entrons dans un âge post-moderne tragique ou ultra-moderne cauchemardesque. La vieille boussole moderne n’indique plus le Nord habituel. Une autre doit montrer la nouvelle direction boréale. Face à l’hypertrophie du Moi individualiste surgit une approche qui peut se révéler révolutionnaire. Le sénateur du Rhône Étienne Blanc considère que « l’écriture inclusive trouve ses racines dans une idéologie qui affirme la prééminence des identités ». Certes, il ne précise pas que ces identités ne sont souvent que formelles, accessoires et contractuelles, des identités construites qui s’enflamment sous l’influence pernicieuse du wokisme, cet ethno-différencialisme qui a très mal tourné. La sénatrice Pascale Gruny s’écrie dans l’hémicycle que « c'est le communautarisme qui est dangereux ! ». Mathilde Ollivier, sénatrice Verte représentant les Français établis hors de France et benjamine de la haute-assemblée, lui rétorque que « c'est pour cela que nous défendons le point médian ».

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Le point médian n’est finalement qu’un prétexte éclairant de la guerre de civilisation en cours entre les néo-égalitaristes wokistes, les universalistes républicains mal en point et les différentialistes bien trop minoritaires. L’affrontement se déroule donc pour ces derniers en état d’infériorité numérique et médiatique. Qu’importe puisqu’ils savent déjà que le printemps républicain se termine dans une impasse conceptuelle. Avant de vivre un été des identités enracinées, ils œuvrent à l’impérative émergence du printemps des communautés différenciées. 

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 92, mise en ligne le 14 novembre 2023 sur Radio Méridien Zéro.

18:04 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, écriture inclusive | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 11 juin 2021

La langue de l'Empire

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La langue de l'Empire

Jordi Garriga

Le 7 mai, nous avons lu dans la presse que "la France interdit officiellement le langage inclusif dans les écoles". Le ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, Jean-Michel Blanquer, a fait publier au Journal officiel de l'État une circulaire interdisant ce type de langage dans les écoles, car il "constitue un obstacle à la lecture et à la compréhension de l'écrit".

Peu après, le 26 du même mois, le directeur de la Real Academia Española, Santiago Muñoz Machado, a déclaré, lors de sa participation au Forum de la justice du Barreau de Madrid, que "des termes tels que "otros, otras ou otres" défigurent notre langue de manière insoutenable". Et il a rappelé comment, l'année dernière, il a dû répondre à la vice-présidente espagnole elle-même, Carmen Calvo, qui a demandé à la RAE si la Constitution de 1978 était "sexiste" (sic) en désignant au masculin toutes les fonctions publiques... Eh non, illustre dame, la forme masculine dans la langue espagnole est inclusive en soi.

Depuis de nombreuses années, il y a toute une offensive pour réformer la langue espagnole et en général toutes les langues qui ont un genre: masculin, féminin et/ou neutre. Cela va de l'ancienne façon d'utiliser le @ comme s'il s'agissait d'une lettre "a" et "o" en même temps, à l'utilisation de la lettre "e" au pluriel, l'imprononçable "x" ou en passant directement à l'utilisation du pluriel au féminin, inversant complètement la langue.

Il est clair que les langues ne s'arrêtent jamais, sauf si elles meurent. Ils évoluent au cours de l'histoire en raison de multiples facteurs historiques, culturels, technologiques, sociaux, économiques, etc. L'espagnol que nous parlons aujourd'hui est différent de celui que nous parlions il y a des siècles, et même il n'y a pas tant d'années. La différence géographique a fait que les modalités de l'espagnol d'Amérique se distinguent facilement de celles de la péninsule ibérique.

Ainsi, cette offensive qui appelle à un usage "égalitaire et inclusif" de la langue espagnole, on voit bien qu'elle ne correspond à aucune revendication populaire. Il est plutôt utilisé par les élites culturelles et politiques qui œuvrent en faveur de la mondialisation. Il arrive souvent qu'à travers ce langage totalement artificiel, ils accusent ceux d'entre nous qui ne veulent ou ne doivent pas l'utiliser d'être "sexistes, arriérés" et tous les blablablas habituels. C'est ce qui doit nous mettre en garde et nous inciter à le rejeter avec force.

L'autoproclamé "langage inclusif" relève, il est vrai, d'un mouvement égalitaire, mais avec une égalité basée sur la colonisation culturelle. Elle vise à déformer l'espagnol, et d'autres langues, pour qu'elles finissent par avoir une structure simple, comme l'anglais, une néo-langue facile à apprendre et à utiliser, avec le moins de complications possible pour que personne ne se fatigue à trop réfléchir... Oui, il y a des années, un idiome artificiel, candidat à la langue universelle, était l'espéranto, mais il avait un sérieux problème: aucune puissance mondiale n'était derrière lui et il ne favorisait aucune stratégie impériale de domination.

L'objectif est d'accélérer la mondialisation, et pour cela la destruction des langues est fondamentale. Chaque langue n'est pas seulement une façon de parler, c'est une façon de penser, d'être au monde: derrière elle, il y a toute une histoire nationale, civilisatrice, enracinée, identitaire. Bref, un obstacle pour le "monde unique" de demain. Si l'espagnol et le français sont déformés, c'est pratiquement la même chose que s'ils avaient été détruits. Si leur grammaire et leur orthographe sont modifiées de manière aussi atroce, ils seront colonisés.

On pourrait objecter que l'anglais suffirait, mais la progression démographique et sociale de l'espagnol au cœur de l'Empire, soit les États-Unis d'Amérique, est imparable, étant déjà la deuxième langue la plus parlée dans pratiquement ses 50 États fédérés. Et que se passe-t-il avec cela ? Eh bien, il faut arracher l'âme de cette langue et la soumettre, c'est-à-dire l'anglo-saxoniser, si vous me permettez ce nouveau verbe. L'espagnol ne sera plus l'espagnol, mais un pseudo-anglais déformé de façon commode.

Utiliser un "langage inclusif", c'est utiliser le "langage de l'empire". Il est toujours bon de savoir comment les idéaux sont instrumentalisés pour des questions plus matérielles, comme la domination globale et mentale.

jeudi, 24 septembre 2020

Trente-deux linguistes énumèrent les défauts de l’écriture inclusive

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Trente-deux linguistes énumèrent les défauts de l’écriture inclusive

Ex: https://www.lesobservateurs.ch

« Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. » Bien que favorables à la féminisation de la langue, plusieurs linguistes estiment l’écriture inclusive profondément problématique.

Présentée par ses promoteurs comme un progrès social, l’écriture inclusive n’a paradoxalement guère été abordée sur le plan scientifique, la linguistique se tenant en retrait des débats médiatiques. Derrière le souci d’une représentation équitable des femmes et des hommes dans le discours, l’inclusivisme désire cependant imposer des pratiques relevant d’un militantisme ostentatoire sans autre effet social que de produire des clivages inédits. Rappelons une évidence : la langue est à tout le monde.

LES DÉFAUTS DE L’ÉCRITURE INCLUSIVE

Les inclusivistes partent du postulat suivant : la langue aurait été « masculinisée » par des grammairiens durant des siècles et il faudrait donc remédier à l’« invisibilisation » de la femme dans la langue. C’est une conception inédite de l’histoire des langues supposant une langue originelle « pure » que la gent masculine aurait pervertie, comme si les langues étaient sciemment élaborées par les locuteurs. Quant à l" invisibilisation », c’est au mieux une métaphore, mais certainement pas un fait objectif ni un concept scientifique.

La langue n’a pu être ni masculinisée, ni féminisée sur décision d’un groupe de grammairiens, car la langue n’est pas une création de grammairiens — ni de grammairiennes. Ce ne sont pas les recommandations institutionnelles qui créent la langue, mais l’usage des locuteurs. L’exemple, unique et tant cité, de la règle d’accord « le masculin l’emporte sur le féminin » ne prétend posséder aucune pertinence sociale. C’est du reste une formulation fort rare, si ce n’est mythique, puisqu’on ne la trouve dans aucun manuel contemporain, ni même chez Bescherelle en 1835. Les mots féminin et masculin n’ont évidemment pas le même sens appliqués au sexe ou à la grammaire : trouver un quelconque privilège social dans l’accord des adjectifs est une simple vue de l’esprit. Si la féminisation est bien une évolution légitime et naturelle de la langue, elle n’est pas un principe directeur des langues. En effet, la langue française permet toujours de désigner le sexe des personnes et ce n’est pas uniquement une affaire de lexique, mais aussi de déterminants et de pronoms (« Elle est médecin »). Par ailleurs, un nom de genre grammatical masculin peut désigner un être de sexe biologique féminin (« Ma fille est un vrai génie des maths ») et inversement (« C’est Jules, la vraie victime de l’accident »). On peut même dire « un aigle femelle » ou « une grenouille mâle »…

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UNE ÉCRITURE EXCLUANTE

La langue n’est pas une liste de mots dénués de contexte et d’intentions, renvoyant à des essences. Il n’y a aucune langue qui soit fondée sur une correspondance sexuelle stricte. Autrement, le sens des mots serait déterminé par la nature de ce qu’ils désignent, ce qui est faux. Si c’était le cas, toutes les langues du monde auraient le même système lexical pour désigner les humains. Or, la langue n’a pas pour principe de fonctionnement de désigner le sexe des êtres : dire à une enfant « Tu es un vrai tyran » ne réfère pas à son sexe, mais à son comportement, indépendant du genre du mot.

Les formes masculines du français prolongent à la fois le masculin (librum) et le neutre (templum) du latin et font donc fonction de genre « neutre », c’est-à-dire par défaut, ce qui explique qu’il intervienne dans l’accord par résolution (la fille et le garçon sont partis), comme indéfini (ils ont encore augmenté les impôts), impersonnel (il pleut), ou neutre (c’est beau). Il n’y a là aucune domination symbolique ou socialement interprétable. Quand on commande un lapin aux pruneaux, on ne dit pas un·e lapin·e aux pruneaux…

La langue a ses fonctionnements propres qui ne dépendent pas de revendications identitaires individuelles. La langue ne détermine pas la pensée — sinon tous les francophones auraient les mêmes pensées, croyances et représentations. Si la langue exerçait un pouvoir « sexiste », on se demande comment Simone de Beauvoir a pu être féministe en écrivant en français « patriarcal ». L’évidence montre que l’on peut exprimer toutes les pensées et les idéologies les plus antithétiques dans la même langue.

Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords

En français, l’orthographe est d’une grande complexité, avec ses digraphes (eu, ain, an), ses homophones (eau, au, o), ses lettres muettes, etc. Mais des normes permettent l’apprentissage en combinant phonétique et morphologie. Or, les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots : tou·t·e·s travailleu·r·se·s créent des racines qui n’existent pas (tou-, travailleu-). Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords.

En effet, les réformes orthographiques ont normalement des objectifs d’harmonisation et de simplification. L’écriture inclusive va à l’encontre de cette logique pratique et communicationnelle en opacifiant l’écriture. En réservant la maîtrise de cette écriture à une caste de spécialistes, la complexification de l’orthographe a des effets d’exclusion sociale. Tous ceux qui apprennent différemment, l’écriture inclusive les exclut : qu’ils souffrent de cécité, dysphasie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie, ou d’autres troubles, ils seront d’autant plus fragilisés par une graphie aux normes aléatoires.

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Tous les systèmes d’écriture connus ont pour vocation d’être oralisés. Or, il est impossible de lire l’écriture inclusive : cher·e·s ne se prononce pas. Le décalage graphie/phonie ne repose plus sur des conventions d’écriture, mais sur des règles morales que les programmes de synthèse vocale ne peuvent traiter et qui rendent les textes inaccessibles aux malvoyants.

L’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage

On constate chez ceux qui la pratiquent des emplois chaotiques qui ne permettent pas de produire une norme cohérente. Outre la prolifération de formes anarchiques (« Chere· s collègu· e· s », « Cher·e·s collègue·s », etc.), l’écriture inclusive est rarement systématique : après de premières lignes « inclusives », la suite est souvent en français commun… Si des universitaires militants ne sont pas capables d’appliquer leurs propres préceptes, qui peut le faire ? L’écriture inclusive, à rebours de la logique grammaticale, remet aussi radicalement en question l’usage du pluriel, qui est véritablement inclusif puisqu’il regroupe. Si au lieu de « Les candidats sont convoqués à 9 h » on écrit « Les candidats et les candidates sont convoqué·e·s à 9 h », cela signifie qu’il existe potentiellement une différence de traitement selon le sexe. En introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la systématiser : l’écriture nouvelle aurait nécessairement un effet renforcé d’opposition des filles et des garçons, créant une exclusion réciproque et aggravant les difficultés d’apprentissage dans les petites classes.

Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. La circulaire ministérielle de novembre 2017 était pourtant claire et, tout en valorisant fort justement la féminisation quand elle était justifiée, demandait « ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive » : des administrations universitaires et municipales la bafouent dans un coup de force administratif permanent. L’usage est certes roi, mais que signifie un usage militant qui déconstruit les savoirs, complexifie les pratiques, s’affranchit des faits scientifiques, s’impose par la propagande et exclut les locuteurs en difficulté au nom de l’idéologie ?

Tribune rédigée par les linguistes Yana Grinshpun (Sorbonne Nouvelle), Franck Neveu (Sorbonne Université), François Rastier (CNRS), Jean Szlamowicz (Université de Bourgogne).

Signée par les linguistes :

Jacqueline Authier-Revuz (Sorbonne nouvelle)
Mathieu Avanzi (Sorbonne Université)
Samir Bajric (Université de Bourgogne)
Elisabeth Bautier (Paris 8 — Saint-Denis)
Sonia Branca-Rosoff (Sorbonne Nouvelle)
Louis-Jean Calvet (Université d’Aix-Marseille)
André Chervel (INRP/Institut Français de l’Éducation)
Christophe Cusimano (Université de Brno)
Henri-José Deulofeu (Université d’Aix-Marseille)
Anne Dister (Université Saint-Louis, Bruxelles)
Pierre Frath (Université de Reims)
Jean-Pierre Gabilan (Université de Savoie)
Jean-Michel Géa (Université de Corte Pascal Paoli)
Jean Giot (Université de Namur)
Astrid Guillaume (Sorbonne Université)
Pierre Le Goffic (Sorbonne Nouvelle)
Georges Kleiber (Université de Strasbourg)
Mustapha Krazem (Université de Lorraine)
Danielle Manesse (Sorbonne Nouvelle)
Luisa Mora Millan (Université de Cadix)
Michèle Noailly (Université de Brest)
Thierry Pagnier (Paris 8 — Saint-Denis)
Xavier-Laurent Salvador (Paris 13 — Villetaneuse)
Georges-Elia Sarfati (Université d’Auvergne)
Agnès Steuckardt (Université Paul Valéry, Montpellier)
Georges-Daniel Véronique (Université d’Aix-Marseille)
Chantal Wionet (Université d’Avignon)
Anne Zribi-Hertz (Paris 8 — Saint-Denis)

 

Source

vendredi, 20 décembre 2019

L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?

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L’écriture inclusive exclut-elle quelque chose ?


Image: © Pierre Ballouhey

Sauf à revenir d’une mission de longue durée sur Mars, vous ne pouvez pas ignorer que la langue française a développé ces dernières années une série de symptômes inquiétants, sous forme de boutons se multipliant rapidement, associés à une prolifération inhabituelle de la lettre e, voire de groupes de lettres apparemment anarchiques.

La maladie touche principalement la communication institutionnelle, surtout celle se prétendant “de gauche”, “progressiste” ou “syndicale”, mais n’épargne pas pour autant les milieux cultivés, puisqu’elle se répand même dans les départements de lettres des universités. En voici quelques échantillons in vivo :

Cher·e·s collègues,
Nous vous proposons l’actualité syndicale récente, …

Cher·e·s collègues,
Le site du Forum 2020 est désormais ouvert pour la soumission des résumés…

Jusqu’à présent le modèle officiel de l’inspection individuel [sic] rabat l’évaluation des pratiques professionnelles des enseignant·e·s sur l’observation d’une heure de cours, la consultation des documents et affichages pédagogiques des professeur·e·s, de copies corrigées et des supports des élèves. Un entretien porte ensuite le plus souvent sur ces seuls éléments même si de nombreux·ses inspecteur·trice·s en élargissent le spectre.

Les gardiens de la langue – qui peuvent être des femmes – ont eu beau alerter sur la dangerosité de l’épidémie, il semble que la maladie n’ait pas encore pu être enrayée. Peut-être parce que le diagnostic n’est pas le bon ? Se pourrait-il que cette écriture se voulant inclusive – par opposition à l’écriture habituelle qui, elle, pratiquerait l’exclusion de certaines catégories de personnes, et notamment des femmes – soit en réalité terriblement exclusive de quelque chose ?

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La première chose qui vient à l’esprit, c’est le caractère imprononçable du texte ainsi “inclusifié”. Pour une langue vivante, c’est gênant. Pour des enfants apprenant à écrire, c’est dramatique. Pour ceux d’entre eux qui souffrent le plus – en temps normal – de cet apprentissage, c’est cruel, et n’arrangera certainement pas leur progression. L’écriture inclusive est donc déjà, de fait, terriblement exclusive envers les moins performants dans l’acquisition du langage, comme elle est exclusive de l’harmonie et de la cohérence de la langue, qui se voit scindée en deux langues différentes, une que l’on peut écrire mais pas prononcer, et l’autre prononcer mais pas écrire.

Mais il y a peut-être pire. La maladie se propage en se prétendant guérisseuse : elle voudrait éradiquer de la langue le fléau de l’oppression patriarcale millénaire, celle qui maintient les femmes en esclavage depuis des siècles et des siècles (amen). C’est en tout cas la justification qui est donnée au charcutage de la vieille langue, apprise de la même façon depuis des générations à quelques variations près, mais qui serait porteuse d’une insupportable violence envers le sexe féminin, impitoyablement écrasé par la règle du “c’est le masculin qui l’emporte”, et qu’il serait donc urgent de remplacer par une langue neuve et inclusive. Exemple d’injustice : “999 femmes et 1 homme se sont précipités au centre commercial pour l’ouverture des soldes”.

Mais est-on bien sûr que cette règle grammaticale relève de la domination patriarcale délibérée ? Quand on hésite sur la validité ou l’étendue du domaine d’application d’une loi, en sciences, il peut être utile de transposer cette loi à un domaine légèrement différent de celui où on la teste. Par exemple, pour savoir si la verticale est une seule et même direction, dotée d’un sens qui indique vers où tombent les objets, si l’on sait que la Terre est (à peu près) ronde, on peut se demander si les Néo-Zélandais vivent la tête en bas en marchant sur les pieds ou la tête en haut en marchant sur les mains1.

Dans le cas de l’écriture inclusive, il peut être tentant d’examiner les règles d’accord de genre dans les versions traditionnelles d’autres langues de pays à la culture proche, par exemple l’allemand. Cette langue a de plus l’avantage, par rapport au français, de disposer de trois genres : le féminin, le masculin et le neutre. Certains puristes rétorqueront que le français dispose en réalité d’un genre neutre (alors que certaines veulent en créer un de toutes pièces…), mais comme il s’écrit en pratique de façon identique au masculin, l’allemand permet de clarifier les raisonnements.

Prenons donc quelques exemples : l’automobile (féminin en français) se dit das Auto (neutre) en allemand. Ou encore der Wagen (masculin) d’où nous vient la marque Volkswagen, “voiture du peuple”, un projet industriel d’envergure qui a contribué à la popularité d’un petit brun à moustache ridicule dans les années 30 du siècle dernier. La femme se dit die Frau (féminin, on s’en doute) ; il y a donc trois articles définis au singulier en allemand : das (neutre), der (masculin) et die (féminin). En français nous n’avons que le et la, respectivement pour le masculin et le féminin.

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Et comment se dit “les”, l’article défini pluriel, en allemand ? Die, soit exactement la même forme que l’article défini féminin singulier. Les automobiles : die Autos. Les voitures : die Wagen2. Il semble donc que la règle (mnémotechnique) soit plutôt ici “c’est le féminin qui l’emporte”…

Qu’en est-il maintenant de l’accord de l’adjectif, ou du participe passé, suivant le genre en allemand ? Le pluriel est-il “dominé” par le féminin ou le masculin ?

La déclinaison de l’adjectif se subdivise en trois cas : déclinaison faible avec article défini, déclinaison mixte avec article indéfini, ou déclinaison forte en l’absence d’article. Seuls les premier et dernier ont une forme plurielle permettant de savoir si c’est “le masculin qui l’emporte” ou “le féminin qui l’emporte”, puisque l’article indéfini pluriel (“des” en français) n’existe pas en allemand. Or, aucune règle de “domination masculine” ne peut être tirée des déclinaisons faibles ou fortes, comme on pourra le constater à la lecture des tableaux : en déclinaison faible, la forme plurielle est certes similaire au masculin singulier pour l’accusatif, mais ce n’est pas vrai pour les trois autres cas, où le pluriel a soit sa propre terminaison, soit une terminaison commune avec les trois genres singuliers. Et en déclinaison forte, à l’exception du datif, ce serait plutôt encore “le féminin qui l’emporte” – simple observation à but mnémotechnique, sans considération sur les causes profondes – puisque la terminaison -e ou -er se retrouve à la fois au féminin singulier et au pluriel.

Quant au participe passé, c’est bien simple : il ne s’accorde pas, sauf à être traité comme un adjectif (die geliebte Mutter : la mère bien-aimée… comme der geliebte Vater pour le père bien-aimé !).

Peut-on déduire de ces constatations linguistiques que la société allemande est plutôt sous domination matriarcale, et qu’il serait donc urgent d’inclusifier la langue3 en y rajoutant du masculin4 afin que les hommes se sentent moins outrageusement rabaissés à leur condition de sous-femmes qu’ils ne le sont actuellement par la faute des règles de grammaire allemandes ? Pas vraiment, et ce pour au moins deux raisons : d’une part, il existe bien des cas où “le masculin l’emporte” au pluriel des noms, comme “l’étudiant / l’étudiante / les étudiants” qui se traduit par “der Student / die Studentin / die Studenten” (“les étudiants” se disant  “die Studenten” que l’assemblée soit mâle ou mixte, comme en français), mais aussi parce que la société allemande n’accorde pas une place particulièrement “plus égale” aux femmes que la société française, ce serait même plutôt l’inverse. Bien sûr, on y trouve aujourd’hui comme ailleurs des féministes à divers degrés, mais une “bonne Allemande” reste encore, majoritairement, une femme qui prend soin de son foyer et de l’éducation de ses enfants, plutôt qu’une femme “qui réussit” en faisant “une carrière prestigieuse”. Le modèle scolaire allemand, souvent cité en exemple – avec raison – parce qu’il sait ne pas trop mettre sous pression les enfants tout en leur donnant une bonne éducation et la possibilité de s’épanouir dans des activités annexes (musique, sport…), doit aussi son succès à la disponibilité des parents, qui sont souvent des mères, pour être à la disposition de leur progéniture quand l’école termine entre 12h et 15h… difficile à faire quand les deux membres du couple travaillent.

Bref, comme tant de revendications prétendument progressistes, celle de l’écriture inclusive commence par exclure… une connaissance minimale de la langue et de ses subtilités, ou par sanctuariser l’ignorance, comme on voudra. D’autres exemples de “rectifications” de pratiques “réactionnaires” ont par le passé laissé des arrière-goûts amers comme, par exemple, le fait de décréter égaux les douze degrés de la gamme chromatique, alors que la musique “réactionnaire” tonale s’y refusait… et qu’une étude minimale des bases physiques de la musique – voire une simple écoute donnant la priorité aux sens plutôt qu’à une prétention intellectuelle – permet d’en saisir le bien-fondé.

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Contrôler les masses en s’appuyant sur leur ignorance est évidemment plus facile que les élever dans la connaissance, c’est pourquoi de tous temps des volontés politiques hégémoniques ont tenté de détruire préalablement le substrat commun des peuples, “ce qui reste quand on a tout oublié”, afin de pouvoir construire un “homme nouveau” et malléable sur une base vierge. Le langage, dont l’évolution progressive au cours des siècles obéit à des règles extrêmement subtiles et non aux schémas paranoïaques – oserons-nous dire complotistes ? – de domination patriarcale évoqués par certain(e)s, fait évidemment partie de ce socle commun, au niveau le plus profond puisqu’il conditionne la communication entre les êtres. Mais l’écriture “inclusive” a toutefois un avantage : permettre d’éliminer rapidement les discours sans intérêt. Lorsqu’un texte commence de la sorte, on sait qu’il est inutile de lire la suite.

Bonus :

Je laisse mes lecteurs méditer sur ces autres trouvailles récentes de la langue française :

  • Hauts-de-France, nom de la région “nouvelle” qui est venue englober le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie : sachant que son altitude moyenne est de 98 mètres, et que tout élève de primaire se faisait traiter de cancre lorsqu’il disait que Lille était “en haut” de la France ou Perpignan “en bas” à l’époque où j’y étais, que peut-on en déduire du niveau intellectuel des “décideurs” politiques ?
  • féminicide, venu “enrichir” le vocabulaire afin de “rééquilibrer” l’usage d’homicide : sachant que le nom homme prend deux m, et que homosexuel(le) se décline aussi bien au masculin qu’au féminin, que peut-on en déduire de la connaissance de l’étymologie par certain(e)s “féministes” ?
 
  1. 1) Certains résolvent le problème en disant que la Terre est plate, mais c’est une réponse qui soulève bien d’autres questions.
  2. 2) L’allemand étant une langue à déclinaisons, je simplifie ici en donnant seulement le nominatif. Toutefois, pour l’article défini, la règle de l’identité entre le féminin singulier et le pluriel reste valable aussi pour l’accusatif et le génitif, seul le datif ayant une forme propre au pluriel. Voir ici le détail.
  3. 3) Langage inclusif (ou épicène) se dit geschlechtergerechte Sprache en allemand. À vos souhaits.
  4. 4) Certaines universités allemandes ont commencé à le faire… en rajoutant du féminin.