La brutalité des méthodes de la surclasse en France commence à étonner le monde. Par hasard je suis tombé sur un article très commenté de Zerohedge.com et sur un reportage de la chaîne Cuatro en Espagne. Mais même si les médias étrangers réagissent, je pense qu’en France on ira jusqu’au bout : coup d’Etat et massacres. J’en mets ma main à couper ou plutôt à arracher. Avec la bénédiction de Bruxelles, du Figaro et des soixante-huitards bourgeoisement et pieusement réunis pour fêter le triomphe de leur champion face à un peuple réveillé trop tard.
On ne peut pas dire que le mentor du macaron ne nous avait pas prévenus. Il se nomme Attali, avait très mal conseillé Mitterrand en 1981, et, passé depuis à la déification du golem de marché, il écrivait voici vingt ans ce texte sur la surclasse dont Gille Chatelet s’est trop moqué – car il est plus inquiétant que drôle. Nous sommes le 7 mars 1999 et voici à quelle sauce le Français et l’Américains vont se faire manger :
« Un capitalisme entraîné par des forces nouvelles où émergera une élite nouvelle et où se prolétarisera l’ensemble des classes traditionnelles. »
Je voyais une émission à la télé espagnole sur des expatriés en Amérique, qui confirmait les évaluations de Michael Snyder sur son site apocalyptique : 40 000 dollars une opération chirurgicale, 36 dollars la douzaine de donuts (à bouffer debout dans un local sale), 40 000 dollars l’année d’études et un million une baraque moyenne (on était dans le Maine). La moitié des gens ne se chauffent pas ; le tout sur fond de célébration du rêve américain… On comprend pourquoi 60 000 américains crèvent des opiacés chaque année. C’est en effet le seul moyen de supporter ce système et sa surclasse.
Euphorique, Attali écrit (nous sommes je le rappelle le 7 mars 1999) :
« Aux Etats-Unis, la classe ouvrière est rapidement dissoute par la concurrence de la technologie du Nord et des salaires du Sud. Le salaire moyen ouvrier baisse depuis vingt ans. En dix ans, la proportion d’emplois précaires a quadruplé, et la probabilité d’être au chômage au moins une fois dans les cinq ans à venir a triplé. Cette précarisation touche peu à peu aussi la classe moyenne : ingénieurs, commerçants, employés, cadres sont menacés par l’entrée de l’informatique dans les services et par la concurrence de leurs homologues du Sud, qu’accélèrent les télécommunications. »
Et le bougre d’ajouter sur cette prolétarisation générale :
« Il n’y aura plus bientôt, à la place du salariat, qu’un vaste prolétariat déclassé. Même les fonctionnaires rejoindront cette cohorte, les déficits publics entraînant la quasi-faillite du budget fédéral. A l’inverse, les rémunérations de certains nouveaux venus n’ont jamais été aussi élevées. »
Je précise que pour moi la précarisation est générale. Les hasards de la vie ont fait que j’ai connu beaucoup de millionnaires en euros et qu’ils vivent tous de plus en plus mal, enfants, vieux, malades y compris (et ce pour les raisons citées plus haut). Prolétarisation des millionnaires…
Attali devient ensuite plus carnassier : « Ces fortunes nouvelles ne sont pas l’apanage de capitalistes traditionnels ni de dirigeants de grands groupes, mais plutôt des détenteurs ou de créateurs de rentes informationnelles, capables de disposer, même pour un temps bref, d’un savoir ou d’un savoir-faire unique. »
Il continue sans rappeler Robert Reich (dont j’ai parlé ici) et qui a inspiré avec ses « manipulateurs de symboles » toute cette envolée :
« Dans ce capitalisme global de haute compétition et de faible inflation, il faudra disposer de capitaux liquides, n’avoir ni dettes ni immobilisations et, surtout, disposer d’une rente de situation technologique (un savoir, une compétence, une opportunité d’être un intermédiaire utile à la valorisation ou à la circulation de l’information, une innovation dans le placement de titres, la génétique, le spectacle ou l’art). »
Après c’est l’extase. On se croirait dans cet épisode de Star Trek où les dominants vivent sur une autre planète (Cloud minders, nuages) :
« Ceux qui seront les maîtres de ces rentes constitueront ce que j’appelle une surclasse parce qu’ils ne se regroupent pas en une classe dont les privilèges sont liés à la propriété des moyens de production et à transmission. Les théories libérales ou marxistes ne s’appliqueront pas à eux : ils ne sont ni entrepreneurs-créateurs d’emplois et de richesses collectives ni capitalistes-exploiteurs de la classe ouvrière. Ils ne possèdent pas les entreprises, ni les terres, ni les postes administratifs. »
Eloge de l’éphémère et du nomadisme (qui consiste à passer son temps au téléphone, dans les aéroports, les bagnoles, les avions, les hôtels…) :
« Ils sont riches d’un actif nomade, monétaire ou intellectuel et l’utilisent de façon nomade pour eux-mêmes, mobilisant rapidement du capital et des compétences en des ensembles changeants pour des finalités éphémères où l’Etat n’a pas de rôle. Ils ne veulent pas diriger les affaires publiques (la célébrité politique est, pour eux, une malédiction). »
Après on se rapproche guilleret de l’actuel président et de son hugolienne cour des miracles :
« Ils aiment créer, jouir, bouger ; ils ne se préoccupent pas de léguer fortune ou pouvoir à leurs enfants : chacun pour soi. Riches de surcroît, ils vivent luxueusement, souvent sans payer ce qu’ils consomment. »
Et puis on passe aux aveux. Avis aux gilets jaunes ! Cette société d’accapareurs hédonistes repose sur la violence :
« Ils portent avec eux le meilleur et le pire de demain, installant une société volatile, insouciante de l’avenir, égoïste et hédoniste, dans le rêve et la violence. »
Dans ce bolchévisme de marché, tout sera balayé, surtout les restes de la civilisation agricole :
« Les élites traditionnelles européennes seront, elles aussi, balayées par ces nouveaux venus. Civilisation agricole, l’Europe est en effet beaucoup moins bien placée que l’Amérique pour cette victoire de la mobilité. Elle aura plus de mal à accepter que le pouvoir économique ne soit plus réservé aux propriétaires de sols, des murs, d’usines ou de diplômes. Ses élites, qui cumulent ces propriétés devenues anachroniques, seront peu à peu déclassées. »
Ici on se moque du monde : en France la surclasse ne vient pas de la technologie mais des milliardaires enrichis par Mitterrand/Balladur/DSK et des hauts fonctionnaires dévoyés façon Minc-Attali (lisez Sophie Coignard…). Et Attali d’enfoncer encore la France périphérique de Guilluy et des paysans :
« La France est particulièrement mal préparée à cet avenir. C’est une nation paysanne et étatique (étatique parce que paysanne). Les élites en place feront tout pour barrer le passage à la surclasse. La France se méfiera d’elle, qu’elle confondra au mieux avec des saltimbanques et au pis avec des parasites. »
En vérité il y a eu fusion ! Et de nous faire le coup classique des lendemains qui chantent :
« Pourtant, il faut accepter cette mutation, car cette surclasse porte la créativité et le bien-être de demain. Certes, il ne faut pas faire de l’Amérique un modèle à suivre à l’identique. Là-bas, une surclasse triomphante flottera sur les eaux boueuses de la misère, et la réussite de quelques-uns se paiera au prix de la marginalisation du plus grand nombre et de la violence des déclassés. »
C’est Houellebecq qui écrit que le néolibéralisme millénariste projette, comme le bolchévisme, dans le futur une prospérité qui n’arrivera jamais, car elle ne peut arriver…
Attali explique que plus d’inégalités et de destructions mèneront à plus d’égalité :
« L’Europe ne doit pas avoir de complexes. Dans la formidable phase de croissance qui commence, et qui durera trente ans, l’Europe a toutes les chances d’être la première puissance du XXIe siècle. A condition de permettre à une surclasse européenne de s’exprimer librement et de mettre ses compétences créatives au service du long terme et de la solidarité. »
Schumpeter (le père incompris de la destruction créatrice), que de crimes décidément on commet en ton nom et en tes livres si peu/mal lus !
Après, comme Mao, Attali nous souhaite de gober une révolution culturelle dévoreuse :
« Pour cela, c’est plus qu’un programme politique qu’il faut imaginer, c’est une révolution culturelle : l’acceptation du neuf comme une bonne nouvelle, de la précarité comme une valeur, de l’instabilité comme une urgence et du métissage comme une richesse, la création de ces tribus de nomades sans cesse adaptables, libérant mille énergies et porteuse de solidarités originales. »
La suite est facile à prévoir : détruire (on appelle ça changer, disait Philippe Muray) ce qui existe :
« Il faut pour cela tout changer, et vite, dans le système fiscal, éducatif et social. Il faut une fiscalité favorisant la création plus que la possession de richesses, l’innovation plus que la routine, le travail à haute valeur ajoutée plus que le travail non qualifié. Il est absurde de ne s’intéresser qu’au travail non qualifié en baissant les charges qui pèsent sur lui alors que le chômage le plus dangereux pour l’avenir de nos sociétés est celui des jeunes diplômés, membres potentiels de cette surclasse nécessaire et créateurs futurs d’emplois non qualifiés. Il faut favoriser par tous les moyens les créations de produits, d’idées, d’entreprises pour que naissent des emplois valorisants et que chacun puisse exprimer ses potentialités. »
Blague finale, on nous reparle de justice sociale :
« En contrepartie, il faut imposer une justice sociale plus exigeante qui assure à chacun l’égalité des chances d’accéder à cette surclasse. C’est-à-dire cesser de confondre sécurité et immobilisme et donner à chacun au minimum les moyens de manger, d’apprendre et de se loger. »
On rappellera à Attali que même le porte-parole Griveaux a du mal à se loger dans la ville de Paris asphyxiée (et c’est mérité) par le siège tenace des gilets jaunes.
Je ne me lancerai pas dans un débat sur la surclasse ; j’en ai parlé ici à propos de Robert Reich, qui comme Christopher Lasch soulignait la rupture entre les profiteurs (ex-élites) économiques et le peuple dans chaque pays occidental. Je rappellerai que, pour la surclasse, la France, ruinée et désindustrialisée, ne doit servir que de destination luxueuse aux oligarques. Et je me contenterai de rappeler cette phrase de Marx qui explique beaucoup mieux qu’Attali ce qui nous est arrivé depuis un petit demi-siècle :
« Le progrès industriel, qui suit la marche de l'accumulation, non seulement réduit de plus en plus le nombre des ouvriers nécessaires pour mettre en œuvre une masse croissante de moyens de production, il augmente en même temps la quantité de travail que l'ouvrier individuel doit fournir. A mesure qu'il développe les pouvoirs productifs du travail et fait donc tirer plus de produits de moins de travail, le système capitaliste développe aussi les moyens de tirer plus de travail du salarié, soit en prolongeant sa journée, soit en rendant son labeur plus intense, ou encore d’augmenter en apparence le nombre des travailleurs employés en remplaçant une force supérieure et plus chère par plusieurs forces inférieures et à bon marché, l'homme par la femme, l'adulte par l'adolescent et l'enfant, un Yankee par trois Chinois. »
Ajoutons avec Joseph Stiglitz que le seul vrai garant de notre niveau de vie était jusqu’à la fin des années 80 l’union soviétique. Et que depuis son effondrement (de l’URSS et de notre niveau de vie), la surclasse, c’est-à-dire la vielle bourgeoisie rapace bien maquillée avec sa garde-chiourme informatique, n’en a fait qu’à sa tête en revenant à son siècle préféré, le dix-neuvième.
Sources
Attali – la surclasse, l’express, 7 mars 999
Nicolas Bonnal – Chroniques sur la Fin de l’Histoire (Amazon.fr)
Karl Marx – le capital, I, section VI
Robert Reich – The Work of nations
Christopher Lasch – la révolte des élites (Flammarion)