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jeudi, 05 avril 2007

Luttwak et la référence romaine des stratèges US

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Edward N. Luttwak et la référence romaine des géostratèges américains

 

par Carlo TERRACCIANO

Très significative dans la pensée stratégique américaine contemporaine est la référence à la Rome impériale d'Auguste. Cette Rome est celle qui accroît sa domination à tout le bassin méditerranéen, après avoir éliminé la puissance navale carthagi­noise, son unique rivale dans la zone. Edward N. Luttwak a consacré une étude magistrale à cette Rome augustéenne. Né en Transylvanie roumaine en 1942, il est un spécialiste des problèmes stratégiques et enseigne à la “Georgetown University” et au “Georgetown Center of Strategic and International Studies” de Washington. Il est également un “consultant” du gouverne­ment Reagan en matière de défense. Il a été conseiller du Président Ronald Reagan en politique étrangère. Il fait partie de ces équipes mises en place par les intellectuels conservateurs judéo-américains, qui s'opposent à leurs homologues de la gauche pré-reaganienne, et où l'on trouve des noms connus tels Mosse, Leeden, etc. En collaboration avec Dan Horowitz, Luttwak a écrit une étude sur l'armée israëlienne, dans laquelle il a servi. Ensuite, il doit surtout sa célébrité à des ouvrages comme The Political Uses of Sea Power, Strategic Power, et, en traduction italienne, Strategia del colpo di stato, La grande strategia dell'Union Sovietica, Il Pentagono e l'arte della guerra.

Dans La grande stratégie de l'Empire romain, ouvrage sous-titré L'appareil militaire comme force de dissuasion, Luttwak nous propose de comparer l'empire romain euro-méditerranéen à l'empire océanique euro-atlantique des Etats-Unis. Il ana­lyse tout particulièrement les mutations dans la stratégie défensive de Rome, depuis le “système julio-claudien” d'Auguste et de Néron, avec ses États-clients et ses armées mobiles, à celui des Flaviens et des Sévères, avec ses frontières scientifiques et sa défense dissuasive, et pour finir, à la méthode finale, celle de la “défense en profondeur”.

Voyons ce que l'histoire des stratégies romaines peut apporter à l'étude de la situation contemporaine, du moins telle qu'elle se présentait immédiatement avant la chute du système soviétique. L'Empire américain est comparable à l'Empire romain de la décadence, du moins vu sous l'angle géopolitique. La décadence romaine fut longue, parfois splendide dans ses raffine­ments et ses productions culturelles. Soulignons toutefois que les proportions sont différentes dans chacun des deux cas ana­lysés: la puissance océanique américaine couvre tout le globe, alors que le pouvoir maritime romain ne couvrait qu'une mer intérieure, avec les techniques de l'antiquité. Aujourd'hui, il n'est plus possible de conquérir directement des territoires ni d'assumer une hégémonie planétaire, donc, l'empire américain, tout comme l'empire romain, est contraint de défendre ses conquêtes mais aussi et surtout son propre “noyau” central, c'est-à-dire l'île-continent nord-américaine. Pour assurer cette défense, il faut que Washington soit en mesure de défendre toutes les positions acquises aux confins stratégiques du monde. La puissance maritime américaine doit donc pouvoir contrôler les îles, les presqu'îles et les côtes situées au-delà de l'“étang” qui baigne les côtes américaines. Jordis von Lohausen, dans son ouvrage Mut zur Macht,  avait appelé cette problématique celle des “rivages et contre-rivages”. L'empire romain se situait sur un axe géographique horizontal (Ouest-Est), l'empire américain, lui, se situe sur un axe vertical (Nord-Sud). L'empire romain devait contrôler les côtes nord et sud de la Méditerranée pour pouvoir durer, l'empire américain, pour se maintenir, doit contrôler les côtes est et ouest des continents qui lui font face, au-delà du Pacifique et de l'Atlantique. Si l'empire romain avait une seule “mare nostrum”, l'empire américain en a deux.

Dans sa conclusion à La grande stratégie de l'empire romain, Luttwak insiste sur la nécessité de diviser les adversaires po­tentiels, de balkaniser leurs volontés, car même une défense en profondeur des frontières s'avèrerait problématique en cas de coalition ample et cohérente. Quand les Germains se sont soudés en une vaste alliance multi-tribale, la défense en profondeur, mise en place par Dioclétien, ne peut plus jouer optimalement. Elle ne peut plus que contenir l'ennemi, non disloquer d'avance ses défenses.

On notera toutefois, qu'à rebours de l'empire romain, les Etats-Unis, puissance essentiellement maritime, poursuivent surtout des objectifs économiques, développent un expansionnisme de type capitaliste et proposent un modèle de vie consumériste. Ils ne visent nullement la création d'un bloc impérial uni autour d'un éventail de valeurs intangibles, de doctrines politiques ou d'intérêts géoplitiques. Ils se bornent à organiser une “ceinture” d'Etats-clients pour défendre, sur les airs et sur mer, à partir du rimland  européen, africain et asiatique, le territoire américain. Au contraire, les puissances continentales de l'histoire (Sparte, le Rome républicaine, la Macédoine de Philippe et d'Alexandre, l'Islam, l'empire napoléonien, le IIIième Reich ger­manique et la Russie tsariste et soviétique), ont tenté d'élargir progressivement leur propre territoire en amenant les peuples à adopter un modèle d'ordre qu'ils jugeaient idéal (qu'il soit politique, religieux, racial ou autre), en formant et en informant les populations soumises. Rien de tel dans le cas américain, qui se borne à offrir des jeux (télévisuels ou audiovisuels): c'est la différence entre un néo-colonialisme moderne et un impérialisme territorial classique.

Carlo TERRACCIANO.

(extrait d'un article paru dans Orion  n°30/1987; trad. franç.: Robert Steuckers).

06:20 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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