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vendredi, 14 mars 2008

P. Gentile et les démocraties mafieuses

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Panfilo Gentile, critique et pourfendeur des démocraties mafieuses

 

On dit que le terme “partitocratie” est né à l'U­ni­versité de Florence en 1949 : le premier à l'a­voir utilisé serait Giuseppe Maranini, à l'oc­ca­sion de l'ouverture de l'année académique. Mais parmi les premiers hommes politiques à avoir utilisé ce terme figure Don Luigi Sturzo qui, au Sénat, avait dénoncé l'avènement de la par­titocratie “contre laquelle il fallait opposer une résistance sérieuse dès le départ”. Cepen­dant, la critique de l'immixtion générale des par­tis politiques en tous domaines est vieille d'au moins un siècle. Déjà Minghetti, en 1881, a­vait publié un volume dédié aux partis politi­ques et à leur ingérence dans la justice et l'ad­ministration (I partiti politici e la loro ingerenza nelle giustizia e nell'administrazione). Avant lui, Ruggero Bonghi avait dénoncé la “profonde corruption [des mœurs politiques] que provo­quaient les partis”. Il relevait que “nous étions en train de transformer les meilleures formes de gouvernement en les formes pires qui aient ja­mais existé, en un réseau fort dense de pe­tites ambitions qui… s'étendant à tous le pays, compénétrant sa moelle, ne laissera au­cun mem­bre intact et sain”.  Ce sera cependant l'a­vè­nement du parti-église, du parti-Prince, de fac­ture léniniste, qui fera que la forme poli­ti­que “parti” assumera sa pleine légitimité à do­miner la société civile.

 

Rendre justice à ceux qui, très tôt, avaient dénoncé les tares de la partitocratie

 

Mais les efforts pour dénoncer la partitocratie, fil­le directe du Parti Unique (dont elle est la ver­sion tentaculaire sous la forme du “pluralis­me”), deviendront plus systématiques et com­plets dans l'Italie républicaine de la seconde moi­tié du 20ième siècle. J'estime que c'est une in­justice, et un oubli injustifié, que cette cri­ti­que tardive et unanime de la partitocratie ait ou­blié ceux qui, des décennies auparavant, en a­vaient dénoncé les tares avec une précision ri­goureuse. Finalement, certains auteurs com­me Flores d'Arcais ont soutenu la thèse que la partitocratie était de droite (et même de “nou­velle droite”) en son essence. Nous assistons là à un véritable renversement des rôles et des dé­finitions, si l'on considère que les pré­cur­seurs les plus lucides et les plus intransigeants de la critique de la partitocratie appartenaient plutôt à la sphère culturelle de droite. On pou­vait peut-être imputer à cette culture une cer­taine sympathie pour les solutions autoritaires, un anti-parlementarisme et, dans certains cas, un anti-démocratisme, mais certainement pas une volonté de défendre les travers de la par­ti­tocratie.

 

Panfilo Gentile observe trois Italies politiques

 

Nous utilisons ici le vocable de “droite” au sens large, tout en faisant allusion à des anti-fas­cis­tes du genre de Mario Vinciguerra ou de Piero O­perti ou à d'anciens fascistes comme Camillo Pel­lizzi ou Carlo Costamagna, ou à des per­son­nalités comme Giacomo Perticone, Lorenzo Ca­boara, et, enfin, à Gianfranco Miglio. Mais le po­lémiste le plus efficace dans sa critique de la par­titocratie fut Panfilo Gentile, au départ jour­na­liste. Panfilo Gentile est un vieux chêne de la culture politique italienne qui a successivement vé­cu, de manière difficile et non conformiste, l'Ita­lie de Giolitti, l'Italie de Mussolini et l'Italie de la République d'après 1945. Gentile, qui meurt en 1971, a traversé les trois Italie(s), en pré­férant toujours la partie “incorrecte” de la cul­ture, en somme la culture d'opposition du mo­ment. Il avait commencé sa carrière comme so­cialiste dans les colonnes d'Avanti quand le di­recteur de ce journal était Benito Mussolini; avec celui-ci, il a partagé également l'ex­pé­rien­ce d'Utopia. Ensuite, il est passé à l'Unità de Sal­vemini, pour ensuite devenir professeur d'u­ni­versité et se consacrer à une carrière d'avo­cat dans la période fasciste. Plus tard, il se re­trou­va parmi les activistes du Mondo de Pan­nun­zio et de Risorgimento liberale. Après avoir assuré un moment la direction de Nazione et avoir passé un long moment dans la rédaction du Corriere della Sera, il termine ses activités de publiciste à droite, dans les pages de Spec­chio, de Roma et de Borghese. Mais, surtout, il a­chève de publier une captivante trilogie con­tre la partitocratie, avec Polemica contro il mio tempo, Opinioni sgradevoli et Democrazie ma­fiose, trois volumes édités par Volpe. Ces livres ont connu de nombreuses rééditions; en les re­li­sant, on s'aperçoit de l'éternelle fraîcheur et vi­vacité des arguments de ce polémiste cul­ti­vé; de plus, la lucidité de ses positions criti­ques reste pleinement actuelle. Notre démo­cra­tie, écrivait Panfilo Gentile dans les années 60, est en réalité “une oligarchie de demies por­tions” à laquelle correspond également une in­telligentsia constituée à son tour de “demies por­tions”. Le déclin des élites est donc à l'ori­gine de la mauvaise qualité de la démocratie ita­lienne. Ses pages, consacrées au “dé­ca­den­tisme” qui caractérise l'intelligentsia de gau­che, sont très pertinentes. Avec vigueur et lu­ci­dité prophétique, Panfilo Gentile prévoyait, en pleine effervescence de 1968, la fin des idéolo­gies. A commencer, d'ailleurs, par l'idéologie du progrès, dont il entrevoyait, justement dans les années où elle connaissait son apothéose, les signes du déclin.

 

Démocraties mafieuses, cryptocraties et néo-capitalisme

 

Les démocraties mafieuses selon Panfilo Gen­ti­le sont très justement décrites et définies com­me des “cryptocraties” : ce qui signifie que, dans ces démocraties mafieuses, le pouvoir de­vient invisible, occulté, soustrait à la lumière du consensus et du contrôle public. C'est le pou­voir des groupes, des secrétariats de parti et aussi des lobbies et des potentats de l'éco­no­mie. Il s'agit, ni plus ni moins, des pouvoirs forts et invisibles, dont on parle à intervalles ré­guliers. Nous ne devons pas oublier les pa­ges que Panfilo Gentile a écrites sur le néo-ca­pi­talisme et la nouvelle bourgeoisie. Il sou­te­nait la thèse que le néo-capitalisme, avec la dés­humanisation qu'il générait, avec le con­for­mis­me qu'il généralisait, était le terrain idéal pour faire croître la partitocratie. C'est évi­dem­ment une analyse dont il faut se souvenir au­jour­d'hui quand on oppose les désastres de la partitocratie aux “merveilles” que l'on prête à la caste des “entrepreneurs”. Ou quand on af­firme qu'il faut guérir les erreurs de la politique par la thérapie du marché. Analyse d'autant plus intéressante que Panfilo Gentile ne se po­sait pas d'emblée comme anti-libéral ni même comme un opposant au laisser-faire en écono­mie.

 

Unique remède : la république présidentialiste

 

Les conclusions de Panfilo Gentile  —même si el­les sont enclines au pessimisme—   l'ont con­duit, de perplexités en perplexités, à réclamer le passage à une République présidentialiste. Il ne voyait pas d'autres correctifs efficaces con­tre la partitocratie. C'était pour lui l'unique re­mè­de, qu'il considérait toutefois comme anti-au­toritaire, parce qu'il restituait une autorité dé­cisionnaire au-delà des cénacles [occultes] des partis. La République présidentialiste était l'u­nique voie, selon lui, qui était un libéral anti-partitocrate, pour annuler les effets pervers d'une “démocratie sans peuple”, dont parlent é­galement Duverger et Nenni. Ainsi, Panfilo Gen­tile, remettait le sceptre entre les mains du peuple [réel].

 

Dans le corpus doctrinal du conservateur Pan­fi­lo Gentile ressurgit toutefois une ancienne hé­ré­dité socialiste; n'oublions pas qu'il fut, entre au­tres choses, avant la Grande Guerre, l'au­teur d'un important essai révisionniste du mar­xis­me, où il a tenté de réinstaller le socialisme dans le filon de l'idéalisme critique. C'est la tâ­che qu'il s'était assigné dans les colonnes d'A­vanti, le journal dont Mussolini était le ré­dac­teur en chef. Celui-ci y a d'ailleurs consacré une longue recension, où il n'épargnait pas à Pan­filo Gentile d'âpres critiques, y compris à la syn­taxe et au titre qu'il jugeait “trop prolixe pour un ouvrage aussi bref”. Pourtant, ce mê­me Mussolini a trouvé dans cet essai de Panfilo Gentile ce qu'il s'apprêtait à faire, c'est-à-dire bouleverser le socialisme de fond en comble, mê­me si, dans un premier temps, il a critiqué les thèses de cet ouvrage.

 

« A quelles conclusions aboutit ce Gentile ? » se demandait Mussolini. « A un boulever­se­ment total de la notion même de socialisme. Le facteur économique, de subordonnant, devient su­bordonné. Passe au second plan. Le so­cialis­me n'est plus une nécessité économique, mais une nécessité transcendante, métaphysique : il de­vient la réalisation nécessaire de l'idée ». Il s'a­git donc du renversement du socialisme en un idéalisme, en un mythe, ce que fera Musso­lini plus tard, mais en s'inspirant de Sorel et de l'autre Gentile, Giovanni Gentile, théoricien de l'ac­tualisme fasciste.

 

Mais l'ancien socialiste Panfilo Gentile se défi­ni­ra plus tard, en 1969, dans un entretien accor­dé à Gianfranco de Turris, comme “l'un des ra­res réactionnaires d'aujourd'hui”. Et il ajoutera, dans une préface au livre Apologia della rea­zione de Ploncard d'Assac, que “l'unique façon d'être progressiste, c'est d'être réactionnaire”. En ces années-là, Panfilo Gentile se définissait aussi comme “un jacobin d'extrême droite” et critiquait le fascisme parce que “trop démocra­tique et trop populaire”. Panfilo Gentile était donc réactionnaire, mais restait libéral, et laï­que (il fut l'auteur d'une excellente Storia del Cristianesimo), demeurait en lutte permanente con­tre la “cléricalisation des esprits”. 

 

Contre la « cléricalisation » des esprits

 

Ceux qui l'ont connu dans ses dernières an­nées, quand il habitait dans la Via Veneto à Ro­me, se rappelleront de lui comme l'homme tou­jours assis dans l'angle gauche de son ca­bi­net de travail, à côté d'une machine à écrire por­tative sur laquelle il tapait à un seul doigt, en­touré de chiens et de chats. Sur les murs é­taient suspendus des portraits dédicacés de D'An­nunzio, de Gioacchino Volpe, de Missiroli et de Croce, ainsi que l'ordre de Commandeur du Cordon Bleu. Il était largement octogénaire. Il avait l'habitude de ne jamais révéler son â­ge. A un journaliste qui l'avait qualifié de “do­yen” dans un interview, il avait demandé de changer ce terme : « C'est pour ceux qui sont en­core plus vieux que moi ». Une chose est cer­taine : ses pages sur les démocraties ma­fieu­ses, la chienlit du 20ième siècle, n'ont pris au­cune ride, car elles décrivent encore mieux notre temps que le sien. Ce vieux réactionnaire ja­cobin aimait le passé, mais, en fait, il a décrit l'avenir.

 

Marcello VENEZIANI.

(extrait du livre L'Antinovecento. Il sale di fine millenio, Leonardo ed., Milan, 1996, ISBN 88-04-40843-X).

00:15 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : politique, sociologie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Très juste: à méditer en même temps que certains écrits récents du Sénateur Destexhe (qu'est-ce qu'il fout au MR, aussi corrompu que le reste des partis). La démocratie chavire dans le mafieux. Logique des choses. Aboutissement d'une démagogie téléguidée. Les suffrages ne servent pas à améliorer le sort du peuple. Ils servent à beétonner le pouvoir des oligarchies. On le savait depuis Roberto Michels. La canaille qui nous gouverne ne connaît pas ses classiques, ne veut pas qu'on les lise. A quand une monographie tout public de Michels ou de ce Gentile (que je ne connaissais pas) dnas les colonnes du "Soir" de madame delvaux qui bouffe du Poutine et du Leterme à chaque repas...

Écrit par : Bart Delhaye | mercredi, 19 mars 2008

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