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mercredi, 09 août 2017

Numériser la langue de bois, remplacer le cerveau humain

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Discours assisté par ordinateur

Numériser la langue de bois, remplacer le cerveau humain
 
par François-Bernard Huyghe
 
Ex: http://www.huyghe.fr

Un discours peut-il être tellement vide de sens qu’une machine le produise à la place d’un homme sans différence apparente ? Ou ce qui revient au même peut-on employer des catégories si vastes qu’elles englobent tout et que les mots se combinent dans n’importe quel ordre ? La réponse est évidemment oui.

Dès le XIX° siècle, les anti-hégeliens avaient inventé le principe de la matrice verbale pour se moquer du maître d’Heidelberg. Vous tracez verticalement une colonne sujet, une colonne verbe et une colonne complément sur un tableau. Vous les remplissez d’expressions standardisées et de stéréotypes. Puis vous pouvez démontrer qu’ils se combinent n’importe comment dans le sens de la largeur. Vous pensez ainsi avoir prouvé que le discours de votre adveïrsaire n’est qu’un bruit de la bouche : la profondeur de ses concepts ne paraît telle qu’à ceux qui en ignorent la vacuité et l’interchangabilité.

En clair : faites suivre n’importe quel groupe sujet de n’importe quel groupe verbe et accolez lui n’importe quel complément : la phrase semblera avoir un sens grave et pompeux.

Bien entendu le principe peut s’appliquer à tout charabia, jargon, langue de bois ou de coton… Vous pouvez ainsi faire une matrice à produire du discours de bureaucrate,de politicien, de psy, de sociologue… En passant sans relâche dans les colonnes horizontales de droite à gauche (en changeant de niveau à chaque fois) vous êtes en mesure de produire un discours de plusieurs heures. Vous pouvez enrichir en créant une quatrième colonne (des compléments d’objet de la troisième..) et continuer autant que vous voulez.

Ainsi, il circule à l’Ena un tableau destiné à produire de la langue de bois (téléchargeable ci-dessous en PDF) qui éclairera parfaitement ce qui vient d'être décrit.
De cette façon, vous pouvez dire :

Je reste fondamentalement persuadé (col 1) que la conjoncture actuelle (col 2) conforte notre désir incontestable d’aller dans le sens (col 3) d’un projet porteur de véritables espoirs, notamment pour les plus démunis (col 4)

Aussi bien que :

Je reste fondamentalement persuadé (col 1) que la volonté farouche de tirer notre pays de la crise (col 2) interpelle le citoyen que je suis et nous oblige tous à aller de l’avant dans la voie (col 3) d’un plan correspondant véritablement aux exigences légitimes de chacun (col 4)

Et depuis la rédaction de cette "matrice", le marketing politique (voir Voir 1, 2,3, 4) a encouragé cette tendance.


Suivant le même principe, on trouve sur Internet des générateurs de langue de bois, des «pipotron», et producteurs numériques d’autres parlures ébouriffantes. Ils démontrent parfaitement qu'un bon algorithme peut produire des discours pas très différents de ceux que reproduisent les médias chaque jour.

En économie cela donne :

Untel/Unetelle joue dans la cour des grands ; il/elle caracole désormais en tête. Il faut dire qu'il/elle ne manque pas d'atouts. Il/Elle a su dynamiser son équipe de cadres et la mettre en ordre de bataille et la mode qu'il/elle a initiée sur le marché domestique est incontournable. Il/Elle dispose d'un vrai projet d'avenir au niveau de sa branche d'activité, ce qui est un signal fort en direction de la communauté des acteurs, et, cerise sur le gâteau, son activité devrait générer des marges conséquentes.

Untel/Unetelle devra revoir sa copie au niveau de sa stratégie car sa marge de manœuvre est désormais trop étroite. Son business plan paraît plutôt un héritage du passé, une véritable usine à gaz. Il/Elle souffre, en outre, d'un déficit de communication. A force de bousculer le calendrier, il/elle n'a pu franchir la barre symbolique des 10% de progression et, à défaut de lancer un vrai débat et de monter au créneau pour y envoyer un signal fort, on peut dire qu'il/elle va droit dans le mur.

En politique :

Par ailleurs, c'est en toute connaissance de cause que je peux affirmer aujourd'hui que la volonté farouche de sortir notre pays de la crise conforte mon désir incontestable d'aller dans le sens d'un processus allant vers plus d'égalité.Je tiens à vous dire ici ma détermination sans faille pour clamer haut et fort que le particularisme dû à notre histoire unique doit prendre en compte les préoccupations de la population de base dans l'élaboration d'un avenir s'orientant vers plus de progrès et plus de justice. Dès lors, sachez que je me battrai pour faire admettre que l'acuité des problèmes de la vie quotidienne doit nous amener au choix réellement impératif d'une restructuration dans laquelle chacun pourra enfin retrouver sa dignité. Et ce n'est certainement pas vous, mes chers compatriotes, qui me contredirez si je vous dis que la volonté farouche de sortir notre pays de la crise conforte mon désir incontestable d'aller dans le sens d'un processus allant vers plus d'égalité.

Dans le genre pseudo-philosophique

Si on ne saurait reprocher à Bergson son monogénisme moral, il systématise cependant la conception morale du primitivisme et il en particularise ainsi la démystification rationnelle dans sa conceptualisation.
C'est d'ailleurs pour cela qu'il conteste ainsi l'herméneutique de la société alors qu'il prétend la resituer ainsi dans sa dimension sociale et politique, et on ne saurait assimiler, comme le fait Spinoza, l'universalisme minimaliste à une géométrie existentielle, cependant, il conteste l'expression morale du primitivisme.
Par le même raisonnement, il donne une signification particulière à l'origine du primitivisme pour la resituer dans toute sa dimension sociale.



Nous-mêmes en 1991 avions composé (mais sans logiciel à l’époque) un guide permettant au lecteur de composer des discours un peu plus pointus, puisqu’il pouvait générer à sa guise un discours de Bernard-Henri Lévy, de Michel Rocard, de Bourdieu, de Valéry Giscard d’Estaing, et ainsi de suite… Depuis, nous avons découvert qu’il existait un générateurs de discours creux en langue de coton sur Internet.


Que déduire de tout ce qui précède ? Que tout cela est bidon, qu’ils (politiciens, experts, journalistes, essayistes) se valent tous et qu’ils parlent pour ne rien dire ? Ce n’est malheureusement pas si simple.

Cette langue de coton qui nous bouche les oreilles a, dans la réalité, un sens caché. Pour prendre l’exemple du jour quand Jacques Chirac déclare aux joueurs de football qui viennent d’échouer de peur au Mondial La France est forte quand elle est rassemblée dans sa diversité et quand elle a confiance en elle.» (le Monde du 12 Juillet 2006), la phrase semble creuse : qui serait contre l’unité, la diversité ou la confiance en soi ?

Mais elle fonctionne sur l’évocation quasi magique de l’unité dans la diversité, synthèse des contraires apparents par l’alchimie de l’universalisme républicain, et de la confiance en soi : il est bien connu que les problèmes de la France sont surtout psychologiques, de même que la croissance économique est affaire de « moral des ménages » et qu’avec un peu de volonté…. La phrase renvoie à tout un passé de l’imaginaire français, comme l’exaltation de l’équipe « black, blanc, beur » qui avait gagné la coupe en 1998. Bref une telle proposition est datée : elle aurait été absurde si elle avait été prononcée par le président Coty ou par Georges Pompidou. Ou plus exactement, à l’époque, elle aurait eu un contenu idéologique très paternaliste et très marqué à droite. Un Roland Barthes en aurait tiré une chronique qui aurait fait s’esclaffer les intellectuels.

Aujourd’hui cette phrase fait partie d’un corpus de lieux communs sur les valeurs, la République, l’Autre, la diversité, qui se retrouvent dans tous les discours, tous les médias et dans tout l’éventail de la classe politique. En vertu du principe «on ne peut pas ne pas communiquer (y compris en se taisant)», nous verrons qu’il est impossible de ne rien dire même quand on parle creux.

Vous pouvez écouter ce texte en cliquant ici, puis en activant le bouton "lis moi".

Voir aussi sur novlangue et compagnie et sur la langue de bois, sur le "Parler vrai"...

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