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mercredi, 04 mars 2020

La malédiction de la pureté morale

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La malédiction de la pureté morale

Par Chris Hedges

Source : Truthdig, Chris Hedges

Ex: https://www.les-crises.fr

L’incapacité chronique de l’establishment de la gauche américaine à s’attaquer aux maux qui assaillent le pays – changement climatique, capitalisme mondialisé non réglementé, inégalités sociales croissantes, armée surdimensionnée, guerres sans fin à l’étranger, déficits incontrôlables et violence par armes à feu – signifie inéluctablement la mort par asphyxie pour notre démocratie anémiée. Submergées par de multiples crises, les élites libérales ont renoncé à la véritable vie politique et se sont repliées dans des croisades morales contre-productives, tentant ainsi vainement et de manière puérile de détourner l’attention des catastrophes sociales, politiques, économiques et environnementales qui se profilent.

Ces prétendues « croisades morales » – terme employé tant par la gauche que par la droite – ont divisé le pays en factions en guerre. Les opposants sont diabolisés. Les partisans de la cause sont du côté des anges du Ciel. Il n’y a pas place pour la nuance et l’ambiguïté. Les faits sont manipulés ou ignorés. La vérité est remplacée par des slogans. Les théories du complot les plus bizarres sont adoptées sans être crues, pour exposer la perfidie de l’ennemi. La politique se définit au travers de personnalités politiques antagonistes qui crachent du vitriol. La stérilité intellectuelle et morale, ainsi que l’incapacité d’arrêter les forces de destruction de la société, fournissent un terreau fertile pour les extrémistes, les néofascistes et les démagogues qui prospèrent dans les périodes de paralysie et de dégénérescence culturelle.

Les libéraux et la gauche ont perdu les deux années passées à attaquer Donald Trump – supposé être un agent russe – et semblent prêts à perdre les deux années à venir à l’attaquer pour son racisme. Ils cherchent désespérément des boucs émissaires pour expliquer l’élection de Trump à la présidence. La droite n’est pas si différente, accusant ses ennemis démocrates d’être des socialistes détestant l’Amérique et rendant responsables de notre débâcle nationale les musulmans, les immigrés et les pauvres de couleur. Ce sont des visions concurrentes d’un monde de dessin animé. Elles favorisent un univers de méchants et de super-héros qui exacerbe les clivages et les haines.

9782081428461.jpg« Partout la société bourgeoise semble être à court d’idées constructives », écrivait Christopher Lasch en 1979 dans « La culture du narcissisme ». « Elle a perdu à la fois la capacité et la volonté d’affronter les difficultés qui menacent de la submerger. La crise politique du capitalisme reflète une crise profonde de la culture occidentale, qui se révèle par une impuissance à comprendre le cours de l’histoire moderne ou à l’analyser de manière rationnelle. Le libéralisme – la théorie politique de la bourgeoisie ascendante – a perdu depuis longtemps toute capacité à expliquer le cours des événements dans le monde de l’État providence et des multinationales. Et il n’y a rien pour le remplacer. Le libéralisme est en faillite politique, mais aussi intellectuelle. »

Le magazine en ligne Slate a récemment publié les verbatim d’une réunion publique entre Dean Baquet, rédacteur en chef du New York Times, et le personnel du Times. Il est fascinant de voir l’arrogance et l’ignorance du journal – principal organe d’information de l’élite dirigeante – qui s’est employé depuis deux ans à détruire sa propre crédibilité en mettant en avant l’enquête de Robert Mueller et la théorie du complot selon laquelle Trump était un agent russe. Voici ce dit Baquet dans le reportage du journal sur Trump :

« Le chapitre 1 de l’histoire de Donald Trump, non seulement pour notre rédaction mais, je pense, pour tous nos lecteurs, était la suivante : Donald Trump avait-il entretenu des relations fâcheuses avec les Russes et y avait-t-il eu obstruction à la justice ? C’était la question centrale, ne l’oublions pas. On a mis les moyens pour couvrir cette affaire. Et pour sa couverture, nous avons remporté deux prix Pulitzer. Je pense que nous l’avons couverte mieux que quiconque.

Le jour où Bob Mueller a quitté la barre des témoins, deux choses se sont produites. Nos lecteurs qui veulent que Donald Trump s’en aille se sont dit : “Putain, Bob Mueller ne va pas le faire.” Et Donald Trump s’est un peu enhardi politiquement pour des raisons évidentes. Cela a changé la donne. La plupart des choses dont nous parlons aujourd’hui ont commencé à émerger il y a seulement six ou sept semaines. Nous avons été pris au dépourvu de ce nouveau tour qu’a pris l’affaire au bout de deux ans. N’est-ce pas ?

Je pense – comme je l’ai déjà dit – que nous devons changer la vision de notre couverture médiatique pour les deux années à venir : Comment peut-on parler d’un type qui tient de tels propos ? Comment parlons-nous des réactions qu’il suscite ? Comment pouvons-nous le faire tout en continuant à rendre compte de sa politique ? Comment traitons-nous de l’Amérique, si divisée par Donald Trump ? Comment pouvons-nous nous emparer de tous les sujets dont vous parlez tous ? Comment écrire sur les questions raciales de manière intelligente – sujet que nous négligeons depuis longtemps ? A mon avis, c’est de ça qu’il s’agit quant à la vision de notre politique éditoriale. Vous allez tous devoir nous aider à élaborer cette vision. Je pense que c’est à ça que nous devons nous atteler pour le reste des deux années à venir. »

Baquet affirme que la campagne journalistique visant à incriminer Trump en tant qu’agent russe a fait « Pschitt » et qu’une nouvelle croisade – lire une campagne morale – s’est fait jour depuis six ou sept semaines, focalisée sur le racisme de Trump. Le racisme de Trump, bien sûr, ne date pas de six ou sept semaines. C’est le journal qui, il y a six ou sept semaines, a changé son histoire, passant d’une croisade morale à une autre.

Ce n’est pas du journalisme. C’est du puritanisme moral déguisée en journalisme. Et il sera, comme la conspiration « Russe », inutile pour affaiblir la popularité de Trump, pour expliquer et faire face à nos innombrables crises ou pour guérir les clivages grandissants.

Le problème auquel le journal est confronté, ainsi que le sont le parti Démocrate et ses alliés libéraux, est qu’il est tenu par les grandes entreprises qui le soutiennent, celles-là même qui ont orchestré l’inégalité grotesque des revenus, la désindustrialisation, la machine militaire incontrôlable, qui ont neutralisé les médias stérilisés et bâillonne le monde académique. Par conséquent, plutôt que de tenir pour responsables ses annonceurs et son lectorat élitiste, le journal a commencé par blâmer la Russie, et blâme aujourd’hui les suprémacistes blancs. Plus cette démagogie durera longtemps tant à gauche qu’à droite, plus le pays sera déchiré.

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Hannah Arendt dans « Les origines du totalitarisme » souligne que les idéologies sont attrayantes en temps de crise parce qu’elles réduisent et simplifient la réalité à une seule idée. Tandis que la droite met le déclin sur le dos des personnes de couleur, les élites libérales en font porter la responsabilité à la Russie ou aux racistes. C’est l’idéologie, et non l’expérience ou les faits, qui sert à « fournir une explication à chacun des événements historiques, une clé de lecture de l’histoire, une connaissance exhaustive du présent et une prévision fiable de l’avenir », écrit-elle.

Toutes les idéologies exigent une cohérence impossible. Celle-ci est obtenue en tordant constamment la réalité jusqu’à obtenir, comme dans le cas de l’enquête Mueller, une mise en scène absurde. Au final, les croyants, écrit Arendt, sont désorientés et en proie à la peur exacerbée et la paranoïa.

Ce type de délire collectif a toujours existé dans la société américaine, comme l’historien Richard Hofstadter l’a souligné. Il résulte, écrivait-il, « de certaines préoccupations et aussi de fantasmes : le mégalomane qui se considère comme l’Élu, totalement bon, abominablement persécuté, mais sûr de triompher à la fin ; l’attribution de pouvoirs gigantesques et démoniaques à son adversaire ».

Mais ces délires ont généralement été confinés aux marges de la société, comme, par exemple, une gauche qui qui partait en pèlerinages politiques en Union soviétique, ignorant béatement le massacre par son gouvernement de millions de ses propres citoyens, les goulags et les famines, et une droite qui célébrait les dictatures fascistes en Espagne puis en Amérique latine, oubliant les exécutions de masse, le terrorisme et les escadrons de la mort.

Cependant, désormais, ces délires collectifs sont généralisés. Ils sont claironnés par les relais médiatiques de l’ensemble du spectre politique ainsi que par l’establishment politique. Ils font vivre aussi bien Fox News et Breitbart que MSNBC et CNN. Jake Tapper [présentateur télé sur CNN qui ne se présente pas comme démocrate mais qui a travaillé pour une candidate démocrate au Congrès, Marjorie Margolies-Mezvinsky, en 1992, NdT] et Rachel Maddow [présentatrice télé sur MSNBC, libérale adhérant aux idées du parti républicain de l’époque Eisenhower, NdT], comme l’a souligné Matt Taibbi, sont des versions « libérales » de Sean Hannity [présentateur conservateur sur la chaîne Fox news défenseur de Trump, NdT].

51QRN6J8EAL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgRichard Rorty, avec une prescience étrange, a écrit dans son livre « Achieving Our Country » de 1998 :

« Nombre d’auteurs ayant écrit sur la politique socio-économique ont alerté : les vieilles démocraties industrialisées se dirigent vers une période semblable à celle de Weimar, au cours de laquelle les mouvements populistes sont susceptibles de renverser les gouvernements constitutionnels. Edward Luttwak, par exemple, a suggéré que le fascisme pourrait être l’avenir américain. Son livre “The Endangered American Dream” souligne que les syndicalistes ainsi que les travailleurs non qualifiés et non syndiqués comprendront tôt ou tard que leur gouvernement n’essaie même pas d’empêcher les salaires de baisser ou d’empêcher les emplois d’être délocalisés. À peu près au même moment, ils se rendront compte que les cols blancs des banlieues, qui craignent désespérément d’être déclassés, ne se laisseront pas imposer pour verser des prestations sociales à qui que ce soit d’autre.

À ce moment-là, quelque chose va craquer. L’électorat non suburbain décidera que le système a échoué et commencera à chercher un homme fort pour qui voter – quelqu’un prêt à leur assurer qu’une fois élu, les bureaucrates suffisants, les avocats rusés, les vendeurs d’obligations surpayés et les professeurs postmodernes ne seront plus aux commandes. Un scénario comme celui du roman de Sinclair Lewis “It Can’t Happen Here” peut alors se jouer. Quand un tel homme fort prend ses fonctions, personne ne peut prédire ce qui va se passer. En 1932, la plupart des pronostics sur ce qui se passerait si Hindenburg nommait Hitler chancelier étaient d’un optimisme aveugle.

Il est bien possible que les avancées obtenues ces quarante dernières années par les américains noirs et basanés et par les homosexuels soient réduits à néant. Le mépris badin pour les femmes va revenir à la mode. Ça sera le retour des mots “nègre” et “youpin” sur les lieux de travail. Tout le sadisme que la gauche académique a tenté de rendre inacceptable pour ses étudiants reviendra en masse. Tout le ressentiment des Américains mal éduqués à l’idée que leurs manières leur soient dictées par des diplômés universitaires trouvera un exutoire. »

La rupture des liens sociaux, provoquée par l’effondrement de la société, l’inégalité des revenus, la stagnation sociale et la marginalisation de la classe ouvrière s’exprime dans d’innombrables pathologies sinistres. Une société clivée adopte des comportements autodestructeurs – violence armée incontrôlée, dépendance aux opiacés et sadisme sexuel – pour tenter de composer avec la dislocation, l’impuissance et la douleur. Les croisades morales sont l’expression de cette maladie culturelle. Elles sont emblématiques d’une société en profonde détresse, incapable de faire face rationnellement aux problèmes qu’elle rencontre. Ces croisades ne font qu’empirer les choses, dès lors qu’il apparaît qu’elles sont inefficaces, elles engendrent invariablement un fanatisme effrayant.

Source : Truthdig, Chris Hedges, 26-08-2019

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

mardi, 04 mai 2010

Une leçon d'histoire pour les donneurs de leçons de morale

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

Une leçon d’histoire pour les donneurs de leçons de morale

 

uncle-samxxxx.jpgDepuis plus d’un siècle les Etats-Unis se sont arrogé le monopole de la vertu politique internationale, s’octroyant ainsi le privilège de mener leurs guerres impériales sous le couvert de la morale. Un dossier paru, ce mois de novembre 99, dans la revue Historia (n° 635 bis) consacré aux grandes manipulations de l’histoire, vient à propos rappeler que les Etats-Unis n’ont jamais cessé d’agir avec le plus parfait cynisme et la plus constante brutalité pour asseoir leur hégémonie mondiale. Leur domination est le fruit d’une technique éprouvée. Cette technique, assez grossière, n’en est pas moins d’une redoutable efficacité. Elle se décline en quatre temps :

 

Le premier temps est celui où l’ennemi à abattre est choisi en fonction des priorités d’expansion économique du moment.

Le second temps est celui où l’ennemi est diabolisé aux yeux de l’opinion publique.

Le troisième temps vise à créer les conditions qui acculeront l’ennemi à la faute, si possible à l’agression directe contre les Etats-Unis ou l’un de ses alliés. Dans l’hypothèse où cette agression ne se produirait pas, une opération de désinformation est systématiquement organisée pour faire croire à cette agression.

Le quatrième temps est celui de la guerre totale. L’ennemi doit non seulement être détruit mais ses dirigeants remplacés par des hommes de paille.

 

Le scénario est exposé. Il convient, maintenant, de le vérifier à l’aune de la politique de conquête poursuivie par les Etats-Unis depuis la guerre de Sécession. On peut, en effet, affirmer que c’est à partir de l’expérience acquise lors de ce conflit que (1861-1865) l’élite du Nord des Etats-Unis a mis en place la machinerie idéologique et militaire qui allait lui assurer l’accès à la suprématie planétaire.

 

En 1861, l’Union américaine était divisée en deux zones – pour schématiser le Nord et le Sud – aux intérêts antagonistes. Le Nord était industriel et le Sud agricole. Dans les Etats du Nord, l’esclavage (*) avait été aboli, non par générosité d’âme, mais pour créer une main d’œuvre mobile, disponible, servile, et à bon marché. Le Nord était protectionniste, tourné vers son marché intérieur et animé par l’égalitarisme distillé par les loges maçonniques. Le Sud était quant à lui libre-échangiste, orienté vers l’Europe – c’était là sans doute sa plus grave faute – mû par un esprit de tradition. La confrontation était inévitable. Les élites du Nord étaient toutefois bridées dans leur volonté de domination du Sud, par le droit de sécession que prévoyait la constitution fédérale. La guerre ne pouvant se faire au nom du droit se ferait donc au nom de la morale. Les manœuvres contre le Sud commencèrent dès 1832. Cette année là, le Congrès fédéral (dominé par le Nord) imposa unilatéralement à la Caroline du Sud un nouveau tarif douanier, qui menaçait tous les équilibres fondamentaux de son économie.

 

(*) L’auteur tient à signaler que ce développement a pour seul but d’éclairer le lecteur sur la politique impériale américaine. Il n’est ni d’une manière directe, indirecte, inconsciente ou subluminale, une apologie de l’esclavage, ce qui est cohérent avec sa position de refus de l’asservissement des peuples, européens en particulier, aux idées reçues et son refus de toute forme d’avilissement.

 

La Case de l’Oncle Tom : instrument de propagande

 

Cet Etat tenta de s’opposer au tarif douanier en question, mais dut finalement se soumettre devant la menace d’une intervention armée des troupes fédérales, brandie par le président Jackson. Le galop d’essai était un succès. Le scénario de la provocation/répression/soumission était rodé. Mais il fallait encore préparer les consciences à la guerre civile. Tel fut le rôle « confié » à certains intellectuels, dont Harriet Beetcher-Stowe faisait partie. Son ouvrage La case de l’oncle Tom (1852), fut l’un des premiers ouvrages de propagande de l’ère moderne et produisit l’émotion voulue. Dans les années suivantes, le parti Républicain (créé en 1854) sous l’influence du lobby industriel, fit du thème de l’abolition de l’esclavage son unique discours politique. Celui-ci était ostensiblement orienté contre les Etats du Sud. En novembre 1860, l’élection du candidat républicain Abraham Lincoln fut donc vécue par les Etats du Sud comme une véritable déclaration de guerre. En effet, ce président très minoritaire, élu avec seulement avec 39,8% des voix, n’avait pas l’intention d’abandonner son programme qui condamnait dans la pratique toute la structure politique, économique, culturelle et sociale des Etats du Sud. Face à ce péril, la Caroline du Sud, le Mississippi, la Floride, le Texas, La Géorgie, le Texas, la Louisiane, se retirèrent – conformément à leur droit – de l’Union et formèrent le 8 février 1861 un nouvel Etat baptisé « Les Etats confédérés d’Amérique ». Cet Etat voulut naturellement exercer sa sou­veraineté sur un certain nombre de places fortes fédérales situées sur son territoire : Sumter à Charleston (Ca­roline du Sud) et Pickens  à Pensacola (Floride), ce à quoi leurs commandants fédéraux s’opposèrent. De­vant ce refus, les troupes confédérales organisèrent leur siège. C’est alors que Lincoln saisit l’opportunité po­li­tique et stratégique que son parti avait réussi à créer et se décida à engager la guerre civile, fort de sa posture d’agressé. La suite est connue. La leçon tirée du conflit par les dirigeants du Nord fut inestimable : les foules ai­maient être ébahies par la propagande humanitaire et le sentiment du bon droit (*). Elles allaient être servies.

 

1898 : Ecraser l’Espagne !

 

A la fin du siècle dernier, les Etats-Unis se donnèrent de nouveaux objectifs impériaux : le contrôle exclusif de l’accès à l’Amérique du Sud, et la percée dans le Pacifique. Une puissance s’opposait à ce dessein : l’Espagne. Cependant, l’éloignement et l’expérience diplomatique du nouvel ennemi rendaient les tentatives de manipulation difficiles. Pour pallier l’absence d’agression espagnole, les Etats-Unis allaient exploiter l’ex­plo­sion accidentelle du cuirassier Maine (1898) au large de Cuba, et faire croire, à leur opinion publique, qu’il s’agissait d’une attaque surprise de l’Armada espagnole. Sur la base de ce motif, inventé de toutes pièces, les hostilités furent ouvertes. Après de courtes batailles navales, les Etats-Unis remportèrent une victoire totale et acquirent, en retour, la mainmise sur Porto Rico, Cuba, les Philippines et l’île de Guam. Tout cela n’était pas très moral, mais les formes (mensongères) y étaient.

 

(*) A ceux qui douteraient que la propagande abolitionniste du Nord n’était que poudre aux yeux,  il est rappelé les faits suivants : presque tous les noirs libérés de l’esclavage se retrouvèrent aux lendemains  de la guerre dans une situation de misère insoutenable. L’économie ruinée du Sud ne pouvant plus leur fournir d’emplois, ils émigrèrent vers le nord où ils furent employés à vil prix et dans des conditions souvent plus déplorables que leur ancien esclavage. Bien que libérés, ils durent attendre un siècle pour obtenir leurs droits politiques. Quant aux Indiens, les seuls véritables américains, ils durent attendre 1918 pour recevoir... la nationalité américaine.

 

La seconde guerre mondiale allait donner l’occasion aux Etats-Unis de décliner le scénario décrit plus haut sur une  grande échelle. L’ennemi cette fois était le Japon qui menaçait les fruits de la victoire sur l’Espagne (Philippines et Guam) et qui était en passe de devenir une superpuissance mondiale par son industrie et ses conquêtes asiatiques. A partir de ce moment, le conflit était inéluctable. Il débute le 28 juillet 1941, par la décision de Roosevelt de geler les avoirs du Japon aux Etats-Unis et d’étendre l’embargo aux livraisons du pétrole à destination du Japon. Cette décision accule les Japonais à l’intervention militaire. Mais cette intervention militaire est diligentée par les services secrets américains, dont on a aujourd’hui (cf. dossier du magazine Historia) la certitude qu’ils en suivaient pas à pas les préparatifs. Ainsi, l’intervention japonaise sur Pearl Harbor était non seulement connue dans ses détails mais désirée pour créer l’électrochoc qui permettrait de mobiliser tout un peuple dans une guerre totale contre un autre, déclaré perfide et immoral, bon à réduire en poussières atomisées.

 

La seconde guerre mondiale à peine achevée les Etats-Unis se donnent un nouvel objectif stratégique : évincer les Européens de l’Ouest – ceux de l’Est ont été donnés par Roosevelt en pâture à Staline - de leurs colonies pour s’emparer de leurs ressources. Dans cette logique, les Etats-Unis arment le Viêt-cong et le F.L.N. en Algérie contre les Français Au Viêt-nam, leur objectif est atteint, mais le résultat de leur action est mitigé par l’existence d’un Etat communiste hostile au nord. L’opinion publique américaine est selon sa tradition hostile à une intervention sans motif. Qu’à cela ne tienne l’administration de Lyndon Johnson va, en 1963, lui en tailler un sur mesure en accusant la marine Nord Vietnamienne d’avoir attaqué leur destroyer l’USS Maddox dans le golfe du Tonkin. Ce qui était là aussi un pur mensonge, mais un mensonge suffisant pour justifier une intervention directe.

 

La démonisation de Noriega 

 

La défaite contre les Vietnamiens allait refroidir quelque temps l’expansionnisme américain. Il n’allait, toutefois, pas tarder à se réchauffer et à employer les bonnes vieilles recettes du succès. D’abord contre le Panama, où la venue au pouvoir d’un certain Général Noriega (face d’Ananas selon l’expression américaine) avait tout pour déplaire à Washington. L’homme s’opposait à la fois au FMI, critiquait l’action de la CIA aux côtés des Contras au Nicaragua, et menaçait de réviser les clauses du traité régissant les droits octroyés aux Etats-Unis sur le Canal de Panama. La réaction américaine fut foudroyante. Une campagne de presse fut savamment organisée dans laquelle Noriega était présenté à la fois comme le grand organisateur du trafic mondial de la drogue, un être satanique, et l’adorateur d’Adolf Hitler. L’opinion publique américaine soigneusement mijotée, Georges Bush put sans résistance interne lancer, le 20 décembre 1989, son opération militaire contre Panama, dénommée « Juste cause » - tout un programme. Cette intervention effectuée en violation totale du droit international, ne suscita que quelques rodomontades diplomatiques sans conséquence sur l’influence américaine dans la zone. En 1991, l’ennemi suivant était l’Irak, une proie pétrolifère de choix. Cette fois la recette fut cuisinée avec un degré de raffinement jamais atteint. D’un côté les autorités américaines pressaient les Koweïtiens de mettre le couteau sur la gorge des Irakiens en les incitant à leur refuser l’aménagement de la dette contractée à leur égard, de l’autre ils faisaient savoir à Saddam Hussein, par la voix de leur ambassadrice à Bagdad, que dans l’éventualité où l’Irak attaquerait le Koweït ils observeraient une bienveillante neutralité.

 

L’Europe, rivale éternelle…

 

Le piège était tendu il allait fonctionner à merveille. La préparation concoctée par les services secrets était si subtile que pour la première fois la potion morale américaine allait se marier au droit international Les dupes européennes qui suivirent l’empire sans barguigner en furent pour leurs frais. La potion était plus amère que le fumet de pétrole qui s’en échappait. Malgré leur aide inconditionnelle et benoîte, les puissances européennes perdaient pied dans la région et dans le même temps la sécurité de leurs approvisionnements en hydrocarbures. On aurait pu penser que la tempête du désert une fois passée, les élites qui nous gouvernent auraient recouvré un peu d’esprit critique. Que nenni ! Inlassablement elles demandent à être resservie du même brouet infâme, aussi furent-elles comblées avec le Kosovo, où la CIA grande manipulatrice de l’UCK parvint à pousser Milosevic à la faute qui justifierait sa nouvelle campagne morale contre le droit. Quel était l’objectif stratégique de cette guerre ? Mais voyons toujours le même : l’Europe, le rival éternel, la civilisation à abattre.

 

J’allais oublier un détail : la recette impériale américaine ne produit tous ses effets qu’avec le bombardement des populations civiles : celles de Tokyo, de Hiroshima, de Nagasaki, de Dresde, de Hanoi, de Hué, de Phnom Penh, Panama, de Bagdad et de Belgrade. Juste quelques petits millions de morts et de carbonisés. Pas de quoi émouvoir, une conscience humanitaire bien trempée.

(© Charles Magne – Novembre 99).