jeudi, 23 mai 2024
Nemo et l'Eurovision: la liberté comme absence d'identité
Nemo et l'Eurovision: la liberté comme absence d'identité
par Andrea Zhok
Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/28115-andrea-zhok-nemo-e-l-eurovision-la-liberta-come-assenza-di-identita.html
Je sais qu'il se passe des choses infiniment plus importantes et sérieuses dans le monde, mais je me permets tout de même une petite réflexion dominicale.
J'ai appris qu'il existait un concours de chant appelé « Eurovision ».
Je ne vais pas me lancer dans une remontrance aux spectateurs, parce que, d'après les images que j'ai vues circuler, ceux qui l'ont vu ont déjà été suffisamment punis, et il n'y a pas lieu de s'énerver.
Mais je découvre aussi que ce concours aurait été gagné par un certain Nemo, qui se fait photographier avec des vêtements de poupée et joue toutes ses cartes de talent de chanteur sur une autre « provocation » excitante, celle d'être fluide (mon bras s'est même endormi pendant que j'écrivais).
Le monsieur / la jeune femme / l'entité perspicace (je ne m'étendrai pas, vous cocherez la case appropriée) semble être quelqu'un qui a les idées vraiment claires. Et je ne plaisante pas.
En effet, lorsqu'on l'interroge, il déclare : « La prise de conscience de mon identité m'a libéré ».
Et quelle est cette identité ?
Il le dit lui-même, bien sûr : Nemo = Personne (en latin).
Ce nom a été choisi à dessein, car la seule identité qui rende libre est l'absence d'identité.
Et c'est philosophiquement du plus haut intérêt, car cela explicite de la manière la plus claire un point important, qui va au-delà de l'absurdité décérébrée qu'est l'Eurovision.
La liberté que cette « culture générationnelle » considère comme la seule véritable liberté résiduelle est la liberté négative, c'est-à-dire la liberté en tant que possibilité d'échapper à toute pression extérieure.
Même le fait même d'« être quelqu'un » est perçu comme une forme de pression extérieure.
Par conséquent, la seule liberté réalisée est de n'être personne.
Tout ceci peut sembler très suggestif, de type "nouvel âge", mais il s'agit en fait d'une manifestation exemplaire de dégénérescence motivationnelle (ou, si vous préférez, de nihilisme militant). En effet, être quelqu'un, posséder (et cultiver) une identité personnelle est la condition préalable à toute responsabilité, à toute intégrité personnelle, à toute véracité, à toute volonté et à tout projet, ainsi qu'à toute forme de fiabilité interpersonnelle.
Mais tout cela, tous ces traits éthiques qui ont été au cœur des vertus personnelles dans l'histoire variée de l'humanité, sont désormais perçus par cette culture générationnelle comme une charge insupportable, un fardeau.
La modernité néolibérale a donc gagné la partie, le set et le match.
Restent les identités vides, liquides, malléables, qui dans les quelques cas « gagnants » sont des Nemos de carrière, tandis que dans la mer des perdants, ce sont des rouages interchangeables que le système peut placer où il veut, aussi longtemps qu'il le veut, sans rencontrer de résistance.
En attendant qu'ils soient définitivement remplacés par un automate - qui risque toutefois de faire preuve de plus de caractère.
18:05 Publié dans Actualité, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré zhok, eurovision, nemo, philosophie | | del.icio.us | | Digg | Facebook