vendredi, 18 octobre 2019
La mémoire historique, un enjeu d’influence...
La mémoire historique, un enjeu d’influence...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Robin Terrasse cueilli sur le site de la revue Conflits et consacré aux enjeux politiques de la mémoire et de l'histoire. Consultant et spécialiste en intelligence économique, Robin Terrasse a publié La mémoire assiégée (DMM, 2017).
La mémoire historique est un enjeu d’influence
La mémoire et l’histoire sont des enjeux politiques majeurs, car leur écriture et leur perception sont essentielles pour bâtir des actions politiques. D’où le fait que tous les gouvernements tentent d’écrire l’histoire dans un sens voulu.
L’idéologie mémorielle est un décodeur de la réalité
Un récit est une arme. Il peut expliquer l’origine du monde, fonder la légitimité d’une hiérarchie, ou encore sacraliser la guerre. Les peuples, passés comme présents, ont tous besoin d’un récit mémoriel pour exister : c’est à travers la mémoire historique qu’on leur a inculquée qu’ils intériorisent leur origine, leur légitimité, le sens de leur histoire et donc la signification profonde de leur rapport au monde.
Mais, afin de bien cerner ce qu’est le récit historique, il convient tout d’abord de saisir ce que signifie la « mémoire collective ». Nous savons tous, par exemple, que Jules César a envahi la Gaule, que Jeanne d’Arc a libéré Orléans, ou encore que la France a colonisé l’Algérie. Mais, nous ne savons pas tous que des « empereurs gaulois » ont existé, que Louis XVI a aboli la torture en France, ou encore que des troupes éthiopiennes se sont battues pour le Sultan turc au cœur de l’Europe.
Si certains événements historiques font partie de notre « mémoire collective » alors que d’autres en sont exclus, c’est bien parce que cette mémoire est une construction subjective, et non une présentation neutre du passé. Ainsi, si l’Histoire est constituée d’un ensemble d’événements objectifs, sa mise en récit dans le cadre de la constitution d’une mémoire collective résulte toujours d’un choix partisan.
Georges Bensoussan, dans La concurrence mémorielle, expliquait ainsi que : « L’image que nous nous faisons du passé n’est pas le passé, ni même ce qu’il en reste, mais seulement une trace changeante de jour en jour, une reconstruction qui n’est pas le fruit du hasard, mais relie entre eux des îlots de mémoire surnageant dans l’oubli général ».
Par conséquent, une « offre mémorielle » résulte inévitablement d’un processus de conservation et d’effacement. Ces choix, mis bout à bout, constituent in fine une mémoire officielle qui pourra être par la suite transmise, apprise et assimilée. C’est cette construction de souvenirs communs qui constitue la politique mémorielle, c’est-à-dire « l’art officiel de gouverner la mémoire publique » (Johann Michel, Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France).
C’est pourquoi des offres politiques différentes proposeront chacune une mémoire différente : de la même manière que certains font du lobbying, d’autres « font » de la mémoire. Si ces mémoires sont par trop dissemblables ou opposées, on peut alors assister à de véritables guerres des représentations, dont l’enjeu est de remporter l’adhésion mémorielle et, ainsi, l’influence politique qui en découle. La lutte est à la fois intellectuelle et émotionnelle, car ces « souvenirs » historiques sont assimilés de manière passionnelle par les enfants de chaque société qui les leur propose : la découverte de soi, de son identité, de son « clan » au sein des autres nations, de son rapport à l’autre, est en grande partie déterminée par ce qu’on nous aura transmis comme mémoire historique. L’enjeu majeur de l’influence mémorielle consiste donc à imposer des références communes, qui entraîneront l’assimilation de comportements normés et d’une culture qui pourra être transmise à la fois par les parents et par le groupe auquel on appartient. Ce « décodeur » mental influencera par la suite d’éventuelles visions du monde et, par extension, de futurs choix politiques.
Pourquoi devons-nous redécouvrir l’Histoire de l’Europe ?
Les Européens ont, pour un grand nombre d’entre eux, renoncé à leur volonté de puissance. Volonté dont la seule évocation est parfois appréhendée comme un sulfureux penchant à surveiller avec suspicion. La force étant pensée, en Occident, comme devant être légitime, la crise de la volonté de puissance européenne ne peut se comprendre que comme une crise de la légitimité de ce qu’incarne l’homme européen au sein des nations européennes elles-mêmes.
Or, l’incarnation est affaire de représentations collectives. Afin de déceler ce qui a pu entrainer les peuples européens vers une crise de la légitimité de la puissance, il convient donc de s’interroger sur l’origine du changement radical de nos représentations communes. Représentations qui découlent, comme on l’a vu, en grande partie des mémoires collectives mises à l’œuvre dans nombre de pays européens.
En France, depuis une cinquantaine d’années, les axes de la politique mémorielle et de l’apprentissage de l’Histoire sont principalement orientés vers les événements qui mettent en scène les invasions, colonisations et prédations européennes à l’encontre des autres peuples du monde. C’est ainsi que l’on aborde en abondance, et ceci tout au long de la scolarité, la traite transatlantique, la conquête des Amériques, la colonisation et l’impérialisme européen en Asie et en Afrique, ou encore les idéologies racistes européennes. De même, les institutions médiatiques, le monde du spectacle ou les associations communautaires se font les relais de cette mémoire collective qui présente, encore et toujours, l’Européen comme le bourreau du monde.
À l’inverse, l’histoire des invasions, colonisations et traites contre lesquelles les Européens durent résister au fil des siècles ne sont jamais mise en récit et rapportée à la mémoire publique. Ce déséquilibre mémoriel est constitutif d’une identité tronquée qui prend souche au cœur d’un nombre toujours plus important de citoyens qui, se faisant, intériorisent l’idée que les Européens auraient une dette historique à payer envers les autres nations du monde. Aussi, des termes tels que « patriotisme », « puissance », « souveraineté », « frontières », voire « identité » déclenchent immanquablement chez certains des réflexes mémoriels qui mobilisent des échantillons de « souvenirs » précis.
Les Européens durent se battre pour exister
Bien loin de la mémoire collective que l’on nous assène depuis Mai 68, dans un contexte de décolonisation et de remise en cause de la civilisation occidentale, les Européens ont, en réalité, passé davantage de siècles à se défendre contre les invasions qu’à envahir eux-mêmes. Rappeler cette vérité ne signifie pas nier les crimes qu’ont commis les Européens au cours des siècles, mais chercher à lever le voile sur un pan entier de notre histoire.
C’est le cas premièrement avec les Perses qui, dès ‑546 av. J.-C., conquièrent les Grecs d’Asie Mineure. En ‑492, c’est à la bataille de Marathon que les Athéniens repoussent l’envahisseur. Dix ans plus tard, l’Empire perse tente de reprendre pied sur le continent européen. À la bataille de Salamine, les Grecs coalisés défont les armées de Xerxès. Un « signe européen » est alors né au cours de ces « guerres médiques » : la victoire dans la disproportion du nombre. Souvent, très souvent, les Européens furent inférieurs en nombre face aux immensités démographiques de l’est et du sud. Toutefois, cela ne brisa jamais la combativité européenne.
Ces premiers combats annoncent le début d’une histoire malheureusement méconnue de nos jours en France, mais aussi en Europe : celle de la lutte millénaire des Européens pour la conservation de leurs terres, perpétuellement disputées par des entreprises de conquêtes et de colonisations extra-européennes.
Ainsi, on peut définir la période allant du Ve siècle apr. J.-C., avec l’arrivée des Huns (laissons de côté les invasions perses, puisque leur reflux laissa aux Européens un long répit) jusqu’à la chute de l’Empire ottoman, au XXe siècle, comme une vaste période de colonisation et de décolonisation de l’Europe (ce qui n’empêche nullement la mise en place d’entreprises coloniales de la part de certaines nations européennes).
Si notre mémoire collective a retenu l’invasion de l’Europe par les Huns, qu’en est-il de tous les autres peuples turco-mongols ayant déferlé en Europe depuis le vaste « couloir des steppes » eurasiatique ? Les Avars, qui menèrent des raids incessants dans les terres franques, à la recherche de butins et d’esclaves, qui asservirent les Slaves et écrasèrent les tribus germaniques ; le Khanat des Bulgares, de culture iranienne, qui fit trembler l’Empire byzantin ; les Onogours, les Barsiles, les Tölechs, les Oghuzs, les Bayirkus, les Khazars, autant de nomades turco-mongols oubliés qui se sont successivement déversés en Europe, apportant leur lot de mort et de désolation.
Au XIIe siècle, se sont les Mongols qui détruirent la puissance russe, géorgienne et hongroise. Ces cavaliers des steppes réduisent près d’un million de Russes en esclavage. Par la suite, ce sont les Tatars et les Ottomans qui exercèrent une traite esclavagiste continue à l’encontre des populations d’Europe de l’Est et du Sud-est.
Les Turcs (seldjoukides puis ottomans) avaient, dès le XIe siècle, redonné souffle à la conquête arabo-musulmane, entamée quatre-cents ans plus tôt à l’encontre des terres européennes. Malgré une tentative des Européens pour contenir l’invasion, entre 1058 et 1291, l’effondrement des royaumes latins d’Orient entraîne la reprise de la colonisation de l’Empire byzantin par les Ottomans. La chute de Constantinople, en 1453, entraine la colonisation d’un tiers de l’Europe par les Turcs. Ce n’est qu’avec la bataille de Vienne de 1683, où les Ottomans sont mis en déroute par la cavalerie polonaise du roi Jean Sobieski, alors qu’ils faisaient depuis deux mois le siège de la capitale de l’empire des Habsbourg, que le rapport de force se retourne petit à petit contre les Turcs, jusqu’à l’effondrement de l’Empire ottoman, en 1923.
La mémoire au service de l’idéologie
Au sortir de la première moitié du XXe siècle, les grandes idéologies modernes sont ébranlées : les nationalismes, les totalitarismes et les impérialismes raciaux du XIXe siècle, de la Première puis de la Seconde Guerre mondiale ont mis à mal les trois grands avatars idéologiques modernes qu’ont été la Nation (le nationalisme), la Race (le racisme) et la Science (le socialisme). Ces périodes avaient été marquées par l’idéal de « l’homme nouveau », que ce dernier advienne, selon les cas, par la redécouverte ou l’affirmation de son caractère national, par sa primauté raciale, ou encore par son appartenance au Parti. À travers ce nouveau citoyen absolu, détaché de toute attache personnelle, c’est l’incarnation d’un État tout puissant et omniprésent qui était alors appréhendé comme le fer de lance du progrès et de la « marche de l’Histoire ».
Or, à partir des années 1970, ce citoyen absolu écœure. De nouvelles pistes pour l’accomplissement de la « modernité » sont défendues dans l’espace public. Émerge alors l’idéal de l’homme global, post-national et d’essence nomade qui, après les errements dramatiques des 150 dernières années, viendrait « sauver » la vieille Europe, épuisée d’exister. Dans cette logique, l’émergence de ce nouvel homme mondialisé adviendrait par « l’ouverture », la « tolérance », ou encore le « vivre ensemble », autant de notions floues qui, petit à petit, désarment le pays de ses défenses frontalières, culturelles et sécuritaires.
De la même façon que pour les religions, les idéologies modernes mobilisent l’intellect, l’émotion et l’appétit humain pour la transcendance. Tout but politique doit contenter ces trois aspects de l’être humain. Et, comme on l’a vu précédemment, toute entreprise de légitimation nécessite l’émergence d’un récit. C’est ainsi que commencèrent à être spécifiquement mises en avant les prédations européennes à l’encontre des autres peuples, et ceci en faisant fi de toute nuance, qui devrait logiquement pousser à présenter l’histoire de l’ensemble des invasions qui ont concerné les Européens, y compris celles où ils durent se défendre. La mémoire historique dans laquelle nous continuons d’évoluer de nos jours était née, celle d’une repentance perpétuelle des peuples européens, sommée de racheter leur « dette » à l’égard du reste du monde et de s’ouvrir à ce dernier pour exorciser les démons de ses anciens crimes.
En définitive, aucun renouveau de la puissance européenne ne pourra advenir sans une refonte totale de la vision que nous avons de nous-mêmes. Cette révolution des représentations ne pourra être victorieuse que si nous levons enfin le siège qui est fait à notre mémoire collective. Il est plus que temps pour les Européens de redécouvrir leur Histoire.
Robin Terrasse (Conflits, 2 octobre 2019)
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samedi, 15 février 2014
B(r)its debat over Eerste Wereldoorlog
B(r)its debat over Eerste Wereldoorlog
Over de Eerste Wereldoorlog wordt duchtig gediscuteerd. In Duitsland door historici en in Groot-Brittannië zelfs door politici. Maar in het laatste geval niet altijd zoals het gentlemen betaamt.
Ex: http://www.doorbraak.be
Volgens de Australische historicus Christopher Clark dragen alle Europese mogendheden hun deel van de schuld aan het uitbreken van de Eerste Wereldoorlog. Enkele jonge Duitse historici sluiten zich daarbij aan en menen dat de these van de ‘Alleinschuld’ van het Duitse keizerrijk ertoe diende om Duitsland met een schuldgevoel op te zadelen en als het ware te temmen binnen Europa. Sommige van hun eerder linkse collega’s houden vast aan die these uit vrees voor een Duitse macht die niet ingesnoerd zou zijn. In dat debat kruisen de Duitse historici de degens op een beschaafde manier. Heel wat heviger gaat er het in Groot-Brittannië aan toe.
Zelfbeeld
De Britten zijn opgegroeid met de idee dat hun land in naam van de democratie en de vrijheid een rechtvaardige oorlog voerde tegen een Duitse agressor. Als nu zou blijken dat ook hun toenmalige regering bijgedragen heeft tot de escalatie van een locaal conflict tot een wereldbrand, kon hun zelfbeeld wel eens enorme schade oplopen. Tenminste, dat geloven Britse politici van conservatieve signatuur. In The Daily Mail verdedigt Michael Gove, Tory minister van Onderwijs, de deelname van Groot-Brittannië aan de Eerste Wereldoorlog als het voeren van een ‘just war’ (rechtvaardige oorlog) tegen een Duitsland dat er expansionistische oorlogsdoeleinden op nahield en de regels van de internationale orde met de voeten trad (bedoeld is de schending van de Belgische neutraliteit). Gove hecht veel waarde aan de studie van de geschiedenis. Ze dient er ook toe om ‘het verleden van ons land en zijn plaats in de wereld’ beter te begrijpen. Er zouden nogal wat gelijkenissen zijn tussen de wereld van 1914 en die van 2014: ‘Because the challenges we face today – great power rivalry, migrant populations on the move, rapid social upheaval, growing global economic interdependence, massive technological change and fragile confidence in political elites – are all challenges our forebears faced.’ (‘Want de uitdagingen waarmee we vandaag geconfronteerd worden – rivaliteit tussen de grootmachten, migratiestromen, toenemende globale economische interdependentie, massieve technologische veranderingen en broos vertrouwen in politieke elites – het zijn allemaal uitdagingen waar onze voorouders tegenaan keken’).
Democratie
De Britse soldaten waren volgens Gove ten strijde getrokken omdat ze geloofden in de ‘Westerse liberale orde’. Gove kant zich tegen televisiedrama’s zoals Blackadder die de oorlog voorstellen als een reeks van catastrofale beslissingen die door een wereldvreemde elite werden genomen. Evenmin genade vinden in zijn ogen ‘linkse academici’ die zulke mythes voeden. De Britse onderwijsminister heeft het daarbij gemunt op een historicus als Richard Evans (Oxford) volgens wie de oorlogsvrijwilligers van toen zich vergisten als ze dachten voor de vrijheid te vechten. Evans vraagt zich hoe je het argument kan hard maken dat Groot-Brittannië voor de democratie vocht als zijn belangrijkste bondgenoot Rusland, het despotische tsarenrijk, was? Bovendien kende het Duitse keizerrijk het algemene stemrecht voor mannen, terwijl 40% van de Britse soldaten die in de modder van de loopgraven ploeterden dat recht niet eens konden uitoefenen.
Het offer van Vlaanderen
Heeft de Britse linkerzijde lesjes te leren van de Conservatives over ‘the virtues of patriotism, honour and courage’ (‘de deugden van patriottisme, eer en moed’)? Tristam Hunt meent van niet. Deze politicus van het linkse Labour fungeert als shadow education secretary (‘schaduwminister van onderwijs’, de tegenhanger bij de oppositie van een ministerieel ambt). Hij wijst erop dat de Britse vakbonden bij het uitbreken van de Eerste Wereldoorlog opriepen ‘to fight Prussianism’ (‘om het Pruisische militarisme te bestrijden’). 250 000 vakbondsleden gaven gehoor aan deze oproep en meldden zich vrijwillig voor het front. Hunt neemt links in bescherming tegen het verwijt als zou het niet vaderlandslievend zijn. Tegelijk weert hij zich tegen de aanklacht als zou het relativisme dat schuilt in de stelling dat alle oorlogvoerende partijen schuldig zijn, verraad betekenen van ‘the sacrifice of Flanders’ (‘het offer dat de soldaten in Vlaanderen brachten’). Hunt verwerpt de ‘these van de Alleinschuld’ van Duitsland. De Duitse historicus Fritz Fischer verdedigde haar in de jaren ’60 en ook zijn Britse collega Max Hastings doet dat. Maar Tristam Hunt gelooft met Christopher Clark dat andere naties even imperialistisch waren als Duitsland en dat het geen zin heeft om een van hen de zwarte peter toe te schuiven. Even dwaas is het om – zoals Gove doet – ‘1918’ te willen afschilderen als ‘simplistic nationalistic triumph’ (‘een simplistische nationalistische triomf’) gezien de dood van 15 miljoen mensen in de Eerste Wereldoorlog. De politici van toen hebben volgens Hunt daaruit geen lering getrokken, de Tweede Wereldoorlog bewijst het.
Herrie
Boris Johnson is historicus en burgemeester van Londen. Hij is naar eigen zeggen conservatief geworden omdat hij de manier haat waarop ‘Lefties always seemed to be trying to cover up embarrassing facts about human nature’ (‘… linkse mensen altijd leken te proberen om vervelende feiten over de menselijke aard te verdoezelen’). In The Telegraph reageert hij vlijmscherp op Tristam Hunt. Voor hem staat het buiten kijf dat het Duitse imperialisme schuld is aan de Eerste Wereldoorlog. ‘Why was it necessary to follow up some rumpus in Sarajevo by invading France, for heaven’s sake?’, vraagt Johnson zich af (‘Waarom was het in Godsnaam nodig om te reageren op wat herrie in Sarajevo met een invasie van Frankrijk?’). Als een politicus niet gelooft in de Duitse ‘Alleinschuld’, zou hij maar moeten opstappen.
Paradoxaal
Ook de genoemde Britse historici hebben inmiddels gereageerd op de woordenstrijd tussen de politici. Richard Evans vindt dat minister Gove zich moet schamen voor zijn ‘hatelijke opmerkingen’ in een tijd waarin ‘nationale bezinning’ vereist is en Max Hastings vraagt zich af of Hunt zijn boeken wel gelezen heeft. De toon van het debat in Groot-Brittannië is ietwat ruwer dan in Duitsland. Paradoxaal is ook dat de these van de Duitse ‘Alleinschuld’ in Groot-Brittannië door rechts en in Duitsland door links wordt verdedigd. Brits rechts doet dat om de natie te eren, Duits links om de natie te overwinnen.
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samedi, 09 mai 2009
Une philippique contre les assassins de l'histoire
SYNERGIES EUROPÉENNES - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Juillet 1988
Une philippique contre les "assassins de l'histoire"
Un rapport de Luc Nannens
Le débat ouest-allemand récent, baptisé "querelle des historiens", a fait la une de tous les quotidiens et hebdomadaires de RFA. Il y a d'un côté, ceux qui veulent accentuer encore la culpabilité allemande, ressasser sans cesse les my-thèmes culpabilisateurs, les ériger au rang de vérités historiques intangibles. Leur méthode: l'anathème et l'injure. Cet exercice n'a pas plu à quelques historiens célèbres dans le monde entier, porte-paroles de leurs confrères: Ernst Nolte, Andreas Hillgruber et Michael Stürmer. Peu suspects de sympathies à l'endroit du nazisme, ils ont for-mé le camp adverse des nouveaux inquisiteurs, ceux qui s'auto-proclament "anti-fascistes". Ils n'ont pas accep-té la nou-velle mise au pas, le galvaudage éhonté de leur discipline déjà si malmenée par l'idéologie ambiante, cel-le de la grande lessive des mémoires. Rolf Kosiek nous a dressé un bilan clair de cette affaire qui annonce une pro--chai-ne grande révolte des mémoires contre les escrocs idéologiques, les nouveaux prêtres hurleurs qui veulent do-mes-ti-quer, asservir et détruire l'indépendance d'esprit et la sérénité européennes, la vieille et pondérée éthique de Thucydide. Son bilan porte le titre de
Rolf Kosiek, "Historikerstreit und Geschichtsrevision", Grabert-Verlag, Tübingen, 1987.
La querelle des historiens, écrit Rolf Kosiek, est révélatrice de l'absence de liberté que subissaient les historiens dans les décennies écoulées mais, point positif, elle indique aussi que les choses sont en train de bouger et que les scien-ces historiques vont enfin pouvoir entrer dans une époque "normalisée" et se dégager des carcans officiels. Les historiens agressés, jadis, entraient automatiquement dans un purgatoire et sombraient dans un oubli catastro-phique, résultat de la cons-piration du silence. Désormais, ils se rebiffent et font face. Apparaissent dès lors les pre--mières fissures dans l'édifice érigé artificiellement pour les besoins a posteriori de la cause alliée, même si des mas-ses d'archives sont encore inaccessibles et si des rumeurs courent qui disent que les documents entreposés à Lon-dres sont délibérément falsifiés, de façon à ne pas porter ombrage au Royaume-Uni quand ils seront enfin à la disposition des historiens.
L'Allemagne de l'Ouest a connu cinq cas de mise au pas d'historiens actifs dans l'enseignement: l'affaire du Prof. Dr. Peter R. Hofstätter en 1963, l'affaire Stielau (qui contestait l'authenticité du Journal d'Anne Frank) en 1959, l'af-faire Walendy en 1965, l'affaire Diwald en 1978 (deux pages jugées litigieuses dans un livre de 764 pages, ven-du à des centaines de milliers d'exemplaires!), l'affaire Stäglich où l'accusé s'est vu non seulement condamné mais dépouillé de son titre de docteur en droit en vertu d'une loi imposée sous Hitler en 1939! Si toutes ces af-fai-res concernaient des mises en doute directes de la façon dont l'idéologie dominante présente les rapports tragiques en-tre Allemands et Juifs pendant la parenthèse hitlérienne, la querelle actuelle ne se base pas du tout sur des argu-ments relatifs à cette douloureuse question. D'où Kosiek distingue deux types de révisionnisme historique: le ré-vi-sionnisme proprement dit, vivace dans la sphère anglo-saxonne et porté par des célébrités comme B.H. Liddell-Hart, P.H. Nicoll, C.C. Transill, H.E. Barnes, qui, tous, nient la culpabilité exclusive de l'Allemagne dans le dé-clenchement de la seconde guerre mondiale. Nier l'exclusivité de la culpabilité, ce n'est pas nier toute culpabilité mais cette nuance, qu'acceptera tout esprit doté de bon sens, est déjà sacrilège pour les néo-inquisiteurs. Ensuite, un révisionnisme plus marginal, et surtout plus spécialisé, qui n'aborde que les questions propres aux rapports ger-mano-juifs.
Une volonté populaire diffuse de retour à l'histoire et de réappropriation d'identité
Une sourde hostilité couvait depuis une bonne décennie contre l'arrogance inquisitoriale: en 1976, le Président de la RFA, Walter Scheel, avait déclaré en public, devant un congrès d'historiens, que l'Allemagne de l'Ouest ne pou-vait nullement devenir un pays purgé de toute histoire. En 1977, les historiens hessois protestèrent vivement con--tre le projet du Ministère de leur Land visant à supprimer purement et simplement la matière histoire dans les Gym-nasium. L'exposition consacrée aux Staufer à Stuttgart en 1977 permet à plusieurs hommes politiques en vue de réitérer leur volonté de sauver l'histoire des griffes de ceux qui veulent systématiquement l'éradiquer. A par-tir de 1980, on assiste à une véritable offensive de retour à l'histoire et à une volonté très nette de se reconstituer une identité qui avait été provisoirement occultée; l'exposition sur la Prusse à Berlin en 1981 a montré que les mi-lieux de gauche, eux aussi, souhaitaient renouer avec l'histoire de leur pays (cf. Alain de Benoist, Gérard Nances & Robert Steuckers, "Idée prussienne, destin allemand", in Nouvelle Ecole, n°37, 1982).
Les historiens, bénéficiant de cet engouement populaire pour l'identité nationale, vont s'enhardir et amorcer un processus d'émancipation. Helmut Rumpf, juriste et politologue de notoriété internationale, disciple de Carl Schmitt, rappelle, dans un article de la prestigieuse revue Der Staat (Berlin) un ouvrage capital de 1961, assassi-né par la conspiration du silence: Der erzwungene Krieg (= la guerre forcée) de l'Américain David L. Hoggan. Ce li-vre, épais de 936 pa-ges, démontrait la culpabilité britannique, notamment celle de Lord Halifax, sur base de do-cu--ments polonais, ja-mais étudiés à l'Ouest (sur Hoggan, cf. Orientations n°6). La légende de l'incendie du Reichs-tag par les nazis fut, dans la foulée, réfutée par l'historien Fritz Tobias, membre de la SPD; Tobias avait en-tamé son enquête dès 1959 mais les inquisiteurs avaient jugé que sa thèse était "inopportune sur le plan de la pé-dagogie populaire" (!?). Il fal-lut attendre 1986 pour qu'elle soit admise, sans pour autant être diffusée. L'his-to-rien suisse-alémanique Wolf-gang Hänel put démontrer que les affirmations de Hermann Rauschning, consignées dans le fameux Hitler m'a dit, sont absolument fausses pour la simple raison que l'auteur n'a jamais rencontré Hit-ler plus de quatre fois et, en ces occasions, n'était pas seul. Le Prof. Alfred Schickel, directeur de l'Institut d'His-toire Contemporaine d'In-gol-stadt, put prouver que les officiers polonais prisonniers en Allemagne organi-saient des "universités de camp". Ce fait, incompatible avec l'image qu'on s'est fait des relations germano-polo-nai-ses, fut d'abord nié par les historiens officiels, jusqu'au jour où plusieurs of-fi-ciers polonais sont venus person-nel-le-ment témoigner, preuves à l'appui!
Nolte contre Habermas: la "querelle des historiens" commence!
C'est avec un tel arrière-plan qu'a commencé la "querelle des historiens" proprement dite, en 1986. Ernst Nolte, cé-lèbre sur le plan international pour ses études sur l'origine des fascismes, a déclenché la polémique en écrivant, en substance, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), le 6 juin 1986, que l'"asiatisme" national-socia-lis-te, exprimé par la terreur policière, les camps et les massacres, n'est pas unique ni originelle mais a été précédée par l'"asiatisme" bolchévique. L'approche de Nolte était dans la droite ligne de ses options libérales: il ne niait pas les massacres et les crimes nationaux-socialistes mais refusait, par souci éthique, de justifier les massacres subis par ses compatriotes par les massacres qu'ils auraient commis ou non. Cette volonté de relativiser les faits, de les restituer à leur juste mesure et de les dépouiller de tous adstrats passionnels, constitue une démarche scien-tifique et objective, telle que tout historien sérieux se doit de poser. Les professionnels du culpabilisme ont ré-agi im-médiatement, d'abord par des lettres de lecteurs à la FAZ, reprochant à Nolte de minimiser, par compa-raison avec la terreur stalinienne, les actes du régime nazi. Wolfgang Schuller, professeur d'histoire à Constance, fut le pre-mier à prendre parti pour Nolte, en écrivant: "Si l'on n'est plus autorisé qu'à écrire des choses négatives (à l'en-droit de l'histoire allemande de ce siècle, ndlr), si plus aucun lien causal, plus aucune causalité ne peut plus être évoqués, alors nous avons une sorte d'historiographie courtisane inversée".
Jürgen Habermas, qui n'en rate pas une, saisira l'occasion pour se donner de la publicité, en mitonnant un article far-ci de vitupérations et de fulminations hautes en couleur, en traînant Nolte dans la boue, avec trois autres de ses col-lè-gues, Andreas Hillgruber, Klaus Hildebrand et Michael Stürmer. Pariant sur l'ignorance des masses, sachant que les médias conformistes lui donneront une publicité imméritée, Habermas recourt sans vergogne à l'injure, au tron--quage des citations et au langage propagandiste, sans pour autant éviter les contradictions: ainsi, il reproche à Stürmer de fabriquer une "philosophie otanesque" (Natophilosophie), assortie de "tamtam géopoliticien", propre à une "idéologie du milieu" (Ideologie der Mitte) qui met en danger les liens de l'Allemagne avec l'Ouest, matri-ce des sacro-saintes "Lumières"! La réponse moqueuse des agressés n'a pas tardé: se posant comme leur avocat, Gün-ter Zehm se gausse du philosophe-sociologue libéral-gauchiste en faisant appel à ses propres théories; en ef-fet, Habermas, voulant ancrer sa démarche dans l'héritage rationaliste, hégélien et marxiste, a toujours opté pour les faits objectifs contre les travestissements métaphysiques, les engouements romantiques, les mythes mobilisa-teurs de type sorélo-fasciste ou völkisch-hitlérien; dans la querelle des historiens, toutes ses belles intentions, il les jette par-dessus bord, comme des ordures de cuisine par-dessus le bastingage d'un paquebot transatlantique: con-tre les faits mis en exergue par les historiens, le grand prêtre de la sociologie francfortiste évoque, trémolos feints dans la voix, la "malédic-tion éternelle" qui pèse sur le peuple allemand (et qu'il s'agit de ne pas égratigner) et la "faute incomparable" que les générations post-hitlériennes, faites de bons gros touristes roses et gourmands, doi-vent continuer à traîner com-me un boulet de forçat.
L'hystérie habermassienne contre la science historique
Ces gamineries hystériques n'ont pourtant été que le hors-d'œuvre, les zakouskis du maître-queue Habermas. Rudolf Augstein, rédac'chef du Spiegel, prend le relais avec le gros sel: Hillgruber, selon le brave homme, nierait Ausch-witz et serait "un nazi constitutionnel". Janßen et Sontheimer, autres para-habermassiens, écrivent, sans ri-re et avec quelques circonlocutions, que les résultats de toute enquête historique doivent correspondre à des critères de "pé-dagogie populaire" et renforcer la "conscience Aufklärung". Tout autre résultat est malvenu et doit donc être tu, occulté, dénoncé. Le nazisme est unique, sin-gulier et au-dessus de toute comparaison, avancent Kocka, Bra-cher et Winkler, impavides devant le ridicule, puisque toute science his-to-rique est par définition comparative, comme le sait tout étudiant de première année. Winkler, qui avait bâti jadis quelques belles théories sur la parti-cu-la-rité allemande par rapport à l'Ouest, estime brusquement que le nazisme ne peut être comparé avec l'URSS stali-nien-ne ou le Cambodge de Pol Pot, terres asiatiques, mais exclusivement avec l'Ouest et ses normes puisque l'Al-lemagne est un morceau d'Occident. Après ces raisonnements spécieux: coucou! Qui réapparaît donc comme un dia-blo-tin d'une boîte? Habermas! L'hom-me prend des poses de Iavhé biblique et en imite le courroux: la faute des Al-lemands se transmettra de gé-né-rations en gé-né-ra-tions ad infinitum (cf. Die Zeit, 7-XI-'86). On ne voit plus où est l'histoire. On voit au con-trai-re comment se modernisent les anathèmes théologiques.
Ces excès ont eu pour résultat de mobiliser une phalange d'historiens agacés parmi lesquels Joachim Fest, qui, en défendant Nolte, s'insurge contre les simplismes ânonnés à propos du national-socialisme par les adeptes des Lu-mières qui, derrière un discours rationaliste-utopique sur la liberté, asseyent sans scrupules leur propre mandari-nat. Thomas Nipperdey attaque directement la méthode de Habermas: le passé y est dénoncé, puis, au nom du principe tout-puissant de l'émancipation, politisé et moralisé, mieux, hyper-moralisé; de cette manière seulement, la voie est libre pour le monopole futur des utopies, des "constructions" artificielles, détachées de toute continui-té historique. Un passé moralisé détruit ipso facto l'histoire réelle, pour installer des schémas désincarnés dans lesquels les peuples ne retrouvent pas leurs aspirations. C'est pourquoi il faut historiciser le national-socialisme, afin de ne pas renoncer au réel et de ne pas confisquer aux Allemands le droit de construire une démocratie con-forme aux rythmes de leur histoire. Pour le bien de la science, on ne peut interdire aux chercheurs de s'interroger et de solliciter témoignages et documents. Nolte renchérit: il faut éviter que ne s'installe une situation où le passé national-socialiste est érigé en un mythe négatif, indicateur du mal absolu, qui empêche toute révision pertinente et s'avère ennemi de la science.
Hildebrand rejette les arguments passionnels de Habermas en démontrant que les thèses que ce dernier incrimine ne sont nullement neuves mais ont déjà été débattues en Allemagne et à l'étranger depuis longtemps. L'assassinat des Juifs, écrit-il dans Die Welt (22-XI-'86), est sans doute "singulier" dans une perspective universelle mais de-meu-re néanmoins inscrit dans une chaîne d'événements tout aussi tragiques de notre siècle; cet événement "géno-cidaire" a eu des précédants et des imitations: le génocide des Arméniens, la liquidation de millions de paysans pro-priétaires russes, les koulaks, l'élimination et les déportations de peuples entiers sous le joug de Staline, les ex-terminations du "communisme paléolithique" cambodgien. Procéder à une comparaison entre ces horreurs his-to-riques est légitime pour l'historien, dont la tâche est d'en dégager les constantes et d'en comprendre les moti-vations, aussi répréhensibles soient-elles sur le plan moral. Spécialiste des crimes perpétrés contre les Alle-mands au cours des expulsions de 1945-46, l'historien américain Alfred de Zayas, en prenant position dans Die Welt (13-XII-'86), explique que le processus de "démythologisation" du nazisme est en cours aux Etats-Unis et en Angle-ter-re depuis longtemps et exhorte les Allemands à s'intéresser à ces travaux en dépit des hurlements du mandarinat établi; selon de Zayas, la thèse de l'"unicité" de la faute nazie est inepte et les Allemands ne doivent pas se laisser hypnotiser ou paralyser par Auschwitz, car, pendant la seconde guerre mondiale, il n'y a pas eu de "monopole de la souffrance".
Les cinq questions-clefs du débat
Au-delà de la polémique, Kosiek dégage les principaux points de discorde entre les historiens: 1) La démarche de révision est-elle ou non la norme de la scientificité historique?; 2) Le IIIème Reich revêt-il un caractère d'unicité?; 3) L'époque du IIIème Reich doit-elle être historicisée, c'est-à-dire doit-elle être soumise aux mêmes critères d'investigation historiques que n'importe quelle autre segment de l'histoire?; 4) Le problème du calcul du nombre de victimes doit-il être abordé?; 5) Convient-il ou ne convient-il pas d'étendre la notion de "faute collective" aux gé-né-rations post-hitlériennes et, si oui, jusqu'à quelle génération? Au-delà de ces cinq questions d'ordre éthique et philosophique, qui ne sont pas du ressort direct de l'historien mais concernent immédiatement sa liberté de travail, l'histoire contemporaine, si elle veut quitter certaines impasses, doit aborder des terrains laissés jusqu'ici en jachè-re, terrains inexplorés à cause de la terreur intellectuelle exercée par le mandarinat. Seules des réponses allant dans un sens résolument non-habermassien aux cinq questions ci-dessus, permettront aux historiens d'aborder des do-mai-nes inexplorés (ou explorés seulement dans une marginalité éditoriale non médiatisée), comme, par exemple, les extermina-tions staliniennes et leurs incidences sur l'histoire de l'Europe orientale, la question de savoir si la guer-re déclenchée par Hitler contre l'URSS a été préventive ou non, les problèmes de l'expulsion des Allemands de Silésie, de Poméranie, de Prusse orientale et du Territoire des Sudètes. Une demande générale se fait jour qui com-prend l'é-tude historique et scientifique de ces événements, un débat public, franc et ouvert, sur ces questions. Y répondre clairement, sans a priori idéologique, avec sérénité, signifierait que l'histoire n'est pas une science mor-te. Ne pas y répondre, persister dans l'occultation de pans entiers de l'histoire européenne, signifierait au con-trai-re que l'his-toire est morte, et avec elle la liberté, et que se sont réalisées les pires appréhensions d'Orwell con-cernant la ma-ni-pu-lation du passé dans des buts de ma-ni--pulation politique. Un habermassien sincère, soucieux de transparence, de dialogue et de publicité, hostile aux mé-canismes mis en scène par l'imagination romanesque d'Or-well dans 1984, devra nécessairement prendre la parti des Nolte, Hildebrand, Stürmer, etc., malgré les déra-pa-ges, divagations et éruc-ta-tions récentes de son maître-à-penser.
Dix conclusions
Quelles conclusions tirer de tout cela? Pour Kosiek, il convient de dégager dix leçons de cet événement:
1) Pour la première fois, toute une brochette d'historiens établis réclame une révision des schémas historiques et un abandon franc des simplismes en vogue.
2) Le scandale déclenché par Habermas a montré l'inanité intellectuelle des dits schémas et induit bon nombre d'historiens à relire les livres oubliés de certains "révisionnistes" anglo-saxons, dont Hoggan. Une modification ad hoc des manuels scolaires devrait suivre...
3) Le scandale doit nécessairement déboucher sur une liberté de recherche et il doit être accordé aux historiens le plein droit au débat pour toutes questions. Les peines prévues par le code pénal pour ceux qui enfreindraient le prêt-à-penser doivent être abrogées, au nom de la liberté de recherche.
4) Le processus d'historicisation du national-socialisme est enclenché, volens nolens. La chape de moralisme stérilisant s'effrite pour faire place à une histoire objective.
5) Le délicat problème du calcul arithmétique des victimes fait une entrée discrète sur la scène universitaire.
6) Des domaines délaissés de l'histoire (cf. supra) vont enfin être abordés et des angles d'approche négligés, comme la géopolitique, sont en passe d'être réhabilités.
7) Grâce à la querelle des historiens, les camps se sont formés et les clivages clarifiés. Le refus des méthodes anti-scien-ti-fiques s'est étoffé.
8) Le débat s'est déroulé dans les grands journaux, ce qui a permis à de larges strates de la population de prendre acte des enjeux.
9) Les historiens attaqués sauvagement par les inquisiteurs n'ont rien à voir avec la mouvance dite "néo-nazie" et n'appartiennent même pas à un secteur ou l'autre du clan nationaliste ou conservateur. Preuve que les inquisiteurs ne respectent aucune nuance et n'hésitent pas à utiliser la stratégie inféconde de l'amalgame.
10) Ces historiens modérés, auxquels aucune insulte et bassesse n'ont été épargnées, devront désormais faire montre de solidarité à l'égard de collègues moins en vue et en proie aux attaques des nervis inquisitoriaux habituels; ils ne pourront plus honnêtement se satisfaire de la politique de l'autruche.
Luc NANNENS.
Littérature complémentaire:
Hans-Christof KRAUS, "Wissenschaft gegen Vergangenheitsbewältigung. Eine Bilanz des Historikerstreits", in Criticón, nr. 99, Januar-Februar 1987.
Criticón, numéro 104, consacré à la "querelle des historiens". Textes de H.-Chr. KRAUS, Dietrich AIGNER, Alfred de ZAYAS et Armin MOHLER (où le célèbre explorateur de la "Konservative Revolution" démontre que Nolte, avant les incidents de l'automne 1986, avait "cimenté" quelques simplismes et fétiches historiques).
Pour toute commande, écrire à: Criticón-Verlag, Knöbelstraße 36/0, D-8000 München 22. Tel.: (089)29.98.85.
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jeudi, 05 mars 2009
Guerre d'Espagne: mémoire historique ou mémoire hystérique?
Guerre d'Espagne : mémoire historique ou mémoire hystérique ?
Présenté sous un tel titre, l’article de Arnaud Imatz ne cache rien de son objet. On voit immédiatement où l’auteur veut en venir et c’est probablement une des raisons pour lesquelles la « Nouvelle Revue d’Histoire », dirigée par Dominique Venner, l’a publié.
Cette publication bimestrielle, taxée par la vulgate médiatique de non-conformisme au sens du politiquement correct historique, a déjà presque sept ans d’âge et recueille des signatures prestigieuses, plumes de marque, historiens et chercheurs de talent.
Dans la dernière livraison, Arnaud Imatz revient sur la toujours très controversée Guerre civile espagnole de 1936-1939, dont les plaies sont rouvertes périodiquement, et il nous fait découvrir comment les politiques de gauche espagnols se sont emparés de l’histoire, très exactement comme nos politiques, hélas de toute tendance à de rares exceptions près, l’ont si bien fait en France en 1990 avec la loi Gayssot. Les Espagnols se trouvent donc, eux aussi, affublés d’une loi outrageusement partisane dont on ne sera pas étonné de lire qu’elle trouve son origine dans une proposition du Parti communiste. Cette loi de « Mémoire historique » a été adoptée par les députés espagnols le 26 décembre 2007. Le lecteur ne sera pas surpris de trouver au détour de cette loi le célèbre juge Garzon, connu même sur le plan international puisqu’il a été l’initiateur du mandat d’arrêt lancé contre le général Pinochet : ce juge se consacre à corps perdu à la recherche des « criminels du camp national ». Enfin, là aussi, on assiste à une bataille de chiffres des victimes, décidément pomme de discorde éternelle et arme suprême de la propagande idéologique.
Cet article historico-politique est passionnant et il montre qu’en Espagne, tout comme dans une grande partie des pays appartenant à l’Union européenne, l’histoire est aujourd’hui confisquée par le pouvoir politique relayé par la justice, et donne lieu à l’intauration de « lois mémorielles » et à la judiciarisation du fait historique.
Polémia
Tous les historiens reconnaissent l’impressionnant développement économique et social de l’Espagne après la mort de Franco. Tous admirent l’exemple de transition démocratique pacifique et tolérante donné au monde par le peuple espagnol. Bien sûr, selon leurs convictions, les analystes s’affrontent : certains considèrent que ce processus s’étend de 1966 à 2004, d’autres soulignent l’importance de l’approbation de la Constitution de 1978, d’autres encore mettent en valeur l’arrivée au pouvoir de Felipe Gonzalez et du PSOE (1982), d’autres enfin insistent sur le retour de la droite de José Manuel Aznar (1996), mais tous reconnaissent la formidable et spectaculaire transformation du pays. Pendant près de trois décennies, deux principes ont animé « l’esprit de la transition » : le pardon réciproque et la concertation entre gouvernement et opposition. Il ne s’agissait pas d’oublier le passé (la conscience de l’histoire est au contraire une des conditions pour éviter de répéter les erreurs), mais de le surmonter, de regarder résolument vers l’avenir. On aurait pu penser qu’au fil des ans le calme et la sérénité se seraient imposés, que soixante dix ans après la fin de la Guerre civile les historiens se seraient adonnés enfin librement aux plaisirs tranquilles du champ de leur connaissance, mais il n’en est rien.
Depuis son accession au pouvoir, en 2004, plutôt que de contribuer à effacer les rancœurs, José Luis Rodriguez Zapatero, a délibérément choisi de raviver la bataille culturelle et de rouvrir les blessures du passé. Zapatero a expliqué en de nombreuses occasions comment la mémoire de son grand père, Juan Rodriguez Lozano, fusillé par les franquistes, a motivé ses convictions politiques. Une explication tronquée, quand on sait que son grand-père, qui fut exécuté par les troupes nationales, en 1936, pour avoir franchi leurs lignes dans un but d’espionnage, avait été aussi décoré, en 1934, pour avoir contribué à restaurer la légalité républicaine sous les ordres du général Franco et participé à cette occasion à la répression des mineurs d’Asturies. Mais le caractère monstrueusement fratricide de la guerre civile semble évacué par Monsieur Zapatero et son gouvernement.
On pourrait rappeler quelques exemples frappants et cruels comme celui des prestigieux écrivains, Antonio et Manuel Machado, qui se trouvaient chacun dans des camps différents, ou celui du dirigeant anarchiste Buenaventura Durruti dont les deux frères étaient phalangistes, ou encore celui de Constancia de la Mora, l’épouse communiste du général de l’aviation républicaine Hidalgo de Cisneros, dont la sœur Marichu était une journaliste phalangiste. Il serait inutile de s’acharner à répéter que la plupart des ministres de la démocratie espagnole, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont des pères, des oncles et des grands-parents qui ont soutenu le régime franquiste. Tout cela, Monsieur Zapatero le sait. Le grand-père de son épouse, Sonsoles Espinosa, n’était-il pas lui aussi franquiste ? Mais le chef du gouvernement espagnol et son équipe n’en ont cure. La politique n’est pas le terrain de la morale, pas plus qu’il n’ait celui du droit ou de l’histoire.
Les raisons de la pugnacité du gouvernement socialiste espagnol sont essentiellement politiques. Il s’agit de donner quelques gages au parti communiste et à l’extrême gauche qui, depuis des décennies, cherchent invariablement à imposer leur vision unilatérale de l’histoire, et, par la même occasion, à condamner moralement la droite conservatrice pour l’écarter durablement du pouvoir.
Avec l’aide du député travailliste maltais, Léo Brincat, le 17 mars 2006, Zapatero a d’abord fait adopter par la commission permanente, agissant au nom de l’assemblée du Conseil de l’Europe, une recommandation sur « la nécessité de condamner le franquisme au niveau international ». Par la suite, il n’a eu de cesse de faire voter par le parlement espagnol une loi de « Mémoire historique » dont l’origine se trouve dans une proposition du Parti communiste (Izquierda Unida).
L’expression « mémoire historique » est devenue le lieu commun de la culture espagnole. L’effort de récupération de la mémoire historique n’est évidemment pas un mal en soi, mais encore faut-il qu’il ne soit pas un prétexte pour que les plus sectaires s’arrogent le droit de séquestrer l’histoire ou de la manipuler. On ne peut pas, en effet, comparer la récupération de la mémoire pour ressusciter la haine de l’autre avec la récupération de la mémoire pour rénover la fraternité et la concorde. Or, si la « loi de Mémoire historique », du 26 décembre 2007, reconnait et amplifie justement les droits en faveur de ceux qui ont pâti des persécutions ou de la violence pendant la Guerre civile et la dictature, elle accrédite une vision manichéenne de l’histoire et contrevient à l’éthique la plus élémentaire. « Le pire de la prétendue “mémoire historique”, déclare le prestigieux hispaniste américain Stanley Payne, ce n’est pas la falsification de l’histoire, sinon l’intention politique qu’elle renferme, sa prétention à fomenter l’agitation sociale. » (Congrès universitaire de Madrid du 5.11.2008).
Une des idées fondamentales de la « loi de Mémoire historique » est que la démocratie espagnole est l’héritage de la Seconde République. Un point de vue d’autant plus discutable que le processus de transition fut mené conformément aux mécanismes prévus par le régime de Franco et qu’il fut dirigé à la fois par un roi désigné par le généralissime et son premier ministre qui était l’ancien secrétaire général du Movimiento. Selon le raisonnement de la « mémoire historique », la Seconde République, mythe fondateur de la démocratie espagnole, aurait été un régime presque parfait dans lequel l’ensemble des partis de gauche auraient eu une action irréprochable. Pour couronner le tout, mettre en cause cette absurdité ne saurait être qu’une apologie exprès ou déguisée du fascisme.
Les anomalies de cette loi ne se comptent plus. Elle effectue un amalgame stupide entre le soulèvement militaire, la guerre civile et le régime de Franco qui sont autant de faits distincts relevant d’interprétations et de jugements différents. Elle exalte les victimes et les assassins, les innocents et les coupables lorsqu’ils sont dans le camp du Front populaire et uniquement parce qu’ils sont de gauche. Elle confond les morts en action de guerre et les victimes de la répression. Elle jette le voile de l’oubli sur toutes les victimes « républicaines » qui moururent aux mains de leurs frères ennemis de gauche. Elle encourage et justifie tout travail visant à démontrer que Franco à mener délibérément et systématiquement une répression sanglante pendant et après la guerre civile. Elle reconnait, enfin, le légitime désir de beaucoup de personnes de pouvoir localiser le corps de leur ancêtre, mais refuse ce droit à ceux qui étaient dans le camp national sous le prétexte fallacieux qu’ils ont eu tout le temps de le faire à l’époque du franquisme.
Après l’adoption de la loi de « mémoire historique » et les débats qui l’ont précédée, fin 2007, la boîte de Pandore est ouverte. Dès le 15 décembre 2006, diverses associations « pour la récupération de la mémoire », avaient déposé des plaintes auprès du Juge d'instruction de l’Audience nationale, Baltasar Garzón « pour détention illégale en vertu d'un plan systématique d'élimination physique de l'adversaire pendant la guerre civile (1936-1939) et les années de l'après-guerre, méritant le qualificatif juridique de génocide et de crime contre l'humanité ». L’Audience nationale est l’héritière directe du Tribunal de l'ordre public de la dictature franquiste qui fut supprimé en 1977. Le juge Garzón est un magistrat instructeur connu internationalement pour avoir lancé un mandat d’arrêt contre Augusto Pinochet. Il avait effectué une brève incursion dans la vie politique comme second sur la liste du parti socialiste de Madrid derrière Felipe Gonzalez. Dans une ordonnance, qui échappe à la logique de la procédure judiciaire et ne suit aucune méthodologie historique, Baltasar Garzón s’est déclaré compétent. Un magistrat instructeur se doit de diligenter une affaire à charge et à décharge. Lui, soutient une thèse. Lorsque les faits le gênent, il les écarte. La responsabilité et la cruauté de la guerre civile et des exactions retombent, selon lui, entièrement sur un seul camp. L’affaire est donc entendue ! Il n’y a pas à prendre en compte les crimes survenus pendant la IIème République, ni les crimes du Front Populaire. Et qu’on ne lui reproche pas d’avoir rejeté une plainte contre le communiste, Santiago Carrillo, un des principaux responsables du massacre de Paracuellos, en se fondant sur des arguments et une jurisprudence exactement inverses. La plainte contre le « prétendu » crime de Paracuellos (plus de 4000 morts) était, dit-il, « inconsistante » : les faits, avaient été jugés, les victimes avaient été identifiées (quand ?, où ?, comment ? il ne le précise évidemment pas !), en outre, ajoute-t-il, « ces faits n’attentaient en rien aux hautes autorités de la nation » !
Enfermé dans sa logique sectaire, Garzón n’a pas l’ombre d’une hésitation. Les vainqueurs, selon lui, ont porté atteinte à la légalité en s’insurgeant contre le Gouvernement de la République et ont eu le temps d’identifier leurs victimes et de demander réparations. Les vaincus, en revanche, n’ont jamais pu le faire et en conséquence le délit perdure aujourd’hui. Mieux, les « rebelles » voulaient exterminer leur opposant de façon systématique et donc « le caractère de crime contre l’humanité imprescriptible tel qu’il est défini par les normes du droit pénal international ne fait pas de doute ». Frisant le grotesque, Garzón demande les certificats de décès de Franco et de 34 dignitaires franquistes « pénalement responsables ». Il autorise les exhumations de corps des fosses contenant des républicains dans les délais les plus urgents et demande la formation de groupes d’experts et l’utilisation de tous les moyens techniques et scientifiques à cet effet. Ultime incongruité, Garzón réclame la liste des principaux dirigeants de la Phalange Espagnole entre le 17 juillet 1936 et décembre 1951, ignorant sans doute que la Phalange de José Antonio, très divisée à l’heure de se joindre aux forces de droite insurgées, en juillet 1936, fut dissoute le 19 avril 1937 et que le second chef de la Phalange fut condamné à mort par un tribunal militaire franquiste.
Le recours immédiat contre cette décision de justice intenté devant la salle pénale de l’Audience nationale par l’Avocat général, Javier-Alberto Zaragoza Aguado, a fait beaucoup moins de bruit. Dommage ! car ce texte qui est celui d’un professionnel du droit est une véritable leçon, un camouflet pour le juge Garzón. « Dans un état de droit, écrit Javier Zaragoza, le procès pénal est sujet à des règles et des limites de procédure qui en aucun cas ne peuvent être violées ». L’Avocat général blâme le juge pour avoir contourné la loi d’amnistie votée par les premières Cortès démocratiques en 1977. « Questionner la légitimité d'origine de cette loi, écrit-il, et pire la stigmatiser comme loi d'impunité serait la sottise juridique absolue ». Il reproche encore au juge Garzón : d’ignorer les règles de compétence territoriale des tribunaux, d’utiliser une habile « couverture » pour qualifier les actes de crimes contre l’humanité et de construire un « échafaudage juridique singulier » qui lui permet de lier les délits de détentions illégales avec un délit contre les hautes autorités de l'État, alors que non seulement les responsables théoriques de ces délits sont morts mais que, en raison de leur condition et responsabilité, la compétence de l'instruction revient au Tribunal suprême. « En résumé, écrit Zaragoza, on peut affirmer que la prétention de tout connaître et sur tous en une seule procédure rompt les plus élémentaires règles du procès pénal et débouche inévitablement sur une inquisition générale interdite par notre Constitution ».
En ce qui concerne la qualification de génocide ou de lèse humanité des faits dénoncés, l’Avocat général explique pourquoi celle-ci n’est juridiquement pas applicable dans ce cas. Le corpus de normes qui conforme la légalité pénale internationale n'existait pas à l'époque ou les actes ont été commis ; cette qualification juridique ne peut donc s'appliquer rétroactivement sans attenter à la légalité pénale dans toute sa dimension ; enfin, l'exécution des faits est antérieure à leur qualification dans le droit pénal international.
Mais le juge Garzón n’est pas du genre à faire amende honorable. Le 18 novembre, coup de théâtre ! Alors que la Salle pénale de l’Audience nationale est sur le point de se réunir pour prendre sa décision, afin d’éviter de courir le risque d’être désavoué par ses pairs et, vraisemblablement, sous la pression de certains de ses amis politiques qui jugent qu’il en faisait trop, Garzón a édicté une nouvelle ordonnance. Dans un texte interminable, saturé de faits incertains, de semi-vérités et d’interprétations contestables, le juge prétendait se justifier et « ratifier avec force tous les motifs qui l’ont amené à considérer cette instruction nécessaire ». Mais après 148 pages de cette eau, il déclarait que la responsabilité pénale du dictateur Franco et des dignitaires franquistes était éteinte en raison de leurs morts et, simultanément, que l’instruction des disparitions était désormais de la compétence des juges de provinces où se trouvent les fosses qu’il avait ordonné d’ouvrir.
Nouvelle contradiction juridique de Garzón, soulignée immédiatement par les présidents de plusieurs tribunaux supérieurs de province : on ne voit pas comment des auteurs de crimes seraient décédés pour Madrid sans l’être pour d’autres villes. Deux jours plus tôt, le Professeur Stanley Payne, célèbre spécialiste américain de la guerre-civile espagnole, prononçait sa propre sentence devant la presse : « L’idée qu’un juge puisse se déclarer en faveur de l’annulation de la transition et de la loi est parfaitement grotesque ».
Critiquables sur le plan juridique, les ordonnances de Garzón ne le sont pas moins au niveau historique (1). Tout d’abord - est-il besoin de le rappeler ? - les historiens ne reconnaissent ni aux politiciens, ni aux juristes la moindre autorité pour venir leur dire comment il faut écrire les faits et interpréter le passé ? Quant aux objections de fond, elles sont multiples.
Ce n’est pas le soulèvement militaire de juillet 1936 qui est à l’origine de la destruction de la démocratie. C’est parce que la légalité démocratique avait été est détruite par le Front populaire que le soulèvement s'est produit. En 1936, personne ne croyait en la démocratie libérale telle qu’elle existe aujourd’hui en Espagne. Le mythe révolutionnaire partagé par toute la gauche était celui de la lutte armée. Les anarchistes et le parti communiste, un parti stalinien, ne croyaient certainement pas en la démocratie. L’immense majorité des socialistes et, notamment leur leader le plus significatif, Largo Caballero, le « Lénine espagnol », qui préconisait la dictature du prolétariat et le rapprochement avec les communistes, n’y croyait pas davantage. Les gauches républicaines du jacobin Azaña, qui s’étaient compromises dans le soulèvement socialiste de 1934, n’y croyaient pas plus. Quant aux monarchistes de Rénovation espagnole, aux carlistes, aux phalangistes et à la majorité de la CEDA (Confédération espagnole des droites autonomes), ils n’y croyaient pas non plus.
Les anarchistes se révoltèrent en 1931, en 1932 et en 1933. Les socialistes se soulevèrent contre le gouvernement de la République, du radical Alejandro Lerroux, en octobre 1934. Appuyé par toutes les gauches, ce soulèvement fut planifié par les socialistes comme une guerre civile pour instaurer la dictature du prolétariat. Dès son arrivée au pouvoir, le Front populaire ne cessa d'attaquer la légalité démocratique. Le résultat des élections de février 1936 ne fut jamais publié officiellement. Plus de 30 sièges de droite furent invalidés. Le président de la République, Niceto Alcalá Zamora fut destitué de manière illégale. La terreur s'imposa dans la rue, faisant plus de 300 morts en trois mois.
On aimerait bien que les nombreux « écrivains d’histoires », défenseurs des vieux mythes du Komintern, nous expliquent la réflexion lapidaire du libéral antifranquiste, Salvador de Madariaga, tant de fois reprise par les auteurs les plus divers : « Avec la rébellion de 1934, la gauche espagnole perdit jusqu’à l’ombre d’autorité morale pour condamner la rébellion de 1936 ». On aimerait qu’ils nous disent pourquoi, à l’exclusion de la Gauche républicaine et de l’Union républicaine, les militants et sympathisants de toutes les autres tendances, depuis les partis républicains de Lerroux, Martinez Velasco, et Melquiadez Alvarez, jusqu’aux traditionalistes carlistes, furent tous considérés en territoire front populiste comme des ennemis à extirper. Pourquoi les ministres démocrates du parti radical Salazar Alonso, Abad Conde, Rafael Guerra del Rio furent condamnés à mort et assassinés. Pourquoi des libéraux comme José Ortega y Gasset, Perez de Ayala, Gregorio Marañon, qui étaient alors « les pères fondateurs de la République », ou encore des démocrates et républicains comme le Président du parti radical, ex-chef du gouvernement de la République, Alejandro Lerroux ou le philosophe catholique-libéral, ami de Croce et d’Amendola, Miguel de Unamuno, choisirent le camp national ? Pourquoi les nationalistes basques ont préféré négocier leur reddition avec le Vatican, les italiens et leurs frères carlistes-requetes (Pacte de Santoña, 24 août 1937) plutôt que de poursuivre la lutte aux côtés de révolutionnaires « persécuteurs et athées ». Pourquoi l’assassinat du député Calvo Sotelo, menacé de mort au Parlement par le ministre de l’intérieur socialiste, Angel Galarza, et liquidé par des militants du PSOE qui furent aidé dans leur crime par les forces de l’ordre, puis protégés par les députés socialistes Vidarte, Zugazagoitia, Nelken et Prieto, n’a-t-il jamais été condamné par les Cortès démocratiques de l’après-franquisme ?
Le caractère partisan de l’action de Baltasar Garzón est flagrant. Mais imaginons que le juge médiatique fasse des émules à droite. Au nom de quels principes pourrait-on alors leur empêcher d’instruire des plaintes contre les responsables : des 200 tchekas qui fonctionnaient à Madrid ; des fosses nationales de Paracuellos (plus de 4000 morts), Torrejón de Ardoz et Usera ; de l’assassinat de García Lorca (cf. notre article dans ce numéro) par les uns et des assassinats de Muñoz Seca, Maeztu, Ledesma et Pradera par les autres ; des massacres républicains de Malaga et de la prison Modèle de Madrid ; de l’extermination de près de 7000 religieux et de 12 évêques ; du bombardement de Cabra (plus de 100 morts et 200 blessés civils) dans des conditions aussi barbares que Guernica (126 à 1635 morts selon les sources) ; de la détention illégale de José Antonio Primo de Rivera quatre mois avant le soulèvement et de son assassinat, en novembre 1936, après une parodie de procès ; des réglements de compte de Marty le boucher d’Albacete, responsable de la mort de plus de 500 brigadistes internationaux ; de l’assassinat du dirigeant anarchiste, Buenaventura Durruti, par les communistes ; de la disparition d’Andreu Nin, le dirigeant du POUM torturé à mort par les staliniens ; des purges de mai 1937 à Barcelone, contre les dissidents de l’orthodoxie stalinienne traités au préalable de trotskistes et d’agents fascistes ; des exécutions sommaires à l’issue de la petite guerre civile qui se déroula à l’intérieur de la guerre civile dans le camp Front populiste, à Madrid, en mars 1939 ; de la spoliation par Moscou des réserves d’or de la Banque d’Espagne ; des milliers d’enfants évacués de force par les autorités républicaines vers l’URSS et qui perdirent ainsi à jamais leur identité … et de tant d’autres exemples polémiques ?
Venons-en enfin au nœud de la controverse : les chiffres de la répression et l’existence de fosses aux victimes non identifiées. Depuis la fin du conflit, de part et d’autre, les protagonistes et leurs descendants les plus enragés n’ont cessé de se jeter des cadavres à la face. Pendant près de 70 ans les chiffres sur les répressions ont oscillé de façon inconsidérée et absurde. Les auteurs favorables au Front populaire, ont cité tour à tour 500 000, 250 000, 192 548 (selon les prétendus propos d’un fonctionnaire franquiste jamais identifié), 140 000, 100 000 (selon Tamames, qui était alors communiste), et, finalement, « plusieurs dizaine de milliers » (selon Hugh Thomas). Par ailleurs, ils ont toujours assuré que les quelques milliers, voire dizaine de milliers de franquistes victimes de la répression l’avaient été parce que le gouvernement de la République était débordé par des groupes incontrôlés alors que dans la zone nationale l’action répressive était préméditée et avait pris l’allure d’une extermination.
En revanche, pour les franquistes qui se fondaient sur les investigations du Ministère public menées dans le cadre de la « Causa general » (procès instruit contre « la domination rouge », au début des années 40, dont l’énorme documentation est conservée, depuis 1980, à l’Archivo Histórico Nacional de España de Madrid et qui n’a jamais été publiée intégralement), il était avéré que les front-populistes avaient commis 86 000 assassinats et les nationaux entre 35 et 40 000. Pour les besoins de sa cause, Baltasar Garzón retient aujourd’hui le chiffre de 114 266 républicains disparus « un chiffre qui, dit-il, pourrait être révisé par un groupe d’experts ». Il prétend nous faire croire qu’ils seront identifiés grâce aux techniques modernes sans préciser bien entendu que la constitution d’une banque d’ADN et l’utilisation systématique de tests constituerait une dépense colossale pour l’État espagnol. Mais peut-on accorder quelque crédit à un juge qui ne cite jamais un expert ou historien adverse ? En fait, dans la majorité des publications que manie Garzón, le préjugé des auteurs se fonde souvent sur des estimations approximatives et des témoignages relevant de l'imagination. Enfin, lorsque ces publications présentent des relations nominales, elles attribuent fréquemment à la répression franquiste des victimes qui, en réalité, sont mortes en action de guerre ou mortes en combattant pour le camp national. Il en résulte que le bilan final est inacceptable sur le triple plan moral, juridique et historique.
Un seul exemple suffit à illustrer l’ampleur des passions dangereuses que l’imprudence des autorités et des médias déchainent dans l’opinion publique. Le 5 mars 2008, l’information de la découverte de nouvelles fosses à Alcala de Henares circulait dans toutes les agences de presse. Immédiatement, le gouvernement espagnol insinua qu’il s’agissait de nouvelles victimes du franquisme, puis, lorsque quelques spécialistes firent remarquer que cette ville étant restée sous contrôle du Front Populaire jusqu’à la fin du conflit, il était peu probable qu’il s’agisse de victimes du camp républicain, le silence se fit et l’affaire fut étouffée.
Même s’il reste à déterminer de façon rigoureuse les morts irrégulières qui, de part et d’autre, n’ont pas encore été inscrites dans les registres d’état civil, on peut considérer que les chiffres pratiquement définitifs des deux répressions sont les suivants : 60 000 victimes chez les nationaux et 80 000 victimes chez les républicains (50 000 pendant la guerre et 30 000 exécutés après la fin du conflit). Des chiffres si lourds n’ont pas besoin d’être exagérés pour rendre compte de l'intensité des passions et l’étendue des massacres qui ont affecté les deux camps.
Plus de trente ans après l’instauration de la démocratie en Espagne, on ne peut toutefois manquer de s’interroger sur un fait étrange. Alors que les publications plus ou moins sérieuses sur la répression se succèdent à bon rythme, personne ne semble avoir eu l’idée de réunir les très nombreux témoignages de tous ceux qui, dans un camp comme dans l’autre, ont essayé en pleine guerre civile de sauver quelqu’un dans le camp ennemi. Ce sont pourtant ces personnes qui sont les plus méritantes, les seules dignes de figurer au tableau d’honneur d’une guerre civile. Mais ne rêvons pas, car parmi ces hommes d’exception devraient figurer en bonne place : Julian Besteiro, le social-démocrate qui s’opposa à la ligne bolchévique de son parti et mourut, en 1939, dans les geôles franquistes ; Melchor Rodriguez García, l’anarchiste de la CNT, délégué général des prisons, qui s’opposa au communiste-stalinien Santiago Carrillo et sauva des centaines de vie humaines, en novembre et décembre 1936, ou José Antonio Primo de Rivera, le chef de la Phalange, assassiné par les front-populistes puis instrumentalisé par les franquistes, qui proposa sa médiation avec insistance au Président des Cortes, Diego Martinez Barrio, en août 1936… et la guerre idéologique, fomentée par tant de politiciens irresponsables, risquerait de s’éteindre.
Arnaud Imatz
Nouvelle revue d’Histoire, janvier/février 2009 n°40
Polémia
28/02/09
Note :
(1) Les origines et les causes de la guerre civile espagnole et la nouvelle historiographie du conflit ont fait l’objet d’un dossier publié dans le numéro 25 de la NRH: 1936-2006 : la guerre d’Espagne.
Arnaud Imatz, docteur d’état ès sciences politiques, diplômé d’études supérieures en droit, ancien fonctionnaire international à l’OCDE, a publié sur la Guerre d’Espagne : « La guerre d’Espagne revisitée », Paris, Economica, 1993, « José Antonio, la Phalange Espagnole et le national-syndicalisme », Paris, Godefroy de Bouillon, 2000 et, plus récemment, « José Antonio : entre odio y amor. Su historia como fue », Barcelone, Áltera.
Arnaud Imatz
00:15 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : espagne, gauche, droite, guerre d'espagne, histoire, années 30, guerre civile, historiographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook