Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 29 août 2024

Le polémiqueur - Les cinq meilleurs livres d'Ernst Nolte

9fb25ce_25206-cj4ihh.jpg

Le polémiqueur - Les cinq meilleurs livres d'Ernst Nolte

Source: https://www.freilich-magazin.com/kultur/der-streitbare-die-fuenf-besten-buecher-von-ernst-nolte

"Antisémite", "fasciste", "incendiaire intellectuel" - les critiques adressées à l'historien et philosophe Ernst Nolte (1923-2016) n'avaient pas de vocables assez durs pour mettre le public en garde contre ses écrits et ses travaux. Devenu célèbre pour son examen critique du nazisme et son rôle dans la «querelle des historiens» des années 1980, Nolte a créé les outils historico-politiques d'une nouvelle génération de la droite libérale et conservatrice. Mike Gutsing, rédacteur du magazine Freilich, a rassemblé les ouvrages les plus importants pour nous en dire quelques mots.

par Mike Gutsing

Le fascisme à son époque (1963)

Le premier ouvrage d'Ernst Nolte est aujourd'hui encore considéré comme un classique. Il avait déjà travaillé sur Le fascisme à son époque alors qu'il enseignait l'allemand, le latin et le grec au lycée à la fin des années 1950 et s'en était servi comme thèse de doctorat. Avec Der Faschismus in seiner Epoche, Nolte adopte une méthode de travail qui marquera toute son œuvre scientifique et qui compte encore aujourd'hui de nombreux adeptes dans et hors du milieu universitaire. Il interprète le phénomène de l'État nazi à partir de lui-même, analyse sa compréhension de lui-même et en déduit les particularités idéologiques. Jusqu'alors, le terme n'était connu que comme une auto-désignation du mouvement politique de Mussolini et comme un terme de combat de la gauche d'après-guerre, grâce à Nolte, le « fascisme » est devenu un terme d'analyse scientifique.

Contrairement à l'interprétation qu'en font ses contemporains, Nolte bouscule les schémas de pensée existants. Il affirme que le fascisme a été une réaction à certaines circonstances et crises historiques, et tente de mettre en lumière les similitudes et les différences entre les différents mouvements fascistes. L'idée selon laquelle les différentes formes de fascisme européen étaient des réactions au communisme soviétique russe est centrale. C'est notamment cette thèse qui a valu à l'ouvrage, et donc à Ernst Nolte, d'être sévèrement critiqué par les historiens.

8166FKpeLLL.jpg

L'Allemagne et la guerre froide (1974)

Près de trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde était à nouveau sur le point de connaître une conflagration mondiale. Les puissances du bloc formé par les États-Unis d'Amérique et l'Union soviétique se sont réarmées après les efforts de détente des années 60 et se sont livrées à une course au monde jusqu'alors inédite. Dans son livre L'Allemagne et la guerre froide, Ernst Nolte a analysé comme personne d'autre les relations tendues entre les deux grandes puissances. Selon Nolte, le conflit mondial n'est pas seulement une lutte d'influence, de ressources et d'hégémonie, mais aussi un combat d'idéologies. Pour lui, les « démocraties occidentales » sont en concurrence permanente avec leurs alternatives, qui ont pris la forme du nazisme et du communisme au 20ème siècle.

Dans L'Allemagne et la guerre froide, Nolte étudie également les circonstances géopolitiques qui ont conduit à la division de l'Allemagne. En tant qu'historien, il était au cœur de l'actualité, la double décision de l'OTAN ayant donné à de nombreux Allemands de l'Ouest l'impression d'être devenus tout à coup la première tranchée de la guerre froide. Nolte établit également un parallèle avec Israël, une comparaison qui a suscité l'étonnement et parfois l'admiration de nombreux critiques contemporains pour sa méthode de travail.

71+CBsXTDQL._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

La guerre civile européenne (1987)

La fascination pour les pensées et les points de vue sous-jacents aux grandes évolutions du monde imprègne également l'œuvre la plus controversée de Nolte. Avec Der europäische Bürgerkrieg 1917-1945. Nationalsozialismus und Bolschewismus (La guerre civile européenne 1917-1945 - National-socialisme et bolchevisme ), il s'est propulsé au cœur de la querelle des historiens, exacerbée par le mouvement de 1968, sur la manière dont la recherche traite le national-socialisme. A sa critique centrale, selon laquelle l'historiographie de la RFA n'aurait pas dû adopter sans réflexion la perspective des puissances victorieuses, Ernst Nolte oppose dans ce livre un contraste en confrontant les deux adversaires de la « guerre civile ».

Avec sa thèse selon laquelle les camps de concentration nazis auraient été la réaction à l'archipel du Goulag des communistes, il fait tomber de son piédestal, selon de nombreux collègues, l'une des vaches sacrées de l'Allemagne d'après-guerre. Les recherches universitaires de Nolte sont perçues comme une attaque contre la souveraineté d'interprétation des intellectuels de la République fédérale d'Allemagne et interprétées comme une relativisation de l'Holocauste. Le conflit autour des déclarations de Nolte, souvent interprétées de manière délibérément erronée, continue d'assombrir le livre et son auteur. Il n'en reste pas moins un ouvrage de référence, non seulement pour les historiens spécialisés, mais aussi pour tous ceux qui souhaitent comprendre la pensée historique de Nolte.

1138020-gf.jpg

La pensée historique au XXe siècle (1991)

A propos de l'ouvrage publié au début des années 1990 , Geschichtsdenken im 20. Jahrhundert. De Max Weber à Hans Jonas, il y a peu à dire. Non pas parce que le livre est seulement faible en contenu ou même en qualité, mais parce qu'il semble à première vue être l'étape logique après les débats autour de son dernier grand ouvrage, La guerre civile européenne. Ses contemporains l'ont qualifié de « costume d'Arlequin assez abscons » que l'homme, alors âgé de 68 ans, avait revêtu. Pour Nolte, il s'agissait de trouver des personnes partageant les mêmes idées que lui, qu'il voulait à présent dénicher dans le passé après les avoir vainement recherchées dans le présent.

Les « penseurs de l'histoire », comme les appelle Nolte, sont une espèce rare d'intellectuels, même parmi les 39 grands penseurs de la fin du 19ème siècle et du 20ème siècle, qui n'est pas totalement révolu, ils ne sont qu'une poignée. Si vous souhaitez comprendre la pensée de Nolte, vous ne pouvez pas passer à côté de ce livre.

31p1Y458jmL._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

Le troisième mouvement de résistance radicale : L'islamisme (2009)

Dans son œuvre tardive, Ernst Nolte a également cherché le point sensible. L'examen de l'islamisme, avec en toile de fond les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre internationale contre la terreur, n'est pas vraiment extravagant. Pour lui, l'islamisme, troisième idéologie après le bolchevisme et le nazisme, s'oppose fondamentalement à la démocratie libérale. Nolte reste impassible dans cette évaluation, il considère que le système de valeurs occidental n'est pas moins menaçant pour l'existence des pays marqués par l'islam, comme c'est le cas dans l'autre sens.

Tout au long de sa vie, ses détracteurs ont reproché à Nolte de s'intéresser davantage aux idéologies qu'à la réalité. Mais c'est justement La troisième résistance radicale: l'islamisme qui nous montre que l'idéologie et la réalité ne forment pas un couple antagoniste. Dans ce livre, Ernst Nolte révèle une fois de plus une manière de penser au-delà des perspectives préconçues. Si ses résultats peuvent être contestables, la grande qualité de sa méthode de travail et la force d'innovation de sa pensée ne le sont pas.

51wj+3l1WML._AC_UF894,1000_QL80_.jpg

 

 

20:39 Publié dans Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernst nolte, histoire, livres, allemagne, historiens | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 04 avril 2014

JACQUES LE GOFF: Une vie pour l'Histoire

goff.jpg

JACQUES LE GOFF
Une vie pour l'Histoire

Jean Pierinot
Ex: http://metamag.fr

Jacques Le Goff est mort, ce 1er avril, à Paris, âgé de 90 ans. Né en 1924, à Toulon, il a consacré sa vie à l'exploration du Moyen Âge. Normalien et agrégé d'Histoire, il a participé aux belles heures de l'École des Annales avec les disciples de Marc Bloch (1886-1944) tel Fernand Braudel et Lucien Febvre. Tous ses ouvrages évoquent un Moyen Age qui serait un «tremplin pour l'avenir, Moyen Age qui apparaît comme la matrice de notre modernité ». A la question «l'Europe est-elle née au Moyen Age ?», Jacques Le Goff n'apporte qu'une réponse: « Oui, et c'est une bonne nouvelle.» Agnostique et Européen convaincu, il est mondialement connu comme l’un de nos plus grands médiéviste. Il est considéré comme "le père de la Nouvelle histoire".

jacques_le_goff_temps_sacre.jpgDans "L'Europe est-elle née au Moyen Age? " ( Ed. Seuil), il expose sa conception de la naissance de l'idée européenne. Il divise son étude en quatre périodes, de la fin de l'empire romain à la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb.


Selon Jacques Le Goff : « La mémoire ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir ». Pour lui, l’inscription dans le temps est un élément constitutif de l’identité collective. Tout groupe est en effet confronté à la question de la pérennité de son identité. La mémoire participe à la construction de l’identité de nos sociétés.


Jacques Le Goff  était aussi un historien ancré dans le monde. Dans une interview à La Vie  (2004) il expliquait sa position hostile à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne : « Quel est le territoire de l’Europe? La géographie a fait qu’au Nord, à l’Ouest et au Sud, la question soit facile à trancher. En revanche, à l’Est, pas de frontières nettes... Or, il n’y a pas d’espace politique sans une certaine conformité à la géographie. Pour l’essentiel, la Turquie est une puissance asiatique, pas européenne. La question se pose différemment pour la Russie, qui, culturellement et historiquement, fait partie de l’Europe. Pour moi, l’Europe s’arrête à l’Oural et au Bosphore, même s’il est clair que la Russie n’entrera dans l’Union qu’avec ses territoires asiatiques. La question est partiellement résolue depuis 1989, puisque la plupart des territoires non russes de l’URSS ont pris leur indépendance. »

Dans un article intitulé « Le pouvoir et l’histoire » ( Libération, 19/10/2007), face aux lois liberticides, il défendait la liberté pour l’histoire : « Laissons aux historiens le soin d'établir les faits. Et, si une situation historique est complexe, si une mémoire est tourmentée, laissons aux citoyens le soin de se faire une opinion en fonction des informations. »


jlg.jpgHéritier de l'école des Annales, il fut l'auteur d'une oeuvre monumentale et très dense. Parmi ses plus récentes publications: "Le Moyen Age et l'Argent" (2010), "Le Moyen Age expliqué en images" (2013) ou encore, paru en janvier 2014, "Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches?" aux éditions du Seuil. Son ouvrage le plus connu est consacré à Saint Louis (Gallimard, “ Bibliothèque des Histoires ”, 1996 »), une somme de 1000 pages. On note aussi  "Les intellectuels au Moyen Âge" (Seuil, 1957)," La civilisation de l'Occident médiéval" (Arthaud, 1964) etc. Il se situe dans la lignée des Marc Bloch, Lucien Febvre, Fernand Braudel, Georges Duby,  Maurice Lombard  et Jean Favier.


Jacques LE GOFF, un européen pour qui  « Il n’y aurait pas eu d’Europe sans les bibliothèques, sans la présence du savoir gréco-romain dans l’enseignement. Platon, Aristote, Cicéron, c’est bien le Moyen Âge qui les a fait connaître et qui les a installés dans la pensée européenne ! L’apport grec se résume, au plan politique, à la démocratie et, au plan du savoir, au goût de la science et à l’esprit critique. Tout cela, aujourd’hui encore, reste très européen. La plupart des autres civilisations sont restées imperméables à l’esprit critique. Dans l’apport romain, je retiens essentiellement le droit. Un apport que le Moyen Âge va considérablement enrichir. Au droit romain, il a ajouté le droit canonique et le droit coutumier, qu’il a couchés par écrit au XIIIe siècle.»


Jacques Le Goff rejoint Jean-François Mattéi au Panthéon des Européens illustres.

00:05 Publié dans Histoire, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques le goff, histoire, hommage, historiens | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 09 mai 2009

Une philippique contre les assassins de l'histoire

Geschichte-Weltchronik.jpg

SYNERGIES EUROPÉENNES - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Juillet 1988

Une philippique contre les "assassins de l'histoire"

Un rapport de Luc Nannens

 

Le débat ouest-allemand récent, baptisé "querelle des historiens", a fait la une de tous les quotidiens et hebdomadaires de RFA. Il y a d'un côté, ceux qui veulent accentuer encore la culpabilité allemande, ressasser sans cesse les my-thèmes culpabilisateurs, les ériger au rang de vérités historiques intangibles. Leur méthode: l'anathème et l'injure. Cet exercice n'a pas plu à quelques historiens célèbres dans le monde entier, porte-paroles de leurs confrères: Ernst Nolte, Andreas Hillgruber et Michael Stürmer. Peu suspects de sympathies à l'endroit du nazisme, ils ont for-mé le camp adverse des nouveaux inquisiteurs, ceux qui s'auto-proclament "anti-fascistes". Ils n'ont pas accep-té la nou-velle mise au pas, le galvaudage éhonté de leur discipline déjà si malmenée par l'idéologie ambiante, cel-le de la grande lessive des mémoires. Rolf Kosiek nous a dressé un bilan clair de cette affaire qui annonce une pro--chai-ne grande révolte des mémoires contre les escrocs idéologiques, les nouveaux prêtres hurleurs qui veulent do-mes-ti-quer, asservir et détruire l'indépendance d'esprit et la sérénité européennes, la vieille et pondérée éthique de Thucydide. Son bilan porte le titre de

 

Rolf Kosiek, "Historikerstreit und Geschichtsrevision", Grabert-Verlag, Tübingen, 1987.

 

La querelle des historiens, écrit Rolf Kosiek, est révélatrice de l'absence de liberté que subissaient les historiens dans les décennies écoulées mais, point positif, elle indique aussi que les choses sont en train de bouger et que les scien-ces historiques vont enfin pouvoir entrer dans une époque "normalisée" et se dégager des carcans officiels. Les historiens agressés, jadis, entraient automatiquement dans un purgatoire et sombraient dans un oubli catastro-phique, résultat de la cons-piration du silence. Désormais, ils se rebiffent et font face. Apparaissent dès lors les pre--mières fissures dans l'édifice érigé artificiellement pour les besoins a posteriori de la cause alliée, même si des mas-ses d'archives sont encore inaccessibles et si des rumeurs courent qui disent que les documents entreposés à Lon-dres sont délibérément falsifiés, de façon à ne pas porter ombrage au Royaume-Uni quand ils seront enfin à la disposition des historiens.

L'Allemagne de l'Ouest a connu cinq cas de mise au pas d'historiens actifs dans l'enseignement: l'affaire du Prof. Dr. Peter R. Hofstätter en 1963, l'affaire Stielau (qui contestait l'authenticité du Journal d'Anne Frank)  en 1959, l'af-faire Walendy en 1965, l'affaire Diwald en 1978 (deux pages jugées litigieuses dans un livre de 764 pages, ven-du à des centaines de milliers d'exemplaires!), l'affaire Stäglich où l'accusé s'est vu non seulement condamné mais dépouillé de son titre de docteur en droit en vertu d'une loi imposée sous Hitler en 1939! Si toutes ces af-fai-res concernaient des mises en doute directes de la façon dont l'idéologie dominante présente les rapports tragiques en-tre Allemands et Juifs pendant la parenthèse hitlérienne, la querelle actuelle ne se base pas du tout sur des argu-ments relatifs à cette douloureuse question. D'où Kosiek distingue deux types de révisionnisme historique: le ré-vi-sionnisme proprement dit, vivace dans la sphère anglo-saxonne et porté par des célébrités comme B.H. Liddell-Hart, P.H. Nicoll, C.C. Transill, H.E. Barnes, qui, tous, nient la culpabilité exclusive de l'Allemagne dans le dé-clenchement de la seconde guerre mondiale. Nier l'exclusivité de la culpabilité, ce n'est pas nier toute culpabilité mais cette nuance, qu'acceptera tout esprit doté de bon sens, est déjà sacrilège pour les néo-inquisiteurs. Ensuite, un révisionnisme plus marginal, et surtout plus spécialisé, qui n'aborde que les questions propres aux rapports ger-mano-juifs.

Une volonté populaire diffuse de retour à l'histoire et de réappropriation d'identité

Une sourde hostilité couvait depuis une bonne décennie contre l'arrogance inquisitoriale: en 1976, le Président de la RFA, Walter Scheel, avait déclaré en public, devant un congrès d'historiens, que l'Allemagne de l'Ouest ne pou-vait nullement devenir un pays purgé de toute histoire. En 1977, les historiens hessois protestèrent vivement con--tre le projet du Ministère de leur Land  visant à supprimer purement et simplement la matière histoire dans les Gym-nasium.  L'exposition consacrée aux Staufer à Stuttgart en 1977 permet à plusieurs hommes politiques en vue de réitérer leur volonté de sauver l'histoire des griffes de ceux qui veulent systématiquement l'éradiquer. A par-tir de 1980, on assiste à une véritable offensive de retour à l'histoire et à une volonté très nette de se reconstituer une identité qui avait été provisoirement occultée; l'exposition sur la Prusse à Berlin en 1981 a montré que les mi-lieux de gauche, eux aussi, souhaitaient renouer avec l'histoire de leur pays (cf. Alain de Benoist, Gérard Nances & Robert Steuckers, "Idée prussienne, destin allemand", in Nouvelle Ecole,  n°37, 1982).

Les historiens, bénéficiant de cet engouement populaire pour l'identité nationale, vont s'enhardir et amorcer un processus d'émancipation. Helmut Rumpf, juriste et politologue de notoriété internationale, disciple de Carl Schmitt, rappelle, dans un article de la prestigieuse revue Der Staat  (Berlin) un ouvrage capital de 1961, assassi-né par la conspiration du silence: Der erzwungene Krieg  (= la guerre forcée) de l'Américain David L. Hoggan. Ce li-vre, épais de 936 pa-ges, démontrait la culpabilité britannique, notamment celle de Lord Halifax, sur base de do-cu--ments polonais, ja-mais étudiés à l'Ouest (sur Hoggan, cf. Orientations  n°6). La légende de l'incendie du Reichs-tag par les nazis fut, dans la foulée, réfutée par l'historien Fritz Tobias, membre de la SPD; Tobias avait en-tamé son enquête dès 1959 mais les inquisiteurs avaient jugé que sa thèse était "inopportune sur le plan de la pé-dagogie populaire" (!?). Il fal-lut attendre 1986 pour qu'elle soit admise, sans pour autant être diffusée. L'his-to-rien suisse-alémanique Wolf-gang Hänel put démontrer que les affirmations de Hermann Rauschning, consignées dans le fameux Hitler m'a dit,  sont absolument fausses pour la simple raison que l'auteur n'a jamais rencontré Hit-ler plus de quatre fois et, en ces occasions, n'était pas seul. Le Prof. Alfred Schickel, directeur de l'Institut d'His-toire Contemporaine d'In-gol-stadt, put prouver que les officiers polonais prisonniers en Allemagne organi-saient des "universités de camp". Ce fait, incompatible avec l'image qu'on s'est fait des relations germano-polo-nai-ses, fut d'abord nié par les historiens officiels, jusqu'au jour où plusieurs of-fi-ciers polonais sont venus person-nel-le-ment témoigner, preuves à l'appui!

Nolte contre Habermas: la "querelle des historiens" commence!

C'est avec un tel arrière-plan qu'a commencé la "querelle des historiens" proprement dite, en 1986. Ernst Nolte, cé-lèbre sur le plan international pour ses études sur l'origine des fascismes, a déclenché la polémique en écrivant, en substance, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ),  le 6 juin 1986, que l'"asiatisme" national-socia-lis-te, exprimé par la terreur policière, les camps et les massacres, n'est pas unique ni originelle mais a été précédée par l'"asiatisme" bolchévique. L'approche de Nolte était dans la droite ligne de ses options libérales: il ne niait pas les massacres et les crimes nationaux-socialistes mais refusait, par souci éthique, de justifier les massacres subis par ses compatriotes par les massacres qu'ils auraient commis ou non. Cette volonté de relativiser les faits, de les restituer à leur juste mesure et de les dépouiller de tous adstrats passionnels, constitue une démarche scien-tifique et objective, telle que tout historien sérieux se doit de poser. Les professionnels du culpabilisme ont ré-agi im-médiatement, d'abord par des lettres de lecteurs à la FAZ,  reprochant à Nolte de minimiser, par compa-raison avec la terreur stalinienne, les actes du régime nazi. Wolfgang Schuller, professeur d'histoire à Constance, fut le pre-mier à prendre parti pour Nolte, en écrivant: "Si l'on n'est plus autorisé qu'à écrire des choses négatives (à l'en-droit de l'histoire allemande de ce siècle, ndlr), si plus aucun lien causal, plus aucune causalité ne peut plus être évoqués, alors nous avons une sorte d'historiographie courtisane inversée".

Jürgen Habermas, qui n'en rate pas une, saisira l'occasion pour se donner de la publicité, en mitonnant un article far-ci de vitupérations et de fulminations hautes en couleur, en traînant Nolte dans la boue, avec trois autres de ses col-lè-gues, Andreas Hillgruber, Klaus Hildebrand et Michael Stürmer. Pariant sur l'ignorance des masses, sachant que les médias conformistes lui donneront une publicité imméritée, Habermas recourt sans vergogne à l'injure, au tron--quage des citations et au langage propagandiste, sans pour autant éviter les contradictions: ainsi, il reproche à Stürmer de fabriquer une "philosophie otanesque" (Natophilosophie),  assortie de "tamtam géopoliticien", propre à une "idéologie du milieu" (Ideologie der Mitte)  qui met en danger les liens de l'Allemagne avec l'Ouest, matri-ce des sacro-saintes "Lumières"! La réponse moqueuse des agressés n'a pas tardé: se posant comme leur avocat, Gün-ter Zehm se gausse du philosophe-sociologue libéral-gauchiste en faisant appel à ses propres théories; en ef-fet, Habermas, voulant ancrer sa démarche dans l'héritage rationaliste, hégélien et marxiste, a toujours opté pour les faits objectifs contre les travestissements métaphysiques, les engouements romantiques, les mythes mobilisa-teurs de type sorélo-fasciste ou völkisch-hitlérien; dans la querelle des historiens, toutes ses belles intentions, il les jette par-dessus bord, comme des ordures de cuisine par-dessus le bastingage d'un paquebot transatlantique: con-tre les faits mis en exergue par les historiens, le grand prêtre de la sociologie francfortiste évoque, trémolos feints dans la voix, la "malédic-tion éternelle" qui pèse sur le peuple allemand (et qu'il s'agit de ne pas égratigner) et la "faute incomparable" que les générations post-hitlériennes, faites de bons gros touristes roses et gourmands, doi-vent continuer à traîner com-me un boulet de forçat.

L'hystérie habermassienne contre la science historique

Ces gamineries hystériques n'ont pourtant été que le hors-d'œuvre, les zakouskis du maître-queue Habermas. Rudolf Augstein, rédac'chef du Spiegel,  prend le relais avec le gros sel: Hillgruber, selon le brave homme, nierait Ausch-witz et serait "un nazi constitutionnel". Janßen et Sontheimer, autres para-habermassiens, écrivent, sans ri-re et avec quelques circonlocutions, que les résultats de toute enquête historique doivent correspondre à des critères de "pé-dagogie populaire" et renforcer la "conscience Aufklärung". Tout autre résultat est malvenu et doit donc être tu, occulté, dénoncé. Le nazisme est unique, sin-gulier et au-dessus de toute comparaison, avancent Kocka, Bra-cher et Winkler, impavides devant le ridicule, puisque toute science his-to-rique est par définition comparative, comme le sait tout étudiant de première année. Winkler, qui avait bâti jadis quelques belles théories sur la parti-cu-la-rité allemande par rapport à l'Ouest, estime brusquement que le nazisme ne peut être comparé avec l'URSS stali-nien-ne ou le Cambodge de Pol Pot, terres asiatiques, mais exclusivement avec l'Ouest et ses normes puisque l'Al-lemagne est un morceau d'Occident. Après ces raisonnements spécieux: coucou! Qui réapparaît donc comme un dia-blo-tin d'une boîte? Habermas! L'hom-me prend des poses de Iavhé biblique et en imite le courroux: la faute des Al-lemands se transmettra de gé-né-rations en gé-né-ra-tions ad infinitum  (cf. Die Zeit,  7-XI-'86). On ne voit plus où est l'histoire. On voit au con-trai-re comment se modernisent les anathèmes théologiques.

Ces excès ont eu pour résultat de mobiliser une phalange d'historiens agacés parmi lesquels Joachim Fest, qui, en défendant Nolte, s'insurge contre les simplismes ânonnés à propos du national-socialisme par les adeptes des Lu-mières qui, derrière un discours rationaliste-utopique sur la liberté, asseyent sans scrupules leur propre mandari-nat. Thomas Nipperdey attaque directement la méthode de Habermas: le passé y est dénoncé, puis, au nom du principe tout-puissant de l'émancipation, politisé et moralisé, mieux, hyper-moralisé; de cette manière seulement, la voie est libre pour le monopole futur des utopies, des "constructions" artificielles, détachées de toute continui-té historique. Un passé moralisé détruit ipso facto l'histoire réelle, pour installer des schémas désincarnés dans lesquels les peuples ne retrouvent pas leurs aspirations. C'est pourquoi il faut historiciser le national-socialisme, afin de ne pas renoncer au réel et de ne pas confisquer aux Allemands le droit de construire une démocratie con-forme aux rythmes de leur histoire. Pour le bien de la science, on ne peut interdire aux chercheurs de s'interroger et de solliciter témoignages et documents. Nolte renchérit: il faut éviter que ne s'installe une situation où le passé national-socialiste est érigé en un mythe négatif, indicateur du mal absolu, qui empêche toute révision pertinente et s'avère ennemi de la science.

Hildebrand rejette les arguments passionnels de Habermas en démontrant que les thèses que ce dernier incrimine ne sont nullement neuves mais ont déjà été débattues en Allemagne et à l'étranger depuis longtemps. L'assassinat des Juifs, écrit-il dans Die Welt  (22-XI-'86), est sans doute "singulier" dans une perspective universelle mais de-meu-re néanmoins inscrit dans une chaîne d'événements tout aussi tragiques de notre siècle; cet événement "géno-cidaire" a eu des précédants et des imitations: le génocide des Arméniens, la liquidation de millions de paysans pro-priétaires russes, les koulaks, l'élimination et les déportations de peuples entiers sous le joug de Staline, les ex-terminations du "communisme paléolithique" cambodgien. Procéder à une comparaison entre ces horreurs his-to-riques est légitime pour l'historien, dont la tâche est d'en dégager les constantes et d'en comprendre les moti-vations, aussi répréhensibles soient-elles sur le plan moral. Spécialiste des crimes perpétrés contre les Alle-mands au cours des expulsions de 1945-46, l'historien américain Alfred de Zayas, en prenant position dans Die Welt  (13-XII-'86), explique que le processus de "démythologisation" du nazisme est en cours aux Etats-Unis et en Angle-ter-re depuis longtemps et exhorte les Allemands à s'intéresser à ces travaux en dépit des hurlements du mandarinat établi; selon de Zayas, la thèse de l'"unicité" de la faute nazie est inepte et les Allemands ne doivent pas se laisser hypnotiser ou paralyser par Auschwitz, car, pendant la seconde guerre mondiale, il n'y a pas eu de "monopole de la souffrance".

Les cinq questions-clefs du débat

Au-delà de la polémique, Kosiek dégage les principaux points de discorde entre les historiens: 1) La démarche de révision est-elle ou non la norme de la scientificité historique?; 2) Le IIIème Reich revêt-il un caractère d'unicité?; 3) L'époque du IIIème Reich doit-elle être historicisée, c'est-à-dire doit-elle être soumise aux mêmes critères d'investigation historiques que n'importe quelle autre segment de l'histoire?; 4) Le problème du calcul du nombre de victimes doit-il être abordé?; 5) Convient-il ou ne convient-il pas d'étendre la notion de "faute collective" aux gé-né-rations post-hitlériennes et, si oui, jusqu'à quelle génération? Au-delà de ces cinq questions d'ordre éthique et philosophique, qui ne sont pas du ressort direct de l'historien mais concernent immédiatement sa liberté de travail, l'histoire contemporaine, si elle veut quitter certaines impasses, doit aborder des terrains laissés jusqu'ici en jachè-re, terrains inexplorés à cause de la terreur intellectuelle exercée par le mandarinat. Seules des réponses allant dans un sens résolument non-habermassien aux cinq questions ci-dessus, permettront aux historiens d'aborder des do-mai-nes inexplorés (ou explorés seulement dans une marginalité éditoriale non médiatisée), comme, par exemple, les extermina-tions staliniennes et leurs incidences sur l'histoire de l'Europe orientale, la question de savoir si la guer-re déclenchée par Hitler contre l'URSS a été préventive ou non, les problèmes de l'expulsion des Allemands de Silésie, de Poméranie, de Prusse orientale et du Territoire des Sudètes. Une demande générale se fait jour qui com-prend l'é-tude historique et scientifique de ces événements, un débat public, franc et ouvert, sur ces questions. Y répondre clairement, sans a priori idéologique, avec sérénité, signifierait que l'histoire n'est pas une science mor-te. Ne pas y répondre, persister dans l'occultation de pans entiers de l'histoire européenne, signifierait au con-trai-re que l'his-toire est morte, et avec elle la liberté, et que se sont réalisées les pires appréhensions d'Orwell con-cernant la ma-ni-pu-lation du passé dans des buts de ma-ni--pulation politique. Un habermassien sincère, soucieux de transparence, de dialogue et de publicité, hostile aux mé-canismes mis en scène par l'imagination romanesque d'Or-well dans 1984,  devra nécessairement prendre la parti des Nolte, Hildebrand, Stürmer, etc., malgré les déra-pa-ges, divagations et éruc-ta-tions récentes de son maître-à-penser.

Dix conclusions

Quelles conclusions tirer de tout cela? Pour Kosiek, il convient de dégager dix leçons de cet événement:

1) Pour la première fois, toute une brochette d'historiens établis réclame une révision des schémas historiques et un abandon franc des simplismes en vogue.

2) Le scandale déclenché par Habermas a montré l'inanité intellectuelle des dits schémas et induit bon nombre d'historiens à relire les livres oubliés de certains "révisionnistes" anglo-saxons, dont Hoggan. Une modification ad hoc des manuels scolaires devrait suivre...

3) Le scandale doit nécessairement déboucher sur une liberté de recherche et il doit être accordé aux historiens le plein droit au débat pour toutes questions. Les peines prévues par le code pénal pour ceux qui enfreindraient le prêt-à-penser doivent être abrogées, au nom de la liberté de recherche.

4) Le processus d'historicisation du national-socialisme est enclenché, volens nolens. La chape de moralisme stérilisant s'effrite pour faire place à une histoire objective.

5) Le délicat problème du calcul arithmétique des victimes fait une entrée discrète sur la scène universitaire.

6) Des domaines délaissés de l'histoire (cf. supra) vont enfin être abordés et des angles d'approche négligés, comme la géopolitique, sont en passe d'être réhabilités.

7) Grâce à la querelle des historiens, les camps se sont formés et les clivages clarifiés. Le refus des méthodes anti-scien-ti-fiques s'est étoffé.

8) Le débat s'est déroulé dans les grands journaux, ce qui a permis à de larges strates de la population de prendre acte des enjeux.

9) Les historiens attaqués sauvagement par les inquisiteurs n'ont rien à voir avec la mouvance dite "néo-nazie" et n'appartiennent même pas à un secteur ou l'autre du clan nationaliste ou conservateur. Preuve que les inquisiteurs ne respectent aucune nuance et n'hésitent pas à utiliser la stratégie inféconde de l'amalgame.

10) Ces historiens modérés, auxquels aucune insulte et bassesse n'ont été épargnées, devront désormais faire montre de solidarité à l'égard de collègues moins en vue et en proie aux attaques des nervis inquisitoriaux habituels; ils ne pourront plus honnêtement se satisfaire de la politique de l'autruche.

Luc NANNENS.

Littérature complémentaire:

Hans-Christof KRAUS, "Wissenschaft gegen Vergangenheitsbewältigung. Eine Bilanz des Historikerstreits", in Criticón,  nr. 99, Januar-Februar 1987.

Criticón,  numéro 104, consacré à la "querelle des historiens". Textes de H.-Chr. KRAUS, Dietrich AIGNER, Alfred de ZAYAS et Armin MOHLER (où le célèbre explorateur de la "Konservative Revolution" démontre que Nolte, avant les incidents de l'automne 1986, avait "cimenté" quelques simplismes et fétiches historiques).

Pour toute commande, écrire à: Criticón-Verlag, Knöbelstraße 36/0, D-8000 München 22. Tel.: (089)29.98.85.

 

 

lundi, 22 septembre 2008

Hommage à H. Diwald

hstDiwaldHellmut.jpg

 

Robert STEUCKERS:

Hommage à Hellmut Diwald (1924-1993)

 

Né le 13 août 1924 dans le pays des Sudètes, plus précisément à Schattau en Moravie méridionale, le professeur Hellmut Diwald a quitté la vie le 26 mai 1993. Fils d'ingénieur, il s'était d'abord destiné à suivre les traces de son père: il suit les cours de l'école polytechnique de Nuremberg et y décroche son premier diplôme. Mais c'est à l'université d'Erlangen qu'il trouvera sa véritable vocation: l'histoire, l'événémentielle et celle des religions et des idées. De 1965 à l'année de sa retraite, il a enseigné l'histoire médiévale et moderne dans l'université qui lui avait donné sa vocation. Auparavant, il avait travaillé sur les archives d'Ernst Ludwig von Gerlach, un homme politique conservateur et chrétien de l'époque de Bismarck, avait rédigé une monographie sur le philosophe Dilthey et publié plusieurs études, notamment sur Ernst Moritz Arndt, père de la conscience nationale allemande (mais qui a eu un grand retentissement en Flandre également, si bien qu'il peut être considéré à Anvers, à Gand et à Bruxelles comme un pater patriae), et sur l'évolution des notions de liberté et de tolérance dans l'histoire occidentale.

 

Ces premiers travaux scientifiques permettent de comprendre quel homme fut Hellmut Diwald, quelle synthèse il a incarnée dans sa vie intellectuelle et militante: homme de progrès dans le sens où il s'inscrit dans la tradition émancipatrice des Lumières et de la Prusse, il ne conçoit pas pour autant cette émancipation comme un pur refus de tout ancrage historique et politique, mais au contraire, à l'instar du romantique Arndt et du conservateur von Gerlach, comme la défense d'un ancrage précis, naturel, inaliénable, dont l'essence est de générer de la liberté dans le monde et pour le monde. Cet ancrage, ce sont les nations germaniques, nations d'hommes libres qui se rebiffent continuellement contre les dogmes ou les institutions contraignantes, contre les coercitions improductives. Cette notion germanique de l'homme libre a donné la réforme, les lumières pratiques du XVIIIième siècle frédéricien ou joséphien, ou, chez nous, le mythe d'Uilenspiegel. Elle est donc à la base du progressisme idéologique, avant que celui-ci ne deviennent fou sous l'impact de la révolution française et du messianisme marxiste.

 

Hellmut Diwald doit sa notoriété à un ouvrage paru en 1978: une «histoire des Allemands» inhabituelle, où notre auteur inverse la chronologie en commençant par l'histoire récente pour remonter le cours du temps. Cette originalité n'est pas une simple facétie de professeur. En effet, les historiens allemands de notre après-guerre n'ont cessé de juger l'histoire allemande comme le préliminaire à l'horreur nationale-socialiste. Tous les événements de cette histoire étaient immanquablement jugés à l'aune du national-socialisme, ramenés à l'une ou l'autre de ses facettes. Reductio ad Hitlerum: telle était la manie, lassante, répétitive, morne, de tous les zélotes de la profession qui travaillaient à réaliser une seule obsession: tenir leur peuple à l'écart de l'histoire qui se jouait désormais à Washington ou à Moscou, à Pékin ou à Tel Aviv. Tout retour de l'Allemagne sur la scène de l'histoire réelle aurait signifié, pour ces savants apeurés, le retour d'une tragédie à l'hitlérienne. On peut évidemment comprendre que les Allemands, après deux défaites, aient été échaudés, dégoûtés, rassis. Mais ces sentiments sont justement des sentiments qui ne permettent pas un regard objectif sur les faits historiques. En inversant la chronologie, Diwald se voulait pédagogue: il refusait d'interpréter l'histoire allemande comme une voie à sens unique débouchant inévitablement sur la dictature nationale-socialiste. S'il y a pourtant eu ce national-socialisme au bout de la trajectoire historique germanique, cela ne signifie pas pour autant qu'il ait été une fatalité inévitable. L'histoire allemande recèle d'autres possibles, le peuple allemand recèle en son âme profonde d'autres valeurs. C'est cela que Diwald a voulu mettre en exergue.

 

Du coup, pris en flagrant délit de non-objectivité, les compères de la profession, ont crié haro sur Diwald: en écrivant son histoire des Allemands, il aurait «banalisé» le national-socialisme, il l'aurait traité comme un fragment d'histoire égal aux autres. Pire: il ne l'aurait pas considéré comme le point final de l'histoire allemande et aurait implicitement déclaré que celle-ci demeurait «ouverte» sur l'avenir. Pendant deux ans, notre historien a subi l'assaut des professionnels de l'insulte et de la délation. Sans changer sa position d'un iota. Meilleure façon, d'ailleurs, de leur signifier le mépris qu'on leur porte. Mesquins, ils ont voulu «vider» Diwald de sa chaire d'Erlangen. Ils n'ont pas obtenu gain de cause et se sont heurtés au ministre de l'enseignement bavarois, Maier, insensible aux cris d'orfraie poussés des délateurs et des hyènes conformistes.

 

Diwald n'a pas cessé de travailler pendant que ses ombrageux collègues vitupéraient, complotaient, s'excitaient, pétitionnaient. En 1981, avec Sebastian Haffner, un homme de gauche éprouvé et un anti-fasciste au-dessus de tout soupçon, et Wolfgang Venohr, historien et réalisateur d'émissions télévisées, il participe en 1981 à la grande opération de réhabilitation de l'histoire prussienne, dont le point culminant fut une grande exposition à Berlin. Parallèlement à cette série d'initiatives «prussiennes», Diwald travaillait à un sujet qui nous intéresse au plus haut point dans le cadre de notre souci géopolitique: une histoire de la conquête des océans. Deux volumes seront les fruits de cette recherche passionnante: Der Kampf um die Weltmeere  (1980) et Die Erben Poseidons. Seemachtpolitik im 20. Jahrhundert  (1987). Conclusion de Diwald au bout de ces sept années de travail: l'Allemagne a perdu les deux guerres mondiales sur l'Atlantique, parce que sa diplomatie n'a pas compris le rôle essentiel de la guerre sur mer.

 

Au cours de toute sa carrière, Diwald, auteur classé arbitrairement à droite à cause de son nationalisme d'émancipation, n'a jamais perdu la réunification allemande de vue. Cet espoir le conduisait à juger très sévèrement tous les ancrages à l'Ouest qu'essayait de se donner la RFA. Chacun de ces ancrages l'éloignait de sa position centre-européenne et des relations privilégiées qu'elle avait eu l'habitude de nouer avec la Russie. Diwald était donc un critique acerbe de la politique du Chancelier Adenauer, dont l'objectif était l'intégration totale de la RFA dans la CEE et dans le binôme franco-allemand. Inlassablement, Diwald a critiqué le refus adénauerien d'accepter les propositions de Staline en 1952: neutralisation de l'Allemagne réunifiée. Ce refus a conduit au gel des positions et condamné la RDA à la stagnation communiste sous la houlette d'apparatchiks pour lesquels le Kremlin n'avait que mépris.

 

La vie exemplaire de Diwald, clerc au service de sa patrie, nous lègue une grande leçon: l'historien ne peut en aucun cas faire des concessions aux braillards de la politique. Sa mission est d'être clairvoyant en toutes circonstances: dans l'euphorie du triomphe comme dans la misère de la défaite. Pour l'un de ses amis proches, venu lui rendre visite peu de temps après le diagnostic fatidique qui constatait la maladie inéluctable, Diwald a prononcé cette phrase qui fait toute sa grandeur, qui scelle son destin de Prussien qui conserve envers et contre tout le sens du devoir: «Pourvu que je puisse régler toutes les affaires en suspens qui traînent sur mon bureau avant de m'en aller». Hellmut Diwald, merci pour votre travail.

 

Robert STEUCKERS.

 

00:05 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : allemagne, histoire, historiens, querelle des historiens | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook