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lundi, 24 septembre 2018

Michel Jobert

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Michel Jobert

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Qui se souvient encore de Michel Jobert qui se présentait comme « un phénomène insolite dans la vie politique française » ? Né à Meknès au Maroc le 11 septembre 1921 et mort à Paris le 25 mai 2002, combattant dans l’Armée d’Afrique en 1944 – 1945, cet énarque de la promotion « Croix de Lorraine » 1947 – 1948 intègre la Cour des Comptes, puis participe à différents cabinets ministériels parmi lesquels ceux de Pierre Mendès France en 1954 et de Georges Pompidou de 1966 à 1968. Georges Pompidou le nomme ensuite Secrétaire général de la présidence de la République en 1969. En 1973, il devient ministre des Affaires étrangères. En une année, il réaffirme la politique d’indépendance de la France, conteste la double domination planétaire des États-Unis et de l’URSS, tient tête à Henry Kissinger, refuse que le lien transatlantique entérine la soumission des Européens aux volontés de Washington, soutient la cause palestinienne et encourage le dialogue euro-arabe.

Partisan de Jacques Chaban-Delmas à la présidentielle anticipée de 1974, il entre aussitôt dans l’opposition à Valéry Giscard d’Estaing et fonde le Mouvement des Démocrates qu’il situe « ailleurs », au-delà de la gauche et de la droite. Ne pouvant pas réunir les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à la présidentielle de 1981, il se rapproche de François Mitterrand qui le nomme ministre d’État, ministre du Commerce extérieur. Ne disposant d’un cabinet opérationnel que bien longtemps après son entrée en fonction, Michel Jobert tente alors une politique commerciale néo-colbertiste sabotée par les manœuvres de l’Élysée. Constatant finalement qu’« il occupait un poste mal défini, qui n’avait jamais répondu aux nécessités de l’heure », il démissionne en 1983 et poursuit un engagement politique fort loin des modes médiatiques. Ainsi n’hésite-t-il pas à condamner l’intervention occidentale au moment de la Deuxième Guerre du Golfe en 1990 – 1991.

jobertmémoire.jpgLors du référendum de Maastricht de 1992, il appelle à un « oui » critique au nom de l’intérêt de l’Europe, car Michel Jobert est très européen. « L’Europe, si elle nous tient à cœur, n’aura de visage, d’identité, que si elle est capable d’assurer elle-même sa sécurité, au lieu de faire semblant de ne pas voir que, au-dessus d’elle, le parapluie nucléaire américain est troué depuis des années et que les États-Unis se replient d’Europe, à l’évidence (dans L’aveuglement du monde occidental. Chroniques de politique internationale 1993 – 1996, Albin Michel, 1997, p. 334). » Parfois désabusé, il estime par exemple que « la fameuse trilogie – monnaie unique, politique étrangère commune, défense commune – est, malgré les étapes et les dates fixées dans l’accord de Maastricht, du domaine de l’imaginaire ou de l’approximation (op. cit., p. 25) ».

En 1984, il publie Vive l’Europe libre ! Réflexions sur l’Europe avec le centre d’études du Mouvement des Démocrates (Ramsay). Il y avance déjà que « le paradoxe éclatant et pitoyable de l’Europe tient justement dans le contraste entre sa force économique et son inexistence politique. Toutes ces richesses et toutes ces capacités réunies ne sauraient garantir l’existence d’une communauté de destins, sans la détermination d’exister, réaffirmée jour après jour. En un mot, il ne saurait y avoir de Communauté européenne sans volonté de l’Europe (op. cit., p. 10) ».

Réaliste, Michel Jobert propose dans cet ouvrage une monnaie européenne de réserve autonome, une banque centrale européenne et une union monétaire. Il précise en outre « qu’il n’est pas de partisan sincère d’une Europe indépendante qui ne mette, comme condition indispensable à son existence, la réalisation prioritaire d’une politique de défense (op. cit., p. 148) ». Cela implique la formation au-dessus des États-membres d’une Confédération européenne avec un gouvernement désigné par le Conseil européen et qui s’occuperait d’environnement, de culture, de consommation, de famille, de monnaie et de défense. Cet exécutif confédéral serait contrôlé par un Sénat des États et responsable devant l’Assemblée des peuple d’Europe.

Michel Jobert le devinait. Tôt ou tard, « l’Europe entrera dans une zone grise, où il lui manquera l’essentiel : la volonté politique des États d’agir ensemble pour occuper une place sur un échiquier mondial en mutation (L’aveuglement…, op. cit., p. 45) ». Il savait fort bien que « la vocation de la France européenne n’est pas de s’aligner sur “ un consensus mou ” mais de faire fructifier le patrimoine commun des nations européennes, en valorisant d’abord le sien (op. cit., p. 243) ». Il était clair que pour Michel Jobert, « l’Europe sortira de la décadence ou du non-être si elle sait affirmer sa détermination, ses analyses et ses choix pour les imposer, à elle-même d’abord (Vive l’Europe…, p. 61) ».

Il annonçait enfin, visionnaire : « Mais comment ne pas sentir que dans l’Europe, alors que l’Italie, la Yougoslavie et l’Espagne hésitent devant leur destin, la France peut être une inspiratrice et un modèle ? Et qu’elle ne trouvera les recettes d’avenir que dans la participation de tous à cette recherche ? Oui, nous avons la liberté collective de définir et de bâtir notre vie. Les techniciens du pouvoir et leurs commissions n’y suffiront pas. La France est encore un pays colonial; elle a encore sa libération à faire (Mémoires d’avenir, Grasset, 1974, p. 16). » Michel Jobert savait que l’Europe ne sera indépendante qu’avec la fin de la présence délétère étatsunienne.

Georges Feltin-Tracol

• Chronique n° 19, « Les grandes figures identitaires européennes », lue le 11 septembre 2018 à Radio-Courtoisie au « Libre-Journal des Européens » de Thomas Ferrier.

10:15 Publié dans Histoire, Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel jobert, hommage, histoire, france, gaullisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook