samedi, 24 mai 2014
Le Luxembourg pendant la première guerre mondiale
Le Luxembourg pendant la première guerre mondiale
Un petit Etat victime de la géographie
Le Plan Schlieffen avait été conçu en 1905: selon ce plan, le corridor mosellan constitue l’axe majeur et médian de la marche en avant de toutes troupes allemandes censées envahir la France. Par conséquence, les voies de pénétration prévues par les armées allemandes pendant l’été 1914 passaient immanquablement par le territoire du Grand-Duché du Luxembourg, Etat juridiquement neutre (et dont la Prusse était une puissance garante) depuis le Traité de Londres de 1867.
Mais on ne peut parler d’une indépendance luxembourgeoise que depuis 1890, l’année où le Grand-Duché s’est émancipé des Pays-Bas. Le Roi Guillaume III des Pays-Bas meurt effectivement cette année-là et sa fille Wilhelmine hérite de la couronne néerlandaise. Mais de celle de Hollande seulement car au Grand-Duché, on appliquait la “Loi salique” (“in terram salicam mulieres ne succedant”, “en terre salique les femmes ne succèdent pas”). C’est ainsi que prit fin l’union personnelle néerlando-luxembourgeoise et que, de facto, le Grandc-Duché acquit l’indépendance. Le nouveau Grand-Duc est Adolphe, issu d’une branche annexe et luthérienne de la dynastie des Orange-Nassau (la branche principale étant calviniste), celle de la maison de Nassau-Weilburg. Le fils d’Adolphe du Luxembourg, Guillaume IV, meurt sans descendance masculine. La famille décide alors de se débarrasser de la Loi salique le 16 avril 1907, afin que la fille aînée de Guillaume IV, Marie-Adelaïde, puisse accéder au trône grand-ducal. Comme sa mère portugaise, elle est catholique de stricte obédience. Le pays a donc à nouveau un souverain de confession catholique-romaine. Lorsque Marie-Adelaïde prend en mains les rênes du pouvoir le 18 juin 1912, le Luxembourg a enfin un souverain né dans le pays: cela n’avait plus été le cas depuis la naissance en 1296 du Duc Jean l’Aveugle. Très rapidement, après l’accession au trône de Marie-Adelaïde, le petit pays mosellan est secoué par de graves troubles politiques intérieurs, justement parce que la nouvelle Grande-Duchesse veut intervenir activement dans la gestion du gouvernement.
Le 2 août 1914, vers trois heures du matin, les premières troupes allemandes entrent dans le pays en franchissement le pont de Wasserbillig. Vers six heures du matin, un train blindé entre dans la gare de Luxembourg-Ville: en sortent un capitaine et une troupe de 150 soldats du génie. Le capitaine a reçu l’ordre de sécuriser la gare et la voie de chemin de fer contre toute intervention française. A neuf heures, cinq automobiles, avec, à leur bord, des militaires allemands, pénètrent dans la capitale. Sur ordre du premier ministre Paul Eyschen, le commandant des faibles troupes luxembourgeoises, le Major Van Dijk, remet une note de protestation officielle aux officiers allemands.
Eyschen remet ensuite une note de protestation, émanant cette fois du gouvernement luxembourgeois et adressée au ministre d’Allemagne, Wilhelm von Buch. La Grande-Duchesse Marie-Adelaïde évoque la protestation de son gouvernement dans un télégramme à l’Empereur Guillaume II et demande à celui-ci “de garantir en tous cas les droits du Grand-Duché”. A onze heures, le Commandant prussien von Bärensprung déclare au ministre Eyschen qu’il a reçu l’ordre d’occuper militairement la ville et ses environs, de ne pas intervenir dans la gestion civile des affaires et de maintenir le trafic ferroviaire. Le gouvernement du Reich justifie en ces termes l’occupation du Luxembourg: “Les mesures militaires que nous avons prises au Luxembourg ne signifie pas que nous agissons de manière inimicale contre ce pays mais que nous nous bornons à prendre des mesures pour assurer la sécurité des chemins de fer qui se trouvent entre nos mains afin de les protéger contre toute attaque française”.
Le Kaiser Guillaume II fixe d’ailleurs son quartier général dans la ville de Luxembourg de la fin août à la fin septembre 1914. Il demande à être reçu par la Grande-Duchesse au château de Berg. Cette réception a permis, plus tard, de dire que la Grande-Duchesse avait des sympathies pro-allemandes. Celles-ci et son gouvernement restent d’ailleurs en place. L’industrie de l’acier, située dans le sud du pays, se voit inféodée à la machine militaro-industrielle allemande. De 1914 à 1918, les habitants des villes luxembourgeoises connaissent la famine et l’inflation y est galopante.
Pendant la guerre, la Grande-Duchesse, ainsi que sa mère et ses soeurs, s’occupe personnellement des malades et dirige la Croix-Rouge luxembourgeoise. A la fin de la première guerre mondiale, les socialistes et les libéraux, foncièrement hostiles au principe monarchique et cherchant l’appui de la France laïcarde et républicaine et de la Belgique, décrivent la Grande-Duchesse comme une “germanophile” invétérée, tout simplement parce qu’elle avait reçu une seule fois le Kaiser, à la demande expresse de celui-ci, sans avoir la possibilité de se dérober! Socialistes et libéraux demandent alors l’annexion à la Belgique. Les chrétiens-sociaux, eux, refusent cette politique. En décembre 1918, les partisans de l’annexion au royaume voisin échouent: la Chambre vote contre, par 29 voix contre 11.
Le 15 janvier 1919, Marie-Adelaïde renonce au trône grand-ducal parce que le Parlement l’a suspendue et parce que l’Entente fait pression pour qu’elle se retire. Elle abdique au profit de sa soeur Charlotte qui règnera très longtemps, jusqu’en 1964. A la fin de l’année 1919, l’ancienne souveraine quitte le pays pour se fixer d’abord à Montreux. Quelques mois plus tard, elle s’en va résider en Italie et rencontre à Rome le Pape Benoît XV. Sous l’influence de ce dernier, elle se réfugie à l’automne 1920 dans un couvent de carmélites à Modène. Mais elle y sombre dans la mélancolie. Elle doit dès lors renoncer à la vie monastique.
En avril 1922, Marie-Adelaïde s’installe au château de Hohenburg en Bavière et décide de devenir infirmière diplômée: dans ce but, elle s’inscrit en 1923 à l’Université de Munich. Peu de temps après, elle commence à souffir de parathyphoïde, une maladie qui ne pardonnait pas avant l’invention des antibiotiques. Elle mourra le 24 janvier 1924 dans l’intimité familiale, à peine âgée de 30 ans, sans jamais s’être mariée. Son corps sera rapatrié en 1947 et placé dans la crypte de la cathédrale de Luxembourg.
Charlotte et Félix: un couple qui s’est aimé...
Dès l’automne 1918, la défaite des Puissances Centrales était imminente. Cela n’empêcha pas la princesse Charlotte de Luxembourg de se fiancer, le 6 octobre 1918, dans le château de Berg, au frère de l’Impératrice Zita, le Premier Lieutenant de l’armée impériale et royale austro-hongroise Félix de Bourbon-Parme. Le 11 novembre 1917, il avait sauvé l’Empereur Charles des flots tumultueux du Tore Torrente. Après la guerre, Félix, en tant qu’ancien officier d’une armée ennemie, ne peut revenir au Luxembourg qu’à l’automne 1919, après que les Français et les Belges aient retiré leur veto.
Pour cette raison, Charlotte et Félix concluent un mariage par procuration au château de Wartegg, près de la commune suisse de Rorschach, elle-même à un jet de pierre de la commune de Höchst dans le Vorarlberg autrichien. Aux côtés du fiancé se trouvent l’ancien Empereur Charles et son épouse Zita. A 10 h 30, le Père capucin Cölestin Schwaighofer scelle le mariage dans la chapelle du château. La fiancée, désormais chef d’Etat, avait dû rester au Luxembourg parce que la dynastie était encore vacillante: seul le référendum de septembre a donné une majorité nette de 78% en faveur de son maintien. Charlotte est représentée par sa soeur aînée, l’ancienne Grande-Duchesse Marie-Adelaïde. Le mariage officiel a lieu le 6 novembre 1919 dans la capitale luxembourgeoise, ce mariage religieux ne constituant que la confirmation du sacrement déjà scellé à Wartegg.
(articles parus dans “zur Zeit”, Vienne, n°16-17/2014; http://www.zurzeit.at ).
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