Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 24 mars 2015

L'art du vin grec

dio4364771.jpg

L'ART DU VIN GREC: Quand il a conquis les Celtes

François Savatier*
Ex: http://metamag.fr
 
Les objets découverts dans l'extraordinaire tombe princière celte de Lavau nous renseignent sur la façon dont les Celtes ont commencé à boire du vin : à la grecque !

Qui eût cru cela encore possible ? La « tombe à char » celte fouillée par  Bastien Dubuis et son équipe de l’INRAP à Lavau, près de Troyes, s'avère d'une importance comparable à celle de la princesse de Vix ! Située à deux kilomètres de la Seine, la chambre mortuaire de 14 mètres carrés a déjà livré un char à deux roues, deux céramiques, un poignard et son fourreau ainsi que de très nombreuses traces de bois et de tissus. Toutefois, c’est l’extraordinaire service à boire qui lui confère son rang de découverte exceptionnelle et invite les archéologues à penser qu’elle date du début du Ve siècle avant notre ère.


La pièce maîtresse du dépôt funéraire est un chaudron en bronze de près d'un mètre de diamètre, ce qui rappelle la tombe de Vix, où se trouvait un énorme cratère en bronze. Le bord du chaudron est décoré par huit têtes de félins, tandis que ses quatre anses circulaires sont ornées de têtes d’Acheloos, l’esprit-dieu du fleuve grec Achéloos. Au centre du chaudron se trouve une ciste, c'est-à-dire un contenant à objets sacrés qui est l’un des éléments bien connus du culte de Dionysos, le dieu du vin et… de ses excès. La ciste de Lavau a la forme d'un seau cylindrique en bronze. Un vase de bronze – un contenant à liquide selon Bastien Dubuis – se trouve aujourd'hui dans cette ciste, mais la stratigraphie (l'ordre des strates archéologiques) indique qu'il se trouvait à l'origine dans, ou sur le chaudron. Finalement, une œnoché (œnochoe), c'est-à-dire une cruche utilisée dans le rite dionysiaque pour puiser le vin, se trouve au fond du chaudron, accompagnée d'une passoire en argent destinée filtrer le liquide.

 
L’intérêt intrinsèque du chaudron et des objets qu'il contient est dépassé par celui de la seule œnochoé. Une œnochoe, littéralement, une « puiseuse à vin », est une cruche à panse large, à une seule anse et à bec verseur trilobé. Généralement en céramique, les œnochoés peuvent aussi être en métal, et être décorées ou non. La décoration de celle de Lavau met en scène Dionysos couché sous une vigne (une grappe de raisin est visible, ainsi que ce qui semble être du lierre) et parlant à une femme. Pour Dominique Garcia, président de l'INRAP, cette femme pourrait être Ariane, une mortelle censée avoir épousé Dionysos. Pour Bastien Dubuis, en revanche, ce pourrait être Déméter, la déesse grecque de l'agriculture et des moissons, souvent représentée avec Dionysos sur les œnochoés. Les deux personnages sont représentés par des figures noires sur fond rouge, un type de céramique produit dans la région d’Athènes jusqu'à la moitié du Ve siècle avant notre ère.

Pour Dominique Garcia, il est vraisemblable que l’œnochoé de Lavau a été importé de Grèce en Italie, où un habile artisan a recouvert le bord verseur et le pied d’une couche d’or agrémentée de filigranes. Cet artisan se serait employé à «customiser» un objet de luxe fréquent, peut-être même produit en série, pour s'adapter aux goûts celtes. En faisant travailler cet artisan spécialisé, le marchand méditerranéen qui a vendu ou offert le service à boire de Lavau à un prince celte aura ainsi cherché à s'adapter aux goûts exotiques des Celtes, un peu comme les marques de luxe françaises adaptent aujourd'hui des produits bien français aux goûts orientaux ou asiatiques…

Pour Bastien Dubuis, cette hypothèse, qui correspond à ce que l'on sait de la circulation des biens de luxe entre les peuples antiques, est séduisante, mais les princes celtes, grands amateurs de joaillerie, ont aussi pu faire appel sur place un artisan étrusque ou ibère. Peut-être cet artisan a-t-il est-il aussi l'auteur du magnifique torque (collier en forme d'anneau) décoré de chevaux ailés et d'une sorte de filigrane retrouvé dans la tombe de la princesse de Vix ? La tombe de Vix et celle de Lavau sont en effet très proches dans le temps et l'espace, et les relations entre ces deux tombes devront être étudiées en détail.

Quoi qu’il en soit, au début du Ve siècle avant notre ère, c'est-à-dire de la fin du Hallsttatt ou premier Âge du fer (de 800 à 450 avant notre ère), un prince celte (Lavau) et une princesse celte (Vix) se sont fait enterrer avec un service à boire destiné à célébrer les rites grecs de l'orgie dionysiaque. Or selon les indices archéologiques, l'élite celte ne connaissait pas le vin avant sa rencontre avec les marchands méditerranéens. Le fait qu'elle semble avoir repris à son compte le rite dionysiaque suggère qu'elle était en voie d'acculturation en reprenant les usages grecs. À moins que les élites celtes aient possédé depuis longtemps leur propre version des célébrations orgiaques grecques, de sorte que sous l'impulsion de marchands héllénisés, la mode du luxe grec se serait imposée aux élites celtes à la fin du Hallstatt. Une seule chose est sûre, tranche Dominique Garcia, cet œnochoe ornementé d’or et de filigranes est unique au monde. Le kitsch du luxe, c'est sûr, est très ancien.

Pour en savoir plus :

Michael Dietler, L'art du vin chez les Gaulois, Dossier Pour la Science N°61, octobre-décembre 2008.
François Savatier, Le trésor du Keltenblock, actualité Pour la Science, en ligne le 4 avril 2012.
Stéphane Verger, La Dame de Vix : une défunte à personnalité multiple, dans J. Guilaine (dir.), Sépultures et sociétés. Du Néolithique à l’Histoire, Paris 2009, p. 285-309.

00:05 Publié dans archéologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : archéologie, gaule, grèce antique, oenologie, vin, vin gaulois | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook