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dimanche, 25 avril 2010

Si vis pacem, para bellum

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES  -  1999

SI VIS PACEM, PARA BELLUM

 

La leçon infligée à l’Union Européenne, au terme de quatre mois de conflit qui opposèrent l’OTAN à la R.F. de Yougoslavie sur le devenir du Kosovo, aura été sévère mais bien méritée. Ce qu’on appelle la justice géopolitique. Faute de s’être dotée dune force commune de projection armée conséquente, intégrée aux trois piliers de la construction européenne, Commission et Conseil de l’Union auront assisté impuissants à la dernière démonstration de force américaine du XXème siècle. Américaine parce qu’en cette année de célébration du cinquantième anniversaire de l’Alliance Atlantique, M. Clinton et Mme Albright ont clairement réaffirmé que l’objectif dévolu à l’OTAN est et reste aujourd’hui et demain la défense et la promotion des intérêts exclusifs des USA. Les stratèges du Pentagone auront eu tout loisir de se tailler la part du lion dans le redéploiement des zones d’influence balkanique post-communiste, en achevant leur travail d’isolement de la Russie et de satellisation de l’Europe (amorcé rappelons-le par l’extension de l’OTAN aux frontières occidentales de la Russie le 12 mars 1999 avec les adhésions de la Hongrie, de la Pologne et de République Tchèque).

 

Avec, en prime, le satisfecit consentant dune UE incapable de déployer sur les lieux plus qu’une force d’appoint, adjointe à l’armada américaine déjà en place (du côté français: 9000 hommes + cavalerie lourde et matériel de déminage et de franchissement, pour un budget de 4 milliards de F). Déjà le 22 avril dernier, Jacques Baumel, pdt de la Commission politique de l’UEO, s’insurgeait dans une lettre adressée au quotidien Le Figaro contre l’incurie européenne: «Jusqu’à quand les Européens se résigneront-ils à dépendre, pour leur sécurité et leur défense, dune puissance dont les intérêts ne coïncident pas forcément avec ceux de notre continent? (...) Il est vain de protester contre le rôle dominant de l’OTAN dans les conflits régionaux si l’on n’est pas capable de mettre sur pied une véritable armée européenne dirigée par des Européens et étroitement associée à une nouvelle Otan, nettement rééquilibrée en faveur de l’Europe (...) Il est donc urgent de construire cette identité de défense européenne, quitte à la mettre sur pied avec les seuls Etats de l’Union décidés à agir, en laissant de côté certains nouveaux membres de tradition neutraliste refusant par principe toute participation à un conflit.» Deux objectifs président selon M. Baumel au rattrapage de ce déficit vieux de dix ans:

1)      l’institution d’un 4ème pilier de la construction européenne bénéficiaire des acquis de l’UEO, à base intergouvernementale et commandé par un «véritable état-major multinational de commandement des forces mises à la disposition de l’Union, ne dépendant plus du seul bon vouloir de lOTAN.

2)      restructurer et regrouper les industries européennes de défense prioritaires que sont l’aéronautique, l’informatique et les missiles.

 

Dans cette idée, c’est au sommet européen de Cologne que M. Baumel assignait la responsabilité de prendre les décisions urgentes qui s’imposent.

 

Un dossier opportunément récupéré par des élections européennes jusque là bien mises à mal par le cirque médiatique entourant le Kosovo, et les politiques de renouer avec la question, soudain aussi préoccupante que le suivi de l’EURO. Mais la velléité de nos gouvernants est légendaire et, la situation du Kosovo en cours de «normalization» selon les propos du Gal W. Clark, l’heure est venue d’examiner plus en détail les faiblesses qui concourent à ralentir le processus de fédéralisation de nos défenses nationales respectives. Des faiblesses, ce qui est grave, d’ordre d’abord structurel.

 

«Monsieur PESC»:

 

Logiquement, la réunion de Cologne déboucha sur un projet commun d’«identité européenne de sécurité et de défense» (IESD) avec nomination d’un haut représentant chargé de la politique étrangère et de sécurité commune des Quinze, «Monsieur PESC». Le rôle échut tout aussi logiquement à Javier Solana. Au traité de Maastricht, qui initiait un «second pilier» à l’Union (position commune + action conjointe) châtré par l’unanimité des décisions, le traité d’Amsterdam a ajouté un concept d «unité de planification et d’alerte rapide» guère plus efficace, l’unanimité restant de mise, «(...) mais une petite dose de votes à la majorité qualifiée est introduite. De plus, la notion d abstention constructive fait son apparition pour éviter le blocage par un seul Etat, même si le veto demeure possible pour des raisons importantes et déclarées de politique nationale.» (Pierre Bocev, Monsieur PESC, la voix des Quinze in Le Figaro du 3 juin 1999) Une avancée insuffisante, et sans organigramme précis (livre blanc), pour François Heisbourg, pdt du Centre de politique de sécurité de Genève, qui proposait, toujours dans Le Figaro du 3 juin, de passer du concept inapproprié de défense du territoire à «un système qui privilégie la projection des forces (...) capacité d’intervention sur des théâtres extérieurs d’intervention», transformation sur le modèle britannique. A la question de savoir comment harmoniser des armées si différentes? M. Heisbourg répondait: «Je propose de retenir des critères de convergence, comme ceux adoptés pour la monnaie unique. Le premier critère concernerait les budgets de la défense consacrés à la recherche et au développement et au maintien des conditions opérationnelles (...) Le second critère concerne la proportion des effectifs par rapport à la population (...) Le troisième critère prendrait en compte l’engagement de non-réduction des budgets militaires». Un ensemble de mesures pragmatiques applicables à moyen, voire à court terme, qui implique dans sa réalisation une harmonisation opérative des budgets et une mise en commun des énergies ingénieuriales. C’est précisément là que le bât blesse.

 

Un besoin pressant d’harmonisation:

 

Mis bout à bout, les pays de l’Union Européenne investissent 165 milliards de dollars dans leur défense, soit 60% du budget militaire américain, et dix fois plus que la Russie. La logique voudrait donc que les Européens disposent de 60% de l’arsenal des USA. Il n’en est rien. Un tiers seulement de ce qu’investissent les américains à la recherche-développement y est consacré par les Européens, 5% vont au renseignement, et 30% maximum aux forces terrestres projetables. Le reste se disperse dans l’entretien d’effectifs coûteux et caduques (1,9 M de soldats en Europe, 1,4 M aux USA). Résultat de cette gabegie, sur mille appareils engagés dans l’opération «Force Alliée», 800 étaient alignés par la seule US Air Force. En comparaison, la France ne disposa que de 50 avions de combat. Le magazine L’Usine nouvelle du 6 mai 1999 (n°2686, L’Europe de l’armement à la traîne) se veut alarmiste: faiblesse des moyens d’observation satellite (un contre cinquante aux Etats-Unis), limitation de la capacité d’attaque «tous temps», pénurie de missiles, manque d’avions de transport lourds. Soit une capacité opérationnelle européenne d’à peine 10% de celle américaine (source Rand Corp.)

 

Pour juguler l’incurie, l’UE s’est doté d’un Organisme commun de coopération en matière d’ar­mement (OCCAR), au statut juridique en cours de définition. Au banc des accusés, on retrouve la baisse des budgets militaires (amputés de 30% pour la France, 43% pour la Grande-Bretagne!), con­traire au bon déroulement des lois de programmation, et cause du retard accumulé dans le dévelop­pe­ment des hautes technologies. Mais surtout la restructuration industrielle en panne, qui, avec quinze groupes d’armement (BAe-Marconi, Thompson-CSF, Dassault-Dasa, Matra, Alcatel Space etc) ne permet pas d’amortir cette même baisse des budgets. «Les Américains ont su amortir ces coupes claires par une vaste restructuration de leur industrie de défense autour de quatre méga­groupes. Mois nombreux, les industriels dépensent plus efficacement. L’équation est implacable.» (Jean-Pierre Jolivet) Au contraire les Européens continuent à privilégier, au mieux les alliances (Matra Marconi Space), au pire la concurrence et la gestion des joint-ventures. Economie de marché ob­lige... Le constat de Philippe Camus, vice directeur général d’Aérospatiale-Matra, est éclairant: «Une société regroupant les activités aéronautiques et d’électronique de défense semble désormais peu crédible, car trop difficile à réaliser. Nous allons vers une industrie européenne en deux ou trois pôles.»

 

... un coup d’épée dans l’eau

 

L’inadéquation résultante des diversités des besoins et des budgets a torpillé de nombreux projets, abandonnés en route (la frégate Horizon, lancée en 1989 par huit pays, réduits à l’Italie, la France et la Grande-Bretagne. Laquelle en se retirant en avril dernierenterre le projet. Le satellite d’ob­servation radar Horus, abandonné après défection allemande en 1995) ou gravement retardés (le satellite franco-espagnol Hélios-II, en panne de financement depuis 1992, l’hélicoptère franco-allemand Tigre, programmé en 1984, dont les commandes pour 2003 ne sont toujours pas signées, les avions Rafale et Eurofighter toujours pas en service, quinze ans après leur mise en chantier). Le drame de l’histoire est que pendant ce temps l’arsenal en place se déprécie, s’appauvrit sans que leur modernisation suive. Faute de budget en recherche-développement. Souvent réduites à elles-mêmes, les nations européennes s’encombrent de projets périlleux. Le cas français est exemplaire. La France assume seule aujourd’hui le financement du Rafale, pour 188 milliards de francs. Le char Leclerc, conçu pendant la guerre froide, s’est enlisé dans le désert des Emirats arabes unis. Sa conception-réalisation aura coûté 34 milliards de F. Il est aujourd’hui obsolète. Le satellite Hélios-I, 8 milliards pièce, est aveugle par temps couvert! Quant au porte-avions «Charles de Gaulle», que cer­tains voyaient déjà en chef de file de la flotte des porte-avions européens (cf. Le Point n°1376), sa réalisation, passée de 1985 à 1999 de 16 à 19,3 milliards de F, confine au bricolage. Pour un vaisseau deux fois inférieur en tonnage au «Roosevelt» américain.

 

Sans compter que sans escorte ni appareils embarqués, un porte-avions n’est rien. Or, avec les pro­jets Rafale et Horizon en berne... La constitution dune flotte européenne reportée aux calendes grec­ques (on parle bien d’un hypothétique porte-avions franco-britannique, à propulsion gazole), cha­cune des nations en présence rechignant à se spécialiser, le porte-avions «Charles de Gaulle» risque fort d’être... un coup d’épée dans l’eau.

 

Les recherches en amélioration de l’équipement du combattant individuel (armement «intelligent», vision déportée etc) restent quant à elles à la discrétion des armées nationales( systèmes ECA en France, Fist en GB)

 

Pour une économie de combat:

 

«Mais comment les américains font-ils?» La réponse à la question nous vient du livre de MM Christian Harbulot et Jean Pichot-Duclos, La France doit dire NON. (Plon 1999) Elle a un nom: l’économie de com­bat. Priorité n°1 de William Clinton depuis son investiture, la diplomatie-économique offensive de son gouvernement a une devise: «L’intérêt privé doit s’effacer devant la défense des intérêts stratégiques des Etats-Unis». Point d’ultralibéralisme ici mais bien plutôt un libéralisme patriotique à l’échelle continentale du pays. A la différence des Européens, les USA ont déjà intégré le concept d’intelligence globale et compris qu’un Conseil de sécurité unique devait incorporer en son sein les données politiques, économiques, technologiques et militaires seules en mesure de s’adapter aux nouveaux conflits: «affrontements économiques, luttes d’influence entre puissances, fractures in­ternes menaçant la cohésion du pays». La gestion de l’information dispensée par les spécialistes du bureau ACM (affaires civilo-militaires), détaché de la DGSE doit s’accorder à la complexité nouvelle de la mondialisation. L’efficacité US trouve sa source dans sa capacité à se conformer aux nouveaux enjeux géopolitiques, qui exigent une force militaire d’influence assouplie adaptable à toutes les configurations d’intervention, à la pointe constante du progrès technologique. Ce qui nécessite une parfaite concorde entre les consortia militaro-industriels. Car désormais, l’adversaire économique n°1, c’est l’Europe. Henry Kissinger l’a écrit: «Les empires n’ont aucun intérêt à opérer au sein d’un système international: ils aspirent eux-mêmes à être un système international. Les empires n’ont que faire d’un équilibre des forces. C’est ainsi que les Etats-Unis ont mené leur politique étrangère.» (in Diplomatie, Fayard 1996) La puissance militaire devient en ce sens un puissant adjuvant à la concurrence internationale. Vous avez dit mondialisme?

 

«Rétrogradée en moins d’un siècle du rang de grande à celui de puissance moyenne, la France est au­jourd’hui à la croisée des chemins: reprendre l’initiative ou décliner». Pourvue d’une solide cul­tu­re scientifique, à l’industrie innovante, la France doit tirer la leçon des évènements récents du Ko­sovo pour accélérer le processus d’unification militaire européen. Dans le monde fracturé en nou­veaux espaces géoéconomiques antagonistes que nous promettent MM Brzezinsky et Huntigton, l’Europe doit prendre conscience que la bipolarité du temps de la guerre froide est bien révolue. Sans quoi...

 

La sagesse romaine demeure, imperturbable:

 

Si vis pacem, para bellum.

 

Laurent SCHANG.

 

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