vendredi, 03 avril 2009
Edgar Poe, une modernité de droite
Edgar Poe, une modernité de droite
Nicolas Bonnal : Ex: http://www.philipperanda.com/ |
Nous fêtons le bicentenaire de la naissance d’Edgar Poe, venu au monde lorsque la littérature nord-américaine regorgeait de talents comme Hawthorne, Whitman ou Melville, au point que Borges parlait d’une concentration astronomique pour expliquer une telle densité de génies. Mais à l’époque la France ou la Russie en regorgeait aussi, de génies.
Écartons tout d’abord la polémique très médiocre qui a fait de Poe un écrivain ignoré dans son pays et reconnu en France. Il était connu dans son pays, et il a été l’inspirateur de la poésie moderne française. Sans lui, nous n’aurions eu ni Baudelaire, ni Mallarmé, ni le culte des poètes maudits. Et contrairement à ce que dit la critique, Poe n’a pas été trahi en France.
Bien des traits d’Edgar Poe demeurent essentiels à nos yeux.
Tout d’abord son rejet de la démocratie et du règne de la « canaille », comme il disait. Poe un farouche sudiste, un patricien d’adoption attaché à sa vieille Angleterre et à sa classe aristocratique. Ce snobisme littéraire va retentir dans toute la littérature française des deux siècles suivants…
Ce faisant Poe invente un littéraire dandy, décalé, d’ailleurs alcoolique et mauvais garçon. Il est un « Bohemian Tory », un artiste et un homme inadapté à la vie moderne. Il se projette dans des mondes aristocratiques comme celui d’Ellison ou de la maison Usher et ces mondes aristocratiques, médiévaux et gothiques sont condamnés. Neruda n’avait pas voulu survivre à la dictature de Pinochet, l’écrivain gothique ne veut pas survivre à la démocratie matérialiste et vulgaire. Cela peut conduire à une surdimension de l’ego, à une fatuité provocatrice caractéristiques des artistes modernes. Mais Poe, Nerval ou Baudelaire ont bien souffert.
Dans le même temps, en bon américain, Poe était un professionnel, un journaliste. Il a joué des scoops, des canulars, de sa traversée de l’Atlantique en trois jours (en ballon) et il s’intéressait à tous les sujets modernes : les placements financiers, les découvertes scientifiques, le sport (comme Lord Byron, il était excellent nageur), tout ce qui était susceptible d’intéresser son lectorat. Il redevenait vite plébéien lorsqu’il s’agissait de gagner sa vie…
Valéry avait été fasciné par la présentation du Corbeau, où certains, toujours plus malins, voient encore un canular, tout comme ils voient du racisme dans le voyage initiatique d’Arthur Gordon Pym. Mais Poe impose ici une vision neuve de la poésie, éloignée de l’histrionisme et de l’inspiration. La poésie est affaire de travail et de technicité, comme les contes policiers. Poe impose une figure du travailleur, je dirais même de l’entrepreneur intellectuel, véritable professionnel consacré au travail du vers et du conte.
Dans le même temps qu’il révolutionne la forme, Poe révolutionne le fond. Il n’est évidemment pas le seul, s’il est l’un des plus importants à se passionner pour le fantastique, le macabre, l’étrange, la fantaisie et même l’ésotérisme pur et dur. Son immense culture et sa formation cosmopolite et européenne lui ont ouvert des horizons que son talent sophistiqué a pu ciselé à souhait. Poe est le grand-père de Tim Burton de ce point de vue et de tout le cinéma fantastique moderne.
Son goût très anglo-saxon pour les énigmes, les situations et les scénarii compliqués : Poe invente avec son très chic détective français Dupin le roman policier, dont les origines théologiques sont également évidentes. Mais, en même temps, il déploie des trésors d’ingéniosité scientifiques et expérimentales qui en font un écrivain encore plus complet que son parèdre Chesterton. Sa francophilie, caractérisitique des élites americaines, est encore à souligner.
Je terminerai cet hommage par un rappel de la face d’ombre de notre aristocrate libertaire : Poe était un alcoolique, un joueur, un drogué, un homme obsédé par les jeunes innocentes (qui n’étaient d’ailleurs pas plus jeunes que la Juliette de Shakespeare). Poe joue au vicieux, il est désespéré, torturé, ambitieux dans le mal, dépravé, découragé. En ce sens aussi il est prophète ébouissant de nos Temps de la Fin, caractérisés par une frénésie nihiliste.
00:20 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lettres, littérature, littérature américaine, lettres américaines, etats-unis | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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