Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 07 avril 2020

Les États-Unis et la Chine sont-ils piégés dans une guerre hybride ?

2020-03-19_11h32_38.png

Les États-Unis et la Chine sont-ils piégés dans une guerre hybride ?

par Pepe Escobar

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

Les retombées de la pandémie du Covid-19 mettent les États-Unis et la Chine sur des trajectoires de collision

Parmi les innombrables effets géopolitiques bouleversants du coronavirus, l’un d’eux est déjà évident. La Chine s’est repositionnée. Pour la première fois depuis le début des réformes de Deng Xiaoping en 1978, Pékin considère ouvertement les États-Unis comme une menace, comme l’a déclaré il y a un mois le ministre des Affaires étrangères Wang Yi lors de la Conférence de Munich sur la sécurité pendant le pic de la lutte contre le coronavirus.

Pékin façonne avec soin, et progressivement, le récit selon lequel, dès le début de l’attaque du coronavirus, les dirigeants savaient que c’était une attaque de guerre hybride. La terminologie de Xi est un indice majeur. Il a dit, pour le compte rendu, que c’était la guerre. Et, en contre-attaque, une «guerre populaire» devait être lancée.

De plus, il a décrit le virus comme un démon ou un diable. Xi est confucianiste. Contrairement à certains autres penseurs chinois anciens, Confucius répugnait à discuter des forces surnaturelles et du jugement dans l’au-delà. Cependant, dans un contexte culturel chinois, diable signifie «diables blancs» ou «diables étrangers» : guailo en mandarin, gweilo en cantonais. C’était Xi délivrant une puissante déclaration codée. 
 
Note d'un lecteur du Saker Francophone : Pepe Escobar commet ici une erreur sémantique majeure lorsqu'il extrapole l'utilisation faite par Xi Jinping du mot "devil" pour définir le coronavirus, et nommer, à couvert, d'hypothétiques responsables américains (hypothèse par ailleurs tout à fait plausible). Le terme péjoratif pour nommer un "étranger" en cantonais est effectivement "gweilo" ("diable d'étranger"), mais en aucun cas "guailo" (qui devrait en plus s'écrire "lao"), terme qui n'existe pas en mandarin. Le terme employé dans toute la Chine hors de la province du Guangdong, où se trouvent Canton et Hong kong, est "laowai", mot au contraire respectueux qui veut dire "l'étranger" (venu de l'extérieur). Xi Jinping ne parle pas le cantonais, la langue officielle de la Chine est le mandarin, et aucun président de la république de Chine, fut-il cantonais, ne se hasarderait à prononcer un discours officiel dans un dialecte régional. Laurent Schiaparelli

5844562.jpg

La délégation américaine aux Jeux militaires de Wuhan, 2019

Lorsque Zhao Lijian, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a exprimé dans un tweet incandescent la possibilité que «ce pourrait être l’armée américaine qui a apporté l’épidémie à Wuhan» – la première diatribe à ce sujet provenant d’un haut fonctionnaire -, Pékin envoyait ainsi un ballon d’essai signalant que les gants étaient enfin retirés. Zhao Lijian a établi un lien direct avec les Jeux militaires de Wuhan en octobre 2019, qui comprenaient une délégation de 300 athlètes militaires américains.

Il a directement cité le directeur américain des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies – Centers for Disease Control and Prevention ou CDC –, Robert Redfield, qui, interrogé la semaine dernière sur la découverte à titre posthume de décès par coronavirus aux États-Unis, a répondu que «certains cas ont été diagnostiqués de cette manière aux États-Unis aujourd’hui».

La conclusion explosive de Zhao est que le Covid-19 était déjà actif aux États-Unis avant d’être identifié à Wuhan – en raison de l’incapacité désormais pleinement documentée des États-Unis de tester et de vérifier les différences par rapport à la grippe.

Ajoutant tout cela au fait que les variantes du génome des coronavirus en Iran et en Italie ont été séquencées et qu’il a été révélé qu’elles n’appartiennent pas à la variété qui a infecté Wuhan, les médias chinois posent maintenant ouvertement des questions en établissant un lien entre la fermeture en août de l’année dernière du laboratoire d’armes biologiques «dangereux» à Fort Detrick, les Jeux militaires, et l’épidémie de Wuhan. Certaines de ces questions ont été posées – sans réponse – aux États-Unis eux-mêmes.

21PRtjKRXPQybj4WUXScWv5QPLninWRxfbcWNsx7SenD7FqMQzDCXWPkiudsc8kVjwhRUk2QH2PdhydFWCibGuwPZGdVT8kAwrzN21z6jiaihc8NRNG15spCCc97UT2rfKYf6mvMDFN9hygJDX3JeKQ.png

Des questions supplémentaires persistent sur l’opacité de Event 201 à New York le 18 octobre 2019 : une simulation de pandémie mondiale causée par un virus mortel – qui se trouvait être un coronavirus. Cette merveilleuse coïncidence s’est produite un mois avant le déclenchement de l’épidémie à Wuhan.

Event 201 a été parrainé par la Fondation Bill & Melinda Gates, le Forum économique mondial (WEF), la CIA, Bloomberg, la Fondation John Hopkins et l’ONU. Les Jeux militaires mondiaux se sont ouverts à Wuhan exactement le même jour.

Quelle que soit son origine, qui n’est pas encore établie de manière concluante, alors que Trump tweete sur le «virus chinois», Covid-19 pose déjà des questions extrêmement sérieuses sur la biopolitique – où est Michel Foucault quand on a besoin de lui ? Et la bio-terreur.

L’hypothèse de travail du coronavirus en tant que bio-arme très puissante, mais ne provoquant pas l’Armageddon, le désigne comme le véhicule parfait pour un contrôle social généralisé – à l’échelle mondiale.

Cuba devient une puissance biotechnologique

Tout comme un Xi, entièrement masqué, visitant la ligne de front de Wuhan la semaine dernière a été une démonstration médiatique à toute la planète que la Chine, avec d’immenses sacrifices, gagne la «guerre du peuple» contre le Covid-19, la Russie, dans un mouvement vis-à-vis de Riyad qui serait certainement apprécié par Sun Tzu, a provoqué une chute radicale du prix du baril de pétrole, aidant, à toutes fins utiles, à relancer l’inévitable reprise de l’économie chinoise. Voilà comment fonctionne un partenariat stratégique.

La disposition de l’échiquier change à une vitesse vertigineuse. Une fois que Pékin a identifié le coronavirus comme une attaque par arme biologique, la «guerre du peuple» a été lancée avec toute la puissance de l’État. Méthodiquement. Sur la base de «quoi qu’il en coûte». Nous entrons maintenant dans une nouvelle étape, qui sera utilisée par Pékin pour réviser considérablement son interaction avec l’Occident, et dans des cadres très différents en ce qui concerne les États-Unis et l’UE.

La puissance douce est primordiale. Pékin a envoyé un vol d’Air China en Italie, transportant 2 300 grands cartons remplis de masques portant l’inscription «Nous sommes des vagues de la même mer, des feuilles du même arbre, des fleurs du même jardin». La Chine a également envoyé un lourd colis humanitaire à l’Iran, à bord de huit vols assurés par Mahan Air – une compagnie aérienne soumise à des sanctions illégales et unilatérales de l’administration Trump.

FOREIGN202003121513000071450827088.jpg

Le président serbe Aleksandar Vucic n’aurait pas pu être plus explicite : «Le seul pays qui peut nous aider est la Chine. À ce jour, vous avez tous compris que la solidarité européenne n’existe pas. C’était un conte de fées sur le papier. »

Soumis à des sanctions sévères et diabolisé depuis toujours, Cuba est encore en mesure de réaliser des percées – même en biotechnologie. L’anti-viral Heberon – ou Interféron Alpha 2b – un thérapeutique, pas un vaccin, a été utilisé avec grand succès dans le traitement du coronavirus. Une coentreprise en Chine produit une version à inhaler, et au moins 15 pays sont déjà intéressés à importer le produit thérapeutique.

Comparez maintenant tout cela avec l’administration Trump offrant 1 milliard de dollars pour braconner des scientifiques allemands travaillant dans la société de biotechnologie Curevac, basée en Thuringe, sur un vaccin expérimental contre le Covid-19, pour l’utiliser comme vaccin « uniquement pour les États-Unis ».

Psy-op d’ingénierie sociale ?

Sandro Mezzadra, co-auteur avec Brett Neilson du livre fondateur The Politics of Operations : Excavating Contemporary Capitalism, essaie déjà de conceptualiser notre attitude actuelle en termes de lutte contre Covid-19.

91ikPfipsfL.jpg

Nous sommes confrontés à un choix entre un volet malthusien – inspiré du darwinisme social – «dirigé par l’axe Johnson-Trump-Bolsonaro» [et Macron ? oublié ? NdT] d’une part, et de l’autre, un volet proposant la «requalification de la santé publique en tant qu’outil fondamental» incarné par la Chine, la Corée du Sud et l’Italie. Il y a des leçons majeures à tirer de la Corée du Sud, de Taïwan et de Singapour.

L’alternative forte, note Mezzadra, se situe entre une «sélection naturelle de la population», avec des milliers de morts, et «la défense de la société» en employant «des degrés variables d’autoritarisme et de contrôle social». Il est facile d’imaginer qui bénéficiera de cette reconstruction sociale, un remix, au XXIe siècle, du Masque de la Mort Rouge de Poe.

Au milieu de tant de pessimisme, comptez sur l’Italie pour nous offrir des nuances de lumière de style Tiepolo. L’Italie a choisi l’option Wuhan, avec des conséquences extrêmement graves pour son économie déjà fragile. Les Italiens en quarantaine ont remarquablement réagi en chantant sur leurs balcons : un véritable acte de révolte métaphysique.

Même les milliers de milliards de dollars, tombant du ciel par un acte de miséricorde divine de la Fed, n’ont pu guérir du Covid-19. Les «dirigeants» du G-7 ont dû recourir à une vidéoconférence pour réaliser à quel point ils étaient ignorants – alors même que la lutte de la Chine contre le coronavirus donnait à l’Occident une longueur d’avance de plusieurs semaines [pour se préparer].

Le Dr Zhang Wenhong, basé à Shanghai, l’un des meilleurs experts chinois en matière de maladies infectieuses, dont les analyses ont été pertinentes jusqu’à présent, affirme maintenant que la Chine est sortie des jours les plus sombres de la «guerre populaire» contre le Covid-19. Mais il ne pense pas que ce sera fini d’ici l’été. Maintenant extrapolez au monde occidental ce qu’il dit pour la Chine.

Ce n’est même pas encore le printemps, et nous savons déjà qu’il faut un virus pour briser sans pitié la Déesse du Marché. Vendredi dernier, Goldman Sachs a déclaré à pas moins de 1.500 sociétés qu’il n’y avait pas de risque systémique. C’était faux.

Des sources bancaires new-yorkaises m’ont dit la vérité : le risque systémique est devenu beaucoup plus grave en 2020 qu’en 1979, 1987 ou 2008 en raison du danger extrêmement accru de l’effondrement du marché des dérivés de 1,5 quadrillion de dollars (1,5×10^24).

Comme le disent les sources, l’histoire n’avait jamais rien vu de tel que l’intervention de la Fed via son élimination, peu comprise, des réserves obligatoires des banques commerciales, déclenchant une expansion potentiellement illimitée du crédit pour éviter une implosion du marché des produits financiers dérivés résultant d’un effondrement total des matières premières et des marchés boursiers à travers le monde.

Ces banquiers pensaient que cela fonctionnerait, mais comme nous le savons maintenant, tout ce bruit et cette fureur ne signifiaient rien. Le fantôme d’une implosion des produits dérivés – en l’occurrence non causée par la possibilité précédente de la fermeture du détroit d’Ormuz – demeure.

covidmasque.jpg

Nous commençons à peine à comprendre les conséquences du Covid-19 pour l’avenir du turbo-capitalisme néolibéral. Ce qui est certain, c’est que toute l’économie mondiale a été arrêtée par un disjoncteur insidieux, littéralement invisible. Ce n’est peut-être qu’une «coïncidence». Ou cela peut faire partie, comme certains le soutiennent hardiment, d’une possible psy-op massive créant l’environnement géopolitique et l’ingénierie sociale parfaite pour une domination tous azimuts.

De plus, avec un travail harassant le long du chemin, et d’immenses sacrifices humains et économiques, avec ou sans redémarrage du système mondial, une question plus urgente demeure : les élites impériales globalisées choisiront-elles toujours de continuer leur guerre hybride totale contre la Chine pour la domination tous azimuts ?

Pepe Escobar

Traduit par jj, relu par Marcel pour le Saker Francophone

samedi, 29 octobre 2016

Les ONG et les mécaniques de la guerre hybride

burkina-ong-600-330new.jpg

Les ONG et les mécaniques de la guerre hybride

Les ONG liées à des intérêts étrangers jouent partout dans le monde un rôle irremplaçable dans la fomentation de guerres hybrides. La loi de la guerre hybride dit que ces types de conflits sont des affrontements identitaires montés de toutes pièces qui reposeraient sur la perturbation, le contrôle, ou l’influence de projets d’infrastructure multipolaires transnationaux conjoints, dans des États de transit clés, au moyen de stratégies de manipulation de régime, de changement de régime, ou de rebot de régime (R-TCR). Ces trois tactiques pourraient également être décrites comme des concessions politiques, une transition de leadership, «pacifique» ou violente, ou une modification fondamentale de l’État par des moyens tels que son détournement sous pression vers une Fédération d’identité facilement manipulable.

En ce qui concerne les types de conflits d’identité que devraient englober les guerres hybrides, ils peuvent être classés comme étant historiques, ethniques, religieux, socio-économiques et géographiques (tant en termes de politique administrative que d’appartenance régionale). Le catalyseur de la guerre hybride pourrait être prémédité ou dû au hasard, mais dans les deux cas, les scénarios de conflit sont poussés en avant par la participation publique ou discrète mais cruciale d’ONG liées à des intérêts étrangers (par leur financement, leur gestion, ou leurs amitiés, etc.), ce qui justifie la raison de leur l’étude dans cette analyse ainsi que des dernières tendances de la guerre hybride.

Pré conditionnement

Au sujet de toutes ces ONG liées à des intérêts étrangers (ci-dessous nommées simplement comme ONG) en dehors de celles qui sont engagées exclusivement dans le travail humanitaire avec l’autorisation explicite et la supervision de l’État hôte, elles se livrent au préconditionnement de la population cible pour lui faire accepter des récits politiques construits. Ces derniers portent principalement sur l’histoire, le social, et / ou des thèmes politiques qui visent à façonner la mentalité du public et contribuent à la formation d’identités absolument nouvelles (par exemple les Kosovars) ou à reformater celles qui existent déjà (par exemple du patriotisme au nationalisme, ou d’une citoyenneté inclusive à des nostalgies séparatistes exclusives).

Les ONG œuvrent aux côtés des médias traditionnels et des réseaux sociaux pour diffuser ces idées et en multiplier l’effet pour modifier la conscience de leur public afin de promouvoir l’organisation et les objectifs de ses modèles prédéterminés de promotion de la destruction de l’identité attaquée. Des «faits»douteux, faux et déshonorants circulent habituellement parmi le triangle des communautés information–médias–milieu universitaire et des agents sympathisants afin de répandre de nouvelles mythologies résultantes de la socio-ingénierie des mentalités des cibles démographiques à travers l’illusion fabriquée par des voix représentant une autorité.

Les graines des idéologies nouvelles et / ou historiquement démystifiées tels que le libéralisme et le nazisme sont plantées dans l’esprit du public et arrosées avec un flux régulier d’informations en soutien visant à accroître leur attrait et à jeter les bases de la prochaine manœuvre anti-gouvernementale. Après avoir été endoctriné avec le libéralisme, par exemple, les gens pourront devenir plus sensibles et jouer le rôle d’«idiots utiles» et manifester agressivement contre leur gouvernement, tout comme les croyants dans le nazisme et les «nationalismes»avant et pendant la Seconde Guerre mondiale ont pu être stimulés pour mener à bien des provocations haineuses contre leurs «ennemis» historiques.

Ces deux types d’idéologies pré-imprimées sont également utiles pour la promotion d’objectifs politiques déterminés au sein de l’État ciblé, l’ONG choisie dépendra de comment la fin exacte du conflit est envisagée. Le libéralisme est plus favorable à la formation de nouvelles identités à des fins séparatistes, alors que le nazisme (ou «nationalisme extrême» pour généraliser) a un rôle à jouer dans la haine furieuse anti-gouvernementale et pour provoquer des conflits interétatiques (par exemple les Oustachis croates tentant obsessionnellement de déstabiliser la Bosnie et la province serbe de Voïvodine).

Financement

Les ONG doivent recevoir leur argent de quelque part, et en dehors de la mendicité (ou de la «sollicitation de dons», comme ils l’appellent) dans les rues pour un peu d’argent de poche supplémentaire, la plupart d’entre elles reçoivent la majeure partie de leur financement de l’une des trois sources principales :

Gouvernements

Le gouvernement des USA finance des organismes gouvernementaux tels que le National Endowment for Democracy (auto-décrit en 1991 pour faire ouvertement ce que la CIA a fait secrètement pendant 25 ans avant) afin de se comporter comme un front d’agences de renseignement public-privé à l’étranger, dissimulant une expérience opérationnelle professionnelle derrière un déni plausible civil.

Sociétés

Certaines sociétés peuvent avoir un intérêt à déployer indépendamment leurs propres ONG, que ce soit pour faire pression au nom de leurs intérêts commerciaux ou pour les agiter contre leurs adversaires, avec potentiellement une escalade jusqu’à mettre une pression de type R-TCR (Régime − Tweaking, Change, Reboot) sur l’un ou l’autre gouvernement pour atteindre leurs objectifs.

Philanthropes

Les donateurs «privés» tels que George Soros et les princes saoudiens opèrent respectivement via la Fondation Soros et les «organisations caritatives islamiques»(ces dernières étant les premières à avoir été utilisées à grande échelle dans le monde entier via un réseau d’ONG dans les années 1980, période de la guerre en Afghanistan), leurs organisations étant réparties partout dans le monde et travaillant parfois pour défendre leurs intérêts cachés, main dans la main avec les clients gouvernementaux sélectionnés.

Chacune de ces trois sources différentes fournit des fonds de démarrage et de formation à leurs mandataires sur le terrain, avec pour désir de les voir réussir à cultiver une communauté de cinquième et même de sixième colonne pour les aider à atteindre leurs objectifs. La formation de l’organisation et les techniques d’organisation sont essentielles en raison de l’ampleur de leur influence sur l’efficacité d’un groupe, car à la fin de la journée, c’est généralement juste un petit noyau de membres qui comptent vraiment puisque leurs cohortes affiliées et les civils sont des bénévoles ou des dépenses temporaires à faible coût.

Les ONG sont également très utiles à leurs clients parce qu’elles fonctionnent comme des intermédiaires facilitateurs en donnant des pots de vin ou en faisant passer des menaces de chantage à différents particuliers (par exemple les journalistes) et des personnalités politiques, et si elles fonctionnent dans un environnement de «laissez faire», alors elles peuvent également participer utilement à différentes échelles d’activités de blanchiment d’argent à ces fins ou à l’appui des intérêts pécuniaires de leurs bailleurs. Même s’ils se font prendre, le seul degré de séparation plausible dont jouissent leurs sponsors en raison de leur statut prétendument «indépendant» est suffisant pour isoler leurs partisans de tout blâme officiel.

Figures de proue

Les ONG ont appris à utiliser des visages et du personnel local pour doter leurs bureaux à l’étranger, étant entendu que cela contribue à détourner toute critique immédiate de leurs liens avec l’étranger ainsi que de confondre les«journalistes d’investigation» un peu naïfs qui ne regardent que superficiellement les passeports des personnes qui y travaillent pour se faire une opinion. En réalité cependant, cette politique sert à peine à obscurcir les liens de ces ONG vers l’étranger quand il s’agit de duper la population sur laquelle elles projettent d’interagir, puisque des détectives spécialisés arrivent généralement avec succès à découvrir les liens financiers, les communications et les relations personnelles qui lient l’organisation étudiée avec une entité étrangère.

Les gens de la rue, cependant, pourraient ne pas avoir la moindre idée que leurs concitoyens, distribuant des tracts anti-gouvernementaux et les encourageant à se joindre à une manifestation, pourraient être employés par des entités étrangères, et même qu’une partie du personnel de l’ONG elle-même n’est pas plus au courant que cela. La volonté de secret qui accompagne les ONG envers les gens qui se joignent à une activité ou à une organisation rend nécessaire de cacher les liens étrangers derrière elle en les occultant délibérément, preuve que les auteurs de ces initiatives comprennent bien que les habitants hésiteraient probablement à participer s’ils savaient qu’ils étaient parrainés depuis l’étranger. Parce que beaucoup d’entre eux n’ont par ailleurs aucune idée à ce sujet, ils sont plus susceptibles d’être induits en erreur et d’y participer.

Ces figures de proue jouent également un autre rôle complémentaire qui est de promouvoir leur réputation vraisemblablement pacifique par la voie des médias en collusion qui ont un intérêt à représenter ces personnes comme des«manifestants calmes pro-démocratie» de manière à modifier sélectivement et suivant de fausses déclarations que les affrontements provoqués délibérément avec les autorités sont le résultat d’une «dictature impopulaire et avide de pouvoir tuant son propre peuple». Peu importe que rien de tout cela ne soit factuellement vrai, mais c’est la perception erronée délibérée qui compte en raison de la facilité avec laquelle ces récits fabriqués peuvent rapidement exploser en un événement local, régional ou national complètement hors de proportion afin de le transformer rapidement en une «crise internationale» qui invite les gouvernements étrangers à faire une pression très médiatisée sur l’état ciblé.Parmi les figures de proue des ONG, il est important de mentionner que les dirigeants des ONG anti-gouvernementales sont parfois des pasteurs (Zimbabwe), des moines (Myanmar, la Région autonome du Tibet), ou des étudiants («traditionnels» dans les révolutions de couleur), tous ayant la réputation internationale d’être apparemment inoffensifs et sans danger. Peu importe si c’était effectivement vrai avant l’événement (je vais détailler plus bas) ou non, le fait est qu’au moment ou ces acteurs prétendûment pacifiques commencent à manifester énergiquement contre le gouvernement, pour provoquer des conflits avec la police et l’armée, et parfois même attaquer les agents d’application de la loi et des biens publics et privés, ils ont perdu leur droit à être traités d’une manière non violente, justifiant ainsi des techniques décisives de contrôle des foules par les autorités (et parfois la main est lourde).

Exigence de «démocratie»

La tactique que toutes les ONG affiliées politiquement (soit ouvertement déclarée ou secrètement pour cet aspect de leur action) finissent par poursuivre est, à terme, de faire pression sur leur gouvernement hôte dans le but de le rendre plus «démocratique». La raison pour laquelle la «démocratie» est une telle obsession pour ces organisations et leurs bailleurs de fonds n’a pas nécessairement quelque chose à voir avec ses qualités intrinsèques «normatives»(le plus souvent dû à une volonté occidentale pour cette idéologie), mais par sa structure pratique qui régulièrement recycle le leadership de ces pays. Les«démocraties» occidentales sous influence ont des cycles électoraux prévisibles qui sont compris dans la théorie de la guerre hybride comme ne représentant rien de plus que des possibilités «pacifiques» pour un changement de régime, démontré par l’activité frénétique que les ONG engagent avant, pendant et immédiatement après ce moment. Les «démocraties» occidentales sont également marquées par une culture politique inséparable des lobbyistes (des corrupteurs juridiques) et les médias grand public à vocation commerciale, ce qui rend le tout plus facile pour les intervenants étrangers et leurs pions que sont les ONG locales pour interférer avec le processus «démocratique», pour le court-circuiter dans le sens de leurs objectifs.

Si les élections ne débouchent pas sur le résultat souhaité par les ONG et leurs bailleurs de fonds internationaux, ou si le cycle électoral suivant n’est pas assez proche dans le temps et que ces acteurs s’impatientent et / ou croient que la fenêtre pour parvenir à leurs fins politiques pourrait se refermer à un moment donné, alors ils conspirent pour concevoir un événement qui met la pression sur le gouvernement et se lancent dans un R-TCR avec la menace omniprésente de la guerre hybride. Parmi les exemples du type de pression qui pourrait être exercé contre les autorités, il y a les drames liés aux élections, les scandales de corruption (éventuellement provoquées par des «fuites» de la NSA grâce aux écoutes électroniques et / ou des documents comme au Brésil lors du «coup d’État constitutionnel» ou la tentative de guerre hybride macédonienne qui a échoué), les mouvements perturbateurs au niveau de la société civile ( l’Electric Yerevan en Arménie par exemple). Il y a aussi la politisation de transactions controversées (par exemple l’accord d’association UE-Ukraine) qui tentent de forcer un nouveau cycle d’élections.

Si le gouvernement n’est pas retourné, ou changé, ou redémarré après l’expérience de la contrainte de la «pacifique» révolution de couleur que les intérêts étrangers et leurs fantassins des ONG tentent de forcer«démocratiquement», alors le(s) gouvernement(s) étranger(s) derrière la mascarade pourrait prendre la décision de commencer une guerre hybride par une transition de la révolution de couleur vers une guerre non conventionnelle. Il n’est pas toujours garanti que ce sera le cas, car parfois certains troubles de type révolution de couleur ne sont pas pleinement soutenus par leurs sponsors étrangers et leur réseau d’ONG et ne sont que des coups de sondes pour l’évaluation des vulnérabilités structurelles, des réponses et d’autres sortes de renseignements précieux qui pourraient être utile dans un scénario de futur R-TCR qui sera mené avec plus de détermination et pris en charge à ces fins. Après tout, si l’état est assez fort pour se défendre contre cette attaque asymétrique en utilisant des mesures de sécurité démocratique et / ou que l’insurrection future n’a pas la viabilité à long terme pour soutenir une campagne réussie de guerre hybride de type R-TCR (peut-être si un efficace arrangement régional Lead From Behind ne peut pas être construit à temps), les bailleurs de fonds étrangers pourraient retirer leur soutien à cette agitation et attendre une autre occasion future qui pourra être conçue à un moment plus décisif.

Faire le saut

Quand une Révolution de couleur avance vers une transition progressive de guerre hybride évoluant vers une guerre non conventionnelle, une grande partie de l’ancien agencement structurel qui tire les ficelles reste tout simplement en place, mais sous un autre nom. La plupart des réseaux d’ONG et leur personnel se transforment en insurgés armés ou fournissent aux combattants un soutien informationnel, organisationnel, logistique et / ou matériel.

Bien que les tactiques de R-TCR aient changé, le principe reste toujours le même, mais avec un afflux notable et moins secret d’aide étrangère (insurgés, armes) pour la poursuite de ces objectifs.

Toutes les ONG et leurs travailleurs ne sont pas liées à des intérêts étrangers et ne participent pas à des activités ouvertement séditieuses, mais il est fort à parier que bon nombre d’entre elles le sont d’une façon ou d’une autre, puisque, après tout, la seule différence entre les révolutionnaires de couleur et leurs homologues des guerres non conventionnelles sont les moyens qu’ils sont prêts à employer pour atteindre leur objectif commun, avec chaque main lavant l’autre dans l’exécution des tâches complémentaires à cette fin.

Pour finir

La guerre hybride est la dernière forme d’agression menée par les forces unipolaires contre l’ordre mondial multipolaire émergeant, et la façon indirecte avec laquelle elle est pratiqué, protège l’auteur de répercussions immédiates et augmente donc l’attrait de ce stratagème. Vu que le recours à la guerre hybride comme instrument de politique étrangère ne montre aucun signe réel d’apaisement dans un avenir prévisible en raison de sa nouveauté et de sa nature rentable dans son application, il y a une urgence pressante à comprendre toutes ses facettes pour mieux la combattre, et donc la pertinence d’exposer le rôle central que jouent les ONG dans ce processus.

Il faut se souvenir que les guerres hybrides reposent sur une instigation depuis l’extérieur et la manipulation par la suite d’un conflit d’identité dans un état de transit ciblé le long de la voie d’un projet multipolaire transnational de premier plan concernant des infrastructures conjointes. Il est beaucoup plus facile de conceptualiser la fonction que les ONG liées à des forces étrangères hostiles qui ont intérêt à mettre cette séquence de «chaos contrôlé» en mouvement. Ces groupes sont chargés de provoquer un sentiment de séparation d’identité parmi la population, un sentiment manipulé par de l’ingénierie sociale dont les organisateurs pensent qu’il finira par transformer des citoyens patriotiques en sympathisants anti-gouvernementaux.

Les réseaux d’ONG et le personnel local participent à ce programme aidé de l’étranger et aspirent à perturber, contrôler ou influencer ces projets d’infrastructure mentionnés ci-dessus grâce à divers degrés de pression R-TCR contre les autorités. Ils peuvent se transformer en insurgés ou d’autres formes de menaces asymétriques lorsque leurs tactiques de révolution de couleur échouent pour commencer progressivement à prendre une forme de guerre non conventionnelle améliorée. Comme les ONG liées à des intérêts étrangers sont les forces d’avant-garde en tête de la dernière itération de la guerre hybride partout dans le monde, il est dans l’intérêt de chaque gouvernement responsable de placer des contrôles de surveillance et des restrictions opérationnelles sur ces groupes afin de neutraliser leurs capacités offensives et d’assurer la sécurité nationale.

Andrew Korybko | 23 septembre 2016

Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est l’auteur de Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime.

Article original: Oriental Review

Traduit par le blog Vers ou va-t-on

lundi, 16 mai 2016

La guerre de quatrième génération évolue

ap_410748528058.jpg

La guerre de quatrième génération évolue

par William Lind

Ex: http://www.sans-langue-de-bois.eklablog.fr

Un article du New York Times du 12 avril souligne une évolution possible de la G4G [La guerre de 4e génération, c’est-à-dire les guerres non conventionnelles actuelles, NdT], évolution qui rendrait la menace qu’elle fait peser sur les États d’autant plus grave. Intitulé Un mentor jihadiste mélange crime et religion :

Le ‘gangstérisme islamique’ recrute à Bruxelles, l’article raconte l’histoire de Khalid Zerkani, un islamiste radical de Bruxelles, qui a recruté des jeunes hommes pour mener le djihad à la fois en Syrie et en Europe. Plus gangster qu’érudit islamique, Zerkani préfère recruter ceux qui ont un passé criminel.

Des responsables de la sécurité belge et des gens connaissant M. Zerkani, ont dit qu’il avait assuré à la jeunesse rebelle de Molenbeek que les condamnations criminelles passées ne constituaient pas un obstacle à la cause islamique mais, au contraire, un atout capital.

Le Times cite un expert, Hind Fraihi, sur Molenbeek, un quartier fortement islamisé de Bruxelles, qui dit que l’extrémisme islamique «a muté […] pour devenir une entreprise criminelle menée par une synergie entre le banditisme et l’islam.»

Du point de vue de l’État, l’un des aspects difficiles de la G4G est qu’il fait face non seulement à plusieurs adversaires, mais à plusieurs types d’adversaires, allant des gangs dont les membres appartiennent à des groupes ethniques spécifiques (par exemple les Tchétchènes) jusqu’aux fanatiques religieux. Il n’y a pas de réponse du type tout en unaux différents défis que la G4G présente.

Toutefois, l’État bénéficie également du fait que ses adversaires de la G4G sont si différents. Le succès de l’un ne profite pas nécessairement à tous; en fait, il peut affaiblir les autres. Si l’un d’eux est en pleine progression, l’État peut se concentrer sur lui tout en mettant les autres de côté.

g4gLIND.jpg

Quelle chance de survie reste-t-il à une culture, lorsque ses propres élites cherchent activement sa destruction?

La menace pour l’État augmenterait si des entités de G4G de différents types commençaient à travailler ensemble. C’est ce que l’article du Times suggère qu’il ait pu arriver à Molenbeek. Si les criminels étaient des opérateurs isolés, rien d’autre que des petits criminels, alors cela ne changera probablement pas beaucoup. Toutefois, s’ils étaient membres de gangs, la situation pourrait être plus grave.

Les gangs sont des entités classiques de la G4G, car ils offrent une grande variété de services, en commençant par la protection, ce qui les met en concurrence directe avec l’État. Ils prospèrent là où ce dernier est trop faible ou corrompu pour exercer ses fonctions, fonctions qui sont reprises par les gangs. Lorsque c’est le cas, la légitimité échappe à l’État pour aller aux gangs.

Si les gangs et d’autres types d’entités de la G4G tels que les djihadistes, commencent à coopérer contre un ennemi commun reconnu, l’État, alors la G4G aura évolué de façon importante. L’État serait moins en mesure de se concentrer sur un type de challenger, parce que d’autres tireraient immédiatement parti du fait d’être oubliés. Des États déjà au bord de la rupture seraient encore plus tendus.

J’insiste, ce n’est peut être pas une alliance entre un gang et des djihadistes qui s’est passée à Molenbeek. Je pense que ce n’est probablement pas le cas, du moins pas encore. Mais tous les Molenbeeks répartis à travers l’Europe sont une boîte de Pétri où la G4G évolue. Cette évolution comprendra des faux départs comme des pas en avant pour la G4G. Il n’y a aucun moyen d’arrêter le processus, sauf en nettoyant le plat.

PS: En Syrie et en Irak, ce qui semblait une étape évolutive importante pour G4G peut s’avérer être un faux départ. Cette étape est le fait qu’EI ait formé un califat, ce qui veut dire prendre un territoire et le tenir. La guerre de cavalerie légère, le seul type de guerre où les Arabes sont bons, est mal adaptée pour tenir un territoire. Et cela a rendu EI plus vulnérable face aux systèmes de distribution de la puissance de feu contrôlée par les armées d’un État. L’incapacité de l’islam pur à gouverner, aliène le peuple placé sous le contrôle d’EI. Il est beaucoup trop tôt pour prétendre qu’EI est éliminé, en particulier en Irak, où l’État et ses forces armées ne sont que mirages. Mais je ne serais pas surpris si, à long terme, des entités de type G4G tentant de remplacer l’État, soient moins efficaces que celles qui préfèrent opérer dans un État failli comme, par exemple, le Hezbollah le fait au Liban.

par William Lind

Illustration aucun Copyright Sans langue de bois

Source Traditional right

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone

Source URL de l'article

dimanche, 08 mai 2016

Islamisme + gangstérisme, une G4G-nouvelle?

G4G-25-4gw.jpg

Islamisme + gangstérisme, une G4G-nouvelle?

Ex: http://www.dedefensa.org

lindU01_AC_UL320_SR200,320_.jpgOn reconnaît souvent William S. Lind lorsqu’il est question de la “Guerre de 4ème Génération” (G4G, ou 4GW en anglais, pour Fourth Génération Warfare). Il en est l’initiateur et le principal commentateur depuis plusieurs années et presque deux décennies. Bien entendu, les évènements, depuis 9/11, lui ont donné une grande et rude matière à explorer. Il semble bien que Lind nous propose une nouvelle avancée conceptuelle, si potentiellement riche de prolongements, voire de bouleversements, qu’il lui faudrait peut-être songer à en faire une nouvelle entité à partir d’un constat éventuel de changement de sa nature.

Dans son dernier article sur TraditionalRight.com, le 2 mai, Lind nous informe qu’il croit avoir distingué une évolution importante de la G4G, notamment selon des témoignages recueillis en Belgique, à partir de ce “laboratoire” de l’islamisme qu’est devenu le quartier fameux de Molenbeek à Bruxelles. (Les témoignages sont notamment rapportés par le New York Times le 12 avril, pour ce qui est des sources de Lind. Mais ils se recoupent avec d’autres publications.)

En gros, il s’agit du constat d’une collision organique, voulue, presque conceptuelle, entre le terrorisme islamique, et le projet islamiste en général, et ce que Lind nomme “les gangs”, c’est-à-dire une certaine catégorie du crime organisé. On a des exemples nombreux de collaboration, voire de collusion entre ces deux domaines, mais il semblait jusqu’alors s’agir d’évènements conjoncturels, utilitaires, des arrangements tactiques, etc. Lind y voit désormais, lui, une appréciation structurelle dégageant un nouveau concept qui lie ces deux domaines, non seulement d’un point de vue tactique mais d’un point de vue stratégique, non seulement pour des raisons d’opportunités utilitaires, mais pour des causes fondamentales, qui pourraient être qualifiées d’idéologiques, voir de “civilisationnelles”.

Les deux premiers paragraphes de son article exposent bien le problème : « Un article du 12 avril dans le New York Times met en évidence une possible évolution de la G4G, évolution qui pourrait rendre extrêmement sérieuse la menace que la G4G constitue pour les États. Sous le titre “Le mentor des djihadistes rassemble le crime et la religion : les ‘Gangsters Islamiques’ de Bruxelles pourrait fournir des recrues [aux djihadistes]”, l’article rapporte l’histoire de Khalid Zerkani, un islamiste radical de Bruxelles qui recruta des jeunes gens pour mener la guerre du djihad aussi bien en Syrie qu’en Europe. Plus gangster qu’érudit islamiste, Zerkani préfère les recrues qui ont un passé criminel.

» Les officiels de la sécurité en Belgique qui connaissent Mr. Zerkani disent qu’il argumentait auprès des jeunes dévoyés que leur passé criminel n’était nullement un obstacle pour la cause islamique, mais au contraire une fondation vitale. Le Times cite Hind Fraihi, expert de Molenbeeck, bastion de l’islamisme à Bruxelles, qui estime que l’islamisme extrémiste s’y est “transmuté ... en une entreprise criminelle conduite par ‘une synergie entre le banditisme et l’Islam’”. »

Les connexions entre gangstérisme (crime organisé) musulman et islamisme sont connues. Une des plus fameuses et très fondatrice de la démarche est le cas  d’Ali La Pointe, proxénète condamné et enfermé à la prison de Barberousse à Alger de 1954 à 1956, et recruté pendant son emprisonnement par le radicalisme du FLN dont on découvre aujourd’hui qu’il était peut-être bien de coloration fortement islamiste et qu’il pourrait même être un inspirateur de Daesh. Ali La pointe devint l’adjoint de Yacef Saadi pour la zone autonome du FLN à Alger, pour lancer la “bataille d’Alger” fin 1956. Depuis, la démarche du gangstérisme vers l’extrémisme islamiste, effectué en prison par des contacts entre détenus de droit commun et détenus islamistes, est devenu un archétype du recrutement des djihadistes (Jacques Audiard en a fait le thème de son film Le Prophète).

Mais ce que découvre et développe Lind autant comme un constat autant que comme une hypothèse beaucoup plus large est ici très différent. Il ne s’agit pas d’une évolution mais d’une coopération proche de la fusion, aucun des deux groupes n’abandonnant complètement son état initial. Pour lui, les témoignages recueillis  (cités plus haut) montrent que la nébuleuse djihad, non seulement peut s’arranger, mais favoriserait l’existence et le développement de structures de crime organisé lui fournissant bien entendu des combattants et d’autres moyens, et entretenant de son côté sa propre puissance qui viendrait renforcer indirectement le courant djihadistes. Au reste, nous ne sommes pas loin de cette formule avec Daesh et son activité de vente des pétroles syrien et irakiens qu’il a récupérés sur son territoire conquis.

Là aussi, Daesh coopère avec des groupes, – intermédiaires ou pas, voire situés au plus sommet de l’État avec le groupe de la famille Erdogan, – qui sont de constitution mafieuse, ou du crime organisé. La différence est dans ce qu’il n’est nullement assuré qu’il y ait collusion idéologico (religieuse)-opérationnelle, comme Lind interprète la chose à partir des confidences de Zerkani et des observations de Frahini. Lind envisage en effet non seulement une coopération, non seulement un développement parallèle, mais aussi une réelle connivence idéologique et religieuse, rendant beaucoup plus solide et durable l’intégration opérationnelle.

Quelle nouveauté apporte ce schéma éventuel ? Pour Lind, la G4G est une guerre menée par des moyens divers, allant du conventionnel-bas à l’asymétrie complet, entre des groupes transnationaux et des États. Dans ces groupes transnationaux, il plaçait aussi bien les djihadistes et que le crime organisé (que d’autres groupes). Jusqu’alors, Lind observait pourtant qu’il n’y avait pas alliance sinon occasionnelle entre ces groupes, et même parfois concurrence. Cette absence d’homogénéité constituait évidemment un avantage pour les États, qui avaient à affronter un adversaire souvent divisé, et même dont ils (les États) pouvaient accentuer la division par diverses interventions. La “G4G nouvelle” inaugurerait une réelle proximité, une coalition profonde entre deux groupes, cela constituant un réel danger pour les États.

« Si les gangs [le crime organisé] et d’autres types d’entité-G4G telles que les djihadistes commencent à coopérer contre un ennemi commun, l’État, alors la G4G pourrait évoluer d’une façon importante. L’État aurait beaucoup moins la possibilité de se concentrer sur un seul type d’adversaire parce que les autres pourraient immédiatement profiter du terrain qui serait libéré pour leur action par l’absence de surveillance. Les États d’ores et déjà très affaiblis le seraient encore plus parfois jusqu’à un point de rupture. La G4G elle-même en viendrait à se réaliser comme a ‘Ding abn sich’ [comme un “être-en-soi”, selon l’expression kantienne]. »

lindxxxxEL._SX311_BO1,204,203,200_.jpgLind estime que ce processus est beaucoup plus dangereux et significatif que celui qui a lieu avec Daesh. Il juge en effet que ce qui se passe avec Daesh doit très vite rencontrer ses propres limites, parce qu’il ne juge pas que les forces de Daesh, qui conquièrent aisément des territoires, sont capables de les conserver longtemps sous leur contrôle. L’émergence de Daesh a été un phénomène spectaculaire mais, selon Lind, il n’est pas promis à durer, les groupe-G4G étant plus formés pour prospérer dans un cadre étatique affaibli que de se constituer eux-mêmes en un cadre de type-étatique : le Hezbollah est ainsi beaucoup plus à l’aide pour durer, ce qu’il montre chaque jour, au sein d’un cadre étatique en faillite permanente, que Daesh dans un cadre étatique qu’il a établi en son nom et dont il assure toute la responsabilité.

Mais si l’on suit la logique de Lind qui ne nous est pas indifférente, surtout selon la ligne djihadiste, on est conduit à des observations d’un point de vue différent qui offrent d’autres perspectives. Il résulte des observations de Lind que ce courant qu’il assimile à une G4G-nouvelle, comme l’espèce d’“insurrection de l’Islam” dans sa forme actuelle comme on représente souvent le djihad en général, n’est pas capable de vraiment se réaliser en tant qu’entité légitime, et même, par des amalgames avec des groupes tels que le crime organisé qui sont par nature déstructurant, perd encore plus d’espoir de légitimation même si l'ensemble acquiert plus de force. Peut-être en arriveraient-ils à se considérer effectivement comme autant de “Ding abn sich”, mais il s’agirait d’“êtres-en-soi” faussaires et invertis, bien dans notre époque, puisqu’ils n’auraient aucune légitimité structurante.

Par contre, bien entendu, il est de fait que leur action accentue le désordre, et même le chaos, et constitue des attaques contre des entités dont la légitimité est extrêmement affaiblies et qui renvoient en général au Système, lui-même déstructurant et sans légitimité. Dans des cas comme la Belgique et la France, si le développement du djihadisme, en plus avec la crime organisé, peut apparaître fort justement comme extrêmement dangereux, il contribue également à accentuer la perte accélérée de crédit d’autorités qui sont depuis longtemps faussaires et usurpatrices, dans le chef des gouvernements en place. Les actions du djihadisme contribuent à créer des crises internes graves, sociales et identitaires, mais ces crises ne font que rendre compte d’une façon pressante et ouverte, sans échappatoire possible, et donc avec profit pour faire réaliser la situation, des malaises formidables qui minent ces sociétés pour des raisons ayant peu de rapport sur le fond avec le djihadisme, et l’essentiel de leur rapport avec la crise du Système et de la postmodernité. De ce point de vue l’aspect déstructurant de ces actions des entités de type djihadistes ou autres dans ce domaine de la “G4G-nouvelle” a par effet indirect paradoxal et vertueux, un effet structurant en mettant à nu l’imposture des structures prétendant au rôle étatique : il accentue dans la population le réflexe antiSystème et la recherche d’un substitut.

Selon nous, il s’agit d’un argument de plus à opposer à la logique du “choc des civilisations” de type religieux qui mène en général la pensée à propos des évènements en cours en opposant des civilisations fondées sur des religions. On le voit d’ailleurs dans les pays musulmans, où le djihadisme tel qu’on le conçoit aujourd’hui (de type sunnite/salafiste) se heurte à des structures étatiques fortes qui sont pourtant d’une même religion dominante, qu’elles soient de directions non-religieuse (Syrie, Égypte) ou religieuse (régime chiite d’Iran). Au reste, on constate bien entendu que les exemples de réussite du courant que Stéphane Courtois nomme “révolutionnaire-islamiste” en général sont liés à des structures étatiques fortes, ou à des liens avec des structures étatiques fortes, comme le montrent les cas de l’Iran et du Hezbollah. (Pour nous, le Hezbollah est mieux caractérisé par ses liens avec l’Iran que par sa situation au sein d'un État devenu fantôme, au Liban.)

La principale résistance au courant djihadiste dans sa phase actuelle, complètement déstructurante, vient des ces mêmes structures étatiques fortes (Syrie, Iran, Russie) ou de ces organisations liées à des structures étatiques fortes (Hezbollah). Au contraire, les limites et l’instabilité de Daesh trouvent leurs racines opérationnelles dans leurs liens et leur “sponsoring” directs et indirects avec des entités elles-mêmes déstructurées et déstabilisées, ou disposant d’une légitimité extrêmement douteuse (Arabie, pays des Golfe, voire Turquie avec son pouvoir psychologiquement déstructuré pour le Moyen-Orient, mais aussi les politiques étrangères des gouvernements déstructurés européens, les diverses agences US autonomes aux dépens d’un pouvoir central délégitimé, etc.).

Tout cela nous conduit, comme on le voit, vers des jugements d’affrontement renvoyant au schéma Système versus antiSystème, qui est une des marques essentielles du bon usage de la G4G, avec des rôles ambigus et évolutifs attribués à différents acteurs dont l’orientation est changeante et instable. La même chose se retrouve effectivement sur le champ de bataille, avec la confusion du chaos dans le déroulement courant des évènements et, lorsque la situation générale est embrassée d’assez haut, la mise en évidence de l’engagement le plus clair et le plus net, et de loin le plus important : la même équation Système versus antiSystème, au travers de la lutte entre les dynamiques déstructurantes et déstabilisantes, et les courants et les situations structurantes.

dedefensa.org

kalach.jpg

Fourth Generation War Evolves

William S. Lind

An article in the April 12 New York Times points to possible evolution in 4GW, evolution that would make the threat it poses to states all the more serious. Titled, “Jihadi Mentor Mingled Crime with Religion: ‘Gangster Islam’ Drew Recruits in Brussels,” the piece tells the story of Khalid Zerkani, a radical Islamic in Brussels who recruited young men to wage jihad both in Syria and in Europe. More gangster than Islamic scholar, Zerkani preferred recruits who had a criminal past:

Belgian security officials and people who know Mr. Zerkani said he had assured Molenbeek’s wayward youth that past criminal convictions were not an obstacle to the Islamic cause, but a vital foundation. The Times quotes an expert on Molenbeek, a heavily Islamic part of Brussels, Hind Fraihi, as saying that Islamic extremism there “has mutated…into a criminal enterprise driven by ‘the synergy between banditism and Islam.'”

From the state’s perspective, one of the challenging aspects of 4GW is that it faces not just multiple opponents, but multiple kinds of opponents, ranging from gang members through people belonging to specific ethnic groups (e.g., Chechens) to religious fanatics. There can be no “one size fits all” answer to the diverse challenges 4GW presents.

However, the state also benefits from the fact that its 4GW opponents are so different. The success of one does not necessarily benefit all; in fact it can weaken others. If one is surging, the state can concentrate against it while putting others on the back burner.

The threat to the state would grow if 4GW entities of different kinds began working together. This is what the Times story suggests could have happened in Molenbeek. If the criminals were lone operators, no more than petty criminals, then it probably does not change much. However, if they were gang members, then the situation could be more serious.

lindyyyyR6mlL.jpgGangs are classic 4GW entities because the provide a wide variety of services, starting with protection, that puts them in direct competition with the state. They thrive where the state is too weak or corrupt to perform its duties, duties the gangs can perform. When that happens, legitimacy flows away from the state and to the gangs.

Should gangs and other types of 4GW entities such as jihadis start cooperating against a recognized common enemy, the state, then 4GW would have evolved in an important way. The state would be less able to focus on one type of challenger because others would immediately take advantage of being neglected. Already thinly-stretched states would be stretched further, sometimes to the breaking point. 4GW would itself in effect become conscious as a Ding an sich.

Again, a gang-jihadi alliance may not have happened in Molenbeek. My guess is that probably it did not, at least not yet. But the many Molenbeeks splashed across Europe are each a Petri dish where 4GW is evolving. That evolution will include both false starts and steps forward for 4GW. There is no way to stop the process except to cleanse the dish. 

PS: In Syria and Iraq, what seemed an important evolutionary step for 4GW may be proving a false start. That step is the move by ISIS to form a caliphate, which is to say to take and hold territory. Light cavalry warfare, the only type of warfare Arabs are good at, is poorly suited to holding ground. Doing so also has made ISIS targetable by the slow-adapting but powerful firepower delivery systems found in state militaries. The inability of pure Islam to govern is alienating the people under ISIS’s control. It is far too soon to write ISIS off, especially in Iraq where the state and its armed forces are both mirages. But I would not be surprised if in the long run 4GW entities which attempt to replace the state are less successful than those which prefer to operate within a hollowed-out state, e.g., Hezbollah.

William S. Lind