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mardi, 30 novembre 2021

Alexandre Douguine: L’avènement du robot (histoire et décision)

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L’avènement du robot (histoire et décision)

Alexandre Douguine

J’ai parlé plus ou moins récemment avec Francis Fukuyama à la TV, et nous sommes parvenus à la conclusion que la définition de la démocratie en tant que pouvoir de la majorité est obsolète, vieille et non-fonctionnelle. La nouvelle définition de la démocratie, d’après Fukuyama, est le pouvoir des minorités dirigé contre la majorité. Parce que la majorité peut être populiste – donc, la majorité est dangereuse.

Concernant le problème du temps, le grand philosophe allemand Edmund Husserl a dit que nous devons comprendre le temps comme une musique. Dans une musique nous entendons la note précédente, la note actuelle et nous anticipons la suivante. Sans cela, si nous n’entendons qu’une seule note, c’est du bruit – pas de la musique. La musique est quand nous gardons à l’esprit la note qui a résonné antérieurement et que nous anticipons la note qui va suivre. Ainsi, l’histoire et le futur ne sont pas complètement une nouvelle note, c’est la continuation de la mélodie que nous jouons maintenant.

C’est la très importante remarque de Mr. Sloterdijk sur l’urbanisation – la mélodie ne commence pas maintenant – nous la jouons pendant une certaine durée de temps historique. C’est une tendance lourde et inévitable – nous ne pouvons pas stopper cette mélodie, mais en même temps, si nous voulons changer quelque chose nous sommes obligés d’y mettre fin. Ainsi, il y a une sorte de destin dans cette transformation de la société passant des conditions de vie agrariennes et rurales aux conditions urbanistiques.

En considérant la signification philosophique de ce processus historique, nous voyons qu’à chaque étape l’être humain est de plus en plus indépendant de la nature. Ainsi, il crée de plus en plus d’ambiance artificielle, c’est un monde de plus en plus virtuel, parce que comparée au village la ville est virtuelle – il n’y a plus de dépendance vis-à-vis du printemps ou de l’hiver, nous avons toujours de la lumière. Et c’est la préparation pour les robots, pour des êtres complètement virtuels – nous sommes déjà des demi-robots. La culture urbaine, la culture technique est déjà là – nous sommes de plus en plus indépendants de la nature, une énorme partie de la population (pas seulement en Europe) est urbaine.

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Le processus d’urbanisation ne peut pas être stoppé. Nous sommes en train de devenir des robots, notre société est de plus en plus robotisée. Pour faire ce passage de l’humain aux robots nous devons faire entrer certains aspects robotiques dans notre vie. En philosophie il y a l’ontologie de Quentin Meillassoux, orientée vers l’objet, qui critique toute sorte de dualisme. Meillassoux tente de sauver la philosophie du sujet – de l’humain. Donc je pense que Meillassoux est une sorte de cerveau en silicone, parce que de la même manière le robot pourrait faire de la philosophie, ou de la non-philosophie (François Laruelle), ou de l’ontologie basée seulement sur l’objet.

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Nous préparons le futur, nous jouons ce jeu de l’urbanisation, et il est temps de se souvenir de ce que Heidegger disait sur la technique en tant que processus métaphysique. Nous sommes impliqués dans un processus technique, et si nous sommes remplacés dans la prochaine étape de ce monde technologique, cela se fera par une sorte de continuité, pas par quelque chose de complètement nouveau. Parce que nous jouons cette mélodie déjà depuis un certain temps. Nous préparons étape par étape un grand remplacement : nous sommes prêts à nous remplacer nous-mêmes et à être remplacés.

Le remplacement ne sera pas quelque chose de complètement nouveau et d'horrible, parce que quelque chose d’horrible est déjà là, autour de nous. Pas seulement en Occident, en Russie ou en Asie – dans l’humanité entière quelque chose d’horrible est en train d’arriver en ce moment même, et cela continue.

Je pense que nous approchons d’un moment de Singularité – c’est-à-dire d’un moment où le neuro-réseau pourra prendre la responsabilité dans une situation compliquée. Ce meurtre de l’humain par la voiture robotique Tesla sans conducteur est une anticipation de ce qui va se passer. Nous nous réveillerons un jour en découvrant que nous sommes déjà remplacés.

Nous jouons la même mélodie – si nous ne sommes pas contents, nous ne pouvons pas dire « stop » ici, c’est impossible. Nous devrions parcourir cette route jusqu’au commencement – jusqu’à la première note de cette symphonie. Nous devrions nous demander maintenant : qui est l’auteur et qui a commencé ce processus d’urbanisation, qui a créé les trains, le libéralisme, la démocratie, le progrès, le missile, l’ordinateur, la fission nucléaire. Qui est le véritable auteur ? Et c’est essentiel : parce que cela fut une décision humaine, ce ne fut pas une sorte de « processus naturel ». A un moment précis de l’histoire nous avons décidé de suivre cette voie, et maintenant nous pouvons seulement ralentir ou accélérer. Mais pourquoi ne nous demandons-nous pas : allons-nous dans la bonne direction depuis le début ? Cette décision était-elle une bonne décision ?

Nous devrions revenir en arrière jusqu’à ce moment, jusqu’au début de cette mélodie – c’est mon idée. Il est peut-être trop tard, nous allons nous réveiller avec des robots autour de nous, des contribuables parfaits, prenant des décisions démocratiques, s’envoyant des SMS entre robots…

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La conversation entre robots est déjà possible, dans le neuro-réseau un langage spécial est possible, durant une conversation deux ordinateurs ont récemment créé un langage à l’insu de l’opérateur. Donc ils nous remplaceront facilement.

Qu’est-ce que le robot, philosophiquement ? Le robot, l’Intelligence Artificielle est das Man de Heidegger. C’est l’existence inauthentique du Dasein. Plus que cela : un jour l’humanité occidentale a pris la décision d’en finir complètement avec le Dasein, en lui enlevant la possibilité même d’une existence authentique. Maintenant nous sommes à la fin de la route. Le robot n’a pas de Dasein. Donc il est l’inauthenticité irrévocable elle-même. Et il est déjà là – maintenant, pas demain.