jeudi, 05 mars 2009
Guerre d'Espagne: mémoire historique ou mémoire hystérique?
Guerre d'Espagne : mémoire historique ou mémoire hystérique ?
Présenté sous un tel titre, l’article de Arnaud Imatz ne cache rien de son objet. On voit immédiatement où l’auteur veut en venir et c’est probablement une des raisons pour lesquelles la « Nouvelle Revue d’Histoire », dirigée par Dominique Venner, l’a publié.
Cette publication bimestrielle, taxée par la vulgate médiatique de non-conformisme au sens du politiquement correct historique, a déjà presque sept ans d’âge et recueille des signatures prestigieuses, plumes de marque, historiens et chercheurs de talent.
Dans la dernière livraison, Arnaud Imatz revient sur la toujours très controversée Guerre civile espagnole de 1936-1939, dont les plaies sont rouvertes périodiquement, et il nous fait découvrir comment les politiques de gauche espagnols se sont emparés de l’histoire, très exactement comme nos politiques, hélas de toute tendance à de rares exceptions près, l’ont si bien fait en France en 1990 avec la loi Gayssot. Les Espagnols se trouvent donc, eux aussi, affublés d’une loi outrageusement partisane dont on ne sera pas étonné de lire qu’elle trouve son origine dans une proposition du Parti communiste. Cette loi de « Mémoire historique » a été adoptée par les députés espagnols le 26 décembre 2007. Le lecteur ne sera pas surpris de trouver au détour de cette loi le célèbre juge Garzon, connu même sur le plan international puisqu’il a été l’initiateur du mandat d’arrêt lancé contre le général Pinochet : ce juge se consacre à corps perdu à la recherche des « criminels du camp national ». Enfin, là aussi, on assiste à une bataille de chiffres des victimes, décidément pomme de discorde éternelle et arme suprême de la propagande idéologique.
Cet article historico-politique est passionnant et il montre qu’en Espagne, tout comme dans une grande partie des pays appartenant à l’Union européenne, l’histoire est aujourd’hui confisquée par le pouvoir politique relayé par la justice, et donne lieu à l’intauration de « lois mémorielles » et à la judiciarisation du fait historique.
Polémia
Tous les historiens reconnaissent l’impressionnant développement économique et social de l’Espagne après la mort de Franco. Tous admirent l’exemple de transition démocratique pacifique et tolérante donné au monde par le peuple espagnol. Bien sûr, selon leurs convictions, les analystes s’affrontent : certains considèrent que ce processus s’étend de 1966 à 2004, d’autres soulignent l’importance de l’approbation de la Constitution de 1978, d’autres encore mettent en valeur l’arrivée au pouvoir de Felipe Gonzalez et du PSOE (1982), d’autres enfin insistent sur le retour de la droite de José Manuel Aznar (1996), mais tous reconnaissent la formidable et spectaculaire transformation du pays. Pendant près de trois décennies, deux principes ont animé « l’esprit de la transition » : le pardon réciproque et la concertation entre gouvernement et opposition. Il ne s’agissait pas d’oublier le passé (la conscience de l’histoire est au contraire une des conditions pour éviter de répéter les erreurs), mais de le surmonter, de regarder résolument vers l’avenir. On aurait pu penser qu’au fil des ans le calme et la sérénité se seraient imposés, que soixante dix ans après la fin de la Guerre civile les historiens se seraient adonnés enfin librement aux plaisirs tranquilles du champ de leur connaissance, mais il n’en est rien.
Depuis son accession au pouvoir, en 2004, plutôt que de contribuer à effacer les rancœurs, José Luis Rodriguez Zapatero, a délibérément choisi de raviver la bataille culturelle et de rouvrir les blessures du passé. Zapatero a expliqué en de nombreuses occasions comment la mémoire de son grand père, Juan Rodriguez Lozano, fusillé par les franquistes, a motivé ses convictions politiques. Une explication tronquée, quand on sait que son grand-père, qui fut exécuté par les troupes nationales, en 1936, pour avoir franchi leurs lignes dans un but d’espionnage, avait été aussi décoré, en 1934, pour avoir contribué à restaurer la légalité républicaine sous les ordres du général Franco et participé à cette occasion à la répression des mineurs d’Asturies. Mais le caractère monstrueusement fratricide de la guerre civile semble évacué par Monsieur Zapatero et son gouvernement.
On pourrait rappeler quelques exemples frappants et cruels comme celui des prestigieux écrivains, Antonio et Manuel Machado, qui se trouvaient chacun dans des camps différents, ou celui du dirigeant anarchiste Buenaventura Durruti dont les deux frères étaient phalangistes, ou encore celui de Constancia de la Mora, l’épouse communiste du général de l’aviation républicaine Hidalgo de Cisneros, dont la sœur Marichu était une journaliste phalangiste. Il serait inutile de s’acharner à répéter que la plupart des ministres de la démocratie espagnole, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont des pères, des oncles et des grands-parents qui ont soutenu le régime franquiste. Tout cela, Monsieur Zapatero le sait. Le grand-père de son épouse, Sonsoles Espinosa, n’était-il pas lui aussi franquiste ? Mais le chef du gouvernement espagnol et son équipe n’en ont cure. La politique n’est pas le terrain de la morale, pas plus qu’il n’ait celui du droit ou de l’histoire.
Les raisons de la pugnacité du gouvernement socialiste espagnol sont essentiellement politiques. Il s’agit de donner quelques gages au parti communiste et à l’extrême gauche qui, depuis des décennies, cherchent invariablement à imposer leur vision unilatérale de l’histoire, et, par la même occasion, à condamner moralement la droite conservatrice pour l’écarter durablement du pouvoir.
Avec l’aide du député travailliste maltais, Léo Brincat, le 17 mars 2006, Zapatero a d’abord fait adopter par la commission permanente, agissant au nom de l’assemblée du Conseil de l’Europe, une recommandation sur « la nécessité de condamner le franquisme au niveau international ». Par la suite, il n’a eu de cesse de faire voter par le parlement espagnol une loi de « Mémoire historique » dont l’origine se trouve dans une proposition du Parti communiste (Izquierda Unida).
L’expression « mémoire historique » est devenue le lieu commun de la culture espagnole. L’effort de récupération de la mémoire historique n’est évidemment pas un mal en soi, mais encore faut-il qu’il ne soit pas un prétexte pour que les plus sectaires s’arrogent le droit de séquestrer l’histoire ou de la manipuler. On ne peut pas, en effet, comparer la récupération de la mémoire pour ressusciter la haine de l’autre avec la récupération de la mémoire pour rénover la fraternité et la concorde. Or, si la « loi de Mémoire historique », du 26 décembre 2007, reconnait et amplifie justement les droits en faveur de ceux qui ont pâti des persécutions ou de la violence pendant la Guerre civile et la dictature, elle accrédite une vision manichéenne de l’histoire et contrevient à l’éthique la plus élémentaire. « Le pire de la prétendue “mémoire historique”, déclare le prestigieux hispaniste américain Stanley Payne, ce n’est pas la falsification de l’histoire, sinon l’intention politique qu’elle renferme, sa prétention à fomenter l’agitation sociale. » (Congrès universitaire de Madrid du 5.11.2008).
Une des idées fondamentales de la « loi de Mémoire historique » est que la démocratie espagnole est l’héritage de la Seconde République. Un point de vue d’autant plus discutable que le processus de transition fut mené conformément aux mécanismes prévus par le régime de Franco et qu’il fut dirigé à la fois par un roi désigné par le généralissime et son premier ministre qui était l’ancien secrétaire général du Movimiento. Selon le raisonnement de la « mémoire historique », la Seconde République, mythe fondateur de la démocratie espagnole, aurait été un régime presque parfait dans lequel l’ensemble des partis de gauche auraient eu une action irréprochable. Pour couronner le tout, mettre en cause cette absurdité ne saurait être qu’une apologie exprès ou déguisée du fascisme.
Les anomalies de cette loi ne se comptent plus. Elle effectue un amalgame stupide entre le soulèvement militaire, la guerre civile et le régime de Franco qui sont autant de faits distincts relevant d’interprétations et de jugements différents. Elle exalte les victimes et les assassins, les innocents et les coupables lorsqu’ils sont dans le camp du Front populaire et uniquement parce qu’ils sont de gauche. Elle confond les morts en action de guerre et les victimes de la répression. Elle jette le voile de l’oubli sur toutes les victimes « républicaines » qui moururent aux mains de leurs frères ennemis de gauche. Elle encourage et justifie tout travail visant à démontrer que Franco à mener délibérément et systématiquement une répression sanglante pendant et après la guerre civile. Elle reconnait, enfin, le légitime désir de beaucoup de personnes de pouvoir localiser le corps de leur ancêtre, mais refuse ce droit à ceux qui étaient dans le camp national sous le prétexte fallacieux qu’ils ont eu tout le temps de le faire à l’époque du franquisme.
Après l’adoption de la loi de « mémoire historique » et les débats qui l’ont précédée, fin 2007, la boîte de Pandore est ouverte. Dès le 15 décembre 2006, diverses associations « pour la récupération de la mémoire », avaient déposé des plaintes auprès du Juge d'instruction de l’Audience nationale, Baltasar Garzón « pour détention illégale en vertu d'un plan systématique d'élimination physique de l'adversaire pendant la guerre civile (1936-1939) et les années de l'après-guerre, méritant le qualificatif juridique de génocide et de crime contre l'humanité ». L’Audience nationale est l’héritière directe du Tribunal de l'ordre public de la dictature franquiste qui fut supprimé en 1977. Le juge Garzón est un magistrat instructeur connu internationalement pour avoir lancé un mandat d’arrêt contre Augusto Pinochet. Il avait effectué une brève incursion dans la vie politique comme second sur la liste du parti socialiste de Madrid derrière Felipe Gonzalez. Dans une ordonnance, qui échappe à la logique de la procédure judiciaire et ne suit aucune méthodologie historique, Baltasar Garzón s’est déclaré compétent. Un magistrat instructeur se doit de diligenter une affaire à charge et à décharge. Lui, soutient une thèse. Lorsque les faits le gênent, il les écarte. La responsabilité et la cruauté de la guerre civile et des exactions retombent, selon lui, entièrement sur un seul camp. L’affaire est donc entendue ! Il n’y a pas à prendre en compte les crimes survenus pendant la IIème République, ni les crimes du Front Populaire. Et qu’on ne lui reproche pas d’avoir rejeté une plainte contre le communiste, Santiago Carrillo, un des principaux responsables du massacre de Paracuellos, en se fondant sur des arguments et une jurisprudence exactement inverses. La plainte contre le « prétendu » crime de Paracuellos (plus de 4000 morts) était, dit-il, « inconsistante » : les faits, avaient été jugés, les victimes avaient été identifiées (quand ?, où ?, comment ? il ne le précise évidemment pas !), en outre, ajoute-t-il, « ces faits n’attentaient en rien aux hautes autorités de la nation » !
Enfermé dans sa logique sectaire, Garzón n’a pas l’ombre d’une hésitation. Les vainqueurs, selon lui, ont porté atteinte à la légalité en s’insurgeant contre le Gouvernement de la République et ont eu le temps d’identifier leurs victimes et de demander réparations. Les vaincus, en revanche, n’ont jamais pu le faire et en conséquence le délit perdure aujourd’hui. Mieux, les « rebelles » voulaient exterminer leur opposant de façon systématique et donc « le caractère de crime contre l’humanité imprescriptible tel qu’il est défini par les normes du droit pénal international ne fait pas de doute ». Frisant le grotesque, Garzón demande les certificats de décès de Franco et de 34 dignitaires franquistes « pénalement responsables ». Il autorise les exhumations de corps des fosses contenant des républicains dans les délais les plus urgents et demande la formation de groupes d’experts et l’utilisation de tous les moyens techniques et scientifiques à cet effet. Ultime incongruité, Garzón réclame la liste des principaux dirigeants de la Phalange Espagnole entre le 17 juillet 1936 et décembre 1951, ignorant sans doute que la Phalange de José Antonio, très divisée à l’heure de se joindre aux forces de droite insurgées, en juillet 1936, fut dissoute le 19 avril 1937 et que le second chef de la Phalange fut condamné à mort par un tribunal militaire franquiste.
Le recours immédiat contre cette décision de justice intenté devant la salle pénale de l’Audience nationale par l’Avocat général, Javier-Alberto Zaragoza Aguado, a fait beaucoup moins de bruit. Dommage ! car ce texte qui est celui d’un professionnel du droit est une véritable leçon, un camouflet pour le juge Garzón. « Dans un état de droit, écrit Javier Zaragoza, le procès pénal est sujet à des règles et des limites de procédure qui en aucun cas ne peuvent être violées ». L’Avocat général blâme le juge pour avoir contourné la loi d’amnistie votée par les premières Cortès démocratiques en 1977. « Questionner la légitimité d'origine de cette loi, écrit-il, et pire la stigmatiser comme loi d'impunité serait la sottise juridique absolue ». Il reproche encore au juge Garzón : d’ignorer les règles de compétence territoriale des tribunaux, d’utiliser une habile « couverture » pour qualifier les actes de crimes contre l’humanité et de construire un « échafaudage juridique singulier » qui lui permet de lier les délits de détentions illégales avec un délit contre les hautes autorités de l'État, alors que non seulement les responsables théoriques de ces délits sont morts mais que, en raison de leur condition et responsabilité, la compétence de l'instruction revient au Tribunal suprême. « En résumé, écrit Zaragoza, on peut affirmer que la prétention de tout connaître et sur tous en une seule procédure rompt les plus élémentaires règles du procès pénal et débouche inévitablement sur une inquisition générale interdite par notre Constitution ».
En ce qui concerne la qualification de génocide ou de lèse humanité des faits dénoncés, l’Avocat général explique pourquoi celle-ci n’est juridiquement pas applicable dans ce cas. Le corpus de normes qui conforme la légalité pénale internationale n'existait pas à l'époque ou les actes ont été commis ; cette qualification juridique ne peut donc s'appliquer rétroactivement sans attenter à la légalité pénale dans toute sa dimension ; enfin, l'exécution des faits est antérieure à leur qualification dans le droit pénal international.
Mais le juge Garzón n’est pas du genre à faire amende honorable. Le 18 novembre, coup de théâtre ! Alors que la Salle pénale de l’Audience nationale est sur le point de se réunir pour prendre sa décision, afin d’éviter de courir le risque d’être désavoué par ses pairs et, vraisemblablement, sous la pression de certains de ses amis politiques qui jugent qu’il en faisait trop, Garzón a édicté une nouvelle ordonnance. Dans un texte interminable, saturé de faits incertains, de semi-vérités et d’interprétations contestables, le juge prétendait se justifier et « ratifier avec force tous les motifs qui l’ont amené à considérer cette instruction nécessaire ». Mais après 148 pages de cette eau, il déclarait que la responsabilité pénale du dictateur Franco et des dignitaires franquistes était éteinte en raison de leurs morts et, simultanément, que l’instruction des disparitions était désormais de la compétence des juges de provinces où se trouvent les fosses qu’il avait ordonné d’ouvrir.
Nouvelle contradiction juridique de Garzón, soulignée immédiatement par les présidents de plusieurs tribunaux supérieurs de province : on ne voit pas comment des auteurs de crimes seraient décédés pour Madrid sans l’être pour d’autres villes. Deux jours plus tôt, le Professeur Stanley Payne, célèbre spécialiste américain de la guerre-civile espagnole, prononçait sa propre sentence devant la presse : « L’idée qu’un juge puisse se déclarer en faveur de l’annulation de la transition et de la loi est parfaitement grotesque ».
Critiquables sur le plan juridique, les ordonnances de Garzón ne le sont pas moins au niveau historique (1). Tout d’abord - est-il besoin de le rappeler ? - les historiens ne reconnaissent ni aux politiciens, ni aux juristes la moindre autorité pour venir leur dire comment il faut écrire les faits et interpréter le passé ? Quant aux objections de fond, elles sont multiples.
Ce n’est pas le soulèvement militaire de juillet 1936 qui est à l’origine de la destruction de la démocratie. C’est parce que la légalité démocratique avait été est détruite par le Front populaire que le soulèvement s'est produit. En 1936, personne ne croyait en la démocratie libérale telle qu’elle existe aujourd’hui en Espagne. Le mythe révolutionnaire partagé par toute la gauche était celui de la lutte armée. Les anarchistes et le parti communiste, un parti stalinien, ne croyaient certainement pas en la démocratie. L’immense majorité des socialistes et, notamment leur leader le plus significatif, Largo Caballero, le « Lénine espagnol », qui préconisait la dictature du prolétariat et le rapprochement avec les communistes, n’y croyait pas davantage. Les gauches républicaines du jacobin Azaña, qui s’étaient compromises dans le soulèvement socialiste de 1934, n’y croyaient pas plus. Quant aux monarchistes de Rénovation espagnole, aux carlistes, aux phalangistes et à la majorité de la CEDA (Confédération espagnole des droites autonomes), ils n’y croyaient pas non plus.
Les anarchistes se révoltèrent en 1931, en 1932 et en 1933. Les socialistes se soulevèrent contre le gouvernement de la République, du radical Alejandro Lerroux, en octobre 1934. Appuyé par toutes les gauches, ce soulèvement fut planifié par les socialistes comme une guerre civile pour instaurer la dictature du prolétariat. Dès son arrivée au pouvoir, le Front populaire ne cessa d'attaquer la légalité démocratique. Le résultat des élections de février 1936 ne fut jamais publié officiellement. Plus de 30 sièges de droite furent invalidés. Le président de la République, Niceto Alcalá Zamora fut destitué de manière illégale. La terreur s'imposa dans la rue, faisant plus de 300 morts en trois mois.
On aimerait bien que les nombreux « écrivains d’histoires », défenseurs des vieux mythes du Komintern, nous expliquent la réflexion lapidaire du libéral antifranquiste, Salvador de Madariaga, tant de fois reprise par les auteurs les plus divers : « Avec la rébellion de 1934, la gauche espagnole perdit jusqu’à l’ombre d’autorité morale pour condamner la rébellion de 1936 ». On aimerait qu’ils nous disent pourquoi, à l’exclusion de la Gauche républicaine et de l’Union républicaine, les militants et sympathisants de toutes les autres tendances, depuis les partis républicains de Lerroux, Martinez Velasco, et Melquiadez Alvarez, jusqu’aux traditionalistes carlistes, furent tous considérés en territoire front populiste comme des ennemis à extirper. Pourquoi les ministres démocrates du parti radical Salazar Alonso, Abad Conde, Rafael Guerra del Rio furent condamnés à mort et assassinés. Pourquoi des libéraux comme José Ortega y Gasset, Perez de Ayala, Gregorio Marañon, qui étaient alors « les pères fondateurs de la République », ou encore des démocrates et républicains comme le Président du parti radical, ex-chef du gouvernement de la République, Alejandro Lerroux ou le philosophe catholique-libéral, ami de Croce et d’Amendola, Miguel de Unamuno, choisirent le camp national ? Pourquoi les nationalistes basques ont préféré négocier leur reddition avec le Vatican, les italiens et leurs frères carlistes-requetes (Pacte de Santoña, 24 août 1937) plutôt que de poursuivre la lutte aux côtés de révolutionnaires « persécuteurs et athées ». Pourquoi l’assassinat du député Calvo Sotelo, menacé de mort au Parlement par le ministre de l’intérieur socialiste, Angel Galarza, et liquidé par des militants du PSOE qui furent aidé dans leur crime par les forces de l’ordre, puis protégés par les députés socialistes Vidarte, Zugazagoitia, Nelken et Prieto, n’a-t-il jamais été condamné par les Cortès démocratiques de l’après-franquisme ?
Le caractère partisan de l’action de Baltasar Garzón est flagrant. Mais imaginons que le juge médiatique fasse des émules à droite. Au nom de quels principes pourrait-on alors leur empêcher d’instruire des plaintes contre les responsables : des 200 tchekas qui fonctionnaient à Madrid ; des fosses nationales de Paracuellos (plus de 4000 morts), Torrejón de Ardoz et Usera ; de l’assassinat de García Lorca (cf. notre article dans ce numéro) par les uns et des assassinats de Muñoz Seca, Maeztu, Ledesma et Pradera par les autres ; des massacres républicains de Malaga et de la prison Modèle de Madrid ; de l’extermination de près de 7000 religieux et de 12 évêques ; du bombardement de Cabra (plus de 100 morts et 200 blessés civils) dans des conditions aussi barbares que Guernica (126 à 1635 morts selon les sources) ; de la détention illégale de José Antonio Primo de Rivera quatre mois avant le soulèvement et de son assassinat, en novembre 1936, après une parodie de procès ; des réglements de compte de Marty le boucher d’Albacete, responsable de la mort de plus de 500 brigadistes internationaux ; de l’assassinat du dirigeant anarchiste, Buenaventura Durruti, par les communistes ; de la disparition d’Andreu Nin, le dirigeant du POUM torturé à mort par les staliniens ; des purges de mai 1937 à Barcelone, contre les dissidents de l’orthodoxie stalinienne traités au préalable de trotskistes et d’agents fascistes ; des exécutions sommaires à l’issue de la petite guerre civile qui se déroula à l’intérieur de la guerre civile dans le camp Front populiste, à Madrid, en mars 1939 ; de la spoliation par Moscou des réserves d’or de la Banque d’Espagne ; des milliers d’enfants évacués de force par les autorités républicaines vers l’URSS et qui perdirent ainsi à jamais leur identité … et de tant d’autres exemples polémiques ?
Venons-en enfin au nœud de la controverse : les chiffres de la répression et l’existence de fosses aux victimes non identifiées. Depuis la fin du conflit, de part et d’autre, les protagonistes et leurs descendants les plus enragés n’ont cessé de se jeter des cadavres à la face. Pendant près de 70 ans les chiffres sur les répressions ont oscillé de façon inconsidérée et absurde. Les auteurs favorables au Front populaire, ont cité tour à tour 500 000, 250 000, 192 548 (selon les prétendus propos d’un fonctionnaire franquiste jamais identifié), 140 000, 100 000 (selon Tamames, qui était alors communiste), et, finalement, « plusieurs dizaine de milliers » (selon Hugh Thomas). Par ailleurs, ils ont toujours assuré que les quelques milliers, voire dizaine de milliers de franquistes victimes de la répression l’avaient été parce que le gouvernement de la République était débordé par des groupes incontrôlés alors que dans la zone nationale l’action répressive était préméditée et avait pris l’allure d’une extermination.
En revanche, pour les franquistes qui se fondaient sur les investigations du Ministère public menées dans le cadre de la « Causa general » (procès instruit contre « la domination rouge », au début des années 40, dont l’énorme documentation est conservée, depuis 1980, à l’Archivo Histórico Nacional de España de Madrid et qui n’a jamais été publiée intégralement), il était avéré que les front-populistes avaient commis 86 000 assassinats et les nationaux entre 35 et 40 000. Pour les besoins de sa cause, Baltasar Garzón retient aujourd’hui le chiffre de 114 266 républicains disparus « un chiffre qui, dit-il, pourrait être révisé par un groupe d’experts ». Il prétend nous faire croire qu’ils seront identifiés grâce aux techniques modernes sans préciser bien entendu que la constitution d’une banque d’ADN et l’utilisation systématique de tests constituerait une dépense colossale pour l’État espagnol. Mais peut-on accorder quelque crédit à un juge qui ne cite jamais un expert ou historien adverse ? En fait, dans la majorité des publications que manie Garzón, le préjugé des auteurs se fonde souvent sur des estimations approximatives et des témoignages relevant de l'imagination. Enfin, lorsque ces publications présentent des relations nominales, elles attribuent fréquemment à la répression franquiste des victimes qui, en réalité, sont mortes en action de guerre ou mortes en combattant pour le camp national. Il en résulte que le bilan final est inacceptable sur le triple plan moral, juridique et historique.
Un seul exemple suffit à illustrer l’ampleur des passions dangereuses que l’imprudence des autorités et des médias déchainent dans l’opinion publique. Le 5 mars 2008, l’information de la découverte de nouvelles fosses à Alcala de Henares circulait dans toutes les agences de presse. Immédiatement, le gouvernement espagnol insinua qu’il s’agissait de nouvelles victimes du franquisme, puis, lorsque quelques spécialistes firent remarquer que cette ville étant restée sous contrôle du Front Populaire jusqu’à la fin du conflit, il était peu probable qu’il s’agisse de victimes du camp républicain, le silence se fit et l’affaire fut étouffée.
Même s’il reste à déterminer de façon rigoureuse les morts irrégulières qui, de part et d’autre, n’ont pas encore été inscrites dans les registres d’état civil, on peut considérer que les chiffres pratiquement définitifs des deux répressions sont les suivants : 60 000 victimes chez les nationaux et 80 000 victimes chez les républicains (50 000 pendant la guerre et 30 000 exécutés après la fin du conflit). Des chiffres si lourds n’ont pas besoin d’être exagérés pour rendre compte de l'intensité des passions et l’étendue des massacres qui ont affecté les deux camps.
Plus de trente ans après l’instauration de la démocratie en Espagne, on ne peut toutefois manquer de s’interroger sur un fait étrange. Alors que les publications plus ou moins sérieuses sur la répression se succèdent à bon rythme, personne ne semble avoir eu l’idée de réunir les très nombreux témoignages de tous ceux qui, dans un camp comme dans l’autre, ont essayé en pleine guerre civile de sauver quelqu’un dans le camp ennemi. Ce sont pourtant ces personnes qui sont les plus méritantes, les seules dignes de figurer au tableau d’honneur d’une guerre civile. Mais ne rêvons pas, car parmi ces hommes d’exception devraient figurer en bonne place : Julian Besteiro, le social-démocrate qui s’opposa à la ligne bolchévique de son parti et mourut, en 1939, dans les geôles franquistes ; Melchor Rodriguez García, l’anarchiste de la CNT, délégué général des prisons, qui s’opposa au communiste-stalinien Santiago Carrillo et sauva des centaines de vie humaines, en novembre et décembre 1936, ou José Antonio Primo de Rivera, le chef de la Phalange, assassiné par les front-populistes puis instrumentalisé par les franquistes, qui proposa sa médiation avec insistance au Président des Cortes, Diego Martinez Barrio, en août 1936… et la guerre idéologique, fomentée par tant de politiciens irresponsables, risquerait de s’éteindre.
Arnaud Imatz
Nouvelle revue d’Histoire, janvier/février 2009 n°40
Polémia
28/02/09
Note :
(1) Les origines et les causes de la guerre civile espagnole et la nouvelle historiographie du conflit ont fait l’objet d’un dossier publié dans le numéro 25 de la NRH: 1936-2006 : la guerre d’Espagne.
Arnaud Imatz, docteur d’état ès sciences politiques, diplômé d’études supérieures en droit, ancien fonctionnaire international à l’OCDE, a publié sur la Guerre d’Espagne : « La guerre d’Espagne revisitée », Paris, Economica, 1993, « José Antonio, la Phalange Espagnole et le national-syndicalisme », Paris, Godefroy de Bouillon, 2000 et, plus récemment, « José Antonio : entre odio y amor. Su historia como fue », Barcelone, Áltera.
Arnaud Imatz
00:15 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : espagne, gauche, droite, guerre d'espagne, histoire, années 30, guerre civile, historiographie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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