mercredi, 14 janvier 2009
Vers un nouveau récit du monde?
Vers un nouveau récit du monde ?
dimanche 9 novembre 2008, par Noël Rivière
Le monde a toujours fait l’objet de lectures en termes de grands récits. Il s’agit de narrations du monde, de ses origines et de son sens. Très liés à la mythologie, les grands récits se sont partagés entre grands récits païens ou monothéistes. La Bible hébraïque est bien entendu un cas singulier. L’aspect de révélation est à bien des égards éclipsé par ce qui relève de la Loi dès l’origine du récit. Ce qui est bien est immédiatement distingué de ce qui est mal. De là le fondement très rationnel de la Bible hébraïque. « Le récit de l’Ancien Testament tranche par bien des traits sur d’autres récits de création, de fondLe monde a toujours fait l’objet de lectures en termes de grands récits. Il s’agit de narrations du monde, de ses origines et de son sens. Très liés à la mythologie, les grands récits se sont partagés entre grands récits païens ou monothéistes. La Bible hébraïque est bien entendu un cas singulier. L’aspect de révélation est à bien des égards éclipsé par ce qui relève de la Loi dés l’origine du récit. Ce qui est bien est immédiatement distingué de ce qui est mal. De là le fondement très rationnel de la Bible hébraïque. « Le récit de l’Ancien Testament tranche par bien des traits sur d’autres récits de création, de fondation ou… d’établissement de peuples » écrit Claude-Raphael Samama. Dans la Bible hébraïque mais aussi, à sa suite, dans le Nouveau Testament, l’homme est le but et la fin d’une création divine.
À l’inverse, les mythes grecs constituent une autre forme de grands récits. Dans ceux-ci se déploie le monde entre terre et ciel, et aussi ce qui permet son jeu, à savoir le vide, la béance ou encore le chaos, le « Grand Ouvert ». Il n’y alors pas de Loi qui soit donnée aux hommes.
Il y a d’autres grands récits comme celui de Vico au XVIIIe siècle qui fait de l’homme le narrateur de sa propre relation au monde. Vico fait se succéder l’âge des dieux, l’âge des héros, l’âge des hommes. Le sens de l’histoire est une appropriation par les hommes de leurs actes. Au final, les hommes obéissent à « la loi de la conscience, de la raison et du devoir ».
Avec Hegel, c’est un autre grand récit qui est élaboré et qui se veut la réalisation d’une essence, l’Esprit absolu. Marx prolonge cette ambition mais sous une forme matérialiste et dialectique, non essentialiste. À la suite de cela, Le Déclin de l’Occident de Spengler, malgré la puissance de ses intuitions ne débouche absolument pas sur une théorie du monde.
Nous sommes ainsi maintenant dans un certain vide où le seul grand récit qui a essayé de se mettre en place – en vain – a été celui de Fukuyama, à savoir celui de la fin de l’histoire (idée qu’il développe dés l’été 1989) par triomphe définitif de ce qu’on a appelé libéralisme mais qui est bien plutôt la démocratie soluble et liquéfiée dans le marché.
Un double scepticisme s’installe. Le premier est le scepticisme face aux récits du monde existants, et ce qui subsiste est moins le récit du Progrès (en faillite) que le récit du « il n’y a qu’une politique possible », hier le développement à outrance, maintenant ce que l’on appelle le « développement durable ». Le second scepticisme est celui qui doute même de la nécessité d’un récit du monde. Quand il n’y a plus d’idéaux à représenter et à faire vivre, il ne reste que la « bonne gouvernance » à exercer et l’humanitarisme impolitique du côté de la pseudo-société civile et de ses multiples associations d’autant plus stipendiées qu’elles ne représentent qu’elles-mêmes.
Dans cette situation, pourquoi ne pas se tourner vers le grand récit de la création qu’est le big bang ? Il a bel et bien une vertu de prédictivité puisque le rayonnement rouge a été confirmé par Arno Penzias et Robert Wilson. Il ne manque pas à ce grand récit non plus la dimension esthétique. Il obtient même un temps l’onction papale par Pie XII avant sa rétraction. Mais il manque quelque chose au grand récit du big bang : c’est de pouvoir servir de règle pour l’ordonnancement des attitudes, des mœurs, des comportements humains. Quelle est la place de l’homme dans le monde ? Et de quoi est-il responsable ? Voilà ce à quoi aucune théorie purement cosmologique ne peut répondre. Le big bang ne débouche ni sur une loi morale ni sur une éthique de l’homme face au monde.
Les grands récits non monothéistes qui unifient la vision de l’homme et du monde ne sont pas nombreux. La pensée romaine est l’un de ceux-là. Chez les Romains la culture agricole en fonction des états du ciel (Tempus) a toujours été liée à la nécessaire « culture de soi » (Cicéron). Les droits humains et les droits divins sont liés. Les humanités (Humanitas) sont à la fois une discipline, un effort de culture et l’apprentissage des douceurs. Enfin, la grandeur de la liberté s’inscrit toujours dans un héritage, une mémoire. Tempus fugit, non autem memoria. Ce sont là les signes d’un vrai grand récit. Aujourd’hui, face à l’extinction du pouvoir de création historique et d’enchantement des fabulations antérieures, notamment la fable du Progrès, il faut inventer de nouvelles grandes figures pour peupler la terre de signes, de sens, et de beauté. Il faut pour cela des poètes qui soient aussi des mages. Le monde est lui-même un poème qui se déploie entre les affects et le signes. Il est, comme écrit Jean-Pierre Luminet, « un Songe aux ailes rognées par le Chiffre ». Seuls des poètes qui soient aussi des mages et des oracles pourront donner du sens aux signes. N’oublions pas que l’oracle est la réponse et le lieu de la réponse. Face au nomadisme et à une civilisation du hors site, il restaure le topos. Peut-être l’exaltation de la pleine liberté créatrice de l’homo faber, à l’opposé des dispositifs de mécanicisation de l’homme peut elle être ce nouveau mythe de force et de joie. « En définitive, l’intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer les objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication » écrivait Bergson (L’évolution créatrice, 1907). Indéfiniment, disait Bergson. Une conception de l’homo faber qui voit sa nature dans l’inventivité et non dans la répétitivité et la mécanisation monotone. Dans un ouvrage de Tchekhov, Gourov dit à Anna : « Nous allons bien trouver quelque chose ».
Cela va venir.
Noël Rivière
• Revue dirigé par Philippe Forget, L’Art du Comprendre, « Récits du monde, récits de l’homme », n° 17, juin 2008, 324 p., 23 €. Diffusion Vrin : 6 place de la Sorbonne, F - 75005 Paris.
00:20 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme, philosophie, récit, narration | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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