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lundi, 05 mars 2012

L’oncle Sam et les Frères musulmans

L’oncle Sam et les Frères musulmans

Ex:  http://mediabenews.wordpress.com/

par Mohamed SIFAOUI

Lors de son récent périple dans la région du Maghreb, Hillary Clinton a fait une déclaration lourde de sens qui appelle quelques commentaires. En effet, la chef de file de la diplomatie américaine a laissé entendre que l’expérience tunisienne montrait que l’islam politique n’est pas incompatible avec la démocratie. Un chèque en blanc, s’il en est, pour des fanatiques de la politisation de la religion islamique qui, pourtant, n’en espéraient pas tant.

Au lendemain des attentats du 11-Septembre, les Américains, républicains comme démocrates, ont estimé que la démocratisation des pays arabo-musulmans était une solution, parmi d’autres, qui permettrait d’endiguer les velléités terroristes des intégristes et d’affaiblir une nébuleuse comme Al-Qaïda.

La divergence du point de vue, au sein du sérail américain, résidait, grosso modo, dans le choix de la méthode idoine. Pour les néoconservateurs, cette “démocratisation” devait s’effectuer y compris à travers l’action militaire et la projection de la force américaine sur des terrains “arabo-islamiques” où des gouvernements non hostiles aux États-Unis, parfois fantoches et non représentatifs, devaient être installés. Les démocrates, quant à eux, ont estimé que cette même “démocratisation” devait sortir des entrailles des sociétés et représenter une aspiration des peuples. Mais les deux visions se rapprochaient quant à l’impérieuse nécessité d’intégrer les islamistes dits “non-violents” dans le jeu politique.

À Washington, on estime que les tenants de la pensée des Frères musulmans, disposant d’un certain ancrage au sein des sociétés, rejetant, en apparence, la violence, seraient capables, de devenir, à terme, des interlocuteurs, voire des partenaires “sérieux”. L’objectif non avoué étant de fixer les islamistes dans leur pays d’origine et, surtout, de les empêcher de développer une quelconque hostilité à l’égard des États-Unis et/ou de ses intérêts stratégiques et ce, même si cette “neutralisation” devait passer par une reconnaissance, sinon par une légitimation politique.

Outre-Atlantique, la doctrine locale, qu’elle soit d’inspiration républicaine ou démocrate, s’est toujours allègrement accommodé aussi bien des Frères musulmans que du salafisme wahhabite. De ce point de vue, Hillary Clinton s’inscrit donc, dans une vieille tradition qui n’hésite pas à offrir une respectabilité aux mouvements religieux et aux théocraties. À Washington, on estime, depuis longtemps, qu’un islamiste ne devient “dangereux” que lorsqu’il s’attaque aux intérêts des États-Unis.

Là où l’analyse américaine tombe dans le simplisme, c’est lorsqu’elle considère que des formations politiques pourraient se suffire d’une position acceptant et respectant les processus électoraux pour gagner leur statut de « démocrates ». Il va sans dire qu’une telle approche, mettant en évidence des conditions à minima, n’est pas à même de promouvoir l’idéal démocratique dans le sens où l’entendrait n’importe quelle nation ayant fait des valeurs universelles le socle de son idéologie politique.

En vérité, les Frères musulmans n’ont jamais été hostiles aux jeux électoraux surtout lorsque ceux-ci leur sont favorables. Il est évident que dans la plupart des pays dits “arabo-musulmans”, les islamistes, osons l’image, ont un boulevard devant eux tant les dirigeants de ces mêmes pays se sont révélés être des irresponsables plus soucieux de la préservation de leur pouvoir que de la mise en place de projets de société justes, modernes et démocratiques.

À ce sujet, il est utile de souligner que la démocratie ne se résume pas à des processus électoraux, fussent-ils libres et honnêtes. Il s’agit avant tout d’un corpus idéologique qui englobe des valeurs humanistes et universelles. Depuis l’époque athénienne, la démocratie repose sur des principes essentiels tels les libertés d’expression, de conscience et d’opinion, l’alternance au pouvoir et la défense des droits humains.

Depuis ces temps anciens, des intellectuels ou des philosophes, comme Montesquieu, pour ne citer que lui, des théoriciens de la démocratie moderne ont érigé la notion de la séparation des pouvoirs comme l’un des principes sur lequel repose la démocratie. Tous ces principes furent confirmés par la révolution française et, bien sûr, par la révolution américaine. Or, ces mêmes principes ne sont ni respectés ni reconnus par les doctrines islamistes.

Partant de là, a-t-on le droit d’affirmer que des partis comme Ennahda ne sont pas incompatibles avec la démocratie? Peut-on dire ex abrupto, tout simplement parce qu’un mouvement intégriste a remporté une élection “démocratiquement”, que celui-ci n’est pas ou n’est plus extrémiste et qu’il devrait, par ce fait unique, gagner en respectabilité comme s’il s’agissait de n’importe quel mouvement politique défendant les valeurs démocratiques?

Le danger de cette exigence à minima, surtout lorsqu’elle s’exprime à travers un représentant d’une puissance démocratique, outre qu’elle légitime des mouvements, considérés, à juste titre, comme liberticides, disqualifie, par ailleurs et de fait, les musulmans progressistes qui se battent, depuis plusieurs années, contre l’idéologie portée par les Frères musulmans. Oui ! la sortie, pour le moins inopportune, d’Hillary Clinton disqualifie le combat que les (vrais) démocrates de culture ou de confession musulmane mènent contre l’obscurantisme en général et l’islamisme en particulier.

Certes, Ennahda en Tunisie, les Frères musulmans en Égypte ont remporté des élections “proprement”. N’empêche, il ne faudrait pas fermer les yeux sur les raisons qui sont à l’origine de ces résultats. Les régimes autocratiques, que ce soit en Égypte ou en Tunisie, voire encore en Algérie ou au Yémen, sont générateurs d’islamisme et donc, de votes islamistes. Il était quelque part logique que les Tunisiens accordent, au lendemain de la chute du dictateur, une majorité relative à ceux qui se sont opposés, de la manière la plus radicale, à l’autocrate.

Et de ce point de vue, au regard de la répression féroce qui s’était abattue sur eux, souvent avec la bénédiction et/ou la complaisance des Américains et des autres puissances démocratiques, les islamistes se sont érigés, aux yeux de la masse, comme une force légitime. Il convient, par ailleurs, de rappeler qu’ils furent totalement absents durant les révoltes populaires ayant donné naissance au “printemps arabe” et qu’ils ont récupéré, par escroquerie populiste, les dividendes de ce mouvement.

Last but not least, le mouvement islamiste, dans son ensemble, dispose, à travers les mosquées, là aussi avec la complaisance des régimes autocratiques qui ne cessent de l’instrumentaliser, d’une tribune régulière qui permet à ses promoteurs de rester en contact avec le peuple et de distiller ainsi des théories fumeuses. Avantage dont sont privées évidemment toutes les forces démocratiques.

Par ailleurs, les islamistes, dans d’autres cas, sont les alliés objectifs des autocrates. Il n’y a qu’à voir l’exemple de l’Algérie où le pouvoir s’est allié avec des formations islamistes, celles qui ne remettent pas en cause un système de gouvernance basé sur la fraude, le clientélisme et la corruption. Cas de figure similaire au Maroc où des islamistes proches de la monarchie sont devenus les sous-traitants désignés de celle-ci.

Au regard de tous ces éléments, serait-il juste d’affirmer que l’islamisme ne serait pas antidémocratique? Il y a un pas que la diplomatie américaine n’aurait jamais dû franchir. En effet, sans revenir sur les fondements de l’islamisme, il est utile de rappeler que cette pensée n’a jamais été en phase avec les valeurs démocratiques et notamment s’agissant de l’égalité entre les sexes, de la protection des droits des minorités religieuses et sexuelles, du respect de toutes les opinions, notamment celles des non-croyants et de toutes les questions philosophiques qui mettent en discussion ou en débat la “notion du sacré”. Idem pour le respect de la liberté de la presse qui, récemment encore, était bafouée en Tunisie lorsqu’un journal a commis le crime de lèse-islamistes en diffusant la photo d’une femme en tenue d’Ève. C’est dire…

Hillary Clinton exprime certes, un pragmatisme américain qui s’est toujours illustré par une realpolitik poussée parfois à l’extrême, mais elle aurait été mieux inspirée de trouver une autre formule pour saluer la “révolution tunisienne” que d’accorder, de facto, une respectabilité à un courant intégriste qui, depuis sa création en 1928, n’a eu de cesse de piétiner les principes élémentaires de la démocratie.

Entre les théories huntingtoniennes défendues par les républicains et les visions pragmatico-angélistes véhiculées par les démocrates, il serait nécessaire de sensibiliser les Américains et les amener à introduire plus de nuances dans leur discours officiel. Au lieu de soutenir des intégristes, l’administration américaine gagnerait à élever son niveau d’exigences à l’égard des partis islamistes.

Elle devrait soutenir plus franchement les forces progressistes qui existent bel et bien dans cette sphère dite “arabo-islamique”, car, contrairement aux Frères musulmans, ces derniers se battent réellement pour la défense des valeurs universelles. En tout état de cause, les États-Unis n’ont pas le droit de choisir la facilité et réduire la démocratie à un simple vocable à géométrie variable, utilisable comme levier au service de la diplomatie.

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