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vendredi, 11 janvier 2019

Le mouvement des Gilets jaunes peut-il s’étendre aux USA ?

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Le mouvement des Gilets jaunes peut-il s’étendre aux USA ?

Ex: https://www.entelekheia.fr 

Un texte qui a le mérite d’exposer le principal danger posé par les Gilets jaunes : l’effet dit « domino », autrement dit la contagion internationale. De fait, l’histoire enseigne que les révoltes ont tendance à se propager de pays en pays, et si jadis, ce processus pouvait prendre des années, parfois des décennies, aujourd’hui, avec la mondialisation des communications, il pourrait être considérablement abrégé.

Une bonne raison pour lâcher du lest avant que les choses ne s’enveniment pour de bon – ou est-il déjà trop tard ?


Par Kevin Zeese et Margaret Flowers
Paru sur Popular Resistance et MintPress News sous le titre What Would a Yellow Vest Movement Look Like in the United States?


S’il y a une vérité sur les mouvements, c’est qu’ils sont multiformes. Ils se transforment, évoluent et se déplacent à l’intérieur d’un pays ou même dans le monde entier. Cela peut prendre des mois et souvent des années.

L’époque du mouvement américain Occupy a eu lieu dix mois après le printemps arabe et six mois après le mouvement des Indignados espagnols — les matrices d’Occupy. Il a commencé à New York, puis s’est répandu aux États-Unis et dans d’autres pays. C’était une révolte mondiale contre les 1% qui a changé la politique aux États-Unis et qui continue d’avoir des répercussions aujourd’hui.

Le mouvement des Gilets Jaunes en France, qui a un impact majeur et attire l’attention de la communauté internationale, s’étend déjà à d’autres pays, dont certains, comme l’Égypte, ont interdit la vente de gilets jaunes pour éviter que la protestation ne s’y propage. Le mouvement montre qu’en perturbant le statu quo, on obtient des résultats. Arrivera-t-il aux États-Unis ? Quelle forme cela prendrait-il ici ? Qu’est-ce qui pourrait déclencher l’équivalent des Gilets jaunes aux États-Unis ?

Les mouvements sociaux entraînent des vagues mondiales de protestation

Il est courant qu’une manifestation se développe dans une partie du monde, puis s’installe dans un autre pays. C’est encore plus courant à l’époque moderne, où l’économie s’est mondialisée et où la communication entre les différents pays est devenue plus facile.

La révolution américaine contre la Grande-Bretagne s’inscrivait dans le Siècle des Lumières, qui remettait en question l’autorité traditionnelle et mettait l’accent sur les droits naturels à la vie, à la liberté et à l’égalité, ainsi que sur l’émancipation et la liberté religieuse [aux USA, NdT]. La Révolution française a suivi 13 ans après les États-Unis, en 1789. Elle a entraîné des changements politiques au Royaume-Uni, en Allemagne et dans toute l’Europe. Le Grand Libérateur Simon Bolivar a enchaîné en libérant les colonies de l’empire espagnol, notamment le Venezuela, la Colombie, le Panama, l’Équateur et le Pérou. Ces pays sont devenus indépendants et se sont brièvement unis en une seule nation.

Les révolutions démocratiques de 1848 connues sous le nom de Printemps des Peuples faisaient partie d’une période révolutionnaire généralisée qui a touché 50 nations en Europe. Elles avaient débuté en France et s’étaient étendues sans aucune coordination apparente. Les questions concernaient les droits démocratiques et les droits des travailleurs, ainsi que les droits de l’homme et la liberté de la presse. Elles ont conduit à l’abolition du servage dans certaines nations et mis fin à la monarchie au Danemark. La monarchie française a été remplacée par une république, des constitutions ont été créées et des empires ont été menacés par des pays en quête de souveraineté.

A l’époque de la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie, 1945 et 1960, trois douzaines de nouveaux États sont devenus autonomes ou totalement indépendants de leurs dirigeants coloniaux européens. En Afrique, un Congrès panafricain en 1945 a exigé la fin de la colonisation. Des troubles s’étaient généralisés et des révoltes s’étaient organisées dans les colonies de l’Afrique du Nord et subsaharienne. Protestations, révolutions et parfois transitions pacifiques ont mis fin à l’ère de la colonisation.

Les années 1960 ont été une époque de protestation qui a culminé en 1968 dans le monde entier. De multiples questions ont été portée sur la place publique, notamment les droits du travail et le socialisme, le mouvement féministe, les protestations contre la guerre et le militarisme, et contre le racisme et la dégradation de l’environnement. Des manifestations ont eu lieu aux États-Unis, en Europe, dans le bloc soviétique, en Asie et en Amérique latine.

Plus récemment, la mondialisation économique et Internet ont accéléré les protestations mondiales. Le mouvement antimondialisation en est un exemple. Au fur et à mesure que les entreprises ont pris le contrôle des accords commerciaux et ont commencé à biaiser les règles du commerce au profit des entreprises transnationales, des gens, à travers le monde, ont pu en constater l’impact sur leurs communautés et ont riposté.

Le soulèvement zapatiste du Chiapas, au Mexique, le 1er janvier 1994, a coïncidé avec le début de l’Accord de libre-échange nord-américain (NAFTA). L’Armée Zapatiste de Libération Nationale était un soulèvement de la population locale indigène contre leur exploitation par le commerce mondial. Leur action a été une source d’inspiration pour d’autres. Un mouvement anti-NAFTA s’est développé aux États-Unis, puis a muté en mouvement antimondialisation.

La crise financière de 1997 en Asie du Sud-Est, suivie de la restructuration de la dette par le Fonds monétaire international à travers des politiques austéritaires, a suscité des protestations en Corée, en Indonésie et en Thaïlande contre la mondialisation économique et l’influence excessive du capital transnational.

Tout cela a donné lieu à la Bataille de Seattle, en 1999, lors des réunions de l’Organisation mondiale du commerce où 50 000 personnes des États-Unis et du monde entier ont manifesté dans les rues de Seattle pendant quatre jours pour faire fermer les réunions. Il s’agissait d’un mouvement qui englobait de nombreux groupes particuliers en une force trop puissante pour que les élites puissent la censurer. Depuis lors, les réunions de l’OMC font l’objet de protestations massives, de même que les réunions du FMI et d’autres réunions économiques. Cette situation entraves aujourd’hui l’adoption d’accords commerciaux avec les entreprises aux États-Unis. Par exemple, les gens ont stoppé le TPP et Trump aura de la difficulté à faire approuver le NAFTA-2.

Le mouvement des Gilets jaunes

Le mouvement français des Gilets jaunes est composé de travailleurs qui protestent tous les samedis contre une économie injuste.  Le 8e « Acte », qui s’est tenu ce samedi, a été plus important que prévu, alors que le gouvernement et les médias affirmaient pendant les vacances que le mouvement s’essoufflait, contre le mouvement qui, pour sa part, disait que loin d’être terminé, il ne faisait que commencer.

Le mouvement a commencé par une protestation contre une taxe sur l’essence, mais il est rapidement devenu évident que ce n’était que la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase contre une série de politiques économiquement déstabilisatrices.  Le président Macron a appliqué un programme néolibéral au nom des plus riches, réduisant leurs impôts tout en multipliant les coupes sombres dans les services sociaux.

Macron a réagi au mouvement en éliminant la taxe sur les carburants, en augmentant le salaire minimum et en réduisant les impôts des retraités, mais ils continuent de demander au « président des riches » de démissionner. La popularité de Macron est tombée aux alentours de 20 % dans les sondages, tandis qu’une majorité de Français soutiennent les protestations des Gilets jaunes. Le mouvement révèle des fractures, en France, qui ne peuvent pas être résolues par les systèmes économiques et politiques actuels.

Tout en faisant des concessions, Macron a aussi traité les manifestants de voyous et d’agitateurs. Les tactiques policières ont été répressives et violentes face à des manifestations en grande majorité pacifiques. Ils ont arrêté Eric Drouet, un participant des Gilets jaunes qualifié de « leader » par les médias, sur la base d’accusations floues de manifestation non-autorisée, ce qui a suscité encore plus d’indignation. Les médias l’étiquettent leader, tout en disant que ce mouvement sans leader échouera parce qu’il n’a pas de leader. Cela nous rappelle un traitement similaire des médias américains pendant Occupy.

Le mouvement a transcendé les clivages politiques parce qu’il englobe des gens d’extrême gauche, d’extrême droite et de partout entre les deux. Il comprend des jeunes et des moins jeunes, des hommes et des femmes. Il montre des gens qui s’unissent dans une révolte contre un système économique injuste et ses répercussions sur les travailleurs. Ils appellent également à la démocratie participative en exigeant des initiatives citoyennes où les citoyens pourront voter sur les législations, licencier des personnes nommées par les partis politiques ou même modifier la constitution, s’ils recueillent suffisamment de signatures. Les Gilets jaunes dénoncent des problèmes systémiques, qui exigent un changement à la fois du système économique et du système politique.

Les manifestations des Gilets jaunes s’étendront-elles aux États-Unis ?

Une grande partie des problèmes que connaissent les Français sont les mêmes qu’aux États-Unis. L’économie américaine a été conçue pour les riches pendant des décennies et les politiques du président milliardaire Trump ont aggravé cette réalité. Le peuple ne s’est jamais complètement remis de l’effondrement économique de 2008, lorsque des millions de personnes ont perdu leur maison et leur emploi, ont vu leurs revenus baisser et leur dette augmenter.

L’économie mondialisée qui a été conçue pour les sociétés transnationales a mal servi la population des États-Unis.  Les États du Midwest sont exsangues. Les hôpitaux ruraux ferment un à un, à mesure que l’économie locale disparaît. Dans les zones urbaines du pays, des décennies de négligence et de manque d’investissement ont créé des conditions d’appauvrissement généralisé. Des services de police racistes et violents ont été utilisés pour prévenir toute rébellion et contenir d’éventuels troubles. Les gens luttent pour survivre. Les taux d’addictions et de suicide sont en hausse. Le désespoir s’est généralisé.

Un effondrement économique se profile à l’horizon. Comme l’écrit Alan Woods dans New Year, New Crisis, « La question n’est pas de savoir si cela arrivera, mais seulement quand. » L’économie américaine est dominée par Wall Street, qui a terminé l’année en crise. Le cours de l’action Citigroup a baissé de 30 % par rapport au début de l’année, celle de Goldman Sachs de 35 %, pour Morgan Stanley de 24 %, pour la Bank of America de 18 %, et JPMorgan a enregistré une perte de 10%. Woods souligne que l’économie chinoise ralentit, tout comme l’économie allemande, et les problèmes des autres nations européennes signalent tous un ralentissement mondial auquel les dirigeants ne peuvent pas réagir faute de disposer des outils nécessaires, car les taux d’intérêt sont déjà bas et la dette publique est déjà élevée.

Lorsque la récession frappera, l’insécurité économique de la population s’aggravera. Comme en France, les riches s’enrichissent de plus en plus et échappent à l’impôt en cachant des milliards à l’étranger. Et le gouvernement fait le contraire de ce qui est nécessaire, par exemple en réduisant les impôts des plus riches alors qu’il devrait y avoir un impôt de 70% pour les millionnaires, et en bloquant le Green New Deal.

Et, quand la crise économique frappera, les gens en rejetteront la faute sur Trump. Beaucoup d’électeurs l’ont soutenu parce qu’il avait promis de rompre avec un système conçu pour favoriser les plus riches. Leur expérience leur démontre aujourd’hui qu’il a fait le contraire. « Stop au Trumpisme ! » deviendra un cri de ralliement pour tous, et ce président, dont la popularité a toujours oscillé autour de 40% se retrouvera dans les sondages à 30%, ou moins, au moment du lancement de la campagne électorale.

L’économie est souvent un élément déclencheur, comme ce fut le cas pour Occupy, et nous savons déjà qu’il y aura des grèves massives des enseignants en 2019 ; en effet, les plans de grève, à Los Angeles, devraient s’intensifier. Les 40 000 personnes en passe de perdre leur emploi à la suite de la fermeture de quatre usines américaines de General Motors pourraient perdre leur maison et subir d’autres pressions économiques qui les inciteraient à la révolte. Le refus du Congrès de prendre au sérieux les propositions d’assurance-maladie nationale pour tous, alors que des dizaines de milliers de personnes meurent chaque année simplement parce qu’elles ne sont pas assurées, pourrait allumer l’étincelle.

Les Américains ne portent peut-être pas de gilets jaunes, mais nous savons, grâce à d’autres mouvements de protestation récents, que des Américains sont prêts à fermer les rues et les autoroutes et à stopper leurs activités habituelles. D’autres pourraient les rejoindre, si un sursaut de radicalisation s’ensuit, maintenant qu’ils ont vu le modèle fonctionner en France.

De nombreux catalyseurs sont susceptibles de déclencher des manifestations de masse en 2019. Attachez vos ceintures.

 

Traduction et note d’introduction Entelekheia

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