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samedi, 20 juin 2015

Pour une école enracinée...

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POUR UNE ÉCOLE ENRACINÉE...
 
Recréer les solidarités populaires

Paul Matilion*
Ex: http://metamag.fr

La réforme du collège portée par la ministre de l'éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, est une entorse sévère à la transmission de l'héritage culturel de notre civilisation européenne. L'enseignement du grec et du latin est anéanti tandis que l'enseignement de l'histoire met de côté l'essentiel des périodes glorieuses passées de la France et de l'Europe dans un but totalement idéologique (les titres des thèmes devant être enseignés sont révélateurs : "la longue histoire de l'humanité et des migrations" ; "Une seule humanité" ;...).


Mais ce déracinement des enfants par le biais de l'école est-il vraiment étonnant ? Maurice Barrès, dans le Roman de l'énergie nationale, analysait déjà tristement le déracinement opéré par l'instruction publique imposant, dans les établissements scolaires du "désert français" (Jean-François Gravier), des maîtres ayant pour mission de détacher les élèves de leur terre. Dans Les Déracinés, Maurice Barrès évoque le cas d'un instituteur, M. Bouteiller, parachuté par la haute administration parisienne dans une petite classe scolaire de Lorraine, province chérie par Maurice Barrès mais méprisée par le personnage de son roman, M.Bouteiller. Il pose alors d'emblée le problème : «Déraciner ces enfants, les détacher du sol et du groupe social où tout les relie, pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite, comment cela le gênerait-il, lui qui n'a pas de sol, ni de société, ni, pense-t-il, de préjugés ?» [Les Déracinés de Maurice Barrès édité pour la première fois en 1897 ; p.503 aux éditions Robert Laffont ; 1994.].


Selon Barrès, "avant d'examiner les biographies de ses élèves, M. Bouteiller ne devrait-il pas prendre souci du caractère général lorrain ? [...]. Ne distingue-t-il pas des besoins à prévenir, des mœurs à tolérer, des qualités ou des défauts à utiliser ? Il n'y a pas d'idées innées ; toutefois des particularités insaisissables de leur structure décident ces jeunes Lorrains à élaborer des jugements et des raisonnements d'une qualité particulière. En ménageant ces tendances naturelles, comme on ajouterait à la spontanéité, et à la variété de l'énergie nationale !... C'est ce que nie M. Bouteiller." [ibid ; p.502].


Au moment même de la parution de ce magnifique roman dans lequel les meilleurs élèves de cette petite classe de Lorraine iront à Paris poursuivre leurs études délaissant leur province natale, en Allemagne, un mouvement de jeunesse, le Wandervogel, naît à Steglitz. Ce mouvement composé de jeunes élèves se rebellant contre l'autorité des maîtres, des parents et la société allemande consumériste de leur temps permet aux écoliers de s'enraciner en organisant des randonnées dans les bois à l'entour. Le philosophe Hans Blüher qui suivait le mouvement a très bien décrit l'ambiance qui y régnait dans son Histoire d'un mouvement de jeunesse. Selon lui, "ce retour à la nature, dans quoi se jeta le Wandervogel, ne fut rien d'autre qu'une convergence de la jeunesse pour donner essor à un grand mouvement romantique" [Wandervogel, Histoire d'un mouvement de jeunesse ; Tome I : Paysages au matin du Wandervogel ; Hans Blüher ; édité pour la première fois en allemand en 1912 ; traduit et édité en français aux éditions "Les Dioscures" en 1994 ; p.88]. 


Ces oiseaux migrateurs chantaient dans leurs promenades des chants traditionnels comme "Aus Feuer ist der Geist geschaffen", revenaient aux traditions de leurs plus lointains ancêtres. "Le solstice s'y célébrait selon la coutume germanique" .


D'un côté, nous avons donc de jeunes élèves lorrains déracinés par le levier de l'instruction publique française, de l'autre côté nous avons de jeunes allemands qui fuient l'école pour retrouver leurs racines dans un mouvement tout romantique caractéristique de leur âge.


Hans Blüher, comme Maurice Barrès, se montre très critique envers les enseignants et l'école de son époque afin de prendre parti en faveur de la rébellion des Wandervögel. Il explique que les professeurs ne prennent pas assez en compte les inspirations romantiques de cette jeunesse "amoureuse des mystères de la nuit". Néanmoins, il ne formule pas de critique sur un prétendu déracinement exercé par les professeurs sur leurs élèves. D'ailleurs, comme il l'explique, les oiseaux migrateurs partent en exploration dans les bois avec l'aval des parents et des enseignants. Aussi, si ces jeunes wandervögel connaissent des chants traditionnels qu'ils chantent tous en chœur dans les bois, c'est grâce en partie à l'enseignement délivré par les professeurs de musique. C'est ainsi qu'il cite l'exemple d'un de ces professeurs, Max Pohl, de l'école d'où est né ce fameux mouvement de jeunesse et que les enfants appréciaient énormément : «Beaucoup de jeunes, étouffés des années durant par les parents et l'école, étaient ternes et démoralisés. C'étaient de pâles reflets de leurs professeurs, à l'ombre desquels ils s'étiolaient. Oh ! Une leçon de chant en compagnie de Pohl, et l'on voyait briller les yeux ; à la sortie des classes, les élèves rentraient chez eux par le chemin des écoliers en fredonnant. Pohl avait su verser un peu de baume et charmer l'ennui ; on croisait grâce à lui bien des visages plus clairs et plus purs, qui avaient enfin rencontré un écho de la vie digne d'être vécue : la chanson populaire [...]. Dans les familles, on reprenait amplement ces airs inoubliables, exhumés de vieux recueils par Pohl lui-même. Refrains dont la simplicité allait au coeur, et qui accompagnaient encore maint élève dans sa vie d'adulte [...]».


A travers cette comparaison qui met en exergue la problématique de l'école publique française, nous voyons bien qu'un enseignement qui favorise ou qui facilite la transmission de l'héritage culturel d'un peuple ne produit pas les mêmes effets sur les élèves qu'un enseignement qui la modère. L'enseignement républicain français a pour projet d'élever les élèves vers une raison abstraite au-delà de leurs particularités ethniques, culturelles et aujourd'hui sexuelles avec la théorie du genre [Cf Les Démons du Bien de Alain de Benoist ; édité en 2013 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.]. La particularité de l'école publique française réside dans le projet universaliste de l'égalité si cher à Jules Ferry, un des pères de ladite instruction publique. C'est ce qui amène l'historien Pierre Barral à affirmer que "les vues du grand Vosgien s'insèrent dans la conception universaliste de l'égalité, définie par la Révolution française, qui contraste avec la valeur prépondérante de la liberté dans la tradition britannique et la solidarité communautaire de la tradition allemande" [Pierre Barral, « Jules Ferry et l'école rurale », Tréma ]. C'est d'ailleurs aussi une des raisons parmi d'autres qu'un mouvement comme celui des Wandervögel n'aurait jamais pu naître en France à la même époque.


Il n'est donc aujourd'hui pas étonnant d'entendre un ministre de l'éducation nationale dire que "pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix" [ Vincent Peillon dans le JDD du 1er septembre 2012.]. Et c'est exactement ce que reprochait déjà Maurice Barrès à l'école républicaine française il y a maintenant plus d'un siècle. Le fait qu'un ministre de l'éducation nationale veuille actuellement supprimer ou minimiser l'enseignement du grec, du latin et de l'histoire, c'est-à-dire des matières vues comme réactionnaires car traitant du passé, est donc dans la suite logique du projet égalitariste et universaliste que porte en lui l'enseignement français.


Si l'on veut une école qui soit un véritable rempart contre la société libérale actuelle, qui transmette notre héritage culturel pluriel et divers et qui soit imperméable au nihilisme ambiant, alors il faut repenser l'enseignement en prenant en compte les particularités de chaque région, de chaque élève. Il ne suffit pas de réclamer un retour à un enseignement sérieux de l'histoire, de la langue française et du grec et du latin. Il faut aussi promouvoir un enseignement qui mette en valeur les différences culturelles à travers l'apprentissage des langues régionales ou encore des chants traditionnels et populaires. Ce sera grâce à une école enracinée que l'on recréera les solidarités populaires disparues dans l'individualisme libéral ambiant.

* Lire le blog de Paul Matilion 


00:05 Publié dans Ecole/Education | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, enseignement, éducation, enracinement | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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