Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 14 mars 2007

De Schmitt à Deleuze

Robert STEUCKERS:

L'Europe entre déracinement et réhabilitation des lieux: de Schmitt à Deleuze

L'Europe d'aujourd'hui est contrainte de répondre à un double défi:
a) s'unifier au-delà de tous les vieux antagonismes stato-nationaux, pour survivre en tant que civilisation, et
b) renouer avec son tissu pluriel, extrêmement bigarré, dans un jeu permanent d'ancrages, de ré-an-crages et d'arrachements projectuels.
Cette pluralité est, concrètement parlant, une pluralité de paysages, de sites où se sont effectués des processus de sédentarisation dense et pluriséculaire. L'unification européenne est projet, elle anticipe un avenir qu'elle construit à l'aide d'organigrammes et de plans, tandis que le maintien de sa pluralité origi-nelle et originale implique de conserver et d'entretenir des legs du passé. L'équilibre entre le projet d'avenir et la gestion des legs du passé est difficile à tenir. Nous sommes effecti-vement habitués à des clivages qui privilégient unilatéralement soit l'avenir (le camp ³progressiste²) soit le passé (le camp ³con-ser-vateur²). Les progressistes se veulent accélérateurs, les conservateurs se veulent en quelque sorte ³katechons².

Cette difficulté de penser tout à la fois l'avenir et le passé dans la simultanéité et l'harmonie a marqué la pensée de Carl Schmitt. Celui-ci en effet a d'abord, dans les années 20 et 30, voulu être un accélérateur (Beschleuniger). Pour échapper à la ³cage d'acier² qu'était la légalité bourgeoise, wilhelminienne et puis surtout weimarienne, il fallait à ses yeux dynamiser à outrance les potentialités techniques de l'Etat dans les domaines des armements, des communications, de l'information, des mass-media, parce que tout ac-croissement en ces domaines augmentait la puissance de l'Etat, puis la dépassait pour se hisser à un seuil nouveau, celui du ³Großraum². L'accélération continuelle des dynamiques à l'¦uvre dans la société allemande des premières décennies de ce siècle a poussé Schmitt à abandonner son étatisme classique, de type européen et prussien, au nom de la sauvegarde, du maintien et du renforcement de la ³sou-ve-rai-neté².

Les Etats européens, dont la population oscille entre 3 et 80 millions d'habitants, sont de dimensions in-suffisantes face aux géants américain, soviétique ou chinois, pensait Carl Schmitt. Contrairement au la-bel de ³réactionnaire² qu'on lui a collé sur le dos, Schmitt a bel et bien participé à cette idéologie des ³in-gé-nieurs², moderniste et techniciste, qui s'est ancrée dans l'Allemagne de Weimar, no-tamment par le biais des écrits de Rathenau. Mais après 1945, ce futurisme schmittien se dissipe. Si Schmitt retient l'idée d'un ³grand espace², il n'est plus fasciné par la dynamique industrielle-technique. Il se rend compte qu'elle con-duit à une horreur qui est la ³dé-localisation totale², le ³déracinement plané-taire², surtout si elle est por-tée par la grande thalassocratie américaine, victorieuse des puissances eu-ropéennes de l'Axe et op-posée à l'Union Soviétique stali-nienne et continentale.

En Europe, pensait Schmitt, la dynamique industrielle-technique était tempérée et  freinée par une con-ception implicite du droit qui n'existe qu'en vertu d'un ancrage dans un sol, comme l'ont admirablement démontré Savigny et Bachofen. L'ancrage dans le territoire modérait le cinétisme frénétique de l'ère in-dustrielle-technique. Mais si le cinétisme et le dynamisme sont désor-mais véhiculés par une thalassocra-tie qui n'est pas moti-vée en ultime instance par un ancrage dans un sol, ils perdent toute retenue et pré-cipitent l'humanité dans le chaos. La présence ou le retour nécessaires aux ³ordres élémentaires de nos exis-tences terrestres² postule chez Schmitt un nouveau pathos: celui du tellurique. Sans espace habi-table  ‹et la mer n'est pas un espace habitable‹  il n'y a pas de droit et sans droit il n'y a aucun conti-nuum possible. Das Recht ist erdhaft und auf Erde be-zogen (Le droit est tellurique et lié à la Terre), écrit Schmitt dans son journal, inti-tulé Glossarium.  La mer ne connaît pas l'unité de l'espace et du droit, elle échappe à toute tentative de codification. Elle est a-sociale et an-écouménique. La logique de la mer, constate Schmitt, transforme tout en flux délocalisés: les flux d'argent, de marchandises ou de désirs (véhiculés par l'audio-visuel). Ces flux, déplore Schmitt, recouvrent les ³machines impériales². Il n'y a plus de Terre: nous naviguons sans cesse, sans pouvoir plus mettre pied au sol et tous les livres que phi-losophes et juristes peuvent écrire deviennent, volens no-lens,  autant de log-books,  de livres de bord, se bornant à rendre compte des événements ponctuant ce perpétuel voyage de l'humanité, condamnée à rester accrochée à son ³bâteau ivre².

Cette horreur de toute ³logique de la mer², nous la retrouvons également chez le poète et philosophe Rudolf Pannwitz (1881-1969): pour Pannwitz la Terre est substance, gravité, intensité et cristallisation. L'Eau (et la Mer) sont mobilités dissolvantes. Parler de ³Continent², dans cette géophilosophie ou cette géopoésie implicites, signifie invoquer la ³substance², la ³con-crétude² incontournable de la Terre et du droit. L'Europe qu'espèrent donc Schmitt et Pannwitz est ³la forme politique du culte de la Terre², car elle est la dépositaire de cultures (au pluriel!), issues de la glèbe, comme par définition et par force des choses toute culture est issue d'une glèbe. Ce travail de production de sens et de substance a été inter-rompu par le triomphe de la logique de la Mer. Il faut dès lors procéder à une ³re-territorialisation² de ce qui peut être re-territorialisé. Pour un exé-gète de Schmitt comme le philosophe deleuzien allemand Friedrich Balke, le monde contemporain est un vaste jeu de flux de tous ordres où plus aucune stabilité ni aucune représentation rigide n'a sa place. Le conservateur, fasciné par la figure du Katechon, dira: il faut re-terri-torialiser, ré-hiérarchiser, restaurer l'approche classique du politique, c'est-à-dire se donner ³la possibilité de faire des distinctions univoques et claires², bloquer les flux, rigidifier et coaguler partout, colmater les brèches.

En avançant cette définition classique du politique, Schmitt appelait de ses v¦ux une re-visibi-lisation fixe et nette du souverain et de la souveraineté, des formes sévères du politique, alors justement que les vic-toires des thalassocraties sur les dictatures de l'Axe, en imposant une logique fluide de la Mer, rendaient impossible à jamais le retour de ces représentations hiératiques de l'Etat et de la chose poli-tique. Sommes-nous dès lors condamnés à ³naviguer² sans repos, sans jamais rejoindre un port d'attache? Oui, mais si et seulement si on reste dans la logique de la Mer en ignorant délibérément la Terre. Si l'on tient compte à la fois de la Terre et de la Mer, on pensera simultanément le voyage, la croi-sière ou le raid, d'une part, et l'accostage, le débarquement, le port d'attache, la crique accueillante, l'hinterland fascinant, d'autre part. Pour Deleuze et Balke, rien n'est plus fixe, mais non pas parce que nous naviguons sans au-cun port d'attache. Rien n'est fixe parce qu'en marge des représentations, dé-sormais toujours grosses de caducité, nous avons des ³zones d'indécision², des ³zones entre forme et non-forme², où grouillent de po-tentielles innovations ou fulgurances, qui feront immanquablement irruption un jour pour recouvrir les formes figées, tombées en désuétude. Deleuze nous dit dès lors, comme une sorte de réponse à Schmitt et aux  étatistes classiques: il ne s'agit plus de savoir si l'on va produire ou reproduire des formes, mais si l'on va réussir ou non à capter des forces. Et éventuel-lement à les chevau-cher (Evola!) temporairement, le temps de repérer et d'emprunter une autre monture.

Par conséquent, la forme ³Etat², de modèle classique, est obsolète. Schmitt l'avait déjà perçu, mais ne l'avait pas systématiquement théorisé. Il avait déploré l'effacement graduel de la forme ³Etat², au profit de la société, plus bigarrée et moins clairement appréhendable de par la multiplicité de ses expressions. Avec l'Etat, au stade de sa rigidification suprême telle que l'a imaginée un Kafka dans Le Château, nous avions une ³unité de communication bureaucratique², où les représentants de l'Etat étaient d'office pla-cés au-dessus de ceux qui ne représentaient que des formations sociales subordonnées. Dans un monde de moins en moins déterminé par les formes et de plus en plus par les flux, l'Etat apparaît comme une ³instance sublime de surcodage², qui a soumis à son autorité des formations sociales déjà elles-mêmes codées, comme la famille, les tribus, les états (tiers-état, etc.), les communautés religieuses, les classes. Nous assistons aujourd'hui, à la suite de l'effritement de la forme et de l'hyper-fluidification qui s'ensuit, à un retour en force des formations de moindre codage. Car l'instance surcodée, le ³Code², l'Etat classique, l'appareil, la bureaucratie étatique, etc. n'ont au fond pas de substance propre et ne se nour-rissent que des substances réelles présentes, uniquement dans les corps sociaux, voire les ³corps intermédiaires² dont Bodin avait revendiqué l'élimination en même temps que celle des religiosités parallèles ou résiduaires (sorcelleries, paganismes).

Le retour des ethno-nationalismes (dans les Balkans ou ail-leurs), des revendications régionales (Lom-bar-die, Savoie, Catalo-gne, biorégionalisme américain, etc.), des impératifs religieux (dans les fon-da-men-ta-lis-mes de diverses moutures), des conflits sociaux (comme en France en 1995 ou en Belgique aujourd'hui), des revendications communautaires (le communautarisme américain), des ³marches blanches² contre l'appareil judiciaire accusé de fermer les yeux sur la pédophilie et les violences faites à l'enfant (Belgique, 1996), sont autant de signes d'une rébellion généralisée des groupes sociaux, aupara-vant surplombés par l'instance étatique ³surcodifiante², trop rigide dans sa re-présentation et incapable, justement, de ³capter des forces², parce que trop occupée à soigner, produire et reproduire son ³look², sa ³re-pré-sen-ta-tion². Dans un monde réagencé à la suite de la victoire écrasante d'une thalassocratie mar-chande, l'in-satiable répétition ³psittaciste² d'un modèle invariable fait scandale, même si l'extrême fluidité que la puis-san-ce maritime dominante impose par ailleurs au monde ne provoque pas outre mesure l'adhésion des masses ou des ressortissants des groupes sociaux soumis préalable-ment au ³Surcode².

Nous découvrons donc une problématique ambivalence dans l'appréhension par nos contemporains de la sphère du politique: d'une part, ils tentent de se débarrasser du ³surcode² étatique classique, car celui-ci est trop peu à même de ³capter les forces² qui les interpellent dans leurs vies quotidiennes; d'autre part, ils réclament du repos et tentent aussi d'échapper à ce voyage sans fin, à ce voyage permanent sur le ³bâteau ivre². Nos contemporains veulent à la fois voyage et ports d'attache. Aventure (ou distraction) et ancrage (et repos). Ils veulent un va-et-vient entre dé-territorialisation et re-territorialisation, dans un con-texte où tout retour durable du politique, toute restauration impavide de l'Etat, à la manière du Léviathan de Hobbes ou de l'Etat autarcique fermé de Fichte, est désormais impossible, quand tout est ³mer², ³flux² ou ³production². Deleuze, Guattari et Balke acceptent le principe de la navigation infinie, mais l'inter-prè-tent sans pessimisme ni optimisme, comme un éventail de jeux complexes de dé-territorialisa-tions (Ent-Ortungen) et de re-territorialisations (Rück-Ortungen). Le praticien du politique traduira sans doute cette phrase philosophique par le mot d'ordre suivant: "Il faut re-territorialiser partout où il est pos-sible de re-territorialiser", tout en sachant que l'Etat classique, rigide et représentatif, surcodifiant et surplombant les grouillements sociaux, n'est plus la seule forme de re-territorialisation possible pour nos contem-po-rains. Il y a mille et une possibilités de micro-re-territorialisations, mille et une possiblilités d'injecter pro-vi-soi-rement de l'³anti-production², c'est-à-dire des ³jets de stabilisation coagulante² dans le flux de flux con-tem-porain, que Deleuze et Guattari avaient nommé la ³production² dans L'Anti-Oedipe  et dans Mille Pla-teaux.  Ainsi, la nécessité des formes ou des ³stabilisations coagulantes² ne s'estompe pas mais change d'aspect: elle n'est plus surcodage rigide mais stabilisation provisoire et captation de forces réellement existantes que l'on chevauchera ou canalisera.

Face à ce constat des philosophes, quelle pourrait être la ³bonne politique² dans l'Europe contemporaine? Elle me semble devoir osciller d'une part, entre un ³grand-espace², une instance ³grand-spatiale² souple et flexible, légère, svelte et forte, remplaçant et dépassant l'Etat classique pour reprendre sur une plus grande échelle le rôle d'un ³converteur continental², d'un capteur-dynamiseur de forces réelles di-verses, et d'autre part, une mosaïque effervescente de sites réels et repérables dans leur identité que rien ne viendra mutiler ou handicaper. Nous aurions une instance de représentation non surcodante, mais au contraire captatrice, sorte de nouveau Saint-Empire (Heiliges Reich)  dynamiseur et généreux, et un tissu de patries charnelles, de sites originaux, de villes, de provinces et de pays typés, qui se regroupe-ront et se sépareront au gré des forces fluides à l'¦uvre partout, à la manière de ces initiatives auda-cieuses qu'on a vu s'épanouir récemment: les coopérations transré-ionales, au-delà des frontières des vieux Etats, coopérations qui fonctionnent au nom même du site, de la terre que ses contrac-tants occu-pent, au nom du paysage montagnard qui les unit plus qu'il ne les sépare, au nom du bassin fluvial qui les irrigue, au nom de la mer qui les baigne. Au nom du réel tellurique. Immanent. Immanent de par son extra-philoso-phicité. De par sa présence vitale. Car l'immanence est vie et rien d'autre, alors que la représenta-tion est toujours vision sans grouil-lement vital.

Robert STEUCKERS.
Sources:
- Friedrich BALKE, "Beschleuniger, Aufhalter, Normalisierer. Drei Figuren der politischen Theorie Carl Schmitts", in F. BALKE, E. MÉCHOULIAN & B. WAGNER, Zeit der Ereignisses - Ende der Geschichte?,  Wilhelm Fink Verlag, München, 1992.
- Friedrich BALKE, Joseph VOGL, "Einleitung. Fluchtlinien der Philosophie", in F. BALKE u. J. VOGL (Hrsg.), Gilles Deleuze - Fluchtlinie der Philosophie, W. Fink Verlag, München, 1996.
- Friedrich BALKE, "Fluchtlinie des Staates. Kafkas Begriff des Politischen", in F. BALKE u. J. VOGL, op. cit., 1996.
- Robert STEUCKERS, "La décision dans l'¦uvre de Carl Schmitt", in Vouloir, n°3/1995.
- Robert STEUCKERS, "Rudolf Pannwitz: ³Mort de la Terre², Imperium Europæum et conservation créa-trice", in Nouvelles de Synergies Européennes,  n°19, 1996.

06:25 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Un site consacré à Raoul Heinrich Francé

medium_france.jpg

Un site entièrement consacré au pionnier de l'écologie Raoul Heinrich Francé, par son petit-fils Pierre Francé

En allemand, anglais et français.

http://perso.orange.fr/france.pierre/

A lire également: In Memoriam Raoul Heinrich Francé (1874-1943):

http://www.thomas-caspari.com/bodenkunde/france/index.htm

06:15 Publié dans Ecologie | Lien permanent | Commentaires (2) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

J. Vertemont: Qu'est-ce que le paganisme?

QU'EST-CE QUE LE PAGANISME ?

Source : Jean Vertemont, Vouloir n°142/145 (1998).

Le paganisme se caractérise fondamentalement par la compréhension intuitive de l’ordre intrinsèque du réel, ordre fondé sur un réseau de correspondances qui relient le corps, l'âme et l'esprit de chaque homme, sujet des phénomènes, (microcosme) à un ordre cosmique, ou ordre des phénomènes extérieurs au sujet (macrocosme). Cet ordre inhérent, appelé Rita chez les Indiens, Asha chez les Iraniens, Cosmos chez les Grecs, a un prolongement dans la société humaine, appelé Dharma en Inde pour l'aspect éthique et Varna pour l'aspect social, ou encore symbolisé chez les Grecs par une déesse de la mesure et de l'équité, Némésis.

Un des plus grands symboles de cet ordre est le zodiaque, celui que tout le monde connaît, mais aussi le zodiaque des runes, ou celui des positions de la lune, qui a survécu en Inde, faisant référence à de multiples processus concomitants, d'ordre temporel, mais aussi atmosphérique, mental, social, rappelant que les grands dieux exprimaient un ordre extérieur aussi bien qu'intérieur, un ordre cosmique aussi bien que social, ignoré par le monothéisme simpliste. La méthode comparative appliquée sur les textes védiques d'une part, et les textes traditionnels plus tardifs d'Europe d'autre part, a bien montré que les indo-européens avaient placé au centre de leur religiosité une cosmologie, permettant à de nombreuses cosmogonies de prospérer.

Et c'est précisément l’intérêt de la tradition védique d'avoir été un remarquable conservatoire de cette antique religiosité. Un sanskritiste comme Jean Varenne avait bien montré que ces cosmogonies pouvaient se classer selon les 3 grandes fonctions duméziliennes, car il existe dans les textes védiques des cosmogonies décrivant l'apparition du monde par l'action de la parole sacrée, avec la formule "fendre la montagne par le hurlement sacré pour délivrer la lumière cachée" ou par l'action guerrière du champion des dieux, Indra, contre des puissances de résorption et de renfermement, ou par l'action d'un démiurge constructeur et organisateur, comme Vishvakarman. Cette cosmologie, dont on retrouve des traces chez tous les peuples d'origine indo-européenne, est extrêmement ancienne, elle remonte à leur commune préhistoire. Elle tient la place qu’occupe l'eschatologie dans les grandes religions abrahamiques, qui ont pour corollaire un temps linéaire et orienté.

Au contraire, dans le paganisme, le temps est cyclique, il existait même un culte de l'année avec un rituel très précis et paradoxalement, il est possible de gagner l'immortalité justement en transcendant les cycles, ce qui est impossible et impensable avec un temps linéaire. La toile de fond de ces cosmogonies est la même que celle des cosmogonies grecques : l'eau, sous la forme de l'océan et des rivières célestes qui lui sont associées, forme l’élément primordial duquel est issu le monde. Du ciel supérieur, les dieux veillent au maintien de l'Ordre dont ils ont saisi les secrets, à la fois par la raison, mais aussi par la volonté. De ceci découle une mode d'existence, une façon d’être au monde, qui se caractérise par de multiples aspects bien soulignés par des centaines d'auteurs sur le sujet.

Les pouvoirs de la volonté

La reconnaissance des pouvoirs de la volonté, pour laquelle ont été conçus de multiples exercices spirituels, simples et efficaces, se basant sur la méditation, le contrôle du corps, la maîtrise des sens, la magie et la prière, dont le but est d'affirmer un potentiel de spiritualité, lequel s’élève vers le sacré et se fixe sur ses symbolisations multiples. Tous ces exercices spirituels puissants et effectifs, découlent de la vision païenne et doivent être dirigés vers des buts bien déterminés, comme autant de flèches précises sur leur cible. C'est ce qu'avaient observé les Anciens, qui érigèrent un dieu pour chaque force de la nature, pour chaque puissance cosmique, pour chaque manifestation relevant des mystères divins, pour chaque vertu morale.

La primauté de l'énergie sur la parole

La reconnaissance de la primauté de l’énergie sur la parole : La méditation, la prière et l'intercession sont des actes magiques dont nous ignorons encore toute la puissance. La psychanalyse caractérise partiellement ce processus en le comparant au phénomène physique de la sublimation. C'est une source incomparable qu'il faut savoir diriger en condensant les énergies. Le christianisme, comme toutes les religions abrahamiques, met l'accent sur la parole révélée, sur un logos qui serait créateur, sur la Loi et sur l'Amour, bref toutes sortes de processus qui peuvent se perpétuer sans fin en déconnexion du réel.

La reconnaissance de l'art comme voie d’accès au divin : Sous toutes ses formes, par la concrétisation de l'idéal, du beau, du sublime, non seulement dans ses expressions religieuses mais profanes. La sculpture, l'architecture, la peinture, la danse, la musique, la poésie, la philosophie, le sport, toute activité résulte plus ou moins de l'inspiration du divin, du sacré, dans ce que l'homme peut de meilleur et de plus élevé. L'artiste ou l'artisan, ou ce qui est plus difficile aujourd'hui, le travailleur, le citoyen, le militant, condensent inévitablement leur pensée sur l'oeuvre à laquelle ils adhèrent. Le paganisme, par sa glorification de la nature, s'adresse à un homme centré et équilibré, et finalement plus à l'esprit qu'au cœur. II inculque le sens de la grandeur, de l'harmonie, et de la santé par le sens de la mesure et des proportions, par la maîtrise et l’unification de l’être trinitaire esprit/âme/corps totalement inséparables, par la culture de la beauté des formes et la noblesse des sentiments.

06:10 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

L'hommage de Ph. Randa à J. Mabire

medium_Jean_Mabire.jpg

 

A jamais parmi nous

Le magnifique testament de Jean Mabire

Voilà dix ans que ses amis savaient Jean Mabire très malade, mais tous avaient fini par ne plus y penser. Jusqu’à ses dernières forces, il a poursuivi son œuvre, appelée à devenir une référence majeure. « Ecrire, dit-il, doit être un jeu dangereux. C’est la seule noblesse de l’écrivain, sa seule manière de participer aux luttes de la vie. »

« Si quelqu’un mérite bien le paradis des chrétiens, c’est assurément lui ! Il n’y croyait peut-être pas, mais il a vécu sur Terre comme un vrai chrétien, et même bien davantage que certains qui s’autoproclament comme tel sans en respecter les plus simples préceptes. »
Jean Bourdier

N é le 8 février 1927, Jean Mabire ne fêtera donc pas ses 80 ans « parmi nous ». Depuis mercredi dernier, 28 mars, il a rejoint tous les personnages historiques qu’il fit revivre dans ses cent et quelques livres publiés, tous ses amis partis avant lui, et ceux qui furent tout autant l’un que l’autre. Il rendait ainsi dernièrement un ultime hommage à Christian de La Mazière, le « rêveur casqué et blessé », dans la chronique littéraire qu’il tenait à « National Hebdo ». Souffrant de la même grave maladie, il lui demandait, voici quinze jours, de ne pas marcher trop vite car il savait qu’il n’allait pas tarder à le rejoindre. Gageons que Christian de La Mazière l’a entendu et donc attendu sur le chemin de ce royaume où l’honneur et la fidélité unissent ceux qui ont bravé, leur vie durant, le conformisme intellectuel.

Le chantre de « tous les braves »

Jean Mabire avait d’abord voulu être dessinateur et graphiste ; il avait fondé voilà un demi-siècle un atelier d’art graphique, « Les Imagiers normands ». Puis il se fit journaliste, d’abord à la normande « Presse de la Manche », puis dans des organes très engagés (« L’Esprit Public », « Europe Action », « Défense de l’Occident », « Dualpha », « Eléments ») puis très « droitiers » (« Valeurs actuelles »,  « Spectacle du Monde », « Minute », « Le Choc du Mois ») et enfin à « National Hebdo », où le convièrent voilà quinze ans Roland Gaucher et Jean Bourdier, et qu’il ne quitta plus.

Il ne faudrait pas oublier non plus ses multiples collaborations aux revues historiques (« Historia », « Enquête sur l’Histoire », « Visages de l’Histoire » et, bien sûr, « Hommes de Guerre », qu’il dirigea) ou régionalistes (« Heimdal », « Vikland », « Haro », « Hellequin »…) Une telle carrière rendrait déjà envieux bien des professionnels de la presse, mais avant tout, mais surtout, Jean aura été historien.

Le grand public le connaît pour ses récits de guerre et parmi ceux-ci, plus encore pour ses livres sur les unités de la Waffen SS européenne. Des livres qu’il ne reniait certes pas, mais dont il s’exaspérait qu’on lui parle parfois exclusivement, alors qu’ils ne représentent qu’un tiers environ de son œuvre. Un tiers seulement ? Oui, mais un tiers qui ne passa pas inaperçu dans les années soixante-dix et quatre-vingt du siècle dernier. Il n’était pas rare, alors, de voir les « casques à boulons» signés Jean Mabire en pile dans les rayons des grandes surfaces. Il y a moins de vingt-cinq ans de cela et il semble aujourd’hui que ce fut il y a un siècle…

Ce succès devait occulter celui, tout aussi réel, mais moins voyant, de ses récits consacrés aux Chasseurs alpins (lui-même étant un ancien du 12e bataillon de chasseurs alpins), aux paras américains et anglais de la Seconde Guerre mondiale, aux samouraïs (avec Yves Bréhéret) ou encore aux guerriers de la plus Grande Asie et tout particulièrement au baron Raoul Ungern von Sternberg. La postérité lui rendra un jour justice d’avoir voulu être le chantre de « tous les braves », quelles qu’aient été leur nationalité, leurs convictions ou leur engagement…

Libre en amitiés

On l’oublie trop souvent, Jean Mabire a été aussi un grand historien de la Normandie, du Nord et de la mer. A ce titre, il cultivait des amitiés qu’on ne lui aurait pas devinées : par exemple celle de Gilles Perrault (ex-président de Ras l’front) ou celle de Jean-Robert Ragache, grand maître du Grand Orient de France, avec lequel il signa une Histoire de la Normandie, trois fois rééditée. A ce propos, je lui demandais un jour son avis sur la franc-maçonnerie. Il me répondit, amusé : « Personne ne m’a jamais proposé d’y entrer, même pas mes amis francs-maçons dont beaucoup s’imaginent sans doute que j’en suis… »

Ce que tout le monde savait en revanche, c’est qu’« à la religion des autels et des livres », il préférait « la croyance aux bois et aux sources ». Ce à quoi ses amis très catholiques, comme Jean Bourdier, répondent en chœur, depuis mercredi dernier : « Si quelqu’un mérite bien le paradis des chrétiens, c’est assurément lui ! Il n’y croyait peut-être pas, mais il a vécu sur Terre comme un vrai chrétien, et même bien davantage que certains qui s’autoproclament comme tel sans en respecter les plus simples préceptes. »

Sans doute ai-je toujours été un lecteur type de Jean Mabire : adolescent, je m’enflammais aux exploits des guerriers qu’il faisait revivre. A peine majeur (de la majorité d’avant Giscard), je les délaissais pour ses livres politiques (Drieu parmi nous, La Torche et le Glaive, Thulé, Le Soleil retrouvé des Hyperboréens, Les Grands Aventuriers de l’Histoire : les Eveilleurs de peuple…). Puis, jeune homme, je découvrais ces autres aventuriers qui le fascinèrent tout autant et dont il fut le biographe : Bering, Roald Amundsen, Ungern, Patrick Pearse… Enfin, ayant largement dépassé la quarantaine, je reste à jamais fasciné par ses portraits d’écrivains qu’il nous a offerts chaque semaine dans sa chronique « Que lire ? ».

Que lire ? Mabire !

C’est une œuvre d’une tout autre ampleur que ses récits de guerre, sa quête incessante de l’Ultima Thulé ou ses aspirations régionalistes (il fut co-fondateur de l’Union pour la Région Normande qui donnera naissance en 1971 au Mouvement normand). Les sectaires lui reprocheront d’avoir osé parler de tel auteur, « inverti » notoire, qui n’a donc pas sa place dans la littérature ! De tel autre, communiste, et donc complice du diable ! De tel autre enfin, qui était du camp des vaincus de 1945 et n’a de ce fait plus même droit au qualificatif d’écrivain !

On trouve une preuve de l’honnêteté intellectuelle de Jean Mabire à travers chacun de ses portraits d’écrivains : pas une seule mesquinerie raciste, politique, religieuse, littéraire, n’entache sa volonté manifeste de pousser le lecteur à lire, toujours et encore, et souvent à découvrir un auteur. Ainsi commence l’éternité d’un écrivain lorsqu’on sauvegarde son souvenir, c’est-à-dire son « âme ».

« Que lire ? » est non seulement la grande œuvre de Jean Mabire, mais un testament magnifique qu’il laisse à ses innombrables lecteurs passés, présents et futurs. Un jour, peut-être, on dira « le Mabire » comme on disait hier « le Lagarde et Michard ». Nous serons quelques-uns à dire que nous le Mabire, l’homme, nous l’avons connu. Et aimé.

Philippe Randa

Les cinq premiers tomes de Que lire ?, de Jean Mabire, sont disponibles aux éditions Dualpha (www.dualpha.com ou Dualpha diffusion, BP 58, 77522 Coulommiers Cedex) au prix unitaire de 26,00 euros. Les deux tomes suivants paraîtront prochainement.

 

06:05 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook