samedi, 19 août 2017
Les Etats-Unis et la nouvelle « Route de la Soie » chinoise
Les Etats-Unis et la nouvelle « Route de la Soie » chinoise
Entretien avec le prof. Wang Yiwel sur le « Forum Route de la Soie » et sur le désintérêt de Merkel et de la RFA pour ce projet
Propos recueillis par Paul F. Raichmann
Q.: A la mi-juin 2017, la Chine a organisé à Beijing le « Forum Route de la Soie » (en anglais : « Belt & Road Forum » ou BRF). Vingt-neuf chez d’Etat et/ou leurs représentants, venus de 130 pays, y ont participé. Quels succès ce Forum a-t-il pu engranger ?
WY : Beaucoup. Il faut comparer ce projet à une bourse qui émettrait des actions de pointe et qui intéresserait la majorité des participants : car cette initiative ne signifie pas seulement que l’on va réactiver l’ancienne Route de la Soie mais que l’on va aller bien au-delà. En effet, ce ne sont pas seulement des représentants des pays riverains qui sont venus participer au Forum mais aussi des représentants de pays sud-américains, européens et africains. L’initiative est donc un projet global. Elle permettra d’atteindre les objectifs que les Nations Unies se sont fixés pour 2030 pour accéder à un développement durable. L’initiative BRF est un projet global, inclusif, équilibré et procurera des avantages au monde entier. Elle offre une plateforme de coopération visant à surmonter les obstacles de la fragmentation du monde. Elle répond aux problématiques qui affectent encore bon nombre de pays très différents les uns des autres, ce qui souligne sa grande importance. Elle permettra à la Chine de procéder à des échanges avec des pays en voie de développement permettant à terme d’y augmenter le niveau de vie, d’y lutter contre la pauvreté. La construction d’infrastructures jouera un rôle-clef.
Q.: Comment expliquez-vous l’intérêt fort mitigé du gouvernement allemand actuel, vu que la chancelière était absente à la conférence de Beijing ?
WY : Madame Merkel n’a pas participé parce qu’elle préparait le sommet du G20 et les élections prochaines pour le Bundestag. Mais, tout naturellement, l’Allemagne et l’Europe (représentée par l’Allemagne) cherchent à réaliser plusieurs critères via l’initiative. Dans le processus de globalisation, l’Allemagne cherche à respecter des règles fixes, tandis que la Chine cherche à lancer de nouveaux développements et des dynamiques : cette différence d’approche crée des contradictions et des conflits. Or l’initiative ouvrira bien des possibilités à l’industrie allemande et intéressera bon nombre d’autres pays qui cherchent à se réorienter vers l’Est et veulent coopérer avec la Chine. Quoi qu’il en soit, l’Allemagne a envoyé une délégation spéciale à Beijing.
Q.: Avant l’accession de Donald Trump au pouvoir à Washington, l’Union Européenne cherchait à formuler des législations contre un soi-disant dumping et contre des pratiques commerciales douteuses, législations qui visaient clairement la Chine. Quelle est la position de la Chine face à ces reproches venus d’Occident ? La Chine voit-elle aujourd’hui un changement d’attitude de l’Union Européenne depuis que des frictions opposent entre eux les partenaires atlantiques ?
WY : Il existe effectivement des contradictions entre les conceptions et les intérêts du Président Trump et ceux de l’Europe. Je voudrais rappeler aux Européens que la Communauté atlantique offre certes des opportunités mais l’Eurasie aussi. Les pays européens n’ont pas intérêt à négliger les opportunités qu’offre l’option eurasienne. Il ne faut pas oublier que les Etats-Unis, naguère, se sont, eux aussi, tournés vers l’Asie et s’intéressent à la nouvelle initiative chinoise. Les Américains estiment que celle-ci est utile pour créer des infrastructures et pour amorcer des exploitations, toutes bonnes pour le développement économique. Les Etats-Unis espèrent que leur participation au projet BRF leur permettra d’influencer l’organisation de cette nouvelle Route de la Soie. Le Japon, à son tour, et l’Europe pensent, au fond, dans les mêmes termes.
Q.: Comment l’initiative de la Route de la Soie peut-elle raviver l’économie globale et, simultanément, contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire et équilibré ?
WY : Selon la planification choisie pour l’initiative, celle-ci devrait augmenter l’ampleur du commerce mondial à 2,5 trillions de dollars américains, en l’espace de dix ans. C’est une contribution importante à la globalisation. Avant la crise financière globale, les taux de croissance du commerce était deux fois plus important que ceux de l’économie mondiale. Après la crise, ils étaient inférieurs. L’initiative, que nous prônons, ne peut que favoriser le commerce. Elle attirera des accords de libre-échange et favorisera les investissements dans les infrastructures et dans d’autres projets. Les liens créent la croissance commerciale. Ces liens infrastructurels sont un modèle nouveau pour la globalisation. Ils pourront stimuler deux ou trois fois plus l’économie mondiale que le simple artifice consistant à abandonner les tarifs.
Q.: Ce « projet du siècle » qu’est l’initiative BR semble plutôt taillé à la mesure des grands consortiums ou des entreprises étatisées. En Europe centrale, ce sont 20 .000 petites et moyennes entreprises qui forment l’épine dorsale de l’économie. Ces entreprises sont indépendantes et ne partagent pas le pessimisme de leurs gouvernements et des médias. Mais elles pourront éprouver des difficultés à se joindre à cet immense projet. Que proposez-vous pour encourager les petites et moyennes entreprises d’Europe centrale à résoudre leurs problèmes, à sortir de l’enlisement favorisé par les politiques et les médias ?
WY : Exact : les PPP (Public and Private Partnership), c’est-à-dire les grandes entreprises et les entreprises d’Etat y joueront des rôles moteurs. Mais Chinarail Express vise à inclure les petites et moyennes entreprises dans l’initiative BR. Voici comment pourraient se dérouler les choses : les grandes entreprises et les entreprises d’Etat vont dans un premier temps développer les infrastructures ; ensuite viennent les corridors économiques reliant les zones industrialisées. C’est là que les petites et moyennes entreprises vont découvrir mille et une possibilités.
Q.: Quel danger le terrorisme peut-il représenter pour l’initiative BR ?
WY : Les autorités chinoises suivent la question avec toute l’attention voulue : comment, se demandent-elles, les liens de communications nouveaux pourront-ils favoriser les déplacements des terroristes en direction de la Chine. A court terme, le danger est de voir s’infiltrer des éléments indésirables via les corridors. Il faudra instaurer des contrôles d’identité pour freiner ces infiltrations. Mais, à long terme, l’exploitation d’infrastructures modernes et l’amélioration des communications contribueront à la sécurité de tous et faciliteront la lutte contre le terrorisme.
(entretien paru dans « zur Zeit », Vienne, n°26/2017, http://www.zurzeit.at – propos recueillis par Paul F. Raichmann).
Le Professeur Wang Yiwei est considéré en Chine comme l’un des principaux experts des nouvelles « Routes de la Soie », si bien qu’il y a récolté le sobriquet de « Mr. Belt & Road ». Il enseigne à l’école chinoise des hautes études internationales et est le directeur de l’institut des relations internationales ainsi que du Centre des études européennes. Il était auparavant diplomate de la mission chinoise auprès de l’UE (2008-2011) et professeur au centre des études américaines à l’Université Fudan (2001-2008).
12:15 Publié dans Actualité, Economie, Entretiens, Eurasisme, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : wang yiwei, chine, route de la soie, entretien, actualité, politique internationale, géopolitique, eurasie, corridors économiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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