dimanche, 16 octobre 2016
Bruno Favrit répond au questionnaire de la "Nietzsche Académie"
Ex: http://nietzscheacademie.over-blog.com
Réponses de l'écrivain nietzschéen Bruno Favrit (link) au questionnaire de la Nietzsche académie. Bruno Favrit est l'auteur d'une biographie sur Nietzsche aux éditions Pardès (2002).
Nietzsche Académie - Quelle importance a Nietzsche pour vous ?
Bruno Favrit - A quinze ans, j'ai découvert ''Ainsi parlait Zarathoustra'' et j'ai senti toute la puissance qui se tenait dans ces pages. Bien entendu, l'adolescent est plus prompt à s'enthousiasmer du moins je veux encore y croire, dans ce monde où la culture se traduit par une offre débridée et quasi illimitée dont la qualité n'est pas la partie émergente. Mais le signe que Nietzsche est une valeur sûre, c'est que trente ans après, je peux le retrouver avec le même étonnement, les mêmes battements de cœur. Je ne peux en dire autant d'auteurs qui ont illuminé ma jeunesse mais qui ont depuis nettement perdu leur pouvoir.
N.A. - Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?
B.F. - ''Le Crépuscule des idoles'' me semble une bonne entrée en matière. D'ailleurs, dans ''Ecce homo'', à propos de ce livre, Nietzsche a cette confidence : « C'est une exception parmi mes livres. Il n'y en a pas de plus substantiel, de plus indépendant, de plus révolutionnaire, de plus méchant [...] qu'on commence par lire cet écrit.». Et, contrairement à ce que j'ai fait, il faudrait presque terminer par le ''Zarathoustra''. Car il est formidablement crypté et il convient d'avoir côtoyé Nietzsche pour en goûter toute la substance hauturière. Entre ces deux, il ne faudrait rien négliger. On doit savoir que ses livres ont été composés sans véritable espoir qu'ils passent avant longtemps à la postérité. Conscient qu'il ne s'adressait qu'à une minorité, Nietzsche, qui a fini par s'éditer à compte d'auteur, ne s'est pas découragé, même s'il a quelquefois songé à s'orienter vers la poésie ou la musique. Je pense qu'il était conscient de la puissance de ses écrits. Il croyait en lui. Tout l'avantage de sa pensée est dans ce qu'il n'eut pas à la diluer pour complaire à un éditeur, aux critiques ou à un cénacle.
N.A. - Être nietzschéen, qu'est-ce que cela veut dire ?
B.F. - D'abord apprendre à penser par soi-même. Se doter d'une certaine forme de misanthropie en tout cas ne point trop s'illusionner sur l'homme. Ensuite, s'obliger à affronter l'adversité et la bêtise sans se laisser étouffer par trop de compassion. C'est déjà beaucoup. Quand j'ai publié ma biographie sur Nietzsche, on m'a reproché d'en avoir restitué une image païenne. Mais je ne vois pas comment j'aurais pu en faire une autre lecture. Il encourageait la danse, la divagation sur les sommets en compagnie des ménades. Quant au Galiléen... on sait bien ce qu'il en pensait.
N.A. - Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?
B.F. - Je pourrais me défiler en disant qu'il n'appartient à aucune idéologie mais il faut tout de même noter que Nietzsche goûtait peu les ''socialistes'' qui montraient, selon lui, de profondes similitudes avec les chrétiens. Son attitude essentiellement aristocratique ne devrait pas nous faire penser que, s'il revenait en ce monde, il prendrait le parti de ceux qui ont renoncé à défendre les ouvriers pour se consacrer aux exclus, aux malades, brefs à ceux qu'ils ont tellement assistés et pommadés qu'ils ont tué en eux toute velléité de résistance. Si Nietzsche a pu être ''de gauche'', il y a bien longtemps.
N.A. - Quels auteurs sont nietzschéens ?
B.F. - Je vais certainement en oublier. Mais il me semble évident que des figures comme Montherlant ou Drieu lui doivent énormément. Cioran, est son fils spirituel. A l'étranger : Hamsun, Pessoa, Jünger, Henry Miller, Mishima... Quant à dénicher d'authentiques nietzschéens en ce début de siècle, c'est bien difficile. Peut-être Naipaul, Gòmez Dàvila et, par chez nous, le sociologue Michel Maffesoli qui prédit le retour de Dionysos. En revanche, si le nietzschéisme d'Onfray n'est pas une imposture, cela y ressemble fort.
N.A. - Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?
B.F. - Les spécialistes n'ont pas fini de soupeser et de se prononcer sur cette notion. Il suffit pourtant de lire le Zarathoustra, même si son aspect parabolique peut dérouter. Le Surhomme, c'est celui qui vient se mettre au contact des hommes ceux de la place du marché et qui, effrayé par tant d'inanité, s'en retourne sur les hauteurs. Il peut s'agir aussi de Dionysos reconceptualisé et infiniment libre et libéré si l'on conserve la majuscule. Pour moi, plus ''trivialement'', le surhomme est déjà celui qui sait « conserver la joie d'être son propre maître » (pour reprendre une formule de ''Humain, trop humain''). Lorsque l'ermite de Sils Maria écrit « mes livres ne parlent que de victoires remportées sur moi-même », il participe de sa tentative de s'ériger en surhomme. A ce sujet, je me suis fait cette réflexion : Nietzsche a été malade la majeure partie de sa vie au point qu'il a dû s'arrêter d'enseigner. Ce qui ne l'a pas empêché de donner par la suite une tonifiante leçon de vie et de grande santé à ses semblables. Comme quoi la maladie a du bon lorsqu'elle frappe des ''surhommes''. Il est préférable pour nous que le père de ''Zarathoustra'' ait éduqué le monde plutôt que la centaine d'étudiants de l'université de Bâle.
N.A. - Votre citation favorite de Nietzsche ?
B.F. - « Qui n'est pas un oiseau ne doit pas se risquer au-dessus des abîmes. » (Zarathoustra II - Des sages célèbres.)
13:37 Publié dans Entretiens, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nietzsche, entretien, bruno favrit, philosophie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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