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jeudi, 16 octobre 2008

Manuel de géopolitique et de géo-économie

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SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres - Wallonie / Lectures - Octobre 2008
Le livre de références pour nos travaux de géopolitique !!
A acquérir d'urgence !!
A lire le plus attentivement: le chapitre "Pourquoi nous combattons?"
Le monde. Manuel de géopolitique et de géoéconomie (sous la direction de Pascal Gauchon)
Pascal Gauchon (avec Elizabeth Crémieu, Olivier David, André de Séguin, Sylvia Delannoy, Eric Duquesnoy, Yves Gervaise, Dominique Hamon, Anne-Sophie Letac, Maxime Lefebvre, Frédéric Munier, Jean-Luc Suissa, Cédric Tellenne, Patrice Touchard), Le monde. Manuel de géopolitique et de géoéconomie, PUF « Major », 2008.
Le monde change. Le monde tourne. Peut-on suivre la marche du monde sans s’y noyer ? Et comment attraper notre sujet ? Par le global change, la démographie, l’urbanisation, le fossé riches/pauvres, le développement durable, la mondialisation ? A vrai dire, nul ne le sait vraiment, comme tant de paris éditoriaux le montrent. Il faut une commande, un angle de vue. Celui qu’impose une année pleine à des bacheliers de prépa commerciales ou sciences-po offre à treize auteurs réunis par P. Gauchon le défi de tout écrire en écrivant l’essentiel, en 914 pages - tout de même - décoffrées en vingt-trois chapitres pour vingt-trois semaines de labeur. Il suffit aussi d’une focale, ici géopolitique et géoéconomique qui fait s’affronter les Etats sur un champ de bataille plus financier et industriel que militaire ou politique, comme le montre le KO soviétique à la fin de la guerre froide. Faut-il voir le monde avec les géoéconomistes comme une terre de rareté et de valeur ou un regard géopolitique qui préfère le pouvoir, la puissance, l’influence ? De cette vaste analyse émergent quatre questions : les grandes entreprises ont-elles remplacé les Etats-nations ? Les réseaux sont-ils plus actifs que les territoires ? Le quantitatif (les ressources énergétiques, agricoles...) a-t-il cédé la place au qualitatif (main d’œuvre bien formée, technologie) ? Enfin, les conflits seront-ils réglés par l’économie ou la guerre ? P. Gauchon conclut une lumineuse introduction : la géoéconomie décrit le monde nouveau-né de la mondialisation tandis que la géopolitique rappelle les héritages dont nous ne sommes pas débarrassés.

Dans ce livre dense - parce qu’entièrement rédigé, on ne lui reprochera donc aucune facilité -, les auteurs travaillent beaucoup sur des chronologies : celles des phénomènes de globalisation ou de repli ; la montée en puissance d’acteurs géopolitiques et géoéconomiques nouveaux avec leurs leviers d’action : forces armées, monnaies et influence. Les enjeux des conflits sont exposés soigneusement comme des lieux d’affrontement : contrôle des hommes, des terres et des territoires, des ressources et, même, de l’environnement. Un tableau du monde unitaire et divisé rassemble, enfin, certaines données éparses par grandes régions. Il est toujours difficile de bâtir une culture générale du monde à des jeunes bacheliers sans rassembler des données en les coupant et les formatant pour les besoins des exercices. Ce haché menu qui aurait pu être préjudiciable à la réflexion n’a pas d’effets secondaires ici : un réel talent éditorial tire les fils de cette vaste toile qui prend une belle forme à la fois encyclopédique et narrative.

De ce livre, on pourrait reprendre des centaines d’argumentations sans jamais les prendre à défaut d’arguments. Ici, on les éprouve uniquement pour le plaisir de confronter ses lectures à celles des auteurs. Ainsi, la première guerre mondiale n’avait jamais été jusqu’ici envisagée comme un accident reformatant une mondialisation. Chez Grataloup, elle était présentée comme une « guerre civile européenne », alors qu’ici elle « réorganise le système monde ». Il faudrait sans doute rediscuter ce que David et Suissa appellent internationalisation, puis mondialisation et, sans doute, rappeler que ces concepts ne seront peut-être plus opératoires dans quelques décennies.

Passionnante est la seconde partie sur les « maîtres du monde ». On y voit cette sourde lutte d’influence entre deux approches conquérantes des lieux et des hommes : l’Etat et l’entreprise transnationale. Des Etats et des entreprises enchâssées dans des idées auxquelles Anne-Sophie Letac consacre un brillant chapitre, rappelant combien fascisme et communisme seraient liés à « l’âge des foules » (G. Le Bon). Les pages sur les religions sont bienvenues dans ce livre de culture générale. L’Islam y déploie ses accointances avec le capitalisme protestant, une idée qu’on ne croise pas tous les jours... Comme on aurait tout aussi bien pu gloser sur l’inexistence territoriale du Tibet et du Vatican et leur magistère moral universaliste à la hauteur des personnalités du lama Tenzin Gyatso et du pape Ratzinger. On aurait pu voir établies de véritables « religions » que sont devenues la science, l’environnement, les jeux et les loisirs dont le tourisme est l’un des moteurs les plus puissants. La progression du droit - notamment international - constitue un autre épisode de la construction de notre monde actuel, en symbiose - ou en contradiction - avec de multiples réseaux alternatifs diasporiques, « ong »-éiques et mafieux.

Ainsi, toute puissance dispose d’armes que les auteurs ont présentées en parlant de « contraintes » (la guerre), d’« achats » (la monnaie) et d’« influence » (le soft power sur lequel la réflexion de F. Munier est très pertinente). Sur le sens des choses qui mènent le monde, on sera d’accord avec l’idée du « contrôle des hommes », permettant de traiter des migrations. Egalement avec l’idée du « contrôle des terres » et la perle qu’est l’aménagement du territoire. Il est curieux que M. Yunus, prix Nobel de la paix, n’ait pas eu sa place dans un chapitre sur tout ce qui échappe à cette soif à tout prix du contrôle. Et, au contraire, qui prend l’humanité telle qu’elle est, pauvre et désireuse de s’extraire de la fatalité. Que seraient nos pays, nos villes, nos organisations internationales sans la sphère associative et non lucrative ? On relèvera une lacune non pas sur le contrôle des mers et océans qui ont progressé - encore que la surveillance des océans, l’évitement des pollutions soit difficile - mais sur le contrôle de l’espace. Les chercheurs de la Fondation pour la recherche stratégique sont moins en phase avec le grand public qu’avec les armées, mais l’économie mondiale ne serait sans doute pas ce qu’elle est sans les satellites. Enfin, quant aux frontières et au contrôle des lieux stratégiques, la réflexion est très géopolitique et le fait qu’on n’y mentionne pas les émeutes de la faim du printemps 2008 signale un caractère mouvant qui a bien été mis en valeur. De belles pages sur la maîtrise des risques posent les balises d’une « écocitoyenneté » pour le moins discutable.

Un dernier bloc affine les analyses précédentes en les confrontant aux situations régionales : la « résistance des lieux » dans le village planétaire, les héritages du monde de la guerre froide, la « grande fracture » entre riches et pauvres. Peut-être là, aurait-on pu glisser une carte des grandes fortunes du monde pour voir émerger des tycoons en Inde, Chine, Egypte, Indonésie, Mexique et Brésil ? Astucieuse conclusion est une « mondialisation en débats » avec « Pro », « Anti » et « Alter » qui appellent sans doute la construction plus intégrée d’un paysage politique mondial et, donc, d’une gouvernance à cette échelle.

Un livre stimulant, très complet, bourré d’idées et de points de vue, jamais bavard. Un exploit dans notre médiasphère envahie par l’incertain, l’à-peu-près, l’éphémère. Parions - sans prendre de grands risques - que cet opus restera longtemps au-dessus du bruit et de la fureur éditoriale ambiante.

Compte rendu : Gilles Fumey

 

URL pour citer cet article: http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1348

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