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mercredi, 23 novembre 2011

La vieille inimitié entre l’Arabie Saoudite et l’Iran

 

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Günther DESCHNER:

La vieille inimitié entre l’Arabie Saoudite et l’Iran

Un marchand d’automobiles paumé quelque part en Amérique, qui égare toujours ses clefs et perd ses portables, aurait des complices présumés, membres de la mafia mexicaine des drogues, qui font des milliards en chiffre d’affaires mais se laissent manipuler pour une promesse d’1,5 million de dollars afin de commettre un attentat visant à accentuer le conflit qui sévit souterrainement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. L’attentat devait frapper l’ambassadeur saoudien à Washington. Tout cela rappelle trop bien la prestation de Colin Powell, alors ministre américain des affaires étrangères, lorsqu’en 2003, il avait présenté un tuyau d’aluminium à la tribune du Conseil de Sécurité de l’ONU, comme preuve que “l’Irak de Saddam Hussein s’en servait pour produire des armements nucléaires”. Cinq ans et 100.000 morts plus tard, Powell a admis qu’il s’était agi d’“induire en erreur” le Conseil et que cette démarche avait été indigne de lui...

L’alliance tacite entre l’Arabie Saoudite et Israël

En souvenir de cet incident de 2003, le nouveau montage qu’ont tenté de fabriquer les petits machiavels des services secrets américains, aurait pu avoir des conséquences fâcheuses. Si l’attentat avait vraiment eu lieu, il n’aurait apporté que des déboires aux Iraniens. Certes, leurs rapports avec leurs voisins saoudiens ne sont pas bons mais au-delà de rodomontades verbales sur le sort des chiites de Bahrein ou de la province saoudienne du Hassa, riche en gisements pétroliers, l’Iran ne peut risquer d’envenimer la situation et de créer un casus belli. Même pour les plus radicaux du régime des mollahs, la querelle qui oppose Téhéran à Washington est un casse-tête suffisant: nul besoin de créer d’autres conflits. Bon nombre d’indices tentent également de démontrer que les Américains ne souhaitent pas déclencher un conflit supplémentaire au Moyen Orient.

Le climat s’est aussi considérablement refroidi entre les deux alliés de longue date que sont la famille royale saoudienne et les Américains. Le Roi Abdullah en veut aux Etats-Unis d’avoir laissé tomber son ami Moubarak en Egypte. Ensuite, en septembre dernier, les Etats-Unis ont torpillé le processus de reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat au Conseil de Sécurité des Nations Unies, alors que les Saoudiens, et leur roi personnellement, avaient jeté tout leur poids dans la balance pour que cette reconnaissance devienne un fait.

Les plans pour le pseudo-attentat contre l’ambassadeur saoudien n’ont pas pu être prouvés jusqu’ici mais leur potentialité permet toutefois de mettre en lumière la situation qui règne actuellement dans la région du Golfe ainsi que les constantes et les changements qui ponctuent les relations irano-saoudiennes voire de dévoiler les alliances réelles, au-delà des apparences, dans lesquelles les protagonistes sont engagés.

Les deux Etats sont rivaux depuis plusieurs décennies: même au temps du Shah, quand l’Arabie Saoudite et l’Iran constituaient les deux piliers de la politique américaine dans la région, l’inimitié entre les deux puissances demeurait latente. Lorsque la guerre éclate en 1980 entre l’Irak et l’Iran, celle que l’on a par la suite appelé la “Première Guerre du Golfe”, l’Arabie Saoudite a rassemblé à ses côtés tous les petits Etats du Golfe pour former le GCC (“Golf Cooperation Council” ou “Conseil de Coopération du Golfe”). Ce GCC a aidé Saddam Hussein à coups de milliards. Au bout du compte, l’Iran et l’Arabie Saoudite demeurent des concurrents parce que chacune des deux puissances cherche à se donner le rôle dominant dans la région, tout en reconnaissant qu’elles sont toutes deux des puissances régionales.

Dans cette inimitié de longue date, les différences entre Chiites et Sunnites ont joué et jouent toujours un rôle déterminant. L’Iran est le seul pays musulman où le chiisme est religion d’Etat, tandis que l’Arabie Saoudite est non seulement la gardienne des lieux saints de l’islam (La Mecque et Médine) mais aussi le pays sanctuaire du wahhabisme, une forme puritaine et extrême de l ‘islam sunnite, majoritaire dans le monde musulman.

L’opposition entre l’Arabie Saoudite et la République islamique d’Iran s’est encore envenimée vu les rapports très différents que les deux puissances entretiennent avec les Etats-Unis. Tandis que les nouveaux détenteurs du pouvoir à Téhéran proclamaient en 1979 que les Etats-Unis étaient leur “ennemi principal” et constituaient un “Grand Satan”, l’Arabie Saoudite était le principal allié de Washington dans le monde arabe.

La tension entre Iraniens et Saoudiens s’est accrue récemment mais cela n’est pas dû en première instance aux activités nucléaires que déploie l’Iran: c’est principalement à cause de la “bête guerre” (dixit Obama) lancée en 2003 par les Etats-Unis. L’effet majeur de cette guerre a été d’amener un gouvernement chiite au pouvoir en Irak, ce qui a augmenté considérablement l’influence iranienne au Proche Orient. L’Arabie Saoudite a tout simplement peur de voir se déclencher une agitation révolutionnaire chiite sur son propre territoire ou dans des pays voisins, comme le Bahrein, le Qatar ou le Koweit.

L’Arabie Saoudite a réagi à ce danger potentiel en finançant des groupes sunnites radicaux en Irak et ailleurs dans la région. Les Saoudiens favorisent ainsi, volens nolens, la partition de l’Irak et la division entre musulmans, même si cela ne va pas directement dans le sens voulu par l’allié américain. Cette situation débouche sur un paradoxe: les Saoudiens et les Américains restent les partenaires d’une grande alliance privilégiée, luttent de concert sur certains fronts mais sont opposés les uns aux autres, du moins indirectement, sur d’autres théâtres d’opérations.

Rappelons-nous un fait du passé: pendant de longues années, les Saoudiens ont demandé aux Allemands de leur livrer des chars. Cette transaction n’avait jamais pu avoir lieu parce que, disait-on, cela pouvait nuire aux intérêts d’Israël. Or récemment, Américains et Israëliens ont donné subitement leur accord: la transaction s’est effectuée en un temps record. C’est là l’indice que l’imbroglio des alliances et contre-alliances au Proche-orient a subi une modification de fond.

“Israël est aujourd’hui l’acteur militaire le plus fort de la région, tant sur les plans conventionnel que non-conventionnel”, commentait récemment l’expert ès défense Markus Kaim, de la Fondation “Wissenschaft und Politik” de Berlin. “Depuis peu, Israël n’est plus existentiellement menacé par une quelconque puissance et, chose plus importante, il y a le rôle nouveau de l’Iran. L’Iran cherche à se positionner comme puissance hégémonique au Proche et au Moyen Orient, est sur le point de produire des armements nucléaires, ou, si on veut le formuler de manière plus prudente, de se doter de la capacité d’en développer et d’en constuire, le cas échéant. Face à cela, la réaction saoudienne a été, au cours de ces dernières années, de se chercher des alliés et d’emprunter à son tour la politique de la course aux armements. Ce contexte fait qu’il y a de facto une sorte d’alliance tacite entre Israël et l’Arabie Saoudite”.

Cette situation devient d’autant plus problématique que d’autres nouvelles sont annoncées ces temps-ci: dans la famille régnante d’Arabie Saoudite, les décès et l’annonce de maladies graves se succèdent. Pour la suite des événements, il est de la première importance, aujourd’hui, de savoir qui, dans le royaume wahhabite, prendra les vraies décisions, en tenant compte également des bouleversements qui se sont produits dans le monde arabe cette année. Le Roi Abdullah est vieux et malade et il semble que les décisions soient prises, désormais, par son demi-frère, le ministre de l’intérieur Naïf, beaucoup moins souple. Si l’Arabie Saoudite renonce à la politique de réformes lancée par le Roi Abdullah ou devient la puissance phare d’une contre-révolution généralisée, alors sa légitimité régionale sera battue en brèche.

Les Américains ont déçu les Saoudiens

L’idée d’un “avenir ouvert”, donc d’un changement complet de donne, est de plus en plus envisageable en ce qui concerne les rapports américano-saoudiens. Ryad est ouvertement en faveur d’un Etat palestinien, milite même en sa faveur de manière fort pugnace, et n’achète plus exclusivement des armes “made in USA”. Malgré la dernière transaction en matière d’armements, portant sur quelque 60 milliards de dollars, le partenariat militaire américano-saoudien présente de plus en plus de lézardes. En effet, depuis 2009, les Saoudiens optent pour la diversification, y compris quand il s’agit d’acheter des systèmes anti-missiles, des chars d’assaut ou des avions. Désormais, ils s’adressent aussi aux Russes.

En ce moment, Ryad est confrontée à la question de la succession, ce qui complique considérablement le choix de ses stratégies prochaines. Dans ce contexte, le Prince Turki al-Faisal, qui n’a que 65 ans et est donc un homme jeune pour la tradition saoudienne, a prononcé des conférences et écrit des essais substantiels, attirant ainsi l’attention sur sa personne et ses idées. Neveu du Roi Abdullah, il a été pendant près d’un quart de siècle le chef des services secrets saoudiens; il a aussi été longtemps ambassadeur à Londres et à Washington. De tous les princes saoudiens, il est le plus intellectuel et est considéré comme le successeur de son frère Saoud al-Faisal, aujourd’hui malade et ministre des affaires étrangères depuis de nombreuses années.

Turki a annoncé “une doctrine de sécurité soudienne pour la décennie à venir”. Cette doctrine devrait constituer la réponse à la situation changeante dans la région, aux conflits internes qui secouent les pays voisins (Syrie, Irak, Yémen et Bahrein), à la position dépourvue de souplesse d’Israël dans le conflit avec les Palestiniens, à la déception qu’a provoquée le manque de soutien américain aux desiderata saoudiens et, bien entendu, à la volonté iranienne d’asseoir l’hégémonie de Téhéran dans la région.

Dans un article d’opinion que Turki a rédigé pour le “Washington Post”, il prévoit des “conséquences catastrophiques” dans les relations américano-saoudiennes. Si les Etats-Unis maintiennent leurs positions actuelles, alors “nos anciennes relations, vieilles de plusieurs décennies, connaîtront le point le plus bas qu’elles aient jamais connu, ce qui nuira de manière irréversible au processus de paix et à l’image de l’Amérique dans le monde arabe; le gouffre idéologique qui sépare le monde musulman de l’Occident s’accroîtra, et les possibilités de nouer des amitiés et de parachever des coopérations entre les deux mondes pourraient disparaître”.

Günther DESCHNER.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°44/2011; http://www.jungefreiheit.de/ ).