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mercredi, 26 janvier 2011

Le libre-échange agricole cause davantage de famine et d'exploitation dans le monde

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Le libre-échange agricole cause davantage de famine et d’exploitation dans le monde

Ex: http://www.horizons-et-debats.ch/

Depuis le déclenchement de la crise financière avec ses effets désastreux sur l’économie mondiale et sur les êtres humains, la spéculation avec des denrées alimentaires et matières premières agricoles revient de façon répétée au centre d’intérêt du moloch financier au réseau mondial. Comme sur les marchés financiers les affaires en droits dérivés sont des affaires à haut risque, ces dernières années les managers des fonds et les spéculateurs professionnels se sont rués de plus en plus sur le domaine des denrées alimentaires pour investir leurs bénéfices douteux dans un nouveau secteur, pour former une nouvelle bulle, afin d’encaisser de nouveaux bénéfices de plusieurs milliards. Cela a conduit à une hausse des prix des céréales et d’autres produits agricoles, et causé des crises graves, surtout dans les pays pauvres. En raison de ce développement, en 2008 déjà et encore avant l’effondrement de Lehman Brothers, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a convoqué une réunion extraordinaire pour rendre attentif à ces développements erronés et pour décider une résolution qui renforce le respect du droit humain à l’alimentation et qui contraint la communauté des Etats à mettre tout en œuvre pour que les plus pauvres ne souffrent pas de la rapacité et de la fureur spéculative des «rassasiés».

thk. A part la spéculation indicible avec des produits agricoles, le libre-échange à la manière de l’OMC s’est avéré spécialement perfide pour les petits pays et les pays en voie de développement, car ce sont exclusivement les nations industrialisées aux terres agricoles de grande surface qui bénéficient d’un avantage et peuvent ainsi produire à des prix qui détruisent avant tout les marchés encore faibles des pays en voie de développement ainsi que leur agriculture indigène. De cette manière, les pays en voie de développement restent dépendants des nations riches. Mathias Binswanger, professeur d’économie nationale, démontre dans sa conférence publiée sous le titre «Mondialisation et agriculture – plus de bien-être par moins de libre-échange» [Gobalisierung und Landwirtschaft – Mehr Wohlstand durch weniger Freihandel], de façon scientifiquement claire et compréhensible que le libre-échange dans l’agriculture conduit inévitablement à la pauvreté, surtout pour la population rurale, ainsi qu’à la disparition d’exploitations agricoles. La thèse, défendue pendant longtemps par les mondialistes, «Bien-être pour tous avec les marchés libres» est démontrée comme une absurdité une fois pour toutes. (cf. encadré)

Le vol de terres encourage la spéculation

Une nouvelle menace pour la sécurité alimentaire d’Etats entiers provient ces dernières années de l’achat très répandu des terres agricoles les plus fertiles en Afrique, en Asie et en Europe (cf. article «Les agriculteurs africains sont perdants …», p. 1), entre autre aussi par des pays exportant ou produisant du pétrole qui, en même temps, cultivent des matières premières agricoles pour le carburant bio afin de s’assurer ce marché, aux dépens de la population mal nourrie ou affamée de ces pays. Tandis que le Rapport sur l’agriculture mondiale (IAASTD), commandé par l’ONU (FAO) il y a deux ans déjà, est arrivé, sur la base d’études scientifiques sérieuses, à la conclusion que c’est l’agriculture des petits espaces, ancrée localement ou régionalement qui se prête le mieux à l’approvisionnement en denrées alimentaires de ces pays, il se trouve encore de nouveaux apôtres du libre-échange qui parlent toujours des «forces bienfaisantes du libre-échange». Ce faisant ils ignorent sciemment que c’est au contraire la forme d’organisation de l’entreprise familiale ou d’une coopérative, comme c’est traditionnellement le cas en Suisse, qui s’y prête le mieux.

L’agriculture des petits espaces ancrée localement est la solution pour les crises de famine

«Le concept de produire en monocultures pleinement rationalisées de grandes quantités de produits agricoles de base à partir de quelques plantes standardisées à haut rendement, pour en élaborer par des processus industriels de plus en plus laborieux et complexes des produits de même diversité que ceux que nous connaissons dans nos supermarchés, a contribué essentiellement aux formes mo­dernes de la suralimentation et de la malnutrition. Il faut à ces monocultures des quantités immenses de pesticides et d’engrais chimique et cela représente actuellement 70% de notre consommation en eau douce. Des sols lessivés, salés, le déboisement, l’empoisonnement de cours d’eau entiers et de chaînes alimentaires naturelles et la disparition des espèces d’une étendue inconnue sont le prix écologique de ce progrès. Malgré la surproduction, le modèle industrialisé de l’agriculture mondialisée est incapable de satisfaire les besoins de base de milliards d’hommes avec une nourriture suffisante et équilibrée. A la place il permet, surtout en Amérique latine et dans des parties de l’Asie et de l’Afrique, une production industrielle florissante de «cash-crops», vendus sur le marché mondial par-dessus la tête de la population non ravitaillée.» C’est le commentaire de la brochure (parue en allemand) au sujet du Rapport sur agriculture mondiale «Wege aus der Hungerkrise – Die Erkenntnisse des Weltagrarberichts und seine Vor­schläge für eine Landwirtschaft von morgen». Ce rapport, élaboré par plus de 400 scienti­fiques, tire la conclusion suivante pour une issue à cette crise: «De petites exploitations diversifiées composent la plus grande partie de l’agriculture mondiale. Même si des augmentations de productivité peuvent être atteintes plus vite par de grandes entreprises spécialisées, la plus grande marge de manœuvre dans l’amélioration des bases d’existence et de justice dans le système de production multiple se situe dans les petites entités diversifiées des pays en voie de développement. Ce secteur des petites exploitations est dynamique et réagit vite à des changements de conditions-cadre socio-économiques auxquelles il adapte son offre de produits, surtout l’augmentation de la production lors d’une demande augmentée.1

La gauche mise-t-elle toujours sur le grand capitalisme?

Malgré ces faits et les développements dévastateurs sur les marchés agricoles, parallèlement à la crise financière, dont l’étendue ne peut pas encore être mesurée, surtout parce que des milliards nouvellement créés sont en circulation, une majorité de la gauche semble toujours vouloir maintenir le projet néolibéral du libre-échange agricole. L’argumentation insensée que le libre-échange dans l’agriculture serait profitable aux plus démunis rencontre depuis longtemps de la résistance dans les populations concernées. Ces derniers temps, même les représentants politiques sont de plus en plus sceptiques et dans la discussion scientifique sérieuse, cette argumentation est de plus en plus souvent mise en question.
Lorsque le Conseil national, dans sa session d’hiver, a dû voter l’initiative parlementaire Joder, il n’y a eu que deux conseillers nationaux du PS qui ont voté pour l’initiative pour en finir avec l’accord sur le libre-échange avec l’UE – le but déclaré de cette initiative. Que le Conseil national l’ait finalement acceptée est dû à la clairvoyance de beaucoup de parlementaires et, d’une façon significative, aussi aux efforts des associations paysannes.

Mais où sont les syndicats?

Que les syndicats aient pris la parole la semaine dernière pour dénoncer que les salariés suisses auraient eu dans les années 2000 à 2008 une perte de revenus de 1400 francs à cause de l’augmentation du coût de la vie, ceci avant tout dans le domaine de l’énergie et de la santé, fait partie de leur travail de base. Mais que les syndicats ne consacrent jamais un mot aux paysans qui depuis des années font une perte de revenus annuelle de même importance, fait probablement partie du même chapitre que le soutien de la gauche pour un libre-échange agricole avec l’UE. Tout ce qui sent l’internationalisme est soutenu.

L’association des paysans plaide pour la sécurité alimentaire

Encore plus scandaleux, dans une partie de nos médias, est l’argumentation au sujet des aliments contaminés à la dioxine dans l’UE. Qu’un accord sur le libre-échange agricole aurait conduit à une meilleure information de la Suisse sur le scandale de la dioxine n’a aucune base réelle. C’est seulement après quelques jours que toute l’étendue du scandale a été connue et l’on a de plus en plus l’impression que les autorités de l’UE ont été complètement inconscientes et ont minimisé l’affaire, au lieu d’en mesurer vraiment toute l’étendue. Ainsi, de jour en jour, de nouvelles monstruosités se dévoilent.
Jusqu’aujourd’hui, grâce à l’indépendance, il n’y a pas d’indices que des produits contaminés soient apparus en Suisse. Dans un libre-échange agricole avec l’UE, nous aurions ces produits dans le pays sans aucun contrôle aux frontières. Voilà les perspectives roses qu’offrirait un tel accord sur le libre-échange avec l’UE, dont les citoyens de l’UE souffrent justement.
Le 4 janvier, lors de sa conférence de presse du Nouvel An, l’Union suisse des paysans a pris position de façon décidée et fondée sur toute la problématique de l’agriculture, du libre-échange agricole avec l’UE et sur la sécurité alimentaire. Les différents points critiques que nous amènerait un libre-échange agricole ont été discutés; il n’y aurait rien de plus insensé, en ces périodes d’insécurité économique et politique, que de rendre le ravitaillement du pays en denrées alimentaires dépendant de l’étranger! Vous trouverez dans cette édition d’Horizons et débats les contributions de Jacques Bourgeois et Hansjörg Walter présentées lors de cette conférence de presse.    •

1    Global report of International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD), Agriculture at a Crossroad.

Rapport sur l’agriculture mondiale: idées principales

•    Pour faire face aux défis de l’avenir, un changement radical et systématique de la recherche, du développement et de la pratique agronomiques est nécessaire.
•    Les agrocarburants ne constituent pas une option supportable. Ils doivent être remplacés par des modes de production d’énergie (électricité et chaleur) bio intégrés, décentralisés et plus efficaces. La transformation de surfaces agricoles alimentaires en surfaces destinées à la production d’agrocarburants n’est pas acceptable.
•    Les pays les plus pauvres et les paysans les plus démunis sont les perdants de la globalisation et de la libéralisation du commerce agricole.
•    Le génie génétique apporte actuellement plus de problèmes que de solutions et fait que la recherche se concentre sur les produits brevetables.
•    Les droits de propriété intellectuelle et les demandes concernant ces droits, en particulier en matière de semences, peuvent avoir une influence très négative sur la liberté de la recherche et la diffusion du savoir.
•    La recherche et le développement publique doivent être sortis de la tour d’ivoire universitaire et renforcés. Il faut répondre aux questions que posent les agriculteurs et associer ceux-ci au développement.
•    La nécessité écologique et économique de réduire les émissions de gaz à effet de serre implique des révolutions technologiques et des mesures drastiques.
•    Le facteur déterminant de la lutte contre la faim ne consiste pas dans l’augmentation de la productivité à tout prix mais dans la disponibilité des denrées alimentaires et de leurs moyens de production sur place.
•    Les petites structures agricoles sont les meilleurs garants de la sécurité alimentaire locale et de l’autosuffisance alimentaire régionale et nationale. Il convient de reconnaître et d’encourager leur multifonctionnalité (écologique et sociale).
Le Rapport mentionne les domaines suivants d’investissements dans la recherche agricole et les technologies durables:
−    Culture de plantes résistant mieux à la chaleur et aux nuisibles,
−    Evaluation financière et non financière des mesures environnementales,
−    Substituts aux produits agrochimiques,
−    Réduction de la dépendance du secteur agricole par rapport aux combustibles fossiles.

Sources:
Rapport sur l’agriculture mondiale (Evaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agri­coles pour le développement  / IAASTD)
Résumé du Rapport: www.agassessment.org/docs/Global_SDM_050508_French.pdf

«En résumé on peut dire: le libre-échange dans le domaine des produits agricoles mène à beaucoup de perdants et à peu de gagnants. Les perdants sont pour la plupart des paysans, aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement, alors que quelques grands agriculteurs et quelques multinationales sont gagnants. Dans les pays en voie de développement les plus pauvres, les petits paysans perdants sont la majorité de la population. C’est justement pour cette raison que ces pays-là sont les plus affectés par les conséquences négatives du libre-échange, bien que d’après la théorie ils devraient être ceux qui en profitent le plus.
La diminution de la prospérité due au libre-échange en matière des produits agricoles se laisse dépister seulement, si l’on ne regarde le commerce pas uniquement sous l’aspect de la théorie de l’avantage comparatif. Celle-ci ne peut pas en effet saisir des aspects essentiels du commerce avec les produits agricoles et prédit pour cette raison des gains de prospérité, qui en réalité se transforment en pertes.»

Source: Binswanger, Mathias, Globalisierung und Landwirt­schaft. Mehr Wohlstand durch weniger Freihandel.
ISBN 9-783854-525837, pages 52s.