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dimanche, 06 avril 2014

De la rivalité entre l’Arabie saoudite et le Qatar

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Bernhard TOMASCHITZ:

De la rivalité entre l’Arabie saoudite et le Qatar

Cette rivalité dans la région du Golfe Persique a pour objet l’influence à gagner dans le monde arabe

Depuis le début de ce mois de mars 2014, une fracture divise nettement le “Conseil de Coopération des Etats du Golfe”: l’Arabie saoudite, Bahrein et les Emirats Arabes Unis ont rappelé leurs ambassadeurs en poste au Qatar. Le motif officiel et apparent de cette rupture est dû au soutien que le Qatar apporte aux Frères Musulmans dans la région. Mais il y a plus: Ryad voit d’un très mauvais oeil ce petit émirat du Qatar qui tente de devenir une puissance régionale, alors qu’il n’a qu’une superficie de 11.000 km2 et n’a que 1,7 million d’habitants (dont seulement 250.000 Qataris). Le “New York Times” écrit: “Ce sont surtout les monarques saoudiens qui manifestent leur mauvaise humeur depuis des années parce que le petit Qatar se donne les allures d’un poids lourd. Il utilise ses immenses richesses et la chaîne Al-Jazeera, qui lui appartient, pour asseoir sa puissance dans la région”.

En effet, le petit émirat du Golfe ne passe plus inaperçu sur la scène internationale. En mai 2011, Doha parvient à intercéder en faveur d’un processus de paix au Darfour, réunissant autour de la table de négociations le gouvernement soudanais et les insurgés. En mai 2008 déjà, le Qatar avait oeuvré pour débloquer la situation au Liban et pour permettre que se tiennent des élections présidentielles. Ensuite, Doha favorise les processus de pacification dans les conflits civils qui ravagent le Yémen ou la Somalie et offre ses services diplomatiques pour calmer le jeu dans le conflit frontalier qui oppose l’Ethiopie à l’Erythrée. Dans la guerre civiles syrienne, le Qatar soutient une partie des rebelles islamistes opposés au régime baathiste de Bachar El-Assad.

Le déploiement de la puissance diplomatique qatarie a été rendu possible par trois facteurs, selon l’analyste russe Roman Kot, lié au centre d’études “Strategic Culture Foundation”. D’abord 1), le Qatar table sur ses exportations de gaz naturel qui ont quintuplé depuis le début des années 1990. En 2011, selon les rapports de la CIA, le Qatar était le deuxième fournisseur de gaz naturel dans le monde, avec une capacité de 113,7 milliards de m3. Le Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani peut voir l’avenir avec confiance: ses réserves de gaz s’élèvent à 25,2 billions de m3, ce qui le place au rang trois dans le monde.

q2_deb5d11-300x225.jpgEnsuite 2) la chaîne Al Jazeera, d’après Kot, permet de déployer un instrument très performant pour diffuser une propagande appuyant systématiquement, dans tout le monde arabe, la politique étrangère poursuivie par Doha. En effet, Al Jazeera est considérée “comme un gros calibre dans la guerre de l’information qui a précédé et accompagné les printemps arabes”. Enfin 3) le Qatar abrite deux bases américaines et se réjouit d’être ainsi un partenaire important des Etats-Unis. [NDT: La  présence de ces bases rend le territoire qatari inviolable].

Roman Kot décrit la politique extérieure du Qatar comme “un nouveau modèle d’expansion, par lequel une orientation générale pro-occidentale fusionne avec un traditionalisme rigoriste ce qui a pour résultat que les puissances occidentales et surtout les Etats-Unis font désormais confiance à des groupes fondamentalistes voire à des organisations terroristes [soutenues par l’argent qatari]”. Le Qatar représente donc un mixte idéologique alliant l’islam wahhabite au panarabisme, ce qui lui confère un “potentiel agressif”.

Mais lorsque le Qatar perçoit un avantage géostratégique différent de ceux des Occidentaux, il n’hésite pas à agir contre les intérêts directs de Washington. Exemple: en 2011, les Qataris ont certes apporté leur soutien aux attaques aériennes occidentales contre la Libye, afin de provoquer en bout de course la chute de Khadafi. Ce soutien à l’agression occidentale contre la Libye n’a toutefois pas empêché Doha de soutenir les Frères Musulmans et d’autres mouvements islamistes analogues dans les pays arabes en crise ou dans la guerre civile syrienne. Le journaliste américain Anthony Shadid, aujourd’hui décédé et détenteur du Prix Pulitzer, écrivait fin 2011: “Contrairement à l’Arabie saoudite et aux Emirats Arabes Unis, le Qatar entretient des liens étroits avec les Frères Musulmans et leurs émanations en Libye, en Syrie et en Egypte”.

Le conflit larvé qui vient d’éclater début mars 2014 au sein du “Conseil de Coopération du Golfe” a pour motif principal la rivalité qui oppose Saoudiens et Qataris dans leur volonté de gagner en influence en Egypte. Le Qatar a soutenu le Président Mohammed Morsi, renversé en juillet 2013, à coups de milliards de dollars. L’Arabie saoudite et les EAU tentent aujourd’hui de soutenir le régime militaire du Caire, également à coups de milliards de dollars.

Le Qatar, par suite, tente d’inverser la vapeur et de torpiller les visées saoudiennes. Le “Washington Post” écrit à ce propos: “Au cours des huit derniers mois, le Qatar a accueilli un nombre croissant d’islamistes égyptiens contraints à l’exil et leur a permis d’utiliser Al Jazeera comme porte-voix pour lancer leur rhétorique hostile au régime militaire égyptien, ce qui a rendu furieux celui-ci et ses alliés du Golfe”. La rivalité entre les deux Etats islamistes rigoristes de la péninsule arabique a fait que l’Arabie soudite soutient dorénavant un régime séculier au Caire!

A tout cela s’ajoute que les deux protagonistes de ce nouveau conflit cultivent des opinions divergentes quant à l’Iran. Tandis que Doha perçoit l’Iran comme une menace gérable, les Saoudiens le perçoivent comme un danger existentiel. Cela mène Washington à une position inconfortable. Le “New York Times” l’explique: “...les tensions internes (au Golfe) amèneront Washington dans une position toujours plus difficile quand il s’agira de calmer les gouvernement nerveux d’Arabie Saoudite et des EAU pour qu’ils ne sabotent pas les négociations entamées par les Etats-Unis avec Téhéran sur le programme nucléaire iranien”. Qui plus est, l’incident diplomatique imprévu qu’est le retrait des ambassadeurs en poste à Doha n’autorise plus l’espoir de coordonner les efforts contradictoires des uns et des autres, notamment quand il s’agit de renforcer les rebelles syriens. Voilà encore un “projet occidental” qui ne pourra plus se concrétiser.

Bernhard TOMASCHITZ.

(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°12/2014, http://www.zurzeit.at ).

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