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jeudi, 22 mai 2014

Boko Haram et le Nigéria

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BOKO HARAM ET LE NIGERIA
 
Ce n'est pas une guerre de fillettes
 
Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr

L'opération médiatique de Boko Haram marche. On ne parle maintenant que de fillettes enlevées, la larme chrétienne à l'œil. Elles le furent quand même mi-mars, soit il y a  plus d'un mois ! En fait, depuis 3 ans, le Nigeria est la proie d’une insurrection qui se manifeste par des attentats réguliers et violents, des attaques sporadiques sur les bâtiments publics, des massacres de civils, des prises d'otages occidentaux, en général des prêtres ou des religieuses, monnaie d'échange pour le financement des bandes armées mais surtout bon service de propagande indirecte. La frontière avec le Cameroun échappe totalement à l'Etat central. Le pays est donc en état de décomposition avancée et un groupe obscur qui porte le nom de Boko Haram a revendiqué la plupart des attentats qui ont eu lieu dans le pays.


Dans la foulée des attentats et des attaques sporadiques qui avaient eu lieu en octobre 2013 à Damaturu au Nord-est du Nigeria  c'est-à-dire à quelques kilomètres de Ndjamena (Tchad), l'ambassade des Etats-Unis avait émis un communiqué public étonnant qui, pour certains observateurs, révélait que l'ambassade des États-Unis en savait beaucoup plus sur l'attentat que ce qu'elle prétendait. Depuis les révélations de Wikileaks, on n'ignore plus le rôle que le gouvernement américain a joué ou peut jouer dans les actes de déstabilisation contre le Nigeria. Wikileaks avait en effet identifié l'ambassade américaine au Nigeria comme l'avant-poste opérationnel pour des actes de subversion contre ce pays, qui ne se limitaient pas seulement à la mise sur écoute classique des communications du gouvernement mais visaient tout à la fois l'espionnage économique des multinationales travaillant dans la zone pétrolière de Port-Harcourt, le soutien et le financement de groupes subversifs et d'insurgés, le parrainage d'une propagande de discorde entre groupes ethniques et religieux, à côté d'une politique classique de visas accordés aux politiques et hommes d'affaires nigérians en échange de la défense des intérêts américains.


Les activités subversives de l'ambassade des États-Unis au Nigeria s'inscrivent dans une politique plus large, une politique de containment (pour reprendre l'expression anglo-saxonne) du Nigeria dans le but ultime d'éliminer tout simplement le pays, puissance économique en construction et véritable bombe démographique de l'Afrique de l'Ouest. Les Etats-Unis ne peuvent tolérer et admettre un Nigéria fort, futur rival stratégique des États-Unis sur le continent africain. 

Boko Haram dans la stratégie américaine


Pour comprendre ce qui se passe au Nigéria, il faut revenir en fait sur la guerre libérienne. En 1997, sous l'administration Clinton, avait été mis en place l'ACRI (African Crisis Response Initiative), forte à peu près de 15 000 hommes. Officiellement chargé d'humanitaire et d'entraînement au maintien de la paix, l'ACRI permit en réalité de moderniser et d'adapter les forces locales aux normes des forces américaines. L'ACRI fut pensé comme un contrepoids aidant le gouvernement nigérian dans sa conduite du groupe armé ECOMOG de la CEDEAO qui fut chargé dans la guerre civile libérienne de surveiller les cessez le feu et d'assurer le maintien du pays pour les pays de la Communauté Economique de l'Afrique de l'Ouest. L'ACRI produisit ainsi des recommandations, apporta son soutien dans la guerre civile libérienne et en fait orienta les forces de l'ECOMOG.


Les Etats-Unis se félicitèrent alors du rôle central du Nigéria dans la crise libérienne, qui permit aux les Etats-Unis d'éviter une intervention directe et ils autorisèrent alors la CEDEAO à aller jusqu'au bout, le principal bénéficiaire étant à ce moment là le Nigeria. C'est dans ce contexte que se forma chez les diplomates et militaires américains l'idée de base d'une Pax Nigeriana dans la sous-région de l'Afrique de l'Ouest, une Pax Nigeriana éclipsant totalement l'influence des anciennes puissances coloniales, à savoir la Grande-Bretagne mais surtout, la France. Puis si l'on consulte de près les rapports sur l'ACRI on note que le Libéria étant une création américaine, le Liberia ne devait absolument pas tomber dans les mains du Nigeria. Deux rapports internes de la NSA indiquent par exemple que le Nigeria devrait être autorisé à avoir un pied au Libéria. Sans cesse, on redit dans ces textes qu'il faut contenir le Nigeria qui pourrait être enclin à contester la primauté des États-Unis et de l'Occident dans ces régions à fort potentiel économique.


Bref, le gouvernement des États-Unis cherche à contenir absolument l'influence croissante du Nigeria dans la région par la formation d'une organisation parallèle à l'ECOMOG, en utilisant la diplomatie secrète ou parallèle, autrement dit dans le jargon des services, la déstabilisation interne. C'est dans l'opacité de l'ACRI, de l'ECOMOG, dans la confusion de tous ces rapports internes de la diplomatie et de l'armée américaine que finalement l'US Africa Command ou AFRICOM a été formée. 


Et avec l'AFRICOM, tout change


L'AFRICOM, créée le 1er Octobre 2008, est clairement programmée pour servir les intérêts militaires et stratégiques américains et en particulier pour contrer la portée et l'influence croissante de la Chine en Afrique. L'objectif de l'Africom est de s'approprier les principaux sites stratégiques en Afrique et de les placer le sous le contrôle direct des États-Unis afin de bloquer l'accès de la Chine aux ressources énergétiques et minérales vitales pour son économie. Mais pour mener efficacement cet objectif, les pays africains d'importance stratégique doivent devenir vulnérables afin de demander la protection et l'intervention des États-Unis. C'est ce se passe à Abuja (Nigéria), dans la région des grands lacs où les forces spéciales américaines ont été déployées sous prétexte de protéger les pays, d’insurgés autrefois parrainés par les États-Unis eux-mêmes. Au Soudan, nous avons vu aussi comment une couverture globale de crises humanitaires internationales orchestrées par les États-Unis à partir de la crise du Darfour a servi de prélude au démembrement du Soudan, à sa partition pour punir le gouvernement d'El-Béchir d'oser conclure des accords pétroliers avec les Chinois au détriment des entreprises américaines. En République Centrafricaine, rappelons que le renversement de Bozizé fut aussi la conséquence des pourparlers économiques initiés avec les Chinois. La Libye et Kadhafi ont été liquidés pour avoir osé détourner les intérêts pétroliers américains. Mais le plus grand défi pour l'AFRICOM, son plus grand objectif est de déployer la PAX AMERICANA en Afrique et pour cela, il lui faut mettre totalement au pas le pays africain le plus stratégique à savoir, le Nigéria. C'est cette question qui fait rage autour de Boko Haram et qui intervient juste après une prédiction largement rapportée par l'Intelligence Council des États-Unis sur une désintégration probable du Nigeria en 2015. De fait, la nature du soulèvement Boko Haram a suscité beaucoup de questions chez les Nigérians. Quels sont leurs réels griefs ? Ce n'est pas clair. Pourquoi ont-ils toujours refusé les demandes de négociations des autorités nigérianes ? Pourquoi sont-ils en mesure de perpétrer leurs attaques avec une relative facilitée ? Le Nigéria plutôt bien éduquée à l'anglaise n'était pas habitué à une telle violence sectaire. Enfin, comment un groupe hétéroclite de personnes très jeunes largement analphabètes, opérant principalement sur Okada ont-ils pu se transformer du jour au lendemain en groupe puissant au point d'être en mesure de concevoir, fabriquer et déployer des bombes dans des bâtiments d'importance et dans des véhicules coûtant plus d'un million de nairas tout en menant des attaques dans plusieurs endroits du pays ?

 
Une telle coordination logistique suppose un poste de commandement, pas une réunion de bandits en pleine poussière sur le capot d'un 4x4 fut-il flambant neuf et un tel centre de décision ne pourrait pas en Afrique rester inaperçu, d'autant que la couverture satellitaire américaine est essentiellement axée sur cette région. Ainsi, ce n'est pas une coïncidence ni une simple conjecture si comme nous le relevions plus haut le Conseil national du renseignement américain a estimé que le Nigeria va se désintégrer en l'an 2015, juste avant les prochaines élections générales.Pour nous, l'opération vient de commencer.

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