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jeudi, 15 septembre 2022

Syndrome du Titanic : Ernst Jünger et la culture de la panique

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Syndrome du Titanic : Ernst Jünger et la culture de la panique

par Nicolas Bonnal

A la fois prophète olympien et descripteur de la débâcle, Jünger prévoit notre anéantissement économique et anthropologique. Dans Soixante-dix s’efface, alors qu’il raconte des petits voyages (Maroc, Canaries) souvent décevants, le maître soudain catastrophé écrit :

« Les autos ruinent les villes ; le séjour devient une « saison en enfer » - les bruits, les gaz d’échappement, les dangers de mort. Quand on ne se fait pas écraser, on dépérit lentement. Même les îles lointaines en sont inondées. Sur les plages, les hôtels poussent comme des champignons, non isolément, mais par chaînes entières. Ils sont identiques, jusqu’à leurs trous de serrure ; leur modèle se trouve quelque part à New York ou à Tokyo. On estime par conséquent que le nombre des voyageurs va constamment croître, et qu’il faut, dans cette perspective, engager de plus en plus de personnel. Dans les îles, l’eau va aussi se raréfier. Fièvre du boom commercial. Qu’arrivera-t-il en cas de restrictions, de crise économique, de guerre ? L’évolution est irréversible. Un hôtel vide se change bientôt en ruine ; d’un garçon de restaurant, on ne refera jamais un berger. Viennent alors des paysages spectraux (p. 534).»

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L’effondrement qui nous arrive dans les années 2020, et qui est autant subi que provoqué via le Reset, devient chez Jünger un syndrome du Titanic. Vingt ans avant, dans son livre le plus important pour les survivalistes, le Traité du rebelle donc, Jünger écrit :

« La peur est l’un des symptômes de notre temps. Elle nous désarme d’autant plus qu’elle succède à une époque de grande liberté individuelle, où la misère même, telle que la décrit Dickens, par exemple, était presque oubliée. »

Jünger évoque justement le Titanic ; on se souvient du succès effarant de ce film répugnant. Il écrit donc :

« Comment ce passage s’est-il produit ? Si l’on voulait nommer l’instant fatal, aucun, sans doute, ne conviendrait mieux que celui où sombra le Titanic. La lumière et l’ombre s’y heurtent brutalement : l’hybris du progrès y rencontre la panique, le suprême confort se brise contre le néant, l’automatisme contre la catastrophe, qui prend l’aspect d’un accident de la circulation. »

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Jules Verne a bien montré que l’automatisme (la civilisation mécanique) croissait avec la peur. Voyez les 500 millions de la Bégum qui montre la montée du péril allemand sur fond de grosse industrialisation. Il y a une grosse promesse, raconte Jünger, mais elle croît avec un grand risque et une grosse trouille :

« Il est de fait que les progrès de l’automatisme et ceux de la peur sont très étroitement liés, en ce que l’homme, pour prix d’allègements techniques, limite sa capacité de décision. Il y gagne toutes sortes de commodités. Mais, en contrepartie, la perte de sa liberté ne peut que s’aggraver. La personne n’est plus dans la société comme un arbre dans la forêt ; elle ressemble au passager d’un navire rapide, qui porte le nom de Titanic, ou encore de Léviathan. Tant que le ciel demeure serein et la vue agréable, il ne remarque guère l’état de moindre liberté dans lequel il est tombé. Au contraire : l’optimisme éclate, la conscience d’une toute-puissance que procure la vitesse. Tout change lorsqu’on signale des îles qui crachent des flammes, ou des icebergs. Alors, ce n’est pas seulement la technique qui passe du confort à d’autres domaines : le manque de liberté se fait sentir, soit que triomphent les pouvoirs élémentaires, soit que des solitaires, ayant gardé leur force, exercent une autorité absolue. »

Jünger a vu le lien entre les mythes grecs et le progrès technique, comme Anouilh, Giraudoux, Domenach, Cocteau et quelques autres pendant et après la Guerre. Le Titanic n’est pas seul en cause. C’est aussi le syndrome du radeau de la méduse, épisode affreux de notre histoire et qui rappelle que la méduse nous transforme en pierres (en cœurs de pierre).

Jünger ajoute :

« Et nous finissons comme des bougies dans un tableau de Bosch :

On pourrait élever une objection : d’autres ères de crainte, de panique, d’Apocalypse ont suivi leur cours, sans que ce caractère d’automatisme vînt les renforcer, leur servir d’accompagnement.

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Laissons ce point : car l’automatisme ne prend ce caractère terrifiant que s’il s’avère être l’une des formes, le style même de la fatalité, dont Jérôme Bosch donnait déjà une représentation incomparable. »

Mais Jünger souligne l’essentiel. Nous crevons de trouille et c’est la marque du monde moderne (la vie aurait dû rester un « risque à courir, pas un problème à résoudre », comme disait un Bernanos écœuré) :

« On constatera que presque tous, hommes ou femmes, sont en proie à une panique telle qu’on n’en avait plus vu dans nos contrées depuis le début du Moyen Age. On les verra se jeter avec une sorte de rage dans leur terreur, en exhiber sans pudeur ni retenue les symptômes. »

Umberto Eco dans un bel essai sur le moyen âge avait parlé du retour impromptu de ces grandes peurs. Flaubert avait déjà souligné dans sa correspondance la trouille liée à un simple épisode météo (voyez mon texte) ; et c’est aujourd’hui sur fond de paniques climatiques que nos élites et gouvernements veulent nous anéantir. On veut alors se cacher (collapsologues, catastrophistes, apocalyptiques, à vos bateaux, à votre or, à vos cavernes !) et Jünger ajoute presque humoristiquement :

« On assiste à des enchères où l’on dispute s’il vaut mieux fuir, se cacher ou recourir au suicide, et l’on voit des esprits qui, gardant encore toute leur liberté, cherchent déjà par quelles méthodes et quelles ruses ils achèteront la faveur de la crapule, quand elle aura pris le pouvoir. »

L’automatisme progresse évidemment avec la panique, et dans le pays qui reste le plus avancé, l’Amérique :

« La culture de panique va s’appesantir, là où l’automatisme gagne sans cesse du terrain et touche à ses formes parfaites, comme en Amérique. Elle y trouve son terrain d’élection ; elle se répand à travers des réseaux dont la promptitude rivalise avec celle de l’éclair. Le seul besoin de prendre les nouvelles plusieurs fois par jour est un signe d’angoisse ; l’imagination s’échauffe, et se paralyse de son accélération même. »

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Jünger va même plus loin en dénonçant l'horreur télévisuelle qui crée péril russe, virus, Reset, dictature et pénurie (voyez mon texte "De Platon à Cnn"):

« Toutes ces antennes des villes géantes ressemblent à des cheveux qui se dressent sur une tête. Elles appellent des contacts démoniaques. »

Nous avons parlé du rôle narcotique de l’info dans un texte ici-même, en citant Platon, Théophraste, Fichte et Thoreau. Reprenons Thoreau :

« À peine un homme fait-il un somme d’une demi-heure après dîner, qu’en s’éveillant il dresse la tête et demande : « Quelles nouvelles ? » comme si le reste de l’humanité s’était tenu en faction près de lui. Il en est qui donnent l’ordre de les réveiller toutes les demi-heures, certes sans autre but ; sur quoi en guise de paiement ils racontent ce qu’ils ont rêvé. Après une nuit de sommeil, les nouvelles sont aussi indispensables que le premier déjeuner.

Dites-moi, je vous prie, qu’importe ce qui a pu encore arriver à quelqu’un, n’importe où sur ce globe ? »

Nous risquons toujours la guerre avec la Chine et la Russie, comme durant la Guerre Froide. Jünger remarque :

« Il est certain que l’Est n’échappe pas à la règle. L’Occident vit dans la peur de l’Est, et l’Est dans la peur de l’Occident. En tous les points du globe, on passe son existence dans l’attente d’horribles agressions. Nombreux sont ceux où la crainte de la guerre civile l’aggrave encore.

La machine politique, dans ses rouages élémentaires, n’est pas le seul objet de cette crainte. Il s’y joint d’innombrables angoisses. Elles provoquent cette incertitude qui met toute son espérance en la personne des médecins, des sauveurs, des thaumaturges. Signe avant-coureur du naufrage, plus lisible que tout danger matériel. »

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Ce naufrage n’est pas très prometteur d’autant que la solution semble impossible : on  combat pour la forme le minotaure au milieu des zombis. Jünger envoie promener le yoga, pourtant recommandé avec la Kabbale dans Sex and the City :

« Mais notre temps exige autre chose que la fondation d’écoles de yoga. Tel est pourtant le but, non seulement de nombreuses sectes, mais d’un certain style de nihilisme chrétien, qui se rend la tâche trop facile. On ne peut se contenter de connaître à l’étage supérieur le vrai et le bon, tandis que dans les caves, on écorche vifs vos frères humains. »

Reconnaissons que nous avons progressé. On les écorche moins vifs, on les bourre vifs et on les sur-informe vifs. Mais passons. Jünger encore pour conclure (si c’est encore possible) :

« Car nous ne sommes pas impliqués dans notre seule débâcle nationale ; nous sommes entraînés dans une catastrophe universelle, où l’on ne peut guère dire, et moins encore prophétiser, quels sont les vrais vainqueurs, et quels sont les vaincus. »

Ici il rejoint Mgr Gaume : pour ce dernier l’Apocalypse aurait lieu quand le monde serait unifié. Comme dira Guy  Debord : « dans un monde unifié on ne peut s’exiler ». Les démons de Davos peuvent alors se rassembler comme à la fin du chant I de Milton et entamer l’œuvre de destruction et de dépeuplement.

Ernst Jünger défendait le recours aux forêts. Comme on sait aussi les montagnes-parcs nationaux sont bourrées de parkings payants et nous venons d’apprendre que dans les Pyrénées, la balade sera payante. On paiera un automate. Mais ne paniquons pas...

Sources:

Jünger – Traité du rebelle, le recours aux forêts – archive.org

https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/06/27/de-platon-au...

https://lesakerfrancophone.fr/monseigneur-gaume-et-le-car...

https://www.dedefensa.org/article/flaubert-et-notre-abrut...

 

vendredi, 25 septembre 2020

Maffesoli: «Gérer la pandémie ou faire peur pour sauver l’ordre social»

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Maffesoli: «Gérer la pandémie ou faire peur pour sauver l’ordre social»

par Michel Maffesoli

Professeur émérite à la Sorbonne
Membre de l’Institut universitaire de France

Ex: https://lecourrierdesstrateges.fr

Il n’est pas question de dire que la crise sanitaire n’existe pas, nous sommes nombreux à avoir des amis qui se sont en allés, ou des proches qui sont atteints ! Mais nos regrets et notre tristesse ne doivent pas nous faire oublier qu’il est une crise de plus grande ampleur : crise civilisationnelle s’il en est !

On ne le redira jamais assez : « tout est symbole ». Il faut avoir la lucidité et le courage de dire, pour employer un vieux mot français, ce que « monstre » ce symbole. Fût-ce dans ses aspects monstrueux. En la matière et en paraphrasant ce que disaient en leur temps nos amis situationnistes, il convient donc d’établir un « véridique rapport » sur le libéral mondialisme !

Une interprétation libérale mondialiste de l’épidémie

Puis-je le faire, tout d’abord, d’une manière anecdotique. Mais en rappelant qu’en son sens étymologique : « an-ekdotos », c’est ce qui n’est pas publié, ou ce que l’on ne veut pas rendre public. Mais qui, pour des esprits aigus, n’est pas sans importance ! On peut donc se poser cette question : pourquoi des milliardaires font-ils de la philanthropie ? Car, on le sait, il existe chez eux une étroite liaison entre leur morale et leur compte en banque.

Bill Gates, préoccupé par le « coronavirus » finance, largement, l’OMS. Sans oublier ses largesses pour bien le faire savoir. Ainsi en France, ce journal « de référence » qu’est Le Monde qui, oubliant sa légendaire déontologie, accepte, contre espèces sonnantes et trébuchantes, que le magnat en question publie un article pour expliquer ses généreuses préoccupations concernant le covid-19.

Un tel fait est loin d’être isolé. Ceux qui détiennent le pouvoir économique, politique, journalistique sentant, pour reprendre le titre de Georg Orwell leur « 1984 » menacé , tentent dans leur nowlangue habituelle, de faire oublier que leur préoccupation est, tout simplement, le maintien du nouvel ordre mondial dont ils sont les protagonistes essentiels. Et pour ce faire, ils surjouent, jusqu’à plus soif, la « panique » d’une pandémie galopante. Pour reprendre un terme de Heidegger (« Machenschaft ») ils pratiquent la manigance, la manipulation de la peur.

Mais il est certain que les hypothèses, analyses, pronostics etc. sur « le monde d’après » signifient bien que ce qui est en cours est un véritable changement de paradigme que l’aveuglement des élites au pouvoir n’arrive pas à occulter.

Michel Maffesoli 

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Faire peur pour sauver un monde en décadence

Il y avait, en effet, deux stratégies possibles : celle du confinement a pour objectif la protection de chacun, en évitant le trop plein de contaminations entraînant une surcharge des services de réanimation accueillant les cas graves. Protection organisée par un Etat autoritaire et à l’aide de sanctions, une sorte de sécurité sanitaire obligatoire. Stratégie fondée sur les calculs statistiques et probabilistes des épidémiologistes. Selon l’adage moderne, n’est scientifique que ce qui est mesurable. Autre stratégie, médicale celle-ci (la médecine est un savoir empirique, un art, pas une Science, en tout cas est fondée sur la clinique (expérience) et pas uniquement sur la mesure) : dépister, traiter, mettre en quarantaine les personnes contaminantes pour protéger les autres. Stratégie altruiste.

Certes l’impéritie d’un pouvoir technocratique et économiciste a privé sans doute la France des instruments nécessaires à cette stratégie médicale (tests, masques), certes l’organisation centralisée et étatique ne permet pas de telles stratégies essentiellement locales et diversifiées. Mais une telle stratégie traduit aussi la défiance généralisée du pouvoir, politiques et hauts fonctionnaires, envers le « peuple ». Protéger les gens fût-ce contre leur gré, au mépris des grandes valeurs fondant la socialité : l’accompagnement des mourants ; l’hommage aux morts ; les rassemblements religieux de divers ordres ; l’expression quotidienne de l’amitié, de l’affection. Le confinement est fondé sur la peur de chacun par rapport à chacun et la sortie du confinement va être encadrée par des règles de « distanciation sociale » fondées sur le soupçon et la peur.

Faire peur pour sauver un monde en décadence ! Faire peur afin d’éviter les soulèvements, dont on peut dire, sans jouer au prophète, qu’ils ne manquent pas (et surtout ne manqueront pas) de se multiplier un peu partout de par le monde. N’oublions pas qu’en France, le confinement a succédé à deux ans de révolte des gilets jaunes suivies par les manifestions contre la technocratique et libérale réforme des retraites. On imagine la haine du « populo » qui anime nos élites ! Mais l’esprit de révolte est dans l’air du temps. Ortega y Gasset, dans La Révolte des masses parlait à ce propos d’un « impératif atmosphérique ». Cet impératif, de nos jours, c’est celui de la révolution, si on la comprend en son sens premier : revolvere, faire revenir ce que l’idéologie progressiste s’était employée à dépasser. Revenir à un « être-ensemble » traditionnel et enraciné.

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Ce que cache la maladie saisonnière appelée « coronavirus »

C’est contre un tel impératif : le retour à un ordre des choses bien plus naturel, que les diverses élites s’emploient à attiser la peur, et ce pour faire faire perdurer les valeurs sociales qui furent celles des « temps modernes ». Pour le dire succintement, émergence d’un individualisme épistémologique et ce grâce à un rationalisme généralisé au motif d’un progressisme salvateur.

Ce sont, en effet ces valeurs qui engendrèrent ce que mon regretté ami Jean Baudrillard a appelé la « société de consommation », cause et effet de l’universalisme propre à la philosophie des Lumières (XVIIIe siècle) dont la « mondialisation » est la résultante achevée. Le tout culminant dans une société parfaite, on pourrait dire « trans-humaniste », où le mal, la maladie, la mort et autres « dysfonctionnements » auraient été dépassés.

Voilà bien ce qu’une maladie saisonnière érigée en pandémie mondiale s’emploie à masquer. Mais il est certain que les hypothèses, analyses, pronostics etc. sur « le monde d’après » signifient bien que ce qui est en cours est un véritable changement de paradigme que l’aveuglement des élites au pouvoir n’arrive pas à occulter. En effet, les mensonges, vains discours et sophismes ont de moins en moins de prise. « Le roi est nu », et cela commence, de plus en plus à se dire. Devant ce qui est évident : la faillite d’un monde désuet, les évidences théoriques des élites ne font plus recette.

Cette « pasteurisation » est, à bien des égards, tout à fait louable. C’est quand elle devient une idéologie technocratique qu’elle ne manque pas d’être elle-même pathogène.

Michel Maffesoli 

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Au temps de la novlangue scientiste façon Orwell

Devant cette méfiance grandissante, ce « on » indéfini caractérisant la Caste au pouvoir agite le paravent scientifique, peut-être vaudrait-il mieux dire, pour reprendre le terme d’Orwell, elle va utiliser la nowlangue  scientiste.

Revêtant l’habit de la science, et mimant les scientifiques, le « scientisme » est en fait la forme contemporaine de la croyance béate propre au dogmatisme religieux. Les esprits fumeux ayant le monopole du discours public sont, en effet, les croyants dogmatiques du mythe du Progrès, de la nécessité de la mondialisation, de la prévalence de l’économie et autres incantations de la même eau.

Il s’agit là d’un positivisme étriqué qui, comme le rappelle Charles Péguy n’est qu’une réduction médiocre du grand « positivisme mystique » d’Auguste Comte. La conséquence de ce positivisme étriqué est le matérialisme sans horizon qui fut la marque par excellence de la modernité. Matérialisme brutal que n’arrivent pas à masquer les discours grandiloquents, doucereux, empathiques ou tout simplement frivoles propres au pouvoir politique et aux « média main-stream » (véritable Ministère de la Propagande) lui servant la soupe.

C’est parce qu’il n’est pas enraciné dans l’expérience collective que le « scientiste » se reconnaît à la succession de mensonges proférés à tout venant. L’exemple des sincérités successives à propos des masques ou des test, est, à cet égard, exemplaire. Mais ces mensonges soit disant scientifiques sont aux antipodes de ce qu’est une science authentique.

Souvenons-nous, ici, de la conception d’Aristote. Avoir la science d’une chose, c’est en avoir une connaissance assurée. C’est-à-dire qui consiste à montrer en quoi cette chose est ainsi et pas autrement. C’est bien ce qu’oublie le « scientisme » dont se parent les élites politiques et divers experts médiatiques qui transforment la crise sanitaire en véritable fantasme. Et ce afin de « tenir » le peuple et de conforter sa soumission.

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Ce que cache la populophobie des élites

Ce faisant ce « on » anonyme qu’est le Big Brother étatique, ne sert pas la science. Il se sert de la science pour des objectifs politiques ou économiques : maintien du consumérisme, adoration du « veau d’or du matérialisme », perdurance de l’économicisme propre à la modernité. C’est cela que profèrent, ad nauseam, ceux que L. F. Céline nommait, bellement, les « rabâcheurs d’étronimes sottises » ; chargés de reformater n’importe quel « quidam » en lui servant, à tout propos, la soupe de la bien pensance. Et ce afin de le maintenir dans une « réification » objectale qui est l’enjeu de la crise sanitaire devenue un fantasme de plus en plus envahissant. Car pour reprendre l’image du Big Brother et du psitacisme dominant, il s’agit bien d’infantiliser le peuple. Répéter, mécaniquement, des mots vides de sens, que même ceux qui les emploient ne comprennent pas, ou de travers.

Considérer le peuple comme un enfant incapable de prendre les bonnes décisions, incapable de juger ou de discerner ce qui est bon pour lui et pour la collectivité, voilà bien l’essence même de la « populophobie » caractérisant les élites en faillite.

En faillite, car une élite est légitime lorsqu’elle est greffée sur la sagesse populaire. C’est ce qu’exprime l’adage : «omnis auctoritas ad populo ». Et parler, à tire larigot, de « populisme » est le signe que la greffe n’a pas pris, ou n’existe plus. En oubliant ce que j’ai, en son temps, nommé la « centralité souterraine », propre à la puissance du peuple, on ne peut plus saisir la poussée intérieure de la sève vitale. Ce qui est l’authentique science : avoir une connaissance essentielle de la substantielle réalité, celle de la vie quotidienne.

Voilà ce que sont incapables de faire les faux savants et les vrais sophistes qui dénaturent la raison authentique, celle s’appuyant sur le sensible, c’est-à-dire sur ce qui est Réel. Parler de populisme, c’est ne rien saisir de la bonhomie du peuple, ne rien comprendre à sa « popularité ».

C’est cela même qui est le fondement de la bonhomie populaire : solidarité, entraide, partage, que la suradministration propre à la technocratie est incapable de comprendre.

Michel Maffesoli 

Macron, voix du bourgeoisisme moderne, du libéral mondialisme

Le signe le plus évident de cette déconnexion c’est lorsqu’on entend l’actuel locataire de l’Élysée parler avec condescendance des manifestations, par exemple celles du Premier Mai, comme étant le fait de « chamailleurs » qu’il faut bien tolérer. Étant entendu, sous-entendu, que ces chamailleries ne doivent en rien perturber le travail sérieux et rationnel de la technocratie au pouvoir. Technocratie incapable d’être attentive à la voix de l’instinct. Voix de la mémoire collective, amoncelée depuis on ne sait plus quand, ni pourquoi. Mais mémoire immémoriale, celle de la société officieuse devant servir de fondement à l’éphémère société officielle, celle des pouvoirs.

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Cette voix de l’instinct avait, de longue tradition, guidé la recherche de l’Absolu. Et ce de quelque nom que l’on pare celui-ci. L’incarnation de l’absolu étant ce que l’on peut appeler, après mon maître Gilbert Durand, une « structure anthropologique » essentielle. Et c’est cette recherche que la modernité s’est employée à dénier en la vulgarisant, la « profanisant » en un mythe du Progrès au rationalisme morbide et au matérialisme on ne peut plus étroit. D’où sont sortis le consumérisme et le mondialisme libéral.

Auguste Comte, pour caractériser l’état de la société propre aux Temps modernes disait judicieusement, reductio ad unum. L’un de l’Universalisme, l’un du Progressisme, l’un du Rationalisme, de l’Économicisme, du Consumérisme etc. C’est bien contre cette unité abstraite que la colère gronde, que la méfiance s’accroit. Et c’est bien parce qu’elle pressent que des soulèvements ne vont pas tarder à se manifester que la Caste au pouvoir, celle des politiques et de leurs perroquets médiatiques, s’emploie à susciter la peur, le refus du risque, la dénégation de la finitude humaine dont la mort est la forme achevée.

C’est pour essayer de freiner, voire de briser cette méfiance diffuse que l’élite en déshérence utilise jusqu’à la caricature les valeurs qui firent le succès de ce que j’appellerais le « bourgeoisisme moderne ». Autre manière de dire le libéral mondialisme.

Individidualisme du confinement contre humanisme intégral

Ce que le Big Brother nomme le « confinement » n’est rien d’autre que l’individualisme épistémologique qui depuis la Réforme protestante fit le succès de « l’esprit du capitalisme »(Max Weber). « Gestes barrières », « distanciation sociale » et autres expressions de la même eau, ne sont rien d’autre que ce que l’étroit moralisme du XIXème siècle nommait « le mur de la vie privée ». Ou encore chacun chez soi, chacun pour soi.

Pour le dire d’une manière plus soutenue, en empruntant ce terme à Stendhal, il s’agit là d’un pur « égotisme », forme exacerbée d’un égoïsme oubliant que ce qui fonde la vie sociale est un « être-ensemble » structurel. Socialité de base que la symbolique des balcons, en Italie, France ou Brésil, rappelle on ne peut mieux.

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L’effervescence en gestation va rappeler, à bon escient, qu’un humanisme bien compris, c’est-à-dire un humanisme intégral repose sur un lien fait de solidarité, de générosité et de partage. Voilà ce qui est l’incarnation de l’absolu dans la vie courante. On ne peut plus être, simplement, enfermé dans la forteresse de son « chez soi ». On n’existe qu’avec l’autre, que par l’autre. Altérité que l’injonction du confinement ne manque pas d’oublier.

Mascarade des masques et théâtrocratie

Amusons-nous avec une autre caricature : la mascarade des masques.

Souvenons-nous que tout comme la Réforme protestante fut un des fondements de la modernité sous l’aspect religieux, Descartes le fut sous la dimension philosophique. Qu’ils en soient ou non conscients, c’est bien sous son égide que les tenants du progressisme développent leurs théories de l’émancipation, leurs diverses transgressions des limites et autres thématiques de la libération.

Descartes donc, par prudence, annonçait qu’il avançait masqué (« larvato prodeo »). Mais ce qui n’était qu’une élégante boutade devient une impérative injonction grâce à laquelle l’élite pense conforter son pouvoir. Resucée de l’antique, et souvent délétère, theatrum mundi  !

On ne dira jamais assez que la dégénérescence de la cité est corrélative de la « théâtrocratie ». Qui est le propre de ceux que Platon nomme dans le mythe de la Caverne, « les montreurs de marionnettes » (République, VII). Ce sont les maîtres de la parole, faisant voir des merveilles aux prisonniers enchaînés au fond d’une caverne. La merveille de nos jours ce sera la fin d’une épidémie si l’on sait respecter la pantomime généralisée : avancer masqué. Le spectaculaire généralisé. N’est-ce point cela que Guy Debord annonçait lorsqu’après la « Société du spectacle » (1967) dans un commentaire ultérieur, il parlait du « spectacle intégré ». Sa thèse, connue ? comprise ? c’est l’aliénation, c’est-à-dire devenir étranger à soi-même à partir du consumérisme et ce grâce au spectacle généralisé. Ce qui aboutit à la généralisation du mensonge : le vrai est un moment du faux.

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Le simulacre de la Caste, le divertissement du masque

Dans la théâtralité de la Caste politique, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Le faux se présente masqué, comme étant un bien. Ce que Jean Baudrillard nommait le « simulacre » (1981) : masque du réel, ce qui masque la profonde réalité du Réel. Ce que Joseph de Maistre nommait la « réité » !

Comme ce que fut la série américaine « Holocauste », le masque consiste à susciter des frissons dissuasifs, (de nos jours la peur de l’épidémie, voire de la pandémie) comme « bonne conscience de la catastrophe ». En la matière implosion de l’économicisme dominant où la valeur d’usage telle qu’Aristote l’analyse, (Le Politique ch. III, par 11) est remplacée par la valeur d’échange.

C’est ce que les montreurs de marionnettes, inconsciemment (ils sont tellement incultes) promeuvent. Le masque, symbole d’une apparence, ici de la protection, ne renvoyant à aucune « réité », mais se présentant comme la réalité elle-même.

Pour donner une référence entre Platon et Baudrillard, n’est-ce pas cela le « divertissement » de Pascal ? Cette recherche des biens matériels, l’appétence pour les activités futiles, le faire savoir plutôt qu’un savoir authentique, toutes choses qui, éléments de langage aidant, constituent l’essentiel du discours politique et des rabacheries médiatiques. Toutes choses puant le mensonge à plein nez, et essayant de masquer que ce qui fait la grandeur de l’espèce humaine, c’est la reconnaissance et l’acceptation de la mort.

L’idéologie de la pasteurisation sociale triomphe pour préserver les élites

Car pour le Big Brother, le « crime-pensée » par excellence est bien la reconnaissance de la finitude humaine. De ce point de vue, le confinement et la mascarade généralisée sont, dans la droite ligne du véritable danger de toute société humaine : l’aseptie de la vie sociale. Protection généralisée, évacuation totale des maladies transmissibles, lutte constante contre les germes pathogènes.

Cette « pasteurisation » est, à bien des égards, tout à fait louable. C’est quand elle devient une idéologie technocratique qu’elle ne manque pas d’être elle-même pathogène. Très précisément en ce qu’elle nie ou dénie cette structure essentielle de l’existence humaine, la finitude. Ce que résume Heidegger en rappelant que « l’être est vers la mort » (Sein zum Tode). À l’opposé de la mort écartée, la mort doit être assumée, ritualisée, voire homéopathisée. Ce que dans sa sagesse la tradition catholique avait fort bien cristallisé en rendant un culte à « Notre Dame de la bonne Mort ».

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Si l’on comprend bien que dans les cas de soins donnés à des personnes contagieuses, les soignants observent toutes les règles d’hygiène, masque, distanciation et protections diverses, ces mêmes règles appliquées urbi et orbi, à des personnes soupçonnées a priori d’être contaminantes ne peuvent qu’être vécues comme un déni de l’animalité de l’espèce humaine. Réduire tous les contacts, tous les échanges aux seules paroles, voire aux paroles étouffées par un masque, c’est en quelque sorte renoncer à l’usage des sens, au partage des sens, à la socialité reposant sur le fait d’être en contact, de toucher l’autre : embrassades, calins et autres formes de tactilité . Et refuser l’animalité expose au risque de bestialité : les diverses violences intra-familiales ponctuant le confinement comme les délations diverses en sont un témoignage probant.

Le confinement comme négation de l’être-ensemble, la mascarade comme forme paroxystique de la théâtralité, tout cela tente, pour assurer la perdurance du pouvoir économiciste et politique, de faire oublier le sens de la limite et de l’indépassable fragilité de l’humain. En bref l’acceptation de ce que Miguel de Unanumo nommait le « sentiment tragique de l’existence ».

Face au triomphe final de la bonhomie populaire : la sagesse écosophique

C’est ce sentiment qui assure, sur la longue durée la perdurance du lien social. C’est cela même qui est le fondement de la bonhomie populaire : solidarité, entraide, partage, que la suradministration propre à la technocratie est incapable de comprendre. C’est ce sentiment, également, qui au-delà de l’idéologie progressiste, dont l’aspect dévastateur est de plus en plus évident tend à privilégier une démarche « progressive ». Celle de l’enracinement, du localisme, de l’espace que l’on partage avec d’autres. Sagesse écosophique. Sagesse attentive à l’importance des limites acceptées et sereinement vécues. C’est tout cela qui permet de comprendre la mystérieuse communion issue des épreuves non pas déniées, mais partagées. Elle traduit la fécondité spirituelle, l’exigence spirituelle propres aux jeunes générations. Ce qu’exprime cette image de Huysmans : « coalition de cervelles, d’une fonte d’âmes » !

C’est bien cette communion, qui, parfois s’exprime sous forme paroxystique. Les soulèvements passés ou à venir en sont l’expression achevée. À ces moments là le mensonge ne fait plus recette. Qui plus est, il se retourne contre ceux qui le profèrent. N’est-ce point cela que relève Boccace dans le Decameron : « Le trompeur est bien souvent à la merci de celui qu’il a trompé. » Acceptons-en l’augure.

jeudi, 14 mai 2020

Michel Maffesoli: « La stratégie de la peur »

Par Michel Maffesoli

Ex: https://liguedumidi.com

Depuis des mois, nous vivons dans la peur. Mais la crise sanitaire justifiait-elle que les contacts sociaux soient à ce point étouffés entre les individus ? Et quel bilan pouvons-nous tirer de cette période de confinement, du point de vue des relations humaines ? Michel Maffesoli nous livre son verdict.

MAFFESOLI_LMSI-f499c.jpgIl n’est pas question de dire que la crise sanitaire n’existe pas, nous sommes nombreux à avoir des amis qui s’en sont en allés, ou des proches qui sont atteints ! Mais nos regrets et notre tristesse ne doivent pas nous faire oublier qu’il est une crise de plus grande ampleur : crise civilisationnelle s’il en est !

On ne le redira jamais assez : « tout est symbole ». Il faut avoir la lucidité et le courage de dire, pour employer un vieux mot français, ce que « monstre » ce symbole. Fût-ce dans ses aspects monstrueux. En la matière et en paraphrasant ce que disaient en leur temps nos amis situationnistes, il convient donc d’établir un « véridique rapport » sur le libéral mondialisme !

Pourquoi les milliardaires sont-ils philanthropes ?

Puis-je le faire, tout d’abord, d’une manière anecdotique. Mais en rappelant qu’en son sens étymologique : « an-ekdotos », c’est ce qui n’est pas publié, ou ce que l’on ne veut pas rendre public. Mais qui, pour des esprits aigus, n’est pas sans importance ! On peut donc se poser cette question : pourquoi des milliardaires font-ils de la philanthropie ? Car, on le sait, il existe chez eux une étroite liaison entre leur morale et leur compte en banque.

Bill Gates, préoccupé par le « coronavirus », finance largement l’OMS. Sans oublier ses largesses pour bien le faire savoir. Ainsi en France, ce journal « de référence » qu’est Le Monde qui, oubliant sa légendaire déontologie, accepte, contre espèces sonnantes et trébuchantes, que le magnat en question publie un article pour expliquer ses généreuses préoccupations concernant le Covid-19.

Un tel fait est loin d’être isolé. Ceux qui détiennent le pouvoir économique, politique, journalistique sentant, pour reprendre le titre de George Orwell, leur « 1984 » menacé, tentent dans leur novlangue habituelle, de faire oublier que leur préoccupation est, tout simplement, le maintien du nouvel ordre mondial dont ils sont les protagonistes essentiels. Et, pour ce faire, ils surjouent, jusqu’à plus soif, la « panique » d’une pandémie galopante. Pour reprendre un terme de Heidegger (« Machenschaft »), ils pratiquent la manigance, la manipulation de la peur.

L’impéritie du pouvoir technocratique.

Il y avait, en effet, deux stratégies possibles :

  • celle du confinement a pour objectif la protection de chacun, en évitant le trop plein de contaminations entraînant une surcharge des services de réanimation accueillant les cas graves. Protection organisée par un État autoritaire et à l’aide de sanctions, une sorte de sécurité sanitaire obligatoire. Stratégie fondée sur les calculs statistiques et probabilistes des épidémiologistes. Selon l’adage moderne, n’est scientifique que ce qui est mesurable.
  • Autre stratégie, médicale celle-ci (la médecine est un savoir empirique, un art, pas une Science, en tout cas est fondée sur la clinique [expérience] et pas uniquement sur la mesure) : dépister, traiter, mettre en quarantaine les personnes contaminantes pour protéger les autres. Stratégie altruiste.

Une telle stratégie traduit la défiance généralisée du pouvoir, politiques et hauts fonctionnaires, envers le « peuple ».

Certes, l’impéritie d’un pouvoir technocratique et économiciste a privé sans doute la France des instruments nécessaires à cette stratégie médicale (tests, masques), certes l’organisation centralisée et étatique ne permet pas de telles stratégies essentiellement locales et diversifiées. Mais une telle stratégie traduit aussi la défiance généralisée du pouvoir, politiques et hauts fonctionnaires, envers le « peuple ». Protéger les gens fût-ce contre leur gré, au mépris des grandes valeurs fondant la socialité : l’accompagnement des mourants ; l’hommage aux morts ; les rassemblements religieux de divers ordres ; l’expression quotidienne de l’amitié, de l’affection. Le confinement est fondé sur la peur de chacun par rapport à chacun et la sortie du confinement va être encadrée par des règles de « distanciation sociale » fondées sur le soupçon et la peur.

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La stratégie de la peur.

Faire peur pour sauver un monde en décadence ! Faire peur afin d’éviter les soulèvements, dont on peut dire, sans jouer au prophète, qu’ils ne manquent pas (et surtout ne manqueront pas) de se multiplier un peu partout de par le monde. N’oublions pas qu’en France, le confinement a succédé à deux ans de révolte des Gilets jaunes suivies par les manifestions contre la technocratique et libérale réforme des retraites. On imagine la haine du « populo » qui anime nos élites ! Mais l’esprit de révolte est dans l’air du temps. Ortega y Gasset, dans La Révolte des masses parlait à ce propos d’un « impératif atmosphérique ». Cet impératif, de nos jours, c’est celui de la révolution, si on la comprend en son sens premier : revolvere, faire revenir ce que l’idéologie progressiste s’était employée à dépasser. Revenir à un « être-ensemble » traditionnel et enraciné.

C’est contre un tel impératif : le retour à un ordre des choses bien plus naturel, que les diverses élites s’emploient à attiser la peur, et ce pour faire faire perdurer les valeurs sociales qui furent celles des « temps modernes ». Pour le dire succinctement, émergence d’un individualisme épistémologique et ce grâce à un rationalisme généralisé au motif d’un progressisme salvateur.

Ce sont, en effet, ces valeurs qui engendrèrent ce que mon regretté ami Jean Baudrillard a appelé la « société de consommation », cause et effet de l’universalisme propre à la philosophie des Lumières (XVIIIe siècle) dont la « mondialisation » est la résultante achevée. Le tout culminant dans une société parfaite, on pourrait dire « trans-humaniste », où le mal, la maladie, la mort et autres « dysfonctionnements » auraient été dépassés.

Le scientisme.

Voilà bien ce qu’une maladie saisonnière érigée en pandémie mondiale s’emploie à masquer. Mais il est certain que les hypothèses, analyses, pronostics, etc., sur le « monde d’après » signifient bien que ce qui est en cours est un véritable changement de paradigme que l’aveuglement des élites au pouvoir n’arrive pas à occulter. En effet, les mensonges, vains discours et sophismes ont de moins en moins de prise. « Le roi est nu », et cela commence de plus en plus à se dire. Devant ce qui est évident : la faillite d’un monde désuet, les évidences théoriques des élites ne font plus recette.

Devant cette méfiance grandissante, ce « on » indéfini caractérisant la Caste au pouvoir agite le paravent scientifique, peut-être vaudrait-il mieux dire, pour reprendre le terme d’Orwell, elle va utiliser la novlangue scientiste.

Revêtant l’habit de la science, et mimant les scientifiques, le « scientisme » est en fait la forme contemporaine de la croyance béate propre au dogmatisme religieux. Les esprits fumeux ayant le monopole du discours public sont, en effet, les croyants dogmatiques du mythe du Progrès, de la nécessité de la mondialisation, de la prévalence de l’économie et autres incantations de la même eau.

Devant cette méfiance grandissante, ce « on » indéfini caractérisant la Caste au pouvoir agite le paravent scientifique. Il s’agit là d’un positivisme étriqué qui, comme le rappelle Charles Péguy, n’est qu’une réduction médiocre du grand « positivisme mystique » d’Auguste Comte. La conséquence de ce positivisme étriqué est le matérialisme sans horizon qui fut la marque par excellence de la modernité. Matérialisme brutal que n’arrivent pas à masquer les discours grandiloquents, doucereux, empathiques ou tout simplement frivoles propres au pouvoir politique et aux « médias mainstream » (véritable Ministère de la Propagande) lui servant la soupe.

C’est parce qu’il n’est pas enraciné dans l’expérience collective que le « scientiste » se reconnaît à la succession de mensonges proférés à tout venant. L’exemple des sincérités successives à propos des masques ou des tests, est, à cet égard, exemplaire. Mais ces mensonges soi-disant scientifiques sont aux antipodes de ce qu’est une science authentique.

Souvenons-nous, ici, de la conception d’Aristote. Avoir la science d’une chose, c’est en avoir une connaissance assurée. C’est-à-dire qui consiste à montrer en quoi cette chose est ainsi et pas autrement. C’est bien ce qu’oublie le « scientisme » dont se parent les élites politiques et divers experts médiatiques qui transforment la crise sanitaire en véritable fantasme. Et ce afin de « tenir » le peuple et de conforter sa soumission.

Le peuple-enfant.

Ce faisant, ce « on » anonyme qu’est le Big Brother étatique ne sert pas la science. Il se sert de la science pour des objectifs politiques ou économiques : maintien du consumérisme, adoration du « veau d’or du matérialisme », perdurance de l’économicisme propre à la modernité. C’est cela que profèrent, ad nauseam, ceux que L. F. Céline nommait, bellement, les « rabâcheurs d’étronimes sottises » ; chargés de reformater n’importe quel « quidam » en lui servant, à tout propos, la soupe de la bien-pensance[1]. Et ce afin de le maintenir dans une « réification » objectale qui est l’enjeu de la crise sanitaire devenue un fantasme de plus en plus envahissant. Car pour reprendre l’image du Big Brother et du psittacisme dominant, il s’agit bien d’infantiliser le peuple. Répéter, mécaniquement, des mots vides de sens, que même ceux qui les emploient ne comprennent pas, ou de travers.

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Considérer le peuple comme un enfant incapable de prendre les bonnes décisions, incapable de juger ou de discerner ce qui est bon pour lui et pour la collectivité, voilà bien l’essence même de la « populophobie » caractérisant les élites en faillite.

En faillite, car une élite est légitime lorsqu’elle est greffée sur la sagesse populaire. C’est ce qu’exprime l’adage : « omnis auctoritas ad populo ». Et parler, à tire larigot, de « populisme » est le signe que la greffe n’a pas pris, ou n’existe plus. En oubliant ce que j’ai, en son temps, nommé la « centralité souterraine », propre à la puissance du peuple, on ne peut plus saisir la poussée intérieure de la sève vitale. Ce qui est l’authentique science : avoir une connaissance essentielle de la substantielle réalité, celle de la vie quotidienne.

Les technocrates.

Voilà ce que sont incapables de faire les faux savants et les vrais sophistes qui dénaturent la raison authentique, celle s’appuyant sur le sensible, c’est-à-dire sur ce qui est Réel. Parler de populisme, c’est ne rien saisir de la bonhomie du peuple, ne rien comprendre à sa « popularité ».

Le signe le plus évident de cette déconnexion, c’est lorsqu’on entend l’actuel locataire de l’Élysée parler avec condescendance des manifestations, par exemple celles du Premier Mai, comme étant le fait de « chamailleurs » qu’il faut bien tolérer. Étant entendu, sous-entendu, que ces chamailleries ne doivent en rien perturber le travail sérieux et rationnel de la technocratie au pouvoir. Voilà ce que sont incapables de faire les faux savants et les vrais sophistes qui dénaturent la raison authentique, celle s’appuyant sur le sensible.

Technocratie incapable d’être attentive à la voix de l’instinct. Voix de la mémoire collective, amoncelée depuis on ne sait plus quand, ni pourquoi. Mais mémoire immémoriale, celle de la société officieuse devant servir de fondement à l’éphémère société officielle, celle des pouvoirs.

Cette voix de l’instinct avait, de longue tradition, guidé la recherche de l’Absolu. Et ce de quelque nom que l’on pare celui-ci. L’incarnation de l’absolu étant ce que l’on peut appeler, après mon maître Gilbert Durand, une « structure anthropologique » essentielle. Et c’est cette recherche que la modernité s’est employée à dénier en la vulgarisant, la « profanisant » en un mythe du Progrès au rationalisme morbide et au matérialisme on ne peut plus étroit. D’où sont sortis le consumérisme et le mondialisme libéral.

La socialité ordinaire.

71iVgJ7Hy+L._AC_SX522_.jpgAuguste Comte, pour caractériser l’état de la société propre aux Temps modernes disait judicieusement reductio ad unum. L’un de l’Universalisme, l’un du Progressisme, l’un du Rationalisme, de l’Économicisme, du Consumérisme etc. C’est bien contre cette unité abstraite que la colère gronde, que la méfiance s’accroit. Et c’est bien parce qu’elle pressent que des soulèvements ne vont pas tarder à se manifester que la Caste au pouvoir, celle des politiques et de leurs perroquets médiatiques, s’emploie à susciter la peur, le refus du risque, la dénégation de la finitude humaine dont la mort est la forme achevée.

C’est pour essayer de freiner, voire de briser cette méfiance diffuse que l’élite en déshérence utilise jusqu’à la caricature les valeurs qui firent le succès de ce que j’appellerais le « bourgeoisisme moderne ». Autre manière de dire le libéral mondialisme.

Ce que le Big Brother nomme le « confinement » n’est rien d’autre que l’individualisme épistémologique qui, depuis la Réforme protestante fit le succès de l’« esprit du capitalisme » (Max Weber). « Gestes barrières », « distanciation sociale » et autres expressions de la même eau ne sont rien d’autre que ce que l’étroit moralisme du XIXe siècle nommait « le mur de la vie privée ». Ou encore chacun chez soi, chacun pour soi.

Pour le dire d’une manière plus soutenue, en empruntant ce terme à Stendhal, il s’agit là d’un pur « égotisme », forme exacerbée d’un égoïsme oubliant que ce qui fonde la vie sociale est un « être-ensemble » structurel. Socialité de base que la symbolique des balcons, en Italie, France ou Brésil, rappelle on ne peut mieux.

L’effervescence en gestation va rappeler, à bon escient, qu’un humanisme bien compris, c’est-à-dire un humanisme intégral, repose sur un lien fait de solidarité, de générosité et de partage. Voilà ce qui est l’incarnation de l’absolu dans la vie courante. On ne peut plus être, simplement, enfermé dans la forteresse de son « chez soi ». On n’existe qu’avec l’autre, que par l’autre. Altérité que l’injonction du confinement ne manque pas d’oublier.

La mascarade des masques.

Amusons-nous avec une autre caricature : la mascarade des masques. Souvenons-nous que tout comme la Réforme protestante fut un des fondements de la modernité sous l’aspect religieux, Descartes le fut sous la dimension philosophique. Qu’ils en soient ou non conscients, c’est bien sous son égide que les tenants du progressisme développent leurs théories de l’émancipation, leurs diverses transgressions des limites et autres thématiques de la libération.

Descartes donc, par prudence, annonçait qu’il avançait masqué (« larvato prodeo »). Mais ce qui n’était qu’une élégante boutade devient une impérative injonction grâce à laquelle l’élite pense conforter son pouvoir. Resucée de l’antique, et souvent délétère, theatrum mundi !

On ne dira jamais assez que la dégénérescence de la cité est corrélative de la « théâtrocratie ». Qui est le propre de ceux que Platon nomme dans le mythe de la Caverne, « les montreurs de marionnettes » (République, VII). Ce sont les maîtres de la parole, faisant voir des merveilles aux prisonniers enchaînés au fond d’une caverne. La merveille de nos jours ce sera la fin d’une épidémie si l’on sait respecter la pantomime généralisée : avancer masqué. Le spectaculaire généralisé.

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N’est-ce point cela que Guy Debord annonçait lorsqu’après la « Société du spectacle » (1967) dans un commentaire ultérieur, il parlait du « spectacle intégré ». Sa thèse, connue ? comprise ? c’est l’aliénation, c’est-à-dire devenir étranger à soi-même à partir du consumérisme et ce grâce au spectacle généralisé. Ce qui aboutit à la généralisation du mensonge : le vrai est un moment du faux.

Dans la théâtralité de la Caste politique, cela ne vous rappelle-t-il rien ? Le faux se présente masqué, comme étant un bien. Ce que Jean Baudrillard nommait le « simulacre » (1981) : masque du réel, ce qui masque la profonde réalité du Réel. Ce que Joseph de Maistre nommait la « réité » !

Comme ce que fut la série américaine « Holocauste », le masque consiste à susciter des frissons dissuasifs (de nos jours, la peur de l’épidémie, voire de la pandémie) comme « bonne conscience de la catastrophe ». En la matière, implosion de l’économicisme dominant où la valeur d’usage telle qu’Aristote l’analyse (Le Politique ch. III, par 11) est remplacée par la valeur d’échange.

C’est ce que les montreurs de marionnettes, inconsciemment (ils sont tellement incultes) promeuvent. Le masque, symbole d’une apparence, ici de la protection, ne renvoyant à aucune « réité », mais se présentant comme la réalité elle-même.

La finitude humaine.

Pour donner une référence entre Platon et Baudrillard, n’est-ce pas cela le « divertissement » de Pascal ? Cette recherche des biens matériels, l’appétence pour les activités futiles, le faire savoir plutôt qu’un savoir authentique, toutes choses qui, éléments de langage aidant, constituent l’essentiel du discours politique et des rabacheries médiatiques. Toutes choses puant le mensonge à plein nez, et essayant de masquer que ce qui fait la grandeur de l’espèce humaine, c’est la reconnaissance et l’acceptation de la mort.

Car pour le Big Brother le « crime-pensée » par excellence est bien la reconnaissance de la finitude humaine. De ce point de vue, le confinement et la mascarade généralisée sont, dans la droite ligne du véritable danger de toute société humaine : l’aseptie de la vie sociale. Protection généralisée, évacuation totale des maladies transmissibles, lutte constante contre les germes pathogènes.

Cette « pasteurisation » est, à bien des égards, tout à fait louable. C’est quand elle devient une idéologie technocratique qu’elle ne manque pas d’être elle-même pathogène. Très précisément en ce qu’elle nie ou dénie cette structure essentielle de l’existence humaine, la finitude. Ce que résume Heidegger en rappelant que « l’être est vers la mort » (Sein zum Tode). À l’opposé de la mort écartée, la mort doit être assumée, ritualisée, voire homéopathisée. Ce que dans sa sagesse la tradition catholique avait fort bien cristallisé en rendant un culte à « Notre Dame de la bonne Mort ».

Une communion nécessaire.

Si l’on comprend bien que, dans les cas de soins donnés à des personnes contagieuses, les soignants observent toutes les règles d’hygiène, masque, distanciation et protections diverses, ces mêmes règles appliquées urbi et orbi à des personnes soupçonnées a priori d’être contaminantes ne peuvent qu’être vécues comme un déni de l’animalité de l’espèce humaine. Réduire tous les contacts, tous les échanges aux seules paroles, voire aux paroles étouffées par un masque, c’est en quelque sorte renoncer à l’usage des sens, au partage des sens, à la socialité reposant sur le fait d’être en contact, de toucher l’autre : embrassades, câlins et autres formes de tactilité. Et refuser l’animalité expose au risque de bestialité : les diverses violences intra-familiales ponctuant le confinement comme les délations diverses en sont un témoignage probant.

Le confinement comme négation de l’être-ensemble, la mascarade comme forme paroxystique de la théâtralité, tout cela tente, pour assurer la perdurance du pouvoir économiciste et politique, de faire oublier le sens de la limite et de l’indépassable fragilité de l’humain. En bref l’acceptation de ce que Miguel de Unamuno nommait le « sentiment tragique de l’existence ».

C’est ce sentiment qui assure, sur la longue durée, la perdurance du lien social. C’est cela même qui est le fondement de la bonhomie populaire : solidarité, entraide, partage, que la suradministration propre à la technocratie est incapable de comprendre. C’est ce sentiment, également, qui au-delà de l’idéologie progressiste, dont l’aspect dévastateur est de plus en plus évident, tend à privilégier une démarche « progressive ». Celle de l’enracinement, du localisme, de l’espace que l’on partage avec d’autres. Sagesse écosophique. Sagesse attentive à l’importance des limites acceptées et sereinement vécues. C’est tout cela qui permet de comprendre la mystérieuse communion issue des épreuves non pas déniées, mais partagées. Elle traduit la fécondité spirituelle, l’exigence spirituelle propres aux jeunes générations. Ce qu’exprime cette image de Huysmans : « coalition de cervelles, d’une fonte d’âmes » !

C’est bien cette communion, qui, parfois s’exprime sous forme paroxystique. Les soulèvements passés ou à venir en sont l’expression achevée. À ces moments-là, le mensonge ne fait plus recette. Qui plus est, il se retourne contre ceux qui le profèrent. N’est-ce point cela que relève Boccace dans le Decameron : « Le trompeur est bien souvent à la merci de celui qu’il a trompé. » Acceptons-en l’augure.

A paraître le 20 mai :

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samedi, 21 mars 2020

Ernst Jünger et nos paniques modernes

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Ernst Jünger et nos paniques modernes

par Nicolas Bonnal

Ex: https://nicolasbonnal.wordpress.com

Ernst Jünger et nos paniques modernes : « La panique va s’appesantir, là où l’automatisme gagne sans cesse du terrain et touche à ses formes parfaites, comme en Amérique. Elle y trouve son terrain d’élection ; elle se répand à travers des réseaux dont la promptitude rivalise avec celle de l’éclair. Le seul besoin de prendre les nouvelles plusieurs fois par jour est un signe d’angoisse ; l’imagination s’échauffe, et se paralyse de son accélération même… Toutes ces antennes des villes géantes ressemblent à des cheveux qui se dressent sur une tête. Elles appellent des contacts démoniaques.»

Le système encense l’effroi. Terrorisme, chiites, climat, racisme, fascisme, Chine, sexisme, virus, Poutine, ce qu’on voudra, tout justifie l’agenda.

Nous autres antisystèmes sommes aussi soumis à un feu croisé d’affolements divers : troisième GM, faillite du système, acheter de l’or, fin des religions, culture Illuminati, disparition des libertés, de l’eau, de l’air, du reste…

Un qui en a bien parlé de cette conjonction du monde automatique moderne et de la croissance corrélée de la panique est Ernst Jünger. Traité du rebelle, XIII…

« La peur est l’un des symptômes de notre temps. Elle nous désarme d’autant plus qu’elle succède à une époque de grande liberté individuelle, où la misère même, telle que la décrit Dickens, par exemple, était presque oubliée. »

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Jünger évoque justement le Titanic ; on se souvient du succès effarant de ce film répugnant. Il écrit donc :

« Comment ce passage s’est-il produit ? Si l’on voulait nommer l’instant fatal, aucun, sans doute, ne conviendrait mieux que celui où sombra le Titanic. La lumière et l’ombre s’y heurtent brutalement : l’hybris du progrès y rencontre la panique, le suprême confort se brise contre le néant, l’automatisme contre la catastrophe, qui prend l’aspect d’un accident de circulation. »

Jules Verne a bien montré que l’automatisme (la civilisation mécanique) croissait avec la peur. Voyez les 500 millions de la Bégum qui montre la montée du péril parano allemand sur fond de grosse industrialisation.

Jünger a vu le lien entre les mythes grecs et le progrès technique, comme Anouilh, Giraudoux, Domenach, Cocteau et quelques autres. Le Titanic n’est pas seul en cause. C’est aussi le syndrome du radeau de la méduse, épisode affreux de notre histoire et qui rappelle que la méduse nous transforme en pierres (en cœurs de pierre).

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Et nous finissons comme des bougies dans un tableau de Bosch :

« On pourrait élever une objection : d’autres ères de crainte, de panique, d’Apocalypse ont suivi leur cours, sans que ce caractère d’automatisme vînt les renforcer, leur servir d’accompagnement.

Laissons ce point : car l’automatisme ne prend ce caractère terrifiant que s’il s’avère être l’une des formes, le style même de la fatalité, dont Jérôme Bosch donnait déjà une représentation incomparable. »

Mais Jünger souligne l’essentiel. Nous crevons de trouille et c’est la marque du monde moderne (la vie aurait dû rester un « risque à courir, pas un problème à résoudre », comme dit un Bernanos écœuré) :

« On constatera que presque tous, hommes ou femmes, sont en proie à une panique telle qu’on n’en avait plus vu dans nos contrées depuis le début du Moyen Age. On les verra se jeter avec une sorte de rage dans leur terreur, en exhiber sans pudeur ni retenue les symptômes. »

On veut se cacher (collapsologues, catastrophistes, apocalyptiques, à vos bateaux, à votre or, à vos cavernes !) :

 « On assiste à des enchères où l’on dispute s’il vaut mieux fuir, se cacher ou recourir au suicide, et l’on voit des esprits qui, gardant encore toute leur liberté, cherchent déjà par quelles méthodes et quelles ruses ils achèteront la faveur de la crapule, quand elle aura pris le pouvoir. »

L’automatisme progresse évidemment avec la panique, et dans le pays qui reste le plus avancé, l’Amérique :

« La panique va s’appesantir, là où l’automatisme gagne sans cesse du terrain et touche à ses formes parfaites, comme en Amérique. Elle y trouve son terrain d’élection ; elle se répand à travers des réseaux dont la promptitude rivalise avec celle de l’éclair. Le seul besoin de prendre les nouvelles plusieurs fois par jour est un signe d’angoisse ; l’imagination s’échauffe, et se paralyse de son accélération même. » 

Jünger va même plus loin ici :

« Toutes ces antennes des villes géantes ressemblent à des cheveux qui se dressent sur une tête. Elles appellent des contacts démoniaques. »

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Nous risquons toujours la guerre avec la Chine et la Russie, comme durant la Guerre Froide. Jünger remarque :

« Il est certain que l’Est n’échappe pas à la règle. L’Occident vit dans la peur de l’Est, et l’Est dans la peur de l’Occident. En tous les points du globe, on passe son existence dans l’attente d’horribles agressions. Nombreux sont ceux où la crainte de la guerre civile l’aggrave encore.

La machine politique, dans ses rouages élémentaires, n’est pas le seul objet de cette crainte. Il s’y joint d’innombrables angoisses. Elles provoquent cette incertitude qui met toute son espérance en la personne des médecins, des sauveurs, thaumaturges. Signe avant-coureur du naufrage, plus lisible que tout danger matériel. »

Jünger encore pour conclure (si c’est encore possible) :

« Car nous ne sommes pas impliqués dans notre seule débâcle nationale ; nous sommes entraînés dans une catastrophe universelle, où l’on ne peut guère dire, et moins encore prophétiser, quels sont les vrais vainqueurs, et quels sont les vaincus. »

Comme on sait Jünger défend le recours aux forêts. Comme on sait aussi les montagnes sont bourrées de parkings payants et nous venons d’apprendre que dans les Pyrénées la ballade sera payante. On paiera un automate. Mais ne paniquons pas !

Bonne continuation…

Sources

Jünger – Traité du rebelle, le recours aux forêts – archive.org