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samedi, 25 janvier 2025

L'étude du latin est-elle réactionnaire?

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L'étude du latin est-elle réactionnaire?

par Antonio Catalano

Source : Antonio Catalano & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/studiare-il-latin...

Il fallait du camphre pour dire quelque chose de sensé, contre l'hystérie de notre gauche progressiste qui, face à la proposition de réforme du ministre Valditara, pour ne pas changer, crie "au fascisme!'... Eïa, eïa, alalà !

Il n'y a pas de meilleure réponse aux réactions hystériques de notre gauche suite à la publication des lignes directrices récemment énopncées pour les programmes scolaires que le ministre Valditara a brièvement annoncées, il y a quelques jours, que celle de Luciano Canfora, dont on peut tout dire sauf qu'il est un partisan du gouvernement Meloni (par lequel il a également été poursuivi en justice il y a quelque temps).

Ces lignes directrices concernent certaines interventions :

- Réintroduction (facultative) du latin au collège, à raison d'une heure par semaine, pour renforcer le lien avec le patrimoine culturel italien et la langue latine.

- Fin de la géo-histoire, retour à un enseignement séparé de l'histoire (qui portera sur la civilisation grecque, la civilisation romaine, le christianisme, la Renaissance et l'histoire contemporaine occidentale) et de la géographie (fleuves, montagnes...).

- Plus de place pour la lecture et l'écriture, y compris pour des poèmes à apprendre par cœur.

- Des classiques comme Homère, Pascoli, Saba et des auteurs contemporains.

- Aperçu des épopées classiques, de la mythologie grecque et des sagas nordiques.

- Étude de la Bible pour comprendre son rôle dans l'histoire et l'art (considérée comme un texte aux racines culturelles occidentales, à introduire à l'école primaire).

- Accent mis sur la musique: chant choral, instruments de musique et civilisations.

- Renforcement des ateliers artistiques et de l'étude du patrimoine italien.

Une proposition de réforme qui semble aller dans le bon sens pour rendre à l'école sa vocation première, celle d'être un lieu d'éducation capable de former des citoyens dignes de ce nom. Mais il y a encore beaucoup à faire pour rendre à l'école toute sa dignité, car si l'on ne remplace pas définitivement les socles de piètre qualité sur lesquels reposent "l'école de l'autonomie", "l'école des projets", "l'école des compétences", soit l'école de l'abolition des contenus, l'école de l'Agenda 2030, la réforme envisagée par Valditara échouera inévitablement, malgré les bonnes intentions.

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Bref, il a suffi qu'une telle réforme se profile pour que notre gauche s'emballe littéralement, elle qui se prétend le meilleur rempart contre cette idée de désintégration des savoirs au profit d'une idéologie de pacotille qui utilise à tout bout de champ et de manière obsessionnelle le petit mot d'« inclusion ». Un petit mot vague et apparemment anodin, mais qui cache insidieusement l'idéologie fondée sur l'idée dystopique de l'effacement des identités (une fixation du mondialisme, fils de la suprématie du capital financier sur le monde de la production réelle). La tactique est toujours la même: sous prétexte d'inclusion, d'éducation au respect (voir Rome de Gualtieri), des cours d'éducation sexuelle sont introduits dans les écoles selon les critères de la soi-disant « identité de genre ».

« La culture progressiste s'interprète comme une tentative d'imposer ce qui doit être à un monde qui n'a pas d'être propre, des valeurs à un monde qui n'en a pas, comme si les communautés n'avaient pas les leurs, comme si le monde de la vie n'était pas déjà un horizon de significations reliées entre elles par des chaînes de renvois, comme si les systèmes d'interactions et les formes de liens n'étaient pas déjà structurés en lui. Pour le code interprétatif du système culturel de la gauche progressiste, les formes de lien existantes deviennent simplement du 'désordre' » (Vincenzo Costa, Catégories de politique).

La secrétaire du PD, Mme Schlein, lors du congrès sur l'école qu'avait organisé son parti, rejette la proposition de réforme comme quelque chose de répressif et de réactionnaire, une vision qui représente « le désir impossible d'un passé qui ne peut pas revenir » et qui risque de faire reculer le système éducatif italien dans le temps ».

Anna Ascani, également figure du PD, députée et vice-présidente de la Chambre des députés, dans une intervention sur FanPage, ne ménage pas sa peine, allant même jusqu'à dire que Valditara s'attaque à la démocratie, que ses orientations proposent « la pire forme d'inégalité possible, celle qui concerne les enfants, qui n'ont ni mérite ni défaut à être nés là où ils sont nés ». Et que Valditara pense à une école élitiste et autoritaire dont le but est de diviser les bons et les mauvais, les suffisants et les insuffisants.

Comme on dit, le masque tombe, démontrant une fois de plus que cette gauche progressiste continue à considérer la réalité comme son principal ennemi. La réalité d'une école en déroute, sans contenu, simplifiée et banalisée, produisant des diplômés ultra-déqualifiés... mais inclusifs. Ils s'en contentent.

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Il a donc fallu l'illustre intellectuel Luciano Canfora pour énoncer une évidence, mais comme vous le savez sûrement, nous sommes à l'époque où pour affirmer que l'herbe est verte, il faut tirer l'épée.

« Je sais ce que je sais par cœur », dit notre philologue classique, mais aussi helléniste et historien de la Grèce antique. « La mémoire est l'outil qui nous donne tout ce que nous savons, alors que ce que nous avons oublié n'est plus dans notre esprit. La mémoire doit donc être exploitée au maximum, elle doit être exercée. Vraiment, il me semble que cette insurrection contre l'exercice de la mémoire est un peu hors de toute logique, c'est risible ».

On n'a jamais compris pourquoi le latin devait être considéré comme de droite : c'est pathétique comme raisonnement ». L'étude du latin n'a rien de réactionnaire : « Je ne veux pas citer Concetto Marchesi, un grand latiniste, un des principaux représentants du communisme italien... Je pense qu'il est beaucoup plus sérieux de rappeler que l'étude de l'italien ou de l'espagnol ou du français présuppose une très grande proximité avec la connaissance du latin». "Gramsci disait que l'on étudie le latin non pas pour apprendre à parler latin, mais pour apprendre à étudier".

Il ajoutait ensuite quelque chose de très sérieux: vivifier l'étude historique d'une langue, c'est partir de ses origines. Il est anti-culturel de protester de manière générale contre la connaissance du latin: personne n'est mort du latin jusqu'à présent ».

Sur l'étude de la Bible, qui a provoqué un véritable bouleversement dans la galaxie de la gauche progressiste, Canfora déclare: « Il me semble un peu approximatif de parler de la Bible, parce qu'il s'agit de textes d'une importance historique énorme qui ont été amalgamés au fil du temps, mettant ensemble, avec une certaine difficulté, une tradition juive et une tradition chrétienne ».

Mais Canfora (interviewé par Radio Cusano), se référant à une idée de Beniamino Placido, va plus loin: « La connaissance du grec et du latin, à partir d'un texte simple et très (du moins, espérons-le) connu comme l'Évangile de Marc, est une idée qui est tout sauf à jeter, elle n'est ni rétrograde ni subversive ».

Et à ceux qui objectent qu'il vaudrait mieux approfondir l'étude de l'anglais, Canfora répond que c'est « une façon banale d'éluder une discussion sérieuse, parce que les deux choses ne sont pas en contradiction l'une avec l'autre; il s'agit donc d'une pseudo-objection qui n'a aucune valeur d'un point de vue conceptuel ».

Un Canfora clair et lucide, qui, dans ce cas, fait un peu penser à l'enfant du célèbre conte d'Andersen qui dit le vrai sur les habits neufs de l'empereur. Sauf que notre grand érudit n'a que quelques années de plus.

vendredi, 26 avril 2024

The Economist et le Corriere contre les humanités classiques : elles préparent des hommes libres

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The Economist et le Corriere contre les humanités classiques : elles préparent des hommes libres

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/economist-e-corriere-contro-gli-studi-umanistici-preparano-uomini-liberi/

C'est merveilleux ! Les humanités tombent en disgrâce ! L'hebdo britannique The Economist célèbre, avec le Corriere della sera, ce choix de la jeune génération. Et ils ont sans doute raison de se réjouir. Moins d'attention à tout ce qui sert à ouvrir l'esprit, à reconnaître la beauté, à se connecter à ses racines, signifie moins de capacité à rejeter le conditionnement mental imposé par les oligarques à travers leurs canaux d'endoctrinement, de désinformation par la gestion sectaire des plateformes sociales.

Ce n'est pas un hasard si The Economist rejette les études qui amènerait à percevoir le lien entre une société de jeunes isolés dans la réalité et perpétuellement connectés via des canaux virtuels et l'augmentation vertigineuse de la détresse mentale et des tendances suicidaires. Et, pour ce faire, il doit recourir à un usage courageux du miroir. Parce que les données sont trop dramatiques pour être niées ou sous-estimées, les journalistes politiquement corrects admettent que dans l'Occident collectif la situation est préoccupante, mais que dans le Sud global, les jeunes utilisent les médias sociaux de manière utile pour leur croissance personnelle et celle de leur pays.

Ils évitent, bien sûr, de s'attarder sur la survie, dans ces pays, d'une existence tissée de relations réelles, humaines, physiques.

Le problème n'est pas le smartphone, mais son utilisation. Et ces maudites études humanistes sont un obstacle au renoncement total à l'usage de son cerveau. Ce sont des études dangereuses, elles enseignent l'esprit critique et non la soumission inconditionnelle au pouvoir de la technologie et de ceux qui la contrôlent. Elles enseignent la liberté. Elles enseignent la conscience de ce que l'on est, de la réalité dont on fait partie. Des individus avec des racines, et non des citoyens du monde en nombre. Trop dangereux.

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lundi, 27 novembre 2023

Miguel Ángel Tirado Ramos: Pour des écoles qui enseignent

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Miguel Ángel Tirado Ramos: Pour des écoles qui enseignent

Recension: Escuelas que enseñan: El conocimiento sí importa. Editorial Círculo Rojo. Deuxième édition, 2022.

par Carlos X. Blanco

Miguel Ángel Tirado est un collègue professionnel. Avec son livre Escuelas que Enseñan, je peux dire sans équivoque qu'il est aussi un compagnon de lutte. La lutte quotidienne qui a pour objectif l'apprentissage des enfants et des adolescents. Je fais également référence à un autre combat : que l'école ne devienne pas un entrepôt de corps quasi-inertes, connectés à des écrans et plongés dans une ignorance morose, le tout bercé par la fausse sensation de bonheur. Miguel A. Tirado, professeur de lycée et actuellement inspecteur aux Baléares, sait de quoi il parle.

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L'auteur lui-même résume sa thèse dans le sous-titre: "La connaissance est importante". Comme le dit Miguel Ángel, c'est aujourd'hui qu'il faut crier au secours : l'école d'aujourd'hui ne transmet pas la connaissance ! Une telle affirmation, lancée abruptement, surprendra les plus anciens, ceux qui sont déjà déconnectés du monde de l'éducation depuis leurs lointaines années d'école. Certains d'entre nous s'étonnent de la dérive actuelle. Avec tous ses défauts, l'école espagnole d'avant la L.O.G.S.E. (1990) était un instrument efficace de transmission du savoir et, quand il y avait de bons professeurs, elle transmettait aussi efficacement l'amour du savoir. Les lois qui ont suivi, de manière de plus en plus radicale, ont évacué le savoir de la vie scolaire pour le remplacer par des "compétences" (un terme que personne n'a défini précisément à ce jour), une éducation émotionnelle et sentimentale ainsi qu'un entraînement intense à la consommation numérique. Le coup de grâce à l'école a été porté par la L.O.M.L.O.E (2020), qui est de loin la loi espagnole sur l'éducation la plus inintelligible, la plus idéologisée et la plus injuste de toutes celles qui ont été adoptées par le régime de 1978.

Je me concentrerai ici sur le caractère injuste de la loi actuelle sur l'éducation. Miguel Ángel affirme, à juste titre, qu'une éducation de qualité, transmettant la connaissance et l'amour de la connaissance, est le moyen le plus efficace de parvenir à l'égalité des chances. Dans de nombreuses familles, la rareté des ressources économiques et la pauvreté culturelle de l'environnement sont des facteurs qui condamnent les enfants à reproduire la pauvreté, le manque de culture et le manque d'horizons.

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Dans notre passé récent - des années 60 du 20ème siècle jusqu'en 1990 - c'est surtout l'école (une bonne école, exigeante, avec beaucoup de bons professeurs) qui a été le grand ascenseur social dans un pays très injuste à bien d'autres égards. Beaucoup d'Espagnols d'origine ouvrière, paysanne, modeste, ont atteint un meilleur niveau de vie et un élargissement des horizons (par exemple, l'accès à l'enseignement supérieur et à des professions de meilleure qualité) uniquement et exclusivement grâce aux écoles de l'époque pré-LOGSE. Au-delà de la mise en place d'un système d'aide sociale, "charitable" par le biais de paiements et de subventions, la justice sociale a été et sera toujours atteinte en Espagne grâce à un bon système scolaire. Cette organisation exigeante en termes de contenu et de discipline, cette école où le savoir comptait, a pris fin en 1990.

La loi actuelle (Ley Celaá), aggrave la situation et accentue la voie ludique, "happyocratique", émotiviste et parasitaire déjà présente dans les lois précédentes. Bien qu'il s'agisse d'une loi promue par des forces se réclamant de la gauche, le cadre réglementaire imposé n'a fait que vider les écoles de leur contenu et condamner les futurs citoyens à l'ignorance. Les enfants et les jeunes sont privés d'un droit fondamental : l'accès rigoureux aux contenus de la culture. C'est une loi qui se focalise sur la méthode, alors qu'elle prétend hypocritement que l'essentiel est dans l'élève. De nouvelles méthodologies non testées semblent avoir des pouvoirs magiques pour créer de grands citoyens, idéaux pour l'Agenda 2030. C'est une absurdité. L'enseignant s'efface, réduit à un rôle sordide d'accompagnateur, de coach émotionnel et de promoteur des applications numériques que les tout-puissants GAFAM ont introduites dans l'enseignement public, sans aucune résistance ni examen critique.

El Viejo Topo, 2023.

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lundi, 04 septembre 2023

Les "plans d'éducation": tuer les corps et les âmes

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Les "plans d'éducation": tuer les corps et les âmes

Par Juan Manuel de Prada

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/planes-educativos-matan...

Un ami m'envoie une vidéo humoristique dans laquelle un journaliste sardonique présente son micro à des lycéens, leur demandant de répondre à des questions aussi difficiles et alambiquées que: "Quels étaient les noms des Rois Catholiques?", ou "Qui a écrit Lazarillo de Tormes?". Certains de ces jeunes ont fui le harcèlement du journaliste, honteux de leur ignorance; mais il y a eu, aussi, ceux qui ont répondu des absurdités les plus diverses, tantôt avec une timide insécurité, tantôt avec une fière garrulería. Je pensais qu'il s'agissait d'un canular, mais plusieurs de mes amis professeurs de lycée confirment qu'il y a parmi leurs élèves des enfants qui ne sauraient pas non plus répondre à ces questions élémentaires.

Selon les "plans éducatifs" actuels, un étudiant en lettres ne reçoit que trois heures de langue et de littérature par semaine, et il peut facilement terminer ses études sans avoir lu nos classiques. Le latin (sans parler du grec) a été supplanté, au mieux, par un pastiche de futilités, avec un zeste de mythologie, un zeste de "culture classique" et quelques rudiments de langue qui atteignent à peine le niveau des déclinaisons. La philosophie n'est pas mieux lotie, si bien que la dernière génération de bacheliers peut terminer ses études sans avoir jamais entendu parler de Platon ou de saint Thomas d'Aquin. L'histoire a également vu ses plages horaires réduites, afin de pouvoir placer toutes ces choses superflues qui intéressent l'ingénierie sociale actuelle (du séparatisme à la soi-disant "mémoire démocratique"). En bref, les sciences humaines ont été presque complètement amputées et réduites à une présence "testimoniale".

Une telle amputation est inhumaine, aussi inhumaine que d'enlever un organe vital sain à une personne ou de la condamner à l'amnésie. On peut penser qu'une telle amputation est quelque chose d'innocent, un détournement de la pédagogie moderne perpétré sans malice, par une sorte de frivolité naïve. On peut aussi penser qu'une telle amputation a été savamment préparée dans un but inavouable. Les sciences humaines expliquent ce que nous sommes, élucident notre généalogie intellectuelle et spirituelle, nous offrent un diagnostic lucide du temps présent, en nous montrant la réalité dont nous sommes issus. Les reléguer au grenier des vieilleries inutiles, comme l'ont fait les "plans éducatifs" successifs du malheureux Régime espagnol de 78 (suivant, bien sûr, les directives émanant du pourrissoir européen), c'est condamner plusieurs générations à sortir de notre réel.

Et là, il faut se poser une question très succincte: "Cui prodest ? Qui profite de cette dévastation ? Qui a décidé de priver ces jeunes du patrimoine culturel qui les explique, en les avilissant en retour avec des divertissements grossiers qui vermoulent leurs âmes et des chimères genderistes qui mutilent leurs corps ? Qui a décidé de tuer leurs âmes et leurs corps, tout en les conduisant vers la barbarie ?

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dimanche, 30 juillet 2023

Quelques fléchettes contre le pédagogisme

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Quelques fléchettes contre le pédagogisme

Carlos X. Blanco

Depuis de nombreuses années, je dénonce le caractère pseudo-scientifique de la pédagogie. Les "sciences de l'éducation" sont si nombreuses et si disparates qu'aucune d'entre elles, pas plus qu'une somme intégrale de toutes, ne semble pouvoir s'ériger, légitimement et sans appel, en discipline capable de prescrire la manière dont nous devons enseigner: ni le quoi, ni le comment, ni le quand, ni le où enseigner...

Si l'on choisit l'une de ces "sciences de l'éducation" comme connaissance principale ou directrice des autres (psychologie, sociologie, neurosciences, didactique...), il faudra se rendre honnêtement et objectivement à un fait : il n'existe pas de théorie psychologique "unique" de l'éducation, ni de théorie sociale unique ou de conseils didactiques sur ce qu'il convient d'enseigner. Il n'y a pas non plus de consensus scientifique sur la meilleure façon de procéder, sur les meilleurs outils à utiliser, etc. Comme pour toutes les autres connaissances sociales et humanistes, le tableau est complexe. De multiples "paradigmes", des approches et des modèles variés et contradictoires. L'enseignant n'a que l'embarras du choix... Et ce choix arbitraire d'un modèle ou d'une théorie n'est pas, d'un point de vue gnoséologique, très encourageant.

Cependant, à chaque nouvelle phase de réajustement du capitalisme occidental, et très concrètement, à chaque nouveau cycle politique en Espagne, la corde se resserre et l'École de base (et par extension, le Secondaire et l'Université) est soumise à un nouveau démantèlement. Le fait pur et simple que l'éducation espagnole se dégrade (moins de connaissances et plus de "compétences" ou de "connaissances de base", moins d'efforts intellectuels et plus de "gamification" et de "culture des notes") ne peut être éclairé qu'à la lumière d'une seule cause explicative: le néolibéralisme.

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Le néolibéralisme démantèle l'École. Un exemple: l'UDL ("Universal Design for Learning").

Les puissances mondialistes ont trouvé la formule magique. Ils ont supprimé les centres d'éducation spécialisée. Les spécialistes des enfants en difficulté sont supprimés. Plus de pédagogie thérapeutique. Plus d'argent pour créer des classes spécifiques, avec du personnel et du matériel spécialisés, des espaces pour répondre aux besoins éducatifs particuliers. C'est une question de temps. Sous une couche de vernis ultra-progressiste, c'est-à-dire après avoir soi-disant déclaré la guerre aux discriminations, réelles et inventées, on sort un nouveau jargon, et inventer des jargons est la seule spécialité dans laquelle les pédagogues sont experts comme avec l' "Universal Design for Learning" [UDL.].

Qu'est-ce que l'Universal Design for Learning? En clair, la conception universelle de l'apprentissage est la justification verbale et pseudo-scientifique de l'élimination de l'attention éducative spécifique accordée à ceux qui en ont réellement besoin.

La démarche néo-libérale ne peut passer inaperçue que pour un spectateur intoxiqué par le jargon de l'ultra-progressisme: nous sommes tous différents, nous dit-on, chaque membre de notre espèce a son "profil de sortie" (un concept qui rappelle les idées idiotes sur la "traçabilité" des produits commerciaux) et, sur la base de ces hypothèses pseudo-scientifiques, l'enseignant dans la classe doit obtenir des choses différentes de la part d'enfants différents. Il n'est pas question de "demander la même chose à tout le monde". Il s'agit d'un effort à l'ancienne pour s'élever au-dessus de ce que vos gènes ou votre classe sociale ont prédéterminé. Le néolibéralisme inhérent à l'UDL consiste à généraliser une tromperie: que les enseignants ne traumatisent pas ceux qui "partent de leur propre profil" (lire, partent de très mauvaises situations socio-économiques et cognitives). N'élevons personne. L'éducation ne sera plus un ascenseur social (du moins pour certains). Cherchons le bonheur chez les enfants, surtout l'adaptation au système (un système qui est, de plus en plus, un cyber-système), quelle que soit leur ignorance flagrante. En attendant, fermons les écoles spécialisées et évitons de "sortir" les élèves de leur groupe de référence (qui n'est généralement qu'une classe d'âge) pour ne pas les discriminer. Qui "mange le gâteau" ? L'enseignant, c'est évident. L'enseignant va "concevoir" une classe et un programme différents pour chaque enfant de son père et/ou de sa mère ou de son parent. Telle est la nouvelle pédagogie, celle qui est imposée en Espagne avec force de loi (la LOMLOE, 2020).

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Quels sont les fondements de cette réglementation étatique obligatoire? Les ornements pour habiller, adoucir et couvrir cette nouvelle astuce néolibérale? C'est très simple: le grand ornement de notre époque est le préfixe "néo". Dans les années 70 et 80, on préférait tout préfixer par "psycho". C'était l'essor des sciences "psy". Aujourd'hui, comme toutes les modes américaines, le préfixe ornemental et immédiatement porteur de prestige et de clinquant est "neuro". C'est la mode du "neuro". On parle de "neuroéthique", de "neuroéconomie", etc. L'UDL prétend s'appuyer sur "trois réseaux neuronaux" (trois seulement, comme s'il n'y en avait pas des millions dans nos cerveaux !): la reconnaissance, l'émotion et la stratégie. Qu'il y en ait trois et pas quatre ou dix, ou cent, est absolument arbitraire. Législateurs et pédagogues tentent de faire passer pour de la science ce qui n'est qu'une proposition issue des neurones de deux professeurs de Harvard, d'un couple de pédagogues et de psychologues (qui, soit dit en passant, sont étroitement liés au "numérique"). Sachant que dans le domaine universitaire de la psychologie et des "sciences de l'éducation", les modèles (et non les théories définitivement établies) se comptent par centaines ou milliers, il est significatif que la LOMLOE, loi copiée-collée et traduite automatiquement - dans tous les sens du terme "automatiquement" - de l'UNESCO et des instances "supranationales", impose un modèle unique, tout à fait dans le sens "supranational" du terme. La loi, traduite automatiquement - dans tous les sens du terme "automatiquement" - de l'UNESCO et des organismes "supranationaux", impose un modèle unique, très concret et très discutable, celui de ces deux figures de Harvard, que les enseignants doivent mettre en pratique de manière moutonnière et sans esprit critique.

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Il y a des auteurs, comme Alberto Royo et Santiago Moreno Castillo, qui dénoncent depuis longtemps ces erreurs et ces démarches arbitraires des pédagogues. Des erreurs qui, à mon avis, seraient risibles si la culture en général et la culture épistémologique en particulier étaient plus élevées dans le public et, plus particulièrement, chez les enseignants. Alberto Royo vient de décocher une brève fléchette (Contra el Pedagogismo, Letras Inquietas, 2023) qui touche la cible du problème : le problème qui n'est autre que la détérioration que le néolibéralisme est en train de provoquer dans l'éducation espagnole.Nous attendons de nouvelles fléchettes et de nouveaux missiles contre cette fraude qu'est la pédagogie.

Adáraga : http://adaraga.com/un-dardo-dirigido-contra-la-pedagogia/   

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mardi, 11 avril 2023

Diego Fusaro: Pourquoi le capital aspire-t-il à détruire l'école?

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Pourquoi le capital aspire-t-il à détruire l'école?

Diego Fusaro

Source: http://adaraga.com/por-que-el-capital-aspira-a-destruir-la-escuela/

La pédagogie néolibérale dégrade l'école en tant qu'entreprise destinée à produire des compétences adéquates pour le fonctionnement du système. Elle célèbre donc le stockage des compétences et la primauté de l'action: elle dissout toute figure de la connaissance non liée au pragmatisme de l'efficacité.

C'est ainsi que triomphe sur tout l'horizon ce que l'on pourrait définir comme une "culture barbare", pour reprendre l'image de Veblen dans la Théorie de la classe oisive : une culture qui non seulement ne favorise pas l'émancipation de la société, mais qui la pousse dans la direction opposée, en réprimant tout désir possible d'échapper à la cage d'acier du monde réduit à la marchandise. Les anciens régimes brûlaient les livres : l'actuel, sous forme de marchandise, rend structurellement impossible la figure du lecteur.

Dans le triomphe de l'esprit de quantité sur l'esprit de finesse, le capital ne peut accepter l'existence d'esprits pensants autonomes, de sujets éduqués, dotés d'une identité culturelle et d'une profondeur critique, conscients de leurs racines et de la fausseté du présent. En d'autres termes, il ne peut accepter le profil bourgeois antérieur de l'homme éduqué, enraciné dans sa culture historique et ouvert à l'avenir dans la planification.
Elle aspire au contraire à voir partout les mêmes, c'est-à-dire des atomes consommateurs sans identité et sans culture, de pures têtes calculatrices et irréfléchies, capables de ne parler que l'anglais des marchés et de la finance et incapables de remettre en cause l'appareil technico-économique dans sa totalité expressive.

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C'est dans ce même cadre cognitif qu'il faut insérer le phénomène des soi-disant "universités numériques", qui offrent à leurs étudiants des cours à distance et des diplômes obtenus sans jamais avoir mis les pieds dans les espaces concrets de l'université comme lieu de discussion et de comparaison, de dialogue et d'exercice de la critique.

La nouvelle figure numérique, de ce point de vue, favorise les processus d'individualisation de masse, en neutralisant l'élément de confrontation humaine et de concentration des étudiants dans les mêmes lieux et, dans l'ensemble, en réduisant de plus en plus la connaissance à des modules pré-packagés administrés à distance, sans aucune relation humaine avec l'enseignant.

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C'est ce qu'ont théorisé, entre autres, Veen et Vrakking dans leur étude Homo zappiens : leur proposition théorique se concentre sur l'idée de rompre avec les formes pédagogiques traditionnelles et, selon eux, obsolètes, et d'adapter les lieux d'enseignement aux besoins de la génération du net. Internet et son modèle doivent donc remplacer les leçons frontales classiques avec lesquelles l'Occident a transmis le savoir doré de l'époque grecque au Moyen-Âge, de la Renaissance au 20ème siècle.

Au cours des vingt dernières années, l'école en Europe a été soumise à une dynamique radicale de corporatisation, qui l'a rapidement reconfigurée dans ses fondements mêmes.

D'un institut de formation d'êtres humains au sens plein, conscients de leur monde historique et de leur histoire, elle s'est transformée en une entreprise fournissant des aptitudes et des compétences inextricablement liées au dogme utilitaire du "servir à quelque chose".

Le phénomène de la "dette étudiante" qui caractérise les campus universitaires libéraux américains et la privatisation totale de la culture sont significatifs à cet égard. Les universités publiques et privées ne cessent d'augmenter les frais de scolarité, obligeant de fait les étudiants à s'endetter pour y accéder : ainsi, non seulement les universités sont transformées en avant-postes de la valorisation de la valeur et en usines à profit, animées par le désir d'avoir plus, désir célébré par le Second traité de gouvernement de Locke, mais les étudiants eux-mêmes se retrouvent prisonniers des mécanismes de captation de la dette. Ils deviennent, dès leur plus jeune âge, les esclaves d'une dette qu'ils tenteront (le plus souvent sans succès) de rembourser tout au long de leur existence.

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Dans le passage de l'Académie platonicienne et du Lycée aristotélicien aux écoles de commerce, on pourrait en effet diagnostiquer la parabole de l'Occident, à la merci du pathologique "pan-économisme utilitariste" théorisé par Latouche.

De l'éducation comprise au sens classique comme le développement complet et multiforme de la personnalité humaine, nous sommes passés sans effort à la formation comme accumulation intensive de compétences techniques et pratiques, fonctionnelles pour l'insertion dans le marché du travail instable, flexible et précaire.

Il en résulte une perversion du concept classique de l'école en tant que lieu où le temps est soustrait à l'emprise du profit et consacré à l'apprentissage en vue de la formation de soi.

À cet égard, il est utile de rappeler que les langues européennes appellent "école" (Schule, school, escuela) l'institution de formation primaire des jeunes, en référence directe au σχολή des Grecs, c'est-à-dire au temps libre, que les Romains définiront comme otium, et l'otium est, par essence, le contraire du negotium, qui est le temps occupé par l'entreprise au nom du profit. Le paradoxe de l'école à l'ère du capitalisme post-bourgeois est qu'elle se convertit de plus en plus ouvertement au principe du negotium, devenant une institution de préparation aux pratiques de travail et niant ainsi sa propre essence d'otium.

Même dans le cas de l'enseignement scolaire et universitaire, la règle générale du système chrématistique flexible et précaire s'applique : la corporatisation du monde de la vie se déroule en même temps que la dés-éthicisation du monde de la vie. La marchandisation intégrale repose sur la destruction des contraintes éthiques antérieures de la phase bourgeoise et sur l'apogée de l'individualisme consumériste.

L'introduction de la rationalité libérale dans la structure la plus profonde de la personnalité détermine l'occupation intégrale du matériel et de l'immatériel par la forme marchandise et son modèle calculateur et économiste corrélatif : ce paradigme imprègne intégralement le moi, mais aussi l'ego, la sphère magmatique et insaisissable des instincts et des pulsions ; il n'épargne pas non plus le surmoi, envahissant même le champ des questions morales et religieuses. C'est là que se situe ce que l'on a appelé la "néolibéralisation des sujets".

La pulvérisation de l'éthique et de ses racines va de pair avec la réoccupation de ses espaces par le système des besoins et la forme marchande. Cela se voit non seulement dans la redéfinition corporative des écoles publiques dans le cadre de l'ordre néolibéral, mais aussi dans la privatisation d'autres instituts éthiques fondamentaux tels que les systèmes pénitentiaire et hospitalier.

En ce qui concerne le premier, la monarchie du dollar est, dans ce cas également, à l'avant-garde du processus de post-modernisation : la privatisation du système pénitentiaire dans ce pays expose les prisonniers à un contrôle vexatoire, souvent clairement éloigné de la réglementation juridique et politique.

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Les coups brutaux et la malnutrition visible sont la règle et, dans l'ensemble, la mise en œuvre nécessaire du principe "business is business" : selon ce principe, le prisonnier cesse d'être considéré comme une personne à rééduquer et à réhabiliter, en vue de sa réinsertion dans la société civile, et commence à être considéré comme une ressource dont on peut extraire la plus-value.

Cela se traduit par la recherche spasmodique de nouvelles "ressources" à interner (pour qu'il n'y ait plus de places vides) et, par conséquent, par de nouvelles politiques répressives, y compris en ce qui concerne les soi-disant "délits mineurs".

En ce qui concerne le secteur de la santé, le régime libéral promeut, à son image, une "marchandisation" de plus en plus accentuée de la santé et de la vie. Cela permet d'affirmer que les soins de santé sont profondément malades : le soin, dans son acception spécifiquement scientifique (l'éradication de la maladie) et humaniste ("Sorge" comme modalité existentielle fondamentale, comme le suggère l'Être et le Temps), est remplacé par la figure corporative du profit comme finalité ultime de l'action.

La redéfinition libérale du paradigme médical produit des effets désastreux et hautement contradictoires, qui dépendent en fin de compte de la reconfiguration (toujours dans le sillage du modèle américain) de la santé, qui passe d'un droit du citoyen à un bien de consommation. Parmi les effets les plus regrettables, on peut citer la réduction drastique du personnel médical et infirmier, avec pour corollaire un ralentissement des délais d'intervention et un risque accru de mortalité pour les patients, devenus entre-temps des "consommateurs". Il ne faut pas non plus oublier que les crédits alloués à des maladies telles que le cancer et la réduction considérable des soins aux personnes handicapées et aux malades mentaux sont de plus en plus réduits.

Dans le second contexte, il est soutenu par l'émergence de la nouvelle figure de l'"entreprise de santé", qui remplace les anciens "hôpitaux" publics : plus généralement, le droit aux soins universellement reconnu pour chaque citoyen devient une marchandise disponible en fonction de la valeur d'échange, avec pour conséquence une croissance exponentielle à la fois dans le secteur de la santé de luxe de la chirurgie esthétique pour quelques-uns, et dans l'impossibilité, pour beaucoup, d'accéder à des traitements de base.

Diego Fusaro
Diego Fusaro (Turin, 1983) est professeur d'histoire de la philosophie à l'IASSP de Milan (Institute for Advanced Strategic and Political Studies) où il est également directeur scientifique. Il a obtenu son doctorat en philosophie de l'histoire à l'université Vita-Salute San Raffaele de Milan. Fusaro est un disciple du penseur marxiste italien Costanzo Preve et du célèbre Gianni Vattimo. Il est spécialiste de la philosophie de l'histoire, notamment de la pensée de Fichte, Hegel et Marx. Il s'intéresse à l'idéalisme allemand, à ses précurseurs (Spinoza) et à ses successeurs (Marx), avec un accent particulier sur la pensée italienne (Gramsci ou Gentile, entre autres). Il est éditorialiste pour La Stampa et Il Fatto Quotidiano. Il se définit comme un "disciple indépendant de Hegel et de Marx".

mercredi, 15 mars 2023

La numérisation de l'éducation et de la connaissance : un vol au détriment des citoyens

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La numérisation de l'éducation et de la connaissance: un vol au détriment des citoyens

Carlos X. Blanco

L'analyse de la connaissance aboutit au résultat évident suivant, en plein 21ème siècle : la connaissance se meurt. La conception de la science comme savoir est mise à l'écart, voire ridiculisée. Ce qui n'est plus que de la technologie se fait passer pour de la science, tant à l'université que dans l'enseignement secondaire.

Ce qui est dit ici sur l'éducation doit aussi s'appliquer à tout ce qui concerne les allocations budgétaires pour la recherche et le développement de projets. Les investisseurs recherchent la technologie et les "travailleurs de la connaissance" produisent de la technologie, mais pas de la connaissance. La connaissance est réduite au triste statut d'"épiphénomène mental". Déjà en Occident, depuis de nombreuses années, une partie importante de la guilde des "philosophes de la science" (considérablement élargie par les acolytes d'inventions telles que "STS", Science, Technologie et Société) n'a pas été en mesure de produire de la connaissance.

Les héritiers du pragmatisme yankee, ainsi qu'une partie significative du matérialisme (en Espagne, du matérialisme marxiste ou du matérialisme gustavo-buenista) n'ont cessé de mépriser la "connaissance", comprise par eux comme un résidu, un terme mentaliste, un écho de la scolastique. Cette corporation de plus en plus insignifiante de la philosophie, et plus encore celle des philosophes des sciences et des techniques (et des études STS), ont balayé la voie et rendu leur tâche servile et soumise pour que la déesse Technologie l'emporte et que le Système rejette toute visée admirative et humaniste dans les travaux de la science, qu'elle soit pure ou appliquée.

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La technologie est née humble, elle est aujourd'hui déesse. Le "discours" sur les "arts appliqués", qui est le sens du mot "technologie", s'est orienté à partir de la révolution industrielle vers une double exploitation : a) l'exploitation des ressources naturelles, et b) la rationalisation du travail productif. La technologie en tant qu'élément de la puissance du capital, et non en tant qu'application de la connaissance dans la sphère de la production manuelle et manufacturière, n'est pas de la connaissance. C'est une application des forces productives à des fins d'exploitation. Il n'y a pas de "savoir technologique", pas plus qu'il n'y a de fer fait de bois. Ce qui était autrefois un savoir, produit par des hommes qui ont usé leurs neurones, brûlé leurs cils, volé leurs heures de sommeil et de loisir, est aujourd'hui "aspiré" par les pompes du Capital et transformé en force d'exploitation. Nous devons commencer à voir le Capital comme une pompe à vide, comme une ventouse aliénante qui fonctionne comme un transducteur : il convertit une modalité énergétique (cognitive) en une autre (production via l'exploitation de la nature et de l'homme).

Aujourd'hui, nous sommes passés d'une production industrielle basée sur la transformation mécanique, chimique et biologique des entités, après l'application de la science dans les chaînes de production des usines, ainsi que dans la mécanisation des campagnes, la conservation des aliments, etc. à une autre phase dans laquelle l'exploitation de la "matière grise" est dominante et se transforme en exploitation au second degré.

C'est ce qui se passe dans le turbo-capitalisme : avant l'exploitation directe des travailleurs manuels et des ressources naturelles, qui se poursuit, il y a l'exploitation des travailleurs intellectuels. L'industrie mondiale a connu un degré élevé de robotisation des processus et de mécanisation des tâches. Après les armées, ce sont les multinationales qui ont copié la structure militaire pour informatiser la production et la gestion (la gestion n'étant qu'un aspect de la production). La conception même des produits et des profils professionnels, ainsi que la séquence et l'organisation de la production ont été médiatisées par l'ordinateur, un dispositif qui a la particularité non pas d'appliquer des forces mécaniques étendues, ou d'économiser le travail de l'homme, comme d'autres machines, mais d'usurper le travail cognitif humain et de le convertir en substance de la valeur d'échange. La "connaissance" ou le savoir personnel n'a guère de place dans le capitalisme informatisé et numérique. Chaque être humain possède son savoir personnel dans le monde pré-numérique et doit faire des efforts pour que les autres l'apprennent et pour que ce savoir soit enseigné. Dans le monde capitaliste numérisé, on assiste à un pillage du savoir personnel.

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Actuellement, les organisations mondialistes directement impliquées dans la "gouvernance mondiale" et qui servent d'écran et de masque pour cacher les grandes entités prédatrices de la finance et de la production (principalement l'UNESCO, mais il y a aussi toute une forêt d'acronymes), s'obstinent à imposer un agenda de numérisation qui ne se limite plus exclusivement aux chaînes de production, au marketing, au recrutement et à la formation de la main d'œuvre, etc. Le système impose la numérisation à partir de la base reproductive même de la main-d'œuvre.

L'éducation numérisée, contre toute évidence scientifique, est extrêmement nocive pour les enfants et les mineurs. Ils deviennent techno-dépendants (en Espagne, surtout des téléphones portables), ce qui les détourne des contenus académiques qu'ils devraient acquérir sérieusement et rigoureusement pour devenir des personnes critiques et responsables. Nous assistons à un processus de "gamification" : il s'agit d'un anglicisme absurde qui consiste à transformer l'éducation en jeu (game), c'est-à-dire à la banaliser au point d'en faire une formation consumériste des masses, afin qu'elles se lancent tôt et sans capacité élective, dans la consommation de "produits" numériques qui alimentent les grands secteurs des GAFAM et toute l'industrie cyber-électronique qui leur est liée.

Évidemment, ce processus de dégradation planifiée et imposée de l'éducation doit être interprété en termes de lutte des classes.

La numérisation de la production et de la reproduction (lire, dans ce dernier chapitre reproductif, l'éducation) est en train d'être imposée à la planète. Qui l'entreprend ? Une super-élite mondiale qui, dans une large mesure, se réservera les méthodes classiques d'apprentissage, à savoir la mémoire, la résolution rationnelle de problèmes, la compréhension écrite et la maîtrise des mathématiques. Les masses ne pourront rien faire de tout cela, elles seront étrangères à ces capacités. Les enfants de la super-élite mondiale, en revanche, seront élevés dans l'école classique et auront le privilège de pouvoir opter pour des études supérieures véritablement formatrices et habilitantes, plus adaptées à leur intelligence et à leurs intérêts, et avec une éducation classique dans les sciences et les humanités, réservée à un petit nombre, il y aura des rejetons qui remplaceront un jour les mandarins plus âgés de l'élite capitaliste. Seuls les quelques élus recevront une véritable éducation. Les autres recevront un papillon gamifié et numérisé. Le reste, l'immense majorité de l'humanité, à force de digitalisation forcée, deviendra du bétail humain qui ne sait rien de rien et qui aspire à la retraite avant même d'avoir travaillé : on le voit déjà en Espagne aujourd'hui avec les réformes successives initiées avec la LOGSE -1991- et l'impulsion obsessionnelle donnée à la digitalisation en cette "ère Sanchez".

Le turbo-capitalisme n'admet plus les "peuples", n'admet plus la "classe ouvrière", ne tolère plus le "savoir populaire". Le capitalisme dans sa phase actuelle a besoin, en plus de travailleurs "formés", de consommateurs également "formés". Les lois elles-mêmes cessent de parler de connaissances et se réfèrent à des compétences, des normes d'apprentissage et d'autres concepts stupides conçus pour des singes et non pour des enfants, membres de l'espèce humaine.

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Notez que la formation des masses, désormais assimilées à du bétail de consommation, consiste en la gestion d'applications, souvent duplicatrices (version payante, version gratuite), au profit d'un secteur privé multinational, étranger à la puissance publique. L'éducation, de la maternelle et du primaire à l'enseignement supérieur, est ainsi privatisée de manière irrépressible et secrète. Presque aucune institution éducative publique ne conçoit ses propres outils et plateformes numériques, ils sont empruntés ou "suggérés" par les grands fournisseurs de logiciels, presque aucune institution officielle d'éducation et de recherche ne fonctionne indépendamment des entreprises privées qui, généralement liées de manière ombilicale à la Silicon Valley, ont mis la main sur l'éducation publique et l'utilisent comme source de données et foyer de consommation.

La prise en charge par les États de l'enseignement public, gratuit et universel, a été partout perçue comme un acquis, un progrès. Sous les idéaux des Lumières, mais aussi sous les valeurs fondamentales du socialisme, l'objectif à atteindre par tous les pays du monde était le suivant : que le peuple ose savoir (Sapere Aude, devise des Lumières et de Kant). Que les classes paysannes et ouvrières aient les moyens et le temps de s'éduquer et d'éduquer leurs enfants, d'atteindre un niveau de connaissance égal, jamais inférieur, à celui de la bourgeoisie, tel était l'objectif. Mais aujourd'hui, le turbo-capitalisme s'emploie à creuser un fossé large et infranchissable entre la super-élite mondiale et une vaste masse non qualifiée, qui ne recevra même pas une formation élémentaire pour pouvoir utiliser (valoriser) sa force de travail. La masse sera socialisée par des appareils mobiles et toute une pléthore de dispositifs de contrôle bio-cybernétique. Il y aura un "profil" numérisé de chaque personne dans lequel les États, larbins de la super-élite mondiale, connaîtront à la perfection l'état de santé, sexuel, financier et consumériste de chaque individu. L'humanité sera réduite à un "parc" de loisirs, avec des entités zoologiques humaines, mais déshumanisées et numériquement dépendantes de l'enchevêtrement des fournisseurs d'applications.

Au fond, comprendre la numérisation de l'éducation et de la vie humaine dans son ensemble est une tâche simple à la lumière de la lutte des classes et de la transformation du capitalisme en turbo-capitalisme. Ce système ne peut exister avec des limites. C'est l'hybris, c'est l'audace orgueilleuse et débridée. C'est une marchandisation ou une réification universelle. Le système est une gigantesque machine réductrice et transductrice : il cesserait de fonctionner s'il admettait toute sphère non susceptible d'être valorisée. Le corps humain et les relations sexuelles sont déjà devenus un élément fondamental du marché : traite des êtres humains, "régularisation" de la prostitution, utérus de substitution, prothèses et chirurgies diverses pour "changer" de sexe, pornographie, tourisme pédophile international, trafic d'organes, harcèlement sexuel au travail sous peine de licenciement, droit de pernulation à l'université, etc. Mais le turbo-capitalisme ne se contente pas du corps, du sexe et des organes. La vie de l'esprit est marchandisée. Les processus de vampirisation du savoir humain et son automatisation au profit des entreprises sont accélérés.

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Par exemple : lorsque, dans les cours de formation des enseignants, ceux-ci sont "invités" à partager leurs tâches et travaux numérisés, à s'habituer aux "environnements collaboratifs", à échanger des "productions" entre égaux, il est rarement expliqué ce qui se cache derrière ce prétendu socialisme numérique (la culture dite des "Creative Commons", ou l'escroquerie) : des entreprises puissantes à qui l'on a confié gratuitement tout le travail préalable de conception et de développement d'applications qu'elles proposeront ensuite au marché dans leurs deux versions types, la "premium" (payante) et la gratuite, qui n'est jamais gratuite car elle a bénéficié de l'esclavage numérique jamais reconnu par les économistes.

Aujourd'hui, la lutte des classes est plutôt un "massacre de classe". C'est un processus de prédation obscène, nu, sans complexe. Elle aggrave l'exploitation du travail salarié. Il s'agit d'un vol non seulement du surplus, non seulement de la plus-value émanant directement de l'exploitation des forces de travail transformatrices. Il s'agit du vol de la connaissance au sein d'un marché qui n'est pas seulement une pléthore de biens interchangeables, mais une richesse de données, de connaissances, de compétences, d'expériences. Les prédateurs (GAFAM et autres entreprises technologiques transnationales) obtiennent leur matière première gratuitement. Le peuple, réduit de plus en plus à une masse d'individus déclassés, est dépouillé des moyens de son auto-émancipation, il devient dépendant, technoconsommateur et techno-dépendant.

Ainsi, le savoir se meurt. Et seule la technique, c'est-à-dire la transformation universelle en marchandise, règne en maître. L'homme est déjà une marchandise.

Carlos Javier Blanco

carlosxblanco@yahoo.es

vendredi, 17 février 2023

La pédagogie est une pseudo-science

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La pédagogie est une pseudo-science

Carlos X. Blanco

Imaginez que lorsque vous souffrez d'une maladie grave, vous soyez traité à la clinique de la sécurité sociale par un charlatan au lieu d'un médecin dûment accrédité et enregistré. La chose raisonnable à faire serait de prendre la poudre d'escampette et de ne pas tomber entre leurs mains.

Imaginez qu'à la tête du gouvernement de votre pays, de votre région ou de votre municipalité, au lieu de mettre en place le plus compétent des gestionnaires, doté de connaissances économiques et juridiques avérées et d'une grande expérience du service public, on mette en place un charlatan, un bandit avec dix ou douze maîtrises piratées, tapissées de diplômes de faux cours, de diplômes sans reconnaissance officielle, c'est-à-dire un marchand de fumée et un escroc obstiné. Vous devriez être le premier à le retirer de sa tribune et de son siège, à le prendre par les bretelles et le jeter hors de son siège.

Imaginez que l'ufologie, la "science" des soucoupes volantes, ou l'astrologie, la "science" du destin marqué par les étoiles, aient une reconnaissance académique officielle et de bonnes chances d'être dans le poste de commandement.

Il ne faut pas beaucoup d'imagination. Il y a suffisamment de personnes inutiles et incompétentes pour arrêter un train dans la bienheureuse Partitocratie espagnole de 1978. Les laquais de parti les plus stupides mais les plus efficaces et les moins bien formés ont été placés à la tête des ministères et des directions générales pour se conformer aux directives du FMI, de l'UNESCO, de l'OCDE, etc. Le plus stupide des pions de parti, né avec sa carte entre les lèvres, a reçu une casquette et une autorité et profite de sa position, nous ruinant tous. Et le cursus le plus insoupçonné ou le plus parcimonieux a servi à beaucoup à opter pour une casquette et à exercer une autorité, à s'asseoir dans des bureaux officiels et à sucer aux mamelles du public.

Il est choquant de voir où la pseudo-science a trouvé refuge. Je ne connais encore aucun ministre ufologue, astrologue ou chasseur de fantômes, mais nous y arriverons. Je connais pourtant une pseudo-science, peut-être pas différente de ces autres qui nous paraissent encore toute farfelues, une pseudo-science qui n'a fait qu'étendre sa sphère de pouvoir et de destruction. C'est la pseudo-science de la pédagogie.

Parlons de pédagogie ou de "sciences de l'éducation", cela n'a pas d'importance, c'est kif-kif bourricot.

À l'époque de ma jeunesse, les lois en vigueur à la fin du régime franquiste avaient réservé un accueil très discret et prudent à la "méthodologie" innovante, aux critères psychopédagogiques, aux aspects non strictement académiques mais psychologiques et didactiques de l'Enseignement. La réflexion pédagogique par et pour les enseignants du primaire et du secondaire eux-mêmes n'est pas mauvaise, mais elle ne suffit pas à créer toute une "science de l'éducation".

En particulier, avant la désastreuse LOGSE (1991), les professeurs de l'enseignement secondaire étaient avant tout des "enseignants". Ils n'étaient pas des "éducateurs". Les enfants en âge de fréquenter l'école secondaire devaient venir de chez eux déjà éduqués, propres, soignés, bien entretenus et parlant bien. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. L'enseignant n'"enseigne" plus les mathématiques ou la philosophie, la langue ou la géographie... Il doit "s'occuper de la diversité", "apprendre à apprendre" et "enseigner pour apprendre à apprendre". A côté de cela, on demande à l'enseignant d'"innover méthodologiquement", de promouvoir "l'intelligence émotionnelle" des enfants et de lui-même, de "prévenir le machisme, la xénophobie, la cyberintimidation et le suicide"... Et il doit faire toutes ces choses, toutes, sauf professer véritablement sa science et la transmettre.

La pédagogie en tant que pseudo-science a éliminé l'enseignant. Lisez les directives émanant de l'UNESCO et de mille entités mondialistes prêtes à transformer le monde, c'est-à-dire prêtes à le faire disparaître: l'enseignant est un "médiateur". En devenant "éducateur", alors que peu d'enfants sont éduqués à la maison, ce pauvre travailleur de l'éducation admet un changement de rôle, et est contraint de changer: il est désormais un dynamiseur, une vedette des "stratégies", des "aptitudes", des "compétences".

Je voudrais dire à tous les éducateurs, même les plus sérieux et responsables, il y en a, que leurs connaissances ne sont pas des connaissances et que l'apport terminologique (de plus en plus abscons et ridicule) qu'ils promeuvent est nuisible à la qualité et à l'intelligibilité de notre système éducatif. Qu'ils le veuillent ou non, consciemment ou inconsciemment, les pédagogues deviennent les agents les plus efficaces de l'ingénierie sociale et de l'infâme Nouvel Ordre Mondial. Ils devraient, nous devrions tous être très conscients de ce qui suit: un quota de "spécialistes", une guilde d'experts dans une simple formalité (et qu'est-ce que l'éducation, si ce n'est une simple formalité, si l'enfant n'est pas déjà éduqué à la maison, éduqué par son père et sa mère? Une dégradation qui va de pair avec celle de la santé, de l'ordre public, de la justice et de mille autres domaines de ce qu'on appelait autrefois l'État-providence.

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L'éducation, en particulier l'enseignement secondaire, est une affaire de spécialistes dans différentes branches du savoir, qui ne sont pas nombreuses mais toutes essentielles (mathématiques, philosophie, sciences naturelles, langue, histoire, art). Les spécialistes, surtout s'ils enseignent depuis des décennies, connaissent les méthodes qui se sont avérées efficaces, et ils les ont perfectionnées de manière empirique, d'une façon très personnelle et ineffable. Il n'existe pas de "méthodologie générale" d'enseignement et, par conséquent, il n'existe pas de science qui la connaisse et qui puisse donner des leçons au spécialiste. Si je suis un professeur qui enseigne la philosophie depuis quelques décennies, et que je connais certaines astuces et méthodes artisanales qui me conviennent bien lorsqu'il s'agit d'expliquer un sujet que je dois avant tout maîtriser scientifiquement, cela me suffit strictement. Vous devez en savoir beaucoup sur votre sujet, puis y mettre de l'humanité. Il n'y a pas d'autre secret. Je ne peux voir dans un pédagogue désireux de me donner des leçons "méthodologiques" (même s'il s'agit de conseils "méthodologiques") autre chose qu'un intrus ou un prétentieux. Le pédagogue est-il une sorte de "méthodologue général" ? Ce "scientifique" de l'éducation ne peut-il pas savoir ce qui est bon pour moi, dans ma spécialité, et en même temps savoir ce qui est bon pour le professeur de langue ou le professeur de sciences ?

En définitive, ce formalisme pédagogique, cette prétention démesurée à s'imposer, à s'élever au-dessus des spécialistes de nos domaines respectifs, jamais étayée par des résultats positifs tangibles, ne nous a apporté, du pédagogisme débridé initié par la LOGSE, et aujourd'hui devenu fou dans la LOMLOE, que des misères telles que celles-ci :

a) De nouveaux changements terminologiques, extrêmement pédants et déconnectés de toute science positive. Ils n'ont jamais précisé ce qu'est une "compétence", ce qu'est une "connaissance de base", ce qu'est une "aptitude", etc. Ce sont des magiciens de la confusion et de la supercherie, fondant tout sur le culte du charabia, s'appuyant sur l'utilisation de mots dénués de sens.

b) Le déni, le détachement de la réalité. Si les enfants n'étudient pas, ils ne doivent pas être grondés ou forcés à le faire. C'est l'enseignant qui doit "les faire regarder". Vous devez réviser votre "méthodologie", changer votre "programmation" (s'il vous plaît, que quelqu'un me montre qu'une programmation didactique a jamais été utile à quoi que ce soit !). En termes de comportement, c'est la même chose: si l'enfant est impoli, désobéissant ou "perturbateur", c'est l'enseignant qui doit le "conquérir". Mais si nous, les enseignants, depuis que la LOGSE (1991) a démenti le Maître adulte, en disant "nous ne sommes pas des éducateurs", que les enfants doivent venir déjà éduqués de la maison et que, sinon, ils seront renvoyés chez eux... alors il y aurait d'autres coqs qui chanteraient dans cette basse-cour.

c) L'ingénierie sociale. L'enseignant en tant que "médiateur", pas en tant que conférencier, pas en tant que personne sur un piédestal. L'École que nos pédagogues ont réalisée, partout en Occident, est désormais comprise comme un immense entrepôt où pourrit la jeunesse et non, par exemple, comme un sanctuaire où les enfants des classes défavorisées trouvent un ascenseur social (et c'était l'École espagnole et l'enseignement secondaire, de 1950, plus ou moins, jusqu'en 1991... un bel ascenseur social pour les humbles). L'ingénierie sociale, par la main des conseillers, pédagogues, inspecteurs et autres "dynamiseurs", va transformer les écoles en lieux de jeux, d'interaction avec les écrans, d'éducation affectivo-sexuelle et de prolifération d'ateliers contre les "fake-news", tout en organisant plus de voyages qu'une agence, mais aussi l'École devient un bidonville où les enfants ne savent pas faire un "O" avec le "O" correspondant. Tout cela contribue à l'ingénierie sociale, au destin noir que les Grands Seigneurs ont prévu pour l'Occident : une déqualification programmée (un concept sur lequel j'écris depuis de nombreuses années).

Il n'y a pas de "méthodologie générale de l'éducation" parce qu'il n'y a pas de science de l'éducation. Il n'existe aucune science de quoi que ce soit. C'est comme si vous me parliez d'une "science du bricolage" ou d'une "science de la tauromachie". Je n'accorde aucune crédibilité ou légitimité à cette pseudo-science, ni au jargon, ni aux recommandations et impositions de "spécialistes en tout" qui, à de nombreuses reprises, démontrent qu'ils ne savent rien.

Carlos X. Blanco

carlosxblanco@yahoo.es

16:42 Publié dans Ecole/Education | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, éducation, pédagogie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 19 janvier 2023

Les niveaux d'éducation en Europe occidentale continuent de baisser rapidement, selon des études

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Les niveaux d'éducation en Europe occidentale continuent de baisser rapidement, selon des études

Peter Logghe

Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94

Dans plusieurs États membres de l'UE - et, sans coïncidence, tous se situent en Europe occidentale - des signaux d'alarme sont tirés en ce qui concerne les niveaux d'éducation. Dans une "note d'information", les collaborateurs du ministre français de l'éducation, Pap Ndiaye, affirment que non seulement les connaissances en mathématiques chutent de manière spectaculaire, mais aussi celles de la langue française : "Les élèves évalués dans le cadre des compétences linguistiques en 2021 sur la base d'une dictée en français obtiennent de moins bons résultats que les élèves de la même évaluation en 1987, 2007 et 2015".

La note d'information repose sur une dictée, qui est restée la même au cours des années mentionnées. Une douzaine de lignes, 67 mots et 16 phrases. Aujourd'hui, les élèves font en moyenne 19,4 erreurs, 18 erreurs en 2015, seulement 14,7 en 2007 et 10,7 erreurs en 1987. Le nombre de "bons élèves", en particulier, s'est effondré. Alors qu'en 1987, 30,7 % des élèves faisaient moins de 5 fautes en moyenne, ce chiffre est tombé à 15,6 % en 2007, et atteint à peine 7 % aujourd'hui.

Plusieurs pédagogues français, comme Robert Redecker ou Jean-Paul Brighelli, parlent de "la mort programmée du système éducatif". Non seulement l'immigration, mais aussi les expériences de Mai 68 ont fait que nos écoles ne transmettent plus de connaissances, mais offrent seulement un espace coûteux d'ergothérapie. Est-ce si différent en Flandre ?

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Les experts tirent la sonnette d'alarme sur le niveau d'éducation dans les écoles primaires allemandes

Des experts allemands de l'éducation ont demandé au gouvernement fédéral allemand de s'attaquer de toute urgence à la tendance négative de l'éducation dans les écoles primaires. De nombreux enfants ont des bases insuffisantes en langue allemande et en mathématiques. Les experts Felicitas Thiel et Michael Becker-Mrotzek (photo) ont présenté un résumé de leurs recherches scientifiques lors d'une conférence des ministres à Berlin. Les écoles primaires parviennent apparemment de moins en moins à enseigner les compétences de base aux enfants.

L'IQB-Bildungstrend et l'étude de l'Institut Robert Koch sur la santé des enfants avaient déjà montré qu'un enfant sur cinq ne possède pas les bases de la langue allemande et des mathématiques. Et un enfant sur quatre présenterait un risque accru de troubles du comportement dans les mêmes études. L'une des raisons du déclin marqué de l'enseignement allemand serait la proportion de plus en plus élevée d'enfants issus de familles non germanophones. En Allemagne, cela concerne actuellement un enfant sur cinq, avec une tendance à la hausse.

vendredi, 10 juin 2022

La famille: crise ou transformation? Des idées pour vaincre par la verticalité

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La famille: crise ou transformation? Des idées pour vaincre par la verticalité

par Giovanni Terlizi

Source: https://www.centrostudipolaris.eu/2022/06/02/famiglia-crisi-o-trasformazione-idee-per-un-superamento-con-verticalita/

    La crise actuelle de la famille et de son institution peut devenir l'occasion de revenir à une approche plus "platonique" de l'éducation des jeunes.

    Mais quel type d'éducation doit-on donner aux enfants ?

    Aucune éducation ne sera efficace si elle reste clouée au dualisme idéologique et aux schémas qui prévalent encore.

"L'eugénisme répugne à ceux qui craignent son verdict" - Nicolàs Gòmez Dàvila

La crise actuelle dans la définition de la famille et de l'institution qu'elle représente peut devenir une opportunité pour une transformation et une approche plus "platonique" de l'éducation des jeunes. Mais quel type d'éducation doit-on donner aux enfants ? Aucune éducation ne sera efficace si elle reste rivée au dualisme idéologique et aux schémas qui prévalent encore aujourd'hui.

Prisonniers des vieux schémas socio-éducatifs

Le modèle actuel selon lequel les jeunes sont éduqués est issu de logiques schématiques anciennes. Essayons de comprendre sa genèse.

La "Droite" - si elle connaît sa matrice - est pour la "Transcendance Immanente" (Transcendance Absolue) et cherche à établir un Centrage de type "Transcendant" qui régit le Devenir qui, lui, est dans l'immanence, contrairement à la "Gauche" qui - si elle connaît sa matrice - est plutôt pour l'"Immanence Transcendantale" (c'est-à-dire l'Immanence Absolue). Cependant, cette "Immanence absolue" de la "Gauche" n'implique pas nécessairement la société nivelée et horizontale, mais est plutôt une Verticalité qui, au lieu de partir de la "Centralité du Sujet" avec lui-même et avec les autres, est produite dans l'immanence de la Multiplicité et de la "Multiplicité du Devenir", comme un "Processus de Verticalité sans Sujet". Un exemple de cette "verticalité sans sujet" de la "gauche" peut être trouvé chez les Situationnistes, ou même chez Carmelo Bene et sa "verticalité du verso".

La "gauche" du "syndicalisme révolutionnaire" venait du socialisme, mais a pourtant créé une doctrine hiérarchique - c'est parce que la "gauche" du "syndicalisme révolutionnaire" a compris que le socialisme et la gauche n'impliquent pas du tout la "société horizontale" dans laquelle nous vivons aujourd'hui. En fait, la "société horizontale", plutôt que d'être le fruit du socialisme, est le fruit de l'actionnisme et du "Parti d'action", c'est-à-dire de cette collaboration entre libéraux et socialistes que l'on retrouve ensuite aussi dans la "société ouverte" de Karl Popper et dans l'"Open Society" de George Soros (Soros lui-même, d'ailleurs, était un étudiant de Karl Popper).

En outre, nous avons l'une des premières formes de "société ouverte" dans la logique de la technocratie du Vatican: nous pouvons dire que le Vatican est l'une des premières formes de "société ouverte", mais nous devons souligner que le vaticanisme commence bien avant le catholicisme et qu'il s'agit de "l'idée technocratique" de "négocier avec la divinité", la même idée qui s'était répandue dans le sénat corrompu de l'empire tardif et qui a ensuite généré l'immigrationnisme du "Ius Soli romain", qui a ensuite jeté les bases du "baptême universel" et du monothéisme du catholicisme romain et du christianisme, ce même marchandage avec la divinité que nous retrouvons plus tard dans la "vente des indulgences".

Cela ne veut pas dire que tout le patrimoine culturel, spirituel et artistique du catholicisme doit être rejeté - en fait, cet article commence par la phrase même de Nicolás Gómez Dàvila, qui était un philosophe catholique, connu pour ses aphorismes. Comme nous le voyons clairement, ce qui est important se situe toujours dans la dimension de l'Esprit, et non dans l'étiquette à laquelle appartient une personne ou une pensée.

indjesex.jpgLa version la plus forte et la plus emblématique du vaticanisme est le jésuitisme. Les Jésuites sont nés en tant que bras armé de la papauté à une époque de crise pour le Saint-Siège. Le jésuitisme est cette pratique dans laquelle l'habileté diplomatique du Vatican oriente les "tendances" de la société par des choix politiques et sociaux qui solidifient la relation structurelle entre l'Église et l'État. Voyez en ce sens comment un pape jésuite comme Bergoglio est étroitement lié à la vague de néo-humanitarisme progressiste et actionniste de notre époque.

La "société nivelée" - et donc la "société horizontale" - est ce que l'anarchiste Max Stirner a défini comme la "société en haillons", où le terme "en haillons" désigne une société dans laquelle la verticalité a été supprimée, et ce qui est réalisé à la place est l'incapacité du "Vivant" à étendre son pouvoir d'une manière plus affirmative, verticale et élevée. Rappelons que Max Stirner est issu de la "gauche hégélienne" de Marx, Feuerbach, Bakounine, Bruno Bauer, etc.

La société qui a conçu l'actionnisme et le parti de l'action était une société très semblable à celle d'aujourd'hui, dans laquelle les vivants sont comme des voitures coincées dans un embouteillage, et où les "choix personnels" sont produits par des tendances et des courants - c'est-à-dire par la "file d'attente" qui se forme - et par conséquent, ces choix ne peuvent être faits par la Tradition (comme le voudrait la droite), et encore moins par les instances socialistes de la Révolution (comme le voudrait la gauche).

Le modèle critique actuel avec lequel on procède à l'éducation des jeunes découle précisément de la perspective "actionnariale" qui prévaut actuellement. Voilà donc le besoin d'éducateurs et de tuteurs, capables de libérer les âmes du tourbillon produit par la "société ouverte", qui confond l'hospitalité avec le trafic d'êtres humains, habillé d'une sorte de movida touristique et post-sexuelle - l'Erasmus des esclaves - ce "trafic d'êtres humains" qui est pratiqué non seulement sur les immigrants, mais aussi sur ceux qui vivent dans leur propre nation. Reste le trafic de ce nouveau "capital humain" et ce nouveau tourbillon que l'on retrouve dans le "fondamentalisme immigré" de notre époque, habillé d'une sorte de messianisme progressiste post-identitaire qui remplace l'éducation (de e-ducere) par le formatage.

La famille et la nouvelle éducation des jeunes : le "Projet Solaris"

La crise actuelle dans la définition de la famille et l'institution qu'elle représente, avons-nous dit, peut et doit donc devenir une opportunité pour une approche plus "platonique" de l'éducation des jeunes, où l'enfant n'est pas élevé par les parents biologiques - qui sont très souvent plus intéressés par le fait "d'avoir un enfant" que par l'éducation elle-même. Cela fait partie de l'"ego robotique" qui, ayant peur de mourir, veut se répliquer comme un virus biologique ou un virus informatique. Un "ego robotique" qui veut prendre la place du "Moi divin" plus profond, spirituel et radical.

41Bc1uWRUcL._SX354_BO1,204,203,200_.jpgSous prétexte d'amour parental, la phrase "Roba mia, vienitene con me" du personnage de Mazzarò tiré de la plume de Giovanni Verga dans la nouvelle "La Roba" est fréquemment dissimulée. Mazzarò est un propriétaire terrien, maintenant un vieil homme, qui est sur le point de mourir et qui, n'acceptant pas de perdre tout ce qu'il a eu de sa vie, commence à tuer les canards et les poulets qu'il possède avec son bâton, en disant "Roba mia vienitene con me" . Un exemple typique d'un ego réactif et robotique.

Si l'objectif est l'éducation des jeunes pour qu'ils puissent découvrir l'eugénisme de l'Esprit, c'est-à-dire l'eugénisme qui n'exclut pas l'importance de la biologie, mais la traverse pleinement pour mieux la vivifier à travers leur propre "daimon intérieur" qui est dans l'Âme, alors il faut revenir aux tuteurs et aux gouvernantes, et surtout, les jeunes doivent vivre davantage avec leurs gouvernantes qu'avec leurs parents biologiques, car la généalogie la plus importante est la généalogie spirituelle, qui passe par l'aspect biologique - sans toutefois le supprimer - pour ensuite "renaître dans l'Esprit". En fait, l'Esprit n'est pas l'âme, mais l'"âme éveillée". Ce qu'il faut donc, c'est une discipline capable de réveiller les âmes de manière radicale, et cela peut se faire par le biais de mentors et de tuteurs.

Dans une proposition éducative nouvelle et "Verticale" - que nous appellerons "Projet Solaris" - nous pouvons envisager des camps de scouts visant à atteindre un style de vie philosophique, spirituel et communautaire. Une fois la figure du précepteur institutionnalisée, la figure d'un "intermédiaire" entre le précepteur et le parent biologique pourrait également être appropriée, puisque l'aspect du parent biologique ne doit pas être supprimé, mais est complété dans ceux du tuteur et du curateur.

18:27 Publié dans Actualité, Sociologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : famille, éducation, verticalité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 09 juin 2022

Le rejet du processus de Bologne et les convulsions idéologiques de l'élite

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Le rejet du processus de Bologne et les convulsions idéologiques de l'élite

Alexandre Douguine

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/rejection-bologna-process-and-ideological-convulsions-elite?fbclid=IwAR3e0i0ctc2K_xnV04MyAx2pbVwdyoUSAjQxy83p61YhJbOFtdOayDtS2zM

Parlons du rejet du processus de Bologne [NDLR : Il s'agit du processus de réforme du système d'enseignement supérieur au niveau international, qui a débuté en 1999 à l'Université de Bologne, dont il tire son nom. Cet accord a permis la mise en place d'un système presque unifié de reconnaissance et d'équivalence des qualifications académiques. De nombreux États européens adhèrent au processus, mais depuis trois ans, on assiste à un abandon progressif de la convention]. Le point central est une question de principe. L'introduction du système de Bologne faisait partie d'un projet global : la pleine intégration de la Russie dans le monde global, ce qui signifie l'adoption sans restrictions de toutes les normes et règles de l'Occident. Il ne s'agissait pas seulement d'éducation, mais de la principale stratégie du gouvernement russe depuis 1991. L'adaptation de tous les niveaux de vie - éducation, économie, culture, science, politique, technologie, mode, art, éducation, sports, médias - aux normes de l'Occident moderne était le principal objectif de toutes les réformes. Cela s'appliquait à tout et constituait l'objectif principal des autorités, tant sous Eltsine que sous Poutine. La mise en œuvre du système de Bologne est un élément mineur de cette stratégie globale.

Bien sûr, il y a une différence entre les années 1990 et les années 2000. Sous Eltsine, l'acceptation totale des normes et modèles occidentaux s'accompagnait d'une intégration dans le monde global et d'une volonté de tout sacrifier pour elle, y compris la souveraineté et l'indépendance. La standardisation est donc allée de pair avec la dé-souverainisation.

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Sous Poutine, la souveraineté a été proclamée comme la valeur la plus élevée, mais l'occidentalisation et la standardisation se sont poursuivies. Apparemment, suivant l'exemple de Pierre le Grand, Poutine a décidé d'utiliser la technologie occidentale pour renforcer le pays et, à un moment donné, en s'appuyant sur ces normes empruntées, de frapper un grand coup. Pierre lui-même a ouvert une fenêtre sur l'Europe pour les canons russes. Dans le même temps, Pierre brisait également la tradition russe, alors que Poutine a hérité d'une société dans laquelle la tradition était déjà brisée.

Si l'on accepte l'hypothèse selon laquelle Poutine poursuivait une stratégie consistant à copier le système occidental dans le but de renforcer la souveraineté russe, et il n'y a pas d'autre hypothèse intelligible, alors avec le début de l'OMU est venu le moment de vérité: il était temps de contre-attaquer, l'Occident, qui s'était entêté à essayer de nous arracher l'Ukraine en trompant et en hypnotisant la population naïve de la Petite Russie, était touché. Là encore, il y a un parallèle avec Pierre: celui qu'évoque la bataille de Poltava, modèle que la Russie actuelle s'entête à poursuivre depuis février 2022. Tout s'emboîte.

Cependant, il y a une différence entre le 18ème siècle et le 21ème siècle : la technologie occidentale moderne est inextricablement liée à l'idéologie, la technologie elle-même porte un code clair de globalisme et de libéralisme. Ni les biens ni les objets ne sont idéologiquement neutres, et encore moins les méthodes d'enseignement et les disciplines universitaires, que la Russie actuelle a servilement copiées au cours des 30 dernières années. Au début, c'était un signe de défaite, puis un "plan astucieux" pour se concentrer et se préparer à une attaque en représailles. Maintenant, que faire de ces éléments, technologies et institutions que la Russie a copiés de l'Occident ? Pas seulement le système éducatif, mais tout le reste : les technologies de l'information, les institutions financières, les codes culturels, les mécanismes du marché, la mondialisation de la main-d'œuvre et de l'approvisionnement en énergie, et même la démocratie elle-même, le parlementarisme, les élections, les droits de l'homme, bref, tout...

Après 30 ans de domination de cette stratégie particulière, la Russie n'a rien, ou presque rien, qui lui soit propre. Le système de Bologne n'est qu'un syndrome. Dans ce problème, comme dans un miroir, on peut voir tout le reste.

Alors que faire des normes occidentales dans une situation où l'Occident nous a jetés et où nous devons lui donner une réponse civile globale ?

C'est généralement le principal problème aujourd'hui. Il est devenu si aigu avec le début de l'opération militaire spéciale et, à son tour, notre propre victoire en dépend directement. Après tout, même les relations avec Kiev, malgré toute sa folie depuis Maidan 2014, nous renvoient à ce dilemme.

Moscou insiste : soyez avec nous.

Kiev demande : où allez-vous, car nous pouvons décider d'être avec vous ou de ne pas être avec vous ?

Moscou répond : nous allons vers l'Occident, vers le monde global, et c'est pourquoi nous standardisons tout. Nous avons également introduit le système de Bologne.

Kiev proteste : si vous allez vers l'Ouest, nous y allons aussi, nous sommes plus proches, et maintenant nous aurons, nous aussi, le système de Bologne.

Moscou commence à s'énerver : nous allons vous faire du mal !

Kiev n'abandonne pas et parle de lard, de "héros", de voyages sans visa et... de Bandera.

Nous le savons tous.

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Mais il s'agit de répondre à la question raisonnable de Kiev : où allez-vous ? Si la Russie va à l'Ouest, toutes les autres nations fraternelles sont parfaitement capables de le faire par elles-mêmes, sans elle. Il est assez facile de traduire des manuels et des guides occidentaux de l'anglais ou du chinois en ukrainien, en kazakh, en tadjik et même en tchétchène ou en tatar. Le russe comme intermédiaire n'est pas du tout nécessaire.

C'est pourquoi sous Eltsine, tout le monde nous fuyait, mais c'est aussi pourquoi ils ne se précipitent pas vers nous sous Poutine, car tant que nous sommes encore dans le paradigme occidental, tout le monde veut aussi aller à l'Ouest.

Aujourd'hui, ce slogan s'est effondré. Il s'avère que nous n'irons pas nous-mêmes, et l'Occident non seulement ne nous attend pas, mais il nous déteste avec férocité - d'où la vague frénétique de russophobie, inaugurée par l'Opération militaire spéciale.  Mais pendant 30 ans, nous avons marché et dit que nous marchions, à nous-mêmes et aux autres, dans la direction de l'Occident. Maintenant, la direction est devenue claire et les responsables de l'OMS s'empressent de se montrer comme des patriotes radicaux. À bas le système de Bologne. Mais tout cela ne semble-t-il pas trop facile ?

Tout d'abord, nous pouvons et devons supprimer le système de Bologne (nous, les patriotes, nous battons pour cela depuis longtemps), mais revenir simplement au modèle soviétique n'est pas du tout une solution, c'est même impossible et inutile. Nous avons besoin d'une idéologie claire de l'éducation qui correspond à la Russie en tant que civilisation, et en tant que civilisation qui a défié l'Occident. Qui, parmi les fonctionnaires du ministère de l'éducation, peut réfléchir ne serait-ce qu'un instant à des questions aussi graves ? On ne trouve pas de telles personnes dans la nature.

Deuxièmement, le système de Bologne concerne la forme de l'éducation, mais n'affecte en rien le contenu. Revenir aux normes spécialisées et soviétiques et maintenir le contenu libéral des humanités de base est absolument absurde. Le système de Bologne a été conçu pour synchroniser le libéralisme et le mondialisme inhérent au contenu de l'éducation avec les formes d'apprentissage et d'évaluation généralement acceptées en Occident. L'éducation est le principal instrument de pouvoir sur les esprits. Ce n'est pas une coïncidence si, au cours des 30 dernières années, les libéraux ont formé une armée d'éducateurs comme agents d'influence libérale. Toutes les institutions éducatives russes, principalement les universités, en sont remplies. Dirigés par les services spéciaux occidentaux et soutenus activement par des fondations qui leur sont associées, comme dans le cas de Soros, mais pas seulement, ils ont accordé la plus grande attention au contenu, c'est-à-dire aux paradigmes idéologiques. Et ce n'est pas une question pour les bureaucrates. Ni, je le crains, aux Tchécoslovaques, car quelle a été leur éducation ? D'un genre particulier ? Oui, le patriotisme était mis en avant, mais qui s'est occupé du contenu idéologique ? Une fois encore, le retour aux anciens cadres soviétiques n'est pas une option. Ces personnes sont souvent respectables, mais elles ne comprennent que partiellement le nouveau monde, même si le vecteur éthique a été préservé. Cela, hélas, ne suffit pas.

Troisièmement, même si nous supposons que les autorités réalisent la gravité du problème de l'éducation souveraine, autrefois à la merci des agents libéraux, et qu'elles s'en préoccupent réellement, le problème ne peut être résolu sans transformations similaires dans d'autres domaines. Comment est-il possible de dé-libéraliser l'éducation et de maintenir en même temps les normes libérales occidentales dans tous les autres domaines de la vie ? Le marché, le capitalisme, la numérisation, l'intelligence artificielle, la croyance non critique dans le progrès scientifique et technologique, la robotisation, finalement la démocratie, le parlementarisme, la société civile et les droits de l'homme sont tous des copies des normes libérales occidentales et sont si profondément ancrés dans la société que la simple pensée de devoir les éradiquer horrifierait toute personne au pouvoir, et certainement pas le peuple (qui comprend tout plus clairement et plus simplement).

Cela conduit inévitablement à des convulsions idéologiques. Continuer à copier l'Occident et ses normes, standards et règles n'est plus possible. Nous avons été déconnectés de la mise à niveau et, de plus, les failles et les correctifs intégrés à la technologie ont déjà été activés pour s'autodétruire et effacer les données. Nous nous sommes fiés à cette technologie et avons été légitimement déçus. Alors nous nous sommes précipités désespérément vers la substitution d'importations, sous prétexte de construire pour nous un Occident moderne, égalitaire mais sans les LGBT+, voire avec eux mais dans une version " patriotique ", fidèle au gouvernement.

Rejetons ce satané système de Bologne occidental et mettons en place notre propre "système de Bologne russe", et ainsi de suite pour tout. C'est une solution très intelligente. Bien sûr, il y a une issue, mais le gouvernement doit d'abord s'assurer que ce qu'il propose aujourd'hui n'est pas du tout une escroquerie. Si nous ne commençons pas à penser souverainement, il s'agira de traduire le mode d'emploi d'un aspirateur en vieux slavon ou d'y attacher une cravate rouge.

Je me suis convaincu qu'il est totalement inutile et même pervers de donner des conseils à des personnes qui n'en ont pas besoin et qui, de plus, sont convaincues de tout savoir elles-mêmes. Nous devons donc nous préparer à un jeu de miroirs : rejet du système de Bologne, rejet du système de Bologne, rejet du système de Bologne, rejet du système de Bologne, et ainsi de suite jusqu'à la période suivante, pour toutes les autres substitutions d'importation. Lorsque ce cycle sera terminé, nous parlerons alors sérieusement des réformes de l'éducation. Et pas avec n'importe qui.

jeudi, 12 mai 2022

L'éducation dé(con)structive pour coloniser le peuple

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L'éducation dé(con)structive pour coloniser le peuple

Par Facundo Martín Quiroga

Source: https://kontrainfo.com/educacion-deconstructiva-para-colonizar-al-pueblo-por-facundo-martin-quiroga/

Une nouvelle année scolaire commence en République argentine, après deux années d'affectation très dure des processus d'enseignement et d'apprentissage en raison des politiques arbitraires de confinement et de restrictions. Sans une seule demande de retour à des classes normales - sachant le peu d'impact de l'ouverture des écoles sur les contagions - l'éducation a subi une baisse de qualité phénoménale dans toutes ses composantes, voire une annulation pure et simple.

Aujourd'hui, c'est à nous, enseignants, pleinement conscients que ce qui a été perdu est pratiquement irrécupérable, de réfléchir aux enjeux de notre domaine, sur le plan politique, géopolitique, géoculturel, économique et même démographique. Un processus de capitulation de l'éducation, en tant que formation de sujets critiques (un des mots les plus abâtardis par le dogme progressiste), est en cours, et les institutions mondialistes qui la commandent dans notre région du monde ont décidé d'appuyer sur l'accélérateur pour détruire la conscience des enfants, des adolescents et des jeunes.

Au cours de ces deux années, l'agenda post-moderne en matière d'éducation, même en milieu fermé, n'a cessé de s'étendre : avec la légalisation sur l'avortement, les politiques éducatives en rapport, par exemple, avec la santé sexuelle, les droits reproductifs et la diversité LGBT, ont été accentuées dans le domaine de l'ESI, avec plus de budget, plus de cadres militants en formation, et plus d'extrémisme dans les positions à prendre avec un net abaissement de la ligne contraire à ce que ces militances identifient comme des valeurs familiales traditionnelles, identifiées comme patriarcales, sexistes, etc.

Mais ce n'est pas seulement en termes de genre que l'agenda global de l'éducation s'est étendu : les conceptions des curricula ont également accentué les "transversalités" telles que l'éducation à l'environnement dans une clé mondialiste (les objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 font déjà partie des contenus depuis plusieurs années, seulement avec d'autres dénominations), l'interculturalité (fortement stimulée par l'Université, par exemple ici dans la Comahue appelant directement la nouvelle année du "pays mapuche", avec des intentions sécessionnistes claires), et les Droits de l'Homme maintenant, évidemment, dans une clé gendériste.

Nous considérons qu'il y a des points nodaux que ces actions ont en commun, qui avancent à pas de géant, et qui sont aussi "transversaux" dans toute la négativité que l'on peut imaginer. Nous en soulignerons trois :

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1. Le mépris de l'excellence

Sur cette question, nous pouvons trouver des précédents dans la modification des systèmes de notation et des sanctions disciplinaires, qui ne peuvent aujourd'hui être appliquées car les étudiants ne doivent pas être "stigmatisés". Il n'est pas non plus recommandé de faire redoubler les années aux élèves ; il est loin le temps où répéter une année était presque une tragédie familiale. On assiste à un afflux croissant et imparable de facteurs et d'agents étrangers à la réalité des processus éducatifs, au point que l'on assiste tous les jours à des poursuites judiciaires pour des notes attribuées par des enseignants après un examen, au harcèlement d'enseignants par des tuteurs, à des plaintes pour des comportements discriminatoires présumés qui frisent le ridicule.....

Ce processus est accentué aujourd'hui par l'introduction de l'agenda identitaire qui propose, sans l'expliciter, de détourner la formation en termes cognitifs et disciplinaires et, sous prétexte de responsabiliser les étudiants, de les initier aux sujets qui sont aujourd'hui au centre des processus éducatifs, les fameuses "transversalités": genre, environnement, droits de l'homme, interculturalité. La figure du professeur classique, qui donne une master class et est écouté par ses élèves (une figure caricaturale et loin de la rigueur historique), est aujourd'hui identifiée par les progressistes comme un représentant des traditions à "dé(con)struire" ; à tel point que, de plus en plus fréquemment, les enseignants sont qualifiés de "facilitateurs", c'est-à-dire d'enseignants qui n'enseignent plus, mais qui créent les conditions d'un apprentissage "significatif", "émotionnel", qui tiennent compte des "intelligences multiples", et toute une série de belles paroles qui tentent de voiler le sens de l'autorité, élément essentiel de la construction de l'identité et de la discipline scolaire.

Nous nous demandons : l'apprentissage n'est-il pas significatif lorsqu'il s'inscrit dans le cadre d'un projet national indépendant et souverain, dans lequel l'étudiant a le sentiment de faire partie d'un tout, au lieu d'être laissé seul face à un univers de mensonges et d'hédonisme ? À quelles fins tous ces termes que l'on brandit aujourd'hui, tous plus légers et frivoles les uns que les autres, sont-ils utilisés ?

L'élève commence à être considéré comme une victime plutôt que comme responsable de lui-même. Ces facteurs externes - qui doivent, dans cette nouvelle approche, être pris en compte par l'enseignant qui doit prendre en charge du mieux qu'il peut cette "diversité" qui est en réalité une hétérogénéité chaotique qui met le système lui-même en crise -...

Il ne s'agit pas seulement de savoir comment traiter ce problème, mais aussi de savoir comment traiter le problème de la "diversité" de l'élève, qui est une hétérogénéité chaotique qui met le système lui-même en crise.

La question à se poser pour résoudre ce problème, qui épuise l'éducation, serait de savoir dans quelle mesure les enseignants et les institutions éducatives devraient prendre en charge les problèmes liés aux défaillances structurelles de la société. L'éducation est vantée comme un lieu où tout est fait: tout est contenu, tout est pris en compte, tout est valorisé, tout est valorisé, tout est fait, tout est fait, tout est fait, et tout est fait.

La diversité, elle est valorisée, elle est amusante, elle est appréciée... tout cela au détriment de la formation réelle des sujets. Et aujourd'hui, avec le politiquement correct comme discours officiel, ceux qui prétendent à l'excellence dans leur profession sont automatiquement qualifiés de fascistes, ainsi que tout ce qui ressemble à la discipline et à l'ordre.

L'école "poubelle" est devenue une constante, de moins en moins de temps est utilisé pour l'enseignement, car, et il faut le souligner suffisamment, le déclin ne s'est jamais arrêté, il n'y a jamais eu de reprise de la qualité de l'enseignement depuis le désastre de l'Alfonsinisme ; la période de croissance avec la consommation et le "bien-être" qu'ont été les années Kirchner ne s'est pas du tout traduite par une amélioration du niveau d'enseignement, bien au contraire: le discours post-moderne et la victimisation ne sont ni plus ni moins que le renouvellement de la façade du système, sans rien faire de l'accumulation d'ignorance qu'ont été ces presque quarante ans de politiques éducatives désastreuses, qui étaient obscènes pendant les années 90, mais qui vont maintenant devenir "diverses". En bref, deux modèles vendus comme opposés - le néolibéralisme et la social-démocratie - avec la même ignorance pour le peuple.

Et comme si cela ne suffisait pas, l'État a fait entrer dans le champ de la "formation" à ces transversalités, des personnes qui n'ont aucune connaissance du pays, de la région, de la politique, au-delà de l'école du militantisme qui les a endoctrinés : groupes féministes, groupes indigènes, jeunes des groupes civils, piquets de grève, tous occupent le même rang d'autorité que les enseignants.

Les formateurs d'enseignants deviennent également des gourous du marketing qui enseignent que les enseignants doivent "conquérir", "séduire", faire de la "magie" pour "attirer" (tous ces mots sont des citations textuelles de formateurs d'enseignants oratoires, avalisés par le système public)... Ceci, qui semble sortir d'un cours de vente plutôt que d'un ministère de l'éducation, s'applique à tous les spectres idéologiques : les idéologies post-modernes n'échappent en aucune occasion à ces ressources. Enfin, que fait un formateur en genre sinon séduire, attirer, conquérir des adolescents pour les rallier à une cause militante, au lieu d'éduquer à l'excellence ?

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2. Déformation de l'histoire

En gros, il s'agit d'insérer de faux souvenirs historiques qui, sur la base d'une morale victimaire, sèment chez les étudiants l'ignorance et le ressentiment envers tout ce qui constitue l'identité nationale et latino-américaine, accusée de tout ce que ces militants ont du mal à insérer : "sexiste", "patriarcal", "raciste", "écocidaire", tout est bon pour mobiliser la sensibilité au détriment de la rigueur historique. L'idée est d'amener le sujet à interpréter toute l'histoire de l'humanité qu'on lui enseigne purement et exclusivement dans la clé de lecture qu'on lui donne, ce qui se résumerait plus ou moins à ce qui suit :

- Si le formateur est féministe, toute l'histoire de l'humanité sera l'histoire de la femme comprise comme un sujet universel et homogène, porteur d'une bonté intrinsèque de victime, subjuguée par le mâle infiniment cruel et impitoyable.

- Si l'on est indigéniste, toute l'histoire de l'humanité se réduira à la (fausse) dispute entre le conquérant infiniment mauvais et pervers et l'indigène habitant un paysage bucolique qui résiste à la colonisation (surtout espagnole) et se fait impitoyablement massacrer.

- Si vous êtes écologiste, toute l'histoire de l'humanité se réduira à l'histoire de "mère nature" (entrez l'adjectif que vous voulez : Gaia, Pachamama, Mapu, etc.) punie et détruite par l'homme (surtout s'il est blanc et hétérosexuel), qui doit payer ses fautes en la laissant tranquille.

- Si l'on est LGBTIQA+, toute l'histoire de l'humanité sera réduite à l'histoire de l'homme blanc hétérosexuel, condamnant à la disparition les "dissidences", qui auraient elles aussi une charge de bonté intrinsèque à leur statut de victime.

Chacun de ces paragraphes prétend aller plus loin, disent-ils, en "déconstruisant" l'histoire. Rien n'est plus faux : ils sont endoctrinés sur la base d'histoires ou de fables souvent traversées par ce que le philosophe espagnol Gustavo Bueno a appelé la "pensée Alice", une sorte d'utopisme grossier qui est l'une des bases du mondialisme en tant que philosophie morale : l'idée que tous les destins mènent à la dissolution des conflits, sans compter que cela impliquerait la dissolution des États et la volatilisation de leurs sociétés sous un seul règne : celui du relativisme absolu, le summum d'un système ultra-totalitaire.

Nos étudiants, en particulier, sont de plus en plus ignorants de la politique contemporaine et de l'histoire de notre pays, et pire, ces mêmes endoctrineurs militants sèment des faussetés au grand jour, les institutions les applaudissant ou se taisant par peur des représailles. Le cas de la légende noire sur notre territoire est paradigmatique : on reproduit des paragraphes entiers, par exemple, du livre Les veines ouvertes de l'Amérique latine, sans même permettre d'avancer des arguments pour les réfuter (ce que l'auteur de cet ouvrage a lui-même rejeté), ou on fait l'apologie du faux libelle de Bartolomé de las Casas, après avoir introduit les slogans anti-espagnols classiques comme le mensonge du "génocide", et ainsi de suite. Le jeu géopolitique est si explicite, la tentative de fragmenter davantage la nation par l'insertion de telles perspectives si grossière, qu'il est parfois effrayant de voir l'obséquiosité des professeurs mêmes qui enseignent l'histoire dans les lycées.

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La déformation de l'histoire "par la gauche" parachève le travail effectué par les libéraux oligarchiques qui ont construit le récit officiel de l'histoire nationale et continentale. Les deux pôles ont la même origine: Halperin Donghi et Felipe Pigna, même si cela ne semble pas être le cas, sont taillés dans la même étoffe, ils sont symétriques et complémentaires. Par conséquent, cette formation dans l'histoire, qui a oscillé entre le libéralisme oligarchique et le progressisme postmoderne, a le même but: éviter l'émergence d'une ligne nationale et hispano-américaine dans la formation académique des étudiants, soit en l'éliminant, soit en la déguisant avec des moyens caritatifs quand elle n'est pas directement mensongère ; le travail de sélection des faits, personnages et processus qui sont exaltés et mis en valeur pour construire le récit qui s'apparente à la géopolitique anglo-saxonne (par exemple, donner l'histoire du péronisme associée au keynésianisme et/ou à la social-démocratie, ou directement au nazisme ou au fascisme) est très fin.

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3. Une nouvelle pédagogie morale : le relativisme

Il s'agit d'une procédure de transformation de l'éthique et de la morale des étudiants, une tentative permanente d'installer un nouveau cadre à partir duquel réfléchir à l'action humaine. C'est une morale relativiste qui enlève à la personne sa foi comprise comme la conviction profonde qu'il y a une dimension plus grande à la simple existence dans le présent, et que nous devons nous éduquer pour servir, harmonieusement, ce plus grand bien qui est au-dessus de notre simple individualité car, en fait, c'est une condition pour qu'il se développe. Cette foi (qui était la base de l'éducation péroniste, qui amalgamait dans un projet cohérent les idées du droit au bien-être, du privilège des enfants, de la dignité du travail, etc.) a été remplacée par une nouvelle éthique: le culte du moi, mais sans le moi, c'est-à-dire la sensorialité du moi, la dimension la plus superficielle du moi. Il ne s'agit pas d'un moi rationnel, mais d'un moi spectral, totalement opposé à la raison, avec une primauté absolue du sentiment et de la jouissance, au point de donner lieu à des droits supposés de simples sentiments, ce qui est clairement absurde.

L'avènement de mots tels que "plaisir", "répression", "jouissance", "droits", "diversité", etc., comme autant de slogans à suivre pour dire "plaisir", comme des slogans à suivre comme des dogmes, a poussé les étudiants à renoncer à leur temps, par exemple en Histoire de l'Argentine, pour faire de la place à la doctrine postmoderne, mais elle a aussi obtenu, sur la base d'un soutien étatique de plus en plus fort, que les étudiants en sachent moins, pour qu'ils puissent apprendre de moins en moins, et qu'ils puissent apprendre de moins en moins, pour qu'ils puissent apprendre de moins en moins, Dans un quotidien gangrené par les fausses informations et les réseaux antisociaux, les étudiants sont moins érudits, leur capital culturel savant (au-delà de la consommation globalisante) est diminué, et leurs capacités cognitives sont affectées de manière quasi irréversible. Ensuite, s'il n'y a pas de contenu à travailler, on laisse au premier venu le soin d'endoctriner.

C'est cette ignorance fondamentale qui rend les vulgarisateurs et les influenceurs tels que Dario Zeta ou Sol Despeinada si célèbres et leurs discours deviennent des matériaux de référence : ils conviennent parfaitement à cette précarisation de l'intellect puisqu'ils sont chargés d'exalter cette précarité ; pire encore, ils remplissent la fonction de faux prophètes en faisant croire aux esprits des étudiants qu'ils peuvent philosopher ou faire la révolution avec le simple jeu de mots de la dé(con)struction (i), c'est-à-dire qu'ils leur font croire que l'anti-système passe par là, et non par la souveraineté politique ou la justice sociale.

Mais il y a encore plus de perversion : ils légitiment la déformation et la décontextualisation de mots qui ont pris chair dans notre propre histoire, comme la justice sociale, validant que tout slogan vide en est le synonyme. La conséquence logique du relativisme historique et du relativisme politique est le relativisme moral, une base fondamentale pour, premièrement, faire coexister des termes qui, dans la réalité et dans l'histoire, sont totalement contradictoires (par exemple : "l'avortement est une justice sociale") comme si de rien n'était et, deuxièmement, insérer la culture de la victimisation au plus profond de la conscience des étudiants, qui en viendront à considérer toute l'histoire et aussi le présent en termes de victimes et de coupables.

Rien ne pourrait être plus médiocre intellectuellement et éthiquement, et promu par l'école elle-même ! Face à un tel panorama expérientiel dans lequel les étudiants ne parviennent pas à ordonner leur vie, dévalorisant le temps de lecture, souffrant d'une technophilie qui les conduit à légitimer ce que Paula Sibilia appelait "l'intimité comme spectacle", le sentiment d'autorité devient d'autant plus nécessaire. Mais parce que cet endoctrinement postmoderne est si fort, l'étudiant est initié au besoin de blâmer l'extérieur ; la culture de la victimisation transforme le sujet en quelqu'un qui cherche en lui-même un élément qui puisse le victimiser aux yeux des autres afin d'en tirer profit. La morale de la victimisation est la morale du grimpeur, la morale du "méritocrate" mais à l'envers, tous deux profitant des failles pour gravir les échelons aux dépens de l'État et de la société. Oui, les institutions éducatives elles-mêmes, dans une clé post-moderne et progressiste, promeuvent la moralité du parasite chez les étudiants, mais très bien vendue comme "diversité". Quel beau sujet pédagogique ils construisent ensemble.

Quelques remarques finales

Nous sommes conscients que la démolition de l'éducation a une longue histoire qui remonte à l'Alfonsinisme, qui a tissé un discours pervers qui, sous le parapluie des droits de l'homme et de la démocratie sociale des gauchistes résiduels, a amené l'éducation argentine dans le tiers monde. Puis la catastrophe entraînée par le pouvoir tenu par Menem, avec sa balkanisation pédagogique (la balkanisation territoriale sera un fait si nous ne l'évitons pas, n'oubliez pas que le pays est aussi, dans une certaine mesure, balkanisé politiquement), a fait des politiques éducatives nationales un véritable pillage. Mais ces vingt dernières années ne sont pas non plus méritoires, pas du tout, au-delà de l'émergence de certaines questions qui ont été discutées mais n'ont jamais donné lieu à une pédagogie véritablement émancipatrice. C'est ainsi que nous pensons que tout est résolu "avec l'éducation", sans nous demander quelle éducation est souhaitée et nécessaire, et encore moins ce qu'ils font de l'éducation en ce moment.

Dans ce contexte, on ne peut manquer de mentionner la montée dangereuse du "home schooling", ou éducation à domicile, comme forme de réaction contre la dictature sanitaire vécue dans les écoles, ce qui délégitime encore plus le système sachant que, dès que l'élève entre dans l'institution, il est endoctriné des quatre côtés. Je dis dangereux, car cela détourne l'attention du fait que la bataille doit être menée au sein du système éducatif public, qui continue aujourd'hui encore à représenter la société argentine, qui le considère comme fondamental pour la mobilité ascendante et le bien-être social.

Enfin, cette situation catastrophique, loin d'égaliser les chances pour le choix d'une destination universitaire, segmente davantage la population étudiante : il restera une élite de scientifiques STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) qui se consacrera au développement matériel des pays... et des cours sur le genre, la diversité, l'indigénisme et autres vacuités pour le reste. Ainsi, les institutions académiques mêmes qui offrent des cours de troisième cycle dans la région présentent constamment des propositions de "formation" dans chacun des points de l'agenda mondialiste.

Sans un modèle national avec une articulation fédérale et régionale, mais avec une récupération des axes fondamentaux pour la société et l'État dans son ensemble, il n'est pas possible d'affronter les défis de la dispute entre blocs que nous vivons, qui, en fait, détruit toute évidence possible de ce que nous avons fini par appeler la mondialisation, mais qui continue à être célébrée sous le couvert du progressisme, aussi fonctionnel que le libéralisme lorsqu'il s'agit de mener à bien la colonisation pédagogique de notre peuple.

Note:

(i) La parenthèse dans l'écriture de la dé(con)struction n'est pas innocente, car au fond, la déconstruction n'est rien d'autre que de la pure destruction.

dimanche, 27 février 2022

L'esclavage numérique et la fin de l'enseignement

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L'esclavage numérique et la fin de l'enseignement

Carlos X. Blanco

Nous nous dirigeons vers un nouvel esclavage. Plus grand, si possible, que celui d'autres époques où l'on fouettait le dos nu et où l'on attachait le cou, les chevilles et les poignets avec des entraves, des anneaux et des chaînes. Aujourd'hui, le fer n'est pas nécessaire. Il existe d'autres technologies de contention. Il s'agit des technologies de l'information, de la communication et du contrôle.

Il ne s'agit pas vraiment de technologies au sens strict. Ce dont nous parlons n'est pas une "connaissance" ou un discours raisonné (logos) sur la technologie (techné). Nous parlons plutôt d'un ensemble d'appareils basés sur l'électronique et l'informatique qui permettent au fournisseur, sous prétexte de "nous faciliter la vie" avec leurs applications, de disposer d'énormes quantités de données sur la vie privée, les propensions, les affinités, les goûts, les habitudes (allant du commerce du sexe aux bibelots inutiles).

Les entreprises fournisseuses proposent leurs applications aux particuliers, aux entreprises et même aux établissements d'enseignement de manière apparemment gratuite et avec l'attrait de nous épargner du travail physique et intellectuel. Les consommateurs, de l'écolier qui entre dans une salle de classe virtuelle à l'adulte qui achète en ligne des cadeaux et des livres, par exemple, croient sincèrement qu'avec eux leur vie est "plus facile", qu'ils gagnent du temps, évitent les déplacements, évitent de stocker des objets physiques, apprennent plus vite et plus efficacement. La société qui nous fournit les applications est souvent liée à certains des géants des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). En réalité, la vie devient plus compliquée et s'appauvrit.

Le monde de l'éducation a été totalement happé par l'engouement pour la numérisation. A l'occasion de la pandémie, le GAFAM s'est frotté les mains. De manière anarchique d'abord, puis, formellement ou non, de concert avec les administrations, les géants technologiques ont profité du choc pandémique (la "Shock Doctrine" de Naomi Klein s'applique ici à la perfection) pour usurper les fonctions pédagogiques qui n'appartiennent qu'aux parents, aux instituteurs et aux professeurs.

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L'"État Papa", dans un autre cas flagrant de négligence de ses fonctions, loin de répondre aux besoins éducatifs des étudiants dans une situation de crise, dans une occasion totalement hors du commun, a confiné tout le monde chez soi et a prolongé indûment la fermeture des écoles et des universités, remplaçant la fourniture d'un service essentiel comme l'Éducation par une consommation obligatoire, compulsive et sans cervelle de ressources numériques et d'applications cybernétiques privées. Les GAFAM ont non seulement obtenu des millions de données supplémentaires sur les mineurs, mais aussi de nouveaux accros à leurs plateformes et un degré de dépendance à leurs "services" qui aura des effets dévastateurs à long terme. Toute une génération académique a ainsi été perdue, et a fourni de la sorte la base sociale de l'effondrement éducatif et culturel imparable et irréversible de l'Espagne.

A ce jour, alors que le risque de contagion dans les écoles est minime et que l'utilité et le sens de ces classes numériques et plateformes en ligne sont plus que discutables, les administrations éducatives sont toujours déterminées à promouvoir ce pseudo-enseignement. Les enseignants sont plus ou moins contraints de se "recycler" avec des cours (souvent en dehors de leurs heures de travail) sur la numérisation. Ces cours, comme cela s'est déjà produit dans d'autres secteurs tels que la banque et la vente, seront précisément la ruine de ceux qui les suivent et mettront en pratique leur formation, car la sauvegarde des emplois et le remplacement de l'enseignant par un système d'algorithmes qui quantifieront les "progrès" des étudiants seront imposés plus tôt que prévu. Avec un entêtement moutonnier, de nombreux enseignants s'enthousiasment pour cette "révolution numérique", en s'aveuglant sur l'évidence : c'est la mort même de la figure de l'enseignant et la fin de l'éducation telle que nous l'avons comprise depuis les temps de la Grèce et de Rome jusqu'à hier.

Les élèves interagissent avec un réseau, dont ils sont de plus en plus esclaves. Les enseignants et les parents sont absents du processus éducatif. L'État-providence, qui comprend un État formellement engagé dans le travail d'éducation, est également en recul. Un monde régi par les machines et une "révolution numérique" au service de puissances mondiales qui "éduqueront" à leur manière et à leur profit exclusif. L'esclavage numérique est là.

 

jeudi, 06 janvier 2022

Hiérarchie de la connaissance: plus d'Aristote et moins de pédagogie

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Hiérarchie de la connaissance: plus d'Aristote et moins de pédagogie

Carlos X. Blanco

L'homme est un animal étrange. Il y a en lui une impulsion, une force qui, par nature, le conduit vers la connaissance, l'oblige à s'échapper de l'enceinte de la sensation et de la fantaisie.

Πάντες ἂνθροποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται φύσει (980e 21). [Aristote, Métaphysique. Dans cet article, je cite selon l'édition de García Yebra, éditorial Gredos, deuxième édition, 1982].

Connaître et comprendre entrent pleinement dans la sphère du désir humain. C'est une appétence (ὀρέγω). Les choses dignes d'être aimées sont l'objet d'une aspiration. L'animal humain, même s'il n'a besoin de rien à un moment donné, et au-delà du besoin concret, est un animal qui étend son âme - pour ainsi dire - aux objets de son intérêt.

En dehors de toute approche évolutionniste, bien sûr, Aristote met en évidence une gradation dans l'échelle zoologique. Certains animaux ne vivent que d'images (φαντασία), d'autres ajoutent la mémoire à leur vie (μνήμη), qui est déjà le germe de l'expérience, bien qu'à un faible degré. Mais l'homme, comme le souligne le Stagirite dans le livre I de la Métaphysique, "participe à l'art et au raisonnement" (980b 26).

L'expérience découle de multiples souvenirs, qui sont "noués ensemble", pour ainsi dire. Et, de même, les expériences sont à leur tour nouées à un niveau supérieur dans l'" art " (τέχνη). Aucun autre animal, au-delà de la simple prévention des dangers, n'est "rusé" et capable d'utiliser les multiples expériences nouées : seul l'homme.

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Le Philosophe comprend ici que la τέχνη découle de l'empirique et se fonde sur lui. Le concept (ὑπόληψις) est universel dès lors qu'il naît (γίγνομαι) d'expériences multiples (981e). Naître ou devenir : tel est le sens du verbe γίγνομαι : on ne parle jamais d'un résultat mécanique ou constructif. Ces dernières significations doivent être réservées aux psychologues cognitifs modernes, déjà imprégnés d'un esprit entièrement mécaniste. Par expérience, l'homme avec τέχνη peut revenir au singulier. Ainsi au médecin, dont les connaissances lui permettent de soigner Calias, comme un homme individuel, comme un patient singulier. Ce n'est que de manière "non essentielle" que nous dirions que le médecin guérit l'homme et non cet homme singulier appelé Calias. Le médecin exclusivement théorique n'est pas un vrai médecin.

Étendons l'analogie au domaine de l'éducation ou à tout autre domaine professionnel ("technique") de l'être humain. Ces "pédagogues" qui n'ont jamais enseigné à des enfants, ces pédagogues qui, bien qu'ayant une connaissance approfondie de la législation et des théories didactiques les plus en vogue, n'ont jamais mis les pieds dans une classe autre qu'universitaire... quel "art" possèdent-ils? Quelle doit être leur τέχνη, au sens où ils font véritablement autorité et sont efficaces? Chaque τέχνη est enracinée dans des expériences artisanales, qui sont elles-mêmes des systèmes de sensations "nouées". Mais il faut distinguer le "technicien" (expert, connaisseur d'un sujet, τεχνιτης) de l'empiriste (ἔμπειπος). La différence est donnée par la connaissance de la cause. Le technicien est le professionnel avisé qui est en possession d'une théorie née de ses expériences, une théorie qu'il "retourne" à son tour à ce fond empirique pour mieux les comprendre et agir sur elles. En revanche, l'artisan manuel (χειροτέχνης) ne connaît que le quoi, pas le pourquoi. L'ouvrier se forme, il contracte des habitudes qui le rendent capable, et cela par habitude (δι᾽ ἔθος) [981b].

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Seul celui qui sait peut enseigner, celui qui possède l'art et pas seulement la compétence d'un métier.

La pédagogie officiellement imposée en Espagne, surtout après la L.O.G.S.E. (1991), s'inspire d'une série de théories de lignée marxiste et pragmatiste. Dans ces théories, il n'y a pas de distinction entre "savoir quoi" et "savoir pourquoi" et, de plus, on prétend que toute connaissance se réduit à "savoir comment". Pour cette raison, et dans une direction totalement anti-aristotélicienne, les métiers (formation professionnelle, "cycles de formation", "modules professionnels") sont entrés de plain-pied dans les écoles secondaires, sous un même toit, sous une direction et une administration uniques. Même dans l'enseignement secondaire obligatoire, la terminologie la plus généraliste et "ouvriériste" a imprégné les noms des matières et des activités ("ateliers" de langue ou de mathématiques, "ressources" pour l'apprentissage, "technologie", etc.)

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L'approche aristotélicienne ne doit pas nécessairement être considérée comme une théorie dérogatoire à l'égard des métiers manuels, même si, dans la société hellénique du IVe siècle avant J.-C., ils étaient traités comme "subalternes" et "serviles". AD, ils étaient traités comme des "subalternes". Les métiers sont absolument nécessaires à la vie, et être compétent en la matière, c'est s'élever au-dessus du niveau moyen d'une vie digne et civilisée. Les sociétés sous-civilisées ne sont pas conscientes de l'importance de l'artisanat et des connaissances empiriques. Mais seule notre société de consommation de masse a tenté de masquer les différences de classe, de profession, de préparation et de talent (différences inévitables dans toute culture humaine) au moyen d'un amalgame pédagogique, comme l'amalgame entre l'apprentissage des métiers et la formation intellectuelle et morale des personnes. De manière parasitaire, les apprentissages sont logés sous les mêmes toits institutionnels et dans les mêmes chapitres budgétaires que l'enseignement secondaire à caractère intellectuel et préparatoire à l'université. Faire des Instituts et des Universités des "ateliers" à l'atmosphère de plus en plus ouvrière, ainsi que penser la science et la connaissance exclusivement en termes de production, sont les traits qui caractérisent la pédagogie imposée aujourd'hui, tant dans son volet marxiste que dans le volet plus proche du pragmatisme américain. L'étudiant est un travailleur qui "manipule des outils", tuant ainsi ce qu'il y a de plus précieux en l'homme: sa curiosité, sa capacité d'émerveillement, sa soif de connaissance. Dans ces écoles qui veulent préparer les jeunes à l'usine, toutes pareilles, l'homme est animalisé, formé et instruit, s'il a un peu de chance, mais pas éduqué.

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Aristote souligne dans le livre I de la Métaphysique comment la science naît du loisir, et rappelle qu'elle a été rendue possible par l'existence d'une classe sacerdotale en Égypte (981b 25). Il est facile de tomber dans le réductionnisme sociologique et de transférer tout le contexte d'une civilisation esclavagiste, avec toutes les considérations précédentes, à aujourd'hui. Considérations sur une sagesse séparée du travail manuel et utilitaire, un savoir suprême, hiérarchiquement élevé au-dessus des métiers et des techniques. Les idéologies, mais pas la philosophie authentique, ont tenté à l'époque moderne d'étendre un continuum entre la pratique utilitaire et la contemplation désintéressée. Ne pouvant ou ne voulant pas abolir la division en classes sociales, tout un public candide et "moyen" (car il s'agit d'une partie de la société qui vit d'un travail qui n'est ni entièrement manuel ni entièrement intellectuel) se leurre, "naturalisant" et donc niant le saut entre la praxis et la théorie (en invoquant Gramsci, Dewey, Piaget ou quelque autre saint de leur dévotion), niant le hiatus entre le savoir subalterne et le savoir suprême. Ne pouvant abolir les classes sociales (égalitarisme, communisme), ils ont décrété l'abolition de la hiérarchie gnoséologique.

En termes de politique éducative, l'amalgame des savoirs traduit par une image horizontale des enseignants nous a été présenté comme "progressiste": dans un I.E.S. (établissement d'enseignement secondaire) coexistent des instituteurs, des professeurs de baccalauréat, des techniciens de la formation professionnelle, des professeurs d'atelier, des coiffeurs, des mécaniciens, des professeurs de gymnastique, etc. Ils reçoivent tous le même traitement, presque le même salaire, et bien sûr la même considération sociale. Les professeurs de coiffure, de gymnastique, de technologie et de cuisine partagent déjà leurs prérogatives d'éducateurs avec les professeurs de mathématiques, de philosophie ou de grec. Le fait qu'elle [la sagesse, la première science] ne soit pas une science productive est déjà évident chez les premiers philosophes. Car les hommes commencent et ont toujours commencé à philosopher par admiration..." (982b 11). (982b 11).

Cette homologation, et la tentative de nous offrir tout ce fatras comme "éducation" est le signe de notre temps. Il est difficile de lutter contre ce signe car très vite le débat est interprété comme une lutte idéologique entre égalitaristes et réactionnaires. Les philosophes classiques (Platon, Aristote, Saint Thomas) ont déjà fermement affirmé qu'il existe des hiérarchies entre les connaissances, que la sagesse est censée commander et non obéir. Les sages doivent être obéis par les moins sages. La science universelle, la connaissance du tout, règne sur la connaissance particulière, prisonnière de la nécessité et de l'urgence. Déjà les premiers philosophes, dit Aristote, étaient des hommes libres qui ont créé une science libre : "

Ὄτι δ'οὐ ποιητική, δῆλον καὶ ἐκ τῶν πρώτων φιλοσοφησάντων- δὰι γὰρ τὸ θαυμάζειν οἱ ἄνθροποι καὶ νῦν καὶ καὶ τὸ πρῶτον ἤρζαντο φιλοσοφεῖν.

Le sage désintéressé, comme l'amoureux des mythes, entreprend sa quête par admiration.

διὸ καì ὁ φιλόμυθος θιλόσοφός πώς έστιν- ὁ γὰρ μῦθος σύγκειtαι ἐκ θαυμαγίων- [982b 18].

Toutes les sciences sont plus nécessaires que la philosophie (entendue comme sagesse et science des principes et causes premières) mais mieux, aucune.

ἀνακαιότεραι μὲν οὖν πᾶσαι ταύτης, ἀμεινων δ' οὐδεμία [983a 10].

lundi, 18 octobre 2021

L'éducation comme outil politique essentiel

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L'éducation comme outil politique essentiel

Alexandre Douguine

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/obrazovanie-kak-glavnyy-instrument-politiki

De nombreux aspects de notre société peuvent être critiqués. Et c'est tout à fait justifié. Mais d'un point de vue historique, le pire est dans l'éducation. Et ce n'est pas seulement une question de problèmes techniques, de financement, ou même d'absence de stratégie de développement cohérente. Il s'agit encore moins de personnes spécifiques. Le problème est beaucoup, beaucoup plus profond.

Dans toute société - même la plus archaïque - l'éducation est cruciale. C'est l'image qui est transmise dans le processus d'éducation qui détermine ce qu'est la société dans son ensemble, ce qu'est l'identité de chacun de ses membres. L'être humain est un être social et politique dans une mesure importante et décisive (selon Aristote, l'être humain est un "animal politique"). C'est la société - ses attitudes, ses règles, ses traditions, ses valeurs, ses institutions et ses pratiques - qui donne un contenu à une personne. En dehors de la société, il n'y a pas d'homme. Aristote disait que seul Dieu ou un idiot peut exister en dehors de la société.

    L'éducation est un outil à l'aide duquel la société se crée elle-même. En matière d'éducation, elle comprend, réalise, change, préserve et se projette dans l'avenir.

Dans la société médiévale, l'éducation était indissociablement liée à l'Église. Et en Russie, cela a été partiellement conservé jusqu'en 1917. C'est logique car l'Église était responsable de l'image de la société, des dogmes, des règles, de la vérité et de la foi, de ce qui est bon et mauvais, de la structure des connaissances et des normes, de la présentation de l'histoire et de l'évaluation des événements mondiaux - anciens et modernes. Dans la société laïque du Nouvel Âge, l'Église a été écartée de cette tâche, et la responsabilité de l'éducation a été reprise par l'État laïque. L'État agissait déjà comme la vérité ultime en matière de traduction d'images. Et l'État s'est fermement emparé de l'éducation. Si quelque chose échappe à son contrôle, la société peut changer de manière irréversible, se déformer, et la position du pouvoir s'affaiblit alors inévitablement. Une nouvelle image va émerger et une nouvelle élite alternative va commencer à écraser le pouvoir existant.

Mais l'État n'est pas une chose en soi. Tout État a forcément une idéologie explicite ou implicite, c'est-à-dire un système d'attitudes, de dispositions et de "vérités" sur lequel il se fonde. Cela était évident sous les bolcheviks en URSS. Mais c'était et c'est toujours le cas en Occident - lui aussi a une idéologie dominante. Il est seulement différent du modèle soviétique - libéral. Il est donc logique que l'éducation dans les sociétés occidentales traduise les principes et les "vérités" libérales. C'est ainsi que - principalement par l'éducation - le libéralisme se reproduit.

Dans la Russie contemporaine, la situation est désastreuse précisément parce que la société russe moderne n'a tout simplement pas d'image intelligible. Il n'y a pas d'Idée, pas d'idéologie et pas de système clairement articulé de positions, de valeurs et de "vérités". Et, à proprement parler, il n'y a tout simplement rien à renforcer, à affirmer ou à transmettre aux générations futures.

C'est la première fois dans notre histoire. Avant la révolution, l'Empire russe était dominé par l'image orthodoxe-monarchique, la norme. Oui, sous l'influence des idées libérales et socialistes occidentales, cette image s'est érodée et décomposée. Cela inclut les institutions éducatives, où opéraient des réseaux éducatifs subversifs - cercles, mouvements, organisations secrètes. Mais les autorités les ont combattus du mieux qu'elles ont pu. C'est pourquoi il y a eu une censure.

Pendant la période soviétique, l'éducation était construite strictement selon les principes marxistes. La censure et le contrôle de l'éducation par les autorités étaient beaucoup plus stricts. Dieu interdit que l'un des enseignants ou même des étudiants dise quoi que ce soit qui s'écarte du marxisme-léninisme. La répression (d'ampleur variable) a suivi immédiatement. Le gouvernement soviétique a compris l'importance de l'éducation. Il a compris que c'était sur la base de ce pouvoir lui-même. On a essayé de renforcer et de transmettre l'image soviétique. Cela a fonctionné pendant un certain temps (tant qu'ils croyaient ce qu'ils disaient), puis cela s'est arrêté.

Dans la Fédération de Russie des années 1990, le pouvoir a fini par passer aux mains des libéraux occidentaux. Parallèlement au contrôle de l'économie et des processus politiques, ils se sont empressés de contrôler l'éducation. Au départ, ils ont même commencé à introduire dans les écoles des manuels extrêmement libéraux - presque extrémistes et ouvertement russophobes - imprimés par la Fondation Soros. Une grande purge a commencé dans l'éducation - le marxisme a été remplacé à la hâte par le libéralisme, l'identité collective par l'identité individuelle, le socialisme par le capitalisme, etc.

Cependant, au cours des dix années de bacchanales libérales des années 1990, la classe dirigeante des réformateurs n'a pas réussi à achever la libéralisation de l'éducation russe. Les dogmes et les pratiques marxistes étaient très stables, tandis que les attitudes libérales étaient parfois en contradiction flagrante avec l'identité russe elle-même. Une masse énorme d'éducateurs - consciemment ou non - a saboté les réformes libérales - je veux dire spécifiquement dans le contenu de l'éducation. Dans la forme, cependant, les méthodes occidentales ont continué à être introduites de manière assez intensive. L'image libérale s'est noyée, fanée et flétrie. Les années 90 ont été synonymes non pas de "propriété privée sacrée" mais de redistribution par des bandits, de désintégration, de violence et de dégénérescence.

Sous Poutine, le libéralisme occidental cohérent en tant qu'idéologie dominante en Russie a au moins été remis en question. Mais il n'y a eu aucun retour à l'idéologie communiste, aucune création d'une nouvelle idéologie et aucun retour de la primauté de l'Église. Par conséquent, l'éducation en Russie a perdu ses fondements. Les autorités ont un contrôle total sur l'éducation, mais elles ne savent pas l'essentiel : quelle image les autorités elles-mêmes veulent créer, consolider et transmettre aux générations futures. À cet égard, les perceptions sont vagues et parfois contradictoires. A un endroit, le pouvoir affirme une chose et à un autre une autre. Un tel pragmatisme et une telle flexibilité idéologique sont tout à fait destructeurs pour l'éducation. Et la seule chose qui reste dans une telle situation est de s'appuyer sur les époques précédentes où l'État avait une idéologie.

C'est exactement ce que nous voyons dans l'éducation russe contemporaine : un affreux mélange d'un communisme oublié et fragmenté (principalement dans sa composante matérialiste) et aujourd'hui, seuls les libéraux les plus extrêmes et les plus fanatiques (comme à la Higher School of Economics) sont capables de fonder ouvertement leurs cours sur les principes de Popper et de Soros, mais cela est déjà perçu comme un front de protestation.

Cet état de fait rend la position des autorités russes de plus en plus précaire d'année en année. Ce pouvoir contrôle presque entièrement la situation actuelle, mais perd rapidement son influence sur l'avenir. Si la société n'a pas d'image normative, et que l'on ne peut la prendre que dans l'idéologie ou la religion, cette société ne peut que se désintégrer. Et il ne peut être retenu que par la force. Mais aucun des régimes les plus cruels et les plus totalitaires n'a été fondé uniquement sur la force. Tout pouvoir a besoin de légitimation, et donc d'une Idée, d'un système de valeurs, et au final, d'une image. Sans cette image, l'État devient laid. C'est ce que nous voyons aujourd'hui. Oui, il est clair que l'idéologie occidentale ne nous convient pas, mais ce déni n'est pas suffisant. En niant quelque chose, nous devons simultanément affirmer quelque chose en retour. Mais c'est exactement ce qui ne se passe pas.

La catastrophe de l'éducation russe se fait déjà sentir. Mais ce n'est que le début. En n'accordant pas à cette question - ou à la question de l'idéologie dans son ensemble - une attention prioritaire, les autorités se liquident elles-mêmes. Lentement, mais sûrement. Nous sommes arrivés à une ligne rouge. Il est historiquement irresponsable de ne compter que sur l'inertie.

Il est urgent et radical de faire quelque chose dans ce domaine. Nous avons besoin de toute urgence d'une philosophie de l'éducation, d'une idéologie de l'éducation, d'une stratégie fondamentale basée sur des idées et des valeurs clairement articulées.

lundi, 31 mai 2021

Délires pédagogiques à gogo

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Délires pédagogiques à gogo

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

La nouvelle n’a choqué que les conservateurs murés dans leurs châteaux ou dans leurs villas. Entièrement focalisé sur son hystérie pandémique et vaccinale, le Système médiatique n’a pas répercuté la nouvelle. Les universités britanniques souhaitent ne plus pénaliser les fautes d’orthographe et de grammaire au moment de la correction des examens afin de rétablir l’égalité de traitement entre les étudiants européens favorisés et leurs condisciples originaires d’autres ethnies. Cette décision incroyable porte un violent coup à l’instruction et à la transmission des savoirs.

L’école française subit pour sa part une dévastation similaire. Les enseignants abandonnent la notation sur 10 ou sur 20, trop discriminatoire, et choisissent d’évaluer par compétences. L’écriture inclusive et ses nombreuses mutations féministes contaminent le monde universitaire, les organisations syndicales et certains cours dans les établissements primaires et secondaires. En parallèle au sempiternel discours de lutte contre le racisme, blablabla, et pour la défense des valeurs de la République, les directives ministérielles enjoignent l’école de s’emparer de l’outil numérique. Les premier et troisième confinements des printemps 2020 et 2021 facilitent la réalisation de cette injonction avec les cours à distance. Mais les résistances restent vives, ce qui irritent bien les zélotes du « monde d’après ».

Bien avant l’actuelle crise sanitaire, Le Monde du 5 septembre 2018 publiait la tribune d’un certain Gilles Dowek, chercheur à l’INRIA (Institut national de recherches en informatique et en automatique). Cet informaticien faisait très fort puisqu’il intitulait son texte « Interdisons les stylos dès la rentrée prochaine ». Au mépris d’une réalité observée dans les classes de la Silicone Valley où les geeks exigent que leur progéniture soit le moins possible au contact avec l’univers connecté, cet enseignant à l’École normale supérieure de Paris – Saclay estimait que « les compétences nécessaires pour écrire un texte avec un logiciel de traitement de texte et avec un stylo sont différents ». L’auteur de la présente chronique le confirme puisqu’il rédige toujours le premier jet au stylo encre avant de le saisir sur l’ordinateur, de l’imprimer et de le retravailler à la main. Gilles Dowek ne cachait pas sa colère. « Si les députés tenaient absolument à voter une loi, ils auraient pu apporter leur pierre à cette nécessaire transformation de l’école en déclarant l’utilisation, par un élève, d’un stylo ou de tout autre équipement encreur interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, précisant qu’un membre de l’équipe de direction ou un personnel enseignant pouvait confisquer le stylo ou tout autre équipement encreur de l’élève, si celui-ci a fait usage en méconnaissance de l’article précédent. » Proposition délirante ? Il s’agissait en fait d’une réaction ironique à l’interdiction du téléphone portatif dans les écoles et les collèges. Or, les blagues potaches deviennent souvent quelques années plus tard effectives. Qui se serait douté que le « saint » qui débute les noms d’un grand nombre de localités en France disparaîtrait dans le cadre des regroupements de communes ? De nombreuses écoles primaires aux États-Unis n’enseignent plus l’écriture avec un stylo.

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Libération du 3 septembre 2018 faisait-il une autre blague en publiant le point de vue commun d’Arnaud Hoedt et de Jérôme Piron en faveur de la réforme de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir ? Soutenus par un certain Conseil international de la langue française, des instances de la Fédération Wallonie – Bruxelles qui coordonne l’action des gouvernements régionaux de la capitale belge et de sa partie francophone, et de Bernard Pivot – qu’on a connu plus avisé -, ces deux hurluberlus ne veulent plus écrire « Les fleurs que j’ai cueillies – i.e.s », mais « Les fleurs que j’ai cueilli – i ». Les deux anciens professeurs de français voudraient revenir sur une règle pétrie d’italianisme entérinée par l’Académie Française à la fin du XVIIe siècle.

Dans le même désordre grammatical, d’autres soutiennent l’accord de proximité qu’auraient pratiqué Madame de La Fayette et l’immense Racine. Qu’est-ce que cet accord de proximité ? L’accord se fait avec le dernier sujet. Par exemple, « les hommes et les femmes sont parties – i.e.s -, car le participe passé s’accorde ici avec “ femmes ” ». En revanche, la phrase « les femmes et les hommes sont partis s’écrit i.s parce que “ parti ” s’accorde avec “ hommes ” ». Avec cette fluidité revendiquée, nouvelle confirmation du « monde liquide », on souhaite bien du plaisir aux élèves dyslexiques. Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ?

Pendant ce temps, Jean-Michel Blanquer interdit l’emploi de l’écriture inclusive dans l’Éducation nationale. Cette décision déclenche les foudres de quelques syndicats décatis qui en appellent à la désobéissance… Quelle audace ! Ils oublient que le même Blanquer, fidèle au « en même temps » de son maître élyséen généralise la féminisation des fonctions. Pourquoi alors ne pas appeler son épouse à l’instar du russe « Mme Blanquera » ? Et puis, la féminisation des titres ne peut que peiner les non-binaires et autres personnes – fluides… La neutralisation des mots n’est pas pour demain.

Écriture inclusive, fin des notes chiffrées, invasion intrusive du numérique, anglicisation forcée et édulcoration des langues participent à cet autre « Grand Remplacement » mental, à une gigantesque vague déconstructiviste qui accélère l’inexorable déclin du niveau intellectuel en France et en Europe. Le rejet de toute complexité inhérente au grand fleuve de la Vie aboutit à la simplification délétère des existences. En ciblant les jeunes générations, ces pédagogues fous, responsables d’une baisse cognitive flagrante, tablent sur un abrutissement massif afin d’imposer l’idiocratie planétaire, paravent ultime à la ploutocratie financière globalitaire.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 216, mise en ligne sur TVLibertés, le 25 mai 2021.

18:57 Publié dans Ecole/Education | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, éducation, orthographe, pédagogie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 04 mai 2021

Nuccio Ordine: "Nous avons l'Europe des banques et de la finance, mais pas celle de la culture"

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Nuccio Ordine: "Nous avons l'Europe des banques et de la finance, mais pas celle de la culture"

Propos recueillis par Miguel Manso de Lucas

Source : Compte vk de Natella Speranskaya

Nuccio Ordine (né à Diamante, Calabre, 1958) est professeur de littérature italienne à l'université de Calabre et auteur de plusieurs ouvrages, dont un sur Giordano Bruno. Il a été professeur invité dans des centres tels que l'Université de Yale, l'Université Paris IV Sorbonne, le CESR de Tours, l'IEA de Paris, l'Institut Warburg et la Société Max Planck de Berlin. Il est également membre du Harvard Center for Italian Renaissance Studies, de la Fondation Alexander von Humboldt, et chevalier de la Légion d'honneur française (2002). Il a récemment reçu le prix du Museo Liceo Egipcio en même temps que Noam Chomsky.

31xA7IECzOL._AC_UL600_SR363,600_.jpgLes éditions Acantilado ont publié L'utilité de l'inutile et Les classiques de la vie, que Nuccio Ordine nous explicite via un lien vidéo depuis la ville calabraise de Rende, dans le sud de l'Italie. L'auteur parle un espagnol parfait et nous informe qu'il s'est plongé dans l'écriture d'un livre sur les petites histoires qui se sont déroulées entre le 14ème et le 17ème siècles. Au cours de son travail, il a découvert la fonction thérapeutique du rire, notamment dans le Decameron de Boccace, qui fuit à la campagne depuis Florence, dévastée par la peste (1348), pour raconter des histoires comiques et guérir son esprit.

Q : C'est très opportun d'écrire sur ce sujet maintenant.

Réponse : C'est un pur accident.

Q : Dans Classics for Life, vous évoquez le professeur Louis Germain, qui préparait son meilleur élève, et le plus pauvre, à une bourse d'études dans un lycée d'Algérie, et ce, de manière totalement gratuite. L'étudiant ne remerciera son professeur que 33 ans plus tard, lorsqu'il recevra le prix Nobel de littérature: "J'ai d'abord pensé à ma mère, puis à vous", lui écrit Albert Camus. Les enseignants comme Louis Germain sont-ils plus que nécessaires aujourd'hui ?

Réponse : Oui. Aujourd'hui, par exemple, compte tenu de l'expérience de la pandémie, nous observons deux réactions opposées. Il y a des enseignants et des recteurs qui ont dit: "Comme c'est merveilleux que la pandémie nous donne l'occasion de comprendre ce que sera l'enseignement à l'avenir, car la télématique est fondamentale pour la transmission des connaissances". Mon idée est à l'opposé de cela. Je pense que la seule façon d'enseigner est l'enseignement en face à face, car la transmission du savoir se fait en communauté ; sans relations entre étudiants et étudiants, entre professeurs et étudiants, entre professeurs et instructeurs, la sagesse ne peut être transmise. Je dis cela parce qu'on pense aujourd'hui qu'une bonne plateforme numérique peut changer la vie d'un étudiant. C'est faux. C'est impossible. Seul un bon professeur peut le changer.

Le professeur Ordine fait ici une digression pour parler de ses professeurs.

"L'histoire de Camus résume de nombreuses histoires que nous ne connaissons pas. La mienne, par exemple. Je suis né dans une petite ville de Calabre, Diamante, qui n'avait même pas d'école. Pendant les quatre premières années de l'école primaire, mon professeur a tenu ses cours dans sa propre maison. Puis un bâtiment a été construit (où mes nièces et neveux étudient maintenant). Pour moi, né dans une ville pauvre du Sud, sans librairies, sans bibliothèques, sans théâtres, sans rien, l'école était la seule possibilité de changer ma vie. J'avais de bons professeurs, avec un grand cœur. La rencontre avec l'école a changé ma vie. Il était impensable qu'un garçon de six ans originaire d'une ville pauvre devienne professeur d'université. Ce fut donc une école miraculeuse. De tels miracles existent dans le monde entier: peut-être dans une hutte en Afrique ou dans un igloo au Groenland. Mais aujourd'hui, il y a cependant des fous qui pensent que la télématique peut changer votre vie’’.

NOclass.jpgQ : D'un prix Nobel à un autre. D'un Albert à un autre. De Camus à Einstein. Dans Classics for Life, vous citez un célèbre physicien à propos de l'éducation: "Le but de l'école devrait toujours être de former un individu harmonieux, et non un spécialiste’’. Et il semble qu'un pas important ait été fait récemment dans cette direction - votre livre L'utilité de l'inutile a connu un grand succès et a déjà été publié en 24 éditions en Espagne et a été publié dans 32 pays.

Réponse : Il y a un processus très dangereux dans l'éducation aujourd'hui - l'éducation considère le marché comme son étoile polaire. On pense que l'école doit être un outil pour répondre aux besoins du marché. C'est de la folie. Si nous ne regardons que le marché, en croyant que l'éducation est principalement un outil pour trouver un emploi, maîtriser une profession, nous faisons une énorme erreur. Si le marché ne crée pas une demande pour des connaissances qui n'ont pas d'application pratique, ces connaissances seront exclues des programmes universitaires. À quoi servent le latin et le grec, la littérature, la poésie et la philosophie ? Pourquoi avons-nous besoin des mathématiques ? Les mathématiques dans leur application pratique créent l'intelligence artificielle. Mais il y a des mathématiciens qui pensent comme des poètes, et ils ne cherchent pas l'"utilité". Un théorème a une beauté qui n'a pas d'application pratique immédiate. Einstein savait très bien que la science vit de la créativité, et il est très important de la nourrir de curiosité, d'imagination, de fantaisie. Vous pouvez apprendre en lisant des romans, des poèmes, en contemplant des tableaux, en étant en contact avec l'art, en écoutant de la musique. C'est pourquoi nous sommes confrontés à cette distinction aujourd'hui: d'une part, il existe des connaissances injustement inutiles parce qu'elles n'ont pas d'application pratique immédiate, et d'autre part, il existe des connaissances qui sont considérées comme importantes uniquement parce qu'elles ont une application pratique immédiate.

Ordine se souvient d'une conversation entre un scientifique et un politicien devant une commission du Sénat américain. Un physicien du Fermilab (l'un des plus grands laboratoires de physique des particules) défendait le financement du projet lorsqu'un sénateur démocrate lui a demandé : "À quoi sert cette expérience, est-elle utile pour défendre militairement les États-Unis, est-elle utile dans notre compétition avec les Russes ?". Le physicien a répondu: "Cette recherche est inutile pour défendre notre pays, mais elle est utile pour rendre notre pays digne d'être défendu". Ordine explique: "Si votre pays n'a pas de pensée, pas de recherche, c'est un pays sans valeur."

Il poursuit: "Toutes les grandes découvertes et inventions de l'histoire des sciences ont commencé par des expériences qui, au départ, n'avaient aucune application pratique. Aujourd'hui, le GPS est utilisé dans les téléphones portables, les avions, les bateaux... Sans la théorie de la relativité d'Einstein, le GPS aurait été impensable, mais lorsqu’Einstein a développé sa théorie, il n'avait aucune idée qu'elle pourrait être utilisée dans les téléphones portables ou même le GPS. Pour lui, la tâche consistait à apprendre sur le monde, sur la nature.

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Question : En tant que professeur d'université constamment entouré de jeunes, que pensez-vous des réseaux sociaux ?

Réponse: ils sont une pure illusion. Facebook, WhatsApp, Twitter créent l'illusion que nous pouvons développer des relations humaines par leur intermédiaire, mais en fait ils créent une nouvelle forme de solitude: croyant communiquer avec d'autres personnes, nous sommes enfermés dans notre propre maison 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Et c'est ce à quoi la pandémie nous a habitués. Une chose est indispensable: je ne peux pas sortir de chez moi car une loi me l'interdit, mais je peux parler à ma mère, qui se trouve à 100 km de moi, par liaison vidéo. C'est l'exception. Mais dans des circonstances normales, ce n'est pas une véritable communication. La vraie communication est une relation humaine physique. Le toucher est très important dans les relations humaines, et de tels moyens les rendent impossibles: je peux vous voir et vous parler, mais je ne peux pas vous toucher. Le toucher est très important. Les philosophes en ont beaucoup parlé. Le toucher est une véritable relation humaine: deux corps se touchent, sentent la peau de l'autre; c'est comme une énergie qui va de l'un à l'autre. C'est pourquoi je suis très inquiet. Cette solitude est dangereuse: elle préfigure les changements anthropologiques à venir. La pandémie nous a fait prendre conscience que l'on peut continuer à rester cloîtré chez soi car il y a Amazon qui vous envoie un livre, un restaurant qui vous livre une paella, il y a le télétravail et l'apprentissage numérique. Mais la vie entre chez vous sous la forme de la consommation, sans véritables relations sociales.

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Q : Le fait de passer du temps en ligne vous détourne-t-il de la lecture de livres?

Réponse : C'est un gros problème. Les nouveaux outils numériques sont affûtés pour la vitesse. Je regarde un objet, mais j'ai un faible seuil d'attention. Deux minutes tout au plus. Je passe immédiatement à autre chose, comme lorsque je feuillette les chaînes de télévision. C'est pourquoi les écoliers d'aujourd'hui ont un seuil d'attention très bas. Lire un texte sur papier et le lire sur un écran sont deux choses différentes. Le niveau de concentration sur l'écran est plus faible que sur le texte papier. Il y a beaucoup de distractions sur l'écran, des messages contextuels, des appels pour aller à d'autres parties du texte. C'est ce que les neuroscientifiques étudient aujourd'hui. Lorsque j'ai commencé à enseigner il y a 30 ans, les élèves pouvaient écouter tranquillement le professeur pendant une heure. Maintenant, c'est 15-20 minutes au maximum. Mais ce n'est pas la faute des étudiants. D'après mon expérience, si les enseignants travaillent dur, les élèves suivront. Les étudiants ont toujours des valeurs en demande.

Q : Quels conseils donneriez-vous aux élèves du secondaire qui doivent décider d'une orientation professionnelle ?

R : Et le conseil est de choisir non pas ce qui vous permettra de gagner plus d'argent, mais ce qui vous intéresse et vous passionne. Par exemple, de nombreux étudiants choisissent aujourd'hui des carrières médicales parce que l'avenir financier d'un médecin est assuré, tout comme celui d'un ingénieur informatique.

163131.1615863602.jpgJe me souviens qu'à la fin d'une de mes conférences, une dame s'est précipitée vers moi et m'a dit: "Professeur, je pleure parce que je me suis rendu compte que j'ai fait une énorme erreur dans ma vie: je suis médecin et je gagne beaucoup d'argent, mais je suis malheureuse parce que chaque jour je me lève pour faire quelque chose qui ne m'intéresse pas, qui ne me passionne pas du tout’’.

C'est mieux de faire ce que tu aimes. Par exemple, pour moi, le travail n'est pas du tout du travail, je ne peux pas vivre sans mes livres (il désigne l'étagère). Si je pars en vacances, je mets toujours des livres dans ma valise, car je ne peux pas imaginer des vacances sans lire un roman, un poème... En vacances, je me permets de lire uniquement pour mon propre plaisir.

Q : Passons à des thèmes plus importants. Sur la page consacrée aux Lettres de Nicolas Machiavel, le secrétaire florentin affirme que chaque journée est toujours complétée par la lecture des classiques qui "nourrissent l'esprit": "Pendant quatre heures, j'oublie l'ennui, je ne pense pas à mes chagrins, je ne me décourage pas de la pauvreté et ne crains pas la mort: je suis entièrement transporté vers eux’’.

Réponse : C'est l'idée du "pain de la pensée", qui est une métaphore utilisée par Garcia Lorca, Pétrarque, Victor Hugo, ainsi que Machiavel: il faut non seulement du pain pour le corps, mais aussi du pain pour l'esprit. C'est une erreur de croire que seul le corps a besoin de pain. En cas de pandémie, il faut garder ouverts non seulement les supermarchés, mais aussi les écoles, les universités et les librairies, car c'est le "pain de la pensée". Sans ce pain, la société échouera.

Dans notre monde matérialiste, nous vivons dans une désertification de l'esprit.

Il est inimaginable que le président des États-Unis soit un ignorant sans éducation. C'est une conséquence du fait que la classe politique a abaissé son seuil d'attention et de connaissance. Si nous perdons le savoir, injustement jugé inutile, nous perdons l'occasion de cultiver le "pain de la pensée".

Q : C'est maintenant le tour de la politique. Sur une autre page de ses Discours, Montesquieu déclare: "Si je savais quelque chose d'utile à ma patrie, mais de dangereux pour l'Europe et pour l'humanité, je le regarderais comme un crime’’.

Réponse : Cette page vous permet de comprendre le problème de la Catalogne. J'ai beaucoup d'amis catalans, certains d'entre eux sont indépendantistes, d'autres non. L'idée de Montesquieu n'est pas de créer de petits États, mais de les éliminer et de créer une Europe plus grande, plus vaste. L'objectif principal est de supprimer les barrières entre l'Espagne, la France, l'Allemagne et l'Italie. Mes amis catalans pensent que c'est une bonne idée. La protection de leur langue et de leur culture est nécessaire, mais toujours dans une perspective européenne, et à l'avenir, dans le but de devenir des citoyens du monde.

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Q : "L'Europe, oubliant ses racines culturelles, tue progressivement l'étude des langues anciennes, de la philosophie, de la littérature, de la musique et de l'art en général", dites-vous dans l'introduction de Classics for Life. Êtes-vous pessimiste quant à l'avenir du Vieux Continent ?

Réponse : Le problème de l'Europe est que nous n'avons pas d'Europe culturelle. Nous avons une Europe des banques et de la finance, mais pas de la culture.

Le paradoxe est que l'ère de la culture existait à l'époque de Giordano Bruno, qui a vécu à la cour d'Henri III en France, puis à la cour de Rodolphe II à Prague, et plus tard à la cour d'Angleterre avec la reine Élisabeth I. Des scientifiques comme Galilée ont interagi avec d'autres scientifiques cosmologistes dans d'autres parties de l'Europe. Il y avait une sorte de République de la littérature, de la science, de la culture. Il n'y a rien de tel aujourd'hui. Il existe un égoïsme économique très fort dans chaque pays. Une pandémie pourrait être une bonne occasion de changer cela et de devenir plus solidaire avec les États qui ont le plus souffert. Comme l'Italie et l'Espagne. Cette idée de solidarité nous permettrait de faire de l'Europe une véritable union de citoyens réfléchissant à un avenir commun.

Nuccio Ordine tire une conclusion décevante : "L'égoïsme est le résultat des politiques néolibérales qui ont tout détruit dans le monde. La pandémie nous a fait prendre conscience de la valeur de deux piliers de la dignité humaine: le droit à la santé et le droit à la connaissance. Pourtant, au cours des trente dernières années, les budgets consacrés à la santé et à l'éducation ont été considérablement réduits parce qu'ils étaient considérés comme inutiles. Aujourd'hui, nous payons pour cette erreur. J'espère que nous n'oublierons pas ce que nous avons appris pendant la pandémie".

Le professeur Ordine résume ses réflexions par une citation tirée du Livre du rire et de l'oubli de Milan Kundera: "La lutte de l'homme contre le pouvoir est une lutte de la mémoire contre l'oubli." "Si nous oublions, les choses seront encore pires qu'avant", conclut le professeur, avant de revenir aux histoires de Boccace.

Interviewé par Miguel Manso de Lucas,

Traduction de l'espagnol par Natella Speranskaya.

mercredi, 17 mars 2021

L’université française contre elle-même

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L’université française contre elle-même

par Georges FELTIN-TRACOL

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Le monde universitaire ne supporte pas la contradiction. À peine sa ministresse de tutelle dénonce-t-elle l’emprise de l’islamo-gauchisme dans les facultés qu’une pétition parrainée par la sociologue Dominique Méda et l’économiste Thomas Piketty recueille six cents signatures de chochottes bardées de diplômes et de titres grandiloquents. Ce texte publié dans Le Monde du 20 février dernier dénonce les propos de Frédérique Vidal. Celle-ci provoque par ailleurs une vive controverse au sein même de la Macronie entre son courant progressiste – libertaire et sa faction libérale – autoritaire.

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La ministresse de l’Enseignement supérieur a demandé au CNRS d’enquêter sur l’influence de ce qui s’appelait dans les années 1970 – 1980 l’« islamo-progressisme » et dans les décennies 1990 – 2000 l’« islaméricanisme ». On observe maintenant l’arrivée à maturité d’un croisement surprenant de l’islam politique, de l’idéologie égalitaire et des tares conceptuelles venues d’outre-Atlantique (multiculturalisme, politiquement correct, féminisme, gendérisme, intersectionnalisme, écriture inclusive, études post-coloniales ou décoloniales, etc.). Les pétitionnaires s’élèvent contre ce qu’ils estiment être un inacceptable empiètement de leurs « libertés universitaires ». Véritable Titanic de la recherche française, le CNRS a rendu son travail vingt–quatre heures après sa saisie. Cette rapidité confirme l’inquiétude des soutiens d’une autre pétition elle aussi publiée dans Le Monde du 24 février. Les signataires tels que Pierre-André Taguieff, Jacques Julliard, Pierre Manent ou Gilles Kepel réclamaient que l’enquête diligentée revînt au Haut-Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le CNRS répond en effet que l’islamo-gauchisme n’est pas une réalité scientifique pertinente. La théorie du genre, l’appropriation culturelle et le privilège blanc sont-ils scientifiquement prouvés ? Le croire serait une preuve manifeste de grande naïveté.

Tout ce cirque médiatique risible prouve le délabrement avancé des universités. Cela fait longtemps déjà que l’enseignement supérieur n’est plus un espace de liberté intellectuelle. Il y a plus de vingt ans, en novembre 2000, une commission Théodule de luxe révoquait de sa fonction de chargé de recherche du CNRS Serge Thion (1942 – 2017). Ce sociologue dissident spécialiste de l’Asie du Sud-Est, proche de Dieudonné et de Kémi Séba, soutenait dans les années 1970 les Khmers rouges. Il contestait ouvertement depuis les années 1980 certains événements marquants du XXe siècle dont les exactions pol-potistes commises au Cambodge.

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Le 15 novembre 2001, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Jack Lang, créait une « Commission sur le racisme et le négationnisme à l’Université Jean-Moulin Lyon – III ». Présidée par Henry Rousso, elle se composait d’Annette Becker, de Philippe Burin, de Florent Brayard et de Pierre-André Taguieff. Les successeurs chiraquiens de Lang, Luc Ferry et François Fillon, encouragèrent son enquête. Elle rendit son rapport final, le 5 octobre 2004, soit trois ans plus tard.

Dans ce document, ses membres reconnaissaient volontiers que « son champ d’investigation touche à la question de la liberté d’expression des universitaires – la “ liberté académique ” qui s’exerce dans le cadre de leur métier, à celle de l’autonomie réelle des universités, au mode d’évaluation des travaux scientifiques ou d’attribution des diplômes, ou encore aux procédures du recrutement (p. 9) ». Il s’agissait en réalité d’évaluer la présence d’une fantasmatique « extrême droite » au sein de Lyon – III. Président de cette université de 1979 à 1987, Jacques Goudet, converti à l’Orthodoxie, était connu pour être un ardent gaulliste, militant à l’UNI et au SAC.

À Lyon – III officiaient des esprits libres : Bruno Gollnisch, Bernard Lugan, Pierre Vial, Jean Haudry, Jean-Paul Allard, Jacques Marlaud, Bernard Notin. L’Institut d’études indo-européennes était particulièrement visée tant ses apports novateurs démontaient la doxa officielle. En page 231 du rapport, ses auteurs se permettent de mettre entre guillemets le mot « civilisation » quand ils l’associent aux Indo-Européens ! Un bien bel exemple de négationniste valorisé. À l’époque, aucune voix autorisée ne s’éleva contre cette honteuse ingérence.

Rongée par les vagues successives de gauchisme et les modes incessantes déferlant des côtes Est et Ouest des États-Unis, l’université hexagonale pâtit de sa massification. Trop d’étudiants s’inscrivent dans des impasses professionnelles. Il serait temps que le baccalauréat devienne un véritable concours d’entrée en première année d’études supérieures. Il serait aussi approprié que les jeunes majeurs que sont les étudiants puissent noter chaque semestre leurs enseignants. L’université devrait enfin s’ouvrir à une plus grande diversité des opinions et des expressions. Ces trois mesures de bon sens redonneraient en une génération un lustre nouveau à des universités aujourd’hui sinistrées.

Georges Feltin-Tracol.

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 205, mise en ligne sur TVLibertés, le 9 mars 2021.

dimanche, 10 janvier 2021

Aujourd’hui, l'Occident tue le monde gréco-romain

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Nogueira Sousa :

Aujourd’hui, l'Occident tue le monde gréco-romain

Les classiques vont mourir et c'est autant la faute de la droite que de la gauche!

Ex: http://novaresistencia.org

Je suis un passionné des textes gréco-romains classiques, à tel point que j'ai étudié le latin et le grec classique seul pendant quelques années afin de mieux apprécier les classiques. J'ai étudié seul car les études classiques ne sont plus très accessibles dans les écoles et les universités, il y a peu d'endroits où l'on peut apprendre ces langues avec des professeurs en chair et en os. Il existe parfois des initiatives individuelles pour offrir cette culture classique à des personnes d'origine plutôt modeste, mais elles sont très limitées. Et étant un aficionado des classiques, je suis également de nombreuses pages en ligne sur le sujet et j'ai aussi la mienne, Latim Vivo.

Mais début juillet 2020, certaines pages et profils espagnols sur Twitter et ailleurs ont regretté une proposition de modification de la loi régissant l'enseignement en Espagne. Cette proposition retirerait le latin et le grec du programme de certains établissements et supprimait certains cours, ce qui signifierait à court terme la mort des études classiques.

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Cependant, dans les débats sur la préservation de la culture classique, tant dans les écoles que dans les universités, on ne peut s'empêcher de remarquer une tendance, surtout dans les pages émanant du monde anglo-saxon, à avoir une obsession pour les causes défendues avec l’acharnement que l’on sait par la gauche libérale, des causes telles l'antiracisme progressif et le militantisme LGBT.

Avec tout le mouvement "Black Lives Matter", les débats sur les genres et le "Pride Month", le débat biaisé sur les classiques, que l’on cherche à évacuer, s'aggrave encore dans le mauvais sens. On va jusqu'à déformer toute la littérature classique pour insister sur le mythe, propagé principalement par des intellectuels homosexuels, selon lequel le monde gréco-romain était un monde d'ample liberté sexuelle, sans liens de genre et de sexualité. Ils adoptent en fait la même tendance dont fait montre la littérature classique : rechercher dans le passé des leçons pour l'avenir, comme l'ont fait Tite-Live, Salluste et Xénophon. C'est-à-dire que les classiques doivent être étudiés parce que l'Antiquité classique nous donnerait de belles leçons sur la liberté sexuelle. Après tout, l'utilité du latin et du grec serait ainsi avérée.

Quant à l'antiracisme progressiste, il redouble les efforts pour nous démontrer que les paroles des auteurs classiques ne sont nullement racistes. Il y a même des initiatives qui tentent d'amener plus d'étudiants noirs dans le milieu des études gréco-latines, bien que l'héritage gréco-latin ne soit pas ce que les militants noirs recherchent vraiment...

Mais ces efforts finissent par être plutôt contreproductifs. Ils sont un coup de Jarnac porté par les classicistes de la gauche libérale et ne constituent nullement une aide à la préservation de l'héritage gréco-latin. Car ce sont précisément ces deux tendances et mouvements, soit le militantisme LGBT et  l'antiracisme progressiste, tous deux généralement parrainés par des milliardaires suspects comme George Soros, qui poussent à la destruction des lettres classiques dans les milieux universitaires.

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Pourquoi ? Parce qu'il existe une croyance, courante dans les milieux gauchistes, selon laquelle l'étude du grec et du latin est une "élitiste", une "affaire de Blancs", voire une expression de la suprématie blanche, émanant de personnes qui veulent "sauver l'Occident" et que, par conséquent, l'étude des classiques devrait être supprimée des écoles et des universités pour faire place à la littérature "non occidentale", en particulier la littérature indigène et africaine.

En fin de compte, selon ces cercles gauchistes, les seules œuvres qui devraient être étudiées sont les poèmes de Sapho de Lesbos et l'un ou l'autre texte faisant référence à l'homosexualité dans le monde classique (pour faire imaginer que tout le reste de cette culture était aussi gay que les « Gay Pride »). Le reste de l’univers mental grec et latin est alors délibérément ignoré ou critiqué comme étant rétrograde, conservateur et macho. Il n'est d'ailleurs pas difficile de trouver dans les pages et les magazines du ministère des éditions spéciales sur l'"homo-érotisme" et les "représentations des sexes" parmi les classiques. En d'autres termes, on peut résumer toute la littérature et l'art gréco-romains en autant d’expressions de l’"homoérotisme", ce qui revient à proposer une projection moralisatrice anachronique sur la sexualité des anciens. On évoque à qui mieux mieux la supposée relation homosexuelle entre Patrocle et Achille. Quant au reste de l'Iliade, nous devrions la condamner comme un exemple de "masculinité toxique".

Mais ce ne sont ici que les justifications de gauche, ce n’est qu’un côté de la médaille. Voyons le revers de la médaille : chez les néo-libéraux, il y a la croyance que le latin et le grec ne servent à rien, qu'ils ne forment pas les jeunes pour le marché, qu'ils sont le résidu du simple "baccalauréat", typique de la culture scolaire brésilienne, qui est à la traine derrière les cultures capitalistes pragmatiques comme celles de l'Amérique du Nord.

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Et nous avons une autre variante de saboteurs de la culture classique : celle des néoconservateurs de droite. Ces derniers pensent que l'étude des classiques, de ce qu’il convient d’appeler la "haute culture", est un moyen de "sauver l'Occident", mais d'un autre côté ils soutiennent tous les politiciens, partis et institutions néolibérales qui voudraient voir les sciences humaines balayées des écoles et des universités parce que, en plus d'être inutiles, elles sont des moyens d'"endoctrinement de gauche", où l'on parle d'homo-érotisme, d'idéologie de genre, de féminisme et de destruction de la famille. Ces mêmes disciples d'Olavo de Carvalho (1) veulent voir advenir la destruction de toutes les cultures traditionnelles qui n'ont pas embrassé le mondialisme libéral, pour lequel ils fantasment, en le prenant pour un avatar final de "l'Occident chrétien". C'est-à-dire qu'ils veulent détruire toutes les cultures qui disposent encore de clés pour comprendre le monde classique, qui était, oui, un monde traditionnel, pour laisser la place à l'"Occident chrétien" qui, ironiquement, est dirigé par le même pays d'où sont issus des mouvements comme le "Black Lives Matter", le "Pride Month" et les nombreuses féministes qui propagent la soi-disant idéologie du genre ?

En bref : les classiques vont mourir et la faute en incombe autant à la droite qu'à la gauche. Mais laissons l'épitaphe suivante sur la pierre tombale des lettres classiques comme message à leurs bourreaux :

Quod tu es, ego foi, quod sum, tu eris.

Nogueira Sousa

Leader régional de la NR-SP, présentateur du podcast Pisando em Brasa, professeur et diplômé en lettres de l'IFSP.

Note :

(1) Olavo Luiz Pimentel de Carvalho, plus communément connu sous le nom d'Olavo de Carvalho, né le 29 avril 1947 à Campinas, est un philosophe autodidacte, écrivain et essayiste brésilien.

Il s'intéresse à la philosophie historique, à l'histoire des mouvements révolutionnaires, à la kremlinologie, à l’école traditionaliste, à la religion comparée, à la psychologie et à l’anthropologie philosophique.

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Référence intellectuelle de l'extrême droite brésilienne, il est connu pour ses positions conservatrices et conspirationnistes. Il dénonce la « pensée unique de gauche » et le « marxisme culturel » dans les médias et les universités brésiliennes. Il est particulièrement influent auprès du président Jair Bolsonaro, de ses fils et de certains de ses ministres dont il a appuyé la nomination.

samedi, 12 septembre 2020

Covid a signé la mort de l’éducation publique...

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Covid a signé la mort de l’éducation publique...
 
par James Howard Kunstler
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Après un printemps infernal et deux mois de séjour d’été forcé, les familles de tout le pays attendent avec impatience la réouverture très hasardeuse de l’année scolaire. Le virus Covid-19 a révélé des fissures structurelles dans la puissante forteresse de l’éducation publique. Certains campus restent fermés, ou sont seulement provisoirement, et partiellement, ouverts. Il est facile de voir où cela va nous mener.

J’ai reçu cette semaine une lettre d’un professeur de physique de lycée en Nouvelle-Angleterre – qui veut rester anonyme. Il écrit :

«… Covid a signé la mort de l’éducation publique en Amérique … L’État n’arrive pas à décider si nous devrions faire du télétravail partout ou plutôt essayer un calendrier hybride étrange. Personne ne peut prendre de décision. Le syndicat a les boules. Il sait que la plupart des salles de classe sont mal ventilées et trop petites et ils n’imaginent qu’un scénario du type «bateau de croisière». Le travail à distance est horrible, mais c’est mieux que rien…»

Avant d’aller plus loin, rappelez-vous le premier principe de notre longue urgence : tout ce qui est organisé à une échelle géante est appelé à échouer. Au cours de la poussée de croissance de l’après-guerre, nous avons regroupé toutes les écoles du pays en campus géants desservis par des flottes d’autobus jaunes réunissant des milliers d’enfants dans des bâtiments conçus pour ressembler à des usines d’insecticides. Et une fois ce projet terminé, qu’avons-nous obtenu ? Deux décennies de fusillades de masse dans les écoles. Je ne pense pas que nous ayons compris le bon message – à savoir que ce type d’école produit tellement d’ennui et d’anomie que certains enfants deviennent des meurtriers au moment où ils atteignent l’adolescence.

Le fait que cette condition reste méconnue, et certainement absente du débat public, en dit long sur la psychologie collective désastreuse qui a prévalu dans l’investissement précédent : après avoir mis en place ce système misérable à des coûts titanesques, nous ne pouvons même pas penser à le changer. Maintenant, comme d’habitude dans l’histoire de l’humanité, le processus se déroulera de manière urgente, tout seul, que cela nous plaise ou non, parce que les circonstances l’exigent.

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Une autre question absente des médias d’information est ce qui se passe lorsque la baisse des recettes fiscales commence à atteindre les campus scolaires géants consolidés. Mon correspondant, professeur de physique en Nouvelle-Angleterre écrit :

«Les finances des écoles sont en mode complètement inversé. Chuchotée dans les couloirs avant chaque comité d’école et dans chaque salle du conseil municipal, il y a la formidable réalité que la TVA et la taxe foncière sont en baisse de 25 à 30%. La peur est palpable…. Il me semble que l’Éducation publique, telle que nous le connaissons actuellement sera de l’histoire ancienne dans environ quatre ans. C’est une grande institution. Il lui faudra quelques années pour imploser complètement, mais pas une décennie. Il ne reste plus d’argent pour la faire fonctionner telle qu’elle est.»

Et ainsi, la «technologie» intervient pour sauver la situation : l’apprentissage à distance. Cela semblait être une bonne idée à l’époque, mais les conséquences imprévues sont assez sombres. Est-il réaliste de poster les petits enfants, disons de la 1ère à la 6ème année, devant des écrans d’ordinateur pendant six heures par jour ? J’en doute. Et maintenant que nous avons mis les choses en place pour que de nombreux ménages aient besoin du revenu des deux parents pour vivre, qui sera là pour superviser l’apprentissage à distance ? Personnellement, je doute que la majorité, même des lycéens, s’habitue à ce régime.

Qu’en est-il des nombreux ménages pauvres ? Les écoles peuvent leur distribuer des ordinateurs portables et des tablettes, mais que se passe-t-il s’il n’y a pas de service Internet à la maison ? Et si les parents sont analphabètes en informatique ? Et s’il y a plusieurs enfants et que le ménage est chaotique ? Telle est la véritable réalité dans laquelle de nombreuses mères célibataires bénéficient de l’aide publique. Dans l’état actuel des choses, les enfants réussissent déjà mal dans une école ordinaire.

Alors, il y a l’enseignement à domicile. Un parent achète un programme d’enseignement et le suit. Prenez votre respiration ! Combien de parents sont réellement équipés pour faire cela ? Et qui sont les parents – surtout les mères – qui restent à la maison avec les enfants au moins une demi-journée ? Je m’empresse d’ajouter que la prochaine étape de la scolarité en Amérique naîtra probablement hors des efforts de scolarisation à domicile, car des groupes, ou des familles, organisent de petites écoles ad hoc qui ressemblent par leur structure aux écoles à une seule pièce d’antan. Mais le chemin vers ce résultat sera probablement compliqué et difficile, et beaucoup d’enfants seront laissés pour compte. Eh alors ? Abraham Lincoln a réussi à avoir une éducation avec rien de plus qu’une Bible, un volume de Shakespeare et une pile de livres de droit.

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Les collèges ont la tête si profondément dans le sable qu’on peut à peine voir dépasser les chevilles des responsables. C’est encore absolument pire en haut du tas. Par exemple, voici une lettre récemment envoyée à l’ensemble de la «communauté» d’étudiants, au personnel et aux professeurs de l’Université de Princeton par son président Christopher Eisgruber – lisez le tout ici. Une telle décharge puante de bigoteries racistes, lâches et malhonnêtes, n’a jamais été vue auparavant, ou à peine, même à Harvard, Yale et Brown, où l’insincérité coule comme le xérès Amontillado. Eisgruber écrit :

«Nous devons nous demander comment Princeton peut lutter contre le racisme systémique dans le monde. »
 
La grandiosité c’est vraiment quelque chose, le mot – inexistant – attendait justement que Princeton l’invente, et maintenant le moment est venu ! Et, bien sûr, comme si des croisades donquichottesques contre les gremlins politiques sauveraient Princeton.

J’ai des nouvelles pour vous : les collèges et les universités s’effondrent et pas simplement parce que Covid-19 a interrompu leurs business plans. Plutôt, à cause de la malhonnêteté prodigieuse et grossière dans laquelle est tombée l’éducation supérieure. Le racket autour des prêts universitaires était déjà assez grave, mais le racket intellectuel autour de faux domaines d’études, la persécution contre les crimes de la pensée et une hystérie sexuelle épique a déshonoré la mission même de l’enseignement supérieur, l’a transformé en quelque chose de pas mieux qu’un culte malade, et a infecté le reste de la culture en essaimant dans de nombreuses institutions et entreprises commerciales, avec des diplômés sectaires, déterminés à soumettre l’ensemble de la société américaine à une session de lutte maoïste sans fin – [genre Révocul, NdT].

Si l’apprentissage à distance est fait pour vous, suivez cinq cours en ligne gratuits par semestre à la Khan Academy et ne consacrez plus de soixante-dix ans d’économie à une université de l’Ivy League pour à peu près exactement la même chose. À l’heure actuelle, les écoles sont en pleine effervescence alors que les étudiants se présentent, commencent à faire la fête – ou se réunissent simplement en petits groupes sociaux – et qu’est-ce-que vous croyez, tout se déroule comme dans un bateau de croisière. C’est ce qui s’est passé cette semaine à SUNY Oneonta and Indiana University. Plus à venir, j’en suis sûr.

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Finalement,voyez vous, des milliers de collèges et d’universités à travers le pays fermeront ou du moins réduiront considérablement leurs effectifs – si les maoïstes ne les incendient pas après les élections. Le destin de nombreux jeunes aujourd’hui ne réside pas dans les couloirs sacrés de Google, Microsoft et Goldman Sachs, mais plutôt dans les champs et les pâturages des régions fertiles du pays où la nourriture doit être cultivée pour une population en déclin. Chutttt !!! Ne leur dis pas ça. Ils vont juste avoir une autre crise de colère, te crier dessus et t’annuler. Mais le monde évolue comme il évolue, et c’est probablement par là que ça ira.

James Howard Kunstler

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

samedi, 22 août 2020

Pourquoi l’enseignement à distance gâche la joie d’apprendre

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Pourquoi l’enseignement à distance gâche la joie d’apprendre

par Marianne Kutscher, Cologne

Ex: https://www.zeit-fragen.ch

Notre petit-fils Jan est élève de première année et vit avec nous depuis trois ans. Il est fasciné par la lecture et l’arithmétique, comprend très vite et aime apprendre. Son enseignante est enthousiasmée par sa classe, elle est très engagée gardant «les pieds sur terre». Jusqu’à présent, les médias numériques n’ont quasiment pas joué de rôle dans son enseignement. Comme je suis moi-même ancienne enseignante d’une école de rattrapage, Jan a bénéficié de conditions optimales dans l’enseignement à distance, avec une personne de référence professionnelle abordable et disponible. Pendant les 2 ou 3 premières semaines de fermeture d’école, nous avons eu beaucoup de plaisir, Jan effectuant ses tâches rapidement et volontiers. Les plans et fiches de travail imprimés l’intéressaient particulièrement. 

Le matin, à 9 heures au plus tard, «la classe» commençait chez nous: Jan attachait pourtant une grande importance à ce que nous ne jouions pas à «la classe» et que je n’étais pas son enseignante – car, comme je le pense, son école et son enseignante sont des choses «sacrées» pour lui. L’enseignante de Jan a sérieusement veillé à ce que la matière soit préparée et retransmise le mieux possible, en général par courrier électronique. Elle ne cessait d’envoyer des photos de la mascotte de la classe, à savoir le zèbre Milo qui, comme les élèves, ne vivait plus à l’école, mais chez elle. Milo a posé des énigmes ou des tâches répondant toujours promptement par courrier électronique. Au début, Jan avait du plaisir d’avoir l’écho de Milo, mais bientôt l’attraction diminua au point de prendre note des réponses de Milo en vitesse et sans en demander davantage. Malheureusement, pendant toutes ces semaines, une seule réunion avec l’enseignante d’environ cinq minutes a pu se tenir, au seuil de notre porte d’entrée, à l’occasion de la remise des devoirs. Jan s’est apparemment réjoui de cette courte rencontre, mais me semblait retenir sa joie puisqu’il savait, c’était mon impression, qu’elle ne serait que momentanée et que personne ne savait si et quand «la vie normale» recommencerait.

Après les vacances de Pâques, Jan a commencé à se plaindre des tâches: pas toujours les pages pour la nouvelle lettre au «Caribou» (titre du manuel)! Pas toujours les fiches de travail! Je vais les faire cet après-midi comme «devoirs»! Ces «devoirs» ont été faits peut-être deux fois sans râler. Puis, il n’avait plus envie de les faire et les a reportés au soir ou au week-end. A ce moment-là, les tâches contenaient de plus en plus des informations sur les liens utiles ouvrant la voie sur des films YouTube, chacun d’une durée d’environ trois minutes en guise d’enseignement de matières concrètes (science, histoire locale) ou des explications de maths, par exemple concernant l’addition du passage par la dizaine. Bien que les films soient assez compréhensibles, Jan y a bientôt montré très peu d’intérêt. De même, il a reçu la tâche de travailler chaque semaine avec les programmes didactique appelés «Anton» ou «Antolin», à savoir deux programmes d’apprentissage de la lecture et du calcul où il s’agit d’acquérir des points; mais ils perdaient très vite, eux aussi, leur attrait initial, tout comme le «passeport pour la lecture» avec lequel, le jour réservé à «l’enseignement en face à face», on pouvait obtenir une perle de l’enseignante, sur la base des exercices de lecture de dix minutes reconnus par les parents.

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C’est surtout pendant les exercices de lecture que j’ai remarqué ce qui lui manquait le plus: le contact humain avec l’enseignante et les camarades de classe, la nécessité de parler plus fort pour que les autres comprennent, l’écoute des autres, la confirmation ou même la correction et l’encouragement par l’enseignante, réfléchir pendant que d’autres camarades de classe lisent, qu’eux aussi font des erreurs...! A la maison, Jan n’a lu que silencieusement ses textes, en effet la grand-mère ne pouvait pas remplacer la communauté d’une classe! Finalement, une mère a eu l’idée d’organiser des conférences «zoom» pour la classe. Lors de la première conférence, nous n’avons pas pu travailler avec le microphone de notre téléphone mobile, mon portable, quelque peu démodé, il est vrai, ne disposant pas encore de caméra. Jan a vu son enseignante comme à la télévision, non pas comme elle «vit et respire», mais plutôt comme «conservée». Tous les signaux fins entre l’enseignante et les élèves et une infinité de facettes de la communication sans mots, qui dans l’enseignement réel transmettent une atmosphère amicale, chaleureuse, encourageante, intensive et parlante, sont impossibles dans l’enseignement numérique. Jan a vu certains de ses camarades de classe dans des extraits d’image. Certains d’entre eux étaient à peine compréhensibles. Jan lui-même n’aime pas apparaître devant la caméra, c’est pourquoi il n’a pas participé aux «conférences». Il n’a pas demandé d’autre conférence. Son ami Tim, selon sa mère, ne voulait rien avoir à faire avec ces ré-unions avec l’ordinateur. La «réticence» de Jan à travailler est devenue de plus en plus forte. J’étais vraiment peinée de voir qu’il perdait de plus en plus le goût d’apprendre et comment son humeur se détériorait. Comme il a fait correctement ce que l’enseignante exigeait, ni plus ni moins – ce qui montre la forte orientation des enfants envers l’enseignante – je n’ai pas réussi à le convaincre avec mes tentatives d’approcher l’ensemble de façon créative. Comme l’enseignante n’avait pas le temps de réviser toutes les fiches de travail le jour de l’«enseignement en face à face», Jan envisageait de ne plus les travailler. Mais quand son ami lui a raconté qu’elle les avait révisées un autre jour, il a changé d’avis. Pour la première fois, la fiche de travail disait qu’il devait davantage veiller à son écriture. A ma suggestion d’écrire correctement, il n’a accordé aucune attention, si bien que son écriture se dégradait un peu. J’ai décidé d’inviter l’ami de Jan les mardis et les jeudis pour qu’ils apprennent ensemble. C’était le «sauvetage»! 

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Les parents étaient soulagés. Ils travaillaient tous les deux dans le bureau au domicile, ils avaient encore un autre écolier à la maison et Tim faisait preuve des mêmes «symptômes de réticence» que Jan. Immédiatement, tout fut différent, le souvenir d’avoir appris ensemble est revenu aussitôt et ils ont retrouvé l’épanouissement perdu. Les deux se sont assis et ont tout de suite commencé leur travail. Ils se sont échangés sur le contenu, ils se sont amusés à faire des blagues, ils se sont encouragés réciproquement en accélérant leur rythme. Grâce à leur coopération, j’ai pu imaginer de façon vive comment les choses se passaient dans la classe. Jan s’est vraiment épanoui! L’amitié qui s’était développée à l’école et qui allait s’affaiblissant au cours des dernières semaines était de retour. Les jours où Tim n’est pas venu, Jan faisait preuve du même état d’esprit de refus et de rejet qu’avant.

Pendant cette période, je me suis rendue compte, une fois de plus, de l’immense importance de l’enseignant comme première personne de référence après les parents et du fait qu’un enseignement sans relations humaines réelles manque de «vie». Rien ne peut remplacer une école pleine de vie! •

mercredi, 24 juin 2020

L'enseignement low cost, la "nouvelle réalité" du monde global post-covid

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L'enseignement low cost, la "nouvelle réalité" du monde global post-covid

par Karine Bechet-Golovko
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com

La dégradation du système scolaire, très longtemps niée, devient une évidence, non plus seulement pour les enseignants du supérieur, qui ont de plus en plus de mal à travailler avec les jeunes recrues fraîchement débarquées des salles de classe. La destructuration des programmes scolaires, les méthodes ludiques et créatives ont permis de créer une génération intellectuellement et psychologiquement faible - qui par ailleurs présente le grand intérêt pour les cercles dirigeants d'être beaucoup plus manipulable. Un énorme travail de sape a été parfaitement réalisé sous l'impulsion des structures internationales, fonctionnant de concert, à savoir principalement l'OCDE, l'UNESCO et la Banque mondiale. La Commission européenne surveille l'exécution conforme des réformes au niveau européen, et même les pays non-membre de l'OCDE, comme la Russie, sont pris en main. Mais il a fallu attendre la mise en place de la "crise de Covid" pour bénéficier de l'impulsion nécessaire à l'entrée en force de l'enseignement dit "ouvert et à distance", dont la forme actuelle a été façonnée par l'UNESCO en 1997 pour les pays en voie de développement, mais peinait à s'implanter dans les Etats développés. Ce pas a été franchi grâce à l'excuse Covid et la mondialisation renforce un monde unifié, mais prévu comme inégalitaire, avec un enseignement traditionnel, coûteux, pour une élite et un enseignement low cost pour la plèbe. C'est ça la "nouvelle réalité" qui foncièrement veut, avec le temps, nous être imposée. Car cette élite a besoin d'un peuple inculte pour se sentir supérieure.

L'éducation des peuples est la pierre angulaire du développement de toute société. Sans même parler du développement culturel de cette société, sur lequel repose chaque pays, car de lui va dépendre le niveau moyen des élites dirigeantes, les systèmes d'éducation forment les jeunes êtres humains appelés à devenir des Hommes. La vie n'est pas qu'un concept biologique, à moins de ne l'appliquer qu'aux cellules. Un être humain n'est pas qu'un amas de cellules, c'est avant tout un être pensant et conscient de cela. Sa personnalité va résulter et des connaissances acquises et de la manière dont ces connaissances seront acquises, à savoir de sa capacité à l'effort, qui fera de lui ensuite un être capable de se développer. Ou non.

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La simplification incessante des programmes scolaires, le ludique à tout prix soi-disant pour garder l'attention de l'enfant, la diminution des devoirs à la maison, les grandes discussions autour de "stress" des notes et des examens, tout cela contribue à fabriquer une génération faible - et psychiquement et intellectuellement. Selon une étude publiée en 2007, le niveau des élèves de 5e en 2005 était celui des élèves de CM2 en 1987 en orthographe et lecture. Et rien n'a été fait pour que ça s'améliore, car les discours progressistes infantilisant se sont renforcés ces dernières années. En Russie, la chute du niveau des élèves est également perceptible lorsqu'ils arrivent à l'Université et cela grâce, par exemple, à l'apparition dans les petites classes de cahiers pré-remplis ... qui permettent à l'élève de ne pas faire l'effort d'écrire trop, à l'invasion de tableaux électroniques dans les salles de classe ... qui permettent aux élèves de ne pas trop se concentrer, à des programmes réduits, à des professeurs peut enclins à corriger des rédactions et encore moins vérifier des listes de lecture estivales (quand les vacances durent trois mois).

Les sources de cette tragédie humaine, dont nous sommes les seuls responsables, sont à rechercher dans les organismes internationaux, qui dirigent les politiques d'enseignement au niveau national. L'UNESCO est très active à ce sujet et a lancé depuis 1997, ouvertement, un grand mouvement pour "l'enseignement ouvert et à distance". L'idée est très simple : puisque la mondialisation se développe à merveille, le monde global doit prendre en main l'enseignement. Or, les zones culturelles et économiques de ce monde global sont différentes - l'enseignement à distance est une chance ... pour égaliser. Sous les slogans de "débarrasser des contraintes de temps et de lieu", d'"enseignement flexible", les pays sont largement enjoints à se détourner de l'enseignement traditionnel, qui ne serait plus adapté aux exigences d'aujourd'hui, pour se tourner vers l'enseignement à distance, ce qui concerne également les Universités. Les crises économiques vont aider à convaincre, car cette forme d'enseignement coûte beaucoup moins cher.

Cette démarche a été, au départ, tournée vers les pays en voie de développement. L'argument spécifique était simple : vous n'avez pas un budget énorme à consacrer à l'enseignement, vos ressources intellectuelles sont limitées, nous vous proposons une solution à moindre coût avec accès à des "vidéos" de qualité. Le culte managerial de la rentabilité fait son travail.

Parallèlement, en 2002, l'OCDE, qui s'occupe des questions économiques, ouvre une direction de l'éducation, qui va "aider" les Etats à intensifier "dans le bon sens" les réformes de l'éducation. Un rapport aussi volumineux qu'instructif est disponible ici. La toile se renforce, car les partenaires de l'OCDE ici sont notamment la Banque mondiale (dont nous allons parler ensuite), l'UNESCO, la Commission européenne et tout un réseau d'ONG, ce qui permet l'implantation nationale des directives internationales. La démarche de l'OCDE est très intéressante, car elle se base sur différents programmes, dont la méthodologie annoncée est très significative. Sur le programme PISA :

"Elle collecte des informations sur leurs compétences socio-émotionnelles, leurs attitudes à l’égard de l’apprentissage et leur bien-être, et évalue également le degré d’équité des possibilités d’apprentissage qu’offrent les pays à leurs jeunes citoyens. Grâce à ces évaluations, les pays ont la possibilité de comparer leurs politiques et pratiques éducatives avec celles des systèmes les plus performants et progressant le plus rapidement dans le monde, tout en tirant des enseignements de ces comparaisons."

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L'important, dans les réformes de l'enseignement, n'est pas le renforcement de l'orthographe, la lecture, pourtant sans maîtriser sa langue maternelle, aucun élève ne peut construire un savoir solide. L'important n'est pas même le savoir. Il s'agit de conduire les pays à unifier leurs systèmes d'éducation en se copiant les uns les autres (donc adieu les traditions nationales) au regard de l'attribution équitable de compétences socio-émotionnelles. Je ne me risquerai pas à la traduction.

L'autre intérêt de ces démarches est la mise en avant de l'utilitarisme : il faut produire des instruments utiles à la société contemporaine - telle que ces organismes l'ont préalablement déterminée :

"mesure le niveau des adultes dans les compétences fondamentales – à savoir la littératie, la numératie et la capacité à résoudre des problèmes dans des environnements à forte composante technologique. (...) L’analyse des données de l’Évaluation des compétences des adultes offre aux pays un bon aperçu des forces et faiblesses de leur main-d’œuvre – et des éléments de leurs systèmes d’enseignement et de formation qui pourraient encore être améliorés. "

Dans cette logique, il est suffisant, au regard du monde technologique voulu, que ces gens sachent lire, compter et manier les technologies. Le système éducatif, de l'école à l'Université, doit donc produire des instruments plus ou moins vivants permettant de faire marcher un monde déterminé ailleurs. Ce n'est plus l'homme qui façonne le monde dans lequel il vit, c'est lui qui est sommé de s'adapter à un certain monde.

Une question idiote en passant : qui va donc avoir le droit de former les "élites" qui décideront de la forme du monde ? La réponse nous est donnée grâce à la crise du coronavirus.

Toute cette démarche bloquait un peu avant la crise socio-idéologique du coronavirus. Comme le soulignait l'UNESCO, les pays développés restaient plus attachés aux méthodes d'enseignement traditionnel. Mais cette année, la révolution tant attendue a eu lieu, il a fallu l'aider, mais peu importe, enfin, nous sommes appelés à vivre dans le monde merveilleux des prisons à distance, pardon, de la liberté virtuelle. Et une nouvelle réalité s'impose : tout le monde n'aura pas les mêmes chances dans la vie. Ce n'est pas une nouvelle, cela a toujours été le cas, mais justement les sociétés évoluées, traditionnellement, cherchaient à combattre les inégalités sociales. Maintenant, c'est un fait établi. C'est la nouvelle réalité. Parfaitement expliquée par la Banque Mondiale.

Près de 1,5 milliard d’élèves dans plus de 170 pays ne vont plus à l’école, leurs établissements ayant été fermés par les gouvernements en réaction à la pandémie de Covid-19 (coronavirus). Dans ce contexte, les ministères de l’éducation du monde entier tentent désormais d’assurer la continuité des apprentissages par le biais de l’enseignement à distance.

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Les Etats n'ont pas eu le choix, ils ont été mis en situation extraordinaire. C'est ce que l'on a pu appeler le putsch numérique. Car le recours à ces plateformes numériques dites "ouvertes" (comme dans le rapport de l'UNESCO) a été forcé. L'enjeu aujourd'hui pour ces groupes dirigeants est transformer l'extraordinaire en ordinaire. Et ça bloque. Car s'ils sont très doués pour déconstruire, le modèle proposé est absurde. Pour reprendre leurs critères, il n'est pas performant.

Tout d'abord, car c'est une démarche qui renforce l'inégalité au lieu de l'effacer :

Le moyen proposé est en fait d'aller plus loin - développer le numérique. Or, comme la crise du coronavirus l'a montré, les élèves veulent un contact physique avec l'école, leurs professeurs et leurs copains. Les étudiants se rebiffent. Certains en Russie, dont la lettre est en ma possession, se sont adressés aux autorités de leur établissement pour décrire la réalité des conditions dans lesquelles ils ont été mis pour passer leurs examens par zoom : devoir chercher un point d'accès internet à plusieurs dans une voiture, louer un appartement à plusieurs, se rapprocher en campagne d'une borne internet quel que soit le temps, etc. Et à ce jour, alors que tout a réouvert à Moscou, étrangement l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), sur ordre du Recteur, reste fermée ... sine die. D'autres, comme MGIMO, l'Université du ministère des Affaires étrangères russe, ont demandé à leurs enseignants d'enregistrer des vidéos de leurs cours, car il n'est pas certain qu'elles ouvrent leurs portes à la rentrée. Autrement dit, il est possible d'aller au resto ou dans les salles de sports, l'on peut voter pour la réforme constitutionnelle et aller voir la Parade militaire, mais aller à l'Université est dangereux. Dans un certain sens, c'est vrai.

Pour remédier aux défauts du système, par exemple, en France l'on propose des tables rondes dans les écoles (car les virus se dirigent en ligne droite, c'est bien connu) et en Russie de faire signer aux étudiants un document dans lequel ils s'engagent eux-même à ce que leur internet fonctionne. Ubu s'épanouit sous nos cieux ...

Et ce nouveau monde propose donc deux formes d'enseignement. Un enseignement réel, physique, avec un contact entre élèves et enseignants, avec des livres, des cahiers et des bibliothèques, un enseignement cher - pour l'élite. Et un enseignement low cost, avec zoom et wikipédia, "débarrassé des contraintes de temps et de lieu" où les enfants seront obligés de passer des heures assis devant un écran (ce qui est très mauvais pour leur santé) ou bien où les cours, pour tenir compte justement de leur santé seront réduits à 10-20 minutes, pour la forme. Un enseignement peu cher, rentable. Pour la plèbe. Qui ensuite pourra aller vendre dans des magasins des smartphones et des tablettes. Puisque comme précisé dans le rapport de l'OCDE, elle saura lire, compter et manier les technologies, elle pourra établir une facture et même encaisser l'argent, sans trop d'erreurs.

C'est ça la nouvelle réalité qui veut nous être imposée, celle d'un monde inégalitaire et heureux de l'être. C'est ça l'importance de la course aux technologies de pointe, car pendant que les pays sont occupés à cela, ils transforment docilement leur société, détruisent leur industrie, détruisent leur recherche scientifique, détruisent leur système scolaire. S'affaiblissent. Et comme ils sont faibles, ils sont heureux que les masses soient incultes, donc manipulables (comme l'expliquait Herman Gref, le directeur de la Sberbank en Russie). Puisque des populations fortes et éduquées ne pourraient tolérer cela. Pour autant, le fantasme de cette élite édulcorée est assez primaire, car il serait surprenant qu'une baisse généralisée du niveau, ce qui est proposé, permette de sauvegarder des îlots d'élitisme réels.

C'est bien ici un rapport de faiblesses et non pas un rapport de forces. A nous de décider, si l'on veut être formaté pour entrer dans les contours étriqués d'un monde qui réalise le fantasme d'une pseudo-élite, dont l'existence ne dépend que de l'abrutissement de la masse ou si l'on défend la réalité, ni ancienne, ni nouvelle, simplement notre vie.
 

11:17 Publié dans Ecole/Education | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : école, éducation, enseignement | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 14 mai 2020

Le « système » en rêvait, la pandémie l’a fait : le numérique envahit l’École !

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Le « système » en rêvait, la pandémie l’a fait : le numérique envahit l’École !

par Claude Bourrinet,
Professeur de Lettres

Ce que le « système » a toujours rêvé d’instaurer à l’École, la pandémie lui en a donné l’occasion : le numérique va s’installer massivement dans l’enseignement, ce qui précipitera la rupture bien entamée avec l’humanisme et le monde de la tradition. Il ne faut pas croire qu’il s’agisse d’un putsch pédagogique. Contrairement aux partisans de « l’École républicaine », je ne pense pas que parents et élèves aient désiré un enseignement haut de gamme, exigent et sérieux : ils se sont vite adaptés à la démagogie pédagogiste, tant ça correspondait à leurs vœux égalitaristes, dussent ceux-ci aboutir au désastre actuel.

Ce qui me frappe, dans les propos officiels ou des « spécialistes », techniciens de l’Éducation ou journalistes, c’est qu’on ne trouve jamais mis en cause le manque de volonté, d’effort, de violence sur soi-même, des uns et des autres : tout devrait se faire dans le plaisir et la bienveillance, dans l’esprit du surfeur qui glisse sur la vague hédoniste et fraternitaire.

Or, outre l’incroyable effondrement du niveau scolaire et intellectuel de la masse des élèves, on constate une absence quasi générale de sérieux, de concentration, de souci de bien faire, d’écoute, d’application, de respect du maître et du savoir. L’institution a été complètement vidée de sa légitimité. Plus rien ne justifie le travail. La sélection a disparu avec les sanctions, les récompenses seraient discriminantes, on se fie seulement sur la bonne volonté, ce qui est bâtir sur du sable.

On ne répétera jamais combien un Bourdieu, suivi d’un Meirieu, ont eu leur part de responsabilité dans la catastrophe (qui n’en est pas une, aux yeux de leurs disciples, car rompre avec la tradition et l’humanisme a toujours été leur souhait, au profit d’une préparation au monde du travail et de l’endoctrinement permanent). En discréditant la culture savante comme stratégie machiavélique de la domination des « héritiers », on a tué le cœur même de la civilisation occidentale, fondée sur la fréquentation des grands hommes et le contrôle de ses bas instincts (ce que signifie le terme « érudition », c’est-à-dire la sortie de la barbarie). On a laissé libre cours à la paresse, à la hâblerie, à la superficialité, à la débrouillardise vile et malhonnête. La nuit, tous les chats sont gris !

Or, toute société saine est une communauté d’héritiers : des ancêtres qui ont fait la nation, des aïeux qui ont fondé la famille, des parents, qui ont élevé les jeunes enfants et leur ont inculqué le sens de l’effort, des maîtres, des formateurs, qui ont appris à leurs apprentis un métier, et, si possible, l’amour du travail bien fait, la conscience professionnelle.

L’École démagogique, qui se réfugie derrière la technique comme derrière un petit doigt, a « oublié » ce qui a toujours été depuis que l’homme vit en société.

On devrait, de ce fait, continuer à assister à la débâcle de l’Occident, malade de l’intérieur, et, fatalement, attaqué par tous les parasites qui l’abattront.

lundi, 13 avril 2020

Revolution in the Education of the 21st century

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Revolution in the Education of the 21st century

Ex: https://medium.com/@natella.speranskaya/

Kirill Boldyrev’s interview With Natella Speranskaya, a philosopher and founder of the Janus Academy project.

You often write about the crisis of the modern educational system, about the need to return to the roots (in particular, to revive the idea of Paideia, Socratic maieutics, and dialogue). In other words, Your criticism relates to the Western model of education. What can you say about education in the East, and what, in your opinion, are the significant differences between these systems?

— I will allow myself to refer to the book “Cultural Foundations of Learning: East and West” by Jin Li, where this issue discussed. The author believes that the main difference between the Western and Eastern (we are talking mainly about the Chinese, based on Confucianism) educational systems is that the first focused on the knowledge of the external world based on reason, and the second — on man’s knowledge of himself based on virtue. I don’t quite agree with that.

If we turn to the origins of the Western educational system, we find that based on the principle of “know thyself” (the inscription on the pediment of the Delphic temple read: Γνῶθι Σεαυτόν). This knowledge was directly connected, on the one hand, with the Mysteries that changed the ontological status of man, and on the other — with the philosophical schools of Antiquity.

In the Middle ages, as well as in the Renaissance, education not supported on the knowledge of the external world based on reason; this principle arose in the educational paradigm of the New time (rationalism of the Descartes, the empiricism of Bacon). And became dominant in the age of Enlightenment, the main idea of which is expressed by Kant: “Have the courage to use your mind.” It is not for nothing that Jin Li cites Faust as the embodiment of an approach to learning and knowledge that was an integral part of the Western world. As for the reliance on virtue, it is difficult to deny that in the Ancient world virtue was the foundation of education and upbringing (Paideia, the idea of kalokagathos, τὸ ἀγαθόν by Plato, the “Nicomachean Ethics” by Aristotle). Is it worth Recalling the role of virtue in the Christian Middle Ages or the significance of virtu — the main defining category of the humanistic ideal of the individual in the Renaissance?

Thus, what is Jin Li said about the Western education system does not affect its origins (where it, frankly, coincides with the Eastern one), but refers exclusively to the model of education that arose during the Enlightenment. If we turn again to Antiquity, we will have to admit that the works of Ancient Greek thinkers were “spiritual exercises” (Pierre Hadot), aimed at the formation of the soul and mind, at the metamorphosis of the personality, at its transformation. And in the philosophical schools of Antiquity, there was no informing of students (which is typical of modern education), but the only formation. Moreover, I would like to make a bold conclusion: in the epochs, when a person’s worldview had a religious foundation (Antiquity — the Middle ages — the Renaissance), education always meant the formation and transformation of the individual. During the triumph of rationalism and materialism and the advent of a secular worldview, the goals of education change dramatically. It is this educational model that I criticize.

It was in the Age of Enlightenment that intellectual specialization appeared, and various disciplinary knowledge, as noted by Waqas Ahmed in the book “Polymath”, was institutionalized in the form of academic departments at universities. The unprecedented fragmentation of disciplines has led to the fact that polymaths with extensive knowledge in various fields have been pushed to the periphery of social processes, giving way to the now famous specialists of a narrow profile. The Eastern educational system has been more successful in maintaining its roots than the Western one.

One of the primary skills of the XXI century is called the Ability to Learn. Books on to “Learning How to Learn” tell you about the organization of the learning process, as well as provide effective planning methods and skills for conscious learning. One of them is written by Ulrich Boser, a scientific journalist, and researcher in the field of education. Do You attach importance to this skill, and do You focus on it in Your projects?

page_1.jpg— I’m familiar with Boser’s work. The book provides many examples of successful application of various skills of working with information, immersion in a particular problem and the development of new professional competencies. However, I did not have enough perspective in it, which includes methods of teaching polymaths, people who have the ability to create atypical combinations of skills, to combine and synthesize knowledge from different disciplines. The type of thinking and perception of such people is radically different from the thought and understanding of narrow specialists. The methods of learning that polymaths use are not even discussed in the book, but it is these individuals who can significantly enrich the understanding of the idea of “Learning How to Learn.” Although we must admit that we do not often think about how we feel, how we learn as if our mental tools are used unconsciously, automatically; Boser writes that even masters are often lost as soon as it becomes necessary to explain exactly how they acquired such a high degree of skill. In Boser’s book, I did not have enough examples of using non-traditional but efficient forms of learning. I am engaged in this topic not only as a researcher and theorist, but also as a practitioner, so I pay great attention to everything that forms the new educational landscape today.

-For example?

- Already in the Preface, Boser writes about the ineffectiveness of traditional lectures. Many people write about this, giving endless statistics. I will allow myself to dwell on this in more detail. I assure you, it is worth thinking about this not only for people who teach certain disciplines in educational institutions but also for everyone who is related to any institutions where there is at least a small hint of learning (from cultural centers with educational programs to tiny cafes where some lectures are given from time to time).

The academic format of training implies a standard mono-process when there is a lecturer who brings certain information to a passive (I emphasize) audience. It does not take into account that each listener has its type of perception, thinking, speed of information processing, it’s accumulated cultural, philosophical, historical background. And now the lecturer notes with displeasure that the audience one by one turns off their attention and transfers it to gadgets, to each other, to their internal monologue, to the view from the window, etc. And the lecturer doesn’t know how to hold their attention. There is no involvement of listeners in the overall process. They don’t feel part of it. In the “Manifesto for Liberal Education” by Eva Brann emphasizes that lectures are not an integral and mandatory part of humanitarian education (I would not limit myself to the “humanitarian” direction since this is a phenomenon that affects the educational system as a whole). Since the latter is dialogue-oriented by its nature, the student in the learning process becomes not a passive recipient of knowledge, but an active participant in the general search. Brann calls such education “dialectical education,” which should be understood in the key of the “dialectical method of Socrates.”

As someone who occasionally engages in personalized Learning, I invariably choose dialogue, not lecture. As for the broad audience, then this is not a dialogue, but a polylogue (the conversation of many participants). The method remains the same. I call it the “polylogic method.” When you break the old format and make students direct participants, you turn the learning process into a mutual exchange of knowledge, thanks to which participants learn to hear each other, express and argue their point of view, and most importantly — to focus their attention.

Moreover, this is how the intellectual and creative environment forms. Not the sum of atomic individuals who fill the audience to listen to your monologue, but individuals who have come not only to learn but also to teach, not only to take but also to give. When I conceived the JanusAcademy project and planned what courses I would teach there myself, I began to develop these courses based on the “polylogic method.”

What are non-traditional lecture formats You talking about? Which ones do You use yourself?

— First, a Lecture by two teachers. Two teachers give a lecture, interacting both with each other and with the audience — the dialogical communication between lecturers and listeners. The latter find themselves in a socially active position and are involved in a dialogue. All types of non-traditional lectures, which I will briefly describe, are aimed at immersing listeners in the process of constant “co-thinking” with the lecturer (s) and active dialogue. This increases both the level of attention and the level of motivation. A person becomes interested in learning. He is involved in the process.

Second, a Lecture with PLANNED ERRORS. This type of lecture will also be called a “provocation lecture.” Important: this lecture requires a severe level of preparation, a lot of work, the element of improvisation in it is almost excluded. It is written as a “scenario”. The lecturer announces the topic of the lecture and then warns the audience that in the process of reading it, he will make a certain number of deliberate mistakes that students must track down. Naturally, he should prepare these errors in advance and have a list before his eyes. Usually, the number of errors does not exceed ten. At the end of the lecture, students need to name the errors found. Then they reflect on them with the lecturer and give the correct answers.

Third, Lecture-Discussion. I don’t think this type needs any comments. This is a discussion between specialists (which makes it possible to assemble a real interdisciplinary team), with whom the audience actively interacts.

Fourth, a Problematic Lecture. The lecturer does not just give a lecture but creates a problem situation in which the entire audience is involved. Again, it’s a Dialogic form of interaction.

Fifth, the Lecture-Performance. The learning process becomes an artistic act. This type of lecture requires a lot of preparation (including rehearsals). It is the creation of an interdisciplinary field where the union of science and art, music, and mathematics can be realized. There can be a great variety of forms of performative lectures, and it all depends on the imagination of their creators.

Sixth, the lecture-dialogue, which I have already described.

There are other formats, but I have mentioned only the most well-known ones.

How did You come up with the idea to create Your educational project? What task do You set for Janus Academy?

— Revolutionary task. Israeli historian Yuval Harari calls our time the Era of Algorithms, of Big Data. But we must understand that Big Data is not a substitute for Big Ideas. It is the absence of Big Ideas that is the main characteristic of the modern era. Big Ideas always carry transformational potential, imply radical transformations, changes, and those who dare to express them, as a rule, are tested by distrust, skepticism, and accusations of unrealistic fantasies — from a society that is not ready for change. But only these people have had and will have an impact on the course of human history.

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Thaddeus Zelinsky

In the Silver age, there was a Big Idea that went down in history as the “Third Renaissance.” For the first time, the famous classical philologist Thaddeus Zelinsky, a Russian by language and birth, a Pole by blood and a Hellenic by spirit, spoke about it. The essence of this idea was that the European world experienced two great Renaissance of Antiquity — the Romanesque Renaissance; this is the XIV-XVI centuries. And the German Renaissance, which occurred in the XVIII-XIX centuries. Zelinsky founded the Union of the Third Renaissance, which included such people as I. Annensky, the Bakhtin brothers, Gustav Shpet, and others. The Third Renaissance was a grandiose project of the Silver age of Russian culture. And I, as a person whose intellectual activity connected with Classical Reception Studies, immediately “inherited” the idea of the Third Renaissance and made it сentral both in my educational mission and the Janus Academy project.

Hence, it became necessary to transform the educational system since it is absurd to talk about a Renaissance in the current circumstances. Observing what is happening in the educational environment in the West, I saw that all the trends that I initially put in the Janus Academy project are now gaining significant influence. A new type of intellectual, which embodies the idea of homo universalis, today openly advocates a polymathic approach to learning, insists on interdisciplinarity, and advocates the revival of the Humanities.

I am one of those who are worried about everything that happens in the educational and cultural spheres. Many years of thinking about the current situation in the field of education, the cultural crisis, the intellectual desert, led me to the idea of creating a new Academy. Of course, I had specific intellectual reference points: the Mouseion at Alexandria, the Platonic Academy, the Platonic Academy of Florence. This idea matured gradually. When I was searching for teachers for Janus Academy, I had to read books by modern researchers continually, scientists, philosophers, specialists in various fields, listen to lectures, watch videos, find interviews, and pass through a massive amount of analyzing information. I was searching for new names to introduce them to the Russian-speaking intellectual space gradually, I followed the processes taking place in different communities of the Western world (philosophical, scientific, artistic, etc.); I compared their experience with the experience of the predecessors, I identified archetypal models based on the paradigm that were created educational institutions, and educational projects are built.

Even at the initial stage of creating the project, I set a goal — to reform the entire educational system.

Not on the scale of one educational institution, but the size of a whole country. My task was to create a kind of laboratory of elite culture. This cultural and educational center would form a new cultural and philosophical paradigm, influence the educational system, discover new names, identified new intellectual and artistic trends of the era, and conduct a constant “dialogue of cultures” (“dialogue of minds”!) with the West and the East.

This project is large-scale, but this does not make it unrealizable. Today, in the face of a terrifying intellectual crisis, the only thing we can and should do is thinking large-scale. Unfortunately, we have begun to forget that education has always been a way of inheriting culture. Changing the educational model, making specific educational trends dominant, we inevitably change the culture.

Your Academy is already being compared to the Eranos Society. Do I understand correctly that You do not want to create a universal online educational platform and are more focused on live learning? You have planned both lecture tours and the formation of communities of polymaths around the project.

— I chose the best of the best for the Academy as Lorenzo de’ Medici had done. Only the most outstanding philosophers, scientists, researchers, cultural, and artistic figures can change the prevailing paradigm and, accordingly, lead to its change. From the very beginning, I decided that learning at the Academy will be Blended, but the emphasis will undoubtedly be on active learning. You are right, the project includes both lecture tours and communities of polymaths. First, it is a community of polymaths-students engaged in project work, interdisciplinary research, the creation of intellectual clubs, creative laboratories, etc. Secondly, the community of polymaths-teachers. For them, the Academy will become a multidisciplinary platform for the exchange of knowledge and experience, a territory for the development of international cooperation. The Academy can itself initiate the creation of temporary communities of interdisciplinary scientists and researchers to solve global problems (environmental problems, demographic crisis, possible AI threats, space exploration, terrorism, social inequality, atmospheric pollution, etc.). Today, in the face of a pandemic, this becomes even more relevant.

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Lorenzo de Medici

Janus Academy is

1. Formation of a fundamentally new educational paradigm based on the “union of music and mathematics”, science and art:

- a complex of Humanities disciplines which provide students with fundamental knowledge,

- a STEM complex (Science, Technology, Engineering, Mathematics), developing innovative thinking and an ability to collect, analyze, organize, and critically evaluate information.

2. 32 directions.

3. More than 150 author courses forming a unique educational complex that you will not meet in any of the educational institutions. Each teacher receives an individual order to create a course of lectures, which is then taught at the Academy.

4. Outstanding teaching staff (about 200 leading Russian and Western scientists and specialists, researchers, philosophers, artists).

5. Polymathic approach to learning. The formation of a polymath, homo universalis, Renaissance man, generalist.

I understand that when dealing with such a large-scale project, I will have to be patient and decide on a gradual implementation of the idea.

In the educational sphere, I am creating a niche that does not yet exist.

It is an expensive project, and I realize that I need an ambitious patron who is dissatisfied with the modern educational system.

As far as I know, Your Academy is planning rather rare courses? Tell me about it.

— I can only open a few cards. For example, Janus Academy will develop an entire field — Imagination Studies-which will combine several courses at once. This field includes the sociology of the imagination by Gilbert Durand, the research of the imagination of Henry Corbin, the iconological method by Aby Warburg (and his mysterious the Mnemosyne Atlas will be studied in a comprehensive, interdisciplinary way, involving both acting methodology and ancient mnemonic techniques), and the legacy of some members of the legendary community “ERANOS.” In this direction, I am currently developing a powerful program that is not similar to any of the existing in the educational institutions and research centers.

The modern science of imagination appeared in the middle of the 20th century thanks to the efforts of philosophers, theorists, and historians of religion: Gaston Bachelard, Henry Corbin, Mircea Eliade, Charles Baudouin, Charles Moron, Gilbert Durand, etc. Currently, there are more than 40 research laboratories and institutes of imagination in the world, United in a single network (CRI — centers de Recherches sur l’imaginaire), with centers in France, Belgium, Brazil, Israel, Portugal, Spain, Korea, Poland, the Czech Republic, and Romania.

Also, I plan to launch the course “ARS MEMORIA. Ancient and modern mnemonic techniques”, and has already found three teachers who will not just provide some information (which you can find in The Art of Memory by Frances A. Yates), but will provide you with useful tools and pass on new methodologies based on ancient techniques Dating back to Antiquity. I even found a polyglot who created a method of learning languages based on the medieval Ars Memoria and now consults for diplomats.

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Of course, I will do my best to promote the Mnemosyne Atlas by Aby Warburg and look for an opportunity to give impetus to Warburgian Studies in Russia. In particular, I plan to find a basis for an interdisciplinary dialogue: iconology of Warburg — acting methodology (Dr. Mischa Twitchin is already developing this direction) — the legacy of Henry Corbin — The Anthropological Structures of the Imaginary by Gilbert Durand. You feel that this is the creation of a new “Eranos,” so the comparison was not accidental?

I was able to find a follower of Joseph Campbell (I’m sure all of you have read or at least heard of his book “The Hero with a Thousand Faces”), who traveled with him in the late 70s, and then began teaching (including at the C. G. Jung Institute Zürich, Küsnacht), and now developing new approaches to mythological studies. He continues on the path of Campbell. Of course, I want him to teach at the Academy.

An essential place in the program occupied by courses related to new technologies, but this is a separate conversation, and I am not ready for it yet. I opened four cards out of 150, which is not bad.

If You allow me, I will still ask a question about new technologies. It does not directly concern Your project. You translated Tobias Rees’s article, “Why tech companies need philosophers — and how I convinced Google to hire them.” On Syg.ma it has received a large number of views. The modern Western tendency to introduce humanitarians into large business corporations for Russia is somewhat surprising. Do You think that this trend is likely to appear in our country shortly?

Let’s start with the main thing. What does Tobias Rees do? In this article, Tobias Rees demonstrates a revolutionary approach to areas such as Artificial Intelligence and synthetic biology and proposes that they are perceived as philosophical and artistic “laboratories” where new concepts of human, politics, understanding of nature and technology are formed. What was traditionally associated with the main tasks of the Humanities, which were centered on humans, has now moved to the fields of natural and technical sciences. The Humanities no longer answer the question: “What is a human?» More precisely, they stopped answering the question: “What is human in the current world, what is his relationship with nature, with technology?» But it is the question of what it means to be a human being that is fundamental and key today.

Tobias Rees embeds philosophers and artists to the world’s largest corporations, so that they, along with engineers and technologists, form a new idea of the human. It is a method that, in my opinion, can completely transform not only the business sphere but also the educational paradigm. Unfortunately, nothing like this is happening in Russia yet. But I dare hope it is only a matter of time.

https _specials-images.forbesimg.com_imageserve_57e344d04bbe6f24d1f87b3a_0x0.jpg background=000000&cropX1=2&cropX2=720&cropY1=177&cropY2=896.jpgIt is important to note that the studies of Tobias Rees (Transformations of the Human Program) conducte at the Berggruen Institute, which is one of the key think tanks today. I am deeply convinced of this.

Nicholas Berggruen, in my opinion, is the new Lorenzo de’ Medici, who decided to unite all the most outstanding minds of our century. And in this, our goals are similar.

Berggruen attaches great importance to ideas, seeks to bring philosophy back to the center of life, and in fact, creates a Mecca for scientists, one of whom is undoubtedly Tobias Rees. These people are shaping the future. As for Russia, much will depend on whether we will have our own Medici.

mercredi, 08 avril 2020

COVID-19 : Les chaines brisées de la transmission

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COVID-19 : Les chaines brisées de la transmission

Par Marc CHEVRIER

Ex: https://metainfos.fr

 Parmi les nombreuses manchettes affolées que la pandémie du covid19 a suscitées dans les médias, il en est une qui a capté à sa façon, par sa double signification, l’esprit particulier de notre époque. Elle coiffait un texte paru dans le New York Times qui appelait la jeunesse américaine à arrêter la chaîne de transmission. « You can help break the chain of transmission[1] ». Dans son sens premier, cette phrase exhorte la jeunesse à prendre conscience de ses responsabilités face à l’épidémie, elle lui parle dans un langage qu’elle peut comprendre et qui la flatte : vous avez ce pouvoir entre vos mains. Mais si on l’interprète plus largement, on y reconnaît aussi l’une des grandes passions de notre époque : vouloir à tout prix, pour flatter la présomption, l’outrecuidance, l’égoïsme, la vanité ou le mal-être des vivants, empêcher que leur existence accomplisse la transmission d’un héritage, d’une culture, d’une civilisation et même qu’elle cesse de transmettre la vie. Il s’agit alors de casser les chaînes de la transmission, ces chaînes devenues trop lourdes pour les vivants aux frêles épaules.

Par l’idée de transmission, nous exprimons des réalités de différents niveaux. La transmission vaut pour les virus et les infections de toutes sortes, dont on craint la propagation rapide dans les rapports humains et dont les épidémiologistes cartographient la chaîne. La transmission des données les plus rapides et les plus fiables nourrit l’une des obsessions de l’économie mondialisée. Les jeunes prenant le relais des plus vieux, la vie roule grâce à la transmission de patrimoines entre les générations. Depuis des temps immémoriaux, l’humanité est absorbée dans la naissance et l’éducation des enfants et tâche, depuis qu’elle a des écoles, de leur transmettre un bagage de connaissances adéquat et ce qui forme le socle commun d’une culture dans une société. Mais transmettre ne semble plus aller de soi aujourd’hui, notamment en raison de l’éloignement constaté entre les générations, qui évoluent maintenant dans leurs espaces parallèles et se tancent avec suspicion. Et comme l’a souligné le philosophe Pascal Bruckner au sujet du « jeunisme » dont se drape aujourd’hui la maturité : « Jadis, les gens vivaient la vie de leurs ancêtres, de génération en génération, désormais les ancêtres veulent vivre la vie de leurs descendants[2]. »

La transmission au temps des orgies flottantes

Une image qui restera longtemps attachée au souvenir de cette pandémie : tous ces navires de croisière amarrés de force et remplis de vacanciers mis en quarantaine dans leur cabine, souvent sans fenêtre, qui voient leurs vacances de rêve virer en cauchemars. La belle insouciance promise à bord, où la dolce vita berce les retraités pour tuer l’ennui ou pour cueillir les récompenses méritées d’une longue carrière travailleuse, avait, jusqu’à ces arraisonnements catastrophiques, fait prospérer une industrie qui ne craignait pas de mettre à flot des bateaux gigantesques comme des villes flottantes vouées au divertissement effréné et au remplissage des estomacs. Emblématique de l’économie mondialisée, l’industrie de la croisière de luxe révèle aussi le rapport nouveau à la transmission qui apparaît même chez les plus âgés. Aux anciennes générations qui voyaient dans le travail la valeur première et qui léguaient à leurs enfants un patrimoine après de grands sacrifices, ont succédé des « aînés » avides de profiter à plein de l’été indien de la vie — expression de Bruckner —, c’est-à-dire de ces années de loisir et de vitalité prolongée qui offrent désormais au « troisième âge » l’occasion de coûteuses récréations. Travailler consiste alors à différer une vive jouissance, celle qu’octroiera la retraite et qui, le temps de quelques jours ou quelques semaines, vous transporte dans la vie de grands seigneurs à bord d’un palace qui accoste aux rivages les plus enchanteurs.

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Représentation du navire de Caligula, qui y organisait des orgies

Les aristocrates anglais, semble-t-il, se seraient les premiers adonnés aux croisières, qui devinrent une activité de tourisme à la faveur du voyagiste Thomas Cook, lequel organisa des croisières sur le Nil après l’ouverture du canal de Suez en 1869. On observe que « [l]a liste des passagers est ouverte aux classes bourgeoises, aux employés de banque, aux commerçants ou à la profession libérale et [que] le décalage des standings nourrit les sarcasmes de la presse britannique, dont les caricatures ridiculisent les Cooks et Cookesses à la recherche éperdue des divas de l’aristocratie cosmopolite[3]. » On doit cependant remonter par-delà le Nil pour saisir l’esprit de la croisière. Dans ses Vies des douze Césars, l’historien romain Suétone rapporte que l’empereur Caligula fit construire de somptueuses galères qui longeaient les côtes de la Campanie et où l’on répandait les soins et les plaisirs les plus raffinés. Suétone écrit en effet : « il fit construire des galères liburniennes à dix rangs de rames, aux poupes ornées de pierres précieuses, aux voiles aux couleurs changeantes, où l’on trouvait des thermes, des portiques, des salles à manger d’une grande étendue, voire même diverses sortes de vignes et d’arbres fruitiers ; c’était pour y donner des festins, en plein jour, au milieu des danses et des concerts, en longeant les rivages de la Campanie[4]. »  Des fouilles archéologiques ont aussi découvert au fond d’un petit lac au pied des monts Albains, à trente kilomètres au sud-est de Rome, de grandes épaves ornées à leur poupe de tête, de lion et de léopard et qui devaient vraisemblablement être le théâtre, sous de riants décors, d’une « débauche de richesse, fêtes et orgies[5]. » 

navireorgierome.jpgLes analogies sont nombreuses entre les galères orgiaques de Caligula et les paquebots de croisière que rien n’arrête dans leurs circumnavigations, excepté un coronavirus. Ces galères et ces paquebots érigent aux excès du désir humain des temples flottants, coupés du monde, où une armée de serviteurs se dévoue aux lubies de passagers à peine remis de leur décalage horaire. Mais le paquebot qui mouille près des fjords de l’Alaska ou de Norvège ou qui fait escale à une île des Tropiques dépasse en dépense ce qu’aucune des débauches de Caligula n’eût jamais atteint. La barque joyeuse du lac Nemi paraît bien inoffensive aux côtés d’un paquebot-cité conçu pour divertir des milliers de personnes ; cet ogre énergétique vogue sur mer grâce à la consommation d’un fioul lourd à haute teneur en soufre, beaucoup plus polluant que le diesel utilisé par d’autres navires plus petits[6]. Chaque jour, chacun de ces navires produit une quantité énorme d’eaux usées et de rejets toxiques. De plus, si l’on compte tous les trajets aéroportés et autres déplacements faits par chacun des passagers pour monter à bord puis revenir dans son patelin, chaque croisière qui s’amuse déclenche une explosion orgiaque de dépense énergétique, dispersée à tout vent sur la crête des flots.

Dans l’histoire de l’humanité, aucune civilisation n’a réussi à pousser aussi loin la dissipation énergétique. Ces réserves ensommeillées d’énergie, enfouies dans les entrailles de la Terre, par compaction de la biomasse déposée aux fonds des océans et des deltas il y a de 20 à 350 millions d’années, remontent ainsi violemment à la surface et se consument dans un épisode aussi court qu’une pirouette de tango ou de salsa, exécutée sur une piste où des retraités repus croient renouer avec leurs élans de jeunesse. Cependant, le paquebot révèle l’aspect profondément aristocratique de la civilisation occidentale pétrolière. C’est Nietzsche lui-même qui voyait dans le gaspillage ostentatoire la marque de l’aristocratie : « L’expérience de l’histoire montre que les races fortes se déciment réciproquement : par les guerres, les désirs de puissance, les aventures, les fortes passions, le gaspillage — (on ne capitalise plus de forces et il se forme des troubles intellectuels par une tension exagérée). Leur existence est coûteuse, bref — elles s’usent les unes les autres[7]. » Il ajoute : « Les races fortes sont des races prodigues. » En somme, l’idéal aristocratique boit aux fontaines de l’abondance gaspilleuse et tapageuse.

Le monde capitaliste fonde ses hiérarchies sur un ordre énergétique. Aux richissimes l’accès à la grande consommation par le moyen des avions et des yachts privés, qui occupent le sommet de la dépense énergétique ; viennent ensuite les classes aisées supérieures qui les imitent en s’offrant la première classe dans les voyages aéroportés et nautiques ; puis les classes moyennes, qui essaient de faire de même, mais se contentent de la classe économique ou des cabines des ponts inférieurs ou sans hublots. Chaque paquebot recrée en son sein un microcosme stratifié entre diverses catégories de serviteurs de toutes nationalités, aux conditions de travail souvent précaires et médiocres. Le « tout-inclus » des vacanciers en croisière inclut d’être traités illusoirement en seigneurs par une domesticité besogneuse de majordomes, maîtres d’hôtel, agents de bord, préposés à l’entretien, maîtres queux et sauciers, masseurs, acuponcteurs, coiffeurs, manucures et pédicures, etc., recrutés sous le régime d’un droit du travail allégé, grâce à l’immatriculation de ces châteaux flottants dans des pays connus pour être des paradis fiscaux et légaux comme les Bermudes, le Panama et le Libéria. Ainsi, par la croisière de masse, l’opulence aristocratique se démocratise, sans remettre en cause les hiérarchies dans la consommation énergétique, l’ordre social et la division du travail entre les nations. 

Les interruptions dans la transmission des patrimoines

Beaucoup de vacanciers croisiéristes se sont posé cette question : « Au soir de ma vie, suis-je en droit de me payer de folles escapades au bout du monde ou devrais-je en laisser un peu plus à mes enfants et petits-enfants ? » Ce genre de dilemme est devenu assez commun à l’ère du tourisme de masse, encore qu’il ne soit pas prouvé que beaucoup de retraités, par excès de tels scrupules, ont renoncé à leur croisière annuelle. Selon plusieurs experts en finances, nous assistons depuis plusieurs années à des transferts massifs de patrimoine ; les générations actuelles meurent plus riches que les précédentes, laissant des héritages sources de convoitises au sein des familles et dont certains défunts ont disposé avec une liberté parfois déconcertante. Chez nombre de baby-boomers s’est même développée l’idée que vivre en vue de laisser un héritage appartient à une autre époque et qu’il vaut mieux tout dépenser de son vivant, pour jouir au maximum de sa richesse accumulée. Un livre paru aux États-Unis en 1997, sous le titre Die Broke[8] (Mourir sans un rond), a popularisé l’idée que le meilleur plan de retraite consiste à quitter la scène sans même laisser assez d’argent au croquemort. Un autre livre, paru au Québec, entonne un refrain hédoniste clair : Arrêtez de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir[9]. Un notaire de Québec a bien résumé dans une entrevue le nouvel esprit de transmission habitant cette génération : « Il y a 20 ans, les gens tenaient à pouvoir léguer un héritage, même modeste, après leur décès. Il y avait une sorte de fierté à pouvoir laisser quelque chose. Aujourd’hui, les gens accordent moins d’importance au fait de laisser un héritage. Ils veulent profiter de la vie. Et ils cherchent plus à analyser la situation dans son ensemble et visent une démarche qui commencerait avant leur décès et qui pourrait se poursuivre après[10]. » Bref, la transmission d’un héritage aux enfants a cessé d’être un automatisme social.

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Dans les sociétés européennes, les législateurs n’ont guère abandonné la transmission des patrimoines aux caprices des défunts ; ils ont imposé des règles, comme la réserve héréditaire, qui prévoit qu’une portion de l’héritage doit obligatoirement revenir aux membres de la famille immédiate du défunt. C’est le régime que suivent encore plusieurs pays comme la France, la Grèce, l’Espagne, l’Italie, mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède. Dans les pays anglo-saxons de common law, le droit successoral consacre en général la liberté de tester du défunt et n’impose pas de répartition obligatoire. Il n’empêche que le droit européen a contribué à affaiblir le système des réserves héréditaires usité dans les pays au droit de tradition romane, tant et si bien que depuis un règlement européen adopté en 2015, le citoyen d’un pays connaissant la réserve héréditaire peut néanmoins déshériter un des enfants en s’établissant dans un pays où une telle réserve n’existe pas[11]. On a vu se multiplier en France des sites de gestion de patrimoine indiquant comment déshériter ses enfants ou « sauter une génération » — donner à ses petits-enfants plutôt qu’à ses enfants. En Amérique, bien que le Conquérant anglais ait rétrocédé au Québec la jouissance de son droit civil français en 1774, il l’a depuis lors assujetti au régime de la liberté de tester à l’anglo-saxonne, principe que les juristes québécois ont naguère critiqué comme une atteinte à la protection économique du défunt survivant et des enfants, mais avec lequel beaucoup se sont ensuite réconciliés, au nom d’une vision individualiste de la propriété et du droit[12]. La liberté de tester pratiquée en pays de common law n’enlève toutefois pas au législateur la capacité de prescrire une répartition obligatoire en cas de succession sans testament, ab intestat. Dans le droit anglo-saxon, les défunts riches peuvent s’acheter une forme d’immortalité par la création de trusts — fiducies — qui affectent, pour une durée illimitée, le produit de leur fortune à des fins philanthropiques ou artistiques. Le trust est aussi utilisé pour contourner la dispersion des grandes fortunes et ainsi maintenir le lien dynastique dans la famille. À l’occasion de la réforme de son code civil, le Québec a introduit le trust dans son droit sous la forme de la fiducie, régie par des règles distinctes de son équivalent anglo-saxon.

La réception de l’héritage illustre un autre volet problématique de la transmission successorale. L’héritier n’est pas tenu de conserver le bien reçu, ni toujours d’en user conformément à sa destination première. On distingue chez certains héritiers la volonté d’en finir avec le bien reçu : il y a les « mangeurs d’héritage », qui le dilapident au plus vite, et les « donneurs d’héritages », qui s’en débarrassent par des dons pour ne compter que sur leurs seules ressources personnelles[13]. À cela s’ajoute la difficulté qu’éprouvent les dirigeants d’entreprises à trouver des successeurs dans leur progéniture et qui doivent envisager de vendre leur bien à un tiers ou même de cesser leurs opérations. Certains legs deviennent même embarrassants. Pensons au scandale qui éclata en Espagne quand la presse révéla à la mi-mars 2020 que le roi du pays, Philippe VI, devrait hériter des fonds aux origines obscures administrés dans une fondation étrangère au bénéfice de son père, le roi émérite Juan Carlos. Le fils régnant a décidé de renoncer solennellement à tout héritage qui pourrait provenir de son père et de lui couper l’allocation annuelle fournie par la maison royale[14]. C’est comme si un fils reniait son père encore vivant et renonçait à hériter quoi que ce soit de lui – à part bien sûr la Couronne, que le père avait déjà transmise à son fils par abdication en 2014.

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Outre les aspects individuel et intrafamilial de la succession, celle-ci comporte une dimension collective. Il est ainsi loisible à l’État de prélever ou non sa part dans la transmission des héritages. Historiquement, les États ont prélevé des impôts sur les successions pour notamment répartir la richesse. Or, en Occident, on constate un retrait ou une diminution généralisés des droits de succession. Alors qu’au Royaume-Uni jusqu’à 18 % des recettes fiscales, et aux États-Unis, jusqu’à 10 % de ces dernières, ont pu provenir de ce type d’impôt durant la première moitié du XXe siècle, les droits de succession représentent aujourd’hui à peine un peu moins de 1 % du PIB. Beaucoup de pays ont supprimé ces droits, à commencer par le Canada dès 1972, où notamment le Québec le fit en 1985. La Belgique et la France les prélèvent encore, bien que le pourcentage de ces droits dans les recettes fiscales atteigne seulement 1,3 % en France. Or, la réglementation et la taxation de l’héritage ont longtemps été considérées comme « un instrument clef de réforme sociale », tel qu’en témoignent les réflexions d’Alexis de Tocqueville et de John Stuart Mill à ce sujet ; on constate toutefois que les sciences sociales ont cessé de s’y intéresser et que la défaveur du public pour les impôts sur les héritages est allée croissant[15]. Selon l’économiste André Masson, le déclin des droits de succession s’expliquerait par l’action efficace d’une coalition de puissants intérêts prônant des philosophies compatibles. Ainsi se sont alliés de riches néo-libéraux et les « familialistes » qui ont réussi dans nombre de pays à décrier l’impôt successoral comme une façon de pénaliser « les fruits de travail et l’accumulation du capital » et de saper « les solidarités familiales »[16]. Dans son étude publiée en 2018, Masson soutient que « seul un choc de grande ampleur[17] » pourra fragiliser cette coalition redoutable ; des arguments théoriques n’y suffiront pas. Peut-être que la pandémie du covid19 sera de nature à secouer les esprits sur cette question fondamentale.

Du refus de transmettre un héritage culturel

Outre les biens matériels, la transmission de la culture est demeurée dans l’Occident gagné par le doute sur la valeur de sa tradition et de ses réalisations une autre question épineuse. Mais doit-on envisager la transmission de la culture comme celle du patrimoine matériel ? Pour le jeune philosophe François-Xavier Bellamy, c’est une erreur de penser que le partage de la culture consiste à séparer des portions d’une entité finie, comme on découpe une tarte ou des avoirs financiers. Il déclare : « Il y a cependant une singularité de la transmission quand elle concerne la culture : elle n’est plus un jeu à somme nulle, mais une multiplication créatrice. C’est ce qui la distingue, me semble-t-il, de la transmission matérielle[18]. » Beaucoup de sociologues, après les analyses célèbres de Pierre Bourdieu sur la transmission et la reproduction culturelles, ont popularisé l’idée que la culture, à l’instar des biens matériels, constitue un capital. Or, selon Bellamy, la culture, contrairement au capital économique, « s’accroît à mesure qu’elle est transmise. Lorsqu’un enseignant, par exemple, transmet un savoir, chacun des élèves peut le recevoir tout entier — et l’enseignant lui-même ne le perd pas ; au contraire, d’ailleurs : j’ai pu vérifier empiriquement moi-même que, comme le veut l’adage, on découvre mieux encore un sujet quand on est conduit à l’enseigner[19]. »

41sZH9U5CzL._SX296_BO1,204,203,200_.jpgLe philosophe croit que Descartes, Rousseau et Bourdieu ont par leurs écrits conforté le refus de transmettre un héritage, notamment dans les institutions éducatives rongées par toutes sortes de scrupules. Avec Descartes, le doute méthodique a délogé l’autorité du maître ou de la tradition. La philosophie éducative exprimée dans l’Émile de Rousseau dépeint la culture transmise par la société comme un étouffoir de la nature et de la spontanéité primordiales de l’individu ; enfin, avec Bourdieu, la culture, suspectée de servir des intérêts, établit des marques de distinction sociale qui profitent aux classes privilégiées et confortent leur domination. C’est d’ailleurs en se fondant sur les travaux de Bourdieu que l’écrivain équatorien Mario Campaña a soutenu dans un essai publié en 2017 que l’humanisme classique né de la culture gréco-romaine et que l’Europe, puis les Amériques ont longtemps enseigné dans leurs meilleures écoles, a promu une vision essentiellement aristocratique de l’homme, contraire aux idéaux démocratiques et qui suppose divers degrés d’humanité plus ou moins achevés[20]. Grâce aux grands idéaux classiques comme le mérite, l’excellence, le culte de la personnalité, la gloire, le culte du grand homme et de l’individualité, les familles patriciennes et bourgeoises se sont alliées en Europe comme dans les Amériques pour exercer une domination morale sur les plus humbles. Les soupçons à l’égard de la haute culture européenne, nés en Europe, ont donc aussi migré vers les Amériques.

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Mario Campana

Selon Bellamy, le désir de transmettre a ainsi disparu, mais « fort heureusement, la soif de recevoir demeure intacte. » Interrompre la transmission culturelle est même devenu un projet conscient, voire pour certains, un acte de libération ou de salubrité mentale. L’interruption dans la transmission peut se faire tout d’un coup, comme l’illustre la décision prise par l’université Yale en janvier 2020 de retirer un cours donné par un historien de l’art réputé prenant sa retraite, Vincent Scully; la raison invoquée : ce cours d’histoire de l’art de la Renaissance à nos jours mettait trop en valeur des hommes blancs, hétérosexuels et européens[21]. Cette volonté de purifier la culture occidentale ne semble pas propre qu’aux États-Unis. Dans une chronique publiée dans le quotidien montréalais Le Devoir, Christian Rioux est revenu sur l’abolition de ce cours à l’université Yale. Il y a vu à l’œuvre la puissance dogmatique de la rectitude politique qui réduit « le savoir, l’art et la littérature à des truismes de race et de sexe, d’identités de “genre” et d’orientations sexuelles », ce qui relève selon lui « d’une véritable entreprise d’autodestruction. » Mal lui en prit ! Quelques jours plus tard, une lettre d’une centaine de signataires issus de l’histoire de l’art et du milieu muséal l’accusa d’« automatisme pavlovien digne d’un animateur de radio-poubelle ». Quel fut le tort du journaliste ? Avoir osé mettre en doute la démarche intellectuelle qui a semblé motiver les professeurs de Yale dans le retrait du cours devenu polémique. Les signataires du texte ont ainsi appelé « élargissement des horizons » et « problématisation des idées reçues » la mise en évidence des éléments coloniaux, sexistes et condescendants pour les humbles dans les canons de l’art[22]. Dans sa réponse aux « pétitionnaires », Rioux demeure convaincu qu’ils cèdent à l’idéologie en voulant juger de l’histoire de l’art « en fonction de la morale du jour ».

Les interruptions dans la transmission culturelle proviennent souvent des révolutions ou des périodes de grandes mutations sociales. Pensons au Québec qui a décidé, à la fin des années 1960, de liquider la culture classique dispensée dans les collèges tenus par les congrégations religieuses en faveur d’un enseignement supérieur confié à des collèges publics où la philosophie et la littérature, dans les collèges francophones du moins, relaieraient les théories critiques, marxistes, féministes, anticolonialistes dont les intellectuels en Occident se sont engoués. Ce changement dans le cursus s’est accompagné d’un renouveau pédagogique radical, puisant aussi bien dans le personnalisme chrétien, comme chez l’éducateur Pierre Angers[23], que dans la théorie constructiviste de l’apprentissage développée chez Jean Piaget ou les théories socioconstructives, qui se concentrent sur les interactions de l’enfant avec les autres. Ce renouveau pédagogique a conduit à minimiser ou à nier l’importance de la transmission des connaissances au profit de l’acquisition de compétences par l’étudiant, considéré comme un « apprenant », un créateur de ses apprentissages sous le pilotage d’enseignants-animateurs aussi peu autoritaires que possible.

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Pierre Angers

Plusieurs pédagogues militants ont ainsi pris en horreur l’idée de transmettre quoi que ce soit, parce qu’elle vouait l’enfant à la passivité, au bourrage de crâne, au gobage de préjugés et de notions indémontrables, et parce qu’elle obligerait le maître lui-même à reconnaître que son jugement personnel doit s’incliner devant ceux que plusieurs générations de savants et de créateurs ont exprimés avant lui dans plusieurs disciplines selon des échelles graduant le vrai, le vraisemblable, l’utile, le juste, le beau et le bien, etc. L’accent mis sur les compétences qui engagent l’activité propre des apprenants en classe avait aussi l’avantage d’inféoder l’éducation aux nécessités de la société technique et capitaliste, incessamment à la recherche de travailleurs capables de s’adapter à ses exigences sans s’embarrasser d’un savoir « humaniste » ou « généraliste » jugé superflu. Cependant, l’éducation axée sur les compétences a fragilisé les transmetteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les enseignants, puisque leur prestige en société et leur autorité en classe reposent moins sur la maîtrise des savoirs. S’en trouve aussi compromise la possibilité de dispenser un cursus véritablement commun au sein d’une nation ; en effet, les directives pointues sur les compétences à susciter en classe que les enseignants reçoivent les livrent à eux-mêmes pour le choix des œuvres ou des matières précises à enseigner. Des cohortes entières d’étudiants sont diplômés sans posséder de bagage culturel commun ; elles sont tiraillées entre les apprentissages formels de l’école et la propagande ensorceleuse de la publicité et des réseaux sociaux. Plusieurs professeurs pensent même que les écoles, les collèges (ou lycées en Europe) ainsi que les universités diplôment l’ignorance.

Parmi les inspirations philosophiques qui ont contribué à délégitimer la transmission des connaissances en éducation on peut compter assurément le postmodernisme, qui a fondé plusieurs intellectuels à relativiser l’idée du vrai, comme le rappelle le philosophe de l’éducation Normand Baillargeon :

Le vrai, qui est indépendant de nous, a été décrété par certains de ces maîtres à penser de la postmodernité n’être que la résultante provisoire d’un rapport de force au sein de ce que Foucault appelle un « régime de la vérité ». Ce vrai est donc variable en fonction de la perspective adoptée, du socle épistémique relatif au moment historique. Dans un constructivisme sans limites, le vrai, la science elle-même, tout cela n’est plus conçu que comme jeu de langage particulier, sans privilège épistémique. L’individu lui-même ne serait que le produit de ces rapports de pouvoir s’exerçant sur lui. L’éducation, dont on se demande dès lors comment on pourrait la penser en y faisant place au savoir, à l’autonomie, à la raison, à l’émancipation, se réduit à un exercice de pouvoir destiné à discipliner les corps et les esprits[24]. 

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Normand Baillargeon

Baillargeon aurait pu citer un autre de ces maîtres à penser, fort en vogue dans les « sciences de l’éducation », Gilles Deleuze, qui exerce encore une grande fascination[25]. Dans un livre publié en 1965 sur l’œuvre de Nietzsche, Deleuze résume en une phrase ce qui deviendra le programme de recherche d’une bonne partie des sciences sociales actuelles : « Toute interprétation est détermination du sens d’un phénomène. Le sens consiste précisément dans un rapport de forces, d’après lequel certaines agissent et d’autres réagissent dans un ensemble complexe et hiérarchisé[26]. » Dès lors, même les œuvres littéraires ou philosophiques, au même titre que la loi et la science, tendent des pièges de symboles grâce auxquels les plus forts se séparent des plus faibles et se grandissent dans leur différence par l’abaissement de ces derniers. Le professeur s’érige ainsi en inquisiteur ou en prophète qui démasque les rapports de pouvoir et les hiérarchies aliénatrices que renferment les œuvres ou le discours des détenteurs d’autorité ; il instruit en quelque sorte, contre des morts et des vivants qui n’ont reçu aucune citation à comparaître, des procès par contumace devant des étudiants envoûtés par la parole accusatrice d’un maître qui exécute lui-même ses sentences. Déconstruction et volonté de puissance semblent ainsi boire à la même eau. Plutôt que de chercher à comprendre les créations les plus accomplies du patrimoine humain, l’esprit justicier s’enivre à détricoter, dans un langage souvent jargonnant, les tapisseries finement tissées que l’histoire avait déroulées jusqu’aux abords du présent. Interrompre, découdre, déchirer deviennent plus exaltants que continuer. La récréation de l’esprit se métamorphose en création jubilatoire.

L’intransmission ou l’art de se supprimer soi-même

Dans les fragments posthumes de Nietzsche, on retrouve cette phrase significative : « Je veux enseigner la pensée qui donnera à beaucoup d’hommes le droit de se supprimer, — la grande pensée sélectrice[27]. » Les sociétés contemporaines semblent fascinées en effet par les possibilités techniques qu’offre la science médicale pour sélectionner la suppression de certains types d’êtres humains — par les solutions eugéniques de l’avortement préventif — ou pour permettre à un individu de hâter sa disparition sous la forme de l’euthanasie consentie, rebaptisée gentiment l’aide médicale à mourir. Autre phénomène d’intransmission volontaire, l’annonce faite par certaines personnes, souvent de manière tonitruante et répercutée dans les médias et les réseaux sociaux, de ne pas vouloir d’enfants, au point que le fait de se faire stériliser à moins de trente ans passe pour un acte d’héroïsme et de conscience sociale[28].

Le phénomène des adultes sans enfants n’a en soi rien de nouveau. Les célibataires et les couples sans enfants ont toujours existé, et la proportion des couples sans enfants reste encore moindre que celle qui a été observée au XIXe siècle dans certains pays comme les États-Unis et l’Australie[29]. Mais d’ordinaire les couples se gardaient bien de publiciser leur infécondité comme un exploit retentissant. De plus, les grandes religions comme le christianisme et le bouddhisme ont privilégié souvent le célibat comme voie d’accès à une vie spirituelle plus complète. Dans la tradition catholique, le célibat dégage le prêtre des attaches envers une seule personne pour mieux se consacrer à l’amour de Dieu et pour porter cet amour auprès des hommes ; il renonce à la fécondité biologique au profit d’une fécondité d’un autre niveau, spirituelle[30]. Les prêtres, selon le Code du droit canonique, « sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes[31]. » L’infécondité maintenant assumée et proclamée par certains individus s’inscrit dans un autre registre : pour plusieurs féministes, le choix de ne pas avoir d’enfants est apparu comme une « ultime libération », après l’avènement de la contraception et de l’accès à l’avortement. Dès 1972 s’organisa en Californie une organisation de défense des parents sans enfants, la National Organization for Non-Parents, dont la fondatrice est restée célèbre pour un ouvrage intitulé The Baby Trap[32] (Le piège de l’enfant.) Ellen Peck y avance toutes sortes d’arguments pour détourner les adultes de la parenté obligatoire. Elle présente d’ailleurs déjà l’Homme comme une espèce qui, sous l’emprise sa culture, n’arrive pas à se fier aux mécanismes de la Nature pour juguler sa surpopulation. Elle écrit (traduction) :

51WzQNp6qFL._SX301_BO1,204,203,200_.jpgEt avec le progrès de la civilisation, qui, des forêts aux villes, s’éloigne de la Nature sur le chemin de l’évolution, la nécessité de la reproduction a certainement diminué. Notre société est urbaine et surpeuplée. Chez les espèces surpeuplées autres qu’humaine, la Nature réagit en déprimant le désir d’accouplement et le taux de reproduction. Mais la Nature ne fonctionne pas ainsi pour nous. Des facteurs simples, mais puissants qui incitent à la reproduction, ne donnent pas à la Nature une telle chance[33].

Outre la cause féministe, les sans-enfants arguent désormais de la volonté de « sauver la planète », en raison aussi de la nature déficiente de l’Homme. Ce sont maintenant les individus qui revendiquent pour eux-mêmes une politique de malthusianisme — de limitation des naissances — pour garder la terre des méfaits d’une espèce humaine devenue néfaste et trop nombreuse. Ce qui jette le doute sur la légitimité même des « sans-enfants » résolus de ne pas continuer l’espèce à travers leur existence. Si l’homo sapiens est si mauvais, en vertu de quoi un individu serait-il fondé à vivre pour lui-même — que ce soit, d’ailleurs, avec ou sans enfants ? Les anciennes aristocraties mettaient d’ordinaire un point d’honneur à se reproduire dans une lignée qui perpétue leur prestige, leur richesse et leurs qualités distinctives. Nous assistons peut-être aujourd’hui à la naissance d’une aristocratie qui agit par soustraction : convaincue de la perfection morale de son propre jugement, elle croit bon d’arrêter l’aventure humaine dans chaque être particulier qui défait la chaîne de la transmission.

1241505.jpgUne autre façon contemporaine d’entraver la transmission biologique consiste à éliminer l’un des transmetteurs, soit l’élément le plus fragile dans l’union d’une femme et d’un homme en vue d’enfanter. Gilles Deleuze et Félix Guattari ont déjà écrit que « l’inconscient est orphelin, et se produit lui-même dans l’identité de la nature et de l’homme » en reprochant à la psychanalyse de prendre « part à l’œuvre de répression bourgeoise la plus générale, celle qui a consisté à maintenir l’humanité européenne sous le joug de papa-maman, et à ne pas en finir avec ce problème-là[34]. » S’il est difficile de faire sauter tout entier le joug de papa-maman, il est devenu maintenant concevable, sur les plans clinique et légal, de se débarrasser du joug de papa, grâce à la procréation médicalement assistée, comme celle que la France s’apprête à autoriser, après d’âpres débats.

En vertu de ce nouveau régime procréatif instauré par une loi sur la bioéthique, il sera possible en France à un couple de lesbiennes et à une femme non mariée d’avoir accès à la procréation médicale assistée (PMA) pour mettre au monde un enfant, auquel l’état civil reconnaîtra soit deux mères, soit une mère seule. Le projet original prévoyait le remboursement des dépenses engagées pour la PMA par l’État, mais en février 2020, le Sénat a restreint par un amendement la portée du remboursement aux cas d’infertilité. Quoi qu’il advienne de cet amendement — l’Assemblée nationale a le dernier mot en France en matière législative —, on encadre donc légalement l’enfantement sans père, sans homme exerçant le rôle de parent, celui-ci étant réduit à un pourvoyeur anonyme de gamètes.

La France n’est pas la seule à choisir cette direction ; plusieurs pays d’Europe du Nord et du Sud autorisent la PMA pour les couples lesbiens et les femmes célibataires ; l’Autriche la permet pour les couples lesbiens seulement. Des pays de l’Europe de l’Est l’ont instituée pour les femmes célibataires seulement. (Au Québec, le législateur a « fait preuve d’audace, ou d’inconscience[35] », en réinventant la filiation, si bien que depuis 2002, les couples lesbiens ou les femmes seules peuvent se prévaloir de la procréation assistée, et que l’adoption est offerte aux couples homosexuels, féminins et masculins.) Les opposants à la PMA en France ont certes déploré l’effacement du père entériné par la PMA, comme la philosophe Chantal Delsol : « beaucoup de Français sont sensibles à la place du père : celui-ci doit-il disparaître de la parentalité ? Cet effacement du père est d’autant plus troublant que la parité entre les sexes est aujourd’hui célébrée[36]. » D’autres, marchant contre la PMA, ont dénoncé la bénédiction légale donnée à l’enfantement d’orphelins de père et la « marchandisation du vivant ».

Malgré ces protestations, la PMA, en France comme ailleurs en Europe, s’introduit dans les mœurs. Devenu une affaire strictement personnelle, qui regarde d’abord sinon exclusivement la femme, le désir d’enfant devient un projet pour soi, et non plus le croisement de deux désirs, l’enfant-pour-moi et l’enfant-de-toi. Cet enfant-là que je mets au monde sans la médiation embêtante, pesante et incontrôlable d’un homme postulant au rôle de père devient mon bébé à moi, mon prolongement, mon œuvre à laquelle peut certes participer une mère adoptive. Toutefois, la reproduction sexuée repose sur une altérité, une médiation, qui fait que l’enfant n’est ni sa mère, ni son père, ni même la simple sommation des deux et qu’il advient souvent — certes pas tout le temps — parce qu’une femme a eu envie d’avoir un enfant de son homme, et vice-versa. Par la « PMA pour toutes », on accentue l’inégalité naturelle entre femmes et hommes dans l’enfantement ; la maternité est consacrée première et indispensable ; la paternité, secondaire et facultative, compressible à la taille de spermatozoïdes congelés. Aux yeux des non-chrétiens et même des chrétiens dubitatifs, que Dieu le Père ait eu recours à la médiation d’une femme de chair pour donner à l’humanité son Fils a fait scandale[37]; aujourd’hui, en des temps moins chrétiens, le scandale s’est déplacé, et c’est le désir devenu sacré d’engendrer de la femme qui bute sur la médiation inopportune d’un homme charnel. Au fond, l’enfantement sans père participerait de ce fantasme qui travaille les individus contemporains, celui de l’Homme autoconstruit qui s’engendre lui-même, et qui, dans le cas de la PMA, se libère à la fois de la sexualité et du père, en faisant peser sur un seul sexe, à l’exclusion de l’autre, la transmission biologique[38].

***

Au bout du compte, les barques joyeuses de Caligula qui voguaient calmement sur le lac de Nemi nous fournissent une image qui restitue l’état d’esprit de l’homme contemporain occupé à briser les chaînes de la transmission. On l’imagine dansant, tournoyant sur un tapis de mosaïques déroulé au fond de la barque, qui elle-même accomplit de petits ronds, à la manière d’un gros nénuphar ondoyant où se complaît une grenouille lascive chauffée au soleil. Pendant que se succèdent les fêtes sous les hourras des convives qui jettent sur le noceur des regards familiers et approbateurs, défile sur les rivages la même succession de paysages, tel un film qu’on rejoue sans cesse au loin. Et puis, après des années de ce jeu fébrile, sans crier gare, la barque coule au fond, sur décision peut-être de son empereur, en engouffrant tout cet équipage sans rien laisser flotter à la surface, où l’éternel retour des saisons imprime ses reflets.

Dans Le gai savoir, Nietzsche évoque un lac aperçu dans le village alpestre de Sils-Maria en Suisse :

C’était ici que j’attendais, que j’attendais, n’attendant rien

Par-delà le bien et le mal, jouissant tantôt de la lumière

Tantôt de l’ombre, abstrait de moi, tout jeu, pur jeu,

Tout lac, tout midi, temps sans but[39].

Ce lac, pourrait-il être aussi celui de Nemi ?

Notes


[1] Siobhan Roberts, « You can help break the chain of transmission », The New York Times, 19 mars 2020.

[2] Pascal, Bruckner, « L’été indien de la vie », Le Débat, vol. 202, no. 5, 2018, p. 165.

[3] Sandrine Gamblin, « Thomas Cook en Égypte et à Louxor : l’invention du tourisme moderne au XXe siècle, Téoros, 2006, 25-6, par. 6. En ligne : https://journals.openedition.org/teoros/1476 ,

[4] Suétone, Vies des douze Césars, Paris, Gallimard, 1975, p. 245.

[5] Bernadette Arnaud, « Un troisième navire de Caligula repose-t-il au fond du lac Nemi? », Science et Avenir, 18 avril 2017, en ligne : https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/... .

[6] Denis Fainsilber, « Pollution, la face cachée des paquebots », Les échos, 6 septembre 2018, en ligne : https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-trans...

[7] F. Nietzsche, Traduction par Henri Albert. Œuvres complètes de Nietzsche, Paris, Mercure de France, 1903, vol. 13, tome II, par. 386.

[8] Stephen Pollan et Marl Levine, Die Broke, New York, HarperBusiness, 1997.

[9] Dany Provost, Arrêter de planifier votre retraite, planifiez votre plaisir, Montréal, Éditions transcontinental, 2005.

[10] Éric Desrosiers, « Père gâté, fils fauché », Le Devoir, 13 octobre 2007, en ligne : https://www.ledevoir.com/economie/160427/pere-gate-fils-f... .

[11] Voir cette note publiée par le cabinet d’avocats Picovschi, « Déshériter : le droit français comparé au droit international », 14 février 2018, https://www.avocats-picovschi.com/desheriter-le-droit-fra... .

[12] Christine Morin, « La liberté de tester : évolution et révolution dans les représentations de la doctrine québécoise », R.D.U.S., 38, 2008, p. 339-384.

[13] André Masson. « L’impôt sur l’héritage. Débats philosophico-économiques et leçons de l’histoire », Revue de l’OFCE, vol. 156, no. 2, 2018, p. 123-174, voir par. 8.

[14] Mariángel Alcázar, « El Rey renuncia a la herencia de Juan Carlos I y le retira la asignación », La Vanguardia, 15 mars 2020.

[15] Masson, déjà cité, par. 40.

[16] Masson, déjà cité, par. 115.

[17] Masson, déjà cité, par. 124.

[18] Laurent Ottavi, entretien, François-Xavier Bellamy, « Le désir de transmettre a disparu, mais la soif de recevoir demeure intacte. », Revue des deux Mondes, 25 avril 2018. En ligne : https://www.revuedesdeuxmondes.fr/francois-xavier-bellamy... .

[19] Ibid.

[20] Mario Campaña, Una sociedad de señores, Mexico, Jus, 2017.

[21] Margaret Hedeman et Matt Kristoffersen, « Art history department to scrap survey course », 24 janvier 2020, Yale Daily News, en ligne : https://yaledailynews.com/blog/2020/01/24/art-history-dep... .

[22] Collectif d’auteurs, « L’art du passé nous parle souvent des enjeux du présent », Le Devoir, 5 mars 2020.

[23] Éric Bédard, « Les origines personnalistes du “renouveau pédagogique”, Pierre Angers s.j. et l’activité éducative », dans Marc Chevrier (dir.), Par-delà l’école-machine, Québec, 2010, p. 135-171.

[24] Normand Baillargeon, « Quelques vérités sur la post-vérité », Argument, vol. 20, no 2, été 2018, p. 20.

[25] Voir par exemple Yoann Barthod Malat, « Note : Deleuze et les sciences de l’éducation », Philosophique [en ligne], 19, 2016 ; Itay Snir, « Making sense in education: Deleuze on thinking against common sense, Educational Philosophy and Theory », 50, no. 3, 2018, p. 299-311; Inna Semetsky et Diana Masny, « The Untimely Deleuze : some implications for educational policy », Policy Futures in Education [en ligne], vol. 9, no. 4, 2011.

[26]Gilles Deleuze, Nietzsche, Éditions de Minuit, PUF, 1965, p. 23.

[27] F. Nietzsche, déjà cité, par. 377.

[28] Émilie Rivard-Boudreau, « Son combat pour une ligature des trompes à 28 ans », Journal de Montréal, 8 mars 2020, en ligne : https://www.journaldemontreal.com/2020/03/08/un-chemin-de... .

[29] Anne Gotman. « Le choix de ne pas avoir d’enfant, ultime libération ? », Travail, genre et sociétés, vol. 37, no. 1, 2017, p. 37-52.

[30] Voir la page « Le célibat des prêtres », Église catholique de France, https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/vivre-sa-... .

[31] Code de droit canonique, article 277, 1983, en ligne : http://www.vatican.va/archive/FRA0037/_INDEX.HTM .

[32] Ellen Peck, The Baby Trap, New York, Pinnacle Books, 1971.

[33] Ibid., p. 18.

[34] Gilles Deleuze et Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Éditions de Minuit, 1972/1973, p. 57 et 59.

[35] Marie Pratte, « La filiation réinventée : l’enfant menacé ? », R.G.D, 33, 2003, p. 560 ; voir aussi la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, Lois de l’état du Québec. 2002, c. 6.

[36] Vincent Tournier, entrevue avec Chantal Delsol, « Véritable résignation ou résignation ? Ce que révèle l’opinion des Français sur la PMA pour toutes », Atlantico, 24 septembre 2019, en ligne : https://www.atlantico.fr/decryptage/3579682/veritable-acc... .

[37] Voir cet essai oublié de Charles de Koninck, Le scandale de la médiation, Paris, Nouvelles éditions latines, 1962.

[38] Voir notamment Olivier Rey, Une folle solitude, Paris, Seuil, p. 193-202.

[39] Nietzsche, Le gai savoir, Paris, Éditions Gallimard, 1950, p. 376-377.

 

source : http://encyclopedie.homovivens.org/