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jeudi, 22 janvier 2015

De la culture grecque aux appels à moderniser le Coran

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LETTRE A MES AMIS MUSULMANS
 
De la culture grecque aux appels à moderniser le Coran

Michel Lhomme*
Ex: http://metamag.fr

Le Coran européen ? Pour discuter avec l'Islam, il faut d'abord reconnaître la nature sacrée de son texte. Nous le reconnaissons. Pour discuter maintenant de manière critique le Coran, faudrait-il reconnaître que le texte coranique a été simplement inspiré au Prophète (PSL-la Paix sur Lui, comme la Tradition l'impose) et que ce n’est pas Dieu qui a donné le texte mais que ce sont les hommes qui ont donné le texte. Nous ne le croyons pas nécessaire. Néanmoins, si le Coran est d’essence divine, en revanche, sa formulation, son interprétation est l’œuvre d’humains marqués par toutes sortes d'influences mais surtout et avant tout par l’influence de la culture grecque. Le Coran à ce titre est aussi européen.


Le Coran est-il divin ?


On connaît la flèche empoisonnée qui, vous est souvent adressé, ô mes amis ! Le Prophète n'était qu'un illettré, il ne pouvait pas rédiger un texte d’une telle facture. Ne vous sentez pas obligés de batailler sur le même terrain et de reconnaître que le Prophète n’était pas un illettré, argumentant qu’en outre, il était entouré d’hommes de science et d’historiens qui auraient contribué à la composition du texte. Nous posons ici indirectement la question du problème de la traduction théologique commune de « nabiyumummiyum » par « prophète illettré » au lieu de « prophète de la communauté », de la  « Oumma » comme le sens pourtant y invite.


Au cœur de la question de la modernisation du Coran


La question est celle de savoir si le Coran a été révélé au Prophète (PSL) dans sa formulation actuelle sans que ce dernier n’ait eu à ajouter ou à retrancher  le moindre mot ou si le Coran est plutôt le récit humain d’un message divin. Autrement dit, si le Coran est la Révélation ou un texte inspiré de Dieu mais composé par des hommes. Avant de nous prononcer sur cette question en soi difficile, il nous semble nécessaire de nous pencher sur quelques problèmes et justement celui des similitudes entre le Coran et la culture grecque.


Les similitudes de ce que dit Mahomet (PSL) avec un certain platonisme nous ont toujours frappés. Elles pourraient signifier que le texte sacré a été rédigé par des hommes et la communauté exilée et authentifiée des platoniciens de Médine. Or, il nous faut partir du principe que le Coran est la parole de Dieu, révélée dans son sens comme dans son libellé exact par l’intermédiaire de l’ange Gabriel. Dès lors, comment son intégrité a-t-elle pu être préservée jusqu’à nos jours ? Retournons à la lettre du texte coranique puisqu'il nous prescrit que «Si vous divergez sur quelque chose entre vous, revenez à Allah et à Son Messager, si vous croyez en Allah et au Jour Dernier. Cela est meilleur et plus convenable comme résolution finale" (Sourate 4, verset 59). Depuis l’aube des temps, on peut admettre que Dieu  s’est  toujours adressé aux peuples  à travers leur  langue. Dans la sourate 41 (versets 2 et 3), il dit ceci à propos du Coran : « C’est une révélation descendue de la part du Tout Miséricordieux, du Très Miséricordieux  (...)  Un livre dont les versets sont détaillés et clairement exposés, un Coran arabe pour des gens qui savent ». La langue est un moyen de communication autant qu’un support culturel, il est tout à fait compréhensible que, du message transmis, transparaissent des traits culturels du peuple qui l’a reçu en premier lieu. Certes, le message coranique est destiné à l’univers tout entier, mais Dieu a choisi de s’adresser directement au peuple arabe du 7ème siècle  en utilisant sa langue et  donc quelques aspects de ses fondements socio-culturels. C’était pour lui le meilleur moyen de faire comprendre le message à un peuple qui devait ensuite s’acquitter de la délicate mission de le diffuser à travers le monde. Les similitudes entre le Coran et la culture grecque ne signifient donc pas que le texte coranique porte l’empreinte de l’homme. C’est d’ailleurs pour donner des gages de l’origine divine des versets du Coran que  Dieu a délibérément choisi, pour porter son message, un homme qui, jusque-là, ne savait ni lire, ni écrire. Ainsi, à notre question première de savoir si le message coranique puisse être porté par un illettré, le Coran nous apprend que c’était précisément le meilleur moyen d’écarter les doutes sur l’identité de l’auteur des versets. A la sourate 29 (verset 48), il est dit en effet que « Avant cela, tu ne lisais pas de livre, ni n’écrivais de ta main droite, car autrement, ceux qui nient la vérité auraient émis des doutes ». 


Dans le rapport critique que certains ont à l'égard de l'Islam, ils ne prennent jamais en compte l’exacte mesure de la dimension divine dans le processus de la révélation. En s’interrogeant sur la pertinence du choix porté sur un illettré pour accomplir une mission prophétique, les critiques modernes de l'Islam brandissent un argument qui ressemble étrangement à celui que les notables mecquois opposaient au Prophète (PSL) lorsqu’ils lui disaient : « Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre le Coran sur une haute personnalité de l’une des deux villes [La Mecque et Taîf]? » (Sourate 43 verset 31). En vérité, l’aptitude à recevoir  un message de cette nature, à l’assimiler et à mener à bien la mission prophétique ne tient absolument pas au statut d’intellectuel ou à celui de supposé « inculte ». Celui qui, du néant, a créé les Cieux et la Terre, qui « fait sortir le vivant du mort et le mort du vivant » (Sourate 3 verset 27) n’est-il pas en mesure de faire d’un illettré, le dirigeant, le meneur d’hommes à la dimension exceptionnelle que fut le prophète Muhammad (PSL) ? Comme nous le rappelle le Coran, il  est important de garder à l’esprit qu’en définitive, Dieu « sait mieux que quiconque où placer son message » (sourate 6 verset 124) et  quand IL décide de porter  son choix sur quelqu’un, IL  le dote des qualités et vertus  requises  pour être à la hauteur de la mission. En témoigne le verset suivant par lequel Allah apaise les  inquiétudes du Prophète (PSL) sur sa capacité à retenir le message. « Nous te ferons réciter le Coran de sorte que tu n’oublieras pas – sauf ce qu’Allah aura voulu » (Sourate 87 versets 6et 7). 


Il est donc clair que, pas plus que l’un quelconque de ses compagnons, le Prophète (PSL) ne pouvait composer le texte coranique. D’ailleurs, il faut relever que, dès le début de la Révélation, certains n’avaient pas manqué d’attribuer à des savants tapis dans l’ombre, le mérite d’avoir composé le texte coranique au profit du Prophète (PSL). La réponse  était alors venue d'Allah lui-même : « Si vous avez des doutes sur ce que nous avons révélé à notre serviteur, tâchez donc de produire une sourate semblable et appelez vos témoins que vous adorez en dehors d’Allah, si vous êtes véridiques. Si vous n’y parvenez pas, et à coup sûr, vous n’y parviendrez jamais, prenez garde au feu qu’alimenteront les hommes et les pierres, lequel est réservé aux infidèles ». (Sourate 2 verset 23). Au regard de ces considérations, il ne fait aucun doute que le Coran est, dans son essence comme dans sa formulation, une œuvre exclusivement divine. Mais s’il en est ainsi, comment un texte aussi long (plus de 6 000 versets) a-t-il pu être préservé jusqu’à nos jours ? 

Comment l’intégrité du texte coranique a-t-elle pu être préservée ? 


Pour préserver l’intégrité du texte que lui dictait l’ange Gabriel, le Prophète (PSL) devait le mémoriser avant de le  faire transcrire par ses scribes. C’est précisément pour s’acquitter convenablement de cette noble tâche qu’il  se montrait particulièrement pressé de retenir les passages qui lui étaient révélés. Dieu a  tenu à le rassurer  en lui disant ceci : « Ne remue pas ta langue dans ton impatience de réciter le Coran. C’est à Nous, en vérité, qu’incombent son assemblage et sa récitation. Quand Nous lirons, suis-en la lecture. A Nous, ensuite de l’exposer  clairement » (Sourate 75 versets 16 à 19). C’est cet exercice de mémorisation, auquel le Prophète (PSL) avait également astreint  bon nombre de ses compagnons, qui a permis de sauvegarder, aux premières  heures de la révélation, le texte coranique. Par ailleurs, il est  important de préciser que la révélation s’est poursuivie  sur une durée de 23 ans. Or, le Coran étant composé de 6600 versets environ, un simple calcul arithmétique permet de se rendre compte que,  grâce à ce caractère graduel de la révélation, le Prophète (PSL) et ses compagnons n’ont eu à mémoriser, en moyenne, qu’un verset par jour. En dotant le Prophète (PSL) d’une grande capacité de mémorisation et en procédant à  une révélation graduelle du Coran, Dieu avait ainsi réuni les conditions objectives de la préservation du texte sacré, comme il s’y est, du reste, engagé dans le verset 9 de la sourate 15 : « En vérité, c’est Nous qui avons fait descendre le Coran et c’est Nous qui en sommes le gardien ». C’est, incontestablement,  une marque de la Sagesse et de l’Omnipotence de Dieu que d’avoir ainsi permis de rendre  relativement facile une tâche qui pouvait paraître, à priori, insurmontable.


La valeur de l’islam 


Dans le monde d’aujourd’hui, l’islam est la religion mondiale qui résiste le plus activement à la force du mondialisme. Pour nous, l'Islam n'a donc pas du tout à s'illuminer, à s'éclairer, à se moderniser autrement dit à se séculariser, à s'individualiser. L'Islam est le front vivant, le cœur actif du traditionalisme. Dans son adresse à Marcel Gauchet, Coralie Delaume évoque l'islamo-fascisme, le ''fascisme vert''. Il importe de rappeler que cette réduction de l'Islam, reductio ad hitlerum classique contre toute pensée dissidente - et l'Islam est une pensée dissidente de la modernité -  a d'abord été professée par l’idéologue de la « Fin de l’Histoire » Francis Fukuyama. C'est lui qui, avec Huntington a tenté d’introduire ce terme d’ « islamo-fascisme » pour mieux discréditer la foi et la civilisation musulmane. Si l'Islam est maintenant au banc des accusés, c'est qu'il est avec l'orthodoxie le dernier champ de bataille de la modernité, de cette postmodernité que nous exécrons jusqu'aux tripes. Cela suffit pour déterminer pour nous la valeur et l’importance de l’Islam.


La question qu'on ne manquera pas de nous poser à nous, philosophes occidentaux est celle de savoir si l'on peut aborder le contenu du livre saint de la religion musulmane avec l'esprit critique dont on use depuis la Réforme dans le cadre  biblique ? Nous disons oui mais attention, il ne s'agit en aucune façon de moderniser l'Islam, de le séculariser. C'est le Coran à la lettre que nous exigeons car justement, c'est ce Coran à la lettre qui peut récuser le Coran des Purs (celui des salafistes, des wahabites, des tafkirites), ce Coran intégriste et fondamentaliste qui souhaiterait prendre la place de l'Islam traditionnel comme les évangélistes, les mouvements pentecôtistes ont dans l'Eglise catholique réussi à dénaturer le message évangélique communautariste pour n'en faire qu'un discours individualiste et moralisateur, libéral et économique.


Deux dangers vous menacent 


Le premier, c'est de vouloir céder à l'inclination « politiquement correcte » d'une époque tellement hantée par le choc des civilisations que certains islamologues et imams en viennent à vouloir étouffer la réalité traditionnelle du texte coranique pour masquer les divergences fondamentales non pas de l'Islam mais des Islams. Partant, même si la discussion des dogmes s'apparente à une démarche offensante, vous ne devez céder en rien. Ainsi, j'ai entendu un musulman qui, étant attaqué sur la question stupide de savoir si Mahomet (PSL) respectait vraiment les femmes, répondre « Oui, puisqu'il en a eu de nombreuses ! ». Ne commettez pas cette erreur. C'est le piège de l'empathie. Vous y perdrez votre Coran sacré.


Le deuxième danger, c'est l'islamophobie présente : dépeindre l'Islam sous des traits négatifs et politiques. La connaissance critique en vient alors à succomber sous une avalanche de discours nauséeux qui dénoncent à brûle pourpoint les effets sociaux pervers de la religion de Mahomet (PSL) (voir les positions du philosophe Rémy Brague ). Elle se nourrit des exactions politiques ou comme disait Baudrillard de l'exorcisme politique. C'est le prisme de la diatribe philosophique dite éclairée qui depuis 1789 n'a cherché qu'à dissoudre les liens communautaires pour établir le règne illimité du capital et du matérialisme. 


Certes, il serait évidemment grand temps de revenir à la Raison, à l'étude, à la réflexion au-dessus de l'opinion et de la passion anti cléricale et anti religieuse. Mais pour cela, il nous faudrait ensemble et philosophiquement dans l'exégèse restituer les concepts de consonance arabe à leur naissance, dans leur généalogie et leurs évolutions, ces concepts que quotidiennement on voit pourtant malmener, vilipender à la radio et même dans les derniers titres commerciaux de médiocre écrivain nihiliste. J'ai peu de place. Mais prenons par exemple le mot « sharia », terme si couramment évoqué et que nous traduisons par « loi religieuse ». La « sharia » occupe dans les sociétés arabo-musulmanes une place inversement proportionnelle à celle qu'elle tient dans le Coran. Vous savez comme moi que le livre sacré contient 500 versets normatifs sur un total de 6300. Ensuite, si on se penche d'un peu plus près sur ces versets normatifs, on découvre que ces normes représentent un ensemble hétéroclite, une voie pratique faite d'actes obligatoires, recommandés, permis, blâmables ou interdits. On est bien loin du code de châtiments ou de mutilations qui  ravageraient les Purs ou ses ennemis. La sharia n'intègre pas la totalité des actes humains.


Pour répondre par avance aux critiques


Ill est vrai qu'il y a dans le texte coranique une stratification de l'humanité au regard de la sharia. Au sommet de l'espèce humaine figurent les messagers et les prophètes, puis les « adamiens », entendez les hommes mâles et non femelles musulmans de condition libre, enfin les « adamiens » sans foi ni loi, c'est-à-dire, moi, le chrétien  et le païen. De droit, tuer un païen n'entraîne aucune poursuite judiciaire; réduire une païenne en esclavage n'est pas réprouvé. L'esclavagisme sans ces textes n'aurait en effet jamais pu connaître une telle fortune dans les sociétés musulmanes d'hier comme parfois d'aujourd'hui. C'est tout le Coran, alternance de paroles de tolérance et de propos d'une dureté inouïe. Mais reconnaissons que la Bible ne vaut pas mieux. On y massacre et mutile à tour de bras.


De plus, il n'y a pas un Islam mais des Islams. Il y a le chiisme, le sunnisme, le At-tassavuf et entre tout cela, une question qui me préoccupe personnellement le culte des saints, la question ésotérique, la pensée traditionnelle, l'eschatologie, le sens théologique de l'Histoire, la venue du Mahdi. Ne faites donc pas de l'Islam une grande parodie, un « Self Islam », un Islam de Self-Service, un Islam  anglicisé et indianisé. un Islam de l'autonomie du Sujet ou du Soi, l'Islam  d'Abdennour Bidar, membre de l'Observatoire de la laïcité. L'Islam ne peut se délier du Coran et de la commaunauté, de l'oumma.  Ne vous abaissez pas aux modernes mais au contraire soulignez les valeurs radicales de la Tradition, valeurs qui demeurent incompatibles avec la modernité et la postmodernité, avec la Gay Pride, les jupes courtes, avec l'athéisme d'Etat, l'immoralité et l'obscénité de leur matérialisme marchand. Si nous avions commencé au début par souligner dans le domaine intellectuel, les similarités de l'Islam avec un certain néo-platonisme, c'est que cela devrait nous conduire à approfondir ensemble la critique de la modernité car il va de soi et j'insiste que si vous êtes la Tradition, vous ne représentez pas la Tradition à vous tout seul. Vous savez comme moi qu'Allah lorsqu'il est en colère contre les mécréants, ne trouve rien de mieux que de leur lancer : « Soyez des singes abjects ! ». J'ai toujours savouré dans l'Islam cette hauteur comme la définition du Soleil qui est de genre féminin en arabe et qui forme couple avec la Lune, de genre masculin, deux astres fascinants que Mahomet (PSL) voyait « au service des Humains » mais interdisait de vénérer. C'est vrai nous n'avons pas les mêmes cultes mais nous avons les mêmes combats : redresser le champ de ruines spirituel et moral que nous a légué la modernité. Et pour le faire, il faut aussi vous dire - et la manipulation de masse Charlie en est une saisissante et terrifiante illustration - que cette modernisation que l'on vous enjoint d'adhérer a fini en réalité par tuer l’individu réellement libre, de l’Ancien Monde, du  monde des Grecs. En voulant émanciper l’individu, regardez comme ils l'ont asservi en le déracinant par l'anomie et la névrose sociale, le développement du marché et la dépendance à la consommation. Regardez vos quartiers difficiles ? Non seulement on vous a arraché à votre terre pour nous appauvrir mais on a voulu vous arracher ensuite par la laïcité à votre culture, à votre langue. Vous avez été les cobayes du grand remplacement et l'on ose aujourd'hui vous désigner comme les brebis expiatoires de leurs échecs. Sors tes papiers et sois Charlie !... Il est d’ailleurs amusant de constater que le plus grand grief que l'on vous fait, plus grave encore que les attentats que vous projetez ou commettez, c’est « le rejet du mode de vie occidental ». Horreur ! En effet, peut-on imaginer plus atroce blasphème ?


* Notre collaborateur, Michel Lhomme est enseignant, philosophe, ancien professeur de Théologie à la faculté de Théologie de Lima, diplômé d'arabe littéraire (Paris 3 - Censier). Il a vécu de nombreuses années en terres musulmanes. 

 

00:05 Publié dans Islam, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : islma, tradition, traditionalisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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